Bibliothèque et Ecole de Musique, un avenir commun
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Bibliothèque et Ecole de Musique, un avenir commun
Bibliothèque et Ecole de Musique, un avenir commun Au moment de préparer l’entretien avec Madame Sylvette Peignon, responsable musique de la Médiathèque de Gradignan, et Monsieur Frédéric Fauré, directeur de l’école de musique de Gradignan, mon objectif premier était d’interroger les évolutions technologiques en matière musicale, et leur impact sur la pratique elle-même et sur les partenariats des bibliothèques avec des institutions telles que les écoles de musique ; il s’agissait également de répondre au questionnement que l’on peut avoir sur le développement des «nouvelles pratiques» en bibliothèques musicales, autour de la pratique amateur et de l’apprentissage de la musique, autour également des questions de la création musicale et de sa diffusion. De plus en plus de bibliothèques sont sur le pont en matière de technologies de la musique : mise à disposition de jeux vidéo musicaux, organisation de stages et d’ateliers de découverte de logiciels MAO (musique assistée par ordinateur) et de traitement numérique du son. Ces actions bouleversent très logiquement notre conception de l’espace son des bibliothèques, mais également notre perception de l’œuvre, de la création en elle-même. Tout un chacun devient créateur et aspire à affirmer sa pratique musicale. Pourquoi ne pas imaginer alors que la bibliothèque puisse aller plus loin encore dans ses propositions : développer des studios d’enregistrement, aider en ce sens ceux qui désirent mener à bien le projet de réaliser un disque, de faire de la musique électronique ou électroacoustique (apanage encore aujourd’hui de lieux d’apprentissage musical, tels que le conservatoire de Bordeaux), devenir pôle ressource et permettre à tous l’accès à des pratiques jusqu’alors réservées aux professionnels. Toutefois, d’autres questionnements se sont imposés au moment d’envisager les partenariats qui pourraient être développés entre bibliothèques et écoles de musique, et d’analyser ceux qui existent déjà. «La bibliothèque comme vecteur de la diffusion et de la production, comme scène locale» : dans cette problématique, le lien avec l’école de musique – nous parlerons ponctuellement, au sens plus générique, de conservatoire – a toute sa place. Institutions au service du public, au service aussi d’une collectivité territoriale, lieux de ressources et d’échanges, lieux de culture et d’apprentissage, lieux également de savoir et de création, la bibliothèque et le conservatoire ont-ils un avenir à construire en commun, en mutualisant leurs forces ? De la nécessité de faire converger ressources, projets et actions, émergent en effet des notions, sous jacentes au questionnement de l’avenir de la musique en bibliothèque, de l’avenir de la musique également au sein de structures d’apprentissage tels que les conservatoires. Des notions sur lesquelles il peut s’avérer nécessaire de revenir : la notion de temps (que ce soit musical ou social) et de mémoire, la notion d’écoute et de pratique amateur, la notion d’œuvre, la notion d’outil et de langage. Pour une redécouverte du temps musical et de l’œuvre Au vu de cette journée, au vu des différentes problématiques abordées et des diverses interventions proposées, constituer à nouveau une «définition» des missions dévolues aux médiathèques, aborder une nouvelle fois la place qui doit et devra encore être accordée à la musique dans de telles institutions, s’avère superflu, voire superficiel, tant ce thème si 1 important est vaste, et les angles d’approche si nombreux. C’est d’ailleurs sous un questionnement encore différent que nous nous proposons d’aborder l’avenir de la musique en bibliothèque, en énonçant le lien qui pourrait s’établir de manière toute naturelle entre la médiathèque et l’école de musique. «Donner un enseignement musical et artistique à la majorité de la population, dans un souci toutefois de qualité et d’exigence. Exigence tout d’abord dans le travail, mais également exigence dans la réussite de l’accompagnement et de la formation du musicien, qu’il soit amateur, mélomane averti ou futur professionnel»1, voici la définition de l’école de musique donnée par