entre influence am éricaines et chinoises

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Note de l'étude quadrimestrielle n"1,
cycle 2012-2013, Obseryatoire Asie du Sud-est
Arnaud Dubus (chercheur associé à I'IRASEC - lnstitut de recherche sur I'Asie du
Sud -est contemporaine)
Avril 2013
avant le XW " siècle par I'offrande de tributs à I'orientation
1. Les bases de la diplomatie thailandaise
Analyser la position de la Thailande, pays-pivot de I'Asie
du Sud-est continentale, vis-à-vis de la compétition
d'influences entre Pékin et Washington, nécessite la
compréhension des règles qui conduisent la politique
extérieure du royaume. Comme souligné par de nombreux
politologues, la diplomatie tharìandaise esi marquée
par la tendance à suivre le sens du vent, tel un bambou
se courbant sous la brisel. Plutôt que de se fixer des
objectifs ambitieux, la diplomatie thaìlandaise s'attache
généralement à une évaluation réaliste de la position
et des moyens du royaume ainsi que de l'évolution du
paysage régional et international et des forces respectives
des puissances en compétitron, Ie tout dans le cadre
d'une vision qui privilégie le moyen terme sur le long
terme. fhistoire du Siam (puis de la Thailande) fourmille
d'illustrations, de la soumission du Siam à l'Empire chinois
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savantes, 20 I
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fonement pro-occidentale adoptée par le pays à parlir
du roi Rama IV (règne: 1851-1868) et suftout de son
successeur Rama V (regne : 1868-1910), sans oublier
la collaboration avec le fascisme japonais durant la
seconde guerre mondiale, vite reniée dès que la défaite
de I'Axe co¡Ìrrrença à poindre. Les caractéristiques de
6stt6 " philosophie diplomatique , sont le pragmatisme,
l'oppoftunisme et le manque d'ambition extra-nationale.
Les objectifs politiques sont essentiellement limités à la
protection de la souveraineté nationale et de I'intégrité
territoriale, au maintien de bonnes relations avec les pays
voisins et les puissances influentes et à la limitation des
interJérences étrangères dans la politique intérieure. Une
autre caractéristique, héritée de l'absence de passé
colonial de la Thailande, est la primauté d'une politique
d'engagement avec les puissances influentes du moment
sur une ligne plus neutraliste, contrairement à d'autres
pays de la zone à ceftaines époques (lndonésie, Birmanie,
Cambodge),
Cette tendance générale de la diplomatie thallandaise
a pu être bouleversée à certaines périodes de l'hlstoire
récente, comme cela a été le cas par exemple lors du
gouvernernent de Thaksin Shinawatra (2001 -2006),
apôtre d'une Thailande projetée comme puissance
régionale, mais elle constitue néanmoins le fonds de la
politique extérieure du royaume et est cultivée comme telle
dans le milieu diplomatique - encore fortement élitiste voire
aristocratique - du pays.
Tharlande ces dernières années3
2. Progrcssion chinoise et régression américaine
la Tharlande et la
Depuis le début des années 1950, la Thallande est, avec
les Philippines, le principal allié politique et militaire des
Etats-Unis en Asie du Sud-est. La Thailande est devenue
en '1954 un allié par traité des Etats-Unis et ce statut a été
amélioré en 2003 s¡ " partenaire majeur hors-OTAN ", ce
qui permet à Bangkok d'avoir un acces privilegié à I'aide
militaire américaine et à des crédits bonifiés pour les achats
d'armements. Cette relation a été soudée quand la montée
du communisme dans la région, appuyée par la Chine et le
Vietnam, était perçue comme une " menaæ commune ,
à la fois par Washington et par Bangkok. Pékin soutenait
notamment la guérilla du Parti Communiste de Thailande
qui dominait des pans entiers du nord-est, du nord et
du sud du royaume. La disparition de cette " menace
commune " à la fìn des années 80 a colhcidé avec I'anivee
au pouvoir à Bangkok de plusieurs gowernements
désireux de placer les considérations économiques avant
les questions de sécurité (gouvernement de Chatichai
Choonhavan entre 1988 et 1991, puis gouvernement de
Thaksin Shinawatra entre 2001 et 2006).
