Commémoration 11 novembre 1914 1Mireille

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Commémoration 11 novembre 1914 1Mireille
Commémoration 11 novembre 1914
1 Mireille (+ petit laïus de présentation des textes et du travail de ses ex-élèves.)
Le 28 juin 1914, le double assassinat de l’archiduc François-Ferdinand héritier
du trône d’Autriche-Hongrie et de son épouse par un nationaliste serbe fut le
prétexte à la guerre mondiale par suite des alliances entre les états.
Le 3 août 1914 l’Allemagne déclare la guerre à la France. Tout le monde
s’accorde à croire qu’elle sera courte : elle durera 4 ans et plus de 3 mois.
2
A Claude : Lettre de Maurice Maréchal à sa mère, le lendemain de la mobilisation générale.
« Que d’impressions depuis hier, et d’abord, petite mère, merci, tu as été
sublime de courage samedi soir. Je suis fier d’être ton fils. Hier, durant tout le
trajet, les populations pressées aux passages à niveau et aux gares, n’ont cessé
de nous acclamer, les femmes envoyant des baisers, les hommes reprenant avec
nous La Marseillaise et Le Chant du Départ. »
Jean-François
« Toute la soirée, des mères, des femmes, sont
venues à la grille. Les malheureuses ! Beaucoup pleuraient, mais beaucoup
étaient fortes. Maman, tu as été forte, ma petite mère chérie ! J’ai reçu ta
lettre ce matin dimanche, qui contenait une lettre d’une certaine jeune fille… Si
je pars, et si je meurs, je te prie, ma petite mère, de lui dire combien j’ai été
sensible à sa lettre de Villers, combien je l’ai appréciée dans sa droiture, dans
son courage, dans sa grâce ; combien je la remercie des bonnes paroles que j’ai
vraiment senties être d’une amie. »
2B
2C
Robert
« Pourquoi faut-il qu’une angoisse sourde m’étreigne le cœur ? Si c’était en
manœuvre, ce serait très amusant ; mais voilà, après-demain, dans cinq jours
peut-être, les balles vont pleuvoir, et qui sait ?... Si j’allais ne pas revenir ?
Pardon Maman ! J’aurais dû rester, travailler mon violoncelle pour vous, qui avez
fait tant de sacrifices. Je ne veux pas être lâche, mais l’idée que je pourrais
pour une balle idiote qui ne prouvera rien, ni pour le Droit, ni pour la Force,
gâcher mon avenir, et surtout briser l’édifice édifié péniblement par ma chère
mère, au prix de tant de sacrifices.
Allons, ne nous amollissons pas ! Que diable ! Pour un Français ! Que diraient nos
nobles dames et les gentes demoiselles ! Allons, soyons gai, courageux,
confiant ! »
2D
Claude
Après la guerre, Maurice Maréchal sera un grand violoncelliste mondial.
3 A
Mireille
Lazare Silbermann était à la fois le patron et l’unique employé de sa petite
entreprise «Tailleur pour dames ». Avant de partir sur le front comme engagé
volontaire, parce qu’il veut s’acquitter d’une dette essentielle auprès de son pays
d’accueil, Lazare ressent le besoin d’écrire une lettre testament à son épouse
Sally, qui comme lui, est réfugiée roumaine, et a ses quatre enfants en bas âge…
Lazare survivra à la guerre, et mourra dans les années 20, terriblement affaibli
par les séquelles de ses combats. Sally sera déportée et exterminée vingt-deux
ans plus tard.
3 B
Pierre
Paris, le 7 août 1914
Ma chère Sally,
Avant de partir faire mon devoir envers notre pays d’adoption, la France, que
nous n’avions jamais eu à nous plaindre, il est de mon devoir de te faire quelques
recommandations, car je ne sais pas si je reviendrai.
En lisant cette lettre, bien entendu, je n’y serai plus, puisqu’il est stipulé qu’il ne
faut ouvrir la lettre qu’après ma mort : Tu trouveras dans le coffre-fort quatre
lettres que tu remettras à qui de droit ; tu trouveras un papier timbré de mon
actif et de mon passif, où il est bien stipulé que tu es, avec nos chers enfants,
les seuls héritiers du peu, malheureusement, qu’il reste de moi. […]
Bien sûr, ma chère, je sais que je te laisse dans la misère, car tout cela
présente beaucoup et en réalité ne présente rien. Je te laisse un gros fardeau
que d’élever quatre petits orphelins que pourtant j’aurais voulu les voir heureux,
car tu le sais que je n’ai jamais rien fait pour moi. J’ai toujours pensé te rendre
heureuse ainsi que nos chers petits. J’ai tout fait pour cela et, je n’ai pas réussi
ce que j’ai voulu.