Frédéric Fauré, et dans laquelle plusieurs paramètres entrent alors en ligne de compte. Celui tout d’abord de «musique pour tous», celui de qualité de l’enseignement, de plaisir, mais également de rigueur dans le cursus. Un paramètre aussi sous-jacent à celui d’écoute, de plaisir et d’apprentissage : celui du temps. Un temps cadré, «mesuré» et ponctué d’échéances, qui correspond à celui des cours, des répétitions, du travail personnel, du résultat à obtenir. Un temps musical limité également par la durée de l’œuvre elle-même, des morceaux et des mouvements qui la composent. Au contraire, la bibliothèque «est un lieu où on a le temps, où on prend le temps de découvrir les œuvres, les courants, les esthétiques»2. Le temps, en bibliothèque, ce n’est en effet pas celui, exigeant, de l’apprentissage, ce n’est pas non plus le temps musical, fixe et établi, mais prend-on pour autant toujours le temps de découvrir ? La bibliothèque est-elle un lieu où on se laisse aller à la découverte, et plus encore à l’écoute ? Cette réflexion n’est pas sans faire écho à celle de Gilles Rettel, lors de la journée d’étude qui eut lieu à la bibliothèque José Cabanis de Toulouse en septembre 2011, et au cours de laquelle une place privilégiée à la question de la musique en bibliothèque a été consacrée. Gilles Rettel y pose également la question du temps et souligne que «l’usager doit faire un effort dans le temps. L’appropriation d’une œuvre ne peut pas être instantanée. Or aujourd’hui, on manque de temps. […] Le temps est en effet le vrai problème aujourd’hui : sans lui, le monde devient complexe et dangereux, puisque nous avons accès à tout»3. Accéder si aisément n’est toutefois pas connaître, et Gilles Rettel de déclarer encore : «l’effet Google, disposer de toutes les informations sous la main – entraîne une moins bonne mémorisation. Si l’on pense pouvoir se dispenser de tout travail parce que l’on dispose de tout sur Internet, alors on devient idiot»4. A cette réflexion fait également écho un autre sentiment formulé par Frédéric Fauré lors de notre entretien : celui de l’utilisation d’internet et des supports numériques afin de «prendre la place du professeur». Ces outils mettent en effet en danger l’école de musique. Bien que l’on s’exprime moins sur l’avenir de ces lieux d’apprentissage que sur celui des espaces son des bibliothèques, il s’avère que les deux structures peuvent rencontrer sur ce plan des difficultés bien similaires : le remplacement de l’humain par l’outil numérique. Si on peut télécharger des documents sonores depuis chez soi, sans passer par l’intermédiaire 1 2 Extrait de l’entretien réalisé auprès de Frédéric Fauré, directeur de l’école de musique de Gradignan. Ibidem. Coline Renaudin, «Musique en bibliothèque, journée d’étude, médiathèque José Cabanis, Toulouse, 19 septembre 2011», in Bibliothèque(s), revue de l’association des bibliothécaires de France, n°61, mars 2012, p. 60. 4 Ibidem. 2 3 d’un médiateur ou d’un conseiller, ne peut-on pas également en faire de même pour les cours d’instruments ? Les logiciels d’apprentissage musicaux se développent, les jeux vidéo qui mettent également ‘‘la pratique d’instrument’’ à l’honneur fleurissent. Mais n’existe-t-il pas aussi au sein même des structures d’apprentissage de la musique, des pratiques qui conduiraient à ces voies numériques ? Frédéric Fauré soulève en effet la question des enregistrements des cours. A portée de main dans une clé USB, les commentaires et recommandations du professeur sont toujours à disposition, comme un autre conseiller numérique. La mémoire joue un rôle essentiel dans les mécanismes de l’écoute et de la compréhension de la musique. Remplacer ainsi la mémoire de l’étudiant, mais également et surtout sa capacité à réfléchir sur les conseils donnés, à les incorporer à sa démarche et à sa sensibilité artistique, n’est-ce pas en effet le risque de faire de ces étudiants des élèves «idiots», des praticiens «bêtes»5, qui ne comprendraient pas l’esthétique et la musique, réduiraient à des codes la démarche musicale et artistique, prendraient pour vérité absolue des éléments et notions appris dans un cadre précis, celui d’un cours, et pour un exemple particulier, celui de l’œuvre étudiée alors ? Outil pédagogique, le multimédia ne