L`effet normatif de l`article préliminaire du CPP

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L`effet normatif de l`article préliminaire du CPP
Version préprint - Pour citer cet article :
E. Vergès, « L’effet normatif de l’article préliminaire du Code de procédure
pénale », in Mélanges offerts à Raymond Gassin, PUAM, 2007, p. 327.
L’EFFET NORMATIF DE L’ARTICLE
PRELIMINAIIRE DU CODE DE
PROCEDURE PENALE
Etienne VERGES, Professeur à l’Université Pierre Mendès France (Grenoble II)
Parmi la profusion des lois qui réforment la procédure pénale selon un rythme
quasi annuel, il est des dispositions qui se distinguent tant par leur contenu que par leur
portée. L’article préliminaire du Code de procédure pénale figure parmi cette catégorie
de normes particulières dont la fonction normative n’est pas simplement prescriptive,
mais aussi structurante.
Intégré dans le Code par la loi n°2000-516 du 15 juin 2000, l’article préliminaire
contient un ensemble de principes de procédure (contradictoire, séparation des
fonctions, dignité, garantie des droits des victimes) qui semble définir la philosophie
générale du Code. Cette technique législative est récurrente en droit processuel
français. On songe évidemment aux dispositions liminaires du nouveau Code de
procédure civile qui énoncent, en vingt-quatre articles, les « principes directeurs du
procès ». On peut citer également le titre préliminaire du Code de justice
administrative dont les onze premiers articles forment le « décalogue » du contentieux
administratif 1.
L’idée d’introduire des principes généraux dans le Code de procédure pénale date
des deux rapports remis en 1989 et 1990 par la commission « justice pénale et droits
de l’homme » encore appelée commission « Delmas-Marty ». L’originalité du travail
réalisé par cette commission consistait à déterminer les règles techniques de
procédures en référence à des principes généraux. Dès lors, les règles procédurales ne
devaient pas être envisagées de façon autonome, mais comme découlant de principes.
Cette méthode de travail s’inspirait de celle qui avait été utilisée par les rédacteurs du
nouveau Code de procédure civile en 1971, mais elle se justifiait aussi par l’influence
grandissante de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit français.
Suite aux travaux de la commission Delmas-Marty, il a fallu attendre dix années
pour voir intégrer cette catégorie de principes généraux en tête du Code de procédure
pénale. Cela ne signifie pas que les principes de procédure pénale n’existaient pas dans
le Code avant la loi du 15 juin 2000. Il suffit, pour s’en convaincre, de citer l’article
427 sur la liberté de la preuve, ou de viser l’article 136 alinéa 3 qui reprend le principe
constitutionnel selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne des libertés
individuelles. Pour autant, la spécificité de l’article préliminaire tient à la fois de sa
1
A. Ricci, Le décalogue du Code de justice administrative, Pref. A. Roux, PUAM, 2003.
1
place symbolique, en tête du Code, et du regroupement de plusieurs principes
procéduraux au sein d’une même disposition.
Cette technique législative suscite de nombreuses interrogations. Quelle raison a
déterminé le choix de faire figurer tel principe dans l’article préliminaire et non tel
autre ? Les principes de l’article préliminaire ont-ils une valeur normative supérieure
aux autres règles de procédure ? Quelles fonctions doivent occuper ces principes au
sein de la procédure ? La loi du 15 juin 2000 n’a apporté aucune réponse à ces
questions. Elle s’est contentée de laisser aux observateurs une disposition atypique
dont la fonction normative reste à définir 2.
Dans notre thèse de doctorat 3, nous avons tenté de mettre en évidence l’existence
d’une catégorie particulière de normes procédurales que l’on peut rassembler sous
l’appellation « principe directeur du procès ». Il existerait ainsi, dans le système
normatif procédural, deux catégories de normes : les principes et les règles techniques.
Sur la base de cette distinction, il serait possible de considérer que les principes
directeurs du procès exercent des fonctions particulières au sein du système normatif.
Ainsi, nous avons émis l’hypothèse selon laquelle les principes agiraient comme des
règles fondatrices de la procédure 4. Cette action fondatrice se manifeste de plusieurs
façons. Les principes peuvent d’abord être utilisés par le juge pour interpréter des
règles techniques 5. Ils peuvent ensuite servir à étendre le champ d’application d’une
disposition technique conforme au principe 6. Ils peuvent enfin être mis en œuvre par le
juge pour créer de nouvelles règles de droit. Leur fonction est alors d’assurer la
complétude du système normatif.
L’article préliminaire du Code de procédure pénale, en ce qu’il contient
essentiellement des principes directeurs du procès pénal, se prête idéalement à une
étude de vérification des hypothèses qui viennent d’être décrites. L’idée qui préside à
cette recherche consiste donc à vérifier si le juge pénal donne aux principes contenus
dans l’article préliminaire un effet normatif singulier, qui pourrait être identifié comme
une action fondatrice. Pour répondre à cette question, nous avons choisi de procéder à
une analyse exhaustive des arrêts de la Cour de cassation rendus depuis l’entrée en
2
Cf. L’article préliminaire n’a donné lieu qu’à de rares études d’ensemble à la suite de la promulgation de
la loi du 15 juin 2000. E. Putman, L’article préliminaire du Code de procédure pénale a-t-il une portée
normative ? Ann. Fac. Droit d’Avignon, 2000 ; p. 43, D. Mayer, Vers un contrôle du législateur par le
juge pénal, D. 2001, p. 1643 ; P. Truche, Introduction à l’article préliminaire du Code de procédure
pénale, Arch. Pol. Crim. 2001, p. 9 ; H. Henrion, L’article préliminaire du Code de procédure pénale,
vers une théorie législative du procès pénal, Arch. Pol. Crim. 2001, p. 13 ; B. Bouloc, La loi n°2000156 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes, RSC 2001, p.
193 ; Ch. Lazerge, La dérive de la procédure pénale, RSC 2003, p. 644. cf. aussi le commentaire de Ph.
Bonfils, in Ph. Bonfils, E. Vergès, Travaux dirigés de droit pénal et de procédure pénale, Litec, 2004,
p. 129.
3
E. Vergès, La catégorie des principes directeurs du procès judiciaire, Aix-en-Provence, 2000.
4
E. Vergès, thèse précit., p. 376, n°385 : « Les principes se comportent comme des éléments générateurs
du système normatif processuel ».
5
Donner une signification à la règle obscure ou donner une direction à suivre dans l’interprétation
juridictionnelle.
6
Selon un processus d’induction-déduction décrit in E Vergès, Thèse précit., p. 229, n°229.
2
vigueur de la loi du 15 juin 2000 et impliquant l’article préliminaire du Code de
procédure pénale. Depuis cette date et jusqu’au 8 novembre 2005 (date d’arrêt de la
recherche), nous avons pu dénombrer 460 arrêts contenant les termes « article
préliminaire code procédure pénale ». Nombre de ces arrêts ont dû être écartés faute de
pertinence 7. Au total, nous avons sélectionné près d’une soixantaine d’arrêts qui
fournissaient de précieux renseignements sur l’attitude de la chambre criminelle de la
Cour de cassation vis-à-vis de l’article préliminaire.
Il faut reconnaître qu’au regard des hypothèses que nous avions émises, le
résultat de cette étude de vérification est globalement décevant et l’on peut parler
d’une certaine neutralité des principes de l’article préliminaire dans le système
normatif processuel (I). Toutefois, certains arrêts laissent à penser que l’article
préliminaire possède un potentiel encore peu exploité, qui révèle l’influence des
principes de l’article préliminaire sur le système normatif processuel (II).
I) LA NEUTRALITE DES PRINCIPES DE L’ARTICLE PRELIMINAIRE DANS LE
SYSTEME NORMATIF PROCESSUEL
La neutralité des principes apparaît à la lecture de l’article préliminaire. On
constate que le contenu de cette disposition relève plus de la transposition de règles
existantes, que de la création de principes nouveaux 8. Dès lors, il paraît difficile
d’attendre de l’article préliminaire un bouleversement normatif. Pour autant, la réunion
de plusieurs principes en ouverture du Code de procédure pénale devrait inciter la
Cour de cassation à donner à ces principes une fonction particulière. La position de la
haute juridiction est marquée par une certaine ambiguïté. D’un côté, elle adopte une
attitude de défiance en ignorant l’article préliminaire pour éviter de faire jouer un rôle
normatif aux principes qui le composent (A). D’un autre côté, elle reconnaît le rôle
joué par l’article préliminaire tout en limitant les effets produits par les principes qui le
composent (B).
