La Maison 6
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La Maison 6
La Maison 6 - Tu vas voir ma chérie, c’est une vieille maison, mais quel cachet ! On sera bien là bas, tu adoreras. Tu parles, c’est un vieille bicoque toute pourrie, oui ! pensa Josie, en son fort intérieur. Pourquoi a-t-il fallu qu’ils déménagent ? Surtout en cette période de début d’année scolaire. « C’est une aubaine de pouvoir aller là bas, vous ne réalisez pas la chance que vous avez ! » claironnaient sans cesse mes parents. Si c’est une chance de perdre tous ses meilleurs amis, tous ses repères, alors oui, je suis une personne très chanceuse leur répondais-je inlassablement. Mais cela n’avait pas suffi à leur faire changer d’avis. San Francisco, lui manquerait plus que tout.. San Francisco, la ville où sa sœur Erica et elle étaient nées.. des larmes amères lui montèrent aux yeux au souvenir de cette magnifique ville et ses maisons victoriennes, l’imposant pont du Golden Gate , Ocean Beach, l’embarcadero et enfin l’immense place de Union Square, où tant d’après-midis furent passés à déguster des glaces durant l’été.. Un soupir m’échappa malgré moi, en même temps que ma sœur qui détourna la tête rapidement, faisant tournoyer ses longs cheveux bouclés, masquant une larme qui perlait sur sa joue blanche comme la nacre. - Maman, quand est-ce qu’on arrive ? dit-elle brusquement - Bientôt, bientôt Erica ! Plus qu’une demi-heure, lui répondit-elle avec un sourire trahissant sa fatigue. Mes yeux se fermèrent alors et je dormis tout le reste du trajet. Les exclamations de surprise de ma mère, le claquement de la portière de mon père, et les lamentations de ma sœur me tirèrent d’un affreux cauchemar. - Regardez moi ça les filles ! Elle n’est pas belle votre maison ? Alors je la vis enfin. Un seul mot me vint alors à l’esprit : sinistre. Cette maison était réellement sinistre et ne présageait rien de bon. Les mauvaises herbes avaient envahis ce jardin, immense, livré à l’abandon, les murs de la façade paraissaient complètement moisis et la toiture était à refaire entièrement. Une dame de l’agence immobilière nous avait donné rendez-vous à 11h précises devant cette maison et ne devait être là que dans une dizaine de minutes. J’échangeais quelques mots avec Erica qui partageait le même avis que moi sur cet endroit lorsque nous entendîmes le klaxon insistant d’une voiture. Je me retournais et vis une femme, un peu extravagante, sortir d’un cabriolet rouge, dernière génération, perchée sur des talons interminables. « -Bon-jour ! Chantonna-t-elle d’une voix fluette, avez-vous fait bon voyage ? Vous n’êtes pas trop fatigués j’espère ? J’ai toutes sortes de boissons dans ma voiture ! Soda ? Eau ? Jus ? Bière ?... enchaina-t-elle sur un débit ininterrompu. - Non merci, c’est très aimable à vous répliqua ma mère sèchement - A vrai dire, nous sommes exténués et souhaiterions rentrer le plus vite possible, ajouta mon père d’un ton un peu plus doux. - Oh oui, oui, je comprends » et elle nous tendit les clés en nous souhaitant la bienvenue. Nous entrâmes alors dans la maison suivis de près par cette dame. Mon bras effleura le mur du couloir, plongé dans la pénombre. Il était froid. Anormalement froid. « Asseyez vous, je vous prie, reprit-elle. Cette maison a plus d’un siècle. Elle a été construite en 1866 par un architecte russe. Cela fait des lustres qu’elle n’a pas été habitée. » Après une dizaine de minutes d’exposé, elle prit congé et mon père la raccompagna jusqu’à la porte où elle ajouta « Avant que j’oublie, il y a une porte au deuxième étage. Elle est fermée à clé et depuis que l’agence s’en occupe, nul n’a jamais réussi à l’ouvrir malgré de nombreuses tentatives. Si vous avez la moindre question, n’hésitez pas à m’appeler. » Et ce fut tout. Cependant, je perçus un léger mal aise dans ces paroles qui se voulaient anodines. En regardant d’un peu plus près, je découvris la vétusté de la