le cnr de reims rencontre les enfants du quartier orgeval

Transcription

le cnr de reims rencontre les enfants du quartier orgeval
Décembre 2003
Bulletin N° 13 supplément
LE CNR
DE REIMS
RENCONTRE
LES ENFANTS
DU QUARTIER
ORGEVAL
Une démarche de démocratisation des
accès aux enseignements musicaux
Hervé AKRICH
Licence Professionnelle Musique « Encadrement et Coordination des Pratiques Musicales » Sept.2003
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C’est peut-être Mozart
Ce gosse qui tambourine
Des deux poings sur l’bazar
D’la batt’rie de cuisine
Jamais on le saura
L’autocar du collège
Passe pas par Opéra
Râpé pour le solfège.
Allain Leprest C’est peut-être
2
PRESENTATION
Après des années d’un exercice un peu particulier des fonctions de dumiste, il m’est apparu
nécessaire et salutaire, non seulement de faire le point sur ma pratique professionnelle, mais
surtout de la confronter à d’autres expériences menées dans d’autres cadres et avec d’autres
publics.
M’intéresser à d’autres tentatives de démocratisation des enseignements artistiques devenait
indispensable.
M’ouvrir à ce qui pour moi constituait un inconnu intimidant me paraissait soudain
incontournable.
Il devenait essentiel de passer d’une fonction d’exécutant à un rôle d’analyse des pratiques .
Avoir la maîtrise des méthodes et des moyens suppose d’en connaître les enjeux et les
fonctionnements, et surtout de savoir les resituer dans leur contexte propre.
Ceci implique une connaissance plus globale des différents cadres et contextes de
l’enseignement de la musique.
Licence professionnelle musique, option « encadrement et coordination des pratiques
musicales ».
Mes habitudes de clarinettiste et de chanteur me permettaient d’énoncer intégralement cet
intitulé sans reprendre ma respiration :
cette formation était faite pour moi…
Instituteur avant de me poser la question de la musique à l’école, musicien autodidacte
amateur, étranger (comme beaucoup d’entre nous) à bien des systèmes d’apprentissage de la
musique, et à bien des cultures musicales, je continue de considérer que je suis plus un
pédagogue ayant, cerise sur le gâteau, des compétences et des appétences musicales, que
comme un musicien doté en plus, de compétences pédagogiques.
Le DUMI que j’ai obtenu fut pour moi un départ vers des aventures musicales avec, puis
sans, les enfants, beaucoup plus que l’aboutissement d’une formation professionnelle..
C’est au Centre de Formation des Musiciens Intervenants que j’ai commencé à devenir un
peu musicien, étant déjà quelque peu intervenant.
Et si je suis devenu, quelques années plus tard, auteur compositeur interprète,
historiquement, c’est bien à la suite d’expériences de création de chansons pour des
spectacles d’enfants.
Les musiciens qui m’ont accompagné dans mes premières aventures musicales personnelles
étaient le groupe que j’avais constitué pour accompagner des enfants sur scène.
C’est dire que mon parcours professionnel et mon parcours musicien se confondent très
souvent.
De même ma conception politique du métier d’instituteur explique certainement (parmi
d’autres considérations plus indépendantes de mes choix personnels) le fait que je l’ai exercé
en ZEP durant les quinze dernières années de ma carrière.
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Est-il présomptueux de prétendre à une certaine cohérence entre ma vie de pédagogue, ma
vie de citoyen, ma vie de père de famille, ma vie d’artiste et de mélomane ?
Certainement et en même temps, qui peut se découper en morceaux au point de cloisonner
ses divers engagements ?
Cette interaction entre le pédagogue, le citoyen et l’artiste se manifeste souvent par des
réactions un peu stéréotypées et inhibantes :
cela m’empêche par exemple
*de savourer un spectacle parce que le public que j’y côtoie me semble trié sur le volet,
*d’apprécier une chanson pour enfants où l’on énumère trente prénoms plus « français » les
uns que les autres,
*d’assister à un spectacle subventionné sans l’arrière pensée du « pourquoi l’argent public
ici et pas ailleurs »,
*d’entendre un chœur d’enfant d’une maîtrise ou d’un conservatoire sans penser à mes
élèves qui n’ont pas accès à ce genre de gratification,
*d’écouter une musique sans penser à comment la faire découvrir à des enfants.
Parfois aussi, les faits s’imposent à vous :
Si j’ai pu exercer des fonctions de dumiste tout en restant fonctionnaire de l’Education
Nationale ce ne pouvait être qu’en ZEP, ne serait-ce que pour des raisons budgétaires qui
font que ce qui ne se justifie pas ailleurs peut bénéficier en ZEP d’une souplesse et d’une
attention particulières.
J’ai donc proposé durant douze années scolaires, mes services d’intervenant musicien à mes
collègues enseignants en écoles maternelles et élémentaires de la ZEP Wilson à Reims.
J’étais sensé répondre à des demandes précises et non substituer intégralement mes
interventions à l’application par le maître ou la maîtresse du programme inscrit aux
Instructions Officielles dans les pages Education Musicale.
Le demandeur écrivait un projet et le soumettait à l’approbation de notre IEN.
Parfois il savait recopier les mots-clés dans les IO pour faire apparaître une démarche
cohérente, conforme au projet de la classe et au projet d’école. Souvent je me chargeais de
cette tâche de rédaction, l’essentiel à nos yeux étant que les choses se fassent, et, si possible
sur la base d’une entente préalable entre l’instituteur(trice) et moi-même sur ce que nous
allions faire ensemble.
J’ai eu à faire face à toute la palette des situations en ce qui concerne l’intérêt que mon (ma)
collègue trouvait à ce travail (et donc l’investissement que j’y mettais).
De la séance de chorale où le maître dort et ronfle au fond de la classe à la collaboration
franche et joyeuse et au partage sincère de nos angoisses à la veille d’un spectacle, l’échange
humain a pris toutes les formes imaginables…
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Je garderai de nombreux souvenirs émus de soirs où, avant un spectacle, je devais aller
sonner à la porte d’un enfant chanteur soliste ou comédien pour lui rappeler qu’on joue dans
une heure et que tous les autres l’attendent.
Je ne résiste pas à la joie de voir de grands gaillards m’interpeller en ville, et , après m’avoir
présenté leur fiancée, évoquer systématiquement le spectacle qu’on a construit ensemble en
CM2, me dire qu’ils écoutent encore la cassette des chansons que nous avions enregistrées.
La musique m’a permis d’arriver joyeux (presque) tous les jours à l’école, et de
communiquer au moins une partie du plaisir qu’elle me donne.
Il est presque certain que, sans cette chance, je serais devenu un vieil instituteur aigri et
râleur, ne croyant plus en rien.
Certes je ne suis toujours pas croyant en grand chose mais, par la musique, je demeure
furieusement pratiquant.
Dans le chapitre « évaluation » de la rédaction d’un projet, ce genre de choses n’a pas sa
place, mais au moins dans ce texte puis-je me permettre d’affirmer que la qualité de la
relation que l’on noue avec des enfants quand on construit ensemble un projet de production
artistique est ce qui m’en restera, plus sûrement que les progrès réalisés dans l’acquisition de
la pulsation ou dans la justesse des chants.
Ne nous étonnons donc pas si je suis le dernier de ma génération à accéder au statut de
Professeur des Ecoles…
Mais ma vie professionnelle auprès d’un public défavorisé, à qui on propose des activités
musicales avant tout pour le réconcilier avec l’école, avec les apprentissages, pour bien
d’autres choses que pour son épanouissement esthétique, m’a peu à peu enfermé dans des
réflexes tellement intégrés qu’ils me fermaient peut-être à d’autres problématiques.
Une certaine habitude de pensée, un confort intellectuel d’être celui qui pense par et pour les
« exclus » de la culture, m’ont fait adopter des postures grotesques.
Mes amis anticipaient, dans les conversations de fin soirée, sur mon intervention prévisible
du genre « c’est bien beau tout ça mais ça concerne qui, nos débats esthétiques, nos
considérations sur la culture, certainement pas les gens du quartier Wilson », comme si
j’avais à m’affranchir de je ne sais quelle culpabilité.
Je m’installais dans la pose systématique du sceptique de service, à l’image de ces
éducateurs qui, à force de côtoyer des personnes handicapées, finissent par ne plus
reconnaître la moindre vertu au sport.
Et puis, ma fille Salomé, après que ses sœurs en eurent été privées par ma rigidité, a eu le
droit, elle, à l’enseignement du Conservatoire de Reims.
Et j’ai versé ma larme émue quand elle a eu son violoncelle, et j’ai couru chez Leroy Merlin
acheter une planche à trouer pour y planter sa pique, et j’ai commencé à suivre de près ses
progrès, et, et, et …
Il était temps de faire une pause, d’aller voir ailleurs sans craindre de trahir mes pauvres
(cette appropriation détestable qu’on observe chez le moindre fonctionnaire qui s’imagine
investi d’une mission sociale...)
Quitte à laisser mes préjugés au vestiaires il me fallait apprendre par exemple à entendre la
somme d’argent public investi pour les trois élèves de la classe de clavecin sans broncher et
sans ramener le quartier Wilson sur le tapis.
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Ca tombait bien, on me parlait, de temps en temps, d’une expérience menée dans une autre
ZEP de Reims par le CNR.
Une amie m’a même raconté qu’on lui avait demandé si elle ne connaissait pas des dumistes,
le CNR en recrutait un pour ce projet.
Elle avait répondu qu’Akrich, à Wilson, faisait ce boulot depuis des années.
En d’autres temps j‘aurais balayé tout ça d’un revers de manche cynique et désabusé « tiens
ils se mettent à donner dans le social au CNR , il y a anguille sous roche, ils veulent se
refaire une honnêteté républicaine ? ».
Mais là, j’étais mûr pour dépasser les clichés, j’avais décidé de m’inscrire en licence, de faire
le point, plus question de camper sur mes vieilles positions, soyons ouvert, allons y voir de
près.
Rendez-vous est pris en septembre 2002 avec Madame Marie-Pierre Mantz, Directrice du
CNR de Reims et son adjoint, Monsieur Emmanuel Cury.
J’expose mon parcours, mon expérience, ma passion pour le problème des inégalités d’accès
à la culture.
Je ne fais pas mystère des a priori que, lâchement ou paresseusement, j’entretiens à
l’encontre de l’institution CNR, les étayant aussi bien de mon expérience professionnelle en
ZEP, que de mon vécu de parent d’élève.
Visiblement mes interlocuteurs savent que l’image de leur établissement ne correspond pas
toujours à leur volonté sincère d’en faire le lieu artistique populaire et démocratique que son
financement justifierait.
En tout état de cause on est disposé à entendre des sons de cloches venus d’un peu plus loin
que du cercle des initiés, et à les prendre en compte.
D’ailleurs, on ne m’a pas attendu pour se poser des questions, et ce premier entretien
m’oblige à considérer, déjà, à quel point des idées fausses et simplistes peuvent perdurer, à
l’abri de la contradiction.
Je ne demande qu’à être accueilli en tant que stagiaire observateur d’une stratégie
particulière d’ouverture d’un établissement d’enseignement artistique vers d’autres publics
que ceux qui lui sont habituellement acquis ou désignés.
Sans hésiter, la direction du CNR m’autorise à m’immiscer dans les séances d’instruments
ou les interventions du dumiste employé sur ce projet, à assister aux diverses réunions de
mise au point entre intervenants, etc.
J’ai carte blanche de la part de la mairie, de l’Inspection de la Circonscription et du
conservatoire pour interroger qui je veux sur cette opération.
Merci donc à toutes les personnes qui ont accepté de me consacrer un peu, et, pour certains,
beaucoup, de leur temps, pour répondre à mes questions et même parfois s’en servir pour
mener avec moi un bout de réflexion.
J’essaierai de rendre compte, dans leur chronologie, des rencontres que m’a occasionnées
cette enquête, tout en les éclairant des réflexions plus générales qu’elles m’ont suggérées.
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GENESE DU PROJET ET
MISE EN PLACE DU DISPOSITIF
Un constat de départ
Ce projet est entièrement à l’initiative du CNR de Reims.