Je te remercie pour les quelques années de bonheur que tu m’as données depuis
notre mariage, hélas trop court, et je te prie d’avoir du courage, beaucoup de
courage pour élever nos petits chérubins en leur inspirant l’honnêteté et la
loyauté, en leur donnant l’exemple par toi-même, et je suis sûr qu’il ne te
manquera pas de courage. Parle-leur toujours des sacrifices au-dessus de ma
situation que j’ai faits pour eux, et qu’ils suivent mon exemple. Quant à toi, je
crois qu’il te restera des bons souvenirs de moi. Nous nous avons aimé jusqu’à la
fin et c’est ce souvenir et celui de ma conduite envers toi et envers tout le
monde qui te donneront du courage de supporter le gros fardeau que je te
laisse. Une dernière fois, je t’engage à bien sauvegarder l’honneur de nos chers
enfants en leur donnant de bons exemples et je suis sûr que cela répondra
comme un écho quand le moment arrivera. Je t’embrasse une dernière fois.
Ton compagnon de bonheur et de malheur, LAZARE
4
Mireille
Epina l 8-1-15
Mon cher Polo chéri
Je t’envoie le colis que je te cause sur ma dernière lettre datée du 6. Tu voudras bien me dire, cette
fois, si tu as bien reçu tout, car le dernier colis que je t’ai envoyé, tu ne m’as pas fait de détail. Donc,
c’est entendu, mon Petit Loup. Tu dois te penser que ta femme ne t’oublie pas : ton mandat, les photos
et les colis. Tu sais que tout cela me coûte de l’argent, mais ma foi, tant pis, hein, donc Petit Loup.
Après nous, le déluge. Nous souffrons déjà bien assez d’être séparés, pas vrai mon chéri ?! Tu
m’écriras souvent, et longuement. Dis-moi si tout cela te fait plaisir. Je dois aller à ton service. (Je ne
doute pas un seul instant que tu souhaites ardemment pour y venir) Mais espérons que cela reviendra,
et nous serons très heureux, comme par le passé. Ou nous nous entrelacerons dans nos bras et
unissant nos rires comme au temps jadis, c’était si bon, dis mon Loup.
Je t’embrasse bien fort.
Mille baisers, je t’envoie des caresses. Je t’aime.
Ta Mathilde
5 Claude
Chérie,
Voilà le baptême du feu… Je préfèrerais, tu peux le croire, être bien loin d’ici plutôt que de vivre dans
un vacarme pareil… C’est un véritable enfer ! L’air est sillonné d’obus… On n’en a pas peur, pourtant :
nous arrivons dans un petit village où se fait le ravitaillement…
Les gros canons de 155… Il faudrait que tu les entendes cracher, ceux-là… ils sont à 5 km des lignes,
ils tirent à 115 sur l’artillerie boche.
On sort du village, à l’abri d’une petite crête ; là, commencent les boyaux de communication ; ce sont
de grands fossés de 1 m de large et de 2 m de profondeur ; nous faisons 3 km dans ces fossés ; après,
on arrive aux tranchées. De temps en temps, on entend siffler quelques balles, les Boches nous
envoient quelques bombes peu redoutables ; nous sommes à 200 m des Boches. Ils ne sont pas trop
méchants.
Nous faisons des préparatifs formidables en vue des prochaines attaques. Que se passera-t-il alors ?
je n’en sais rien, mais ce sera terrible. J’ai le cœur gros, mais j’attends, toujours confiant. Nous
prévoyons le coup avant dimanche. Si tu n’avais pas de mes nouvelles après ce jour, c’est qu’il me sera
arrivé quelque chose ; d’ailleurs, tu en seras avertie par un de mes camarades. Il ne faut pas se
dissimuler, nous sommes en danger… et on peut prévoir la catastrophe ; sois confiante malgré cela,
parce que tous n’y restent pas.
Alphonse X
Neuf jours après avoir écrit cette lettre, Alphonse X a été tué par un obus
6 Mireille
Bonjour mon chéri,
Cela fait un certain temps que je n’ai pas reçu de tes lettres. Comment vas-tu ?
