Médiations à la recherche d`étayages - COREM
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Médiations à la recherche d`étayages - COREM
Journal N°21 – Juin 2016 Edito Pour ce numéro du journal du COREM, deux textes vous sont présentés. Ecrire et écrire encore ? N’a-t-on pas déjà tout dit sur la médiation ? Il semblerait que non, tant ce dont elle parle et ce qu’elle exige est complexe et demande que l’on « fouille » toujours plus. Les médiateurs auraient-ils à être de véritables archéologues ? La médiation, ce qu’elle exige ? C’est le premier texte de Claire Denis qui vient nous en re- parler. La médiation doit trouver des étayages de plus en plus solides parce que elle est un objet encore fragile et trop récent pour être pensée comme aboutie. De plus elle est convoitée par beaucoup donc elle exige beaucoup de vigilance pour ne pas tomber aux mains de falsificateurs tout en n’excluant pas les approches multiples qui se développent. Mais la rigueur est incontournable. Ce dont parle la médiation, ce qui en fait le cœur, c’est le conflit. C’est le deuxième texte de Claire Bonnelle. Claire en a fait un livre tant le sujet est vaste et complexe : « La dynamique du conflit au cœur de la pratique d’une médiatrice familiale ». Comment exploiter le conflit, comment l’entendre, comment s’en saisir pour en faire une ressource plus qu’un obstacle. Les situations rencontrées par les médiateurs ou les médiatrices sont éprouvantes, elles demandent pour être abordées une réflexion, une formation, une compétence, une expérience qui dépassent de loin ce que certains jugent comme suffisant. Alors la médiation pour qu’elle soit à la hauteur de ses ambitions doit sans cesse s’interroger, se questionner, se préciser, s’enrichir, remettre sans cesse son ouvrage sur le métier, aussi inlassablement que les situations qu’elle aborde se répètent toujours apparemment les mêmes et pourtant toujours différentes. Alors oui, les écrits ne sont pas prêts d’être taris… Ils sont le signe d’une recherche vivante et nécessaire. Maïté Lassime Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux Edito ...................................................................................................... 2 Médiations à la recherche d’étayages .............................................. 4 Les justifications ............................................................................... 12 Lu dans « l’âge de faire » N°107 ..................................................... 18 Atelier d’écriture .............................................................................. 18 Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux Médiations à la recherche d’étayages Par Claire Denis Avant-propos de Claire Bonnelle Avant-propos La recherche d'étayages pour la médiation est à la base de la création du COREM. Claire Denis, dans ce texte, écrit à l'origine pour une revue du CNAM, nous invite à ne pas nous reposer sur nos lauriers. Faute de fondations théoriques, la médiation pourrait rater une chance que sa visibilité médiatique lui offre aujourd'hui. Les médiateurs, qu'ils soient familiaux ou non, doivent aujourd'hui, nous seulement penser leur pratique, mais écrire, conceptualiser, se mettre dans une posture de recherche, parallèlement à leur travail clinique. Sans cette élaboration conceptuelle, la formidable reconnaissance institutionnelle actuelle risque de faire de la médiation une énième tarte à la crème susceptible d'englober toutes les pratiques sous le seul prétexte qu'elles peuvent s'en prévaloir. Claire Bonnelle Nous assistons depuis une dizaine d’année à une prolifération de pratiques de médiation et à l’usage élastique et contorsionniste des mots « Médiation » et « médiateur » à telle enseigne qu’en voulant tout exprimer ces mots sont au risque de ne plus rien dire. Dans le même temps, la pratique de médiation s’est « technicisée », « professionnalisée», quand elle était, par le passé, un savoir-faire partagé par divers professionnels. La médiation a vu converger vers elle des professionnels insatisfaits (travailleurs sociaux, avocats, psychologues, communicants, magistrats…), professionnels désireux de répondre à la souffrance de sens de leurs professions. Ainsi se sont multipliées les pratiques de médiation inspirées et colorées des savoir-faire des différents métiers, comme si la médiation en ellemême n’était pas encore sortie de sa chrysalide. Les médiateurs ont par ailleurs pris l’habitude de se définir par la négative : ni Juge, ni conseil, ni avocat, ni psychothérapeute, comme pour se séparer de leurs professions d’origine (ce qui a probablement à voir avec la notion de neutralité dont il sera question plus loin). Nous pourrions parler d’un « désir de médiation » partagé, comme une quête, à travers la médiation, d’une nouvelle forme de présence aux problèmes de notre temps. I. Des repères possibles pour clarifier les pratiques de médiation Il y a, dans ce vaste champ des médiations, des possibilités de clarification et de classification que les médiateurs praticiens appellent de leurs vœux, mais il y a aussi une part de la Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux médiation qui relève de l’inclassable et de ce qui échappe. Des repères* personnels sont proposés ici – repères qui trouveront des illustrations dans la pratique de médiation familiale (« médiation-rencontre de parentèle1 ») : 1) La première clarification nécessite de revenir à l’étymologie du mot médiation. En effet, le sens le plus ancien est celui de division, puis le mot évolue et prend le sens d’entremise destinée à concilier les personnes2. Dans la pratique de médiation, nous retrouvons ce double mouvement de division / séparation / individuation et réunion : « L’association de ces deux verbes (séparer-relier) peut prendre un sens dans divers domaines : psychique, anthropologique et politique. Elle exprime ce qu’est la coexistence de sujets distincts et libres, et aussi ce que « fait » le langage. Le langage « fait médiation » précisément parce qu’il sépare et relie – en de multiples modalités - les sujets parlants et les objets dont ils parlent »3. Sur un plan méthodologique : séparer revient à renvoyer la personne à elle-même (exprimer ses propres sentiments, valeurs, demandes…), à mettre en lumière les différences, à distinguer le sujet de l’objet dont on parle, à éviter la violence frontale en proposant de parler, à construire éventuellement des supports à la parole. Pour plus de clarté, lorsque je parle de séparation, j’entends séparation psychique comme capacité à vivre sans l’autre sans trop de souffrance, tout en aménageant un lien qui permet de « vivre sa vie ». Ainsi en médiation familiale, plus l’histoire de couple a été riche, fusionnelle, plus le travail d’individuation est premier dans le travail de médiation. Ce n’est qu’après un travail de séparation, de distinction qu’il est possible de penser à se re-lier de façon différente. Parfois, a contrario, le mouvement du relié est premier dans le travail, en particulier lorsque les personnes ne se connaissent pas (cf. les exemples donnés dans la médiation créative ci-dessous). 1 Livre à paraître chez Chronique sociale Dictionnaire historique de la Langue française, sous la direction d’Alain Rey, Le Robert, 2000 3 Laurence Cornu, Bernard Cortot, Emile Ricard, Claire Denis 2 Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux 2) La deuxième référence est celle de Jean-François SIX qui distingue la médiation « créative » (celle qui vise à créer des liens entre les personnes) de la médiation « préventive » (celle qui conduit à éviter la dégradation des liens) et de la médiation « curative » (celle qui intervient en cas de conflit déclaré). La médiation créative Dans ce cas, les relations n’existent pas entre les personnes et elles nous demandent de les aider à faire connaissance (ici nous retrouvons le mouvement du relié cité précédemment comme premier). Des personnes ont un lien (père, fille) sans avoir eu de relations (la fille ne connaît pas son père) ; des parents homosexuels ont conçu des enfants sans se connaître. Ils sont en conflit et font appel