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/ Caractères
No 264 - Dimanche 11 novembre 2007
REF TE 02
Région 2
François Paolini, photographe
Sorti de sa réserve
François Paolini, 56 ans, ancien du lycée Bartholdi de Colmar, photographe professionnel, honnit l’esbroufe de ses congénères paparazzi ou reporters de guerre. S’il sort de sa réserve, c’est pour rendre hommage aux Indiens d’Amérique qu’il a suivis dans leur chevauchée du centenaire
pour commémorer le massacre de Wounded Knee.
ves et la paranoïa des options
"paparazzi" ou "reporter de
guerre".
« Je ne suis pas un forcené
du déclencheur. Je ne m’amuse
pas à tirer sur tout ce qui bouge. D’ailleurs, on me voit rarement avec un appareil photo
en main. Je m’intéresse beaucoup plus à la mise en page.
Pour moi, chaque image est
un mot. Mises ensemble, elles
créent un langage, elles racontent une histoire. La photo
isolée ne m’intéresse pas », dit
François Paolini.
Par le hasard d’une rencontre – un acupuncteur croisé à Istanbul –, il devient le
photographe attitré du Ballet
de Béjart. « C’est sans doute le
seul chorégraphe mondialement connu à avoir engagé un
photographe qui hait la danse », ironise Paolini. Son opinion sur les danseurs est tout
aussi arrêtée : il les juge encore plus incultes que les photographes de guerre. Sans
doute à cause de la précocité
de leur carrière qui les empêche de poursuivre des études,
pondère-t-il.
PAR CLAUDE KEIFLIN
■ Le 15 décembre 1890, Sitting Bull, chef Sioux et homme-médecine, est assassiné
dans le Dakota du Nord par la
police indienne venue l’arrêter. Des membres de sa tribu
quittent alors le village et se
réfugient dans la réserve de
Cheyenne River, dans le Dakota du Sud. Mais une
concentration de soldats US
pousse plusieurs centaines
d’Indiens, avec à leur tête le
pacifique Big Foot, à fuir la
réserve. Ils sont interceptés
près de Wounded Knee Creek
où est établi le campement
pour la nuit. Le lendemain
matin, pendant que les soldats du 7e régiment de cavalerie les désarment, un coup
de feu éclate, et c’est le massacre. Quatre mitrailleuses
Hotchkiss crachent le feu et
tuent 153 Indiens, dont 62
femmes et enfants. Ils sont
ensevelis dans une fosse
commune.
Pendant l’été 1990, François Paolini se rend pour la
première fois dans les réserves indiennes du Nord, dans
les deux Dakota, le Wyoming
et le Montana. Le prétexte de
ce voyage est le rassemblement annuel de quelque
300 000 Harley-Davidson à
Sturgis dans le Dakota du
Sud. Ces photos-là n’ont pas
trouvé preneur. En revanche,
les clients habituels de François Paolini se sont montrés
intéressés par les photos
d’Indiens. Prenant le contrepied de reportages qu’il a pu
lire ici ou là, le photographe
a refusé de tomber dans le
cliché d’Indiens dégénérés,
désœuvrés et abrutis par l’alcool. « S’apitoyer sur leur
sort, verser dans le misérabilisme les dessert », dit-il.
Motel blues
François Paolini, baroudeur dans l’âme, a gardé de bons souvenirs de Colmar où il a passé d’agréables années de jeunesse. (Documents remis)
La médiation
d’un adolescent
tombé en hypothermie
Sur place, il apprend qu’au
mois de décembre suivant,
les descendants des survivants de Wounded Knee organisent un "Centennial memorial ride", une chevauchée
du centenaire commémorant,
dans les mêmes conditions,
le tragique périple de 1890,
depuis la tombe de Sitting
Bull jusqu’au lieu du massacre qui mit fin à 400 ans de
guerres indiennes. Le photographe français décide d’en
être. Les Indiens se déplacent
à cheval, François Paolini et
trois
autres
journalistes
blancs les suivent en 4 x 4.
L’atmosphère est glaciale, pas
seulement à l’extérieur où la
température chute à 25o en
dessous de zéro.
« J’avais été mis sur la piste
de la chevauchée par un homme de loi indien, mais ceux qui
y participaient – une cinquantaine au départ, 400 à 500 à
l’arrivée – n’appréciaient pas
qu’on les suive. Jusqu’au jour
où un des adolescents est tombé en état d’hypothermie. Je
l’ai pris dans ma voiture
chauffée pour la journée, le
soir j’étais adopté par les Indiens », raconte François Paolini.
Ses photos sont publiées
dans plusieurs magazines européens et japonais ; ParisMatch lui consacre huit pages. Avec l’idée de faire un livre sur les « Native Americans », il retourne dans les réserves en 2003 et parcourt
onze États en cinq semaines.
