Médiations à la recherche d`étayages - COREM

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Médiations à la recherche d`étayages - COREM
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Journal N°21 – Juin 2016
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Edito
Pour ce numéro du journal du COREM, deux textes vous sont présentés.
Ecrire et écrire encore ? N’a-t-on pas déjà tout dit sur la médiation ? Il semblerait que
non, tant ce dont elle parle et ce qu’elle exige est complexe et demande que l’on « fouille »
toujours plus. Les médiateurs auraient-ils à être de véritables archéologues ?
La médiation, ce qu’elle exige ?
C’est le premier texte de Claire Denis qui vient nous en re- parler. La médiation doit
trouver des étayages de plus en plus solides parce que elle est un objet encore fragile et
trop récent pour être pensée comme aboutie. De plus elle est convoitée par beaucoup donc
elle exige beaucoup de vigilance pour ne pas tomber aux mains de falsificateurs tout en
n’excluant pas les approches multiples qui se développent. Mais la rigueur est
incontournable.
Ce dont parle la médiation, ce qui en fait le cœur, c’est le conflit.
C’est le deuxième texte de Claire Bonnelle. Claire en a fait un livre tant le sujet est vaste
et complexe : « La dynamique du conflit au cœur de la pratique d’une médiatrice familiale ».
Comment exploiter le conflit, comment l’entendre, comment s’en saisir pour en faire une
ressource plus qu’un obstacle. Les situations rencontrées par les médiateurs ou les
médiatrices sont éprouvantes, elles demandent pour être abordées une réflexion, une
formation, une compétence, une expérience qui dépassent de loin ce que certains jugent
comme suffisant.
Alors la médiation pour qu’elle soit à la hauteur de ses ambitions doit sans cesse
s’interroger, se questionner, se préciser, s’enrichir, remettre sans cesse son ouvrage sur le
métier, aussi inlassablement que les situations qu’elle aborde se répètent toujours
apparemment les mêmes et pourtant toujours différentes.
Alors oui, les écrits ne sont pas prêts d’être taris… Ils sont le signe d’une recherche
vivante et nécessaire.
Maïté Lassime
Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs
Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/
Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux
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Edito ...................................................................................................... 2
Médiations à la recherche d’étayages .............................................. 4
Les justifications ............................................................................... 12
Lu dans « l’âge de faire » N°107 ..................................................... 18
Atelier d’écriture .............................................................................. 18
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Médiations à la recherche d’étayages
Par Claire Denis
Avant-propos de Claire Bonnelle
Avant-propos
La recherche d'étayages pour la médiation est à la base de la création du COREM. Claire Denis, dans ce texte, écrit à l'origine pour une revue du CNAM, nous invite à ne pas nous reposer
sur nos lauriers. Faute de fondations théoriques, la médiation pourrait rater une chance que sa
visibilité médiatique lui offre aujourd'hui. Les médiateurs, qu'ils soient familiaux ou non, doivent
aujourd'hui, nous seulement penser leur pratique, mais écrire, conceptualiser, se mettre dans
une posture de recherche, parallèlement à leur travail clinique. Sans cette élaboration conceptuelle, la formidable reconnaissance institutionnelle actuelle risque de faire de la médiation une
énième tarte à la crème susceptible d'englober toutes les pratiques sous le seul prétexte
qu'elles peuvent s'en prévaloir.
Claire Bonnelle
Nous assistons depuis une dizaine d’année à une prolifération de pratiques de médiation et à
l’usage élastique et contorsionniste des mots « Médiation » et « médiateur » à telle enseigne
qu’en voulant tout exprimer ces mots sont au risque de ne plus rien dire. Dans le même temps,
la pratique de médiation s’est « technicisée », « professionnalisée», quand elle était, par le
passé, un savoir-faire partagé par divers professionnels.
La médiation a vu converger vers elle des professionnels insatisfaits (travailleurs sociaux,
avocats, psychologues, communicants, magistrats…), professionnels désireux de répondre à la
souffrance de sens de leurs professions. Ainsi se sont multipliées les pratiques de médiation
inspirées et colorées des savoir-faire des différents métiers, comme si la médiation en ellemême n’était pas encore sortie de sa chrysalide.
Les médiateurs ont par ailleurs pris l’habitude de se définir par la négative : ni Juge, ni conseil,
ni avocat, ni psychothérapeute, comme pour se séparer de leurs professions d’origine (ce qui a
probablement à voir avec la notion de neutralité dont il sera question plus loin). Nous pourrions
parler d’un « désir de médiation » partagé, comme une quête, à travers la médiation, d’une
nouvelle forme de présence aux problèmes de notre temps.
I.
