la prehistoire de l`institut français d`archeologie de stamboul

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la prehistoire de l`institut français d`archeologie de stamboul
LA PREHISTOIRE DE L’INSTITUT FRANÇAIS
D’ARCHEOLOGIE DE STAMBOUL
JACQUES THOBIE
La première lettre qu a été conservée de la correspondance Marx-Gabriel, est
un lettre de ce dernier datée du 9 février 1930, quelques jours avant la réunion, au Quai
d’Orsay, de la commission qui marque la date de naissance administrative de l’”Institut
Français d’Archéologie de Stamboul”. Toutefois, la préhistoire est longue de la
création de ce nouvel Institut1. Cinq moments, d’inégale importance, peuvent être
repérés dans cette longue maturation.
L’Ecole d’Athènes et l’Ecole française du Caire laissaient en semi friche une
vaste aire riche en vestiges de tous âges en Méditerranée orientale. D’où l’idée toute
simple d’y remédier en y créant un organisme permanent qui prendrait en charge cette
region. La première phase est marquée par le projet de Charles Clermont-Ganneau2,
rédigé en 1882, ignoré par l’Instruction publique, et publié seulement en 1899 dans la
Revue Archéologique. C’est la proposition sereine, vu la spécificité de l’archéologie
orientale, de la création d’une “station” dépendant de la jeune Ecole de Caire, à
Beyrouth, où les intérêts culturels français sont déjà considérables.
Pour Clermont-Ganneau la nouvelle institution doit répondre à quatre missions
essentielles: “ Une reconnaissance systématique de la région par une série de campagnes
d’explorations entrecoupées de séjours d’études, afin d’étudier les matériaux recueillis, la
préparation de publications au fur et à mesure des découvertes, le relevé des monuments et
les fouilles en des points déterminés, enfin l’acquisition sur place des antiquités pour les
collections nationales”; on notera que ce dernier point porte bien la marque de son époque.
Quant à l’aire d’investigation de cette “station d’archéologie orientale”, elle trouvera son
centre de gravité en Syrie et devra comprendre “Chypre, toutes les côtes de Syrie, s’étendre
jusqu’à l’Euphrate et jusqu’au Tigre et se prolonger vers la Péninsule arabique”3. Publié
après l’échec d’une autre tentative, par Paul Cambon, le projet Clermont-Ganneau devait
passer pratiquement inaperçue.
1
Cette introduction est le développement de quelques lignes de mon article: “Archéologie et diplomatie
française au Moyen-Orient des années 1880 au début des années 1930”, dans Les politiques de
l’archéologie du milieu du XIXème siècle à l’orée du XXI ème, Cent-cinquantenaire de l’Ecole Française
d’Athènes, EFA, Athènes, diffusion de Boccard, Paris, 2000, pp. 79-111.
2
« Charles Clermont-Ganneau (1846-1923). En 1867 il entrait dans la carrière du drogmanat et était
attaché au consulat de France à Jérusalem. Il profita de cette opportunité pour étudier l’archéologie de la
Palestine...Nommé à Constantinople en 1871, puis à Jaffa comme vice-consul en 1881, il fut chargé par le
ministère de l’Instruction publique de plusieurs missions en mer Rouge, en Palestine et Phénicie. En 1889,
il est nommé membre de l’Institut et en 1890 professeur au Collège de France”. Nicole CHEVALIER, La
recherché archéologique française au Moyen-Orient 1842-1947, Editions Recherche sur les civilisations,
Paris, 2002, p. 104, note 389.
3
Nicole CHEVALIER, op. cit., p. 74.
Jacques Thobie
Et pourtant, Paul Cambon4, si l’on peut dire, a mis le paquet: il a déployé une
considérable énergie à la promotion d’archéologues français auprès des autorités
ottomanes. Il a pris contact, dès son arrivée, avec Hamdi bey5 , directeur des Musées
impériaux, francophone et francophile notoire, qui accepte de prendre à son service, après
un laborieux montage financier, un jeune archéologue tout juste sorti de l’Ecole
d’Athènes, André Joubin. Mais Cambon a une autre ambition: place Joubin à la tête d’un
organisme permanent à créer à Constantinople. Sur la base d’un copieux rapport demandé
à A. Joubin, Cambon expose son projet à son minister dans une lettre du 1er avril 18936.
Les motivations de P. Cambon sont sans faille. Il a parfaitement compris que
les succès économiques de l’Allemagne dans l’Empire tiennent à la liaison structurelle
entre les financiers et les industriels7, et il dénonce l’éparpillement des initiatives
françaises dans ce domaine; de la meme façon, il a bien sainsi que l’efficacité
allemande, en matière d’archéologie, tien à une liaison entre savants et financiers et à
une concentration de centre de decision, symbolisées par le Comité d’Orient à Berlin.
Et dans ce domaine aussi, les Français vont en ordre dispersé, ce qui explique leur
position subalterne dans l’Empire. C’est pour sortir de cette situation que
l’ambassadeur prône l’installation, dans la capitale ottomane, d’une mission
archéologique française permanente, qui ferait pièce aux progrès de l’Allemagne et aux
initiatives autrichiennes et russes.