à un médiateur familial. La médiation préventive Sous ce qualificatif se désignent des demandes de ritualisation de ruptures et séparation, sans que les personnes soient en conflit. Des personnes de 80 ans sont venues demander une aide pour écrire une lettre à leurs enfants, afin d’annoncer leur séparation. La médiation curative Elle représente une grande part des demandes, lorsque la souffrance amène les personnes à chercher l’aide du médiateur (ici le travail du séparé devient premier comme précisé plus haut). Une femme et un homme divorcés « saisissent le Juge chaque année » : pour la résidence des enfants, la pension alimentaire, le choix de l’école. Ils se disent « épuisés ». 3) Une troisième distinction peut être opérée entre les « actes de médiation » réalisés par des professionnels divers (travailleurs sociaux, avocats …) dans leur activité habituelle et les dispositifs de médiation mis en œuvre par des médiateurs indépendants, dispositifs visant à mettre en relation des personnes, la plupart du temps en conflit. Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux Des professionnels peuvent réaliser des « actes » de médiation sans être dans la place de médiateur, ce qui engage des obligations particulières et sans ouvrir des lieux-tiers de médiation dont le cadre est spécifique. 4) Plus fondamentalement, plusieurs praticiens opèrent une distinction entre « la » médiation et « une » médiation : « Une médiation est une rencontre. Elle est soutenue par le désir des personnes de pouvoir se parler. Une médiation vise la déprise d’un état de violence. La médiation émerge, opère, se développe comme un processus de non-violence. Il n’y a pas habituellement nécessité de recourir à un médiateur pour que des rencontres aient lieu et que la médiation opère. Mais on peut aussi constater que le développement des techniques de communication « instantanées » nous livre à la flambée des réactions immédiates. Ainsi lorsque le lien est altéré, les personnes peuvent faire appel à un praticien. Ce dernier va leur proposer de faire en sa présence l’expérience d’un échange parlé en présence. »4 Dans la pratique, la médiation est envisagée comme échappant au médiateur, hors de son contrôle, en même temps qu’il se porte garant d’un dispositif de médiation (une médiation, des séances de médiation au sein desquels un cadre éthique est établi : confidentialité, égalité des places, sécurité des personnes ; impartialité, neutralité, indépendance du médiateur). J’ai souvent reçu des personnes, qui, à la suite d’une information sur la médiation m’ont signifié, quelques temps plus tard, avoir trouvé là le courage d’aller discuter avec l’autre. Par ailleurs, « la » médiation ne s’arrête pas avec la levée du dispositif (« une » médiation) ; il m’est arrivé de rencontrer des personnes quelques années après leur venue en médiation : ils avaient « réalisé » à posteriori ce qu’il n’avait pas été possible d’entendre ou de réaliser dans le temps du dispositif. 5) Une dernière distinction apparaît aujourd’hui essentielle. Elle porte sur la revendication de la neutralité ou non parmi les « conditions inséparablement éthiques et opératoires, réinterrogées en permanence dans la rencontre de médiation»4. 4 Ce texte est le fruit d’une élaboration collective. Il a pour auteurs : Laurence Cornu, Bernard Cortot, Emile Ricard, Claire Denis (juillet 2008) Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux D’ailleurs le lecteur curieux de voyager dans les codes de déontologie ou les écrits sur l’éthique de la médiation et l’éthique du médiateur y trouvera ou non cette notion. Il pourra décrypter également que ces différences de fondements prennent encrage et se lisent dans les pratiques. Par exemple, une différence méthodologique majeure tient à la façon dont les médiateurs conçoivent les cadres des entretiens individuels et collectifs : soit le cadre est le même (mutualisation de ce qui est apporté par les personnes), soit il diffère (le médiateur peut recueillir des éléments qui ne seront pas mutualisés ; il peut être détenteur