Des repères possibles pour clarifier les pratiques de médiation
Il y a, dans ce vaste champ des médiations, des possibilités de clarification et de classification
que les médiateurs praticiens appellent de leurs vœux, mais il y a aussi une part de la
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médiation qui relève de l’inclassable et de ce qui échappe. Des repères* personnels sont
proposés ici – repères qui trouveront des illustrations dans la pratique de médiation familiale
(« médiation-rencontre de parentèle1 ») :
1) La première clarification nécessite de revenir à l’étymologie du mot médiation. En effet, le
sens le plus ancien est celui de division, puis le mot évolue et prend le sens d’entremise
destinée à concilier les personnes2. Dans la pratique de médiation, nous retrouvons ce
double mouvement de division / séparation / individuation et réunion :
« L’association de ces deux verbes (séparer-relier) peut prendre un sens dans divers
domaines : psychique, anthropologique et politique. Elle exprime ce qu’est la coexistence
de sujets distincts et libres, et aussi ce que « fait » le langage. Le langage « fait médiation »
précisément parce qu’il sépare et relie – en de multiples modalités - les sujets parlants et
les objets dont ils parlent »3.
Sur un plan méthodologique : séparer revient à renvoyer la
personne à elle-même (exprimer ses propres sentiments, valeurs,
demandes…), à mettre en lumière les différences, à distinguer le
sujet de l’objet dont on parle, à éviter la violence frontale en
proposant de parler, à construire éventuellement des supports à la
parole.
Pour plus de clarté, lorsque je parle de séparation, j’entends
séparation psychique comme capacité à vivre sans l’autre sans trop
de souffrance, tout en aménageant un lien qui permet de « vivre sa
vie ». Ainsi en médiation familiale, plus l’histoire de couple a été
riche, fusionnelle, plus le travail d’individuation est premier dans le
travail de médiation.
Ce n’est qu’après un travail de séparation,
de distinction qu’il est possible de penser à
se re-lier de façon différente.
Parfois, a contrario, le mouvement du relié
est premier dans le travail, en particulier
lorsque les personnes ne se connaissent
pas (cf. les exemples donnés dans la
médiation créative ci-dessous).
1
Livre à paraître chez Chronique sociale
Dictionnaire historique de la Langue française, sous la direction d’Alain Rey, Le Robert, 2000
3
Laurence Cornu, Bernard Cortot, Emile Ricard, Claire Denis
2
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2) La deuxième référence est celle de Jean-François SIX qui distingue la médiation
« créative » (celle qui vise à créer des liens entre les personnes) de la médiation
« préventive » (celle qui conduit à éviter la dégradation des liens) et de la médiation
« curative » (celle qui intervient en cas de conflit déclaré).
La médiation créative
Dans ce cas, les relations n’existent pas entre les personnes et elles nous demandent de
les aider à faire connaissance (ici nous retrouvons le mouvement du relié cité
précédemment comme premier).
Des personnes ont un lien (père, fille) sans avoir eu de relations (la fille ne connaît
pas son père) ; des parents homosexuels ont conçu des enfants sans se connaître.
Ils sont en conflit et font appel à un médiateur familial.
La médiation préventive
Sous ce qualificatif se désignent des demandes de ritualisation de ruptures et séparation,
sans que les personnes soient en conflit.
Des personnes de 80 ans sont venues demander une aide pour écrire une lettre à
leurs enfants, afin d’annoncer leur séparation.
La médiation curative
Elle représente une grande part des demandes, lorsque la souffrance amène les personnes
à chercher l’aide du médiateur (ici le travail du séparé devient premier comme précisé plus
haut).
Une femme et un homme divorcés « saisissent le Juge chaque année » : pour la
résidence des enfants, la pension alimentaire, le choix de l’école. Ils se disent
« épuisés ».
3) Une troisième distinction peut être opérée entre les « actes de médiation » réalisés par
des professionnels divers (travailleurs sociaux, avocats …) dans leur activité habituelle et
les dispositifs de médiation mis en œuvre par des médiateurs indépendants, dispositifs
visant à mettre en relation des personnes, la plupart du temps en conflit.
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Des professionnels peuvent réaliser des « actes » de médiation sans être dans la place de
médiateur, ce qui engage des obligations particulières et sans ouvrir des lieux-tiers de
médiation dont le cadre est spécifique.
4) Plus fondamentalement, plusieurs praticiens opèrent une distinction entre « la » médiation
et « une » médiation :
« Une médiation est une rencontre. Elle est soutenue par le désir des personnes de pouvoir
se parler. Une médiation vise la déprise d’un état de violence. La médiation émerge, opère, se
développe comme un processus de non-violence. Il n’y a pas habituellement nécessité de
recourir à un médiateur pour que des rencontres aient lieu et que la médiation opère. Mais on
peut aussi constater que le développement des techniques de communication « instantanées »
nous livre à la flambée des réactions immédiates. Ainsi lorsque le lien est altéré, les personnes
peuvent faire appel à un praticien. Ce dernier va leur proposer de faire en sa présence
l’expérience d’un échange parlé en présence. »4
Dans la pratique, la médiation est envisagée comme échappant au médiateur, hors de son
contrôle, en même temps qu’il se porte garant d’un dispositif de médiation (une médiation, des
séances de médiation au sein desquels un cadre éthique est établi : confidentialité, égalité des
places, sécurité des personnes ; impartialité, neutralité, indépendance du médiateur).
J’ai souvent reçu des personnes, qui, à la suite d’une information sur la médiation m’ont
signifié, quelques temps plus tard, avoir trouvé là le courage d’aller discuter avec l’autre.
