EPICURE, LETTRE A MENECEE 1) Quel est l`objet de la Lettre à
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EPICURE, LETTRE A MENECEE 1) Quel est l`objet de la Lettre à
Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun EPICURE, LETTRE A MENECEE 1) Quel est l’objet de la Lettre à Ménécée d’Epicure ? La lettre à Ménécée se présente comme un résumé de la doctrine d’Epicure concernant l’éthique, c’est-à-dire les règles du bien vivre. La philosophie antique avait un but essentiellement pratique : orienter le novice vers le mode de vie préconisé par le maître. La lettre est une façon de s’adresser à lui. Il s’agit de donner un résumé de la doctrine complète afin que le disciple garde en mémoire en permanence les principes de cet enseignement. La lettre ne sert pas seulement de résumé, mais aussi de discours d’exhortation, de « protreptique ». Les « protreptiques » étaient des ouvrages ou discours par lesquels les philosophes exhortaient les jeunes gens à philosopher. Le but est, pour le représentant d’une école, de faire de la propagande, d’enrôler de nouveaux disciples, de montrer l’utilité et la nécessité de la philosophie pour toute personne désireuse d’être heureuse. Car le bonheur est le thème central de la lettre. Qu’est-ce que bien vivre ? Quelle est la fin naturelle de tout être ? Il est naturel de chercher notre bonheur ; c’est la philosophie qui nous y mène, ce pourquoi il est nécessaire de philosopher. Il faut philosopher pour être heureux, en effet. Ce lien entre philosophie et bonheur n’apparaît pas évident à l’apprenti philosophe, au novice, au premier venu : le protreptique sert précisément à réveiller ce besoin que nous portons en nous. Le mot « bonheur » correspond au mot grec eudaimonia, le plein épanouissement de l’être, l’accomplissement de sa nature propre, la complétude. Le bonheur est synonyme de finalité de l’homme. Le but de la vie doit être de réaliser sa nature. Le bonheur s’obtient par le plaisir qui n’est pas à entendre au sens des voluptés du débauché, mais comme état d’équilibre naturel, de sérénité, de réplétion aussi bien physique que morale. L’homme accomplit sa nature lorsqu’il est dans cet état d’équilibre par la satisfaction des besoins corporels, l’absence de douleur physique et l’ataraxie ou paix de l’âme. De même qu’un corps est en bonne santé lorsqu’il jouit de toutes ses capacités, de même une âme qui jouit de toutes ses capacités, qui s’est libérée des maladies de l’âme, des fausses opinions, des angoisses sera heureuse. Le philosophe est ainsi considéré comme le médecin de l’âme. La philosophie est une médication : une « ablation » qui ôte les craintes et les désirs vains ; une « réplétion » qui instille les opinions droites ; une « purgation » qui purge l’âme de ses angoisses. La philosophie est donc à concevoir comme une pratique médicale, un mode de vie qui passe par des exercices spirituels, c’est-à-dire la méditation, la contemplation, le retour sur soi, le dialogue avec soi-même. Ménécée était un des disciples d’Epicure. Mais le destinataire est l’humanité tout entière, le message est universel. La lettre s’adresse ainsi à tout homme en s’adressant à un individu particulier. La lettre est un exemple vivant d’amitié, par l’attention portée par le maître à ses disciples. Ménécée souligne également l’urgence de se mettre à la philosophie : on doit philosopher parce qu’il est dans la nature et dans l’intérêt de tout homme de le faire. Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun 2) Pourquoi faut-il philosopher ? Le début de la lettre tente de justifier la mise en pratique immédiate de la philosophie chez le jeune homme et le vieillard. La philosophie coïncide avec le bonheur, elle s’adresse à tous et doit se pratiquer toujours. Sa pratique est urgente. En sorte qu’on n’est jamais en avance ou en retard pour se préoccuper de la santé de son âme. La recherche du bonheur est une nécessité. Ainsi, par la philosophie, le vieillard devient jeune et le jeune vieux : « Le jeune homme et le vieillard doivent donc philosopher l’un et l’autre, celui-ci pour rajeunir au contact du bien, en se remémorant les jours agréables du passé ; celui-là afin d’être, quoique jeune, tranquille comme un ancien en face de l’avenir. » Pour le jeune homme, il s’agit de se libérer de la crainte à l’égard de l’avenir : crainte devant les phénomènes naturels (orages, cataclysmes…) par une connaissance de la nature, de l’univers ; quand on sait comment expliquer un phénomène inquiétant, nous cessons d’en avoir peur. Crainte de la mort également : il faut s’y préparer par la méditation. Une attention tendue vers l’avenir, sous la forme de la préparation, nous assure le bonheur. Pour le vieillard, il sera jeune au contact du bien grâce au souvenir du passé : tout bien demeure en nous et permet, par sa réactivation, d’apaiser les douleurs et de raviver un plaisir. Une attention tendue vers le passé, le souvenir des biens, nous assure le bonheur. En sorte que le bonheur ne réside pas tant dans les biens en soi que dans une certaine façon de vivre la temporalité : sereinement, avec reconnaissance. Le bonheur est affaire d’attention. 3) Quelles sont les principales causes du malheur des hommes ? Pour savoir ce qu’est le bonheur, il convient d’abord de rechercher ce qui nous en écarte : ce sont les quatre grandes peurs humaines – peur des dieux, de la mort, du chagrin et de la douleur. Ces angoisses, pour réelles qu’elles soient, n’ont pas vraiment de raison d’être, car elles sont nourries de croyances vaines qui engendrent des passions irraisonnées. 4) En quoi consiste le quadruple remède (tétrapharmakos) qu’Epicure préconise ? Les principes qui sous-tendent la philosophie épicurienne peuvent se ramener à quatre, ce qu’on a appelé le « quadruple remède », la philosophie étant considérée comme une thérapie de l’âme : les dieux ne sont pas à craindre, il faut se forger une opinion correcte à leur égard ; n’avoir aucune crainte de la mort qui n’est rien pour nous ; les maux sont faciles à supporter ; le terme des biens est facile à atteindre. 5) Faut-il avoir peur des dieux ? Le premier élément du bonheur est d’éliminer la crainte des dieux. Les hommes, en effet, ont peur des dieux. Au fondement de la religion il y a la crainte et l’espoir : crainte devant les forces de la nature dans lesquelles les hommes voient le signe de puissances invisibles et maléfiques ; crainte des châtiments les attendant dans l’au-delà. Les hommes se représentent les dieux comme des êtres tout-puissants. L’infortune est interprétée comme le signe de la Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun colère divine. Ils interprètent de même leur chance comme le signe de la faveur des dieux (par exemple, dans le protestantisme, la réussite matérielle et sociale est un signe de l’élection divine). D’où les prières, les rites de purification, les sacrifices afin de s’attirer les faveurs des dieux ou d’apaiser leur courroux. Ce qu’Epicure va dénoncer, ce sont les effets nocifs des croyances religieuses sur la vie des hommes. Les hommes sont ballottés entre la crainte et l’espoir ; ils croient qu’ils ne sont pas libres. Tout le mal vient donc d’une idée fausse au sujet des dieux. Il faut donc commencer par se former une juste représentation de la vraie nature des dieux. Epicure commence par rappeler qu’un dieu est « un vivant immortel et bienheureux ». La divinité est un être vivant dont les caractéristiques sont en contradiction avec l’idée que la divinité pourrait intervenir dans la vie des hommes, idée qui est la source de la crainte des dieux. La divinité est bienheureuse. Epicure parle de « béatitude », c’est-à-dire de bonheur parfait, éternel, par distinction d’avec un moment de bonheur. Les dieux sont immortels, éternels, ils n’appartiennent pas au temps humain, ils sont donc hors d’atteinte. Les dieux sont indépendants de nous, les hommes sont indépendants des dieux. Les