A) Les principes ignorés
L’article préliminaire est fréquemment invoqué par l’auteur d’un pourvoi en
cassation. Les principes qu’il contient, en raison de leur formulation générale et parfois
ambiguë, peuvent donner lieu aux interprétations les plus diverses. Cette ambiguïté,
quant au contenu des principes, est source d’une inévitable insécurité juridique,
phénomène périlleux si on le combine à la grande complexité des règles techniques de
la procédure. Face à l’inventivité des plaideurs, la Cour de cassation a tendance à se
réfugier derrière les dispositions techniques du Code de procédure pénale en ignorant
7
Par exemple, la majorité des arrêts font apparaître que les avocats visent le principe de la présomption
d’innocence contenu dans l’article pour contester une appréciation souveraine des faits par les juges du
fond. Les arrêts de rejet sur ce point sont donc très nombreux.
8
Une nouveauté apparaît tout de même à travers la consécration du principe de garantie des droits de
victimes, au II de l’article préliminaire. La définition et le contenu de ce principe restent, aujourd’hui
encore, mystérieux et relèvent avant tout d’une conceptualisation doctrinale. Cf. par ex. A. d’Hauteville,
RSC 2001, p. 107.
3
purement et simplement le principe invoqué par l’auteur du pourvoi. Cette attitude se
manifeste de plusieurs manières.
Le principe est ignoré, car il ne présente pas d’utilité pour la résolution du
litige. Dans un arrêt du 31 mai 2005 9, la mère d’un mineur avait comparu devant la
Cour d’appel, mais n’avait pas été entendue par la juridiction comme le prévoit
l’article 13 alinéa 1er de l’ordonnance du 2 février 1945. Dans son pourvoi, elle
invoquait la violation de cette disposition comme un « un élément nécessaire de
l’équilibre des droits des parties tels que définis par l’article préliminaire du Code de
procédure pénale ». Le pourvoi soulignait ainsi que la disposition technique devait
être regardée comme une application du principe directeur. La chambre criminelle
prononça la cassation de l’arrêt d’appel, mais au seul visa de l’ordonnance de 1945
affirmant que « selon ce texte, le tribunal pour enfants et la chambre spéciale de la
cour d’appel statuent après avoir, notamment, entendu les parents du mineur ». Le
principe de l’équilibre des droits des parties est ignoré par la Cour de cassation
estimant, implicitement, que cette norme n’est pas nécessaire à la solution du litige 10.
Une solution identique a été retenue dans un arrêt du 6 avril 2004 11. Une personne
mise en examen se fondait, entre autres, sur l’article préliminaire 12 pour reprocher à la
chambre de l’instruction d’avoir rejeté sa demande de mise en liberté sans avoir
précisé le délai prévisible d’achèvement de la procédure. Encore une fois, la Cour de
cassation a fait droit au pourvoi, mais en se fondant uniquement sur l’article 145-3
CPP selon lequel, « lorsque la détention provisoire excède un an en matière
criminelle, les décisions (…) rejetant une demande de mise en liberté, doivent
comporter (…) le délai prévisible d’achèvement de la procédure ». En présence d’une
disposition technique claire justifiant la cassation, la haute juridiction pouvait ignorer
l’article préliminaire qui n’apportait aucune solution nouvelle au litige.
Cette neutralité des principes s’impose encore lorsque la règle technique précise
a pour origine une solution jurisprudentielle de la Cour de cassation. Pour illustration,
une personne qui avait fait l’objet de deux gardes à vue successives en raison
d’infractions distinctes (vol et trafic de stupéfiants), avait été retenue 96 heures et 48
minutes. Elle invoquait la nullité des mesures de garde à vue pour dépassement de la
durée légale 13 sur le fondement de plusieurs dispositions, dont l’article préliminaire.
La chambre criminelle considéra que la cassation de l’arrêt d’appel, qui avait rejeté la
requête en nullité, était encourue 14. Pour cela, elle fonda sa décision sur une
combinaison de dispositions techniques 15, desquelles la Cour déduit que « si une
9
Cass. crim. 31 mai 2005 - N° de pourvoi : 03-87551.
10
La solution est implicite et l’on peut aussi penser que le principe n’avait pas lieu à s’appliquer ici, les
parents du mineur délinquant ne pouvant être considérés comme des parties au procès.
11
Cass. crim. 6 avril 2004 - N° de pourvoi : 04-80491.
12
Sans préciser le principe applicable à l’espèce. On peut imaginer qu’il s’agissait ici du principe relatif
aux mesures de contrainte visées au III de l’article préliminaire.
13
En l’espèce 96 heures.
14
Cass. crim. 17 mars 2004 - N° de pourvoi : 03-87739.
15
« Vu les articles 63, 77, 154, 706-29 du Code de procédure pénale ».
4
personne peut être soumise, à l’occasion de faits distincts, à des mesures de garde à
vue immédiatement successives et indépendantes l’une de l’autre, elle ne peut toutefois
être retenue de manière continue à la disposition des officiers de police judiciaire
pendant une période totale excédant la durée maximale de garde à vue autorisée par
la loi ». Dans cet arrêt, la Cour de cassation affiche nettement son mépris envers la
portée normative de l’article préliminaire. Ce texte évoque notamment la nécessité et
la proportionnalité des mesures de contrainte ; deux conditions qui auraient pu inspirer
la solution adoptée. Au lieu de cela, l’article préliminaire, invoqué par le pourvoi, est
purement et simplement oublié par la haute juridiction. Ce dédain pour les principes
procéduraux se transforme en défiance lorsque la chambre criminelle refuse
sciemment de faire jouer un rôle créateur à l’article préliminaire.
Le principe est ignoré, car la Cour de cassation ne souhaite pas lui faire jouer
un rôle créateur. Les principes, par leur formulation abstraite et par leur généralité,
possèdent un potentiel créatif important. L’interprétation d’un principe peut ainsi
donner naissance à une disposition technique nouvelle. Ce pouvoir créateur placé entre
les mains du juge est facteur d’instabilité juridique. Les acteurs de la procédure 16
accomplissent des actes qui risquent d’être annulés par la suite, sous l’effet de règles
nouvelles créées par la juridiction à partir de principes procéduraux. Pour éviter cet
effet pervers de l’action fondatrice des principes, la Cour de cassation manifeste une
certaine réticence à appliquer l’article préliminaire.
Dans une affaire jugée par la Cour de cassation le 12 avril 2005 17, une chambre
de l’instruction avait confirmé la prolongation de la détention provisoire d’un mis en
examen pour une période de six mois. La personne détenue fit valoir que cette
prolongation de six mois était en contradiction avec le délai prévisible d’achèvement
de l’instruction qui avait été fixé par la juridiction d’instruction à trois mois.
L’argumentation était convaincante et se fondait notamment sur l’article préliminaire.
Cette disposition prévoit que les mesures de contrainte doivent être « strictement
limitées aux nécessités de la procédure ». Au regard de ce principe, une information de
trois mois ne pouvait justifier un placement en détention de six mois. La Cour de
cassation rejeta pourtant le pourvoi, en affirmant que la chambre de l’instruction s’était
« strictement conformée aux dispositions des articles 145-2 et 145-3 du Code de
procédure pénale ». L’application stricte du principe de nécessité des mesures de
contrainte aurait dû conduire la Cour de cassation à ajouter une condition
supplémentaire à la prolongation de la détention provisoire. Le rôle créateur du
principe a été écarté pour garantir, dans cette espèce, la validité de la mesure de
contrainte.
La prudence de la Cour de cassation la conduit parfois à censurer des
interprétations, pour le moins inventives, de juridictions du fond, fondées sur l’article
préliminaire. Par exemple, une Cour d’appel avait entendu, au cours de l’audience, une
partie civile non appelante en présence de son conseil. Cette décision se fondait sur
16
OPJ, ministère public, juge d’instruction, juge des libertés et de la détention.