Dans ce contexte où l'int{¡ration économique régionale
est devenue, avec la multiplication des accords de
libre-échange, la prionté, I'attitude interuentionniste
de Washington au niveau politique - ainsi que sur des
questions plus économiques comme celles des droits
de propriété intellectuelle - a favorisé la progression de
I'influence de Pékin en Thailande.
Þ
crise politique d'awil-
mai 2010 en a été un exemple, lorsque I'ambassadeur
américain à Bangkok, Eric John, a tenté de jouer un rôle de
médiateur entre le gouvernement d'Abhisit Veiajiva et des
L'importance économique de la Chine pour la Thailande
s'est également accrue de manière accélérée ces dix
dernières années dans la foulée de I'enlrée en vigueur en
octobre 2003 de l'accord de libre-échange sino-thalandais
(portant sur les produits agricoles), dépassant celle des
Etats-Unis, même si ceux-ci restent un investisseur de
premier plan dans le royaume. Le commerce bilaléral entre
Chine est évalué à 64,7 milliards de dollars
pour l'année 201 1 soit pres du double du commerce entre
la Thallande et les Etats-Unis. Le gouvernement actuel
dirigé par Yngluck Shinawatra, une ex-femme d'affaires,
donne priorité absolue au développement économique
et aux investissements dans les infrastructures dans le
cadre de ses relations avec les pays étrangers. Dans ceüe
perspective, le " pivotement " de laThailande vers la Chine
est particulièremenl net dans les discours des ministres de
son gouvernement.
Pékin a renforcé cette disposition favorable de Bangkok
en s'engageant à assisterfinancièrement le gouvernement
thailandais dans le cadre des projets d'infrastructures antiinondations après le désastre causé durant l'été 201 1 par
la montée des eaux. Le fait que les Etats-Unis prennent
position, de temps à autre, sur des questions sensibles
en Thallande, comme la loi punissant le crime de lèsemajesté, désavantage encore Washington par rapport à
Pékìn pour qui la question des droits de l'Homme est nonexistante.
Même sur le plan de la sécurité, où la relation BangkokWashington reste forte, Pékin parvient à avancer ses
pions, comme le montre une série d'exercices militaires
conjoints entre forces spéciales et forcqs navales des deux
pays organisés ces dernières années. Lattitude passive
de la Thailande en ce qui concerne les tensions en mer
de Chine méridionale (qui impliquent poudant quatre
pays membres de I'ASEAN : Philippines, Vietnam, Brunei,
Malaisie) témoigne de la prudence voire d'une certaine
bienveillance vis-à-vis de Pékin sur cette question.
représentants du clan de Thaksin Shinawatra (renversé
par le coup d'Etat du 19 septembre 2006)'z. Cette offte
a été fermement rejetée par Bangkok, qui a apprécié
I'attitude " neutre " de la Chine, laquelle s'est gardée de
toute intervention et de tout commentaire sur les troubles
politiques.
3. Le poids de I'intégration régionale
Parallèlement à une approche américaine qui privilégie les
questions de sécurité et de politique (l'exercice militaire
annuel Cobra Gold, financé par les Etats-Unis sur le
sol thailandais, est le plus important en Asie), la Chine
mène habilement une diplomatie à la fois économique et
culturelle, en jouant sur le fait qu'une très large proportion
activement I'apprentissage du mandarin par les jeunes
Thailandais en envoyant des enseignants (1 200 pour la
seule année 2010). Le mandarin figure dásormais parmi
les langues étrangères les plus apprises par les jeunes
Tharlandais en concurrence avec I'anglais et le japonais.