dieux ne se soucient nullement de nos affaires. Si c’était le ca, ils seraient sujets aux tracasseries du monde, e qui est contradictoire avec l’idée de bienheureux. Nous n’avons donc pas à les craindre. Tout dépend donc de la représentation que nous nous faisons des dieux. Le bonheur ne dépend pas d’éléments extérieurs à nous-mêmes, mais des représentations. Nous devons nous représenter les dieux accompagnés de la félicité et de l’immortalité. Dans l’idée de félicité, de béatitude, de bonheur, il faut entendre la tranquillité absolue. Un être bienheureux n’a pas d’ennuis, ni n’en cause à d’autres ; il n’est sujet ni aux colères, ni aux faveurs, passions qui propres aux êtres faibles. La piété et l’impiété ne résident pas dans l’observance ou l’inobservance du culte, c’est-àdire dans des actes, mais dans les pensées mêmes que nous avons sur les dieux. Epicure n’est pas athée, il croit aux dieux, mais il est en marge de la croyance traditionnelle selon laquelle les dieux interviennent activement dans le monde des hommes. Il s’agit ici de retourner l’accusation d’athéisme contre la foule elle-même. Ce qui est visé, c’est l’image traditionnelle des dieux. C’est la masse qui ne croit pas aux dieux, en effet : la façon dont la masse pense les dieux est contraire à l’existence de ceux-ci. Est impie non celui qui nie les dieux de la masse (comme le faisait Socrate), mais la masse elle-même, qui attribue aux dieux des caractéristiques incompatibles avec leur nature. Les mauvaises et bonnes choses ne proviennent pas directement des dieux, au sens où, si on leur rendait un culte scrupuleux, ils nous gratifieraient de dons, mais de notre représentation elle-même : ces mauvaises choses sont nos propres angoisses, causées par des opinions fausses au sujet des dieux. Nous sommes donc entièrement maîtres de notre bonheur et de notre malheur. 6) Comment Epicure conçoit-il la mort ? Cette partie de la lettre, la plus célèbre, aborde le deuxième remède et traite de la vacuité de la peur de la mort. Epicure commence par rappeler que la lecture de la lettre constitue un exercice spirituel qui doit provoquer un changement d’attitude et conduire au bonheur: Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun « Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous ». Pour éradiquer la crainte que la mort suscite, il faut donc se livrer à un véritable travail sur soi. L’argumentation d’Epicure se déploie en trois grands principes visant à établir que la mort n’est rien pour nous : la mort est privation de la sensation ; la pensée même que nous sommes mortels, et son acceptation, sont bénéfiques ; la mort n’existe pas pour nous : la vie et la mort s’excluent mutuellement. « Tout bien et tout mal résident dans la sensation. Or la mort est privation de toute sensibilité ». Il n’y a de bien, de plaisir ou de mal, de souffrance que dans la sensation. Dans la mort nous ne ressentons plus rien. Ou bien nous sentons, c’est-à-dire nous vivons, ou bien nous sommes morts et nous ne sentons plus. La mort ne nous concerne ni vivant, puisque quand nous sommes, elle n’est pas ; ni mort puisque quand elle est là, c’est nous qui ne sommes plus. La logique d’Epicure est une logique d’exclusion : ou bien nous, ou bien la mort. Dire que la mort n’est rien pour nous signifie qu’elle incarne l’altérité absolue, l’expérience impossible à faire à la première personne (cf. Jankélévitch) : la mort est l’annihilation de ce par quoi il peut y avoir une expérience. La morte st donc un nonévénement en soi. Donc la mort n’est pas un mal. Non seulement on ne souffre pas dans la mort, mais la mort est un état moralement neutre. La morte est donc inoffensive. Les hommes s’angoissent ainsi en transformant le rien en quelque chose. Le remède contre cette fausse opinion consiste dans la rigueur du raisonnement qui, souvent répété, fait prendre conscience et libère par cette prise de conscience de la vanité de la crainte de la mort. Il s’agit