Il repose sur un constat de départ : ce CNR n’ayant pas d’annexes de quartiers comme il en
existe ailleurs, n’a pas de véritable assise populaire dans la cité.
Ce relais d’écoles annexes n’est pas assuré non plus par une relation pédagogique cohérente
avec les autres lieux d’apprentissage de la musique, que ce soient les écoles municipales de
musique des communes environnantes ou les MJC de la ville.
La situation géographique en centre ville, l’histoire du CNR, font qu’il recrute
principalement dans les couches les plus aisées de la population rémoise, et l’existence de
classes à horaires aménagés musique ne contre pas cette tendance.
En effet, le recrutement, pour ces classes à horaires aménagés, même s’il s’effectue, du point de vue
de sa publicité (une affiche d’information figure à l’entrée de toutes les écoles maternelles de Reims
au moment des pré inscriptions) de façon neutre et transparente, n’écarte pas le fait qu’inscrire son
enfant dans ces classes hors périmètre scolaire suppose un engagement familial qui n’est pas à la
portée de tout un chacun.
On y inscrit ses enfants parfois pour l’intérêt qu’on porte à un enseignement musical de qualité,
parfois même parce que c’est l’accès le moins onéreux à l’enseignement musical, mais aussi pour
répondre à une haute idée que l’on se fait de l’épanouissement de son enfant…
N’écartons pas le fait que, à l’instar de certaines langues rares en lycée, les classes à horaires
aménagés musique peuvent constituer un moyen d’échapper à la règle du périmètre scolaire qui
oblige chaque enfant (sauf dérogation à titre exceptionnel) à fréquenter l’école de son quartier.
De plus, le fonctionnement de ces classes oblige l’enseignant à une organisation particulière que
seuls des enfants ayant de bonnes disponibilités scolaires peuvent accepter (qu’ils soient recrutés sur
leurs aptitudes musicales ou scolaires change-t-il ce fait incontournable en terme de masse horaire
consacrée aux enseignements fondamentaux ?).
Statistiquement, la population qui fréquente les classes à horaires aménagés, est issue des milieux
socio-professionnels moyens et aisés ou touchant à l’enseignement ou aux activités artistiques.
Précisons que, jusqu’à présent, les élèves inscrits en horaires aménagés bénéficiaient d’une totale
exonération des droits d’inscription.
Si l’on considère seulement les formules dites traditionnelles, c’est à dire l’enseignement
hors temps scolaire, le recrutement est loin d’être à l’image de la répartition sociale de la
population .
Et pourtant, si l’on observe uniquement le coût pour les familles d’une année au conservatoire,
on ne trouvera pas là l’explication de ce décalage.
En effet, la politique tarifaire prévoit, pour les élèves rémois, une exonération totale pour les
familles bénéficiaires du RMI et pour les demandeurs d’emploi ou pour les élèves boursiers
du Ministère de la Culture, une exonération partielle (50% des droits) à partir du deuxième
enfant d’une même famille.
En outre, une bourse municipale (réservée aux rémois), dégressive selon les revenus des familles,
permet, par exemple, à une famille comportant trois enfants et ayant comme revenus réguliers un
salaire mensuel de 1000 €, de ne payer que 127 € pour une année en cycle I ou II au lieu du tarif
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plein de 367 € (tarif comparable à ce que propose toute MJC pour 1/2 h de cours individuel
d’instrument et 1 h de solfège) .
A titre indicatif, un couple d’instituteurs (en milieu de carrière) ayant trois enfants, accèdera encore
à la dernière tranche de cette bourse municipale.
175 élèves, sur les plus de 900 rémois inscrits, accèdent à cette aide, soit 19,5 % .
23 élèves de familles RMIstes ont droit à l’exonération totale.
On peut supposer qu’au moins 50% des familles rémoises pourraient être aidées pour la scolarité de
leur(s) enfant(s).
Or elles ne sont que 22 % à user de ce droit (bourse municipale ou exonération).
Constatons, malgré tout, que même les plus aidés par les bourses doivent subvenir à une hauteur
minimale de 110 € à la scolarité, compte non tenu de la location d’instrument et de l’achat de
partitions.
Quant aux autres, ceux que l’argent public n’aide pas par le biais des bourses ou des exonérations,
une part de leur scolarité est prise en charge, le coût réel d’une année de cours étant nettement
supérieur au tarif plein des droits d’inscription .
Mais peut-être faut-il chercher ailleurs que dans les tarifs, cette relative désaffection du CNR de la
part des couches les plus populaires.
Une démarche volontariste
Ce constat étant posé, en quoi une démarche spécifique auprès d’une population de familles,
exclues, de fait, des enseignements de cette structure, s’impose-t-elle ou se justifie-t-elle ?
Effectivement, autant il apparaît maintenant peu contestable que l’école, service public laïc, gratuit,
et obligatoire, puisse opérer une démarche de discrimination positive, autant ce genre d’approche
volontariste pourrait avoir du mal à s’imposer dans le cadre d’un établissement qui, par essence,
met simplement ses compétences au service de qui veut bien les utiliser.
Autant la puissance publique doit entretenir et défendre le même droit à la santé, à l’éducation et à
la sécurité pour tous, autant dans le domaine des loisirs librement choisis pourrait-on se contenter
de l’aide financière consentie aux plus démunis.
Après tout, un club de golf ne s’inquiète pas outre mesure du déséquilibre social de sa clientèle.
Le droit à jouir de l’investissement public concerne également le domaine culturel et de
loisirs.
Seules des considérations éthiques et politiques peuvent amener à cette notion élargie du
service public qui intègre maintenant la personne, et à plus forte raison l’enfant, dans tous les
instants de sa vie.
Ceci ne va pas de soi, ça n’a rien d’universel.
Il est important de garder présent à l’esprit que cette évolution historique de nos sociétés
occidentales, vers une prise en charge, par les parents et par les institutions, de tous les temps de vie
de l’enfant, depuis la crèche jusqu’à l’autonomie économique, n’a rien d’anodin.
Elle ne tient ni du bon sens, ni d’un éventuel progrès absolu dans la considération portée à la jeune
personne.
Que chaque instant de loisir, de jeu, et même de sommeil soit devenu l’objet d’une réflexion suggérée
aux parents, d’un regard et d’une attention éducative, est peut-être une manière efficace de faire
rentrer l’enfant dans le circuit de consommation qu’on lui prépare.
On peut avoir ri de l’embrigadement de la jeunesse mis en place dès le plus jeune âge dans les ex8
pays socialistes, encore faut-il garder les yeux ouverts sur les stratégies du libéralisme pour faire de
l’enfant un enjeu et un relais des discours économistes.
De Mac Do aux magazines pour parents en passant par les spectacles pour enfants, on nous fait
comprendre qu’aucune dépense n’est trop grande pour lui dès lors qu’il s’agit de son
épanouissement, de son éducation et de son accession à tous les rouages de la vie économique.
En même temps, la marge de temps réellement choisi, échappant au désir et au contrôle des parents
ou de leurs substituts se réduit à peau de chagrin.
On se prendrait parfois à regretter le temps de la guerre des boutons, et des mercredis de jeux dans
les meules de paille…
Aussi les municipalités, puissances tutrices d’établissements tels que les CNR, ne peuvent
accepter comme une fatalité le fait que leurs investissements ne profitent pas de manière
égalitaire à la population.
Quelles que soient leurs appartenances politiques, elles exigent de la part des structures
qu’elles financent, qu’elles fassent un peu (ou beaucoup) plus que simplement accueillir
indifféremment quiconque veut utiliser leurs services, faute de quoi elles auront de plus en
plus de mal à justifier un soutien financier aussi important.
Une volonté partagée
Mais les volontés politiques ne peuvent s’exprimer qu’à la faveur d’au moins une
convergence de vues avec l’équipe dirigeante de l’établissement.
Il semble, en ce qui concerne le CNR de Reims, qu’il y ait eu coïncidence dans le temps
entre cette prise de conscience d’une injustice à réparer et l’arrivée d’une nouvelle équipe
prête à endosser (et même à devancer) des options d’ouverture et de démocratisation.
Avant d’explorer ce que sous-tendent ces termes, précisons que le projet Orgeval s’inscrit
parmi bien d’autres dans le cadre de cette « rénovation » visant à l’ouverture et à la
démocratisation :
•
Rénovation des cursus : ouverture de classes chanson, musique improvisée, musique
électroacoustique, refonte des méthodes en Formation Musicale
•
Ouverture du lieu : à d’autres structures de diffusion musicale
•
Elargissement de la programmation de diffusion interne
•
Compositeurs invités en résidence
•
Musiciens invités en master class
Ouverture :
Créer des passerelles, casser des cloisons, des clivages, voilà tout un vocabulaire de plus en plus
utilisé et forcément connoté très positivement.
M Rocard a, un jour, formé un gouvernement d’ouverture en intégrant des ministres d’un autre
parti ; une structure de diffusion de spectacles pratique une politique d’ouverture en présentant ses
productions dans d’autres lieux que sa salle habituelle ; une nation s’ouvre à ses voisins en leur
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permettant d’accéder à ses marchés, le pape fait un geste d’ouverture envers les orthodoxes,…
Ouvrir signifie souvent, dans le domaine qui nous intéresse, partir du constat d’une injustice et se
donner les moyens de la réparer .
Cette injustice concerne en général une collectivité et non un individu qui, pour diverses raisons, n’a
pas accès à un mode de gratification (pouvoir, savoir, plaisir…).
Les détenteurs de cette gratification acceptent de faire en sorte que l’accès en soit facilité pour
d’autres, parce qu’on pense qu’il n’y a pas ou plus de raison de les maintenir hors de cette
communauté des ayant droit.
On décide donc, par générosité, par une initiative altruiste, de partager ses privilèges pour satisfaire
un éminent besoin de justice.
Encore faut-il que la chose que l’on décide de mettre plus facilement à disposition d’autres ait une
valeur majoritairement reconnue.
Qu’il soit communément admis qu’y accéder, c’est faire valoir un droit démocratique.
On imagine mal l’association de majorettes pratiquer un politique d’ouverture à l’égard des
populations qui n’ont pas la chance de connaître les joies du twirling bâton.
Quand certains sourds décident de s’ouvrir aux entendants, par exemple en leur enseignant la langue
des signes, on pense à de la provocation.
Qui est menacé de restrictions budgétaires s’il ne pratique pas un peu l’ouverture ?
Pas celui qui n’a pas de subvention.
L’ouverture n’est donc pas une démarche symétrique de deux groupes l’un vers l’autre, mais bien
une initiative de l’un et pas de l’autre.
Le détenteur de privilèges s’affiche comme désireux de partager ses privilèges ; par là même, il
affirme ou confirme l’existence de ses privilèges.
On imagine l’écueil : que l’effet d’une politique d’ouverture soit de souligner et de conforter la
différence au lieu de la gommer (c’est même parfois l’objectif mal dissimulé des fausses politiques
d’ouverture).
Même quand les intentions sont sincères, il arrive qu’une politique d’ouverture produise l’effet
inverse que celui désiré : la ghettoïsation (le renforcement des cloisons qu’on voulait abattre).
Précisons que je n’ai jamais eu l’occasion de douter de la sincérité des intentions des acteurs et des
dirigeants de cette opération.
Enfin, il faut souligner que tant qu’on n’y prête pas une attention délibérée, le phénomène de ghetto
peut, par définition, passer totalement inaperçu.
Mickaël Moore, cinéaste provocateur américain, note que dans le milieu professionnel et culturel dans
lequel il évolue, il peut passer plusieurs jours, entre son travail, son lieu de résidence et ses loisirs,
sans rencontrer une seule personne noire (à l’exception du réceptionniste de son hôtel) à Los Angeles
(qui compte environ un million d’Afro-américains).
Pourquoi le choix d’Orgeval ?
Il semble logique qu’une fois posé le principe d’une expérience d’enseignement musical
proposé en milieu scolaire à une population reconnue comme écartée, de fait, de la
fréquentation d’établissements d’enseignement musical, l’option d’un travail en ZEP soit
choisie.
