Faut-il tirer les députés au sort - Centre d`étude de la vie politique

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Faut-il tirer les députés au sort - Centre d`étude de la vie politique
Le Soir Jeudi 10 septembre 2015
22 FORUM
sur lesoir.be
Entre 50 et 60 cas d’euthanasie pour
seule raison psychique insurmontable
ont été recensés en 2013 et 2014. Dans
une carte blanche, des praticiens et
acteurs du monde universitaire de
différents horizons et disciplines,
s’interrogent : difficilement objectivable, la souffrance mentale peut-elle
être un critère autorisant cet acte
irréversible ?
« Une solution politique
en Syrie toujours
plus improbable »
Depuis quatre ans et demi, le conflit
syrien a fait 250.000 morts et quatre
millions d’exilés. On en parle
avec Baudouin Loos.
Sur le terrain, quelles sont les forces en présence ?
Il y a au moins 4 camps. Le pouvoir du régime ne contrôle plus
que l’Ouest, la Côte et quelques grandes villes. Le reste du
pays est aux mains de diverses forces d’opposition : des
groupes rebelles qui se sont révoltés en 2011, plus ou moins
islamistes mais pas djihadistes ; l’Etat islamique, féroces djihadistes qui contrôlent environ 2 millions de Syriens, occupent
des zones essentiellement désertiques et quelques villes ; enfin, les Kurdes qui se situent au Nord, qui sont en train de
consolider une zone autonome assez importante.
Tout ceci n’est-il que la résultante des conflits entre
grandes puissances ?
Pour les Russes, il est très important que le régime syrien
tienne. Ils peuvent y ancrer leurs navires de guerre, ils lui
vendent pas mal d‘armes. L’autre grand parrain est l’Iran, très
proche de la milice libanaise Hezbollah, qui est un peu le fer
de lance contre Israël. Par ailleurs, nous avons l’Occident, et
les « pétromonarchies ». Ces dernières sont obsédées par la
menace iranienne et ont soutenu le régime de Bachar el Assad, tout en soutenant aussi quelques forces rebelles.
Doit-on envoyer des troupes au sol ?
Il faudrait une entrée massive de soldats d’une coalition internationale mais cela n’arrivera pas, à cause de tous les précédents : le bourbier afghan, le bourbier irakien qui a attiré des
djihadistes du monde entier. Les chiites sont au pouvoir à Bagdad et alliés des Iraniens. Tout ceci est très compliqué.
Y a-t-il un début de solution ?
Je suis très pessimiste. Ce ne sera pas le cas avant longtemps
en Syrie.
aujourd'hui
La crise des migrants
peut-elle faire vaciller le
gouvernement Michel ?
On en parle avec David Coppi.
Le Soir 10/09/2015 (p. 22)
le dossier
Faut-il tirer les députés au sort ?
A l’instar du « G1000 » de David Van Reybrouck, Laurette Onkelinx propose de transformer
le Sénat en assemblée mixte réunissant élus au suffrage universel et citoyens tirés au sort.
a démocratie y gagneraitelle si l’on tirait au sort
ses représentants ? La
question n’est pas neuve. Le socialiste flamand Peter Vanvelthoven, soutenu par son parti,
fin août, et la socialiste francophone, Laurette Onkelinx (PS),
s’exprimant « à titre personnel »
dans Le Soir de ce mercredi, ont
relancé le débat. S’inspirant des
propositions formulées par la
plateforme d’innovation démocratique « G1000 », ils proposent de transformer le Sénat
en assemblée issue totalement
ou en partie d’un tirage au sort
au sein de la population.
Remplacer tout ou partie de
la représentation démocratique
issue des élections par le recours au tirage au sort afin de
redynamiser notre système politique et de rapprocher la politique des citoyens ? Une réflexion qui traverse l’échiquier
politique. Richard Miller, responsable du centre d’études du
MR, a formulé des propositions
en ce sens en 2014, le député fédéral Ecolo, Gilles Vanden
Burre, y voit « une bonne idée ».