maison. Le plancher était même rongé par la vermine dans certains endroits. Chacun prit possession de sa chambre et entreprit de la nettoyer. Je découvris que la mienne pouvait avoir un certain charme, une fois la suie et la poussière enlevées. Je rangeai mes affaires rapidement et décidai de visiter ma maison. J’observais fascinée les tableaux, portraits de gens sévères, qui ornaient les murs du vestibule où le papier peint était ça et là arraché. Je vis l’escalier dérobé qui mène au deuxième étage. Alors que je montais les marches, je me rendis compte combien cette maison était sombre et lugubre. C’est vrai que les rideaux sont épais, songeais-je. Au bout de cet escalier je constatais, déçue qu’il n’y avait qu’une armoire. Je m’apprêtais à redescendre quand un détail attira mon attention. L’armoire masquait en fait une porte ! Mais bien sur ! C’était la porte dont la dame de l’agence avait parlé ! Je poussai alors le meuble, qui n’était pas très lourd et réussis à révéler la porte. Je tendis la main vers la poignée et la tourna lentement mais je constatai avec déception qu’elle demeurait close. Je descendis alors les escaliers un peu déçue. La maison entre temps, s’était rafraîchie. Je décidai de prendre un pull dans ma nouvelle chambre. Mais où avaiis-je bien pu le mettre.. Soudain, alors que je fouillais les tiroirs de ma commode je crus voir du coin de l’œil une silhouette me regarder fixement, elle était tout près du grand chêne. Quand je tournai complètement la tête pour mieux la voir, je ne vis rien. Holà ma pauvre Josie ! Tu te mets à voir des gens qui apparaissent et disparaissent ? me raisonnais-je en secouant la tête. Je descendis les marches quatre à quatre, criais à ma mère, qui s’activait en cuisine, que je sortais, et arrivée enfin dehors, je décidais de déambuler dans ma rue, à la recherche de jeunes de mon âge. Je m’avançais dans la rue mais mon regard se posa sur la boite aux lettres. J’essuyais rapidement avec ma manche la poussière qui l’avait noircie et pus lire le chiffre 6. Ainsi nous étions au numéro 6. Je scrutais les jardins de mes voisins quand un « Bonsoir » d’une voix à la fois gaie et étrange me fit sursauter. Je vis une jeune fille qui devait avoir l’âge d’Erica, je lui donnais 18-19 ans. Elle avait des cheveux noirs de jais qui faisaient un contraste saisissant avec son visage d’une pâleur extrême. Elle me fixait avec des yeux pétillants et un sourire indéchiffrable aux lèvres. -Bonj.. Bonjour ! bredouillais-je, je ne t’avais pas vue… - Tu es la nouvelle de la maison 6 ? - Oui, je m’appelle Josie Trels, et toi ? - Moi c’est Ambrine pour les intimes. J’habite chez ma grand-mère dans la maison bleue, au bout de la rue. Je vis alors la coquette mais petite, maison. - Ah d’accord, je suis ravie de faire ta connaissance. J’ai 17ans, et toi ? Elle ignora ma question et reprit : - Comment trouves-tu ta maison ? Je réfléchis quelques secondes puis : - Elle est étrange, cette maison. Mais bon, je finirai bien par m’y habituer. Un sourire singulier apparut sur ses lèvres. - Avant, à l’école, on racontait des histoires effrayantes sur cette maison ; des histoires de meurtres de bébés et d’esprits malfaisants. On dit qu’un jour une mère et son bébé de 6 mois vinrent s’installer et qu’à peine un mois après son arrivée le jardinier, cherchant sa patronne afin de toucher sa paye, trouva la maison vide et quand il chercha du coté du jardin, il découvrit le bébé mort noyé dans la fontaine. - Mais c’est affreux ! Je pris rapidement congé, après lui avoir donné rendez-vous le lendemain à la même heure et je rentrai chez moi. L’histoire de cette mère et de son enfant me trottait encore dans la tête quand ma mère me regarda inquiète : « Qu’est-ce qu’il y a, Jo ? Tu n’as toujours pas touché à ton assiette ! - Ce n’est rien, je pensais juste à quelque chose.. » Le diner se termina sans un bruit et chacun rejoignit sa chambre. Cette histoire