donc de substituer à une pensée d’imagination une pensée d’entendement en quelque sorte. La pensée même que nous sommes mortels, ajoute Epicure, est bénéfique : « Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une durée infinie, mais en nous enlevant le désir d’immortalité… » La conscience claire et acceptée que nous sommes mortels nous rend heureux en nous libérant d’un vain désir d’immortalité, désir qui ne saurait jamais être assouvi puisqu’il est irréalisable et en nous amenant à profiter du moment présent : la source ultime de toute joie est la concentration sur le moment présent. Philosopher, être heureux et libre, c’est se fixer une limite à l’intérieur de laquelle nous pouvons profiter du présent et éprouver le véritable bonheur d’être. Si l’on désire une vie illimitée, on gâche le bonheur de vivre, on se soucie d’un avenir qui ne nous concernera pas au lieu de concentrer notre attention sur le seul temps qu’il nous soit donné de vivre : celui de la vie. Craindre la mort est une erreur et une faute : c’est faire preuve d’ingratitude à l’égard de la vie, d’un goût malsain de la souffrance. Craindre, attendre, espérer la mort nous détourne des joies réelles. De ce point de vue la philosophie est bien le remède contre la crainte de la mort. Il s’agit de maîtriser nos représentations. La libération de la crainte de la mort, source même du bonheur, dépend d’une certaine attention à nos représentations, d’une certaine manière d’appréhender la temporalité. Ce qui nous afflige, en effet, ce n’est pas la mort en elle-même, mais l’attente de celle-ci, donc une certaine façon de vivre la temporalité Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun 7) et 8) Quelles sont les différentes espèces de désirs ? Pour être heureux, faut-il satisfaire tous ses désirs ? Epicure s’attache maintenant à montrer que nous sommes malheureux lorsque le désir s’écarte de la loi naturelle. D’où la nécessité de distinguer parmi nos désirs ceux qui sont naturels et nécessaires, ceux qui sont naturels mais pas nécessaires, ceux qui ne sont ni naturels ni nécessaires. Le désir est lié à l’angoisse, à la crainte, dans la mesure où il est une tension vers l’avenir : il n’y a de désir que pour ce que nous n’avons pas encore. Le désir est aussi lié au plaisir, le plaisir étant le terme du désir. « Rappelle-toi que l’avenir n’est ni à nous ni pourtant tout à fait hors de nos prises, de telle sorte que nous ne devons compter ni compter sur lui comme s’il devait sûrement arriver, ni nous interdire toute espérance, comme s’il était sûr qu’il dût ne pas être. » Le désir relève d’une temporalité essentiellement future. Epicure s’attarde donc sur les modalités de cette tension vers le futur. Le futur n’est ni tout à fait nôtre, ni tout à fait non nôtre (construction antithétique) ; nous ne devons ni compter sur lui comme s’il devait nécessairement advenir, ni cesser d’espérer comme s’il était certain qu’il ne se réaliserait pas. C’est précisément parce que le futur est incertain que nous devons nous concentrer sur le présent. Les désirs se divisent en deux classes : les désirs naturels (manger, boire, avoir chaud, voir de belles choses) ; les désirs vains : désir d’immortalité, par exemple, qui repose sur l’opinion fausse au sujet de la mort). Epicure prend comme critère la nature qui par elle-même admet ordre et mesure. Le philosophe restitue au corps sa place dans l’ordre de la nature en reconnaissant que ses exigences sont saines, modérées et vitales. Le désordre vient de certaines représentations de l’âme, de certains désirs. Les désirs naturels se subdivisent eux-mêmes en deux sous-classes : - les désirs naturels et nécessaires (manger, boire) ; - les désirs naturels mais non nécessaires (désirs seulement naturels) comme les désirs esthétiques, le désir de mets somptueux, le désir sexuel. La faim, la soif sont des désirs naturels et sont indispensables ; les désirs naturels et nécessaires sont des désirs dont