doit pallier ni à la mémoire, ni à la rencontre avec les médiateurs que sont le bibliothécaire comme le professeur de musique. La musique et l’émotion passent par l’être humain, par l’échange et le contact, non par le numérique. «L’exemple des opéras filmés projetés sur grand écran au cinéma est intéressant à ce propos. C’est un outil de démocratisation intéressant, mais cela reste un outil, et non un moteur ; aucune interaction n’est en effet possible, l’émotion ne peut passer de la même manière»6. Il en est de même de tout support musical : les CD et les fichiers mp3 ne constituent que des outils. A la bibliothèque, en partenariat avec les structures d’apprentissage de la musique, de révéler ce qui fait la musique et de mettre en évidence qu’avant d’être téléchargée ou tout simplement écoutée, cette dernière a été écrite, travaillée, produite et créée en un temps musical et social bien plus long que la seule instantanéité de l’écoute. Afin de permettre la rencontre avec l’œuvre Comment l’«Action Culturelle» peut-elle se définir au sein d’un Conservatoire ou d’une Ecole de musique ? C’est justement et principalement par ce concept de rencontre ; «l’Action Culturelle met en œuvre ce qui permet la rencontre avec d’autres élèves, avec le public, avec des publics, avec d’autres arts et d’autres pratiques, avec la création… C’est encore la rencontre amateurs-professionnels-artistes, la rencontre avec d’autres lieux, d’autres structures…»7. Toutes ces rencontres dynamisent l’établissement d’enseignement, l’ancrent plus profondément dans son territoire et le préservent d’une marginalisation qui pourrait le paralyser. L’Action Culturelle, par cette volonté de faire rencontrer, donne du sens à la formation. Il ne s’agit plus comme auparavant de former des techniciens de l’instrument, mais de mener à la pratique, à la scène, au spectacle vivant, que ce soit en 5 L’élève ne fait alors que reproduire ce qui a été appris en cours en essayant de se rapprocher au plus près de l’exemple du professeur. Il restitue la vision de l’enseignant sans accéder à son autonomie artistique. 6 Extrait de l’entretien réalisé auprès de Frédéric Fauré, directeur de l’école de musique de Gradignan. 7 Les enseignements artistiques dans l’action culturelle, Conservatoires de France, colloque de Besançon 1er et 2 Décembre 2000, p. 12. 3 professionnel ou en amateur. En effet, l’art ne peut pas se limiter à n’être qu’une connaissance. De même, l’apprentissage ne doit pas être uniquement orienté vers la réussite d’un examen, qui n’est pas en lui-même une réalité musicale. S’il est désormais nécessaire pour les écoles de musique d’amener leurs élèves à sortir des salles de cours pour aller à la rencontre de la scène et du public, quel intérêt pour les bibliothèques de prendre part à ces moments musicaux, de caractères et d’esthétiques souvent bien différents (orchestre de Big Band, orchestre de jazz ou de rock, formation symphonique ou de chambre) ? Sans nul doute celui de remettre, par le biais de ces rencontres, l’acte créateur au centre de l’œuvre, au centre de la pratique et de l’écoute et de renouer avec un temps bien souvent tronqué. Grâce aux nouvelles technologies, «on ne choisit plus seulement sa radio, mais on infléchit le programme d’écoute en fonction des ses propres goûts, on ne recrée par seulement une playlist, mais on remixe les œuvres entre elles, on les recompose»8. Chacun décide de l’écoute qu’il souhaite faire, les outils mis à disposition permettant alors de ne prendre de l’œuvre que des bribes. Par le biais du support, digital et numérique, l’écoute est bel et bien différente. L’auditeur devient en quelque sorte créateur9 d’une œuvre nouvelle ; détachés de leurs contextes créateurs, formants, fragments ou mouvements nouvellement et originalement réunis deviennent un nouveau temps musical. Néanmoins, comme le rappelle Antoine Hennion, «la musique n’est pas objet mais médiation, elle fait quelque chose et fait faire quelque chose, mais en situation, avec des corps, à travers des médiums et des dispositifs, grâce à d’autres actions et d’autres médiations»10. L’apport de l’école de musique en lien avec la médiathèque est ainsi intéressant à bien des aspects. Représenter (sous ces deux acceptations : mettre en scène, sur