Parmi les trois ZEP de Reims, Orgeval, quartier nord constitué de petits immeubles datant des
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années 70, est la plus petite, en superficie du quartier, en nombre d’habitants et en nombre de
groupes scolaires : les deux groupes d’écoles maternelle et élémentaire Léopold Charpentier
et Galliéni.
L’expérience pourra donc se mettre en place à petite échelle sans qu’il puisse s’agir d’un
saupoudrage, et sans que les limites en personnel ou en heures d’interventions ne conduisent
à des refus forcément frustrants.
De plus, il existe une histoire de la musique sur les écoles d’Orgeval.
Une musicienne intervenante, Isabelle Begon, propose, depuis de nombreuses années, une
sensibilisation à la musique en cycle II.
Des chorales de cycle fonctionnent dans chacune des deux écoles.
Contacts préliminaires et réactions
L’organisation du système est conçue par la direction du CNR et le CPEM, Monsieur Pierre
Philbert.
Un pré-projet est soumis à l’approbation des responsables de la ZEP avant qu’une première
réunion d’information ne soit proposée aux équipes enseignantes des deux écoles.
*Pour la ZEP, ce projet s’inscrit dans la liste des occasions à donner aux enfants de goûter à
des modes de gratifications qui leur sont, sans elle, inaccessibles.
D’autre part l’idée transparaît d’une «preuve à fournir » que les enfants de ces quartiers sont
aussi capables que d’autres, dès lors qu’on leur offre les moyens dont disposent les autres.
*L’accueil à ce projet de la part des enseignants mêle la confiance et la vigilance :
Confiance et vigilance vis à vis des intentions de notre hiérarchie (les écrits sur les ZEP nous
parlaient à l’époque de pôles d’excellence ).
« C’est une opportunité que nous avons voulu saisir, sans mettre en péril l’histoire de notre
école, sans que ce projet ne fasse de notre école un lieu uniquement identifié par cette
particularité. »
« Il n’est pas question pour nous de préparer l’école à devenir une école à horaires aménagés
musique »
Volonté de garder l’unité et les acquis de l’école avec la diversité de ses engagements, de ne
pas mettre en péril sa stabilité, de ne pas se voir confisquer le fruit d’un travail de longue
haleine, et de ne pas devenir un terrain d’expérience, voire une vitrine pédagogique.
Une école de ZEP, si elle a un peu d’histoire, a vu « passer » nombre de sollicitations et
d’initiatives, qui, dans leur phase de réalisation, se sont avérées moins prestigieuses que dans leur
présentation sur le papier.
Elle a pu constater également l’engouement qu’elle suscitait, par exemple chez les
artistes, quand, nationalement il était suggéré que tout investissement culturel y était le bienvenu.
Il fut une époque où une compagnie artistique pouvait plus facilement redorer son
blason, rencontrer ses subventionneurs, ou simplement faire travailler son équipe en travaillant en
ZEP qu’en demeurant dans le champ de la production artistique.
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Quel enseignant de ZEP n’a pas eu un jour le sentiment d’être engagé dans un projet qui
lui échappait, autant à lui qu’à ses élèves ?
Et puis l’histoire des ZEP a fait apparaître un effet pervers :
A force d’être identifiées comme le lieu où toute initiative (ou presque) autre que
purement scolaire était la bienvenue, certaines classes ont eu des emplois du temps qui laissaient peu
de place au travail des programmes (qui, eux n’avaient pas changé).
A tel point que les activités artistiques, sportives, culturelles finissaient par exister pour
elles-mêmes, déconnectées de leur objectif premier qui était de favoriser les apprentissages
fondamentaux.
Le nombre croissant de familles qui, à l’entrée en sixième, optaient pour le supposé
sérieux des établissements privés (y compris d’autre confession) plutôt que de bénéficier des
innovations des ZEP en dit long sur la lecture que l’on peut faire du terme « discrimination
positive ».
Enfin, en ZEP plus qu’ailleurs, l’enjeu se fait sentir : les ZEP sont un enjeu politique et
financier, nombre de personnes (en mairie ou dans l’administration de l’Education Nationale) veillent
à ce qu’on parle régulièrement et en termes positifs de leur ZEP et des efforts qu’on y consent.
Le correspondant local du journal de la ville ne s’y trompe pas, et répond
prioritairement aux appels des ZEP…
Confiance et vigilance vis à vis du CNR et de ses intentions qui doivent être très
claires.
Il est évident que, bien avant les acquis strictement musicaux, ce que l’école attend d’un tel projet
concerne d’abord ce que nous appelons les objectifs transversaux, socialisation, rapport plus sain à
soi-même, aux autres, aux apprentissages, et, au-delà, à la culture, etc.
Du point de vue du CNR, quels sont les objectifs ?
Qu’est-ce qui fera que cette opération sera jugée positive ou non ?
Les retombées scolaires, la redynamisation de tel ou tel par rapport à son parcours scolaire ?
L’établissement de nouvelles relations de confiance entre l’école et telle ou telle famille ?
Ou bien le nombre d’enfants désireux de continuer la musique, les performances instrumentales, les
comportements dans une production collective, l’investissement des enfants dans le geste musical ?
Ce rapport entre l’école et les autres institutions d’enseignement souligne peut-être une nuance à
éclaircir entre « pour quoi fait-on de la musique à l’école ? » et « pour quoi on en fait ailleurs ? ».
Que signifierait une réponse différente à ces deux questions, à quoi tiendrait-elle ?
Différence de public, de contexte, de motivation, de projection familiale ?
Qu’un même enfant fasse de la musique en un lieu (où c’est une activité obligatoire pour tous) pour
telle et telle raison pédagogique, donc de telle et telle façon, et en un autre lieu (où cette activité ne
concerne que ceux qui « veulent ») pour telle et telle autre raison pédagogique, donc de telle et telle
autre façon, pose un problème.
Les deux lieux sont-ils contradictoires ou complémentaires ?
L’enfant doit-il être considéré différemment à l’école et dans ses loisirs ou alors dans une approche
plus globale qui suppose que son éducation se nourrit de toutes les occasions de la vie sans
cloisonnement mais plutôt en interactions constantes?
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Peut-on se satisfaire de l’hypothèse selon laquelle l’épanouissement d’un enfant dans un cadre ne
peut que rejaillir de façon positive sur les autres contextes de sa vie ?
On est bien sûr tenté de le croire : il ne peut y avoir d’incompatibilité entre les valeurs transmises
au club de foot, à la MJC, dans la famille, au club de majorettes, au CNR et à l’école.
On aimerait ne pas en douter mais la chose ne va pas de soi :
•
Tous les éducateurs sportifs ne transmettent pas le même rapport à la compétition, à la
performance et au sens collectif.
Tous les acteurs de l’enseignement musical ne véhiculent pas la même approche de
l’épanouissement esthétique individuel, de la conformité au patrimoine culturel, du sens de l’écoute
collective.
•
La confrontation avec le public n’induit pas toujours les mêmes options :
Pratique-t-on le football de la même façon s’il s’agit de réinsérer des délinquants dans
une activité collective ou de constituer l’équipe qui représentera votre établissement au tournoi des
grandes écoles d’ingénieurs ?
Un prof de conservatoire a-t-il souvent l’occasion, dans ses cours individuels, de se
confronter aux difficultés affectives, sociales et psychologiques d’un enfant vivant dans un
milieu très défavorisé ?
A-t-il déjà eu à limiter ses objectifs de l’année, par exemple, à ce que l’enfant accepte de
regarder un adulte et de lui dire ne serait-ce que son prénom ?
Le dispositif mis en place
Le dispositif concernera les élèves de cycle III des deux écoles (CE2, CM1, CM2).
Il distingue deux types d’interventions :
les interventions proposées aux classes entières,
et les interventions proposées aux instrumentistes volontaires.
•
Dans chacune des classes concernées, une séance hebdomadaire, assurée par un
musicien intervenant, en présence de l’instituteur (trice), et en liaison à la fois avec le
projet de classe et le projet global du CNR.
8 heures d’interventions en temps scolaires sont envisagées.
• Trois professeurs du Conservatoire viendront hors temps scolaire donner à des élèves
volontaires des cours de batterie (6 h), de violon (12 h) ou de guitare (6 h),
l’instrument étant prêté gratuitement par le Conservatoire.
Dans un premier temps, ces cours seront proposés aux élèves de CM1 et de CM2.
Suite à cette présentation, 3 classes de Galliéni et 3 de Charpentier se déclarent intéressées.
La ZEP assurera les frais de déplacement d’un des musiciens intervenants pressentis, les
autres frais de salaires sont à la charge unique du Conservatoire
( qui, pour cette opération, s’en est tenu au cadre de son quota d’heures allouées à son
activité habituelle, ces heures sont donc soustraites aux heures d’enseignements proposées
13
aux élèves du Conservatoire).
On convient de réunir les parents des élèves fin octobre 2001 pour leur présenter le projet :
la motivation des familles est un atout important de réussite mais aussi leur accord est
nécessaire pour un travail hors temps scolaire.
De plus, les familles devront prendre en charge l’assurance de l’instrument, si l’enfant
l’emporte à la maison (parfois, l’assurance scolaire régulière de la famille prend déjà en
charge un éventuel instrument de musique, parfois, cela représentera un surcoût d’environ
45 €).
Avant cette réunion, durant le mois d’octobre, des séances de présentation des instruments
envisagés auront lieu dans les classes.
Outre le non-engagement de certaines familles qui se montrent dans l’incapacité de se
mobiliser pour une réunion d’information, ce qui limite les candidatures spontanées des
enfants, un « filtrage » assumé et revendiqué par les écoles écarte des candidatures jugées,
du point de vue de l’école, non fiables.
« Ton comportement à l’école, en cours ou en récréation, à la piscine ou dans les activités
extrascolaires comme le sport du mercredi, me fait penser que tu n’es pas capable de
t’investir sérieusement dans l’apprentissage d’un instrument.
Toutes les demandes ne pouvant être satisfaites, je n’accepte pas que tu prennes la place d’un
autre enfant plus capable que toi d’en tirer profit. »
L’école met bien en avant le fait que cette opération est en premier lieu, une action scolaire.
Elle garde ainsi la maîtrise de ses attributions et considère que ce projet doit rester au service des
objectifs principaux de l’école et non de ceux du conservatoire.
Ces objectifs doivent être perçus dans une acception large et à long terme.
Ce ne sont pas les meilleurs élèves ou les plus méritants qui sont retenus, mais bien ceux dont on
pressent qu’ils peuvent scolairement (y compris en termes de rapport au savoir et à l’institution)
progresser grâce à une telle opération.
Madame la Directrice de l’école Charpentier m’a par exemple fait remarquer qu’aucune
candidature d’enfant ni aucune défection de famille ne l’avaient réellement surprise. La liste
définitive des instrumentistes retenus confirmait la connaissance qu’elle avait des enfants et
de leur famille (outre le goût ou non de chacun pour cette activité, dont elle ne pouvait
préjuger).
Même en ZEP, où le seuil d’acceptation de comportements difficiles est, par la force des
choses, supérieur à la moyenne, certains élèves ont du mal à s’investir, sans gêner le reste du
groupe, dans certaines activités extrascolaires.
S’indigner de les voir écartés des activités non obligatoires du mercredi ou d’après classe
relève d’une méconnaissance de la réalité sociale et psychologique de ces enfants, dont le
comportement pose un réel problème.
Les cours d’instrument sont placés soit pendant la pause de midi (avant ou après le repas de
cantine), soit le soir après l’école.
Ils ont lieu dans une salle de classe, ou dans une salle mise à disposition (celle, par exemple,
où est installée la batterie).
Un cours d’une heure s’adresse à 2 ou 3 élèves.
Un cours collectif est prévu ; il regroupe soit tous les violonistes avec leur professeur
14
d’instrument, soit tous les instrumentistes de l’école avec le musicien intervenant.
Accompagnant ce dispositif hebdomadaire, des temps forts sont prévus dans l’année.
Ils donnent l’occasion aux enfants de se déplacer au conservatoire, en famille s’il s’agit
d’une audition un soir en semaine, ou avec leur école s’il s’agit d’un regroupement des
instrumentistes et des chorales de classes ou de cycle.