Par ailleurs, « la » médiation ne s’arrête pas avec la levée du dispositif (« une »
médiation) ; il m’est arrivé de rencontrer des personnes quelques années après leur
venue en médiation : ils avaient « réalisé » à posteriori ce qu’il n’avait pas été possible
d’entendre ou de réaliser dans le temps du dispositif.
5) Une dernière distinction apparaît aujourd’hui essentielle. Elle porte sur la revendication de la
neutralité ou non parmi les « conditions inséparablement éthiques et opératoires,
réinterrogées en permanence dans la rencontre de médiation»4.
4
Ce texte est le fruit d’une élaboration collective. Il a pour auteurs : Laurence Cornu, Bernard
Cortot, Emile Ricard, Claire Denis (juillet 2008)
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D’ailleurs le lecteur curieux de voyager dans les codes de déontologie ou les écrits sur
l’éthique de la médiation et l’éthique du médiateur y trouvera ou non cette notion. Il pourra
décrypter également que ces différences de fondements prennent encrage et se lisent
dans les pratiques.
Par exemple, une différence méthodologique majeure tient à la façon dont les
médiateurs conçoivent les cadres des entretiens individuels et collectifs : soit le cadre
est le même (mutualisation de ce qui est apporté par les personnes), soit il diffère (le
médiateur peut recueillir des éléments qui ne seront pas mutualisés ; il peut être
détenteur de secrets qui lui donneront une position de sachant au-delà de ce qui est
connu par chacune des personnes actrices de la médiation).
La question du neutre étaye le dispositif de médiation car elle a trait au projet que les
médiateurs et les institutions qui financent et sollicitent la médiation ont pour les personnes et à
l’objectif qu’ils se fixent en proposant le dispositif. Elle révèle des divergences fondamentales
entre une façon de penser le rôle du médiateur spécialiste de la matière traitée, et une autre qui
porte la « professionnalité » du médiateur du côté du cadre garanti, la matière traitée restant le
propre et l’œuvre des personnes qui sollicitent son aide. Elle a une incidence sur le pouvoir pris
par le médiateur.
Dans ce type de médiation, la position de neutre intervient comme « suspension »5, « déprise »,
correspondant à la définition ci-dessous :
« La neutralité est le fait de s’interdire en notre qualité de professionnel d’avoir un projet
concernant la situation, un projet pour et à la place des personnes. Il s’agit alors, pour le
médiateur, de « neutraliser » son propre projet : sentiments, valeurs, idées, pouvoir.
Cette abstention-là repose sur une conviction, non neutre, celle de la capacité des
personnes à se déterminer elles-mêmes dans leur choix : s’efforçant d’être neutre dans
chaque médiation, le médiateur tient à l’importance de -la- médiation. C’est là un
engagement qui soutient la liberté et la responsabilité des personnes à se déterminer
elles-mêmes »4.
Ces repères évoqués, j’émettrai des propositions pour contribuer à clarifier le vaste champ des
médiations en France.
5
épochê, nom féminin, (grec epokhê, arrêt) / Suspension du jugement chez les philosophes
sceptiques grecs
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II.
Des propositions de travail pour la profession de médiateur
1) Conceptualiser les courants de médiation
Les pratiques de médiation peuvent être :
-
négociatrices ou conciliatoires, c’est à dire orientées vers la recherche d’un accord sur un
litige ;
apparentées à la guidance (conseil) et découler d’un travail d’audit ;
fondées sur la création ou le rétablissement de la « communication » ;
pensées en référence à la création / restauration / modification du lien par le dialogue, le
débat, la recherche du sens du conflit ;
à visée « thérapeutique » (plus rarement).
Ces « courants de médiation » nécessitent d’être étayés sur un plan théorique afin de pouvoir
être distingués. Les écrits du COREM soulignent « la nécessité de répondre à l’urgence
théorique » devant la « pauvreté conceptuelle qui entretient la confusion au sein des
pratiques »6. Ce travail appelle les praticiens à réaliser un travail de conceptualisation et
d’écriture de leurs pratiques avec le soutien de théoriciens.
2) Développer la recherche
La recherche sur les pratiques de médiation est à ce jour peu développée ; elle nécessite de
s’assurer des conditions de son déploiement et de sa mise en œuvre.
a) Les conditions de la recherche
En tant que praticienne de médiation et d’écrivain de pratiques, les propositions suivantes
semblent devoir être avancées. Il semble nécessaire de se départir des discours (commercial
et idéologique) centrés sur les effets attendus ; car il faut bien l’avouer, les médiateurs, surpris
par le peu d’engouement des personnes et des professionnels à solliciter leurs services, ont
développé des démarches de promotion qui ont influé sur les recherches et évaluations
menées jusqu’alors dans le cadre d’associations de médiation.
La recherche doit être distanciée et indépendante. Elle ne peut se mettre au service d’un
pouvoir qui attend une confirmation de ce qu’il demande au médiateur (faire taire les conflits,
désengorger la Justice…) ou au service des médiateurs qui cherchent à promouvoir leur art.
6
Corem : [email protected]; texte fondateur du Corem
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b)
Une recherche de « type clinique »
La recherche « clinique » apparaît adaptée à une approche de la séance qui se réfère à la
parole7 et à la singularité des situations. Comme le propose Marie Rousseau, il s’agira
« de travailler sur la singularité de situations qui ne produiront pas nécessairement des
connaissances généralisables, mais qui apporteront des éléments éventuellement
transférables….
