III. Le monde grec : la période archaïque (VIII - VI siècles av. J.-C.)
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III. Le monde grec : la période archaïque (VIII - VI siècles av. J.-C.)
François LAFRENIÈRE GRÈCE ET ROME (332-300-SF) III. Le monde grec : la période archaïque (VIIIe - VIe siècles av. J.-C.) A. Les principales étapes 1. La naissance de la cité (la polis, notion et principes) Le monde grec du 1er millénaire (période « historique ») est un monde constitué de petits États: les polis. Ces états tirent leur origine: de la configuration physique du pays : petites plaines isolées par les montagnes; des premiers établissements grecs (Mycéniens du IIe millénaire) : noyaux de population très solides. Au 8e siècle, on se trouve alors en présence d'une nouvelle structure: la polis. C'est une des grandes créations de la civilisation hellénique. Mais qu'est-ce qu'une polis ? Quels en sont les traits essentiels ? a) C'est d'abord une communauté de naissance et d'origine La polis, c'est avant tout une communauté de gens. Ils sont liés par une solidarité fondamentale: celle de la descendance d'ancêtres communs (les fondateurs). La cohésion de cette communauté est célébrée et entretenue dans des fêtes et des cultes communs en l'honneur de la divinité poliade et du héros fondateur. Cela explique pourquoi les Grecs seront toujours parcimonieux dans l'octroi de la citoyenneté à ceux qui ne sont pas citoyens de naissance. La patrie (la terre des pères), c'est leur polis, non l'ensemble de la Grèce (patriotisme). Cette conception de la polis comme communauté de citoyens s'exprime dans la façon de nommer la polis : on dit: « la polis des Athéniens » et non Athènes. b) La polis est souveraine et autonome Souveraine : elle n'est soumise à aucun autre État (polis). Elle définit ses relations extérieures sans immixtion de quelque autre État. Autonome: elle a la faculté de se donner les lois et le régime qui lui convient; de se gouverner et de se gérer, de se donner les procédures qu'elle veut. Elle choisit son régime politique, ses lois, son calendrier, sa monnaie … c) Elle est de petites dimensions C'est une des caractéristiques les plus frappantes de la polis, surtout quand on sait qu'elle est un état national ! Sa superficie est rarement supérieure à 1 000 km2 (20 km X 50 km). À cause des terres cultivées, sa population est restreinte. Plus d'un tiers n'avaient pas 1 000 habitants, une bonne moitié entre 1 000 et 5 000 habitants, rares étaient celles qui dépassaient 40 000 habitants, Athènes était une exception avec peut-être 300 000 habitants. Cette exiguïté fait de la polis une communauté à la mesure de l'homme. On se connaît et, du regard, on peut généralement embrasser le territoire entier, du haut d'une colline. 2015-09-21 2 La polis est quelque chose de très concret; le patriotisme, ardent. On pouvait ainsi se passer d'une bureaucratie compliquée: chaque citoyen se sentait concerné. Il y avait plus de possibilité de s'épanouir personnellement; incitation à s'engager de façon active dans la vie et le gouvernement de sa communauté. d) Une communauté agraire L'activité majoritairement pratiquée, c'est l'agriculture. C’est la grande source de subsistance : on y travaille et en vit, comme propriétaire, locataire, employé. On vise l’autosuffisance, l’autarcie. Le surplus est écoulé au marché local et avec ce revenu on se procure les produits de première nécessité qu'on ne peut fabriquer soi-même. Les Grecs ont des besoins limités, à cause de la simplicité de la vie matérielle. L'artisanat et le commerce sont, en général, peu développés, sauf dans les polis de dimension supérieure. e) Un habitat concentré Imaginons le territoire de la polis : petite plaine, collines et montagnes autour constituant la frontière avec la polis voisine. D'où nécessité d'utiliser au maximum les terres cultivables et regroupement compact des maisons sur les hauteurs. On reconnaît deux espaces dans la cité : la chôra = le territoire, la campagne et l’astu = l’agglomération urbaine Dans l’astu, on trouve deux (2) pôles : L'acropole: hauteur défendue, c’est la cité haute (étymologie : acros=haut ; polis=cité, donc la « cité haute ») L'agora, espace ouvert à la vie collective: politique, économique, sociale, religieuse, judiciaire, militaire. Tous s'y rassemblent, s'y côtoient. Souvent la cité comprend un port, lorsque la mer se trouve à proximité. Important : Par conséquent, le monde grec est fait de nombreuses polis, cloisonnées, farouchement autonomes et jalouses de leur souveraineté. La Grèce n'est donc pas un pays en soi, avec un gouvernement central dont dépendraient les cités: c'est un ensemble d’États : la Grèce des polis. 