Comment se passe la guerre, en ce moment ? Comment vas ton frère ? Charlotte
fait des progrès, elle commence à parler. Son papa lui manque, elle demande
chaque jour où est son papa. As-tu besoin que quelque chose, du tabac, des
briquets ? Je joins à cette lettre une photo de nous deux. Charlotte t’embrasse.
Ta femme qui t’aime et pense fort à toi.
7
Jean-François
Cher ami
Quand nous sommes arrivés par ici, au mois de novembre, cette plaine était
alors magnifique, avec ses champs à perte de vue, pleins de betteraves,
parsemés de riches fermes et jalonnés de meules de blé.
Maintenant, c’est le pays de la mort. Tous ces champs sont bouleversés,
piétinés, les fermes sont brûlées ou en ruines, et une autre végétation est née :
ce sont de petits monticules surmontés d’une croix ou simplement d’une
bouteille renversée, dans laquelle on a placé les papiers de celui qui dort là.
J’étais l’autre jour dans les tranchées des « Joyeux ». Je n’ai jamais rien vu de
si horrible. Ils avaient étayé leurs tranchées avec des morts recouverts de
terre ; mais avec la pluie, la terre s’éboule, et tu vois sortir une main, ou un pied,
noirs et gonflés. Il y avait même deux grandes bottes qui sortaient dans la
tranchée, la pointe en avant, juste à hauteur, comme des porte-manteaux. Et les
« Joyeux » y suspendaient leurs musettes… et on rigole de se servir d’un
cadavre boche comme d’un porte-manteau (ceci est authentique). Je ne te
raconte que des choses que je vois, autrement, je ne le croirais pas moi-même.
Je compte que tu m’enverras des nouvelles de là-bas et je te quitte en
t’envoyant une formidable poignée de main.
Taupiac, Brigadier au 58ème régiment.
Après la guerre, Taupiac devint pêcheur sur la Garonne, mais aussi herboriste
et guérisseur, à ses heures.
8
Coralie (Lettre fictive)
9
Mireille
Lettre de Mathilde Derest-Cottin à Edouart Derest (14e Compagnie
de Somme=
19 déc 1916
Cher Edouart
Nous sommes en plein mois de décembre. Troisième hiver loin de toi !
Mes larmes inondent notre maison, à chaque fois que l’on m’apporte
une lettre du front. Mes mains tremblent à l’ouverture, de peur que
l’on me torture. Je lis l’horreur de cette guerre dans chacune de tes
lettres. L’odeur de la mort qui flotte dans l’air.
Tu dis que le souvenir de mon visage est désormais ton plus beau
paysage, et ta seule aide de combat, que mon sourire est ta source de
survie. J’ai dû te laisser partir et donner ta vie sur un champ de
bataille.
J’ai promis de te soutenir, et toi, tu m’as promis de revenir.
Je prie que cette lettre ne soit pas la dernière. Je t’aime.
Ta Mathilde
10
Pierre
Chez les Alliés, 100 000 victimes en août.
7 septembre 1914 : 1ère Bataille de La Marne : 2 millions d’hommes
s’affrontent sur le champ de combat :
Gallieni réquisitionne 1200
taxis pour le transport des troupes dans la Marne.
11 A
Mireille
Maurice Antoine MARTIN-LAVAL était médecin auxiliaire au 58e RI,
et il allait avec les brancardiers ramasser les blessés sur les champs
de bataille. Comme ses deux frères, il eut la chance de survivre à la
guerre.
11 B
Robert
Le 22 février 1915
Ma chère Marie,
Tu ne saurais croire la vaillance et l’héroïsme de nos braves soldats…
Hier a eu lieu, par trois sections de mon régiment, l’attaque d’une
tranchée allemande : une largeur d’une dizaine de mètres, sillonnée en
tous sens, comme une toile d’araignée, de fils de fer barbelés.
11 C
Claude
A 14 h : canonnade intense, par notre artillerie, de ces réseaux de fils
de fer.
A 14 h 30, cessation de l’artillerie, assaut à la baïonnette, de la
tranchée.