Parler de recherche c'est opter pour une démarche rigoureuse, qui consistera à conserver
une proximité avec le terrain afin de faire émerger des questionnements, à partir de chaque
questionnement, de construire le dispositif de recherche le plus adapté à la question posée
et à le mettre en oeuvre avec les chercheurs qui seront en pertinence avec le champ
théorique (ou méthodologique) choisi »8.
La recherche ne peut produire du sens pré-fabriqué. Pour ce faire, il semble nécessaire
qu’elle s’élabore en extériorité et en intériorité à la fois, qu’elle associe chercheur, praticien et
personnes qui demandent et expérimentent des dispositifs de médiation, dans une coconstruction du sens de ce qui s’expérimente, dans une élaboration de connaissance
associant différents acteurs :
- Le chercheur
Il est à distance, dans l’observation. Il remet à disposition des éléments signifiants, des
signes, des concepts, des ressources réflexives. Il semble également important qu’il ne soit
pas médiateur lui-même, afin de garder la distance avec l’objet d’étude. N’oublions pas
cependant que le chercheur (sociologue, philosophe, anthropologue …) chausse une
lunette particulière pour observer « une » médiation et « la » médiation (ne serait-ce pas utile
de penser « recherche pluridisciplinaire » en matière de médiation ?).
- Le médiateur
Il travaille à analyser ses propres positions, méthodes, interférences et inductions comme
faisant partie du matériel à étudier. Il réalise un effort réflexif et de confrontation avec les
savoirs abstraits. Il est participant / observateur, impliqué / à distance.
- Les personnes qui ont sollicité et vécu l’expérience de médiation,
Elles s’expriment, sont écoutées, donnent sens à la médiation telle qu’elles l’ont vécue, à
différents moments de l’expérimentation ( avant : ce qu’elles attendent ; pendant : ce qu’elle
y vivent ; après : les traces, les « bois flottés » ou « laisse de mer », ce qui a surnagé des
effets de la rencontre).
La recherche clinique semble également devoir prendre en compte :
-
Le contexte dans lequel se déroulent l’expérimentation et la pratique de médiation ;
-
La dissymétrie des places : praticien, chercheur, personnes qui ont participé à une
7
« Confiance est faite à la parole »,Livret pratique éthique de médiation familiale, APMF, 2003.
8
Journal du Corem numéro 2, éditorial de Marie Rousseau
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médiation ;
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-
Les effets de symétrie entre le médiateur et les personnes qui sollicitent son intervention
(identification, projection, mouvements défensifs ; résonances, transfert-contre/transfert) ;
-
La forme et le fond, le contenant et le contenu, pour mieux les penser dissociés et
ensemble et, par ricochet, éclairer différents courants de médiation ;
-
Les notions méthodologiques et théoriques de « cadre et processus » (écrits de Claire
Denis, Laurence Cornu 9), de ce qui est stabilité et mouvement dans une et la médiation.
Il s’agit de découvrir, par des méthodes rigoureuses, des données nouvelles et significatives,
de laisser place à l’inattendu. Le sens d’une et de la médiation sera à co-construire entre
tous les partenaires de la recherche, dans un cadre qui associe clinique, méthode, concepts,
éthique, et ceci, dans l’après-coup, pour laisser du temps à l’élaboration.
c) une visibilité des résultats de la recherche
Enfin la recherche doit déboucher sur une transmission à la communauté des chercheurs et
des praticiens, sur un retour aux personnes ayant participé à l’expérience de médiation ; elle
nécessite en effet un travail réflexif et critique plus général. Cette transmission prendra
nécessairement la forme de communications orales et écrites.
3) Repenser la formation
Conceptualiser les pratiques, réaliser des recherches pourront enfin conduire à repenser la
formation, en particulier dans l’articulation entre pratique et théorie, du côté du travail sur soi
(éthique de la pratique) et de la relation entre la médiation et l’institution ( institué, instituant).
En conclusion
Au moment de rentrer à nouveau dans un temps réflexif sur la médiation, le vœu est ici
formulé que les praticiens et les chercheurs s’attèlent à ces travaux nécessaires pour la
survie de la médiation. Les apports de connaissances, les distinctions et clarifications seront
à l’avenir des points d’ancrages pour la pensée et l’action des professionnels et des
formateurs, des repères pour le citoyen qui, demain, sollicitera une médiation.
Claire Denis
9
C.Denis, L. Cornu, Revue « écrits et manuscrits », « cadre et processus », colloque de
Lille, APMF numéro 2 (juin 2004)
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Les justifications
Par Claire Bonnelle /Avant-propos de Claire Denis
Avant-propos
Claire Bonnelle nous propose, dans son livre « La dynamique du conflit, au cœur de la pratique
d'une médiatrice familiale » qui vient de paraître chez ERES, une plongée dans les conflits
tissés à plusieurs mains, chaîne et trame, fils et contre fils, nœuds et croisements, pièces à la
fois uniques et universelles. Son ouvrage s'adresse à tous, comme le conflit nous concerne
tous, mais son angle de vue demeure singulier : il est celui de la médiatrice qui regarde le
conflit comme un processus, énergie qui inaugure de possibles changements.