2. Les instruments de communication : écriture et monnaie Deux inventions étrangères, par ailleurs, vont permettre aux Grecs de développer les échanges et les communications entre eux: l'écriture et la monnaie. a) L'écriture Au 9e siècle av. J.-C., aux Phéniciens ils empruntent leur système d'écriture. Les Grecs l’adaptent à leur propre langue. Le phénicien était : un système horizontal (de gauche à droite), qui ne traduisait que les consonnes, comme les langues des peuples voisins. L’alphabet grec traduira aussi les voyelles. Il comptera 24 signes, 17 consonnes et 7 voyelles. Les caractéristiques formelles (physiques) de l’écriture grecque : en lettres capitales seulement, sans espaces, sans ponctuation, sans accent, sans ponctuation, sens de l’écriture variable. 3 Voici l’alphabet grec ancien et les sons et lettres correspondantes en alphabet français : Alphabet grec Α Β Γ Δ Ε Ζ Η Θ Ι Κ Λ Μ Ν Ξ Ο Π Ρ Σ Τ Υ Φ Χ Ψ Ω Nom de la lettre alpha béta gamma delta epsilon zêta èta thêta iota kappa lambda mu nu xi omicron pi ro sigma tau upsilon phi khi psy oméga Alphabet français A B G D E Z È Th I K L M N Xi O P R S T U F, Ph Xh, Ch Ps O Le grand mérite des Grecs sera de faire de l'écriture : Son usage n’est plus réservé à des spécialistes (scribes) de l’écriture. Ils en font un instrument commun et populaire pour les échanges commerciaux et pour les communications; un usage courant et abondant. › Voir quelques-unes des caractéristiques formelles de l’alphabet grec : majuscules, sans espace entre les mots, sans ponctuation, sans accentuation. Exemple de deux inscriptions grecques des guerres médiques. L’alphabet grec se répandra chez les Étrusques (peuple italique), puis chez les Romains. b) La monnaie Depuis toujours on pratiquait le troc : soit en tête de bétail ou en orge: valeur d'usage, soit ensuite en lingots de cuivre, puis avec des billes d'électrum, des trépieds, des broches de fer, des anneaux d'or. C’est une valeur d'échange. Notions de lingot, obéloi et monnaie. 4 Dans le dernier quart du 7e siècle av. J.-C., la monnaie sera inventée: où ? Probablement en Asie Mineure : à Sardes, en Lydie, sous Crésus (selon l’historien Hérodote). Peut-être dans les cités grecques d'Ionie; les plus anciennes pièces viennent de Samos, d'Ephèse, de Milet. En tous cas, un beau jour quelqu'un eut l'idée de faire usage d'un petit lingot de métal : facilement maniable (électrum au début: mélange d’or et d’argent à l'état naturel dans le lit des rivières de Lydie) et dont le poids, garanti par la cité, s'imposerait comme étalon de valeur d'échange pour toute sorte de marchandise. Partant d'Asie Mineure, la monnaie va se répandre dans les cités grecques : Naxos: monnaie en argent, à l'effigie de Dionysos. Égine: monnaie en argent, avec représentation d'une tortue. Corinthe: Pégase et svastika au revers. Athènes: des tétradrachmes en argent, avec Athéna et, au revers, la chouette. La monnaie athénienne va bientôt s'imposer et rivaliser sérieusement avec celle des autres cités, grâce à la fixation du poids et à la pureté du métal. Conséquences de l'utilisation de la monnaie: une véritable révolution dans le domaine de l'économie : Cela simplifie les échanges. C'est un facteur d'unification de la cité: un même moyen d'échange. La monnaie devient objet de spéculation, un bien mobilier plus désirable que tous les biens fonciers. La monnaie stimule le commerce et pousse les aventuriers à rechercher à l'étranger des mines d'or et d'argent. 3. L’imaginaire collectif : les dieux et les héros Les Grecs ont peuplé leur univers (physique et humain) d'un grand nombre d'êtres merveilleux à leurs yeux. a) Les dieux 1) Les premiers de ces êtres, ce sont ces Puissances supérieures de la nature. Présentes dans l'univers et leur vie. Agissantes chaque jour ou occasionnellement, dans leur existence individuelle et dans la vie collective. 2) Ces Puissances supérieures, ce sont les divinités. Elles interviennent dans la vie des humains, elles envoient des messages. Il faut être à leur écoute, cultiver des rapports avec elles. Il faut leur être agréable et soumis. Ils sont l’objet d’un culte. 