Une première alerte attire l’attention de Cambon sur la fragilité de son projet. Déçu
du travail qu’on lui demande et de la modicité de sa rétribution, A. Joubin démissionne en
mars 1894, et retrouve son poste de maître de conférences à l’Université de Dijon.
Craignant qu’un Allemand8 soit choisi comme successeur, Cambon revient à la charge,
propose des candidats refusés par Hamdi bey, et finalement obtient du ministère de
l’Instruction publique une heureuse décision: A. Joubin, - qui voit son projet crètoise
subtilisé9- est mis, le 3 décembre 1895, à la disposition de P. Cambon, et est chargé de
4
Issu du corps préfectoral, P. Cambon (1843-1924) fait d’abord une carrière administrative, notamment
comme préfet du Nord, puis entame une carrière diplomatique à la Résidence de Tunis (1882), est ensuite
ambassadeur à Madrid (1886), et arrive á Constantinople en 1891. Il sera ensuite ambassadeur à Londres,
de 1898 à sa retraite en 1920. Jean BAILLOU (sous la direction de), Les Affaires étrangères et le corps
diplomatique français, tome II 1870-1880, Ed. CNRS, Paris, 1984, pp. 277-278.
5
Osman Hamdi bey (1842-1910), fils d’un haut fonctionnaire d’Abdulhamid, passa une dizaine d’années à
Paris à faire des etudes de droit et à s’initier à la peinture; francophone et francophile, marié à une
française, adepte d’idéologie des Jeunnes Ottomans, il occupe ensuite divers postes administratifs, avant
d’être nommé à la direction des Musées impériaux en 1881, poste qu’il tiendra jusqu’à sa mort en 1910.
Premier Commissaire impérial auprès de l’Administration de la Dette publique ottomane en 1882, il sera
ensuite délégué des porteurs ottomans jusqu’à sa mort. Il est en outré administrateur du Chemin de fer
Smyrne-Cassaba et prolongements et du Chemin de fer de Bagdad.
6
Archives du ministére des Affaires étrangères à Paris (MAEP) Correspondance politique (CP) 510. P.
Cambon à Jules Develle, le 1.4.1893. Ce rapport de Cambon est transmis au ministère de l’Instruction
publique (MIP), le 16 avril 1893 (MAEP ADP Turquie 28).
7
J. Thobie, Intèrêts et impérialisme français dans l’Empire ottoman 1895-1914, Publications de la
Sorbonne Imprimerie Nationale, 1977, pp. 212-213.
8
“Je considère la lutte contre l’influence allemande comme le principal objet de ma mission” écrit
Cambon. (MAEP CP Turquie 507. Cambon à Alex. Ribot, le 13.7.1892).
9
De la promotion 1889, A. Joubin avait pu, dès sa deuxième année d’Ecole, avec beaucoup d’audace et en
dépit d’une situation intérieure troublée, sillonner la Crète et même glaner deux contrats de feuilles dans la
région de Cnossos. Dans l’intervalle, l’Ecole s’est fait damer le pion par un chercheur britannique.
122
La prehistoire de L’Institut Français d’Archeologie de Stamboul
suivre les questions archéologiques en Orient, avec ce commentaire: “Plus que jamais une
mission de cette nature me semble indispensable au maintien de notre action scientifique
dans cette région”10. C’est bien aussi l’avis de P. Cambon, qui voit dans l’accréditation
oficielle de Joubin auprès de l’ambassade un heureux presage. En réalité, la proposition de
l’ambassadeur heurte trop d’intérêts en place et sera combattue avec succès malgré tous ses
efforts pour la faire aboutir.
C’est d’abord, et sans doute surtout, l’opposition irréductible de l’Ecole d’Athènes.
Son directeur, Théophile Homolle11 ne perd pas une occasion de répéter que l’Ecole
d’Athénes “a toujours considéré l’Asie mineure comme partie essentielle de son domaine
scientifique”12, et bombarde l’Instruction publique de dépêches soulignant l’ancienneté et
la supériorité de son Ecole. P. Cambon, très conscient de cet obstacle, écrira plus tard,
faisant quelque peu machine arrière, qu’il a voulu sauve la permanence de l’organisme à
créer, en acceptant d’en faire une antenne de l’Ecole d’Athènes13, faute de pouvoir faire
autrement. Mais ce compromis vient trop tard et ne convainc pas.
Le ministère d’Instruction publique n’est naturellement pas insensible aux
pressions venues d’Athènes. En dèpit des interventions d’Hanotaux, qui cherche à
convaincre son collègue de la nécessité de faire aboutir le projet Cambon14, le ministre
d’Instruction publique expose en deux lettres que la création envisagée est inutile et
coûteuse. Inutile, parce qu’il existe une l’Ecole à Athènes et un Institut d’Archéologie
orientale au Caire, soit deux missions permanents: “Trois institutions similaires en
Orient? C’est beaucoup”15. Et le minister d’attaquer son confrère des Affaires
étrangères: il est comme lui socieux de conserver les acquis de la France en Asie
mineure, “mais combien cela eût été facilité si nous eussions obtenu pour nos
nationaux les avantages absolument exceptionnels que le gouvernement allemande a pu
procurer aux délégués de l’Institut de Berlin!”. Pour autant, reflet de la positions
d’Athènes, “l’Asie mineure n’a pas été aussi délaissée par mes prédécesseurs et pas
Kalliopi CHRISTOPHI, “Les Français en Crète”, dans BCH 120, Cent-cinquatenaire de l’Ecole française
d’Athènes 1846-1996, EFA- de Boccard, Paris, 1996, p. 357.