Vraiment ? « C’est une pratique de plus en plus utilisée
dans les jurys délibératifs, réagit Jean-Benoît Pilet du Cevipol (ULB). On part de l’idée
qu’il faut avoir une composition
la plus représentative possible
de la population et que la
meilleure manière d’y arriver
est le tirage au sort. Comme c’est
aléatoire, ce système offre à
chaque citoyen – quel que soit
son statut – la même chance de
se retrouver membre de l’instance qui est composée. »
Pour Jean-Benoît Pilet, la tendance vient du fait que la
confiance des citoyens dans les
institutions représentatives est
en baisse. « Et aussi du fait que
ces institutions ont plus de cent
ans et qu’il y a eu d’importantes
mutations sociologiques et technologiques. Les mécanismes mis
en place dans la deuxième moitié du XIXe siècle doivent être
repensés. Cela ne signifie pas
qu’il faut les abolir, mais les ré-
L
« Nos institutions
ont plus de cent
ans, il serait peutêtre temps de les
repenser, les remodeler »
JEAN-BENOÎT PILET (ULB)
former pour rapprocher le citoyen du lieu de décision politique », poursuit Jean-Benoît
Pilet.
« L’idéal démocratique au
sens premier du terme, et l’on
peut remonter jusqu’à Athènes,
est une participation directe des
citoyens. L’histoire de la démocratie est d’ailleurs beaucoup
plus du côté du tirage au sort,
rappelle Min Reuchamps, professeur de sciences politiques à
l’UCL et membre actif du
« G1000 ». La représentation,
au sens de l’élection, n’apparaît
qu’avec les révolutions française
et américaine. Les révolutionnaires ont une conception de la
démocratie qu’ils savent euxmêmes
anti-démocratique.
L’élection est un mode aristocratique qui va sélectionner les
“meilleurs”. Il est paradoxal de
constater qu’aujourd’hui, lorsqu’on évoque l’idée d’un tirage
au sort, elle est considérée
comme anti-démocratique parce
qu’elle va donner la parole à un
peu n’importe qui. »
De son côté, Jean-Benoît Pilet
ne voit pas pourquoi ce ne serait pas réalisable en Belgique…
« Mais il n’y a pas que des succès non plus. L’acceptation des
décisions prises par ces instances, soit par le pouvoir politique en place, soit par les citoyens, n’est pas toujours évidente. Aux Pays-Bas, par
exemple, le dossier qui est sorti
du “Burgerforum” a été classé
verticalement par le parlement
en disant que c’était bien gentil… C’est un peu ce qu’il s’est
passé en Islande et en Irlande. Il
y a eu beaucoup de propositions, mais très peu de chose a
été réellement mis en œuvre ou
soumis à référendum. Et quand
bien même, les autres citoyens
n’ont pas toujours suivi ce qui
leur était proposé parce qu’ils ne
sont pas nécessairement plus
convaincus par les propositions
qui émergent d’une assemblée de
citoyens tirés au sort que par
des propositions qui émergent
d’une assemblée d’élus. Tirer au
sort ne suffit pas, il y a d’autres
écueils à surmonter. Il faut un
encadrement minimum et que
tout le monde joue le jeu, en ce
compris le pouvoir politique qui
le met en place. Si on se limite à
un organe consultatif, on donne
juste une illusion de participation citoyenne », explique JeanBenoît Pilet.
« L’organisation du vivre ensemble implique que tout le
monde ait son mot à dire. A
l’heure actuelle, beaucoup de
personnes se disent désenchantées de la politique, ne militent
pas, n’iraient pas voter si ce
n’était
pas
obligatoire… »,
constate Min Reuchamps.
Où placer le curseur ? Faut-il
tirer au sort tous les députés
voire aussi les ministres ? Min
Reuchamps : « Si l’on revient à
l’Athènes antique, certaines
fonctions, notamment militaires
« L’histoire
de la démocratie
est beaucoup plus
du côté du tirage
au sort que de
l’élection »
MIN REUCHAMPS (UCL)
69 %
des lecteurs
du soir.be estiment
qu’il faut augmenter
la participation
citoyenne
au Sénat
Jusqu'en
1909, le
recrutement
de l'armée
belge s'opérait par
tirage au
sort. © D.R.
et diplomatiques, étaient électives. Le tirage au sort semble
faire sens dans les assemblées
qui ont à la fois un pouvoir de
proposition et de contrôle. Rien
n’empêcherait de dire qu’une assemblée partiellement ou entièrement tirée au sort désigne des
ministres et les contrôle. »
Tout le monde est-il capable
de gérer la chose publique ?