Au delà du projet énoncé de l'auteure, la portée de ce livre peut offrir aux praticiens de la
médiation une nouvelle méthode « fondée » sur la reconnaissance du conflit comme donnée
inéluctable de la vie de chacun. Il y a là, pour le médiateur comme pour les autres professionnels, un ancrage dans une perception du conflit
comme continuité du monde intérieur avec ses sentiments contraires, avec ce qui est difficilement maîtrisé,
qui échappe, submerge parfois, mouvements contraires qui se projettent dans la relation à l'autre.
Dans ce livre « auto-réflexif », la parole de la
médiatrice compte ; elle émane d'une place dont
l'autorité résulte de la reconnaissance qu'autrui lui
adresse ; Elle garantit un cadre où les paroles sont
adressées, sont à entendre, à dé-battre ; elle distille à
la fois du cadre ( la sécurité) et du processus( du
mouvement ; « du flux, du courant de vie », « de
l'élasticité dans la relation « ), selon les besoins qui
émergent, afin que chacun « puisse rester soi-même
dans le changement ». La médiatrice se montre,
comme nombre de ses pairs, subtile cuisinière : une
pincée de cadre, un brin de processus, goûtons
ensemble, rectifions, assaisonnons.
Vous trouverez ici, ci-dessous, un extrait de cet ouvrage portant sur la propension à rationaliser,
justifier, argumenter et s'auto-convaincre dans la médiation, pour, à la fois rester dans la norme
des parents et citoyens « acceptables » et « tirer son épingle du jeu » et en même temps
poursuivre la controverse avec l'interlocuteur. Que va donc faire la médiatrice dans cette
galère ? Se mettre à distance des multiples rationalisations pour interroger les ressentis,
réveiller la subjectivité, offrir des détours possibles, proposer de changer de place ? Chaque
lecteur pourra s'imaginer intervenir en qualité de médiateur/médiatrice, à partir des vignettes
cliniques proposées par l'auteur, et si l'envie s'en fait sentir, pourra écrire au Corem les échos
provoqués par cet extrait de livre.
Claire Denis
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Les justifications10
Deux jeunes parents viennent de se séparer et sont orientés vers la médiation. Lors du premier
entretien commun, ils sont très tendus et agressifs. Au bout de cinq minutes, la mère annonce
qu'elle va déménager dans une ville proche. Le père est furieux.
- Quoi ? … C'est impossible, c'est impossible !
- Je vais avoir un travail là-bas à la rentrée, à mi-temps. Ma sœur pourra garder les petits... et elle
m'a trouvé une maison.
- Mais, les enfants, je ne pourrais plus les prendre !
- Il ne s'agit pas de t'empêcher de voir les enfants ! Vingt kilomètres, ça peut se faire toutes les
semaines sans problème ! C'est dans l'intérêt des enfants, ils ont besoin d'avoir des parents qui
assurent financièrement, qui gagnent leur vie.
- Tu ne peux pas déménager, je te l'interdis ! Toi qui te dis proche des enfants, tu veux partir loin
d'ici ! Ils ont besoin de moi, pour eux tu dois rester à proximité. Moi je défends l'idée que les enfants
ont besoin d'avoir une mère ET un père. On ne peut pas dire qu'on défend l’intérêt des enfants
lorsqu'on choisit délibérément de quitter l'endroit où ils ont vécu. C'est insensé !
- L'intérêt des enfants c'est d'avoir une mère qui va bien, pas une mère qui déprime !
Les personnes en conflit en appellent toujours à la raison. Chacune défend une position
avec un discours extrêmement convaincant, les arguments sont imparables. Submergées
par leurs émotions, elles s'accrochent aux idées.
Comment contester que les enfants ont besoin d'une mère et d'un père ? Comment
disconvenir que les enfants ont besoin d'une mère qui va bien ? La mère pense qu'elle a
raison de déménager, le père qu'il a raison de l'en empêcher.
Chacun arrive en médiation avec sa solution et la défend avec énergie, comme si elle était
à même de résoudre le conflit. Pour la mère, tout ira mieux quand son ex-conjoint aura
accepté ce déménagement, pour le père, le renoncement à celui-ci est la seule solution.
Un individu s'autorise à interdire à un autre de déménager. En toute bonne conscience, il
invoque une référence morale. Il justifie cette interdiction au nom du droit des enfants à
avoir leurs deux parents à proximité. Or il doit connaître, immanquablement, la norme
sociale qui veut qu'un adulte ne peut pas interdire à un autre adulte de résider où bon lui
semble.
La justification vise à démontrer que, s'il bafoue cette règle, c'est à juste titre, c'est pour de
bonnes raisons. Il ne veut pas rompre avec tout le monde, se couper de tout, s'isoler de la
vie sociale. Il se fâche avec la mère de ses enfants mais n'envisage pas pour autant de se
voir rejeté par tout le monde. Il lui faut donc montrer qu'il conserve des valeurs, qu'il reste
soucieux des règles. La justification a pour fonction de préserver les liens existants. C'est le
« oui... mais » : OUI, je ne devrais pas MAIS j'ai de bonnes raisons !