scène mais également présenter à nouveau) différentes œuvres lors d’un concert permet de leur redonner le temps musical qui les compose, en plongeant le public dans l’immédiateté de l’œuvre, mais également dans le temps de l’œuvre. Des partenariats pourraient alors être créés pour aller plus loin encore, comme par exemple des cours d’analyse qui pourraient avoir lieu en bibliothèque afin de développer plus avant ces axes de réflexion. D’autre part, on peut imaginer le développement de concerts au sein de la bibliothèque. Dans ce cas précis, le rôle des musiciens serait d’aider les auditeurs à prendre conscience qu’il ne suffit pas d’appuyer sur le bouton «play» d’un lecteur pour qu’une œuvre se joue (existe), mais bien de restituer, le temps d’une performance, l’œuvre dans son temps de représentation, mais également de préparation (l’arrivée des musiciens, l’installation du matériel, l’accord), de répétition (le travail effectué en amont peut être mis en exergue), sans oublier le temps de composition et de création dans un sens plus large. Il ne faut pas négliger non plus l’apport d’une médiation avant, pendant ou après la représentation, en la personne d’un professeur Arsène Ott, «Musique en bibliothèque : la fiancée du pirate ?» in Télécharger, écouter, voir : les enjeux des nouvelles technologies dans les bibliothèques, Benoît Michel, Alban Pichon (dir.), Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2009, p. 108. 9 Arsène Ott, «Musique en bibliothèque : la fiancée du pirate ?» in Télécharger, écouter, voir : les enjeux des nouvelles technologies dans les bibliothèques, op. cit., pp. 107-147. 10 Antoine Hennion, Sophie Maisonneuve, Emilie Gomart, Figures de l’amateur, Paris, La Documentation Française, 2000, p. 18. 8 4 de l’école de musique et /ou du personnel de la bibliothèque11. L’échange et l’humain permettraient alors d’appréhender différemment l’œuvre écoutée dans son intégralité. La nécessaire valorisation de l’activité d’écoute Si l’intervention des écoles de musique au sein de projets communs menés avec la bibliothèque peut ainsi permettre de replacer la pratique, l’acte créateur et l’interprétation, au cœur de l’œuvre, la bibliothèque peut également inciter les écoles de musique et conservatoires à s’ouvrir à des approches encore différentes de la figure amateur. En effet, l’idée que certaines approches de l’art musical seraient de la consommation passive (l’assistance au concert, l’écoute de disques…), indignes pour cette raison, de figurer au rang de pratiques en amateur n’est plus à cautionner, et bien que ces questionnements sur la pratique amateur, sur l’action culturelle et l’ouverture à des nouveaux publics, ont été menés depuis quelques années au sein de nombreux conservatoires, il en ressort néanmoins que ces derniers restent encore quelque peu en marge et souffrent encore de leur mauvaise réputation d’établissement refermé sur eux-mêmes, voire élitistes. Comme le note pourtant Antoine Hennion : Le jeu instrumental ou vocal n’a pas à bénéficier d’un passe-droit qui lui confère automatiquement un statut supérieur d’amateurisme : il existe sans doute un jeu très passif, et sûrement une écoute très active de la musique au sens d’une expertise de connaisseur et du développement passionné d’une compétence12. Il ne s’agit pas de faire des hypothèses sur le sens des pratiques, ni de comparer par rapport au seul étalon du bon goût, il s’agit de prendre en compte les pratiques amateurs, aussi bien en tant que praticien qu’en tant qu’auditeur, dans toutes leurs diversités : Amour, passion, goût, pratiques, habitudes, manies, la pluralité du vocabulaire renverra à la variété des configurations possibles que peut prendre le lien à de la musique. […] De la même mélomanie du discophile aux tâtonnements du pianiste du dimanche, de la réunion hebdomadaire de la fanfare ou de l’harmonie municipale à la passion lyrique, des rayonnements des magasins spécialisés aux grands rassemblements rock, ce sont tous ces dispositifs emboîtés qui, mettant en prise un amateur et une musique, définissent l’un et l’autre à travers une épreuve particulière13. En cela, il est nécessaire de réintégrer dans le sens commun des pratiques amateurs, la notion d’auditeur, la notion d’écoute, etc. Dans le domaine