Pour Jean-Benoît Pilet, « une
chose est de dire qu’on va tirer
au sort ces personnes, une autre
est de savoir si ces personnes
vont prendre le temps et accepter de participer. On sait que les
plus exclus du système politique
se trouvent dans des situations
précaires et ont souvent le plus
de mal à comprendre le jeu politique, mais aussi à s’exprimer
en public. Ces personnes vont
être plus réticentes à participer.
Pour que ce système fonctionne,
il faut évidemment une participation effective ».
L’un des enseignements du
« G1000 », argumente Min
Reuchamps, est qu’il s’agit
d’une question d’intérêt. « Tout
le monde peut contribuer, parce
qu’il est au moins l’expert de sa
propre vie et donc de la réalité
qui l’entoure. On a tendance à
l’oublier, d’autant que les personnes qui sont élues représentent une minorité biaisée socio-démographiquement », les
avocats étant beaucoup plus
nombreux dans les parlements
que les ouvriers. Mais tout le
monde ne sera pas forcément
intéressé, motivé. « On le voit
avec le droit de vote ou les jurys
d’assises, lorsqu’il y a une obligation, 90 % des personnes participent. Parce qu’elles sont forcées, mais aussi parce que cette
obligation peut donner lieu à
une spirale positive. On se
prend au “jeu”. Il faut donc le
rendre obligatoire. » ■
PHILIPPE DE BOECK
CORENTIN DI PRIMA
P.5 « GARE
À NE PAS DÉSTABILISER
L’ÉTAT FÉDÉRAL »
histoire Une idée aussi vieille que l’« Iliade » et l’« Odyssée »
e tirage au sort ? Une vieille lune !
Dans l’Iliade et l’Odyssée, les preL
miers textes connus de la culture occidentale, la pratique est attestée pour le
choix des jeunes gens qu’on envoie à la
guerre ou fonder une colonie. Dans la
Grèce socratique, il est carrément un
« marqueur » démocratique. « On admet qu’est démocratique le fait que les
magistratures soient attribuées par tirage au sort, oligarchiques le fait
qu’elles soient pourvues par l’élection »,
écrit Platon dans son dialogue Le Politique, au IVe siècle av. J.-C.
On pourrait également citer, les républiques de Florence et de Venise, à la
pré-Renaissance (Trecento). Mais attention, comme à Athènes, dix-huit
siècles plus tôt, pas question que, sur
un coup de dé, quelque fâcheux se retrouve associé à la gestion de la Cité !
L’ordonnance de réforme institutionnelle de 1328 qui instaure le tirage au
sort à Florence pour la désignation
d’une partie des magistrats précisait
bien « les hommes de valeurs […] pourront équitablement s’élever et accéder
aux honneurs ».
A des périodes plus récentes, en Belgique, en France ou aux Pays-Bas, le tirage au sort fut la méthode commune
utilisée pour la conscription. Ainsi, jusqu’en 1909, le recrutement de l’armée
belge s’opérait de la sorte, mais avec faculté de remplacement moyennant une
prime. Moralité, dans les faits, jamais
un milicien de classe aisée ne faisait
son service militaire… C’est grâce à la
persévérance de Léopold II, qui lutta
toute sa vie pour donner à son
Royaume une armée digne de ce nom,
que le service personnel fut adopté en
1909, à raison d’un fils par famille
(quatre ans plus tard, on passa au service général obligatoire).
En décembre 1969, au plus fort de la
guerre du Vietnam, l’administration
Nixon instaura également un recrutement militaire par tirage au sort, afin
de corriger l’injustice du système précédent, où les jeunes gens qui réussissaient des études supérieures obtenaient sursis sur sursis tandis que ceux
qui n’avaient pas cette chance ou cette
capacité allaient se faire trouer la peau
dans les rizières. Devant la pression po-
pulaire, la conscription céda le pas,
dans ce pays, à un système d’engagement volontaire en janvier 73.
On pourrait encore citer d’autres cas
de tirages au sort, comme la constitution des jurys d’assises, la désignation
d’assesseurs lors des élections ou, aux
États-Unis encore, une fois par an, l’obtention d’un permis de séjour à l’occasion d’une vaste loterie (Diversity Visa
Lottery Program) : 13 millions de participants, 50.000 « Green Cards » distribuées. ■
WILLIAM BOURTON
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