17
Cass. crim. 12 avril 2005 - N° de pourvoi : 05-80431.
5
l’article préliminaire 18, d’où la Cour d’appel déduisait que la victime, partie civile non
appelante d’un jugement de relaxe était en droit « d’être présente aux débats,
éventuellement assistée d’un conseil et de faire poser, le cas échéant, des questions au
prévenu ». L’interprétation était audacieuse, car elle dépassait la lettre du texte au
profit d’une interprétation téléologique favorable aux droits des victimes. Cette audace
fut sanctionnée par la Cour de cassation qui fit une application stricte de l’effet
dévolutif de l’appel 19. Cette dernière estima ainsi que « la victime partie civile, nonappelante d’un jugement de relaxe, n’est plus partie à l’instance d’appel et ne peut
être entendue en cette qualité, la cour d’appel a violé le texte susvisé et le principe cidessus rappelé ». L’action fondatrice du principe, initiée en appel, n’a pas franchi le
cap de la Cour de cassation 20.
Le refus exprimé par la haute juridiction de faire jouer un rôle normatif aux
principes de l’article préliminaire est plus préoccupant lorsque l’application de cette
disposition permet de palier les carences de l’article 6§1 de la Convention européenne
des droits de l’homme. Dans une espèce qui a donné lieu à un arrêt de rejet le 7 mai
2002 21, une personne poursuivie pour favoritisme invoquait devant la juridiction du
fond la nullité d’actes d’enquête qui avaient été réalisés en violation du principe du
contradictoire. En effet, durant l’enquête, le prévenu n’avait pu être confronté à des
témoins ainsi qu’aux auteurs de rapports administratifs à charge. Il invoquait une
violation de l’article préliminaire du Code de procédure pénale et de l’article 6§1 de la
Conv. EDH. La Cour de cassation rejeta le moyen en affirmant que « les dispositions
de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne concernent que
l’instance relative au bien-fondé de l’accusation en matière pénale ». Il est, en effet,
de jurisprudence constante que l’article 6§1 n’est pas applicable à l’enquête. En
revanche, l’article préliminaire énonce clairement et sans restriction que « la
procédure pénale doit être équitable et contradictoire ». Le principe du contradictoire
visé par cette disposition s’applique à toutes les étapes de la procédure pénale. Cette
généralité du principe est problématique, car elle suggère que la personne qui fait
l’objet d’une enquête possède un droit, durant cette phase de la procédure, à être
confrontée aux témoins à charge. Introduire le contradictoire au cours de l’enquête est
pourtant paradoxal puisque, durant cette étape de la procédure, les poursuites n’ont pas
été exercées et la personne suspectée n’est pas une partie au procès. La formulation de
18
Implicitement sur le principe de la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale.
19
La Cour de cassation a visé l’art. 509 CPP.
20
21
On trouve une autre illustration de cette opposition entre Cour d’appel et Cour de cassation dans
l’interprétation des principes de l’article préliminaire dans un arrêt rendu le 10 novembre 2004 (N° de
pourvoi : 03-87628). La chambre criminelle a cassé un arrêt d’appel qui avait rejeté des pièces
communiquées tardivement (quelques instants avant l’audience) par l’une des parties en ce fondant sur
le principe du contradictoire issu de l’article préliminaire. La Cour de cassation a estimé que l’article
427 CPP « qui impose au juge correctionnel de ne fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont
apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui, n’exige pas que les pièces
soient communiquées à la partie adverse avant l’audience ». Pourtant, l’interprétation retenue en appel
semble découler du principe du contradictoire. Le rejet des pièces communiquées tardivement est ainsi
admis par les chambres civiles de la Cour de cassation en application de l’article 15 nouv.C.pr.civ. (cf.
par ex. cass. civ. 2ème, 24 janv. 2002, bull., n°5).
Cass. crim. 7 mai 2002 - N° de pourvoi : 01-86337.
6
l’article préliminaire suggère pourtant que la procédure doit, dans son ensemble, être
contradictoire. Pour éviter de tomber dans une application extensive du contradictoire,
la Cour de cassation a préféré ignorer l’article préliminaire.
On trouve encore de nombreux exemples de situations dans lesquelles la Cour de
cassation s’est refusée à donner une interprétation extensive aux principes de l’article
préliminaire afin d’éviter que les parties ne disposent de plus de droits que ceux prévus
par le Code 22. On mesure ici le rôle subversif que pourraient jouer les principes par
l’intermédiaire de l’interprétation juridictionnelle. Les principes portent en eux une
faculté de démultiplication en de nombreuses règles techniques qui peuvent engendrer
de nouveaux droits pour les parties et de nouvelles causes de nullité procédurale.
L’ignorance de l’article préliminaire tient, ici encore, à la protection de la sécurité
juridique au mépris, parfois, de la lettre du texte. Faut-il, pour autant, considérer que la
Cour de cassation dédaigne les principes ? A l’évidence, certains arrêts tendent à
montrer que si l’article préliminaire est négligé, la Cour de cassation ne manque pas
d’appliquer les principes qui y sont contenus.
L’article préliminaire est ignoré, mais la Cour de cassation applique les
principes qui en sont issus. L’hostilité manifestée par la Cour de cassation à l’égard
des principes directeurs du procès n’est pas systématique. Ainsi, dans une espèce, la
chambre de l’instruction avait soulevé d’office un moyen tiré de son incompétence
ratione loci sans inviter les parties à fournir une explication préalable. Un pourvoi fut
alors formé contre cette décision au visa de l’article préliminaire et du principe du
contradictoire. La Cour de cassation, sans évoquer l’article préliminaire, a néanmoins
cassé l’arrêt de la chambre de l’instruction 23 en invoquant le fait que cette juridiction
n’avait pas mis les parties en mesure de produire une justification sur la compétence
ratione loci. Implicitement, la Cour de cassation a confirmé l’analyse proposée par le
pourvoi selon laquelle le principe du contradictoire exige que les parties puissent
produire des observations lorsqu’un moyen est soulevé d’office par le juge 24.
On retrouve cette considération pour les principes directeurs dans un arrêt du 4
mai 2004 25. En l’espèce, un véhicule avait été contrôlé sur une autoroute à 158 km/h,
mais ce contrôle n’avait pas été accompagné d’une photographie, ni de l’interpellation
du conducteur. Le propriétaire du véhicule contestait être l’auteur de l’excès de
vitesse. Le tribunal de police avait pourtant retenu la culpabilité de ce dernier et l’avait
condamné au paiement de l’amende encourue en se fondant sur l’article L. 121-3 du
Code de la route. La chambre criminelle, pour casser ce jugement, fit application du
principe de la présomption d’innocence pour affirmer que « le Code de la route n’a
22
Cf. par ex. cass. crim. 26 octobre 2004 - N° de pourvoi : 04-85036. Dans cette arrêt, la Cour de cassation
a refusé d’appliquer l’article préliminaire pour étendre, par analogie, le droit au débat contradictoire
devant le JLD (CPP art. 145-1) à la procédure devant la chambre de l’instruction. Pour d’autres
illustrations, cf., cass. crim. 26 octobre 2004 - N° de pourvoi : 04-85036 et cass. crim. 6 octobre 2004 N° de pourvoi : 03-80825.
23
Cass. crim. 8 janvier 2002 - N° de pourvoi : 00-87214
24
Solution constante en procédure civile. Cf. nouv.C.pr.civ. art. 16.
25
Cass. crim. 4 mai 2004, pourvoi n°03-88010, Droit et patrimoine 2004, n° 132 p. 79, obs. Ph. Bonfils,
RPDP 2006, n°1, obs. E. Vergès, à paraître
7
institué, relativement à la contravention d’excès de vitesse, aucune présomption légale
de culpabilité à l’égard des propriétaires de véhicules ».
Ces deux exemples montrent, en définitive, l’attitude équivoque de la Cour de
cassation dans l’application des principes de l’article préliminaire. Cette attitude va de
l’ignorance totale à la mise en œuvre implicite. Elle peut aussi aboutir à la
reconnaissance d’un principe.