de la musique, peu d’attention a jusqu’alors été portée à cette notion pourtant clé. Se placer de ce «côté-là» de la dimension «Accueillir les musiciens pour les répétitions et les concerts, envisager également d’organiser l’aide à l’enregistrement mais également le prêt de jeux musicaux et d’instruments de musique» voilà les souhaits formulés par Sylvette Peignon en vue de développer les projets et actions en matière musicale. La bibliothèque tendrait ainsi à devenir un lieu où tous pourraient s’essayer à la pratique instrumentale. «Nous serions dans l’idéal un lieu de découverte avant de renvoyer vers l’école de musique et un lieu de répétitions et de concerts (ouvert aux élèves et à tous nos usagers évidemment) L’idéal étant évidemment d’avoir un musicien, un professeur associé au service musique mais également des bibliothécaires musicaux et des musiciens pour mener des actions complémentaires. Extrait de l’entretien réalisé auprès de Sylvette Peignon, responsable son de la Médiathèque de Gradignan. Dans ces propos transparaît alors désir profond de créer des liens, des passerelles entre ces institutions, ces lieux de cultures mais également entre les compétences des différents acteurs culturels. 12 Antoine Hennion, Sophie Maisonneuve, Emilie Gomart, Figures de l’amateur, op. cit., p. 36. 13 Ibid., p. 37-38. 11 5 musicale revient en effet à prendre un peu le contre-pied de la tradition en s’intéressant, non à l’objet musical, mais à l’auditeur. Lorsqu’on parle de musique, tout de suite on pense à l’œuvre, éventuellement à sa diffusion et à sa réception. Même ce qu’on appelle esthétique, qui devrait renvoyer à la sensation elle-même, est presque exclusivement conçue du point de ‘‘vue’’ de l’œuvre et des compétences requises pour l’apprécier. Or l’oreille aussi a une histoire, et cette autre histoire de la musique, écrite, si l’on peut dire, du point de vue de l’auditeur, est oblitérée par l’histoire de la musique tout court, centrée sur les compositeurs (la vie, l’homme, l’œuvre…)14. Utiliser le mot «écoute» à propos de musique, c’est donc opérer un renversement de la perspective : on se place alors du côté de celui ou de ceux qui entendent quelque chose d’organisé venant des autres ; c’est «prendre la musique non comme un produit fixé, sur une partition, un disque ou un programme mais comme un évènement incertain, un faire en situation, un surgissement à partir d’instruments et d’appareils, de mains et de gestes15»… Ceci met à mal la conception négative et passive de celui qui écoute, de l’amateur qui n’utilise d’autres instruments que ses oreilles et son corps. La «pratique de l’auditeur» n’est pourtant en rien passive, ce dernier ne se place pas face à l’œuvre dans un rapport de simple contemplation, mais il vit également, tout comme le praticien, à travers elle. Il ne convient plus de parler de consommateur de musique, mais d’un musicien qui, par ses oreilles, par ses yeux, participe au spectacle vivant. C’est également de cette manière que les établissements d’enseignement spécialisé comptent et doivent s’ouvrir aux amateurs, aux nouveaux publics, en s’inventant sans cesse et en s’adaptant aux changements de la société, aux «nouvelles pratiques» d’écouter et de faire. L’ouverture à de nouvelles perspectives communes Pour les écoles de musique, il convient également de se questionner sur des possibilités de partenariats avec les bibliothèques, non seulement en termes de diffusion, comme scènes susceptibles d’accueillir concerts et élèves, mais comme pôle ressource leur permettant de renouveler leur approche de certaines pratiques amateurs et de leurs projets. «L’école de musique peut paraître assez fermée en un sens, des partenariats avec les bibliothèques pourraient lui permettre des ouvertures, et notamment au monde de l’écrit, du conte, de la BD, de la littérature en général»16. Des projets sont ainsi mis en place autour du livre et de l’écrit, de la voix, parlée, chantée et du texte narré. «Il s’agit finalement d’un retour à ce qu’on a un peu oublié, la tradition des ménestrels (poésie lue, musique comme fond sonore et support de la parole, voire illustration) qui permettait d’enrichir mutuellement le langage poétique et musical»17. Des projets de lectures musicales en partenariat avec Lire en Poche sont ainsi prévus en Novembre et en Mars. Des partenariats allant en ce sens pourraient tout autant être envisagés avec la bibliothèque dans une recherche de pluridisciplinarité, de croisements entre les arts. D’autres propositions pourraient intervenir ici, une multitude de Ibid., p. 41. Antoine Hennion, Sophie Maisonneuve, Emilie Gomart, Figures de l’amateur, op. cit., p. 36. 