de secrets qui lui donneront une position de sachant au-delà de ce qui est connu par chacune des personnes actrices de la médiation). La question du neutre étaye le dispositif de médiation car elle a trait au projet que les médiateurs et les institutions qui financent et sollicitent la médiation ont pour les personnes et à l’objectif qu’ils se fixent en proposant le dispositif. Elle révèle des divergences fondamentales entre une façon de penser le rôle du médiateur spécialiste de la matière traitée, et une autre qui porte la « professionnalité » du médiateur du côté du cadre garanti, la matière traitée restant le propre et l’œuvre des personnes qui sollicitent son aide. Elle a une incidence sur le pouvoir pris par le médiateur. Dans ce type de médiation, la position de neutre intervient comme « suspension »5, « déprise », correspondant à la définition ci-dessous : « La neutralité est le fait de s’interdire en notre qualité de professionnel d’avoir un projet concernant la situation, un projet pour et à la place des personnes. Il s’agit alors, pour le médiateur, de « neutraliser » son propre projet : sentiments, valeurs, idées, pouvoir. Cette abstention-là repose sur une conviction, non neutre, celle de la capacité des personnes à se déterminer elles-mêmes dans leur choix : s’efforçant d’être neutre dans chaque médiation, le médiateur tient à l’importance de -la- médiation. C’est là un engagement qui soutient la liberté et la responsabilité des personnes à se déterminer elles-mêmes »4. Ces repères évoqués, j’émettrai des propositions pour contribuer à clarifier le vaste champ des médiations en France. 5 épochê, nom féminin, (grec epokhê, arrêt) / Suspension du jugement chez les philosophes sceptiques grecs Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux II. Des propositions de travail pour la profession de médiateur 1) Conceptualiser les courants de médiation Les pratiques de médiation peuvent être : - négociatrices ou conciliatoires, c’est à dire orientées vers la recherche d’un accord sur un litige ; apparentées à la guidance (conseil) et découler d’un travail d’audit ; fondées sur la création ou le rétablissement de la « communication » ; pensées en référence à la création / restauration / modification du lien par le dialogue, le débat, la recherche du sens du conflit ; à visée « thérapeutique » (plus rarement). Ces « courants de médiation » nécessitent d’être étayés sur un plan théorique afin de pouvoir être distingués. Les écrits du COREM soulignent « la nécessité de répondre à l’urgence théorique » devant la « pauvreté conceptuelle qui entretient la confusion au sein des pratiques »6. Ce travail appelle les praticiens à réaliser un travail de conceptualisation et d’écriture de leurs pratiques avec le soutien de théoriciens. 2) Développer la recherche La recherche sur les pratiques de médiation est à ce jour peu développée ; elle nécessite de s’assurer des conditions de son déploiement et de sa mise en œuvre. a) Les conditions de la recherche En tant que praticienne de médiation et d’écrivain de pratiques, les propositions suivantes semblent devoir être avancées. Il semble nécessaire de se départir des discours (commercial et idéologique) centrés sur les effets attendus ; car il faut bien l’avouer, les médiateurs, surpris par le peu d’engouement des personnes et des professionnels à solliciter leurs services, ont développé des démarches de promotion qui ont influé sur les recherches et évaluations menées jusqu’alors dans le cadre d’associations de médiation. La recherche doit être distanciée et indépendante. Elle ne peut se mettre au service d’un pouvoir qui attend une confirmation de ce qu’il demande au médiateur (faire taire les conflits, désengorger la Justice…) ou au service des médiateurs qui cherchent à promouvoir leur art. 6 Corem : [email protected]; texte fondateur du Corem Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux b) Une recherche de « type clinique » La recherche « clinique » apparaît adaptée à une approche de la séance qui se réfère à la parole7 et à la