Une fois le rodage effectué et après défection d’un seul des candidats retenus :
Violon
Guitare
batterie
Galliéni
Charpentier
9
6
4
7
5
4
Avec prêt d’instrument
Avec prêt d’instrument
Avec une batterie à l’école
QUELQUES QUESTIONS ET LEURS ENJEUX
L’observation de séances d’enseignement à Orgeval et au CNR, les entretiens qu’ont bien
voulu m’accorder les acteurs de cette opération, le suivi de cette deuxième année de
fonctionnement ont soulevé des questions tant sur le fond que sur le fonctionnement concret.
Ces questions et leurs éléments de réponse n’ont d’autre objet que de contribuer à aider à ce
que ce travail atteigne le plus efficacement possible ses objectifs.
Je les illustrerai par des comptes-rendus de séances ou d’entretiens.
J’essaierai de fournir des éléments de réponse à ces questions, par des réflexions
occasionnées par des lectures ou des conversations, et aussi par l’observation de séances
d’enseignement auxquelles j’ai pu assister dans les écoles d’Orgeval ou au CNR.
15
Les enfants d’Orgeval sont-ils si différents des autres
dans leur rapport à la chose musicale pour qu’on ne les voit pas
s’inscrire spontanément au CNR de Reims?
J’entends par chose musicale aussi bien la musique que l’on écoute à la maison, que celle
que l’on apprend à reproduire sur un instrument, que celle que l’on chante à la chorale de son
école…
1/ Le rapport à la culture est pour une grande part, transmis par les habitudes familiales et les
images qu’elles véhiculent.
Ecoute-t-on plus de musique en milieu aisé qu’en milieu défavorisé ?
Y écoute-t-on la même musique ?
Difficile de répondre à ces questions sans tomber dans des clichés insupportables et
inefficients.
On n’écoute peut-être pas France Musique dans toutes les familles aisées.
On n’a pas plus de respect pour la musique traditionnelle chez les uns que chez les autres.
Tous les enfants des familles populaires n’entendent pas à longueur de journée leur maman
chanter à tue-tête dans sa cuisine les chansons de la radio ou les goualantes d’antan.
Les enfants d’immigrés ne connaissent pas toujours la culture musicale de leur pays
d’origine.
En transmet-on la même image, y attribue-t-on les mêmes valeurs ?
On sait bien que l’établissement d’une hiérarchie dans les styles, la connotation de valeurs
particulières à certaines époques de la musique savante, ont plus de chances de trouver écho
dans les populations aisées que dans les familles populaires.
Cette affirmation n’a rien de polémique ; elle découle de l’analyse sociologique, souvent
proposée, des conditions d’émergence du modèle de la musique savante classique.
L’évolution de la sociologie l’amène à s’intéresser autant aux images et aux discours
accompagnant des pratiques qu’aux simples statistiques concernant ces pratiques.
Même si on n’en écoute pas ou peu, suivant que riche ou pauvre, on ne produit pas le même
discours sur la musique donc on n’en transmet pas la même valeur .
L’image d’un conservatoire de musique n’est jamais associée à toute la production musicale
disponible.
Quel que soit leur degré d’ouverture, les conservatoires ignorent une énorme partie de la
musique commercialisée, celle qui est diffusée gratuitement sur les ondes.
Cela peut se justifier simplement par la mission de conservation du patrimoine musical qui
est dévolue à ces établissements.
Effectivement, d’un point de vue strictement culturel, on n’imagine pas qu’ils aient à se mettre au
service d’un système commercial parfaitement efficace.
TF1, NRJ et Universal Music n’ont guère besoin du renfort ni de l’adoubement de ces institutions, et
ne le recherchent surtout pas.
Le système de diffusion culturelle en est à ce degré de perversion dans le cloisonnement que chacun
se retrouve conforté dans sa case et s’y épanouit en dépit de ses intentions ou de ses goûts musicaux.
16
De plus en plus, et de plus en plus cruellement, la musique qui rapporte est confiée au système
commercial, et l’état prend en charge la portion congrue, ce que les grands distributeurs n’ont pas
jugé opportun de promouvoir.
Car la rentabilité s’accommode mal de la diversité : même si la vente de pantalons est un chiffre qui
n’évolue pas d’une année à l’autre, il est préférable d’inciter à ce que tout le monde, au sein d’un
groupe auquel on est invité à s’identifier, ait envie du même pantalon, ça coûte moins cher à produire
et ça fidélise la clientèle et la conditionne à aimer ce que tout le monde aime.
TF1, NRJ et Universal Music ont tout intérêt à ringardiser ce qui ne se vend pas.
Et les conservatoires, même s’ils ouvrent le champ des répertoires abordés aux musiques
improvisées, à l’électro-acoustique, aux musiques traditionnelles, se maintiennent
inévitablement dans « la musique qu’on n’entend pas à la radio et qu’on ne voit pas à
la télé ».
Ainsi confortent-ils une image gratifiante auprès de la population qui culturellement peut
échapper à la propagande commerciale.
Ainsi s’inféodent-ils une « élite culturelle » qui attend d’eux qu’ils la confortent dans
ses valeurs et ses références.
TF1, NRJ et Universal Music ont également intérêt à entretenir une image de la
musique qui ne s’apprend pas.
Depuis quelques temps, le travail n’est plus une valeur à mettre en avant, il n’y en aura pas pour tout
le monde et il est nécessaire que chacun intègre cette donnée.
Il vaut mieux instiller l’idée qu’on réussit en faisant capitaliser quelque chose (un portefeuille ou un
don, un talent).
On fait donc « réussir » des gens en les sélectionnant en public, comme dans un grand entretien
d’embauche médiatique, sur, non pas ce qu’ils ont appris, ce qu’ils savent faire, mais sur ce qu’ils ont
en eux, « quel don misent-ils comme capital de départ ? » (enfin, le mot « don » réunit-il dans une
même situation ses deux sens : la qualité innée dont on dispose, et ce que l’on veut bien offrir ).
Les sociologues nous ont expliqué en quoi la notion de don correspondait à une image de l’art qui
gratifiait les classes bourgeoises par exemple à l’avènement de la musique romantique ; et cette
fonction de la culture a su se transmettre aux classes inférieures.
Comme si on parvenait à faire que les « exclus » adhèrent à l’idéologie libérale qui les exclut, ce qui
constitue le raffinement suprême.
Petit à petit s’installe l’idée qu’un art ne s’apprend pas, ne se travaille pas ;
que pour obtenir une gratification sociale de la part d’un art il faut mettre à disposition du marché son
capital talent, le confier à des spécialistes qui le feront fructifier.
Un bon placement en bourse est dix mille fois plus efficace qu’une somme de travail.
Et la culture peut contribuer à faire admettre cette idée, si elle est relayée par TF1, Universal Music et
NRJ.
Les conservatoires, par effet inverse, se voient affublés d’une image « intello, laborieux,
archaïque, sclérosé, suranné, et inefficient », image que certains ont vite fait de relayer
sans voir que c’est faire le jeu de ce qu’ils combattent.
Le paradoxe est que cette image conforte également les classes les plus aisées, celles qui
peuvent se payer le luxe d’attendre de la culture autre chose qu’une réussite sociale.
Ajoutons à ces deux arguments, toutes les connotations sociales (sur l’origine sociale,
ethnique, géographique, d’âge de sexe ) que chacun peut lire dans les comportements du
public lors de n’importe quel concert, et on comprendra que,
17
• d’une part, dans l’imagerie associée, il existe pour chacun d’entre nous, des types de
•
musique qui nous sont destinés, et d’autres qui ne nous concernent pas
d’autre part, un conservatoire de musique a peu de chance d’être assimilé, a priori, à
l’idée qu’une famille d’un quartier populaire comme Orgeval se fait de la musique.
*Voilà pourquoi, dès sa conception, ce projet a prévu et mis en place la possibilité de ne pas
rester enfermé dans le lieu scolaire et dans le quartier.
Régulièrement, toutes les occasions sont saisies de mettre les pieds dans ce superbe bâtiment
du CNR en centre ville.
En fin de trimestre ou à d’autres occasions dans l’année, les enfants sont invités à se rendre
au CNR :
• Avec leur école pour des rencontres musicales entre les deux écoles du quartier, mais
aussi pour rencontrer d’autres élèves d’ailleurs en partageant un moment musical de
production ou d’écoute (par exemple d’une audition de grands élèves) .
• Avec seulement leur prof d’instrument (stage, rencontre avec un musicien invité)
• Avec leur famille pour l’audition de fin d’année par exemple.
Notons la chaleur et la décontraction que Cécile Bolbach, professeur de violon à Orgeval et coordinatrice de
cette opération, sait insuffler à ce genre de cérémonie, veillant à ce que chacun (enfants et parents) se sente à
l’aise.
Les parents se sentent ici chez eux comme à la kermesse d’école, et la prestation des enfants est
donnée dans les meilleures conditions de valorisation sans jugement normatif et sans qu’il y ait une
quelconque performance à réussir à tout prix.
Les familles qui accompagnaient leurs enfants à la rencontre avec Camel Zekri dans le grand
auditorium du conservatoire, montraient autant le fait que ce lieu leur était familier (on pouvait s’y
rendre avec landaus et poussettes) que le fait qu’on y entrait surtout pour écouter de la musique.
La chose ne va pas de soi et les comportements des familles résultent d’une démarche
d’accompagnement dont on devine qu’elle a été mûrement réfléchie par les enseignants;
quel lieu public n’est pas intimidant pour qui ne le fréquente jamais ?
*Voilà pourquoi Cécile Bolbach intègre systématiquement dans sa séance collective
hebdomadaire, une séquence d’écoute d’extraits musicaux.
La règle du jeu est très simple :
A la fin de cette séance, qui regroupe les 20 violonistes des deux écoles, on écoute deux ou
trois musiques amenées par les enfants, et on écoute une ou deux musiques amenées par
Cécile.
On dit pourquoi on les a choisies et pourquoi on les aime.
Les deux fois où j’ai assisté à ce moment, les musiques proposées par les enfants étaient des
chansons connues de tout le groupe, dont les refrains étaient repris en chœur par tous.
C’étaient des artistes de popstars ou de la star academy (Laury, Jean-Pascal).
Les enfants avaient en général très peu de choses à dire sur leur choix.
Cécile les incitait à avoir une action sur l’écoute (frapper la pulsation, reconnaître une
intervention instrumentale,..).
Elle ne se privait pas de donner son avis sur une certaine pauvreté musicale de l’œuvre,
visiblement ce droit lui est attribué et ne change en rien la perception par les enfants.
Cécile s’efforçait de présenter son extrait avec une grande sobriété, sans en rajouter sur le
contenu de l’œuvre mais plutôt sur les gens qui jouent(« c’est un ami à moi » ou « il aime
faire tel genre de choses » ou « il est venu l’an dernier au conservatoire »).
Les deux musiques ne sont pas présentées en concurrence ou en opposition, mais l’une à
côté de l’autre, parce que c’est aussi de la musique, et qu’on peut et doit s’en servir pour
apprendre.
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*Voilà pourquoi François Eberlé, musicien intervenant dans les classes d’Orgeval, s’amuse
avec des élèves à inventer des paroles sur un air de Mozart pour en faire une chanson.
Ecoute-t-on Laury en séance de FM au CNR ?
Doit-on rendre ce service à l’industrie du disque ou camper sur ses positions culturelles ?
Cette question se pose-t-elle plus ici que là-bas ?
2/ Qu’implique et que signifie « être parent d’élève au CNR »
Le fonctionnement d’une scolarité au CNR procède d’une exigence de qualité.
On considère, et qui oserait le contester, qu’apprendre à être musicien, c’est bien plus ou
bien autre chose que s’imprégner d’une technique instrumentale.
Une véritable formation musicale suppose dès le plus jeune âge une pratique collective du
chant, puis de son instrument, une séance hebdomadaire de Formation Musicale qui intègre,
au-delà de l’apprentissage de l’écrit musical, l’écoute, la créativité, et une voire deux séances
hebdomadaires d’instrument.