11 D
Robert :
Mets-toi dans la peau des officiers et des hommes qui vont partir…
Jusqu’à 14 h, les hommes dorment, tranquilles, couchés sur le ventre,
dans leurs tranchées, harassés qu’ils sont, par plusieurs nuits de
travail ; ils ne se doutent de rien. Cependant, les trois lieutenants
commandant chacun une section, savent ce qui va se passer, et ils se
promènent, pensifs, dans la tranchée. A quoi servira cette attaque ?
Nous ne pourrons jamais arriver au but, car les réseaux de fil de fer
nous en empêcheront !...
11 E
Claude :
A 14 h, tous trois adressent quelques mots à leurs hommes pour les
exhorter à marcher droit et vite, et à sacrifier leur vie pour l’avenir
de la France. Cependant, ils s’aperçoivent avec terreur, qu’à 14 h 30,
malgré la précision du tir de notre artillerie, les fils de fer y sont
toujours.
A ce moment, la « fusée - signal » est lancée par le Commandant de
l’attaque.
Aussitôt, les lieutenants, revolver au poing, s’élancent hors de
tranchée, aux cris de « Baïonnette au canon ! En avant ! A l’assaut ! »
et l’un d’entre eux entonne La Marseillaise. Les petits groupes
s’avancent en criant et chantant, au pas de gymnastique, vers la
tranchée boche.
Chaque groupe est ainsi constitué : un lieutenant, derrière lui, six
sapeurs du génie, sans fusil, armés de boucliers d’une main, d’énormes
cisailles de l’autre, pour couper les fils de fer… Derrière eux, toute la
section, et, fermant la marche, six sapeurs portant des pelles et des
pioches.
11 F
Robert :
C’est sublime de voir cet élan enthousiaste chez des hommes
assez âgés , en campagne depuis de longs mois, et allant
tomber volontairement - parce que c’est l’ordre – dans les
pièges qu’ils connaissent si bien et où ils ont laissé tant d’amis.
11 G
Claude :
Successivement,
chacun
des
trois
lieutenants
tombe,
frappé
mortellement à la tête ; les hommes, tel un château de cartes,
dégringolent, tour à tour. Quelques uns arrivent jusqu’aux fils de fer.
Que faire ?... Avancer ?... Impossible !... Reculer ?... De même… et
tandis que froidement, à l’abri de leurs tranchées, les Allemands
visent et descendent chacune des cibles vivantes, les hommes se
couchent là, grattant la terre de leurs doigts pour amonceler un petit
tas devant leur tête et tâcher ainsi de s’abriter contre les balles.
Il faut attendre la nuit… Les blessés arrivent peu à peu, admirables
de stoïcisme… Aucun ne se plaint de son sort et de l’inutilité de cette
attaque !...
Que d’horribles blessures !... L’un a le poumon qui sort, et il ne se
plaint pas ; l’autre a des débris de cerveau sur son cou et ses épaules
et un autre, blessé à trois endroits, me dit simplement : « Ce qu’il faut
souffrir pour la France ! »
11 H
Robert :
Ne crois-tu pas, chère Marie, odieux, honteux, scandaleux, que Messieurs les Députés à la
Chambre veuillent refuser ou même discuter l’attribution d’une Croix de Guerre à ces
hommes, tous des héros ?!
Bien petit dédommagement, en vérité, pour une jambe ou un bras de moins, qu’un petit
morceau de métal suspendu à un ruban.
Excuse mon bavardage, ma chère Marie, mais je suis écoeuré de toutes ces discussions à la
Chambre.
Et que penser - tant pis si la censure arrête ma lettre, je ne cite d’ailleurs pas de nom – que
penser de certains chefs qui lancent des hommes sur un obstacle insurmontable, les vouant
ainsi à une mort presque certaine, et qui semblent jouer avec eux, comme on joue aux
échecs ?!...
Ne te scandalise pas, ma chère Marie, je t’écris encore sous le coup de l’émotion d’hier et de
cette nuit ; j’ai été très touché ainsi que tous les officiers, même supérieurs qui sont ici ; l’un
d’eux, ce matin, en pleurait de rage et de pitié. Ne crois pas que mon moral soit atteint le
moins du monde, il est excellent…
Maurice
12 Enzo (Lettre fictive)
13 A
Mireille
Wilfrid Tafel était sous-lieutenant dans la cavalerie allemande. Après avoir été grièvement
blessé, il écrit cette lettre à la fin de sa convalescence à l’intention de sa maîtresse.