- Oui, c'était pas super pour les enfants que je traite leur père de salaud mais, ce jour-là, il était
particulièrement insupportable, il me dénigrait encore devant eux..., je devais le mettre à la porte et
c'était la seule solution pour y parvenir !
Cette femme utilise le « oui... mais » : elle reconnait que normalement ça ne se fait pas,
mais elle objecte que, dans ces circonstances particulières, elle a eu raison d'insulter son
ex-conjoint. En disant cela, elle reste solidaire de tous ceux qui pensent que les parents ne
10
Ce texte commence en page 168 de l'ouvrage.
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doivent pas s'injurier devant leurs enfants. Elle montre à son interlocuteur, moi en
l’occurrence, qu'elle partage ces valeurs-là, qu'elle ne remet aucunement en question la
norme sociale. Elle dira qu'il faut se parler avec courtoisie. Renier ces valeurs serait laisser
entendre qu'elle ne fait plus partie de la communauté de ceux qui se comportent bien
socialement. Pour autant, elle invoque une considération supérieure qui modifie, selon elle,
la signification et la portée de son geste. Elle admet l'avoir fait, mais elle attire l'attention sur
le contexte exceptionnel qui rend l'acte acceptable. Lorsqu'elle invoque ces raisons, elle est
convaincue de ce qu'elle avance, il ne s'agit pas d'une stratégie manipulatoire.
Il n'y a pas de conflit sans justification. Les personnes veulent argumenter leurs positions,
se mettre hors de cause, donner des preuves. Elles ont le besoin de tout justifier : leurs
actes et leurs paroles passées, leurs choix et leurs attitudes présentes, leurs projets pour le
futur. Elles ont besoin de faire accepter, de faire valoir, de convaincre autour d'elles. Il y a
différentes manières de justifier :
- Ce n'est pas moi, je n'y étais pas !
La première est de nier.
confrontation.
Elle est peu utilisée en médiation car elle résiste mal à la
- Je n'ai pas crié fort, et les enfants étaient loin. C'est pas grave !
La deuxième, plus courante est de minimiser. Cette justification tend à réduire la portée de
ce qui a été fait. L'acte est rendu justifiable par la faiblesse de son impact et les valeurs, à
priori bafouées, ne sont pas remises en question. Ainsi cette femme pourrait dire que les
enfants n'ont presque rien entendu. L'auteur ignore ou fait mine d'ignorer la partialité de
son jugement et sous-estime les conséquences de son geste.
- C'est à cause de mon genou, je ne peux pas passer plus souvent à la maison de retraite. Je sais qu'il
faudrait pour Papa mais je ne peux pas. Je dois me reposer. Quand ça ira mieux, je prendrai mon
tour !
La troisième manière de justifier, est la plus fréquente dans les conflits familiaux : les
personnes invoquent des circonstances particulières qui rendent superflu ou accessoire le
respect des règles communes. Quelque chose de supérieur modifie la validité de celles-ci.
Il ne faut pas y voir de mal ou de mauvaise intention. Ainsi les problèmes de santé ou
d'argent sont fréquemment utilisés comme alibi pour ne pas faire ce que l'on devrait faire.
- Trouve-moi au moins une raison, dis n'importe quoi, que tu étais au téléphone, que tu avais un
problème sur la route, mais ne me dis pas que tu l'as tout simplement oubliée !
J'ai remarqué que si l'un des deux protagonistes ne justifie plus ses actions, ou pas
correctement, l'Autre en est tout perturbé. Ainsi cette mère ne pouvait pardonner à son exconjoint qui avait oublié leur fille à l'école de ne trouver aucune excuse. Le fait qu'il
n'avance aucune justification crédible à cet oubli la laissait face à un adversaire qui n'était
pas à la hauteur. Elle aurait préféré une bonne bataille d'arguments et l'argutie du père était
déplorable à ses yeux.
Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs
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Le conflit est une guerre qui se livre à coups d'arguments. Les adversaires ont à portée de
main une réserve inépuisable de contre-arguments susceptibles de s'opposer les uns aux
autres qui permettent la poursuite de la controverse. Leurs discours se contrent et se
surpassent en démonstrations. Dans le conflit, ils se mesurent et se testent, s'écorchant
l'un l'autre, ni trop, ni pas assez. J'y verrais presque une sorte de jouissance ! Leur brillante
rhétorique maintient la tension du conflit sans anéantir l'Autre.
Je rencontre une mère très en colère contre le père de son fils de quinze ans. Elle lui
reproche de ne plus venir le chercher un week-end sur deux.
- Il le néglige, dit-elle, depuis qu'il a emménagé avec sa nouvelle chérie.
Elle s'en étonne car jusqu'à présent il réclamait l'adolescent autant que possible.
Je rencontre ensuite le père seul qui m'explique qu'il est très tendu quand il se retrouve
entre son fils et sa compagne. Il me raconte bientôt la dispute qu'il a eue avec lui
dernièrement en présence de celle-ci, dispute au cours de laquelle il lui a demandé de
retourner chez sa mère. Il fournit ensuite de nombreux arguments destinés à me
convaincre, mais aussi à se convaincre lui-même :
- Mon fils n'est pas assez souple pour venir chez nous, il ne décolle pas de son ordinateur ! Et puis, il
ne dit presque plus rien, il râle et n'est jamais content. D'ailleurs il nous a volé de l'argent...