3) Les Grecs leur donneront une forme matérielle, un nom, un comportement, un caractère. Ils les feront vivre dans un contexte social à l'image des humains. C’est l’anthropomorphisme de la religion grecque. On leur imaginera une petite histoire, des exploits, des aventures. 5 Les dieux constitueront une super-société par rapport à la société des humains. b) Les héros Il y a aussi ces gens que les Grecs appellent les héros. Qui sont les héros? Exemples : Achille, fils de fils de Thétis et Pélée. Persée, fils de Zeus et Danaée. Thésée, fils d’Égée et d’Aethra. 1) Mi-dieux mi-hommes, ayant un parent divin, mais proches des hommes, avec qualités et défauts, ayant accompli toutes sortes d'exploits. 2) Souvent et surtout, ce sont les ancêtres (Mycéniens), conquérants, bâtisseurs du pays, ayant combattu, souffert, accompli de grandes choses. Admirés de leurs descendants, ils sont objet de culte; ils sont les protecteurs. Plusieurs ont été les fondateurs de telle ou de telle polis. La communauté leur rend hommage, leur tombeau est tout près. Ils sont les co-patrons avec la divinité poliade. On se plaît à raconter les exploits de ces héros. Ils sont objets de fierté, ils deviennent des modèles d'action et de vie. Ils incarnent des valeurs qui seront celles de leurs descendants. De la sorte, toute l'existence des Grecs est peuplée d'un monde fabuleux, imaginaire. C'est une sorte de monde parallèle dont la présence est continuelle, tant dans la vie privée que collective. Ce monde des dieux et des héros fait partie très étroitement de la vie et du développement de la civilisation des Grecs. Ce monde les inspire dans leur vie et leurs actions, les stimule. 4. La colonisation et l’expansion du monde grec On assiste à une sorte de mouvement centrifuge : de plusieurs cités partent des gens, qui vont s'installer ailleurs, en Méditerranée et jusqu'en Mer Noire. a) Facteurs Ce vaste mouvement de colonisation provoqué par divers facteurs: Pressions démographiques Manque de terres (les plaines n'occupent que 20% du territoire) Problèmes politiques et sociaux dans les cités. On chasse les indésirables ou ils partent d'eux-mêmes. Beaucoup de paysans se font enlever leurs terres. Désir d'une vie meilleure, d'un monde meilleur. Pour les paysans : Ailleurs, il y a des terres plus fertiles, plus étendues. Ou bien on est assuré que tous seront traités sur un pied d'égalité, dans la possession de cette richesse de base (on le voit par le partage égalitaire qui s'y est fait des terres). 6 Pour les artisans, les commerçants : avenir prometteur, car on s'établit sur des voies de passage privilégiées, favorisant les échanges commerciaux. Pour tous ceux qui partent : C'est un sol neuf sans le carcan de la tradition, des privilèges des anciens possédants. On fondera des cités sans passé, où chacun aura sa chance, où tous auront le droit de cité (citoyenneté). b) Un mouvement soigneusement préparé et organisé L'implantation des colonies est quelque chose de soigneusement préparé et organisé. 1. On part d’une Métropole, la cité-mère 2. Un groupe de colons avec un chef d’expédition sont désignés 3. Consultation de l’oracle d’Apollon au sanctuaire de Delphes. 4. Départ vers une terre nouvelle. 5. Fondation d’une cité souveraine et autonome par rapport à la Métropole. c) Deux mouvements de colonisation Un premier mouvement au VIIIe s. Un peu au nord de l'Egée, mais surtout vers la Grande-Grèce. Un second aux VIIe et VIe s. Vers le Nord et le Nord-Est: Thrace, Thasos, Mer Noire, Vers le Sud: Egypte, Libye. Vers l'Ouest: Gaule, Espagne, Corse, Adriatique Est, Sources AMOURETTI M.C. et F. RUZÉ. Le monde grec antique : Des palais crétois à la conquête romaine, Paris, Hachette, Histoire université, 2003. BAURAIN C. Les Grecs et la Méditerranée orientale. Des siècles obscurs à la fin de l’époque archaïque, Paris, PUF, Nouvelle Clio. L’histoire et ses problèmes, 1997. CABANES P. Petit Atlas historique de l'Antiquité grecque, Paris, A. Colin, 1999. ÉTIENNE R., C. MÜLLER, et F. PROST, Archéologie historique de la Grèce antique, Paris, Ellipses, 2000. KAPLAN M, dir. Histoire ancienne tome 1 : Le monde grec, Paris, Bréal, Grand amphi, 1995. MOSSÉ C. La Grèce archaïque d’Homère à Eschyle, Paris, Seuil, Points, 1984. MOSSÉ C. et A. SCHNAPP-G. Précis d’histoire grecque, Paris, Armand Colin, Histoire ancienne, 1990. ORRIEUX C. et P. S.-PANTEL Histoire grecque, Paris, PUF, Premier cycle, 1995.