13 B
Claude
Stuttgart le 12-13 mai 1916
Aujourd’hui, dernière matinée à Stuttgart. Les arbres sont en fleurs, et les oiseaux chantent.
J’ai rempli mon devoir aussi bien que je l’ai pu, et maintenant, il n’est rien qui ne me soit plus
cher que de t’écrire. Je ne savais pas qu’on pouvait pleurer pendant des semaines, sans que
personne le remarque. C’est comme si des larmes brûlantes me tombaient de l’intérieur du
cerveau sur le cœur, et le consumaient. C’est dans cet état d’esprit que j’ai vu les horloges de
Karlsruhe, et la cathédrale de Strasbourg. Je fermais les yeux, et je te voyais… Je voyais la
femme aller et venir, là-bas, sur ce quai. Je marchais à ses côtés, et respirais un parfum de
lilas. La douleur se cristallisait alors en moi… j’étais seul, et je m’y abandonnais de tout mon
être.
14
Mireille
Cher Albert
…. Voilà 3 jours que les vaches ont pas été aux champs. Tous les jours, il pleut à torrent et il
fait froid. C’est un vilain temps.
Je ne vois plus grand-chose à te dire, mais ne te fais pas de mauvais sang sur nous. Notre vie
peut-être va être plus tranquille à présent.
Je termine ma lettre en t’embrassant très fort.
Bien le bonjour de toute la famille.
Marie
15
Pierre
Léonard Leymarie, simple soldat fusillé à Vingré
Je soussigné, Leymarie Léonard, soldat de 2ème classe, né à Seillac (Corrèze).
Le Conseil de Guerre me condamne à la peine de mort pour mutilation volontaire et je déclare
formellement que je suis innocent. Je suis blessé ou par la mitraille ennemie ou par mon fusil,
comme l’exige le major, mais accidentellement, mais non volontairement, et je jure que je suis
innocent, et je répète que je suis innocent. Je prouverai que j’ai fait mon devoir et que j’ai
servi avec amour et fidélité, et je n’ai jamais faibli à mon devoir.
Et je jure devant Dieu que je suis innocent.
LEYMARIE Léonard
16 Mireille
A Aix-en-Provence le Mardi 24 Août 1915
Mon très cher et tendre amour,
Cela fait plusieurs jours que je me retrouve sans nouvelles de vous. Je ne me fais guère de
soucis. Je sais à quel point vous êtes courageux et fier de servir notre chère patrie qu'est la
France. Je suis persuadée qu'à l'instant même où je vous écris, vous vous battez avec
sagesse. Si vous saviez à quel point tout le monde vous encourage et vous aime ici.
Hier après-midi, je me suis promenée avec votre mère près du château de Pertuis. Nous y
avons rencontré votre vieil ami Pierre rentré, unijambiste, de guerre un ou deux mois
auparavant. Il m'a semblé heureux d'apprendre des nouvelles de vous et triste de ne pouvoir
vous serrer dans ses bras. Il m'a chargée de vous passer le bonjour et de vous dire qu'il croit
en cette guerre et en notre victoire. Pour être honnête, il m'a confié qu'il comptait bien
retourner sur le front avec ou sans l'accord de ses supérieurs. Après notre retour, je me suis
rendue chez nos voisins. Les pauvres, ils ont perdu toutes leurs récoltes à cause des taupes.
Je ne peux vous cacher que nous avons tous bien ri en apprenant la nouvelle. Qui aurait pu
croire que les Martin pleureraient à cause de taupes en ces temps de guerre. Bien après dans
la soirée, votre petite nièce, Lucie, a fait ses premiers pas et votre sœur en a pleuré toute la
nuit. Malheureusement, pas uniquement de joie.
A part cela, tout va pour le mieux. Le boulanger d'en face à rouvert hier. La toux de votre
père, qui comme vous le savez durait depuis plus d'un mois, s'est miraculeusement arrêtée
très tôt dans la matinée lors de sa promenade quotidienne avec le chien de chasse dans les
bois. Le médecin n'a cessé de répéter pendant le déjeuner que la médecine n'a fait
qu'évoluer depuis le début de la guerre et que bientôt toutes les maladies n'auront plus aucun
secret pour lui et ses confrères. Votre tante, Justine, toujours aussi pessimiste a rétorqué
qu'elle n'y croyait pas et que tous ceux qui auraient survécu à cette guerre mourront d'une
prochaine pandémie. Encore merci à votre mère de l'avoir fait taire. Votre mère est une
grande dame. Je n'aurais pu tolérer une autre parole de cette femme.