l-enlrée en vigueur en janvier 2010 de laZone de libreéchange ASEAN-Chine, la plus importante de la planète
en termes de population et la troisième en termes de PlB,
a renforcé I'intérêt pour le développement de conidors de
communication et de transport regionaux dans le cadre
de la Sous-Région du Grand Mékong (GMS), tels que
les conidors Est-Ouest (entre I'Océan indien et la mer de
Chine méridionale), Nord-Sud (entre Kunming et la Malaisie
en passant par le Laos et la Thalande) et Sud (entre Ho
Chi Minh-ville et la région du Tenasserim en Birmanie en
passant par le Cambodge). Au niveau des routes, la mise
en place de ce schéma de développement est presque
terminée, sauf en ce qui concerne la Birmanie{. Cæ réseau
Une douzaine d'lnstituts Confucius ont aussi été inaugurés
par I'ambassade de Chine dans différentes villes de
,4.sia Tìmes
de la population des grandes villes de Thalande est
d'origine chinoise. Sur le plan cuJturel, Pékin soLfient
2
Shaur Crispin, "US slips, China glides in Thai crisis", ,4sia
TInes on line, 20 j:uillet 2010.
3
{
Julius Cesar I Trajano, "Old allies, new dynamics in US pivot",
online,3l août 2012.
Transnational institute, Burma Centre Netherlauds, Det,eloping
Disparity. Regional itveslneill
in Burma's
borderlands,
2
de transport routier r{¡ional doit être renforcé par un
lien fenoviaire nord-sud, partant de Kunming, traversant
tout le Laos jusqu'à Vientiane (train à vitesse normale),
puis rejoignant la ville-frontière de Nongkhai à Bangkok
fl-GV) avant de plonger vers le sud et de relier la frontière
malaisienne. l-accord-cadre pour la coopération sino-
thailandaise sur ce projet a été approwé par Bangkok
en octobre 2010. Ce projet, qui devrait être achevé vers
2016, permettra de relier les réseaux fenoviaires chinois
et thailandais.
Dans ce cadre, la Thailande est idéalement positionnée
pour servir de næud régional de communications entre la
Chine et l'Asie du Sud-est, compte tenu du fait que les
économies de ces pays tendent généralement à placer de
plus en plus l'accent sur les échanges économiques intraasiatiques au détriment des échanges avec l'Occidents.
ll est donc compréhensible que Bangkok se réoriente
économiquement et même politiquement vers la Chine,
qui, à ses yeux, représente un plus gros potentiel de profit
dans le
ñ-¡tur.
4. Le contexte régional
Consciente de la compétition d'influences qui se joue
en Asie du Sud-est entre la Chine et les Etats-Unis et
pâtissant du fait d'être un pays de tajlle moyenne peu à
même d'arbitrer ou même d'influer sur ces mouvements,
la Thailande est toutefois attentive à équilibrer ses relalions
avec les puissances. Þ porte est grande ouverte pour
Pékin, mais la mdn reste tendue vers Washington qui
reste le partenaire dominant pour tout ce qui concerne la
coopération militaire, la formation de la police ou même la
coopération éducative. Les jeunes Thailandais de bonne
famille rêvent toujours de faire leurs études supérieures
dans les universités de Yale ou de Columbia et non pas
à Pékin ou à Shanghai. La position géographique du
royaume au centre de I'Asie du Sud-est continentale
pousse aussi Bangkok à ne pas s'engager ni trop d'un
côté, ni trop de l'adre. En effet, on peLrt estimer que la
marge sud de la Chine est partagée entre pays méfiants
vis-à-vis de Pékin (Philippines, lndonésie, Vietnam), pays
quasi-alliés þos, Cambodge) et pays qui maintiennent
une position d'équilibre flha'ilande, Birmanie). l-évolution
récente de la Birmanie tend à montrer qu'elle pounait
entrer progressivement dans I'orlcite des Etats-Unis, ce
qui aboutirait à un quasi-encerclement de la Chine par
le sud. Dans ce contexte, la Thailande se laissera très
probablement aller à sa tendance historique de ménager
ses relations avec les puissances influentes de manière
à ne se mettre personne à dos, comme elle avait su si
bien le faire au XIXè* siècle et au débr.rt du )Xhu siècle
quand elle était coincée entre I'empire colonial britannique
et I'lndochine française.
Amsterdar¡, 2013.
5 Julius CesarI'lrajano,op. cil
3