Cela implique des obligations aux familles, obligations qui induisent un modèle du bon
parent d’élève .
Un bon parent d’élève du CNR est une personne qui peut :
•
•
•
•
•
•
emmener son enfant (disons jusqu’à 11 ans, âge en dessous duquel il est peu
autonome dans ses déplacements en ville) 3 à 4 fois par semaine au CNR.
éventuellement assister à son cours d’instrument (c’est suggéré en première année
pour quelques rares instruments). De plus, si le cours dure ½ heure, autant rester sur
place.
éventuellement vérifier que son enfant travaille son instrument à la maison, fait ses
devoirs régulièrement en solfège (j’écris volontairement « solfège » parce que si
devoirs il y a, il ne peut s’agir que de la partie solfège de la FM).
acheter les manuels méthodes et partitions
assister à quelques auditions en dehors des horaires habituels
se rendre disponible pour quelques répétitions supplémentaires
Cette option louable d’un enseignement de qualité est-elle compatible ou antinomique avec
l’option d’un enseignement pour tous ?
Ces contraintes sont rédhibitoires.
Quelle famille monoparentale peut s’y soumettre ?
Quelle famille nombreuse, ne disposant pas de deux véhicules ou de deux titulaires du
permis de conduire, vivant dans un quartier périphérique de la ville ?
Quelle famille dont les deux adultes travaillent 35 h ?
Ou bien, quelle gratification personnelle les parents doivent-ils y trouver pour consentir à
tant d’efforts ?
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Voir conforté son statut social de bon parent attentif à l’épanouissement de ses enfants, de
personne concernée par la culture (et quelle culture !) ?
Reproduire et pérenniser cette « distinction » ?
Réaliser par son enfant ce qu’on pense avoir raté soi-même ?
Faut-il
- travailler dans l’enseignement
- supporter qu’un des deux parents ne travaille pas
- embaucher du personnel supplémentaire
- adhérer à un réseau d’entraide
pour accéder à la qualité des enseignements du conservatoire ?
Le modèle du bon parent d’élève, induit par les horaires, les contenus, les exigences des
professeurs, produit son effet pervers.
Il s’auto-entretient et même s’auto-amplifie sous forme d’un phénomène en boucle :
« je suis une maman du CNR donc je fais tout pour m’en montrer digne »
et
« j’ai affaire à des parents qui font de grands efforts ou de grands sacrifices pour offrir cette
chance à leur enfant donc je dois leur donner et leur demander le maximum ».
Et plus je consens à ce qu’il y a de mieux pour mon enfant et plus on me propose plus et
mieux pour lui, et plus j’attendrai de mon enfant qu’il se montre, par son investissement,
digne du mien.
Et plus j’accepte ce fonctionnement plus j’installe, par transfert, une relation trouble (mais
souvent efficace) dans l’entretien de sa motivation.
D’autant qu’ici l’enfant est évalué, son admission n’est pas acquise à vie; elle est
régulièrement soumise à de bons résultats d’évaluations.
Ces observations valent aussi pour l’adhésion, par exemple, à un club sportif qui inscrit ses
adeptes dans des compétitions :
les parents sont sollicités pour les transports et les entraînements, il faut qu’eux-mêmes
adhèrent au projet et qu’ils en donnent la preuve en transmettant, si nécessaire, la
gratification qu’ils y trouvent à leur progéniture.
Voilà pourquoi il est nécessaire de proposer des cours en bas des immeubles (dans les
locaux scolaires ou ailleurs) ; pour que ce ne soit pas plus compliqué que d’aller à l’activité
sportive organisée par l’USEP.
Que s’installe l’image aussi évidente, le mercredi matin de voir des enfants partir au foot
avec leurs chaussures dans un sac et d’autres au violon, leur étui à la main.
Voilà pourquoi il importe de ne pas surcharger le travail, par exemple en considérant que
les 45 mn proposées à toute la classe par le musicien intervenant sont assimilées (dans le
cursus) aux 1h45 de FM au CNR.
(nous verrons vers quel écueil ce principe nous emmène).
Voilà aussi en quoi la réussite de cette opération tient pour une si grande part à
l’investissement affectif dans la relation mutuelle entre enfants et professeurs.
En effet, ici, les enfants n’ont pas sur les épaules cette pression presque malsaine et
sournoise des nombreux sacrifices (certes si gratifiants) consentis par leurs parents.
Ils sont motivés principalement par le plaisir (ne comptant pas toujours sur leurs parents
pour leur rappeler que c’est l’heure du cours de guitare) et, en substitut, parfois nécessaire,
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par l’affection pour leur professeur.
Il est tellement symptomatique de voir à Orgeval, comme les profs aiment à le raconter, un
enfant descendre en courant les escaliers de son immeuble, en chaussons, son paquet de
chips dans une main et sa guitare dans l’autre, parce qu’il vient tout juste de se souvenir
qu’il avait cours à 12h45 avant de reprendre l’école.
Peut-on imaginer cette scène au CNR ?
Mais cette absence de connotation culturelle et sociale permet peut-être aux élèves d’Orgeval
d’aborder la musique avec moins d’a priori que les autres.
Cécile Bolbach raconte la participation d’une quinzaine de ses élèves d’Orgeval à un stage
« musique et danse », organisé au conservatoire, pendant les vacances d’hiver, avec la
Compagnie Larsen, résidant au manège, Scène Nationale de Reims.
Signalons, pour souligner que l’inscription des élèves d’Orgeval n’est pas encore totalement
passée dans les mœurs, que le courrier, informant de la tenue de ce stage, n’avait pas été
adressé par le secrétariat aux familles d’Orgeval.
Cécile ayant réussi à intégrer ses élèves dans ce stage, basé sur le volontariat, a pu
constater une grande capacité de mobilisation des familles, preuve d’une confiance acquise
dans ce que pouvait leur proposer le CNR.
Non seulement les élèves d’Orgeval ont participé nombreux et assidus, mais Cécile a noté
chez eux moins de réticence à se prêter au jeu d’une approche différente du geste musical.
Il s’agissait d’aborder la recherche sonore à partir d’explorations corporelles :
comment rendre compte musicalement sur son instrument de déplacements ou de sensations
corporelles.
Là où des enfants du public habituel se montraient rétifs à une façon peu orthodoxe
d’envisager la musique (pas de rapport à l’écrit, pas de reproduction de sons déjà
entendus : « on ne fait pas de vraie musique »), les élèves d’Orgeval s’investissaient sans
retenue dans les exercices proposés. Ils évoquaient avec joie ces quelques jours passés avec
la danseuse lors de la séance collective du mercredi de rentrée.
Peut-on aller jusqu’à dire, sans tomber dans un angélisme suspect, que ces enfants sont
capables de plus d’enthousiasme que les autres ?
Moins habitués à faire les choses pour se conformer à ce qu’on attend d’eux ou par simple
docilité scolaire, ils réfrènent peut-être moins leurs envies premières.
Il me faut raconter une autre séance facultative un mercredi au CNR où tous ou presque ont
su se mobiliser.
Camel Zekri, musicien, joueur de oud et de guitare, influencé par sa culture musicale nord
africaine était en résidence au CNR.
Une master class était organisée, proposée aux guitaristes.
Une séance spéciale était organisée pour accueillir tous les volontaires d’Orgeval,
guitaristes, percussionnistes et violonistes .
Dans le grand auditorium du CNR, des familles entières accompagnaient leurs enfants, avec
landaus et poussettes et assistaient à la séance.
Le travail consistait en des improvisations dirigées, avec un matériau musical très limité (jeu
sur une seule note, rythme en ostinato).
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L’écoute collective était privilégiée pour permettre un travail sur les nuances et sur les
intentions de jeu.
Après deux heures de travail le musicien déclare la séance terminée.
Mais les deux enfants percussionnistes n’en avaient visiblement pas assez et c’est très
spontanément qu’ils ont relancé le jeu, sans un mot, mais en jouant l’ostinato qu’ils avaient
eu à assurer durant une bonne partie de la séance, rejoints, dans la musique et sans
consigne, petit à petit, par tous les autres enfants.
L’événement fut souligné par Cécile qui suggéra que c’était la meilleure façon de remercier
Camel pour le moment musical passé ensemble.
3/ Quel rapport aux institutions a-t-on dans un quartier défavorisé ?
Dans un quartier où l’image de nombreuses institutions d’Etat est dégradée, (rapports peu
valorisants avec le travail, les organismes logeurs, la police, les organismes sociaux, et
même parfois les institutions de loisirs éducatifs), il est fréquemment reconnu que l’école est
le seul refuge des valeurs collectives.
Elle est en général respectée, y compris par les grands frères adolescents ; beaucoup plus
rarement saccagée ou agressée que la MJC ou que le bureau de police.
Elle garde souvent cette image de seul lieu égalitaire où les valeurs démocratiques sont
respectées et transmises.
Ce statut de « sanctuaire républicain » lui confère une reconnaissance, mais aussi, a pour
effet inverse de discréditer les autres institutions qui prennent en charge les moments non
scolaires de l’enfant.
En classe, un enfant fait moins facilement référence à ce qu’il a appris au cours de Turc du
mercredi ou à l’école coranique du samedi, au centre social ou même en famille, que s’il
s’agissait, ailleurs, de raconter son cours de danse ou son audition de violon au conservatoire
(dont on n’a pas de raison de douter du regard qu’y portera le maître).
Très souvent, des rapports de grande confiance sont établis entre l’école et les familles,
rapports que celles-ci ne connaissent pratiquement pas avec d’autres institutions.
La Directrice d’une école de ZEP joue aussi bien un rôle de confidente que de conseillère
ménagère.
Alors que la défiance est de mise à l’égard de toutes les initiatives émanant du pouvoir
municipal ou étatique, l’école peut accréditer ces initiatives grâce à son image positive dans
la quartier.
22
Tout ce que représente symboliquement le relais assuré par l’école
pour cette opération
Question du droit :
Une institution considère que j’y ai droit même si je sais que d’autres payent pour ça.
L’école qui me connaît bien s’en porte garante.
Fait que l’école accueille :
Je vois mon école autrement et l’école me fait voir le conservatoire autrement.
L’école, référence principale pour moi et pour ma famille, considère que cela fait partie
intégrante de mon éducation.
Elle agit pour cela et pose cet acte dans le cadre de son rôle (reconnu) dans l’intégration
sociale.
On peut supposer que sans le soutien et la caution apportées par l’école, la méfiance aurait
prévalu.
Transfert de compétences :
L’école admet que certaines compétences ne sont pas en sa possession mais elle les intègre
en ce sens qu’elle affirme leur place dans l’éducatif.
L’objet confié :
Il a de la valeur financière et symbolique culturellement: c’est autre chose que les triangles
et xylophones de l’école, c’est autre chose que les synthés de la télé.
On m’en donne à moi et à ma famille la responsabilité.
La compétence particulière de chacun reconnue :
Je sais faire avec cet objet des choses que ni le maître ni d’autres élèves ne savent faire.
On utilise, dans des moments de l’école, des compétences qui ne me viennent pas de l’école
(c’est très rare).
23
La pédagogie musicale doit-elle et peut-elle être la même au
Conservatoire et à Orgeval ?
Cette question est cruciale.
Elle pose à la fois le problème des objectifs de cet enseignement et de la cohérence dans
le temps d’une action comme celle qui est menée à Orgeval.
En effet, si l’action du CNR, dans le quartier Orgeval, avec le soutien (pas seulement
logistique mais essentiel) des écoles, s’impose de demeurer circonscrite aux objectifs des
écoles et de la ZEP, les contenus, les méthodes, les modes de sélection et d’évaluation
reflèteront nécessairement cette approche.
L’action auprès d’un enfant sera évaluée suivant des critères qui vont bien au-delà des
simples compétences musicales, mêmes prises dans leur acception la plus large.
Je tiens à souligner l’écueil de cette approche trop scolaire de la musique à l’école.
Mon expérience de musicien intervenant en ZEP m’a parfois amené à répondre, peut-être
maladroitement, en tout cas de manière peu satisfaisante de mon point de vue, à des demandes qui
n’avaient plus grand chose de musical .