16 Extrait de l’entretien réalisé auprès de Frédéric Fauré, directeur de l’école de musique de Gradignan. 17 Ibidem. 14 15 6 projets existe déjà entre les bibliothèques et les conservatoires (jeu de l’ouïe, ateliers contes et musique, expositions d’instruments, de partitions anciennes, des conférences ou débats, des cafés concerts ou siestes musicales, des projections de films accompagnées de musique, etc.). Nous n’avons pas cherché à en faire ici une liste exhaustive, ni une analyse de ces projets, mais plutôt tenté de mettre en lumière les différents points sur lesquels il peut être intéressant de s’arrêter dans une réflexion menée sur l’avenir de la musique en bibliothèque : celui des publics, celui de la diffusion mais également celui de la création. Les différents points abordés tout au long de la journée mettent en effet en évidence les questions qui se posent aux bibliothèques, mettent à jour aussi et surtout leur désir de rebondir, de rester toujours plus en lien avec le public (les publics)18, d’apporter des réponses novatrices en adéquation avec l’évolution des supports, des pratiques, des envies des usagers. Pour les écoles de musique ou conservatoires également, l’innovation et la création doivent rester au cœur des projets, des évènements comme de l’apprentissage ; savoir se renouveler sans cesse, se recentrer aussi sur la nécessaire médiation, sur l’obligatoire rencontre avec l’œuvre, savoir également adapter la formation au public que l’on a en face, diversifier l’offre pour répondre à la demande, ces problématiques sont au cœur des projets d’établissements des conservatoires et écoles de musique. Et si une des réponses à apporter afin d’assurer l’avenir des bibliothèques comme des écoles de musique était également de mutualiser les énergies, les moyens financiers comme humains, de tendre à la fusion des arts, des outils et des langages ? Car, si on considère que la bibliothèque «est bien un lieu de diffusion de langage, la musique, étant un langage, a alors toute sa place en ce lieu !»19. Comme le souligne Sylvette Peignon, «les deux structures, si elles sont basées sur un même territoire, ont tout intérêt à travailler ensemble, car leur public se recoupe. Les élèves peuvent trouver des partitions, des disques à la bibliothèque utiles à leur apprentissage. Les acquisitions des documents de la bibliothèque peuvent d’ailleurs se faire en lien avec l’école de musique et les professeurs. Les élèves ont également dans leur cursus une obligation d’effectuer des auditons publiques et la médiathèque peut être un lieu pour cela»20. La bibliothèque doit être un lieu de vie musicale de toutes les musiques et sous toutes ses formes : numérique, partitions, fonds CD, musique vivante, pratique instrumentale. «Elle doit s’ancrer dans son territoire et être pour la musique des lieux ressources et des lieux d’accueil de cours style ‘‘université populaire’’ pour y apprendre l’histoire de la musique classique, du jazz… Bref des lieux d’éducation, des lieux ressources, des lieux de vie musicale»21. Cindy Pédelaborde (courriel : [email protected]), Chargée de cours Musique au Pôle Métiers du Livre, IUT Michel de Montaigne, Bordeaux 3. Le public visé est large et dépend des animations musicales. A Gradignan, par exemple, «les auditions de l’école de musique sont destinées à un public majoritairement familial. Les conférences autour de la musique classique à un public plus « sénior », le partenariat avec le Crous s’adresse plus aux étudiants, les lectures musicales aux tout-petits. Extrait de l’entretien réalisé auprès de Sylvette Peignon, responsable son de la Médiathèque de Gradignan. 19 Extrait de l’entretien réalisé auprès de Frédéric Fauré, directeur de l’école de musique de Gradignan. 20 Extrait de l’entretien réalisé auprès de Sylvette Peignon, responsable son de la Médiathèque de Gradignan. 21 Ibidem. 18 7 8