B) Les principes reconnus
Force est de constater que l’article préliminaire est désormais une disposition
incontournable dans la procédure pénale et que la Cour de cassation, lorsqu’elle n’est
pas embarrassée par l’interprétation créatrice d’un principe proposée par un plaideur,
n’hésite pas à citer l’article préliminaire pour reconnaître la fonction symbolique des
principes directeurs du procès.
Le principe est visé à titre symbolique. Le principe de procédure a pour fonction
de structurer les règles techniques. Ainsi, nombre de dispositions du Code constituent
des applications de principes généraux. Cette relation entre le principe et la règle
technique apparaît nettement dans un arrêt du 2 février 2005 26. Dans cette affaire, un
officier de police judiciaire avait placé une personne en garde à vue sans en informer
l’autorité judiciaire 27. Dans un attendu de principe, la Cour de cassation vise les
articles préliminaire et 154 du Code de procédure pénale et affirme que : « selon le
premier de ces textes, les mesures de contrainte dont une personne peut faire l’objet
sont prises sur décision ou sous le contrôle de l’autorité judiciaire ; que, selon le
second de ces textes, l’officier de police judiciaire qui est amené (…) à garder une
personne à sa disposition, a le devoir d’en informer le juge d’instruction saisi des faits
dès le début de cette mesure ». Elle casse ensuite l’arrêt de la chambre de l’instruction
qui avait refusé de faire droit à la demande d’annulation de la garde à vue. Pour fonder
sa décision, la Cour de cassation aurait pu se contenter de citer une disposition
technique explicite (l’article 154). En faisant appel à l’article préliminaire, la haute
juridiction souligne, de façon symbolique, le rôle directeur joué par le principe selon
lequel l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles.
La Cour de cassation conçoit ainsi les principes procéduraux comme le support
nécessaire des règles techniques de la procédure. Pour illustration, une chambre de
l’instruction avait fondé sa décision de non-lieu sur des pièces qui n’avaient pas été
communiquées aux parties privées contrairement aux exigences de l’article 197 du
Code de procédure pénale. La violation d’une disposition technique précise rendait
inutile le recours à un principe et pourtant, la Cour de cassation, dans un arrêt du 6
janvier 2004 28, mentionnait exclusivement dans son visa, l’article préliminaire et
précisait : « attendu que, selon ce texte, la procédure pénale doit être contradictoire ».
Pour justifier la cassation, la Cour affirmait alors que les pièces n’avaient pas été
versées au dossier conformément à l’article 197 CPP. Par la suite, elle ajoutait que ces
26
Cass. crim. 2 février 2005 - N° de pourvoi : 04-86805, JCP G, II, 10111, obs. H. Henrion, Procédures
2005, com. 110, obs. J. Buisson.
27
En l’espèce, le juge d’instruction.
28
Cass. crim. 6 janvier 2004 – N° de pourvoi : 02-88468, Dr Pén. 2004, com. 74, obs. A. Maron.
8
pièces n’avaient « pu être connues des parties et soumises au débat contradictoire ».
Le recours à l’article préliminaire était, ici, destiné à mettre en évidence le lien entre
l’article 197 et le principe du contradictoire. La Cour de cassation confiait à l’article
préliminaire une fonction symbolique. Cette reconnaissance du rôle joué par les
principes est encore accrue lorsque la Cour de cassation prend soin d’en préciser le
contenu.
La Cour de cassation reconnaît le principe pour en définir le contenu. L’article
préliminaire du Code de procédure pénale pose un certain nombre de principes sans en
préciser la signification. Dès lors, il plane généralement un doute sur le contenu exact
des principes et il revient au juge de préciser le sens de chacune de ces normes. Pour
cette raison, de nombreux pourvois invoquent un principe de l’article préliminaire et
tentent de lui faire produire un effet en invoquant sa violation. Dans cette situation, la
Cour de cassation, qui décide de reconnaître le principe, est tenue de répondre à
l’argumentation du pourvoi. Elle est alors conduite à préciser, arrêt après arrêt, la
signification du principe. Ce phénomène de construction progressive du contenu d’un
principe est particulièrement évident s’agissant de la présomption d’innocence.
Ce principe a été évoqué à propos du contentieux de la détention provisoire. Il a
été soutenu dans un pourvoi que l’arrêt d’une chambre de l’instruction, qui avait rejeté
une demande de mise en liberté, portait atteinte au principe de la présomption
d’innocence. Dans un arrêt du 21 octobre 2003 29, la Cour de cassation repoussa le
moyen en considérant que « l’arrêt attaqué ne présente pas le caractère d’une
décision à laquelle s’attache l’autorité de la chose jugée et que l’intéressé continue à
bénéficier de cette présomption tant que sa culpabilité n’aura pas été éventuellement
reconnue par une juridiction de jugement ». L’argumentation est ici convaincante
puisqu’elle consiste à préciser que la décision sur la détention provisoire ne porte pas
sur le fond du litige et qu’elle ne peut, dès lors, constituer une atteinte à la présomption
d’innocence 30. Quelques mois plus tôt, la Cour de cassation avait eu à se prononcer sur
la combinaison de poursuites disciplinaires et pénales au regard de l’article
préliminaire 31. Un magistrat avait fait l’objet d’une sanction disciplinaire. Par la suite,
les mêmes faits avaient donné lieu à des poursuites pénales et le magistrat soutenait de
fait que la sanction disciplinaire préjugeait de sa culpabilité en violation du principe de
la présomption d’innocence. La Cour de cassation confirma l’analyse de la Cour
d’appel selon laquelle « la décision prise par l’autorité disciplinaire est dépourvue de
toute autorité à l’égard de la juridiction pénale qui conserve son entière liberté
d’appréciation ». En rejetant le pourvoi, la Cour de cassation a implicitement
considéré que l’enchaînement de poursuites sans lien entre elles n’entraîne pas
29
Cass. crim. 21 octobre 2003 - N° de pourvoi : 03-84498
30
Une solution identique a été retenue à propos du maintien en détention provisoire à la suite d’une
condamnation prononcée par la Cour d’assises en première instance. Cass. Crim. 19 septembre 2001 N° de pourvoi : 01-84736. La Cour affirme dans cet arrêt « qu’aucune atteinte n’a été portée au
principe de la présomption d’innocence, dès lors que l’arrêt, qui ne fait que constater l’existence de la
condamnation de la cour d’assises de première instance, sans préjuger de la culpabilité de l’accusé,
énonce que la détention provisoire du demandeur est l’unique moyen d’empêcher des pressions sur les
témoins et la victime, ainsi que de garantir le maintien de l’intéressé à la disposition de la justice »
31
Cass. crim. 11 février 2003 - N° de pourvoi : 02-81918
9
d’atteinte à la présomption d’innocence. Dans une autre affaire, un accusé reprochait à
la chambre de l’instruction d’avoir, dans son arrêt de mise en accusation, posé, de
façon affirmative, l’hypothèse de la culpabilité de la personne poursuivie 32. L’accusé
considérait que cette affirmation préjugeait de sa culpabilité, portait atteinte à la
présomption d’innocence et viciait en cela l’arrêt de règlement. Une nouvelle fois, la
Cour de cassation dut préciser la portée du principe visé en considérant que « les
juridictions d’instruction apprécient souverainement le moment où l’information est
terminée et que le droit, pour la personne renvoyée devant la cour d’assises, de
discuter les éléments de l’accusation reste entier » 33. Implicitement, la Cour de
cassation rappelait que la présomption d’innocence est une règle de preuve au sein de
la procédure et qu’un arrêt de mise en accusation ne renverse pas la charge de la
preuve, quel que soit son contenu 34.