m’avait vraiment bouleversée. J’en avais froid dans le dos à chaque fois, en y repensant. Je cherchais mon livre de chevet partout mais à la place, je tombais sur une clé. Qui avait bien pu la mettre là ? Je la pris et la posa sur une petite table, me promettant d’interroger mes parents et Erica, à son sujet, le lendemain. Je m’endormis ensuite profondément. Je fis des rêves incohérents, il y avait toujours cette porte blindée, inaccessible. Je me réveillai en sursaut et me trouvai au pied de cet escalier. Qua faisais-je là ? Etais-je somnambule ? Ca serait bien la première fois. Je me pinçai pour vérifier et la douleur cuisante me confirma que je l’avais bel et bien été. Je marchais vers la première marche quand je me rendis compte que je tenais une clé dans la main… mais pas n’importe laquelle ! Celle que j’avais posée sur ma table de chevet ! Je montais les marches lentement, une horrible angoisse étreignait ma poitrine. Cette maison grognait et soupirait autour de moi, comme si elle voulait m’avertir d’un danger. Mon cœur battait à tout rompre et semblait vouloir sortir de ma poitrine. Un froid mortel m’envahît quand je posais ma main sur la poignée de la porte. J’introduisis la clé avec une lenteur exaspérante, mon bras semblait ne plus vouloir répondre aux injonctions de mon cerveau. Il y eut un déclic et la porte s’ouvrit toute seule. Je pénétrai alors dans cette pièce inconnue. Il y faisait un noir d’encre. Je discernais vaguement un grand chandelier à gauche de la porte. Je l’allumais rapidement. Des ombres fantomatiques apparurent tout autour de moi. J’étais immobile, complètement paralysée par la peur. J’eux un petit rire forcé pour tenter de me prouver que cette peur était totalement irrationnelle, et qu’elle n’était que le fruit de mon imagination. Je me rendis compte que tous les meubles de la pièce étaient recouverts par des draps. J’entrepris de tous les enlever pour me rassurer car j’avais l’impression que des choses vivantes se cachaient au-dessous. Les draps recouvraient en fait des bacs plein de photographies jaunies par le temps, des coupures de journaux, des meubles antiques et même un piano noir, qui luisait à la lueur de la bougie. Je m’approchais des bacs et regardais les photographies avec attention. Peut-être en apprendrais-je plus sur les précédents occupants de cette maison. Sur presque tous les polaroïds il y avait une femme et un bébé.. Mon sang ne fit alors qu’un tour dans mes veines, mes cheveux se dressèrent sur ma tête, les rafales de vent faisaient plus que jamais craquer les jointures de la maison. Je poussai un cri de surprise. Je retournais la photo, la main tremblotante et lus : Ambre et Solaine Rose. Non il y a erreur, c’est impossible ! Je tentai de me raisonner comme je pus mais je savais que tout ceci ne pouvait être un simple rêve ou une coïncidence. Alors que je fouillais le bac le plus proche à la recherche d’une explication logique, je tombais sur une autre photo, celle de ma nouvelle maison. Qu’elle était belle dans le temps ! Je reposais les photos et m’approchais d’un secrétaire. J’ouvris un à un les tiroirs. Je trouvais dans l’un d’eux, soigneusement enveloppé dans un grand mouchoir rose, un album photos de bébé. Je l’ouvris, le cœur battant, et découvris les photos d’une mignonne petite fille. Solaine à 2 mois, 3 mois, 4 mois… les mots tourbillonnaient dans ma tête, de tournais les pages de plus en plus vite. Je replaçai l’album dans le secrétaire, comme je l’avais trouvé, me jurant de ne plus jamais remettre les pieds dans cet endroit de malheur lorsque ma main fut attirée tel un aimant vers le seul tiroir resté fermé. Je l’ouvris et en sortis cette fois un carnet bleu ciel délavé. Sur la première page était inscrit, d’une écriture féminine « Journal d’Ambre Rose ». J’avais l’impression de vivre un cauchemar. Mes yeux déchiffraient une à une les pages de ce carnet car un jour une femme avait