Je dois, à mon plus grand regret, vous dire au revoir et achever cette lettre mon doux Jean.
Votre père, qui ne tousse plus et s'en vante, m'a obligée et, je n'ai point refusé, de partir
avec lui en montagne faire une randonnée et dormir à la belle étoile. J'espère pouvoir trouver
très vite du temps pour vous écrire. Ici, nous pensons tous à vous et vous souhaitons bien du
courage. Je sais que vous n'en manquez pas. Je souhaite avoir très vite de vos nouvelles et
vous avoir bientôt à mes côtés. Je vous embrasse bien fort.
Votre bien aimée, Marie
PS : Je n'ai pas oublié votre promesse de mariage. Ne l'oubliez pas non plus. Cet événement
hante mon esprit nuit et jour et renforce mon amour pour vous. Je vous aime et vous aimerai
toujours.
17
A
Claude
Guillaume Apollinaire, né en Pologne en 1880, est naturalisé en 1916. Au début
de la guerre de 14, il rencontre Louise de Coligny-Chatillon (celle qui sera Lou
dans son oeuvre "Calligrammes")
L’acrostiche qui suit est adressé à Lou.
17 B
Robert
« Adieu !
L’amour est libre, il n’est jamais soumis au sort
O Lou, le mien est plus fort encor que la mort
Un cœur, le mien te suit dans ton voyage au Nord
Lettres ! Envoie aussi des lettres ma chérie,
On aime en recevoir dans notre artillerie
Une par jour au moins, une au moins, je t’en prie
Lentement la nuit noire est tombée à présent
On va rentrer après avoir acquis du zan,
Une, deux, trois… À toi ma vie ! À toi mon sang !
La nuit, mon cœur la nuit est très douce et très blonde.
O Lou, le ciel est pur aujourd’hui comme une onde.
Un cœur, le mien, te suit jusques au bout du monde.
L’heure est venue. Adieu ! l’heure de ton départ
On va rentrer. Il est neuf heures moins le quart
Une… deux… trois… Adieu de Nîmes dans le Gard
4 fév. 1915 »
17 C Claude
Guillaume Apollinaire, épuisé par sa blessure, meurt le 9 novembre
1918 de la grippe espagnole.
18 A
Mireille
Léon Hugon a été blessé le 9 septembre 1914 par un éclat d’obus pendant la première
bataille de la Marne. Puis,il fut envoyé à l’hôpital de Tulle où il mourut du tétanos le 22
septembre 1914.
18 B
Jean-François
Tulles, le 18 septembre 1914.
Bien chère Sylvanie,
Je ne peux pas m’empêcher de te dire que je suis dans une très mauvaise position, je souffre
le martyr, j’avais bien raison de te dire avant de partir qu’il valait mieux être mort que d’être
blessé, au moins, blessé comme moi.
Toute la jambe est pleine d’éclats d’obus et l’os est fracturé. Tous les jours quand on me
panse, je suis martyr, lorsque avec des pinces, il m’enlève des morceaux d’os ou des morceaux
de fer. Bon Dieu, que je souffre ! Après que c’est fini, on me donne bien un peu de malaga,
mais j’aimerais mieux ne pas en boire.
Je ne sais pas quand est-ce qu’on me fera l’opération. Il me tarde bien qu’on en finisse d’un
côté ou de l’autre.
18 C
Claude
En plus de ça, je suis malade ; hier, je me suis purgé, ça n’a rien fait, il a fallu qu’on me donne
un lavement. On doit m’en donner un autre ce soir, je ne sais pas si on l’oubliera pas, peut-être
ça me fera du bien.
Enfin, je suis bien mal à mon aise… pas pouvoir se bouger, j’ai de la peine à prendre le bouillon
sur ma table de nuit. Je t’assure que c’est triste dans ma chambre : nous sommes vingt-neuf ;
personne ne peut se bouger : des jambes cassées et des bras, ou de fortes blessures, et
presque tous des réservistes comme moi.