10
MAEP ADP Turquie 32. MIP à MAE, LE 30.1.1896.
11
T. Homolle (1848-1925) est entré à l’EFA en 1874 et en sera directeur de 1890 à 1903 et de 1912 à
1913. Comme directeur, il donne à l’Ecole Française d’Athéne (EFA) une orientation définitive, mettant
en sourdine sa mission littéraire pour en faire “une école d’érudition et un établissement scientifique”
(Cent-cinquatenaire..., op. cit., pp. 26-27), evolution que confirme le décret de 1899. Il fait aboutir l’idée
d’asocier des membres étrangers, un Belge inaugurant une longue cohorte. L’ouverture que Homolle
soutient de l’EFA aux non-normaliens demandera du temps pour entrer dans les faits. Il attaché un soin
particulier au recrutement d’architectes et tente de redonner quelque couleur aux recherches Byzantines.
Comme archéologue, il met en place la “Grand fouille” de Delphes à partir de 1892. Membre de
l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres (AIBL) en 1892, il est nommé en 1899 membre étranger de
l’Institut archéologique autrichien à Istambul. Il entre à l’Académie de Beaux-Arts en 1910. En 1914, il est
nommé directeur de la Bibliothèque Nationale. Il est l’un des fondateurs de l’Union académique
internationale qu’il preside de 1923 à 1925 (Internet AIBL antiquisants).
12
N. CHEVALIER, op. cit., p. 79. “ Bref, Athènes considère l’Orient comme une poire pour la soif”.
13
“En un mot, l’Institut français archéologique de Constantinople devait être une sucursale de l’Ecole
d’Athénes relevant de cette dernière institution et la prolongeant pour ainsi dire en Orient”. MAEP NS
Turquie 392. Cambon à MAE, le 26.8.1897.
14
Par exemple MAEP ADP Turquie 28. MAE à MIP, LE 9.3.1894.
15
MAEP ADP Turquie 30. MIP à MAE, le 9.4.1894.
123
Jacques Thobie
moi-même que vous semblez le croire”. Enfin- in cauda venenum- le minister de l’IP
avance un argument quasiment imparable: ”Vous voudrez bien remarquer que ni
l’Autriche, ni l’Allemagne n’ont, jusqu’à présent, créé d’Instituts permanents, mais se
sont bornés à confier des missions à des chercheurs isolés, tels que Kalinka, Heberley
et Körk”; il en va de même pour A. Joubin “que je compte bien maintenir à
Constantinople le plus longtemps possible”16. Quant à la création d’une Ecole
archéologique française, “c’est une mesure grave” qui nécessite une ouverture spéciale
de credits, et donc “une intervention du Parlament”: il ne m’est pas possible, pour le
moment “d’exécuter ce projet”17.
Le dernier point peu favorable, c’est précisément la mission d’André Joubin,
sur laquelle s’attarde N. Chevalier18, qui se demande si elle est bien claire pour le
principal intéressé! La position de celui-ci n’est pas facile: il a, du ministère de l’I.P,
une mission archéologique d’information, de relation avec les Turcs par l’intermédiaire
de Hamdi bey, et de liaison avec l’Ecole d’Athènes tout cela sous le contrôle de P.
Cambon auprès duquel il est “accrédité”19; de quoi frôler constamment la
schizophrénie. Du reste, avec le temps, les resultants paraissent mitigés, alors que
“l’Ecole d’Athènes, l’Ecole de Rome ainsi que l’Académie de France multiplient les
missions en Asie mineure, dans l’Archipel, au Mons Athos et à Constantinople”20.
L’ambassadeur sent bien queson projet ne verra pas le jour et cherche une sortie
honorable: il rebondit sur le plan financier. “Depuis deux ans, M. Joubin n’a pas
cependant perdu son temps: il a établi des liens avec le directeur ottoman des Sevices
archéologiques et du Musée. J’approuve les conclusions de son rapport. Il est
nécessaire de lui attribuer, pour un certain nombre d’années, un traitement convenable,
avec indemnité de longement et quelque frais accessories, le tout pouvant s’élever à
10-12000 francs...Si ce n’est pas possible, je demanderai moi-même le rappel de M.
Joubin”21. Bref, puisque Joubin ne sera jamais nommé à demeure dans la capitale
ottomane, il n’intéresse plus l’ambassadeur. Comme prévu, le minstre de l’I.P., prenant
la balle au bond, declare ne pas meme pouvoir renouveler “l’indemnité allouée l’an
passé”, et “avec regret”, en février 1898, il met “fin à la mission de M. Joubin”22. Cette
décision marque l’enterrement d’une installation archéologique permanente à
Constantinople. L’Ecole d’Athènes l’a emporté.