Ces arrêts ne constituent pas des innovations d’un point de vue normatif, et l’on
peut ainsi parler de neutralité de l’article préliminaire. Toutefois, au fil des décisions,
les applications techniques de la présomption d’innocence sont précisées. Le rôle
pédagogique du principe est ici évident. On observe, toutefois, que la Cour de
cassation propose une définition essentiellement négative de la présomption
d’innocence. Tel n’est pas toujours le cas. On peut citer une affaire dans laquelle un
président de Cour d’assises, après avoir prononcé une déclaration de culpabilité, avait
utilisé le terme « condamné » pour désigner la personne poursuivie. Cette dernière
invoquait une violation de la présomption d’innocence, dans la mesure où l’effet
suspensif du délai de recours en cassation exigeait que le président employât le terme
« accusé » plutôt que « condamné ». Dans un arrêt du 25 septembre 2002 35, la Cour de
cassation reconnut, à demi-mot, que l’utilisation du terme « condamné » pouvait
constituer une atteinte à la présomption d’innocence tant que la condamnation pénale
n’était pas définitive 36. Peu à peu, on voir émerger un semblant de pouvoir normatif de
l’article préliminaire à travers l’interprétation qu’en donne la Cour de cassation. Cette
fonction normative n’est pas encore évidente, mais elle semble se renforcer lorsque
l’article préliminaire est cité en soutien apparent à un revirement de jurisprudence.
32
L’arrêt attaqué énonçait ainsi que le mis en examen « a agi par vengeance, que l’arme utilisée est
éminemment mortelle, que tirer sur une personne avec une arme, sachant qu’elle peut tuer, caractérise
parfaitement l’intention homicide, nul ne pouvant se faire justice puis en considérant que si mort ne
s’en est pas suivie, c’est que le tir a été imprécis ».
33
Cass. crim. 1er avril 2003 - N° de pourvoi : 03-80145
34
Dans le même esprit, on peut citer la décision du 29 octobre 2003 (N° de pourvoi : 03-84617, Dr. Pén
2004, com. 27, obs. A. Maron) dans laquelle la Chambre criminelle affirme qu’« il ne résulte d’aucun
principe de procédure pénale, que l’accomplissement d’une mission d’expertise psychiatrique, relative
à la recherche d’anomalies mentales susceptibles d’annihiler ou atténuer la responsabilité pénale du
sujet, interdise aux médecins experts d’examiner les faits, d’envisager la culpabilité de la personne
mise en examen, et d’apprécier son accessibilité à une sanction pénale »
35
Cass. crim. 25 septembre 2002 - N° de pourvoi : 01-88111
36
Précisément, la Cour affirme : « à supposer que l’emploi par le président du terme “condamné” ait pu
constituer une atteinte au principe de la présomption d’innocence, une telle atteinte n’a pu, dès lors
qu’elle a eu lieu après le prononcé de l’arrêt portant condamnation, avoir eu pour effet de préjudicier
aux intérêts de l’accusé ».
10
L’article préliminaire est visé pour soutenir un revirement de jurisprudence.
Ce phénomène trouve une illustration topique à propos des requalifications opérées par
le juge pénal. Une jurisprudence constante permet aux juridictions de modifier la
qualification pénale des faits qui leurs sont soumis 37. Le pouvoir de requalification du
juge porte atteinte au principe du contradictoire, si la personne poursuivie n’a pas été
en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification 38. Pourtant, durant de
nombreuses années, la Cour de cassation admettait que le juge pénal puisse modifier la
qualification des faits qui lui étaient soumis sans inviter le prévenu à discuter ce
choix 39. Cette solution a donné lieu à un arrêt de condamnation de la France par la
CEDH le 25 mars 1999 40. Dans cet arrêt, la Cour européenne a constaté que les
requérants « ne se sont pas vu offrir l’occasion d’organiser leur défense au regard de
la nouvelle qualification » alors même que la juridiction du fond aurait pu renvoyer
l’affaire pour rouvrir les débats ou recueillir des observations écrites au cours des
délibérés. Dès lors, le juge français n’avait pas donné « la possibilité aux requérants
d’exercer leurs droits de défense sur ce point d’une manière concrète et effective, et
notamment en temps utile ». 41 La condamnation de la France fut alors prononcée au
visa des articles 6§3 et 6§1 combinés.
Suite à cette condamnation, la Cour de cassation opéra un revirement de
jurisprudence en affirmant, dans un arrêt du 16 mai 2001 42, « que s’il appartient aux
juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification,
c’est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de présenter sa défense sur la
nouvelle qualification envisagée ». Cette décision fut rendue au visa des articles 388
du Code de procédure pénale et 6§1 de la Convention européenne des droits de
l’homme. Dès le 12 septembre 2001 43, la haute juridiction prit une décision identique
au visa de l’article préliminaire. Ce visa devait ensuite se retrouver de façon quasi
constante dans la jurisprudence de la chambre criminelle sur les requalifications 44.
37
Cf. par ex. Cass. crim. 17 déc. 1859, DP 1860, p. 196 et plus récemment cass. crim. 4 janv. 1963, bull.,
n°4. Certains auteurs parlent d’une obligation de requalification. Cf. en ce sens A. Guerry et CH. Guéry,
De la difficulté pour le juge pénal d’appeler un chat un chat (requalification « stricte » ou « élargie » :
devoirs et pouvoirs du tribunal correctionnel), Droit pénal, 2005, n°4, p. 6 ; A. Maron, JCP 2001, I 346.
38
Cf. pour une analyse parallèle avec la procédure civile, l’article 16 nouv.C.pr.civ. et la jurisprudence y
afférant.
39
Par ex. cass. crim. 11 juin 1990, bull., n°238 pour un vol requalifié en abus de confiance (solution
implicite).
40
CEDH, Pélissier et Sassi c. France, 25 mars 1999, D. 2000, juris., p. 357, note D. Roets.
41
Ibid, § 62.
42
Cass. crim., 16 mai 2001 - N° de pourvoi : 00-85066, D. 2002, juris., p. 31, note, B. Laperou-Sheneider ;
Dr. pén 2001, comm. n°109.
43
Cass. crim., 12 septembre 2001 - N° de pourvoi : 00-86493
44
Cf. les arrêts rendus dans le même sens : cass. crim. 22 janvier 2003 - N° de pourvoi : 02-80657 ; 5 mars
2003 - N° de pourvoi : 01-87045 ; 2 avril 2003 - N° de pourvoi : 01-88775 ; 5 novembre 2003 - N° de
pourvoi : 02-86547 ; 16 mars 2004 - N° de pourvoi : 03-82803 ; 4 novembre 2004 - N° de pourvoi : 0481862 ; 19 mai 2005 - N° de pourvoi : 04-8234. Seuls deux arrêts omettent le visa de l’article
préliminaire : cass. crim. 4 novembre 2003 - N° de pourvoi : 03-80838 ; 3 mars 2004 - N° de pourvoi :
03-84388.
11
En apparence, l’article préliminaire est utilisé par la Cour de cassation comme un
fondement incontournable pour contraindre le juge pénal à respecter le principe du
contradictoire lorsqu’il requalifie les faits qui lui sont soumis 45. Mais l’effet normatif
de cette disposition n’est ici qu’apparent. La raison première du revirement opéré par
la Cour de cassation tient dans la condamnation prononcée par la Cour européenne des
droits de l’homme sur le fondement de l’article 6. A cet égard, la stipulation de la
convention européenne était suffisante pour justifier le revirement national. L’article
préliminaire est intervenu comme un soutien, surabondant mais symbolique, de
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Son effet normatif
n’est qu’apparent et cette apparence confirme l’idée de neutralité qui conduit à penser
que la disposition qui introduit le Code de procédure pénale ne donne pas lieu à la
création de règles techniques nouvelles. Cette hypothèse doit pourtant être nuancée,
car l’étude de jurisprudences éparses mais significatives, tend à mettre en évidence, au
contraire, que les principes de l’article préliminaire exercent une influence sur le
système normatif processuel.
II) L’INFLUENCE DES PRINCIPES DE L’ARTICLE PRELIMINAIRE SUR LE SYSTEME
NORMATIF PROCESSUEL
L’article préliminaire du Code de procédure pénale présente cette particularité
d’être composé de principes juridiques. Cette catégorie particulière de normes
juridiques possède une propension à générer de nouvelles règles techniques par le biais
d’une opération d’interprétation ou, de façon plus évidente encore, par l’intermédiaire
d’une opération de création pure et simple de règles nouvelles. Cette créativité
normative des principes tient non seulement à leurs caractères (généralité, formulation
abstraite), mais aussi à leurs origines (les principes incarnent une valeur ou une utilité
de la procédure). L’article préliminaire emprunte donc aux principes leur fonction
créatrice (A). Pour autant, cet effet normatif entraîne un risque de contradiction entre
les dispositions techniques du Code de procédure pénale et les règles générées par les
principes de l’article préliminaire. Ces contradictions conduisent à poser la délicate
question de la relation hiérarchique entre les principes de l’article préliminaire et les
dispositions techniques du Code de procédure pénale (B).