Travailler la discrimination auditive pour préparer à l’apprentissage de la lecture peut se faire à
l’aide d’instruments de musique, mais quand l’objectif affiché est à ce point spécifiquement
didactique, il est difficile de rester très musical dans ses interventions.
Et si justement cette nuance dans la largeur de l’acception était la question fondamentale ?
Si la confrontation à l’école de tous amenait un établissement d’enseignement musical à questionner
ses propres critères ?
A se demander d’abord en quoi son enseignement participe à l’épanouissement global de ses élèves
plutôt qu’à ne considérer que des performances.
Après tout, l’école est tous les jours amenée à adapter ses objectifs aux élèves qu’elle rencontre :
- depuis que tous les élèves sont sensés entrer en sixième, les professeurs de collège ne se contentent
plus de geindre sur le niveau qui baisse, ils ont bien dû repenser l’importance de l’orthographe par
rapport à celle de la lecture
- chaque maître de CP sait se fixer, comme but d’une première année, la simple tenue correcte du
stylo pour les uns, et la lecture maîtrisée pour d’autres.
Et si justement, cette confrontation à un public non acquis (on a vu précédemment ce que
sous-tend l’expression de public acquis) était l’occasion inespérée de repenser les objectifs
d’un CNR ?
Si les enfants d’Orgeval étaient comme le loup que l’on introduit dans la bergerie ?
Faîtes-moi de la place, j’arrive, j’y ai droit, vous me le devez.
Mais soyez prévenus je suis à la fois très gourmant et délicat, mon appareil digestif exige
qu’on repense la cuisine.
Encore faut-il qu’à un moment ou un autre on envisage que les élèves d’Orgeval ne
bénéficient plus d’un régime spécial (allégé, prédigéré, appauvri ou enrichi).
On doit peut-être considérer cette action dans un temps limité, comme tentative d’amorce,
comme action spécifique reconnue nécessaire pendant une période très précise de la vie
24
scolaire de l’enfant (son cycle III d’école élémentaire par exemple) .
Auquel cas il est urgent de garder toujours présente à l’esprit l’idée qu’à partir de la sixième,
les enfants d’Orgeval seront prêts à « suivre » le régime Conservatoire.
Cette idée est séduisante à plus d’un titre :
Elle élimine d’emblée l’écueil insupportable d’une enseignement à deux vitesses, d’une
version light consentie aux plus démunis.
De plus, elle ne précise pas de qui on doit attendre un effort pour que la continuité entre
Orgeval et le CNR soit assurée.
*Laissons le temps au temps :
combien de fois ai-je pu constater que des élèves que j’avais envoyés au collège, sans
m’illusionner sur les difficultés qu’ils y rencontreraient, y avaient effectué un parcours plus
que satisfaisant leur permettant d’envisager le baccalauréat sans problème.
La maturation n’est peut-être pas la même chez tous et dans tous les milieux .
Je formule, par exemple, l’hypothèse que la culture nord-africaine de la famille ne jalonne
pas les mêmes étapes de maturation de l’enfant que la nôtre.
Un enfant n’est pas encouragé à grandir aux mêmes âges : un garçon maghrébin vit une
relation maternelle protectrice plus longtemps ; par contre son passage à un âge plus
responsabilisant s’effectue de façon plus nette et radicale au début de l’adolescence.
Les arguments qui nous font supposer que, pour toutes les raisons évoquées jusqu’à présent,
il n’est pas raisonnable d’envisager une inscription d’un enfant d’Orgeval en cours
traditionnel au CNR dès l’âge de 6 ou 7 ans, ne doivent pas être considérés comme définitifs
mais comme provisoires.
Il est fort probable que l’âge charnière de la préadolescence soit l’occasion de l’estompage
des différences culturelles ; la période, par exemple, où un jeune, confronté à d’autres
milieux par le nouveau brassage de populations du collège (quand il a lieu), peut décider,
indépendamment des traditions et du poids culturel en vigueur dans sa famille, de ce que
seront ses options ses choix en matière de formation et de loisirs.
*Excellence
et démocratisation
Les termes sont-ils compatibles ?
Au-delà des vœux pieux et des slogans démagogues du style « le meilleur pour tous », que
signifie cette dualité dans le domaine artistique ?
Non seulement l’art échappe par essence aux critères quantifiables (que veut dire le meilleur
dans ce cas ?) mais l’art est, par essence, le lieu suprême de la distinction et non de la
conformité.
De ce point de vue l’expression « culture de masse » est une hérésie.
La même exigence de qualité…
Excellence est un mot à interroger du côté émetteur comme du côté récepteur. Quelle
résonance a-t-il dans le propos de la directrice du CNR, quelle place a-t-il dans le système
de valeurs esthétiques et commerciales qui fait référence en France au XXIème siècle ?
Est-ce que cela ne se sent pas dans l’attente exprimée par les parents d’élèves ?
Ceux d’Orgeval accèdent par le CNR à un droit civique qui les met en situation d’égalité concernant
l’ascenseur social que peut constituer la musique, les familles aisées du centre ville consomment ce
droit acquis et ne lui accordent « qu’» un intérêt culturel (épanouissement, loisirs, …).
25
L’entretien que j’ai pu avoir avec Nathalie Méllée, Directrice de Faubourg des Musiques à Lille, est
à cet égard, assez édifiant.
Cette expérience procède, dans sa genèse, d’un constat de la part de la municipalité de Lille :
l’offre publique en matière d’enseignement musical ne se répartit pas dans les faits de manière
démocratique auprès de la population lilloise.
Malgré l’existence, ici, d’annexes de quartier du CNR, les tranches les plus populaires de la
population n’ont pas un même accès, pour diverses raisons, aux enseignements du conservatoire.
Une initiative est donc prise, sur proposition d’une dumiste, Nathalie Méllée : créer une autre école
de musique dans les quartiers sud de Lille, le faubourg de Béthune.
Elle s’appellera Faubourg des Musiques, et sera implantée dans les locaux libres d’une école du
quartier.
L’option est avant tout pédagogique : envisager l’enseignement de la musique sans poser comme
préalable une maîtrise du code écrit, développer avant toute chose la curiosité à l’égard du monde
sonore, donner à l’enfant la possibilité d’explorer non seulement différents instruments mais
différents dispositifs sonores.
L’organisation repose sur de nombreux ateliers d’improvisation et d’exploration sonore.
La souplesse permet aux enfants de passer suivant leurs envies d’un atelier trompette à un atelier
violon ou clavier…
Les animateurs sont des dumistes spécialisés chacun dans leur instrument.
Parallèlement, Nathalie Méllée intervient régulièrement dans les classes de deux écoles du quartier.
Une vidéo de séances publiques de fin d’année nous montre des enfants improvisant des séances
instrumentales sans partition, en produisant les sons les plus variés avec des instruments de lutherie
conventionnelle ou sur des dispositifs fabriqués .
Visiblement les enfants sont très investis dans des productions de sons les plus bizarres (trompettes
dans une bassine d’eau ou résonnant sur des peaux de tambours par exemple) et dans une
organisation très déterminée.
Ils jouent plus qu’ils n’exécutent des duos ou des trios avec d’autres et aussi avec le professeur, où la
notion de note juste ou propre ne semble pas être une contrainte ni une référence esthétique.
Une séance d’improvisation à trois violons montre une grande conscience des durées et de la
pulsation ainsi qu’un impressionnant investissement corporel dans un geste musical.
La possibilité est donnée à chacun, soit de continuer à fréquenter cette école (gratuite), soit
d’aborder, à l’annexe de quartier, l’apprentissage plus systématique de la technique de l’instrument
qu’il a choisi.
Quelques élèves choisissent également de mener parallèlement les deux.
Malgré un bilan (après deux années de fonctionnement) très positif en ce qui concerne les options
pédagogiques affichées, quelques constats de la part de la Directrice de Faubourg des Musiques
viennent étayer mes réflexions sur d’éventuelles dérives de ce genre de démarche.
Nathalie Mellée fait ce constat curieux :
Faubourg des musiques, dispositif conçu pour permettre à des enfants de milieu défavorisé
d’accéder aux enseignements artistiques, enseignement qu’on a affiché résolument novateur
(« autre chose que ce que j’ai vécu en école de musique » NM), ne passant pas par
l’apprentissage, a de plus en plus de mal à attirer les familles du quartier (notamment les
maghrébins qui recherchent un enseignement plus rigide, demandent à ce qu’on y apprenne
sérieusement un instrument et un code, peut-être en référence à leur culture où le maître a le
26
pouvoir et le savoir….) et se détourne progressivement de ses objectifs sociaux.
N.M : « on attire de plus en plus les bobos lillois, qui sont prêts à traverser Lille pour offrir
à leur enfants un enseignement moins rigide, plus créatif qu’en école de musique, où leur
enfant s’éclate, ne subit pas la pression des examens, aborde la musique de façon ludique »,
(vocabulaire assez identifiable et identifiant).
Outre le fait que des gens pour qui l’aspect financier n’est pas un obstacle, profitent d’une
discrimination positive qui ne leur était pas destinée, ça pose un problème que je trouve
comparable (à l’inverse) à un constat souvent fait en ZEP :
les familles d’immigrés les mieux intégrées, ayant un emploi, des enfants brillants ou en
réussite scolaire, « fuient » la ZEP à l’entrée en sixième, quitte à s’inscrire en établissement
catholique privé.
on ne demande pas l’innovation, la discrimination positive, les actions culturelles financées
par la ville, les projets novateurs autour du théâtre, du conte ou de la marionnette, on veut
du travail sérieux…
Inversion maligne :
On pense que les contraintes sociales nous obligent à revoir notre pédagogie, à innover, à ré
étalonner les contenus, les objectifs, les démarches, dans un élan généreux qui veut admettre
une différence de facilité d’accès, combattre une inégalité qui favorise les milieux bourgeois.
Et les choses s’inversent : les « bourgeois » sont séduits par cette modernité (encore qu’on
voit peu de « bourgeois » inscrire leurs enfants en ZEP, parce que l’école c’est sérieux, faut
pas rigoler avec ça), et les « pauvres » n’y voient pas du tout une chance mais un obstacle,
voire un leurre .
Ce qui pose une nouvelle fois la question de la perversité de la notion de discrimination
positive.
J-P Michéa, sociologue, auteur d’« enseigner l’ignorance », une analyse de l’adaptation du
système éducatif à la mondialisation libérale, pose cette question :
Est-ce qu’on se soucie de rénover la pédagogie quand il s’agit de former les élites ?
La pédagogie des grandes écoles d’ingénieurs ou de cadre de la nation reste très
traditionnelle malgré P Mérieux, et fait parfaitement l’affaire…
*François Eberlé, le musicien intervenant en formation musicale auprès des classes et des
groupes multi-instrumentistes d’Orgeval, complète son service par une heure de formation
musicale au CNR en cycle I.
Ceci témoigne d’une volonté de cohérence et d’harmonisation de la part du CNR et
démontre son intention de contrôler d’éventuels écarts entre les deux lieux.
Ceci me fournit un excellent moyen de comparer ce qui se fait ici et là-bas.
La même personne ne propose pas exactement les mêmes activités aux deux publics, ne les
évalue pas selon les mêmes critères et ne les exerce pas tout à fait aux mêmes compétences.
Les interventions en école privilégient le chant.
Le travail, à partir de chants à une ou deux voix, aborde de façon très joyeuse et très
musicale les paramètres musicaux d’intensité, de hauteur et de rythme.
La finesse des départs collectifs, la régularité de la pulsation, le jeu sur les nuances, sont
tout à fait remarquables.
27
La musicalité de chaque moment est absolument indéniable.
Le rapport à l’écrit, comme le préconisent nos instructions officielles, n’est abordé qu’à
l’occasion, sans faire l’objet d’un apprentissage systématique, mais sans constituer non plus
un tabou.
On ne peut s’empêcher de remarquer une différence avec la séance de FM d’un mercredi au
CNR, avec des enfants pour la plupart plus jeunes .
Le chant n’est plus là que comme support de départ au travail systématique sur la lecture
chantée ou sur la reconnaissance d’un intervalle.