Le troisième moment tient plus de l’incantation que de projet. En terminant un
23
rapport particulièrement pessimiste sur l’archéologie française dans l’Empire
ottoman, en octobre 1912, Gustave Mendel24 suggère quelques pistes possibles pour
16
Id., le 30.4.1894.
MAEP NS Turquie 392. Cambon à MAE, le 26.8.1897.
18
N. CHEVALIER, op. cit., pp. 83-90.
19
Ce qui lui vaut l’obtention d’un passeport diplomatique.
20
MAEP Turquie NS 392. Cambon à Hanotaux, le 26.8.1897.
21
Id.
22
Id., MIP à MAE, le 11.2.1898.
23
G. MENDEL, Note sur archéologie. MAEP Turquie NS 396 le 1.10.1912. Le citations qui suivent sont
extraites de cette Note.
24
Gustave Mendel (1873-1938), archéologue, est de la promotion 1898 de l’EFA. Il mène quelques
recherches à Thasos, en Macédonie et en Asie, spécialement en Bithynie. Il jouera surtout un role
considerable, de 1904 à 1914, et tant que collaborateur direct des directeurs des musées impériaux, Hamdi
17
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La prehistoire de L’Institut Français d’Archeologie de Stamboul
essayer de remonter la pente. Le passage sur les initiatives que pourrait prendre l’Etat
n’est pas un chef-d’œvre de clarté. Créer une “école” d’archéologie en Orient est
souhaitable. Ce pourrait être, à Beyrouth, une section autonome de l’Institut du Caire.
Encore faudrait-il trouver des chercheurs fiables; et Mendel de regretter “avec tristesse
qu’il n’existe dans aucune université française une chaire d’archéologique islamique”.
Pour Constantinople, la proposition est quelque peu surprenante: créons un Lycée à la
française “qui pourrait se substituer à Galatasaray où notre action est réduite à rien”.
Quant à la création d’une “école permanente”, Mendel préfère ne pas insister, car il y
voit des “frais considérables”. Mais l’idée est bonne, dans la mesure où il “faudrait se
montrer sur plusieurs points de l’Empire”, et donc dans la capitale. Mais on en resta là.
La fin de la guerre et l’occupation alliée redonnent corps, d’une façon
apparemment plus réaliste, au projet d’un Institut à Istambul: c’est la quatrième étape.
Le depart des Russes, qui laissent une place, et le projet de création par la Suède d’un
Institut byzantin “qui masque sans doute le retour des Allemands”25, imposent à la
France de prendre l’initiative à cet égard. Deux missions, en 1921, l’une Maurice
Pernot demandée par le général Pellé, l’autre de Charles Diehl26 actionnée par le
ministère de l’Institut de l’Instruction publique, concluent à la nécessité et à la
possibilité de la création d’un Institut permanent à Constantinople. Les discussions
seront menées assez loin: il ne sera pas possible d’utiliser les services de l’Institut des
Augustins de l’Assomption de Kadiköy, comme on l’avait fait à Jérusalem avec les
Dominicains27, mais cette fois le partage des tâches est mis au point avec le directeur
de l’Ecole d’Athènes, Charles Picard28. Le nouvel Institut étudiera, en Thrace et en
bey, puis Halil bey et Edmem bey. Ses travaux à Constantinople l’amènent à publier, en 1912, son
Catalogue des Musées ottomans. Grâce a lui et avec lui, des archéologue français issus de l’EFA
participeront à la fouille du temple d’Hécate à Lagina de Carie, au contrôle à Aphrodisias de Carie, des
travaux de l’archéologue amateur P. Gaudin, directeur de Chemin de fer Smyrne-Cassaba et
prolongements, les premières fouilles du sanctuaire de Claros (voir Christian LE ROY “L’Ecole Française
d’Athènes et l’Asie mineure”, dans Cent-cinquantenaire..., op. cit., pp. 375-378).
25
Archives du ministère des Affaires étrangères à Nantes (MAEN) Œuvres 187. MIP, direction de
l’Enseignement supérieur. Demandes nouvelles pour le budget de 1921, le 7.7.1920.
26
Ch. Diehl (1859-1944), né à Strasbourg, a alors 62 ans et une brillante carrière derrière lui. Au concours
de la Rue d’Ulm de 1878, il integre 2ème entre J. Jaurès et H. Bergson, puis est 1er à l’agrégation d’histoire.
Il entre à l’EFA en 1881, puis à l’Ecole de Rome en 1883. Il est l’un des rénovateurs des etudes
Byzantines en France: il soutient en 1888 sa these sur Etudes sur l’administration byzantine dans
l’exarchat de Ravenne. Suivra une imposante bibliographie don’t une partie est consacrée à une savante
vulgarization. Il est member de l’AIBL en 1910. Pressenti après la guerre pour assurer la direction de
l’Institut projeté à Constantinople, il est en 1922 chargé d’un rapport sur la situation, mais il est appelé à la
direction de l’Ecole de Rome: l’hésitation n’était pas possible. C. Diehl fut professeur à la Sorbonne
pendant 35 ans.