A) La fonction créatrice des principes contenus dans l’article préliminaire
Cette fonction créatrice a, notamment, pour objet de combler les lacunes du Code
de procédure pénale. Il ne s’agit pas, dans le cadre de cette étude, d’entrer dans le
débat sur la complétude de l’ordre juridique, 46 mais plutôt de démontrer, à l’aide de
quelques illustrations, que les principes juridiques permettent au juge d’apporter à un
45
Cette interprétation est confortée par le fait que le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de
cassation à propos des requalifications s’est produit quelque temps après l’introduction de l’article
préliminaire dans le Code de procédure pénale (par la loi du 15 juin 2000).
46
Pour une revue des explications théoriques de la complétude du droit, GUASTINI R. Théorie et
ontologie du droit chez Dworkin, Droit et société 1986, n°2, p.15, spécialement p. 18.
12
problème juridique, des réponses qui ne figurent pas dans le Code 47. Ces réponses
peuvent provenir de normes techniques nouvelles qui découlent des principes, mais
aussi de l’interprétation extensive que le juge fait des principes.
La fonction créatrice à travers la production de normes techniques nouvelles.
Dans un arrêt du 19 mars 2002, 48 la Cour de cassation avait à statuer sur une question
technique inédite. Plusieurs pourvois en cassation avaient été formés par des mis en
examen et la Cour de cassation en avait accueilli certains et rejeté d’autres. Devant la
chambre d’instruction de renvoi, le mis en examen qui avait vu son pourvoi rejeté
sollicitait d’être présent à l’audience et avait déposé un mémoire. Pour autant, ce
dernier ne fut pas convoqué à l’audience et son mémoire fut déclaré irrecevable, la
chambre de l’instruction ayant estimé qu’elle ne pouvait connaître du cas d’une partie
dont le pourvoi a été rejeté. A l’inverse, le mis en examen considérait qu’en sa qualité
de partie à la procédure (il était effectivement défendeur à l’instruction), il devait être
convoqué à l’audience. Face à cette situation, la Cour de cassation était confrontée à
un problème juridique qui ne trouvait aucune solution explicite dans le Code et devant
lequel deux argumentations s’affrontaient. Elle affirma alors « qu’il résulte de l’article
préliminaire et des articles 174 et 197 du Code de procédure pénale que Y... et son
avocat devaient être avisés de la date de l’audience afin d’être mis en mesure de
déposer un mémoire et de présenter leurs observations, la chambre de l’instruction a
méconnu les textes précités ». La solution résulte de la combinaison de trois
dispositions du Code, mais il faut reconnaître que la Cour de cassation n’a pu trouver,
dans les articles 174 et 197 les fondements de sa décision. Seuls l’article préliminaire,
et le principe du contradictoire 49 ont permis de dégager une règle technique nouvelle
selon laquelle le mis en examen et son avocat doivent être informés de la date de
toutes les audiences durant l’instruction, peuvent déposer un mémoire et présenter
leurs observations. Cette règle ne subit pas de dérogation pour l’audience qui concerne
un pourvoi formé par une autre partie au procès et accueilli par la Cour de cassation. À
travers l’interprétation jurisprudentielle, on devine que l’article préliminaire a joué,
dans cette affaire, un rôle créateur.
La fonction créatrice du principe est particulièrement utile dans les procédures
qui ne sont pas réglementées avec précision dans le Code. Tel est le cas de la
procédure de réexamen d’une décision pénale consécutive au prononcé d’un arrêt de la
CEDH 50. Seuls sept articles du Code sont consacrés à cette procédure qui se déroule
devant une formation spéciale de la Cour de cassation 51. Inévitablement de nombreux
47
Dans notre thèse de doctorat, nous écrivions « La complétude ne signifie pas que les règles existantes
peuvent répondre à toutes les situations juridiques, mais plutôt que le système juridique, notamment
grâce à l’autorité juridictionnelle, est capable de fournir une solution juridique à chaque litige qui se
présente. La complétude repose donc sur la capacité du système à utiliser les règles existantes, à les
interpréter, ou à en créer de nouvelles ». Cette affirmation nous semble, avec quelques années de recul,
toujours exacte. E. Vergès, La catégorie des principes directeurs du procès judiciaire, thèse précit,
n°401.
48
Cass. crim. 19 mars 2002 - N° de pourvoi : 01-88240.
49
qui n’a pas été cité dans la décision.
50
Procédure créée par la loi n°2000-516 du 15 juin 2000, CPP art. 626-1 à 626-7.
51
La commission de réexamen.
13
problèmes procéduraux se sont posés lors de la mise en œuvre de ce réexamen pénal.
Par exemple, le Code, intéressé principalement par le sort du condamné formant le
recours, a négligé le sort des victimes. Inévitablement certaines d’entre elles ont
demandé à intervenir au cours de la procédure. Face à un vide juridique 52, la
commission de réexamen s’est tournée vers l’article préliminaire. Dans une décision
de principe du 16 octobre 2003 53, elle a affirmé : « vu l’article préliminaire du Code
de procédure pénale ; Attendu, selon ce texte, que la procédure pénale doit être
équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties et que
l’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au
cours de toute procédure pénale ; (…) Qu’il en résulte (que) les parties civiles qui en
font la demande peuvent, en audience publique devant la Commission de réexamen,
présenter des observations orales ou écrites ».
Cette décision est particulièrement instructive de la méthode utilisée par le juge
pour dégager une règle nouvelle sur le fondement de l’article préliminaire. La
possibilité donnée aux parties civiles de présenter des observations écrites résulte de la
combinaison de plusieurs principes de l’article préliminaire. La règle technique ainsi
créée trouve une partie de sa raison d’être dans chaque principe cité par le juge.
Toutefois, aucun principe ne prévoit expressément la règle technique. Il faut ainsi
souligner l’importance du travail du juge. Sans l’interprétation juridictionnelle, la règle
technique ne peut intégrer le champ du droit positif. Le juge est la bouche des
principes. C’est à lui de dégager leur signification. Les principes constituent le support
nécessaire de la règle nouvelle, mais le juge en est le véritable bâtisseur. La fonction
créatrice des principes dépend donc de la témérité du juge.
Avec quelques années d’application, il faut reconnaître que la Cour de cassation
n’a pas souvent fait preuve de cette audace créatrice, mais certains arrêts sont
suffisamment explicites, pour que l’on puisse en déduire que les principes de l’article
préliminaire possèdent un potentiel créatif évident. Par exemple, la Cour de cassation a
eu à statuer sur la recevabilité d’un mémoire déposé à l’appui de son pourvoi par un
procureur général. Aucune disposition légale ne prévoyait de délai pour ce dépôt de
mémoire. De cette absence de texte, la Cour de cassation aurait pu en déduire que le
procureur général n’était soumis à aucune condition de délai. Une telle solution aurait
inévitablement conduit à rompre l’égalité avec les parties privées soumises à un délai
de dépôt de mémoire 54. Elle entrait aussi en contradiction avec une décision de la Cour
européenne des droits de l’homme rendue le 5 novembre 2002 55. La Cour européenne
avait alors condamné, sur le fondement de l’égalité des armes, la procédure belge
selon laquelle l’auteur d’un pourvoi en cassation disposait d’un délai de deux mois
pour déposer un mémoire alors que le défendeur n’était soumis à aucun délai.
52
Le Code de procédure pénale n’autorisait pas la présence des victimes au procès, mais il ne l’interdisait
pas non plus.
53
Commission de réexamen, 16 octobre 2003 - N° de pourvoi : 03-RDH005.
54
CPP art. 585-1 pour le condamné et 584 (tel qu’interprété par la jurisprudence) pour la partie civile.