la satisfaction délivre d’une douleur et qui correspondent aux besoins élémentaires, aux exigences vitales. Exemple : la boisson qui étanche la soif. Désirs limités par les exigences de la nature et faciles à satisfaire. Mais il n’est pas nécessaire de boire telle boisson ou de manger tels mets raffinés. Il s’agit d’évaluer les désirs à l’aune du plaisir, de l’absence de souffrances. La satisfaction de certains désirs peut entraîner des désagréments, de la souffrance (exemple de la gourmandise). Il s’agit de faire un calcul des plaisirs et des peines. Les désirs naturels et nécessaires se divisent à leur tour en : désirs nécessaires pour le bonheur, désirs nécessaires pour le bien-être du corps, désirs nécessaires pour la vie ellemême. La deuxième classe de désirs correspond aux désirs non naturels qui se caractérisent par l’illimitation. Les hommes, par exemple, désirent être immortels, avoir un amour infini, etc. L’imperfection et le malheur résultent de l’illimitation, de la démesure, tandis que la perfection réside dans la limitation d’un être pleinement achevé. L’illimitation des désirs est liée aux fausses opinions. Les hommes désirent, par exemple, la richesse. Cette dernière ne parvient manifestement pas à les combler puisque lorsqu’ils l’ont, ils veulent autre chose ; l’accumulation, la recherche de la richesse obligent les hommes à se soumettre à des tourments incompatibles avec la vie heureuse. Les hommes désirent aussi la gloire et ils font ainsi dépendre leur bonheur de l’opinion d’autrui. D’où la nécessité de leur plaire… Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun Il convient de savoir se contenter de peu. Celui qui désire, par exemple, des mets raffinés risque fort d’être déçu et malheureux s’il n’a pas toujours les moyens de se les offrir. Avoir des désirs de luxe nous expose à souvent souffrir. Il faut donc les éliminer. En revanche, celui qui ne désire que des nourritures « naturelles », un peu de pain et d’eau par exemple, trouvera facilement à se satisfaire et peut même en retirer un très vif plaisir s’il a vraiment faim et soif. Le sage qui ne désire rien de plus pourra tout de même, s’il est invité à un banquet, jouir de la nourriture succulente. De tels plaisirs ne sont nullement interdits, à condition de ne pas les désirer toujours, de ne pas en être « accro ». Epicure ne disqualifie pas la richesse ou la gloire en soi, mais parce qu’elles ne rendent pas heureux et gâchent l’existence. Si la débauche ne peut pas être conseillée, ce n’est pas parce qu’elle serait un mal par principe, c’est parce que le plaisir qu’elle promet n’est pas au rendez-vous. Si la vie dissolue assurait le bonheur, elle serait un bien. Epicure admet, à l'intérieur de la sphère des désirs naturels, la possibilité de jouir du superflu dans la mesure où il ne devient pas nécessaire et ne suscite aucune peine lorsqu'il vient à faire défaut. La partition opérée au sein des désirs naturels ne doit pas être comprise comme une distinction entre les besoins vitaux et le luxe. Les désirs nécessaires ne se réduisent pas à des impératifs de survie : « parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même ». On peut éventuellement identifier au besoin les désirs nécessaires pour la vie même (manger, boire) et les désirs nécessaires pour la tranquillité du corps (se protéger des dangers et des intempéries). Toutefois, les désirs liés au bonheur (désir de la sagesse, amitié) ne sont pas assimilables à de pures exigences biologiques. Le but d'Epicure n'est donc pas de réduire le désir au besoin; il ne fait pas non plus l'apologie d'une vie ascétique limitée aux stricts besoins vitaux. Il s'agit plutôt de considérer que la vie heureuse couronne un état d'esprit libéré de la crainte et des opinions vaines. 