27
Voir Dominique TRIMBUR, Une Ecole française à Jérusalem, Mémoire dominicaine no V, Cerf, Paris,
2002, 153 pages.
28
Charles Picard (1883-1965) entre à l’EFA dans la promotion 1909, est secrétaire general de l’Ecole de
1913 à 1919, puis directeur jusqu’en 1925. L’année 1932 lui est doublement heureuse: il entre à l’AIBL et
est nommé professeur à la Sorbonne. Avec Mendel, il fouille à Claros en 1913, et en 1922, il soutient une
énorme these sur Ephèse et Claros, Recherches sur les sanctuaries et les cultes en Ionie du Nord. Il
preside, en 1921, à l’obtention par l’Ecole de la concession du site de Malia, en Crête, pensant ainsi
pouvoir approfondir les origins de la religion grecque. Il inaugure les recherches de l’Ecole à Philippes et à
Thasos. Il fait participer l’EFA aux fouilles initiées à Constantinople par les militaries durant l’occupation
125
Jacques Thobie
Turquie d’Asie, au triple point de vue de l’archéologie, de l’histoire et le l’histoire
d’art, la période allant de la préhistoire à l’epoque contemporaine29. Il sera finance par
l’Instruction publique et patronné, comme l’Ecole d’Athènes, par l’Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres. Le projet est bien accueilli par le directeur des musées
impériaux, Halil bey et son adjoint Macridi bey, et aussi, semble-t-il, par le
gouvernement de Constantinople. N. Chevalier estime qu’en avril 1922 tout est prêt
pour le passage à l’acte30. Mais l’évolution de la situation politique générale crée un
climat de plus en plus défavorable.
Nous disposons de la copie d’une lettre, sans mention du nom de l’auteur, date
du 15 juillet 1922, à Athénes, et adressée au directeur de l’Enseignement supérieur du
minstère de l’Instruction publique. Il s’agit du précieux témoignage d’une homme
visiblement passionné par l’archéologie grecque qui rend compte d’une mission à
Constantinople et à Smyrne, où il a été envoyé afin de prendre contact avec les
autorités françaises d’occupation et d’obtenir les autorisations nécessaires à la reprise
“de nos fouilles d’Asie”31. En ce qui concerne le projet d’un établissement permanent à
Istambul, notre chargé de mission, visiblement bien introduit, a pris connaissance du
rapport Diehl, que le général Pellé lui a “spontanément” communiqué, et qu’il a pu
avec lui completer sur quelque points. Du côte français, il a trouvé général Pellé
perplexe devant la nomination de Ch. Diehl à la direction de l’Ecole de Rome: celui-ci
devait être le premier directeur du future Institut et le haut-commissaire français “serait
assez embarrassé pour s’acommoder d’un successeur”. Il a même su que le général
avait pensé à lui, mais il refuse d’avance cet honneur32. “Les savants 'islamisants' dont
les noms ont été quelquefois prononcés, ne sont pas connus du général, et ont peut se
demander s’ils n’auront pas beaucoup de mal, en dehors du byzantinisme, à trouver à
faire là-bas quelque chose de sérieux”. Notre archéologue desire employer Macridi à la
fouilles de Notion, “ce aidera à créer des liens entre les Turcs et la future Ecole de
Constantinople”. Il est intéresant de noter qu’il pense aussi qu’on aurait intérêt à retenir
les services d’Albert Gabriel33.
( Cent cinquantenaire...op. cit.). A l’instar de René Dussaud, il est partisan, dans l’entre-deux guerres,
d’enrichir les musées nationaux par les fouilles (N. CHEVALIER, op. cit., pp. 455-456).
29
Voir N. CHEVALIER, op. cit., pp. 242. Au fond, l’élargissement des etudes de l’Institut à la période
contemporaine, dans les années 1980, n’est un retour aux sources!
30
Id., p. 246.
31
MAEN Œuvres 187. En-tête de l’Ecole Française d’Athénes, Athénes le 15.7.1922. Les autorisations
necessaries ont été obtenues et “nous n’aurons de difficultés, ni avec les Grecs, ni éventuellement avec les
Turcs. Tout cela n’était pas très simple, en ces temps de guerre, de prohibitions et de tension vive”. C’est
lettre est probablement de C. Picard lui-même, puisque le directeur de l’EFA a été au moins une fois dans
la capitale ottomane: “...alors que Charles Picard rentre d’un voyage à Constantinople, qui lui a permis de
voir sur place les problèmes...”, Sandrine LEROU, “Robert Demangel, conseiller scientifique du Corps
d’occupation français à Constantinople et agent de liaison (1922-1924)”, dans V. KRINGS et I.
TASSIGNON éd., Archéologie dans l’Empire ottoman autour de 1900: entre politique, économie et
science, Bruxelles-Rome, 2004, p. 275.
32
“ Jen e doute pas que vous n’ayez beaucoup mieux à lui offrir et, d’ailleurs, je n’ai nullement l’intention
de renoncer à l’archéologie grecque qui m’intéresse particulièrement”.