55
CEDH Wynen c/ Belgique, 5 nov. 2002, JCP G, 2003, I, 109, no 10, chron. F. Sudre
14
Pour éviter une condamnation de la France, la Cour de cassation a choisi de
combiner l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article
préliminaire du Code de procédure pénale dans un arrêt du 10 décembre 2002 56. En
l’espèce, le procureur général avait déposé son mémoire avec le dossier de la
procédure neuf mois après avoir formé son pourvoi. Le défendeur au pourvoi
invoquait alors le caractère tardif du dépôt du mémoire. La Cour de cassation fit droit à
cette demande au motif que « même en l’absence de texte lui impartissant un délai, la
production tardive, par le procureur général, de son mémoire en demande est, en
l’espèce, contraire aux principes du procès équitable, de l’équilibre des droits des
parties et du délai raisonnable de jugement des affaires pénales consacrés tant par
l’article préliminaire du Code de procédure pénale, issu de la loi du 15 juin 2000, que
par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ». Sans imposer un
délai précis, la Cour de cassation a utilisé, une nouvelle fois, la combinaison de
plusieurs principes pour dégager une règle technique (implicite) selon laquelle le
procureur général doit, à l’appui de son pourvoi, déposer son mémoire dans un délai
raisonnable.
Par son travail d’interprétation, le juge donne aux principes, abstraits et généraux,
une signification claire et précise. Cette opération permet de faire naître une règle
technique nouvelle à partir d’un principe existant. On observe ici, un processus créatif.
La création d’une norme nouvelle ne s’arrête pas là. Elle se poursuit grâce à
l’interprétation extensive donnée par le juge à certains principes.
La fonction créatrice à travers l’interprétation extensive des principes de
l’article préliminaire. Les principes possèdent une certaine généralité, mais le
législateur les cantonne parfois dans une formulation précise. Ainsi, dans l’article
préliminaire, le principe de séparation des fonctions n’est affirmé qu’en ce qui
concerne les autorités de poursuite et de jugement. Dans un arrêt du 15 septembre
2004 57, la Cour de cassation, en visant conjointement l’article préliminaire du Code de
procédure pénale et l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme,
a affirmé que « ne peuvent faire partie de la chambre des appels correctionnels les
magistrats qui, dans l’affaire soumise à cette juridiction, ont composé la chambre de
l’instruction ayant examiné la valeur probante de déclarations à charge qui servaient
de fondement aux poursuites ». La solution n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été posée
sous le seul visa de l’article 6§1 dans un arrêt de 1996 58. On peut donc en déduire que
l’action créatrice de l’article préliminaire est ici contestable. Mais à la lecture de l’arrêt
du 15 septembre 2004, on a tout de même l’impression que la Cour de cassation
trouve, dans l’article préliminaire, le fondement du principe de séparation des
fonctions d’instruction et de jugement, principe qui ne figure pas expressément dans le
texte. L’interprétation extensive de l’article préliminaire par le juge pénal est alors une
hypothèse envisageable 59.
56
Cass. crim. 10 décembre 2002 - N° de pourvoi : 02-82540, D. 2003, IR, 251
57
Cass. crim. 15 septembre 2004 - N° de pourvoi : 03-86110, D. 2005, juris., p. 1138.
58
Cass. crim. 27 juin 1996, bull., n°279. L’article préliminaire n’existait pas à cette époque.
59
Encore que l’on pourrait tenir un autre raisonnement au regard d’un autre motif tiré du même arrêt. La
Cour de cassation considère que le cumul des fonctions a méconnu l’exigence d’impartialité. Ce
15
L’hypothèse tend à se confirmer à la lecture d’un arrêt rendu le 5 décembre
2001 . La Cour de cassation avait à statuer sur la compatibilité de fonctions d’un
magistrat qui avait, en tant que substitut du procureur de la République, exercé un acte
de direction d’enquête 61, puis, dans la même affaire, statué dans la juridiction de
jugement. Au regard de l’article préliminaire, l’incompatibilité n’était pas manifeste.
Le Code parle ainsi de la séparation des autorités chargées de l’action publique et des
autorités de jugement. De façon générale, le substitut du procureur est chargé de
l’action publique, mais, dans l’espèce étudiée, il n’avait pas concrètement exercé
d’acte de poursuite. Loin de se tenir à une interprétation stricte de l’article
préliminaire, la Cour de cassation a déduit de ce texte que « ne peut participer au
jugement d’une affaire un magistrat qui en a connu en qualité de représentant du
ministère public ». Les juges se sont ici livrés à une interprétation extensive de l’article
préliminaire en estimant que la simple qualité de représentant du ministère public (et
non l’exercice d’un acte de poursuite) faisait obstacle à l’exercice de la fonction de
jugement 62.
60
La créativité jurisprudentielle est donc suscitée par les principes procéduraux et
l’on peut affirmer que certains principes possèdent, en eux, une fonction normative qui
dépasse leur formulation textuelle. On en trouve une illustration tout à fait topique
dans un arrêt rendu le 7 octobre 2003 63. Dans cette espèce, l’assureur du prévenu avait
été condamné in solidum à réparer le préjudice subi par la victime. Celui-ci n’était pas
intervenu à la procédure en première instance, mais il prétendait faire appel de la
décision. La Cour d’appel lui avait répondu justement que n’étant pas une partie au
procès, il ne pouvait pas interjeter appel et devait exercer une tierce opposition. Cette
décision fut pourtant cassée au visa de l’article préliminaire du Code de procédure
pénale et de l’article 6§1 de la Conv.EDH. La Cour de cassation se fonda sur ces deux
textes pour en déduire que « toute personne ayant été condamnée par une juridiction
répressive de première instance, sans avoir été partie au procès, a le droit de faire
examiner sa condamnation par une juridiction supérieure ». Cette règle ne se trouve
dans aucun des textes cités. L’article 6§1 ne contient pas de droit au double degré de
juridiction, que ce soit dans le texte ou dans l’interprétation qu’en donne la CEDH.
L’article préliminaire prévoit quant à lui que « toute personne condamnée a le droit de
faire examiner sa condamnation par une autre juridiction ». La Cour de cassation a
donc utilisé le principe du double degré de juridiction pour ajouter au principe de
principe n’est pas inscrit dans l’article préliminaire, mais l’on trouve dans cette disposition une
référence au procès équitable (art. prélim. al. 1). Il faudrait alors, pour donner une autre interprétation de
l’arrêt, déduire du caractère équitable de la procédure pénale le principe d’impartialité, puis la
séparation des fonctions d’instruction et de jugement.
60
Cass. crim. 5 décembre 2001 - N° de pourvoi : 01-81407, Procédures 2002 com. 57, obs. J. Buisson ;
61
L’arrêt mentionne que « sur instructions expresses » de ce magistrat, deux réquisitions avaient été
adressées par un officier de police judiciaire au directeur du fichier des comptes bancaires pour obtenir
des renseignements sur les comptes des personnes concernées dans une enquête. Le rôle du magistrat
n’avait donc pas consisté à exercer l’action publique mais à diriger l’enquête.
62
Dans cet arrêt, le principe d’impartialité a encore joué un rôle car l’article 6§1 de la Conv.EDH figure
aussi au visa.
63
Cass. crim. 7 octobre 2003 - N° de pourvoi : 02-88383, Dr. Pén. 2004, com. 13, obs. A. Maron ; RSC
2004, p. 131, obs. A. Giudicelli.
16
l’article préliminaire la formule « sans avoir été partie au procès » et pour transformer
la locution « par une autre juridiction » en une autre proposition : « par une
juridiction supérieure ». A l’issue de cette transformation, l’appel de l’assureur qui
n’avait pas été partie en première instance est devenu recevable. L’action créatrice du
principe est ici manifeste, mais la Cour de cassation a dû, pour cela, se livrer à une
interprétation combinée de l’article préliminaire et du principe jurisprudentiel du
double degré de juridiction. Une fois la règle technique créée, il reste une question à
résoudre : comment articuler la règle nouvelle avec celles préexistantes ? En d’autres
termes, existe-t-il une hiérarchie entre les principes de l’article préliminaire et les
autres règles du Code ?