Le rapport à l’écrit reste prépondérant, et les enfants affichent de grandes compétences dans
ce domaine.
Mais la joie de chanter collectivement semble moindre, de même que l’attention portée sur
la musicalité du chant.
Il faut dire que ce jour-là, en fin de second trimestre, les enfants ont à faire remplir leur
bulletin d’évaluation.
François convient qu’il ressent une certaine pression diffuse, inconsciente, sans l’attribuer
ni à ses collègues ni à sa hiérarchie.
Elle semble plus tenir au lieu et à l’image qu’il porte.
Il n’empêche que dans le strict domaine du rapport à l’écrit, les compétences sont, selon
François, bien supérieures à celles développées à Orgeval :
« on peut aller très loin avec ces enfants-là ».
Mais, en évoquant le sujet avec ses collègues de FM, François me confirme que le discours
en vigueur (la FM est depuis deux ans l’objet d’une refonte fondamentale) accorde une plus
grande importance aux compétences telles qu’il les met en avant à Orgeval :
« Ne mettons pas la charrue avant les bœufs, pratiquons, inventons, écoutons avant de
trouver l’écrit comme support à notre mémoire ou à notre invention.
Un enfant parle avant de se confronter à l’écrit, sinon l’écrit n’a pas de sens. »
Mais le CNR est une vieille maison et les habitudes n’y changent pas plus vite ni moins vite
qu’ailleurs.
Le jour où un élève arrivera d’Orgeval après ses trois années de violon avec Cécile et ses
trois années de musique en classe avec François, ses lacunes dans certains domaines mais
aussi ses envies et ses compétences dans d’autres domaines (jeu collectif, attention au son,
musicalité) feront peut-être accélérer le processus de rénovation; ou alors il sera déçu…
*L’instrument est porteur de références :
Quand on pose aux professeurs d’instrument intervenant à Orgeval la question de la
continuité de l’enseignement entre Orgeval et le CNR, la réponse est différente suivant
l’instrument.
Le prof de percussions n’imagine pas de souci majeur, visiblement plus familier d’un
enseignement global, où l’écoute et le geste comptent au moins autant que le rapport à
l’écrit.
Cécile, prof de violon, croit savoir qu’en dépit d’une sincère volonté d’accueillir avec
bienveillance ses élèves d’Orgeval, ses collègues du CNR risquent d’être quelque peu
désorientés.
Entre ces deux positions, le prof de guitare admet un écart entre sa méthode à Orgeval et
celle qu’on pratique au CNR.
28
*Que savent les enseignants du CNR de l’expérience menée à Orgeval ?
L’intérêt est perçu de façon très disparate.
On peut passer une année scolaire au conservatoire sans en entendre parler (ou très peu).
La chose n’est pas présentée dans l’établissement comme l’événement de la période, elle
n’occupe pas une plus grande place que les autres initiatives novatrices (master class,
compositeurs invités ou ouvertures de nouvelles classes).
Si des enseignants s’y intéressent, ce sera à titre personnel, et sans supposer qu’elle peut
rejaillir, à sa façon, sur la rénovation des enseignements.
Suivant leur sensibilité personnelle, les uns se réjouiront de cet apport de sang neuf (sans
parler de coup de pied dans la fourmilière), les autres la jugeront au mieux anecdotique.
*En fin de première année de cette opération, les professeurs d’instruments d’Orgeval ont
tenu à ce que leurs élèves soient entendus par leurs collègues du CNR.
Suivant les critères habituels des profs d’instrument, aucune différence flagrante ne fut
constatée; l’année de familiarisation à l’instrument et d’intégration de la tenue et du geste
s’était visiblement déroulée identiquement ici et là-bas.
29
Le conservatoire est-il l’école de toutes les musiques ?
Est-il la seule école de musique ?
Contrairement à une rumeur apparemment infondée, l’enseignement dispensé en
conservatoire, n’est pas de la part de ses praticiens, l’objet d’un ostracisme jalousement
entretenu.
Du professeur qui envisage très bien une suite à son enseignement hors les murs , entre
d’autres mains, à celui qui recommande à un de ses élèves de continuer la pratique dans une
harmonie, en passant par le prof d’instrument qui monte parallèlement à son cours au CNR
une petite école de musique dans son village (un peu comme un médecin qui aurait ses lits à
l’hôpital et son cabinet en ville ), laquelle petite école argumentant sur « la qualité du CNR
sans ses contraintes », nombreux sont les enseignants qui envisagent leur enseignement
comme une possibilité parmi tant d’autres.
Il est couramment admis que le régime CNR ne convient pas à tous, et que d’autres solutions
existent (plus faciles à trouver pour le saxophone ou la guitare que si l’on veut continuer la
harpe ou le clavecin).
D’autre part, nous avons déjà noté que toutes les musiques n’ont pas leur place au
conservatoire.
La place encore très prépondérante de la musique écrite écarte certains répertoires.
Si je désire affiner ma technique de clavier pour intégrer un groupe de reggae, les profs de
piano du CNR ne me seront peut-être d’aucun secours.
Si je désire apprendre l’accordéon, le conservatoire n’a rien à me proposer ; une école privée
existe en ville.
Si je veux simplement accéder à un ordinateur équipé pour composer de la musique de
support à mes textes de rap, le CNR n’est pas en mesure de répondre à ma demande.
De même si ma demande est limitée à la classe chanson (sans FM, et sans apprentissage d’un
instrument), je trouverai plus facilement réponse en MJC qu’au CNR.
Que de musiciens, à qui je demandais de me raconter leur formation initiale, m’ont accordé
cette réponse cliché : « le conservatoire mène à tout à condition d’en sortir » !
Comme si le bagage culturel et technique fourni (et rarement contesté) ne s’était pas révélé
utile quand il s’est agi de devenir musicien de musique non écrite.
Comme si la compréhension intrinsèque des systèmes harmoniques ne favorisait pas la
mémorisation et l’assimilation d’une structure.
Comme si la connaissance des musiques savantes ne donnait pas d’outils pour aborder
d’autres musiques.
Un bon contrebassiste de conservatoire se montrera plus apte à passer du reggae au folklore
tzigane ou à la musique improvisée qu’un instrumentiste ayant appris uniquement à jouer de
la basse dans son groupe de reggae ne pourra changer son répertoire.
Méfions-nous de ces discours qui dénigrent la nécessité d’apprendre, qui ne comptent que
sur le feeling.
30
Si le but est qu’à 15 ans, un jeune soit
• outillé pour décrypter la mélodie et l’harmonie d’une chanson qu’il a envie de jouer
sur sa guitare ou son piano,
• qu’il ne soit pas démuni pour jouer avec deux copains,
• qu’il soit capable de choisir le son de guitare le plus approprié à l’ambiance sonore
qu’il veut suggérer,
• qu’il sache à quel endroit il peut moduler ou trouver la cadence d’une composition
qui lui trotte dans la tête
• qu’il ait le goût, la curiosité et les outils d’analyse directe pour écouter des musiques
qui ne lui sont pas familières
alors on trouvera certainement que ni la fanfare ou l’harmonie locale, ni les cours particuliers
chez un prof privé ou en école de batterie et de synthé, ni les structures proposées par les
MJC ne fourniront une telle formation musicale complète.
Outre ces considérations, il reste que la puissance publique aide financièrement les
conservatoires et écoles municipales de musique et que cet argument prévaut sur bien
d’autres en ce qui concerne la problématique de l’accès démocratique aux enseignements
musicaux.
31
COMMENT CONCLURE ?
Reposons-nous confortablement
sur la tonique
Ne boudons pas notre satisfaction, l’expérience menée par le Conservatoire de Reims auprès
des publics scolaires du quartier Orgeval, là où elle en est actuellement, ne peut que susciter
un bilan d’étape plus que positif.
La façon dont l’articulation école-CNR a été pensée, le souci d’éviter la ghettoïsation autant
que la prise en charge excessive, la finesse d’approche des délicats problèmes d’image,
l’investissement plus que professionnel des enseignants, trouvent une réponse très positive
dans l’enthousiasme et l’assiduité des enfants et dans la confiance des familles et des écoles.
Des enfants que tout prédisposait à ne jamais avoir un violon dans leur chambre, à ne pas
connaître de la musique autre chose que les chansons de l’école et les tubes de la radio, à
ignorer l’existence même des salles de concert, ont pu approcher et vivre concrètement ces
petits bonheurs et surtout imaginer que cela pouvait les concerner.
On peut effectivement considérer cette expérience comme close à la fin de l’école primaire
et laisser planer le doute sur la suite que chacun lui donnera, en se déterminant hors de toute
contrainte, comme si une infinité de choix se présentait à lui.
Comme si cette expérience restait un projet purement scolaire et limité dans ce temps-là de
l’école.
Comme si la suite à donner à cette aventure était une autre chose.
32
Laissons quelques questions
en suspens sur la dominante
Insistons sur le fait que de riches moments se sont gravés dans les mémoires, que des graines
ont été semées et qu’il n’est pas urgent d’en récolter les fruits.
Plus que les techniques apprises et acquises, il faut peut-être se dire que ce qui compte, ce
sont les inhibitions levées, les barrières psychologiques détruites.
Un instrument de musique, une salle de concert, l’idée d’apprendre la musique, ne sont plus
des jouets inaccessibles.
Un jour ou l’autre les marques de ces trois années permettront peut-être d’envisager ce qui
aurait été balayé d’un revers de manche par crainte ou ignorance.
Le passage à l’adolescence, les rencontres, le hasard pourront provoquer l’occasion.
Est-ce le moment d’applaudir ou n’en sommes-nous qu’à la
fin du premier mouvement ?
L’histoire récente des opérations de développement culturel ou d’insertion sociale souligne
un des points les plus importants à prendre en considération : l’inscription du projet dans les
durées, celle du moyen et celle du long terme.
Nombre d’opérations, dont l’objet principal était l’accession à un savoir ou une pratique
jusqu’ici considérée comme réservée à d’autres, se sont avérées aussi génératrices d’envies
que de frustration par négligence de la suite envisageable.
Donner le goût, éveiller la curiosité, sans nourrir d’illusions, mais aussi sans que d’un jour à
l’autre les portes entr’ouvertes ne se referment brutalement, ce point- là de la suite à donner,
s’il est négligé, peut conduire à des bilans amers.
Nombre d’adultes, à qui on avait permis de d’entrevoir une réinsertion sociale, par exemple
en leur permettant de participer au tournage d’un film, ou de vivre une aventure artistique,
sont tombés de très haut lorsque la fin de l’opération leur a montré que ce moment n’avait
été qu’une parenthèse dans leur vie, et que celle-ci se refermait sur une vie, au mieux,
identique à celle d’avant.
Prévoir la suite n’est donc pas une extension du projet mais une
partie fondamentale de celui-ci.
33
Un enfant qui s’est enthousiasmé pour une nouvelle pratique de loisirs et d’apprentissage,
qui a, durant trois ans, réussi à mobiliser ses parents pour qu’ils lui permettent au mieux cette
pratique (pour des transports exceptionnels au CNR, des autorisations de sortie, l’inscription
à des mini-stages pendant les vacances), cet enfant doit voir se dessiner des perspectives en
arrivant en sixième.
N’oublions pas qu’à la différence d’autres publics, ici, ce sont les enfants qui ont à
convaincre leurs parents.
Un enfant qui connaît une période même passagère de lassitude ou de désintérêt ne sera pas
systématiquement remotivé par ses parents.
Il suffit donc qu’il pressente qu’à partir de maintenant, les choses vont devenir plus
compliquées, pour que la balance penche plus facilement vers l’abandon.
J’ai eu l’occasion d’interviewer certains élèves d’une des écoles concernées :
l’envie de continuer existe ; elle se mêle a une conscience de la difficulté prévisible de le
faire dans des conditions moins confortables que celles qu’on a connues jusqu’à présent :
(« ma mère ne voudra pas que je prenne le bus », « mon père a dit qu’en sixième il fallait
d’abord que je travaille bien », « si on doit louer notre instrument, c’est trop cher », « si c’est
toujours Cécile, je continue »).
Du point de vue des enfants et des familles, l’idéal est de voir perdurer ce fonctionnement ;
que le collège prenne le relais purement et simplement.