33
“C’est un architecte-archéologue des plus actifs ayant à la fois de l’intelligence et de l’énergie, et une
connaissance très appreciable des milieux turcs ou autres. Si l’on cherchait le rendement scientifique, c’est
126
La prehistoire de L’Institut Français d’Archeologie de Stamboul
Cette lettre donne bien l’atmosphère de Constantinople qui, si elle n’a pas
encore l’allure d’un fin de règne, y ressemble passablement. L’initiateur de la mission
demandait, dans sa lettre du 17 juin, les “impressions” de notre archéologue sur son
séjour à Constantinople: “Une des plus notables, je pense, est l’insécurité qui règne
dans les milieux français au sujet des futures dispositions des gouvernants turcs”. Le
général Pellé pense qu’il faudrait résoudre l’affaire de l’Ecole de Constantinople sans
retard, car un simple changement de ministère pourrait être fatal au projet. “On ne parle
point encore des dispositions des kémalistes, mais...l’évolution d’Angora vers un
nationalisme intrasigeant n’est pas pour rassurer le moins du monde”. Bien qu’on ne le
lui ait point demandé, il croit de son devoir de donner son sentiment “personnel”: “ J’ai
l’impression que la fondation projetée, outre qu’elle n’est pas assurée d’une faveur
bien longue, a été tolérée plus qu’envisagée avec joie par ceux-là même qui risquent
d’en avoir été les plus chauds partisans: les ministres de jour”. Si l’on veut profiter du
“fait accompli” il n’y a pas à tarder.
Malgré cette relative lucidité, le rédacteur de la lettre nommera Robert
Demangel comme membre de quatrième année à l’Ecole d’Athènes, et “l’enverra à
Constantinople comme conseiller technique des fouilles du Corps d’occupation, selon
la demande présenté par le général Charpy”. Ce qui sera fait en octobre34. C’est bien
tard. En effet, le 26 août, Mustafa Kémal lance l’offensive finale, et le 9 septembre il
entre à Smyrne (Izmir). La déroute des Grecs porte un rude coup à la position de
l’Ecole d’Athènes, qui abandonnera presque tous ses projets relatifs à l’Asie mineure35.
Les troupes d’occupation quittent Istambul le 3 octobre 1923 et les troupes turques y
entrent le 6. Quant à l’Institut français, les priorités sont ailleurs.
Le cinquième essai va enfin être transformé. Le retrait de l’Ecole d’Athènes
offrait incontestablement une opportunité favorable à la creation d’un Institut français
d’archéologie à Istambul. Cet projet n’a jamais quitté l’esprit des responsables du
Service des Œuvres, et particulièrement de Jean Marx. Si un personage aussi
considerable que René Dussaud36 est envoyé en mission en Turquie, en Irak et au
Levant, en mars 1929, c’est que, en haut-lieu, la décision est prise de pousser avant le
à lui qu’on devrait particulièrement penser; il est apte à s’occuper à la fois d’archéologie Byzantine et
musulmane, ce qui est fort rare”.
34
En fait R. Demangel, envoyé par son directeur, participe sous l’égide des militaries à des fouilles en
Troade et à Téos depuis un an.
35
L’engagement de l’Ecole d’Athènes aux côtès des forces militaires françaises a été une bien fâcheuse
erreur. (voir Christian LE ROY, “L’Ecole Française d’Athènes et l’Asie mineure” dans Cent
cinquantenaire...op. cit., p. 379).
36
René Dussaud (1868-1958) est le fils d’un deux frères Dussaud (impossible de savoir s’il s’agit d’Elie
ou de Joseph), propriétaires d’une importante enterprise de travaux publics de Marseille, qui a mené à bien
de gros travaux portuaires à Cherbourg, Marseille, Alger, et Port-Saïd, et decide d’effectuer la
modernization du port de Smyrne (v. J. THOBIE, op. cit., pp. 132-137), avant de le racheter. Poussant
dans la tradition professionnelle familiale, il entre à L’Ecole centrale, mais à sa sortie, il choisi d’étude des
langues orientales. Disciple de Clermont-Ganneau, il fait de nombreux voyages d’étude en Syrie et au
Liban. Chargé de cours au Collège de France de 1904 à 1910, il entre alors au Musée du Louvre, assurant
un cours à l’Ecole du Louvre. En 1923, il entre à l’AIBL, don’t il deviant president en 1929. Un an plus
tôt, il a été nommé conservateur du dépatament des Antiquités orientales au Musée du Louvre. Quand il
part en mission, “il contrôle tous les leviers de l’archéologie au Moyen-Orient” (N. CHEVALIER, op. cit.,
p. 468).
127
Jacques Thobie
projet, pour renouer avec la tradition d’avant-guerre, et ne pas laisser sans riposte
l’installation des Allemands37 à Istambul. Dans son rapport du 21 mai 1929, remis au
ministre des Affaires étrangères, R. Dussaud, constatant qu’il n’existe plus en Turquie
de mission archéologique, propose la création, dans les locaux de l’ancienne
ambassade de France, d’un Institut qui orienterait les recherches concernant la langue
turque, les antiquités islamiques et proprement anatoliennes. Cet Institut “devrait être
pour nos jeunes savants la porte de l’Anatolie”, les préparant à l’exploration “que cette
dernière réclame dans tous les domaines”38. La balle est alors dans le camp du Service
des Œuvres.