décidé de raconter sa descente aux enfers. Jour après jour, pouvait-on y lire, elle entendait des voix. Cela avait commencé le jour des 6 mois de Solaine. Ces voix lui ordonnaient de tuer son bébé. L’amour d’une mère n’avait pas suffi puisque jour après jour, son état avait empiré, son écriture devenait de plus en plus mécanique, les voix devenaient de plus en plus présentes. Mon cœur se serra dans ma poitrine quand je lu la dernière page… « Mon Dieu, pardonnez-moi, je l’ai fait, j’ai TUE mon bébé,. Pardon, pardon…». Je refermais ce carnet brusquement, les larmes me montaient aux yeux. Une coupure de journal s’en échappa alors. Il s’agissait d’un fait divers relatant la découverte du bébé par le jardiner. La mystérieuse Ambrine, si c’est bien comme ça qu’elle s’appelle, avait donc dit vrai. JE rangeais le tout et descendis les marches de l’escalier à toute vitesse pour regagner ma chambre. C’était décidé, demain j’allais voir si cette fontaine existait. Je m’endormis rapidement. Le lendemain, je me réveillai en sursaut. J’avais la bouche encore ouverte du hurlement que j’avais poussé pendant mon sommeil, comme s’il continuait d’en sortir. Je me redressai haletante puis m’habillai en un temps record, descendis les marches à la vitesse de l’éclair et sortis. Mes parents me regardèrent ahuris. Je devinais leurs interrogations silencieuses, me promettais de leur fournir des réponses, une fois tout ceci mis au clair. Je contournais la maison à vive allure. L’herbe haute m’arrivait à la taille et me freinait dans ma progression sans parvenir cependant à me faire abandonner ma course. La crainte s’empara à nouveau de moi. Qu’allais-je donc découvrir ? Une fontaine ? ou .. rien du tout ? Les deux possibilités étaient terrifiantes. Une force étrangère me fit marcher un peu au hasard. Je fermais les yeux quelques secondes. J’entendais les oiseaux sur les branches qui se répondaient ici et là par des piaillements ininterrompus, le sifflement du vent dans les arbres, le chuchotement des feuilles… et parmi tous ces sons, j’entendis le clapotis de l’eau. Mon regard se posa tout autour de moi quand je la vis. Tout simplement. Assise sur le bord de la fontaine, une femme que je crus reconnaître portait un bébé en pleurs. Je m’approchais de plus près. Je n’étais qu’à quelques mètres d’elle. Et je la vis. Ambre Rose. La femme de la photo. Elle rapprochait son bébé dangereusement de la surface de l’eau. Je poussais alors un cri. Mais trop tard, je voyais déjà les bulles de la vie de cette enfant se percer à la surface. Puis plus rien. La vision disparut, ma tête se mit à tourner et je m’effondrai. « Ca y est elle se réveille ! - Ma.. Maman.. ? dis-je en murmurant, que s’est-il passé ? - Ton père t’a retrouvé évanouie près de la fontaine, derrière la maison. La maison, Ambre ! Les souvenirs refirent lentement surface. Cela n’est pas possible. Comment ai-je pu voir cette scène ? Ai-je perdu la raison moi aussi ? Elles sont mortes toutes les deux il y a si longtemps ! Je suis en train de devenir folle.» Je me levai d’un bond et déclarais : « Je me suis simplement assoupie tout à l’heure. - Non, tu étais inconsciente ! - Peut-être mais j’ai un rendez-vous que je peux rater sous aucun prétexte. » Ma mère me dévisagea interloquée et me laissa sortir sans rien ajouter. Je partis en courant et fus pile à l’heure. La scène de tout à l’heure repassait en boucle dans ma tête. J’attendis un bon quart d’heure l’arrivée de Ambrine avant de décider d’aller voir chez elle. Je sonnais à la porte de la petite maison bleue, espérant qu’elle m’avait fait une blague.. La porte s’ouvrit sur une vieille dame toute trapue et menue, ainsi que sur 6 chats noirs. Tous étaient étrangement identiques. Leurs regards me mettaient vaguement mal à l’aise. Je lui expliquai alors la raison de ma visite. - Ambrine ? je ne connais personne de ce nom. Je vis seule mademoiselle depuis la mort de mon mari. Fin