B) La relation hiérarchique entre un principe de l’article préliminaire et
une disposition technique du Code de procédure pénale
D’un point de vue formel, les principes de l’article préliminaire ne possèdent pas
une autorité supérieure aux autres règles du Code. La circulaire d’application de la loi
du 15 juin 2000 64 précise à ce titre que « les dispositions de l’article préliminaire, de
nature législative, n’ont pas vocation à remettre en cause les autres dispositions
législatives du Code de procédure pénale ». L’affirmation emporte, à première vue,
l’adhésion, si l’on est attaché à un strict respect de la hiérarchie kelsenienne : à rang
égal, autorité égale. Mais au-delà de la hiérarchie formelle, on peut s’interroger sur
l’existence d’une différence de puissance normative entre un principe qui incarne une
valeur ou une utilité, et une règle technique qui procède souvent de la mise en œuvre
d’un principe. N’y aurait-il pas un autre critère permettant d’établir une hiérarchie
entre deux normes légales ? Dans notre thèse, nous avions émis l’hypothèse selon
laquelle les principes directeurs occuperaient une place privilégiée au sein du système
juridique en raison de leur proximité avec les valeurs et utilités sociales présentes dans
le droit processuel. Cette proximité leur conférerait une position supérieure aux autres
règles par la mise en œuvre d’une hiérarchie fondée sur deux critères (formel et
matériel) 65. Cette hypothèse trouvait alors un certain nombre d’illustration et
permettait notamment d’expliquer l’existence de principes jurisprudentiels contra
legem.
C’est sur cette hypothèse qu’il faut revenir à présent pour la confronter à la mise
en œuvre de l’article préliminaire par la chambre criminelle. La question se pose de
savoir si l’on peut déceler, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, une
reconnaissance de la supériorité des principes sur les autres règles de la procédure. En
réalité, cette supériorité apparaît plus que douteuse comme le démontrent les
illustrations suivantes.
Dans un arrêt 66du 17 octobre 2001, la Cour de cassation avait à statuer sur un
pourvoi qui se fondait sur l’article préliminaire, et particulièrement sur le principe de
64
Circulaire CRIM. 00-16 F1 du 20 décembre 2000.
65
E. Vergès, La catégorie des principes directeurs du procès judiciaire, thèse précit., n°136. En se fondant
sur cette dualité de critères, la hiérarchie des normes pourrait être illustrée, non par une pyramide, mais
selon la figure d’un « repère plan » schématisé par deux axes (vertical et horizontal) qui représentent,
chacun, l’un des critères hiérarchiques. Ibid, n°137 et suiv.
66
Cass. crim. 17 octobre 2001 - N° de pourvoi : 01-85349.
17
séparation des autorités de poursuite et de jugement, pour contester la régularité d’une
instruction au cours de laquelle le procureur de la République avait notifié aux parties
la date d’une audience sur la détention provisoire. Selon l’auteur du pourvoi, la
chambre de l’instruction avait « abandonné au ministère public le soin de fixer la date
à laquelle était renvoyée l’affaire ». Le pourvoi était mal motivé et la Cour de
cassation aurait pu considérer que le principe visé n’était pas en cause dans cette
affaire 67. Loin de ces considérations, la Cour a rejeté le moyen en affirmant « qu’en
laissant au procureur général le soin de notifier aux parties la date à laquelle l’affaire
serait à nouveau appelée à l’audience, la chambre de l’instruction n’a fait que se
conformer aux dispositions de l’article 197, alinéa 1er, du Code de procédure
pénale ». Dans cette affaire, le ministère public s’était effectivement cantonné à
l’application d’une disposition technique précise du Code. La Cour de cassation se
trouvait en face d’une disposition dont il était prétendu qu’elle contrariait l’article
préliminaire et le principe de séparation des fonctions. Loin de statuer sur cette
éventuelle confrontation, la chambre criminelle a opté pour une application stricte de
la disposition technique, écartant implicitement la supériorité supposée du principe.
Mais la stratégie d’évitement adoptée par la haute juridiction n’est pas très éclairante
dans cet arrêt.
Une illustration plus parlante est fournie par la décision rendue le 29 septembre
2004 . Dans cette espèce, le représentant du ministère public avait, devant une
première Cour d’assises, requis quinze années de réclusion criminelle à l’encontre
d’un accusé, puis, vingt-cinq années devant la Cour saisie de l’appel. L’accusé se
fondait sur le principe de l’égalité des armes prévu à l’article préliminaire pour
critiquer la régularité de la procédure. Il reprochait au ministère public de ne pas
l’avoir informé dans un délai raisonnable de son intention de requérir une peine plus
sévère. La Cour de cassation s’est fondée sur le caractère oral de la procédure devant
la Cour d’assises pour en déduire qu’« aucune disposition légale ou conventionnelle ne
prévoit que le ministère public doive faire préalablement connaître la teneur des
réquisitions qu’il entend développer ». Dans cet arrêt, la Cour de cassation ne procède
pas à une confrontation directe entre l’article préliminaire et une disposition technique
du Code, mais l’on a tout de même le sentiment que le principe d’égalité des armes ne
peut se substituer à l’absence d’une disposition légale ou conventionnelle claire faisant
obligation au ministère public de révéler, à l’avance, le contenu de ses réquisitions. Il
est possible d’en déduire que le principe ne possède pas, dans cette espèce, une portée
normative suffisante.
68
La relation hiérarchique entre une disposition du Code et l’article préliminaire
semble se dessiner dans un arrêt en date du 20 avril 2005 69. Une personne condamnée
pour malversations reprochait au procureur de la République de n’avoir pas poursuivi
les coauteurs de cette infraction. Il considérait que cet usage de l’opportunité des
67
D’une part, notifier ne signifie pas déterminer la date d’audience, et de surcroît, le principe visé par le
pourvoi, à savoir la séparation des autorités de poursuites et de jugement, était inapplicable en l’espèce,
s’agissant d’un éventuel cumul entre fonctions de poursuite et d’instruction.
68
Cass. crim. 29 septembre 2004 - N° de pourvoi : 04-80079
69
Cass. crim. 20 avril 2005 - N° de pourvoi : 04-82427
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poursuites avait porté atteinte au principe d’égalité et aux droits de la défense. Il
invoquait, à ce titre, l’article préliminaire. La Cour de cassation, pour rejeter le
pourvoi, affirma que « le principe d’opportunité des poursuites défini à l’article 40,
alinéa 1, du Code de procédure pénale n’est pas incompatible avec les exigences du
procès équitable et ne méconnaît ni les textes ni les principes conventionnels
invoqués ». Sous couvert d’une déclaration de conformité, on peut considérer que la
Cour de cassation contrôle la compatibilité entre un principe technique du Code,
l’article 40 alinéa 1, et les principes contenus dans l’article préliminaire 70. Il n’y a là
aucune affirmation péremptoire, mais peut être le frémissement d’une relation
hiérarchique entre l’article préliminaire et les autres dispositions du Code. Cette
hiérarchie demeure avant tout théorique et ne repose pas sur des solutions claires et
constantes de la Cour de cassation. Sur ce point, l’interprétation de l’article
préliminaire par la haute juridiction n’a pas permis de conférer aux principes directeurs
du procès, une puissance normative spécifique.
***
En conclusion de cette étude, il est difficile d’affirmer que l’entrée en vigueur de
l’article préliminaire a modifié en profondeur la structure normative de la procédure
pénale. Les principes de l’article préliminaire ne sont pas dénués de portée normative.
On constate ainsi que l’article préliminaire a permis au juge de préciser le contenu de
certains principes, ou de combler, dans des hypothèses particulières, des vides
juridiques. Mais dans l’ensemble, la Cour de cassation a fait un usage très modéré de
l’article préliminaire, sans conférer à cette disposition une autorité particulière. Un tel
constat tranche avec l’audace dont la Cour de cassation fait parfois preuve dans la mise
en œuvre des principes directeurs du procès 71. Cette étude montre, s’il en était besoin,
que la portée normative d’un principe tient plus à la place que le juge lui attribue qu’à
sa consécration dans les dispositions préliminaires d’un Code.
70
Lequel est cité parmi d’autres textes, ce qui réduit la portée de cette interprétation. Il faudrait aussi établir
une distinction entre les principes de l’article préliminaire et ceux contenus dans les autres dispositions
du Code, ce qui est loin d’être évident et rend l’analyse encore plus complexe.
71
On fait allusion ici à l’action contra legem des principes. Cf. par exemple, J. Buisson, S. Guinchard,
Procédure pénale, litec, 2ème édition, n°1234. et n°1282.
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