***
La carrière de Jean-Philippe Marx (1884-1972) a été plusieurs fois exposée39,
mais il est cependant opportun d’en rappeler ici les principales étapes. Après une
licence de philosophie à la Sorbonne, il entre major à l’Ecole Nationale des Chartes et
en sort premier (1908-1912). Archiviste-paléographe, sa thèse sur l’Inquisition en
Dauphiné, soutenue en 1914, montre qu’il est aussi pleinement historien. Sa profonde
myopie le rendant inapte au service militaire, sa demande d’engagement dans
l’artillerie lui est refusée. Il séjourne alors à Rome pendant deux ans (1913-1915) en
qualité de membre de l’Ecole Française. Sa parfaite connaisance de l’italien le fait
apprécier des services de l’ambassade, et en février 1916, il est détaché aux Affaires
étrangères pour les questions italiennes. Dès la création, le 15 janvier 1920, du Sevice
des Œuvres françaises à l’étrangèr, Marx est nommé sous chef de la section
Universitaire et des Ecoles, puis, le 11 octobre 1921, il en deviant le chef, en
replacement de Girardoux, devenu chef du Service40.
Ses responsabilités de diplomate ne l’empêchent pas de mener parallèlement
une activité universitaire. Il a suivi, à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, les cours
d’histoire religieuse comparative d’Henri Hubert, aux travaux duquel il est bientôt
37
L’Institut allemande d’archéologie est inauguré à Istambul en 1929.
H. METZGER, G. LE RIDDER et J.L. BACQUÉ-GRAMMONT, Contribution française à la Recherche
archéologique en Turquie, L’Institut Français d’Etudes Anatoliennes d’Istambul, Istambul, 1986, p. 1.
39
N. CHEVALIER, op. cit., p. 448, note 8; André GODIN, “La correspondance d’Alphonse Dupront et de
Jean Marx (9 avril 1932-9 mars 1940)”, dans Mélanges de l’Ecole Français de Rome, Italie-Méditerranée,
107 (1995-I), p. 208. André REBOULET, “Jean Marx (1884-1972) entre-deux-guerres”, dans M. C. Kok
ESCALE et Francine MELKA (réd.), Changements politiques et statut des langues, histoire et
épistémologie 1780-1945, Ed. Rodopi, Amsterdam-Atlanta, 2001, pp. 119-127.
40
Voici comment Maurice GENEVOIX raconte sa première rencontre avec Jean Marx, alors responsable
du Service des Œuvres, en mars 1939: “Tout le temps que dura notre entretien, un peu tassé dans son
fauteuil, parfois tournant vers moi de lentes prunelles lointaines, grossies par ses lunettes de myope, il
semblait m’écouter avec une courtoisie de commande; et cependant, le combine du téléphone calé entre
son épaule et sa joue, il jetait tour à tour quelques notes sur un bloc et répondait, entre deux nasillements
de l’appareil, à son interlocuteur invisible. Entre-temps, quelque collaborateur surgissait, affairé, jetait
trios phrases, auxquelles, écoutant, griffonnant, il répondait aussi par quelques vagues onomatopées”. A
son retour du Canada, en juillet, Genevoix retourne voir Jean Marx, et conclut ainsi:” Il était
extraordinairement averi. J’avais le sentiment qu’il m’avait precede, suivi tout au long de mon voyage.
Lucide, attentive, mais démuni, c’était miracle, de le voir néanmoins atteindre à tant d’efficacité”. Préface
au livre de Suzanne BALOUS, L’action culturelle de la France dans le monde, PUF, Paris, 1970, p. 9.
38
128
La prehistoire de L’Institut Français d’Archeologie de Stamboul
associé; il assure, à partir de 1923-1924, la supléance de ses cours avant d’être nommé,
à sa mort, en 1927, directeur d’Etudes à l’EPHE: il assure alors des recherches et un
enseignement sur les mythologies et les littératures celtiques.
Ainsi, quand commence notre correspondance, Jean Marx a 46 ans. Ayant
gravi tous les échelons de la hiérarchie diplomatique, il connaît parfaitement le
fonctionnement du service des Œuvre et s’est forgé, en France et à l’étrangèr, tout un
réseau de personnalités, don’t nous verrons aparaître un certain nombre à travers notre
correspondance.
Le cursus d’Albert Gabriel (1883-1972) est peu connu. Il est né le 3 août 1883
à Cerisière en Haute-Marne. A quatre ans, tandis que naît son frère Pierre41, il entre en
onzième au collège de Bar, et six ans plus tard passé brillamment son certificat
d’études42, puis régulièrement obtient chaque année le prix d’excellence; il passé son
baccalauréat latin-grec avec la mention assez bien et, l’année suivante, en
mathématiques élémentaires, avec la mention bien. C’était un elegant collégien,
sérieux, réfléchi différent de ses deux amis Vallois43, alors foncièrement original et
Bachelard, vif, joyeux, pétillant”44. Albert, qui veut suivre l’exemple de son père45,
entre à dix-sept ans à l’Ecole des Beaux-Arts et obtien son diplôme d’architecte. Ses
qualités en architecture, dessins et aquarelles, fort appréciées, le destinent au concours
du Prix de Rome, et il fait des voyages d’études dans une grande partie de l’Europe; il
est finalement recruté par le directeur de l’Ecole d-Athènes comme élève-architecte46,
pour les fouilles de Délos, et le restera jusqu’en 1911. C’est ainsi qu’il participe
notamment “á la difficile étude de la charpente de la Salle hypostyle, qu’il publia avec
G. Leroux et H. Convert”. Il passé ensuite á la Sorbonne une licence d’histoire-
41
En 1898, naît sa petite sœur Marie-Louise.