singularité des situations. Comme le propose Marie Rousseau, il s’agira « de travailler sur la singularité de situations qui ne produiront pas nécessairement des connaissances généralisables, mais qui apporteront des éléments éventuellement transférables…. Parler de recherche c'est opter pour une démarche rigoureuse, qui consistera à conserver une proximité avec le terrain afin de faire émerger des questionnements, à partir de chaque questionnement, de construire le dispositif de recherche le plus adapté à la question posée et à le mettre en oeuvre avec les chercheurs qui seront en pertinence avec le champ théorique (ou méthodologique) choisi »8. La recherche ne peut produire du sens pré-fabriqué. Pour ce faire, il semble nécessaire qu’elle s’élabore en extériorité et en intériorité à la fois, qu’elle associe chercheur, praticien et personnes qui demandent et expérimentent des dispositifs de médiation, dans une coconstruction du sens de ce qui s’expérimente, dans une élaboration de connaissance associant différents acteurs : - Le chercheur Il est à distance, dans l’observation. Il remet à disposition des éléments signifiants, des signes, des concepts, des ressources réflexives. Il semble également important qu’il ne soit pas médiateur lui-même, afin de garder la distance avec l’objet d’étude. N’oublions pas cependant que le chercheur (sociologue, philosophe, anthropologue …) chausse une lunette particulière pour observer « une » médiation et « la » médiation (ne serait-ce pas utile de penser « recherche pluridisciplinaire » en matière de médiation ?). - Le médiateur Il travaille à analyser ses propres positions, méthodes, interférences et inductions comme faisant partie du matériel à étudier. Il réalise un effort réflexif et de confrontation avec les savoirs abstraits. Il est participant / observateur, impliqué / à distance. - Les personnes qui ont sollicité et vécu l’expérience de médiation, Elles s’expriment, sont écoutées, donnent sens à la médiation telle qu’elles l’ont vécue, à différents moments de l’expérimentation ( avant : ce qu’elles attendent ; pendant : ce qu’elle y vivent ; après : les traces, les « bois flottés » ou « laisse de mer », ce qui a surnagé des effets de la rencontre). La recherche clinique semble également devoir prendre en compte : - Le contexte dans lequel se déroulent l’expérimentation et la pratique de médiation ; - La dissymétrie des places : praticien, chercheur, personnes qui ont participé à une 7 « Confiance est faite à la parole »,Livret pratique éthique de médiation familiale, APMF, 2003. 8 Journal du Corem numéro 2, éditorial de Marie Rousseau Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux médiation ; - Les effets de symétrie entre le médiateur et les personnes qui sollicitent son intervention (identification, projection, mouvements défensifs ; résonances, transfert-contre/transfert) ; - La forme et le fond, le contenant et le contenu, pour mieux les penser dissociés et ensemble et, par ricochet, éclairer différents courants de médiation ; - Les notions méthodologiques et théoriques de « cadre et processus » (écrits de Claire Denis, Laurence Cornu 9), de ce qui est stabilité et mouvement dans une et la médiation. Il s’agit de découvrir, par des méthodes rigoureuses, des données nouvelles et significatives, de laisser place à l’inattendu. Le sens d’une et de la médiation sera à co-construire entre tous les partenaires de la recherche, dans un cadre qui associe clinique, méthode, concepts, éthique, et ceci, dans l’après-coup, pour laisser du temps à l’élaboration. c) une visibilité des résultats de la recherche Enfin la recherche doit déboucher sur une transmission à la communauté des chercheurs et des praticiens, sur un retour aux personnes ayant participé à l’expérience de médiation ; elle nécessite en effet un travail réflexif et critique plus général. Cette transmission prendra nécessairement la forme de communications orales et écrites. 