Au Pow Wow de Denver, qui
rassemble chaque année 700
danseurs et musiciens de 70
tribus, il préfère les fêtes
moins touristiques et plus authentiques des réserves.
« Comment osons-nous
vendre les étoiles ? »
Fondu enchaîné entre paysage de parc national, femmes indiennes
et coiffe : l’une des doubles pages d’American Indians.
François Paolini a la matière de son livre. Il inclut en surimpression les photos de
personnages dans les somptueux paysages de la réserve
Navajo, du Badlands National
Park ou du Monument Valley
Park. « C’est ma façon de traduire l’attachement viscéral
des Indiens à leur terre natale ».
Le texte s’est imposé à lui
comme une évidence : ce seront les paroles de la chanson du grand poète Sioux
John Trudell tirée de la prophétie de Crazy Horse, prononcée quatre jours avant
son assassinat : « Je vois venir
le temps d’une septième génération qui sera celui de toutes
les couleurs de l’humanité réunies sous l’arbre sacré de la
vie et celui de la planète redevenue communion et harmonie ». « Crazy Horse, nous entendons ta parole. Une seule
planète, une seule mère. On ne
doit pas vendre la planète sur
laquelle nous vivons. Nous
sommes la terre. Comment
osons-nous vendre notre mère, comment osons-nous vendre les étoiles, comment
osons-nous vendre l’air ? » dit
la chanson de John Trudel.
D’origine corse comme son
nom l’indique, François Paolini est arrivé à l’âge de six
semaines à Colmar où son
père, agent des impôts, a été
muté. « En Corse, on était flic
ou fonctionnaire ». Son oncle
est l’ancien préfet de police
de Paris, Jean Paolini. Lorsque François publie son premier reportage – 10 pages
dans Actuel – de photographe
free lance sur les brigades
mobiles d’intervention, avec
lesquelles il a passé toutes
ses nuits pendant deux mois,
l’oncle se fait convoquer par
Charles Pasqua, ministre de
l’Intérieur ! François, lui, est
recruté par l’agence Sygma
qui lui commande un sujet
sur la délinquance à Paris,
Moscou et Los Angeles, pour
lequel il obtient le prix du
World Press Photo en 1990.
Il ne tire pas sur
tout ce qui bouge
Il est venu assez tardivement à la photo, nonobstant
son inscription à la section
photo de l’Institut de promotion du commerce de Wintzenheim, après le lycée Bartholdi et un passage en fac à
Strasbourg.
Il a commencé par épuiser
jusqu’à l’ennui les charmes
de professions essentiellement destinées à assurer sa
subsistance : vendeur dans
une boutique photo, cadre
commercial chez Xerox,
agent économique d’une association suisse à Madagascar, directeur d’une agence
d’Alcatel à Paris.
Lorsqu’il décide de vivre de
la photo, à l’approche de la
quarantaine, une solide assise financière et la maturité
acquise dans les affaires lui
permettent d’éviter les déri-
Si la collaboration avec Béjart relève avant tout de l’occupation « alimentaire », son
intérêt pour les États-Unis témoigne d’une vraie fascination. Avant American Indians,
il a publié un album de 302
photos de Las Vegas pour le
centenaire de la ville.
« Las Vegas, c’est la quintessence de l’Amérique. On y
croise le meilleur et le pire. Les
Américains ne trimbalent pas
2000 ans d’histoire derrière
eux. Chaque fois que je descends d’avion et que je pose le
pied sur le sol américain
j’éprouve un sentiment d’espace et de liberté, j’ai l’impression que tout est possible.
J’adore les motels où descendent des gens en partance, qui
quittent un boulot, une dette,
une femme. J’ai toujours été
fasciné par la démesure et
l’excès. J’étouffe dans la campagne anglaise ou le bocage
normand ».
François Paolini essaiera
de faire préfacer son prochain ouvrage, Amazing America – 11 chapitres sur la vie
aux USA – par George W
Bush, « avant qu’il ne se barre ». Ce n’est pas de la provoc,
assure-t-il. « Mais ce type ressemble à l’Américain de base.
Il a une gueule d’Amérique
profonde que j’aime bien ».
C.K.
(*) American Indians, We are
the 7th generation, avant-propos
et photos de François Paolini,
texte "Crazy Horse" de John Trudell, 19 . On peut le commander
sur Amazon.fr
SALON DE LA GASTRONOMIE
ET DES ARTS DE LA TABLE
9 -10-11 NOVEMBRE 2007
EN PARTENARIAT AVEC :
PALAIS DES CONGRÈS À STRASBOURG - Entrée Schweitzer
Dimanche 11 novembre de 10h à 19h - Parking gratuit - Restauration Gastronomique