“Un voyage au bord de la mer, à Cherbourg, fut sa recompense”. Archives de l’Académie des BeauxArts (ABA) Institut de France (IF), Roger DUBAUD, “La vie prestigieuse d’Albert Gabriel”, Eloge
funèbre, 8 pages dactylographiées, s.d., p. 1.
43
Promotion 1908 de l’EFA, René Vallois (1882-1962), archéologue, travaillera notamment à Délos. Il est
membre de l’AIBL en 1949. Gaston Bachelard (1884-1962), employé aux PTT, professeur de physique,
puis de philosophie des sciences à la Faculté de Dijon de 1930 à 1940, ensuite à la Sorbonne. De 1950 à
1955, il fait un cours de philosophie à l’ENS de Saint-Cloud, que j’ai suivi avec intérêt et plaisir.
Bachelard a cherché à concilier dialectiquement la rationalité appliqué de la philosophie des sciences et
l’imagination poétique qu’inspirent les elements naturels (feu, eau, air et terre) don’t il a essaye de faire la
psychanalyse.
44
ABA, IF, Id., p. 2.
45
Eugène Gabriel était alors architecte de la ville de Bar-sur-Aube, puis fut nommé architecte des
Monuments historiques pour l’arrondissement de Bar-sur-Aube.
46
R. Rubaud rapporte ainsi cet épisode: “En 1907, Pierre fait son droit et desire voir un match de football.
Albert retarde donc son retour à Bar; le lendemain de Noël, Albert, désœuvré, passe á l’Ecole des BeauxArts où il remarque un placard selon lequel l’Ecole d-Athènes offre une place d’architecte, mise au
concours, pour collaborer, pendant deux ans, aux fouilles de Délos, en mer Egée. Albert voit aussitôt son
professeur d’architecture, M. Paulin, qui lui remet une lettre de recommendation á M. Maurice Holleaux,
directeur de l’Ecole, alors á Paris, en lui recommandant de se munir de quelques-uns de ses travaux. Le
maître, en habit, s’apprêtait á partir pour une cérémonie officielle. Il accepte de le recevoir un instant, lit la
lettre, parcourt les plans et les dossiers, se retourne pour frapper l’épaule de son jeune visiteur et lui dit: ‘Il
n’y aura pas de concours’. Devant l’étonnement d’Albert, le maître s’explique: ‘Ce n’est plus nécessaire,
vos dessins me suffisent. Je vous prends’ ”. ABA, IF, loc. cit., p. 3.
42
129
Jacques Thobie
géographie et obtient, en 1913, une mission á Rhodes pour y étudier les monuments du
Moyen-age et y restaurer l’Auberge de France.
Pendant la guerre, il est employé comme interprète á la division navale de Syrie á
Castellorizo: il peut ainsi revenir ponctuellement á Rhodes et advancer la preparation de sa
these principale qu’il soutiendra, en 1921, sur Les remparts de Rhodes47. Il peut alors
entamer une carrière universitaire, ponctuée de nombreuses missions sur le terrain48 tant en
Turquie qu’en Syrie, en Irak et en Iran. En 1923, il est nommé maître de conferences
d’histoire et d’art á l’Université de Strasbourg. Cette même année, il est chargé d’un
enseignement d’archéologie á l’Université d’Istambul49.
Lorsque commence sa correspondance disponible avec Marx, Gabriel a 47 ans.
Nous n’avons aucun renseignement sur les circonstances de la rencontre entre les deux
hommes. On peut légitimement supposer que Marx a eu connaissance du document
cité plus haut qui, dès 1922, attire l’attention sur les competences de Gabriel et ses
relations avec les millieux universitaires turcs. Gabriel a-t-il agi pour attirer l’attention
de Marx, ou celui-ci a-t-il été le solliciter? Il est certain que leur rencontre, favorisée
peut-être par leur appartenance á une même communauté, est bien antérieure á 1930.
Le choix de Marx paraît en tout cas, pour l’heure, particulièrement judicieux.
47
Sa these complémentaire portrait sur les fouilles qu’il avait faites en Egypte, á Foustat, en 1919-1920.
Il publie en 1921 et 1923, á Paris, en deux tomes, La cite de Rhodes, I. topographie et architecture
militaire, II. Architecture civile et religieuse.
49
Voir J. LAROCHE, “ Albert Gabriel, le plus turc des Français, 2 août 1883- 23 décembre 1972”, dans
Turcica IV, p. 9.
48
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