3) Repenser la formation Conceptualiser les pratiques, réaliser des recherches pourront enfin conduire à repenser la formation, en particulier dans l’articulation entre pratique et théorie, du côté du travail sur soi (éthique de la pratique) et de la relation entre la médiation et l’institution ( institué, instituant). En conclusion Au moment de rentrer à nouveau dans un temps réflexif sur la médiation, le vœu est ici formulé que les praticiens et les chercheurs s’attèlent à ces travaux nécessaires pour la survie de la médiation. Les apports de connaissances, les distinctions et clarifications seront à l’avenir des points d’ancrages pour la pensée et l’action des professionnels et des formateurs, des repères pour le citoyen qui, demain, sollicitera une médiation. Claire Denis 9 C.Denis, L. Cornu, Revue « écrits et manuscrits », « cadre et processus », colloque de Lille, APMF numéro 2 (juin 2004) Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux Les justifications Par Claire Bonnelle /Avant-propos de Claire Denis Avant-propos Claire Bonnelle nous propose, dans son livre « La dynamique du conflit, au cœur de la pratique d'une médiatrice familiale » qui vient de paraître chez ERES, une plongée dans les conflits tissés à plusieurs mains, chaîne et trame, fils et contre fils, nœuds et croisements, pièces à la fois uniques et universelles. Son ouvrage s'adresse à tous, comme le conflit nous concerne tous, mais son angle de vue demeure singulier : il est celui de la médiatrice qui regarde le conflit comme un processus, énergie qui inaugure de possibles changements. Au delà du projet énoncé de l'auteure, la portée de ce livre peut offrir aux praticiens de la médiation une nouvelle méthode « fondée » sur la reconnaissance du conflit comme donnée inéluctable de la vie de chacun. Il y a là, pour le médiateur comme pour les autres professionnels, un ancrage dans une perception du conflit comme continuité du monde intérieur avec ses sentiments contraires, avec ce qui est difficilement maîtrisé, qui échappe, submerge parfois, mouvements contraires qui se projettent dans la relation à l'autre. Dans ce livre « auto-réflexif », la parole de la médiatrice compte ; elle émane d'une place dont l'autorité résulte de la reconnaissance qu'autrui lui adresse ; Elle garantit un cadre où les paroles sont adressées, sont à entendre, à dé-battre ; elle distille à la fois du cadre ( la sécurité) et du processus( du mouvement ; « du flux, du courant de vie », « de l'élasticité dans la relation « ), selon les besoins qui émergent, afin que chacun « puisse rester soi-même dans le changement ». La médiatrice se montre, comme nombre de ses pairs, subtile cuisinière : une pincée de cadre, un brin de processus, goûtons ensemble, rectifions, assaisonnons. Vous trouverez ici, ci-dessous, un extrait de cet ouvrage portant sur la propension à rationaliser, justifier, argumenter et s'auto-convaincre dans la médiation, pour, à la fois rester dans la norme des parents et citoyens « acceptables » et « tirer son épingle du jeu » et en même temps poursuivre la controverse avec l'interlocuteur. Que va donc faire la médiatrice dans cette galère ? Se mettre à distance des multiples rationalisations pour interroger les ressentis, réveiller la subjectivité, offrir des détours possibles, proposer de changer de place ? Chaque lecteur pourra s'imaginer intervenir en qualité de médiateur/médiatrice, à partir des vignettes cliniques proposées par l'auteur, et si l'envie s'en fait sentir, pourra écrire au Corem les échos provoqués par cet extrait de livre. Claire Denis Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux Les justifications10 Deux jeunes parents viennent de se séparer et sont orientés vers la médiation. Lors du premier entretien commun, ils sont très tendus et agressifs. Au bout de cinq minutes, la mère annonce qu'elle va déménager dans une ville proche. Le père est furieux. - Quoi ? … C'est impossible, c'est impossible ! - Je vais avoir un travail là-bas à la rentrée, à mi-temps. Ma sœur pourra garder les petits... et elle m'a trouvé une maison. - Mais, les enfants, je ne pourrais plus les prendre ! - Il ne s'agit pas de t'empêcher