8) Pourquoi est-ce un grand bien de savoir se suffire à soi-même ? Après avoir donné la règle générale selon laquelle le bien est le plaisir, Épicure précise de quel type de plaisir il s’agit. Il s’agit avant tout du plaisir de l’autarcie, entendue comme autosuffisance, quantité de plaisir minimal pour assurer un état de bien-être sans rien de superflu. Cette autarcie s’entend comme modération où il s’agit de se contenter de ce qui suffit pour couvrir nos besoins physiques et, d’un point de vue moral, éviter tout orgueil et prétention exagérée. Il faut apprendre à se contenter de peu. Il ne s’agit nullement bien sûr de se priver dans le seul but de se priver comme le prônent les cyniques, par exemple (idéal de pauvreté), mais de s’habituer au peu afin d’être toujours satisfait et indépendant à l’égard des plaisirs. Dans le cas où nous recevrions davantage, nous pouvons alors apprécier encore plus ce qui apparaîtrait alors comme un supplément agréable. Idéal donc de limitation, de modération : savoir se contenter de peu équivaut à limiter ses désirs aux seuls désirs naturels et nécessaires à une vie heureuse. Idéal de vie maîtrisé et raisonnable, maîtrise des plaisirs aussi bien corporels que psychologiques. Pour le corps, nous pouvons et devons nous contenter de pain et d’eau en éliminant certains plaisirs sensuels superflus. Pour l’âme, c’est la tranquillité due à la satisfaction pleinement atteinte. Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun 9) Quelle est la forcer du sage ? Le portait de l’homme sage qui se trouve à la fin de la Lettre à Ménécée est donnée en contrepoint de l’attitude de l’homme sot. Le trait fondamental du sage est la liberté dont il jouit. Épicure revient à son interlocuteur (« toi ») qui vivra comme un dieu s’il suit ses préceptes. Le portrait du sage joue un rôle de modèle à imiter. La fin de la lettre apporte quelque chose de plus par rapport au début : Epicure précise sous quelle modalité doivent se pratiquer les préceptes, modalité absente au début de la Lettre. Ménécée ne doit pas méditer les préceptes simplement « en lui-même », mais « avec ses semblables ». La philosophie n’a de sens que comme pratique communautaire (Épicure a du reste ouvert le Jardin) fondée sur des rapports d’amitié. Le sage épicurien ne s’adonne certes pas à la politique car il a d’abord à s’occuper de son âme ; mais si l’autarcie est prônée, ce n’est pas au sens d’une autarcie sociale, mais d’une suffisance à l’égard de désirs dont l’immodération pourrait entraver notre liberté. La dimension sociale est donc essentielle chez Epicure, sous sa forme pédagogique notamment. La philosophie étant une thérapie, elle n’a de sens que dans la relation à l’autre : il n’y a pas de médecins sans malades ! On est loin de la maïeutique socratique, qui joue du dialogue pour faire accoucher l’interlocuteur de vérités qu’il porte au fond de lui-même. Avec Epicure, le maître impose du dehors une doctrine, en sorte que le rapport de maître à disciple est plus contraignant. Mais tout est ensuite laissé au disciple qui doit sans cesse se remémorer les préceptes, les mettre en pratique en éprouvant leur vérité, opération que nul ne peut exécuter pour lui. Chacun est donc responsable de sa propre libération. C’est donc la liberté qui assure le passage de notre condition d’homme à la condition divine. Cette liberté s’acquiert par la libération à l’égard de l’angoisse. C’est la conscience d’être libre qui nous élève. Est libre celui qui sait qu’il est maître de sa vie, que le futur n’est pas une matière terrifiante et donnée une fois pour toutes, mais au contraire infiniment modelable au gré de ses décisions. Est libre celui qui sait dire non à certains désirs qui l’asserviraient. L’homme devient ainsi semblable au dieu en ce qu’il se met hors du temps, par le fait même de vivre pleinement de l’instant présent : c’est l’expression du plaisir. La ressemblance à un dieu qu’Epicure préconise a lieu « parmi les hommes » et non dans une perspective eschatologique. Philosophie optimiste et profondément humaine, voire humaniste avant l’heure.
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