Il en conclut que c'est mieux pour tout le monde qu'il ne vienne plus. Il n'exprime pas de
regret à propos des paroles proférées et cherche au contraire à les justifier. Le malaise que
je peux percevoir chez lui lorsqu'il en parle au début fait place à de plus en plus
d'assurance et de maîtrise de soi. Je sens qu'il en rajoute involontairement pour me
montrer qu'il a eu raison de le déclarer malvenu chez lui.
Vient ensuite le premier entretien commun. Naturellement, la mère demande au père de lui
expliquer ce qui s'est passé entre lui et leur fils. Il raconte la dispute, critique son fils, se
justifie. Je coupe court et demande aux deux parents de me dire comment était leur relation
avant cet épisode. Ils n'en disent pas grand-chose.
- Ça marchait plutôt bien, au moins on pouvait se parler, dit-elle. C'est depuis que tu es avec ta
chérie !
Je propose alors au père d'exprimer les difficultés qu'il pourrait avoir à intégrer son rôle
paternel dans son nouveau couple. Il parle alors des circonstances dans lesquelles il a
rejeté son fils. Je l'invite, avec des questions précises, à parler de lui-même, de son
exaspération et de sa difficulté à trouver une connivence avec cet adolescent taciturne.
La mère dira ensuite comment elle a perçu que leur fils en était très blessé. Il conviendra
un peu plus tard qu'il souhaite que son fils revienne mais il reste inquiet de l’attitude de sa
nouvelle compagne vis-à-vis de lui.
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Les justifications des personnes produisent un phénomène d'auto-conviction. En parlant,
elles sont de plus en plus convaincues de ce qu’elles avancent. Je fais l’hypothèse que le
père dans l'exemple ci-dessus n'est pas très satisfait d'avoir mis son fils dehors. Il aurait
sans doute préféré ne pas le faire. Il aurait pu s'en excuser si l'altercation n'avait pas fait
naitre un véritable conflit. La dynamique de celui-ci le pousse à ne pas perdre la face et à
se battre. En cherchant à exprimer ses arguments, il se convainc qu'il a bien fait, il essaye
de sortir de l'inconfort psychique dans lequel il s'est mis. En se justifiant devant la mère et
moi-même, il se justifie à ses propres yeux.
Le mécanisme d'auto-justification est éclairé par la théorie de la dissonance
cognitive élaborée par Léon Festinger chercheur en psychologie sociale. Il a montré que
les individus qui ont été poussés par une circonstance particulière à agir en contradiction
avec leurs croyances et leurs valeurs, cherchent ensuite à réduire leur malaise
psychologique. Ils le font en modifiant celles-ci après coup jusqu'à les rendre cohérentes
avec les actes produits, ou bien en reproduisant de nouveau le comportement inadéquat.
« L’existence simultanée d'éléments de connaissance qui, d'une manière ou d'une autre ne
s'accordent pas (dissonance), entraîne de la part de l'individu un effort pour les faire, d'une
façon ou d'une autre, mieux s'accorder (réduction de la dissonance)11. »
Le nouveau comportement, étrange au début, finit, à force d'être répété, par ne plus l'être
et produit bientôt par l'habitude une nouvelle norme. Les individus ajustent en fait après
coup leurs opinions, leurs croyances au comportement qu'ils viennent de réaliser. Il s'en
suit une attitude totalement incompréhensible pour l'entourage au regard des qualités et
caractères qu'avait la personne auparavant. La théorie montre que les comportements qui
suivent une période de dissonance cognitive vont à l'encontre de ce que l'environnement
attendrait raisonnablement.
Le conflit offre une multitude de situations de dissonances cognitives. Celles-ci sont à
l'origine d'incompréhensions majeures, de sentiments d'absurdité voire de délire. Les actes
réalisés semblent parfois totalement impossibles à croire. J'ai de nombreuses fois en
médiation entendu dire que l'Autre était devenu fou, ou bien qu'il avait du rencontrer une
secte ou un nouveau compagnon cinglé ! Je me souviens ainsi d'un papa qui était furieux
et surpris que la mère de son fils fasse de l'auto-stop avec lui. Il l'avait toujours connu très
craintive, peu sociable, et il s'étonnait qu'elle ose faire cela. Lors de leur rencontre en
médiation, elle trouvait pourtant de très bons arguments pour prouver que le stop n'était
pas dangereux.
Cette théorie est éclairante par son
aspect motivationnel. L'individu est
toujours à la recherche d’un équilibre.
Lorsque celui est rompu, l'état de
tension qui en découle le motive à
retrouver un univers cohérent. Il ne
peut supporter longtemps de produire
des actes contraires à ses idées car la
culpabilité est source d'angoisses
profondes et douloureuses. Il cherche
alors inconsciemment à réduire la
discordance en réduisant l'écart entre
le comportement et les idées. Sans en
avoir conscience et sans le décider
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délibérément, il remplace ses anciennes idées par celles qui correspondent à ses actes. Ne
pouvant annuler ce qui a été fait, il peut par contre en nier l'évidence, le minimiser ou bien
au contraire en rajouter. On retrouve ici les trois manières de justifier. Plus la discordance
est grande, plus l'individu ressent fortement la pression visant à réduire celle-ci et plus les
justifications sont fortes, convaincantes, et assenées avec persuasion. Il s'agit d'une
pression sociale non identifiée.