de voir les enfants ! Vingt kilomètres, ça peut se faire toutes les semaines sans problème ! C'est dans l'intérêt des enfants, ils ont besoin d'avoir des parents qui assurent financièrement, qui gagnent leur vie. - Tu ne peux pas déménager, je te l'interdis ! Toi qui te dis proche des enfants, tu veux partir loin d'ici ! Ils ont besoin de moi, pour eux tu dois rester à proximité. Moi je défends l'idée que les enfants ont besoin d'avoir une mère ET un père. On ne peut pas dire qu'on défend l’intérêt des enfants lorsqu'on choisit délibérément de quitter l'endroit où ils ont vécu. C'est insensé ! - L'intérêt des enfants c'est d'avoir une mère qui va bien, pas une mère qui déprime ! Les personnes en conflit en appellent toujours à la raison. Chacune défend une position avec un discours extrêmement convaincant, les arguments sont imparables. Submergées par leurs émotions, elles s'accrochent aux idées. Comment contester que les enfants ont besoin d'une mère et d'un père ? Comment disconvenir que les enfants ont besoin d'une mère qui va bien ? La mère pense qu'elle a raison de déménager, le père qu'il a raison de l'en empêcher. Chacun arrive en médiation avec sa solution et la défend avec énergie, comme si elle était à même de résoudre le conflit. Pour la mère, tout ira mieux quand son ex-conjoint aura accepté ce déménagement, pour le père, le renoncement à celui-ci est la seule solution. Un individu s'autorise à interdire à un autre de déménager. En toute bonne conscience, il invoque une référence morale. Il justifie cette interdiction au nom du droit des enfants à avoir leurs deux parents à proximité. Or il doit connaître, immanquablement, la norme sociale qui veut qu'un adulte ne peut pas interdire à un autre adulte de résider où bon lui semble. La justification vise à démontrer que, s'il bafoue cette règle, c'est à juste titre, c'est pour de bonnes raisons. Il ne veut pas rompre avec tout le monde, se couper de tout, s'isoler de la vie sociale. Il se fâche avec la mère de ses enfants mais n'envisage pas pour autant de se voir rejeté par tout le monde. Il lui faut donc montrer qu'il conserve des valeurs, qu'il reste soucieux des règles. La justification a pour fonction de préserver les liens existants. C'est le « oui... mais » : OUI, je ne devrais pas MAIS j'ai de bonnes raisons ! - Oui, c'était pas super pour les enfants que je traite leur père de salaud mais, ce jour-là, il était particulièrement insupportable, il me dénigrait encore devant eux..., je devais le mettre à la porte et c'était la seule solution pour y parvenir ! Cette femme utilise le « oui... mais » : elle reconnait que normalement ça ne se fait pas, mais elle objecte que, dans ces circonstances particulières, elle a eu raison d'insulter son ex-conjoint. En disant cela, elle reste solidaire de tous ceux qui pensent que les parents ne 10 Ce texte commence en page 168 de l'ouvrage. Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux doivent pas s'injurier devant leurs enfants. Elle montre à son interlocuteur, moi en l’occurrence, qu'elle partage ces valeurs-là, qu'elle ne remet aucunement en question la norme sociale. Elle dira qu'il faut se parler avec courtoisie. Renier ces valeurs serait laisser entendre qu'elle ne fait plus partie de la communauté de ceux qui se comportent bien socialement. Pour autant, elle invoque une considération supérieure qui modifie, selon elle, la signification et la portée de son geste. Elle admet l'avoir fait, mais elle attire l'attention sur le contexte exceptionnel qui rend l'acte acceptable. Lorsqu'elle invoque ces raisons, elle est convaincue de ce qu'elle avance, il ne s'agit pas d'une stratégie manipulatoire. Il n'y a pas de conflit sans justification. Les personnes veulent argumenter leurs positions, se mettre hors de cause, donner des preuves. Elles ont le besoin de tout justifier : leurs actes et leurs paroles passées, leurs choix et leurs attitudes présentes, leurs projets pour le futur. Elles ont besoin de faire accepter, de faire valoir, de convaincre autour d'elles. Il y a différentes