Le fonctionnement d’un collège, avec ses emplois du temps, le fait qu’il existe une heure
hebdomadaire d’éducation musicale assurée par un enseignant compétent, font que transférer
à l’identique cette opération du primaire au collège n’est pas imaginable (si toutefois c’était
socialement souhaitable et financièrement envisageable).
Les professeurs de musique du collège ont été invités à suivre cette opération.
Ils savent que, dans leurs classes, vont arriver, plus nombreux qu’à l’accoutumée, de jeunes
élèves un peu plus musiciens que les autres.
Comment prendre en compte et valoriser cette spécificité de certains ?
Si ces enfants ne sont plus inscrits au conservatoire, il est probable qu’ils ne disposent plus
de leur instrument.
L’idée que le collège (ou la ZEP) achète un lot de violons, guitares, trombones, et
percussions pour permettre, soit d’exploiter les compétences en cours, soit de créer dans le
cadre des activités extra-scolaires, un petit orchestre du collège, a été évoquée.
Elle montre la volonté de cohérence et de liaison au sein de la ZEP entre les écoles et le
collège.
Reconnaissons qu’on est, dans cette hypothèse, bien loin de pouvoir continuer à travailler
son instrument, d’y progresser autant qu’avec un cours hebdomadaire auprès du prof
instrumentiste.
Les enfants ne demanderaient pas mieux que de pouvoir continuer, dans le doux cocon de
leur ancienne école, à fréquenter, en dehors de leurs heures de cours, leur prof d’instrument.
Quid de la formation musicale ?
Est-ce un service à rendre à des élèves arrivant en sixième que de ne pas leur permettre de
couper radicalement le cordon ?
L’encadrement scolaire, la prise en charge particulière, ne se justifient et n’ont d’intérêt, que
durant une période limitée (au cycle III d’école primaire).
34
Le passage à une certaine autonomie sociale, éducative et affective, dans son travail et dans
ses loisirs, est un moment essentiel de la préadolescence.
Un assistanat excessif ne doit pas perdurer.
L’offre doit petit à petit revenir au niveau de ce qu’elle est pour l’ensemble de la population.
Mais ne rien proposer constitue-t-il une offre égale ?
Est-il partial d’affirmer que le champ géographique n’est pas le même pour tous ?
Pour une famille aisée, ou, du moins, à l’aise dans l’accession au réseau de loisirs des
enfants (on a vu ce que tout cela pouvait supposer), l’échelle d’accessibilité se situe au
niveau de la ville entière (voire un peu plus si l’on réside dans la campagne proche). En effet
il n’est pas nécessairement rédhibitoire d’avoir à traverser la ville pour accompagner son
enfant à l’activité du mercredi qui lui convient (si l’on dispose de temps et d’un véhicule
pour cela, individuellement ou collectivement au sein d’un réseau d’amis qui s’échangent
des services).
Pour une famille du quartier Orgeval, le rayon d’accessibilité est certainement beaucoup plus
restreint, au quartier peut-être. Se déplacer en centre ville ou dans un autre quartier reste une
activité exceptionnelle du samedi ou du dimanche, et devient compliqué si c’est régulier
(tous les mercredis par exemple), et encore plus si cela doit arriver plusieurs fois par
semaine.
Peut-on compter sur une totale autonomie des enfants ?
Même en collège, prendre le bus trois fois dans la semaine, en hiver, après ses cours, pour
ses heures de FM, d’instrument, et de pratique collective, ne se fait pas simplement
d’Orgeval au centre ville (temps, sécurité).
Actuellement, l’équipement socioculturel du quartier Orgeval ne prévoit pas une offre
conséquente en matière d’activités musicales.
De plus la ville de Reims engage depuis cette année un mouvement de restructuration de ses
équipements, visant à substituer, aux anciens Centre Sociaux et MJC, des structures uniques,
du point de vue de leur gestion, appelées Maisons de Quartiers.
Ces maisons ont-elles vocation à accueillir qui veut y proposer un projet éducatif ?
Auront-elles la maîtrise intégrale des contenus et des activités proposées ?
L’hypothèse selon laquelle la Maison de Quartier Orgeval pourrait accueillir dans ses locaux
une activité musicale permettant aux enfants ayant bénéficié de l’opération de continuer ce
travail est certainement une idée à creuser.
Dans ce cas, s’agirait-il d’une activité de loisirs telle qu’on la conçoit en MJC, confiée à un
animateur, coupée de toute contrainte d’évaluation pédagogique ?
Chacun des instruments enseignés jusqu’à présent dans les écoles pourrait-il être proposé ?
Quel système de location ou de mise à disposition des instruments serait adopté ?
Ou alors s’agirait-il de mettre les locaux à disposition du Conservatoire pour qu’il puisse y
proposer une véritable continuité pédagogique de ce qui est déjà engagé ?
On serait alors très proche du système des écoles annexes de quartier qui existent pour
35
d’autres CNR.
Le soucis de garder une cohérence pédagogique pour qu’à tout moment un élève puisse
passer de l’annexe au centre ville, serait alors constant.
Les contenus et la masse horaire d’enseignements devraient petit à petit s’aligner sur ce qui
est proposé et exigé en centre ville, en matière de Formation Musicale et de pratique
collective.
A moins qu’un panachage entre les deux lieux (instrument et/ou FM sur place, autres
activités au CNR) ne présente l’énorme avantage de contrer la tendance à la ghettoïsation, en
entretenant concrètement le lien entre les deux maisons.
L’idée de considérer que la suite de ses trois années de régime spécial doit se dérouler sans
distinction au CNR du centre ville présente malgré tout la meilleure garantie de cohérence
pédagogique.
Plus le passage d’Orgeval au CNR aura lieu tôt, moins d’éventuels écarts auront pu se
creuser.
Mais cela suppose une adaptation mutuelle des uns et des autres, une harmonisation des
méthodes et des critères d’évaluation, qui ne va pas de soi, même si elle ne peut que s’opérer
lentement.
On peut attendre beaucoup de l’évolution dialectique des pédagogies provoquée par la
confrontation des publics et des expériences.
Le problème est de veiller à ce qu’aucun élève, y compris les premières générations, ne fasse
les frais de cette lenteur des ajustements mutuels.
Enfin, n’oublions pas que l’offre doit rester multiple.
Aucun des professeurs rencontrés ne revendique a priori l’idée selon laquelle le CNR doit
garder l’exclusivité des enseignements .
Il est convenu que le régime très exclusif du CNR, en ce sens que l’engagement de l’enfant
et de sa famille restreint considérablement la possibilité de vivre d’autres activités extrascolaires, ne peut constituer la panacée pour chacun des élèves.
Que l’aide publique se concentre presque uniquement, en matière d’enseignement musical,
sur cette structure pose un problème.
Peut-on envisager que chaque famille, en fonction de ses revenus, dispose de cette aide quels
que soient ses choix parmi une offre multiple ?
De même que les allocations familiales permettent, sous la forme des bons CAF, aux
familles d’utiliser l’aide publique là où bon leur semble, dans le domaine des vacances
(centres aérés, colonies de vacances, locations, VVF, etc.), un système de « crédit loisirs
artistiques » pourrait être étudié.
Libre à chacun de le dépenser en école de musique associative, privée ou publique, en MJC,
en Maison de Quartier ou au CNR, dès lors qu’un contrôle pédagogique garantisse, sous
forme d’agréments, la qualité des enseignements.
Dès lors que des rivalités de chapelles ne soient pas un frein à une harmonisation
pédagogique entre les différentes structures : est-il si simple de passer d’une formule à
l’autre ?
Que d’argent, que de tergiversations !!!
On en est là…
A ce que des commissions, des élus, des cadres de la culture, des acteurs de terrain
manipulent la question dans tous les sens, essaient, évaluent, analysent, ajustent, corrigent, et
tournent en boucle le problème de la culture pour tous.
36
Quelle énergie, quelle dépense pour peut-être des résultats bien dérisoires !
Tout dépend de ce qu’on choisit de placer sur chaque plateau de la balance.
Peut-on évaluer en quoi la musique peut participer à l’épanouissement d’un individu en
terme d’économies de Sécurité Sociale ou d’Assedics ?
Que pèsent ces efforts en face des budgets de l’Opéra Bastille et de l’Ensemble Inter
Contemporain ?
Que pèsent les publics réunis (ou confondus) de l’Opéra Bastille et de l’Ensemble Inter
Contemporain en face du nombre de gens pour lesquels une démarche délibérée devrait être
envisagée ?
On en est là, qu’on le veuille ou non, dans une pratique de la culture qui aura de plus en plus
de mal à échapper à la puissance du marché, dans un besoin de culture de plus en plus
orienté vers une consommation effrénée, dans une frustration induite à gérer comme on peut,
dans une surenchère commerciale, médiatique et politique qui fait bien peu cas de la relation
intime d’une personne avec un objet artistique.
Une action culturelle s’inscrit inévitablement dans ce contexte.
L’ignorer, le dénier conduit à bien des désillusions.
Le savoir conduit à une humilité salutaire.
L’exercice à la fois abusif et simpliste qui consiste à déplacer l’œil de la caméra, à décaler le
point de vue permet parfois de relativiser les choses ou de leur donner leur véritable sens.
Que peuvent penser, de ces expériences et du regard qu’on leur porte, des gens pour qui la
culture n’est pas un souci ni même un sujet de conversation ?
Des gens qui vivent une activité musicale pratiquement quotidienne sans qu’une démarche
pensée, raisonnée, et budgétisée ne la précède.
Des gens qui font de la musique, dans leur communauté villageoise ou ethnique selon un
agencement bien déterminé (saisons, rites, groupes sociaux…) et qui s’étonnent de voir
débarquer des ethnomusicologues pressés de montrer au monde que la musique ce peut être
tout simplement ça.
De même, que peut penser de ce déploiement d’énergie et d’argent le paysan creusois qui me
vend mes fromages en vacances ?
Lui dont le rapport au monde est principalement basé sur le travail, et qui ne constate pas à
quel point cette valeur tombe en désuétude.
Comment peut-il admettre qu’alors qu’il trime 70 h/semaine pour produire une valeur qui
n’a plus cours (ses poulets lui coûtent plus cher à élever que ceux que j’achète tout rôtis au
marché), des millions d’ €uros sont investis dans des expériences de démocratisation de
l’accès aux enseignements artistiques.
C’est pourtant simple, la musique !
Oui ça devrait…
En certains lieux de la planète, l’eau est contaminée par des infections très peu coûteuses à
enrayer, et pourtant des gens continuent à la boire faute de mieux ou de mieux informés.
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Ailleurs elle est un enjeu stratégique primordial au point que des combats boursiers ou
mafieux se déroulent en son nom. (Souvenons-nous, quel était le nom de Vivendi
Universal ?)
Ailleurs on développe le commerce de l’eau minérale, si coûteuse à produire, à emballer et à
distribuer, on surcharge le marché de filtres et autres adoucisseurs.
Des experts en dégustation sont payés pour discourir à longueur de pages ou d’ondes sur les
finesses et les arrière-goûts de telle ou telle marque d’eau de luxe.
Dans le Var, les piscines interviennent pour une part insensée dans la consommation d’eau.
Dans les écoles, on paye des gens pour venir apprendre aux enfants à fermer le robinet
pendant qu’ils se brossent les dents.
Ici on subventionne nos paysans pour les aider à cesser de polluer nos nappes souterraines,
mais la barre est haute et les subventions doivent suivre la surenchère.
On ne mange pas plus de pommes de terre qu’autrefois, mais n’importe quel agriculteur
vous expliquera qu’aujourd’hui, il est inenvisageable d’en produire sans un système
d’arrosage effréné, concurrence oblige.
De savants experts débattent de l’opportunité d’autoriser EDF à surchauffer un peu plus nos
rivières pour ne pas couper nos climatiseurs.
Allez expliquer tout ça au berger crétois qui boit tous les jours l’eau de sa source, veille à
l’entretenir et à la préserver, et sait s’asseoir et contempler ses reflets durant des heures…
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Frédérique Rouzeau-Pleintel
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