Les convictions de chacun s'assouplissent ainsi et se transforment au gré des évènements.
Les idées et les valeurs sont revisitées de manière à ce qu'elles s'accordent avec les
comportements. Ce réajustement échappe à la conscience. L'individu attribue une cause
rationnelle et une logique à un comportement qui trouve son origine dans la sphère
passionnelle ou qui est le résultat de concours de circonstances. La rationalisation sert à
justifier des comportements en les fondant sur la raison alors que leur ressort se situe en
dehors de la rationalité.
Je n'ai pas besoin dans ma fonction de médiatrice de savoir quels sont les déterminants
des comportements des personnes, je n'ai ni à interpréter ni à expliquer. La connaissance
des procédés de justification m'aide à ne pas adhérer stricto sensu aux explications qui me
sont fournies. Repérer cette attitude de mise en cohérence, si fréquente dans le conflit,
m'invite à prendre garde aux motifs affichés. Alors que les personnes se présentent comme
rationnelles, je les vois plutôt comme des individus qui rationalisent.
La construction des justifications provoque un renforcement des certitudes, or, qui dit
renforcement des certitudes dit renforcement du conflit. Les deux adversaires fournissent
arguments et contre-arguments dans une escalade qui n'en vient pas à bout. Il y a
spontanément une montée en puissance. Les arguments ne font pas taire l'Autre, celui-ci
ne se rend pas à l'évidence du raisonnement et cela agace. Les justifications attisent le
conflit.
Ici se révèle un malentendu. Les personnes attendent de nous médiateurs, que nous les
aidions à sortir du conflit. Elles cherchent cette sortie du côté de la raison, de l'objectivité,
de la logique. Elles argumentent, poussée par un courant puissant qui pousse à la
rationalité. Elles insistent et s'enferment dans des systèmes de pensée qui les éloignent
l'une de l'autre.
- Monsieur, vous venez de nous dire les raisons pour lesquelles vous avez refusé de venir voir vos
enfants, mais je me permets de vous poser de nouveau la question que je vous ai posé tout à l'heure
et à laquelle vous n'avez-pas vraiment répondu : comment avez-vous vécu cette période-là,
comment était-ce pour vous ?
J'invite les personnes à quitter la rationalisation pour aller vers la prise en compte des
ressentis. J'interviens, je coupe la parole et utilise le questionnement pour orienter les
échanges. Il y a des intentions dans mes questions ; l'une de celles-ci est de décaler, de
surprendre, de déséquilibrer la logique de l'argumentaire. Je vise l'expression des
sentiments et des motivations, la reconnaissance mutuelle. Les personnes reviennent
inlassablement à leurs justifications. J'insiste. J'ai le sentiment de ramer à contre-courant.
D'un côté le flot de leur argumentaire, de l'autre le contre-courant de la médiation qui freine
le premier, oriente, décale.
Claire Bonnelle
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Lu dans « l’âge de faire » N°107
Une part du journal porte sur la façon
dont les conflits sont abordés au sein de
la ZAD de Notre-Dame des landes (entre
200 à 300 personnes, dont la plupart ont
entre 25 et 35 ans). Il n’est pas question
pour les occupants de créer un appareil
répressif; alors se sont mis en place des
réunions chaque semaine. Au cours de
ces réunions sont mis sur la table les
différends et conflits. Des règles
collectives (“ jamais fixées dans le
marbre”) se sont dégagées (gestion des
chiens
en
liberté,
agressions,
menaces...).
Un groupe de médiation de 12
personnes (le “groupe embrouilles”) s’est
créé; ses membres sont tirés au sort
(pour moitié sur une liste de volontaires,
pour moitié sur une liste comprenant la
cinquantaine de lieux de vie de la zad); il
convient alors au lieu de choisir en
interne la personne désignée pour faire
partie du groupe de médiateurs.
Les habitants de la ZAD peuvent appeler
l’instance de médiation par téléphone et
le groupe de médiateurs peut “s’autosaisir” quand un conflit peut avoir des
répercutions sur un groupe. Il y a par
ailleurs une attention collective : ”on est
tous considérés comme responsable de
ce qui se passe; quand quelqu’un
dépasse les limites, chacun est chargé
de se positionner” dit un habitant de la
ZAD.
Atelier d’écriture
Si vous souhaitez écrire en lien avec la médiation et à partir d’annonces humoristiques :
Exemples :
« Cherche un électricien pour rétablir le courant entre les gens »
« Cherche un opticien pour changer leur regard »
« Cherche un artiste pour dessiner un sourire sur tous les visages »
« Cherche un maçon pour bâtir la paix »
« Cherche un jardinier pour cultiver la pensée »
« Cherche un prof de maths pour nous apprendre à compter les uns sur les autres »
« Cherche des porteurs de rêves, allumeurs de conscience, conteneurs de violences, penseurs
du commun »
(....)
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