Je te dirai que je passe des mauvaises nuits ; si l’on m’avait évacué jusqu’à Agen, tu serais
bien venue me soigner, et je serais été content d’être auprès de toi. Et toi aussi, ma chère
Sylvanie, de me voir, ça serait été triste et une joie… pas comme si je n’avais pas été blessé ;
mais que faire, c’est ma destinée. Maintenant, je suis dans le pétrin et pour s’en sortir, je ne
sais pas trop comment ça finira.
Enfin, ma chère Sylvanie, je te dis tout maintenant, j’ai pas voulu te le dire à la première pour
ne pas te vexer, mais je vois que je suis obligée de t’aviser de ma situation.
18 D
Pierre
Je ne te fais pas de mauvais sang, je m’en fais pas parce que je suis pas seul, vis en espoir et
si jamais je reviens, je verrai mon fils grandir, que je le dresserai pour travailler le bien de
Vinsot et moi on me fera bien une pension.
Je crois que je la gagne, quand bien même que je ne pourrais pas trop travailler, ça nous
aiderait pour vivre. On ne serait pas encore trop malheureux et Gaston commencerait de
travailler. Il y en a bien qui n’ont qu’une jambe et qui travaillent.
Il faut espérer que tout ce que je dis là arrive. Prie Dieu pour moi, qu’il me délivre de la
souffrance. Je t’embrasse bien fort sur chaque joue, avec Gaston le petit chéri.
Ton cher ami, HUGON Léon
19
Robert
Cher Joseph
Le Poilu, c’est celui que tout le monde admire, mais dont on s’écarte lorsqu’on le voit monter
dans un train, rentrer dans un café, dans un magasin, de peur que ses brodequins amochent
les bottines, que ses effets maculent les vestons à la dernière coupe, que ses gestes
effleurent les robes cloches, que ses paroles soient trop crues.
Le Poilu, c’est celui dont personne, à l’arrière ne connaît la vie véritable.
Le Poilu, c’est celui qui en permission, ne parle pas lorsqu’il revient pour 8 jours dans sa
famille et son pays, trop occupé de les revoir et de les aimer, c’est celui qui ne profite pas de
la guerre. C’est celui qui écoute tout, qui juge, qui dira beaucoup de choses… après la guerre.
Edmont Vittet
20 A Arrière-arrière-petite-nièce de Charles Gervais : La lettre qui va suivre a
été écrite par mon arrière-arrière-grand-oncle Charles Gervais. Son nom figure sur le
monument aux morts de 1914-1918, au cimetière de Ternay
20 B
Claude
3 mars 1917, 1 h du soir
Bien cher Père
J’écris ces quelques lignes pour te donner de mes bonnes nouvelles, je pense que
ma lettre te trouvera en bonne santé.
Enfin l’on a besoin d’aller à Ternay, pour se refaire, parce que l’on se tient plus
debout. Je pensais de partir en permission le 4, mais ça sera au milieu du mois.
Jamais j’aurais cru de rester si longtemps sans être relevé, l’on se tient plus
debout. Jamais, depuis le début de la guerre, nous avons été si malheureux.
Voilà 1 mois et demi que nous avons pas pu changer de linge. Les poux, l’on les
compte par mille : nous sommes mangés par la saleté, la crasse… l’on a pas un
endroit de la peau, qui n’est pas en sang, à force de se gratter.
Je n’ai pas reçu le colis encore, je le recevrai, en descendant… pasque, en ligne,
il nous les apporte pas, c’est trop loin. Enfin quand je l’aurai reçu, je te le dirai !
Si mon frère Joseph est en permission, dis-lui que je pense qu’à moitié mars, je
serai en permission.
Maintenant, les Boches nous envoient des gaz qui ont un bon parfum qui sent
bon, puis, une minute après, capout ! Voilà comme nous avons eu des victimes !...
Enfin, je pense, à moitié mars, je serai en permission, si je suis pas démoli.
Reçois cher père, de ton fils, les meilleures amitiés. Ton fils qui t’embrasse.
Charlot
21
Pierre
Cette citation de Paul Valéry nous invite à méditer :
« La guerre est un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au
profit de gens qui se connaissent, mais ne se massacrent pas. »
22 A
Ex-élève de Mireille
Le dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : C'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme ;
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
22 B Enzo ou Coralie : Cette poésie/ très connue/ a été écrite par
Arthur Rimbaud/ en Octobre 1870.// Elle fait allusion à la guerre francoallemande de 1870/ et non à celle de 14-18,/ mais nous pensons/ qu’elle
est universelle.