manières de justifier : - Ce n'est pas moi, je n'y étais pas ! La première est de nier. confrontation. Elle est peu utilisée en médiation car elle résiste mal à la - Je n'ai pas crié fort, et les enfants étaient loin. C'est pas grave ! La deuxième, plus courante est de minimiser. Cette justification tend à réduire la portée de ce qui a été fait. L'acte est rendu justifiable par la faiblesse de son impact et les valeurs, à priori bafouées, ne sont pas remises en question. Ainsi cette femme pourrait dire que les enfants n'ont presque rien entendu. L'auteur ignore ou fait mine d'ignorer la partialité de son jugement et sous-estime les conséquences de son geste. - C'est à cause de mon genou, je ne peux pas passer plus souvent à la maison de retraite. Je sais qu'il faudrait pour Papa mais je ne peux pas. Je dois me reposer. Quand ça ira mieux, je prendrai mon tour ! La troisième manière de justifier, est la plus fréquente dans les conflits familiaux : les personnes invoquent des circonstances particulières qui rendent superflu ou accessoire le respect des règles communes. Quelque chose de supérieur modifie la validité de celles-ci. Il ne faut pas y voir de mal ou de mauvaise intention. Ainsi les problèmes de santé ou d'argent sont fréquemment utilisés comme alibi pour ne pas faire ce que l'on devrait faire. - Trouve-moi au moins une raison, dis n'importe quoi, que tu étais au téléphone, que tu avais un problème sur la route, mais ne me dis pas que tu l'as tout simplement oubliée ! J'ai remarqué que si l'un des deux protagonistes ne justifie plus ses actions, ou pas correctement, l'Autre en est tout perturbé. Ainsi cette mère ne pouvait pardonner à son exconjoint qui avait oublié leur fille à l'école de ne trouver aucune excuse. Le fait qu'il n'avance aucune justification crédible à cet oubli la laissait face à un adversaire qui n'était pas à la hauteur. Elle aurait préféré une bonne bataille d'arguments et l'argutie du père était déplorable à ses yeux. Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux Le conflit est une guerre qui se livre à coups d'arguments. Les adversaires ont à portée de main une réserve inépuisable de contre-arguments susceptibles de s'opposer les uns aux autres qui permettent la poursuite de la controverse. Leurs discours se contrent et se surpassent en démonstrations. Dans le conflit, ils se mesurent et se testent, s'écorchant l'un l'autre, ni trop, ni pas assez. J'y verrais presque une sorte de jouissance ! Leur brillante rhétorique maintient la tension du conflit sans anéantir l'Autre. Je rencontre une mère très en colère contre le père de son fils de quinze ans. Elle lui reproche de ne plus venir le chercher un week-end sur deux. - Il le néglige, dit-elle, depuis qu'il a emménagé avec sa nouvelle chérie. Elle s'en étonne car jusqu'à présent il réclamait l'adolescent autant que possible. Je rencontre ensuite le père seul qui m'explique qu'il est très tendu quand il se retrouve entre son fils et sa compagne. Il me raconte bientôt la dispute qu'il a eue avec lui dernièrement en présence de celle-ci, dispute au cours de laquelle il lui a demandé de retourner chez sa mère. Il fournit ensuite de nombreux arguments destinés à me convaincre, mais aussi à se convaincre lui-même : - Mon fils n'est pas assez souple pour venir chez nous, il ne décolle pas de son ordinateur ! Et puis, il ne dit presque plus rien, il râle et n'est jamais content. D'ailleurs il nous a volé de l'argent... Il en conclut que c'est mieux pour tout le monde qu'il ne vienne plus. Il n'exprime pas de regret à propos des paroles proférées et cherche au contraire à les justifier. Le malaise que je peux percevoir chez lui lorsqu'il en parle au début fait place à de plus en plus d'assurance et de maîtrise de soi. Je sens qu'il en rajoute involontairement pour me montrer qu'il a eu raison de le déclarer malvenu chez lui. Vient ensuite le premier entretien commun. Naturellement, la mère demande au père de lui expliquer ce qui s'est passé entre lui et leur fils. Il raconte la dispute, critique son fils, se justifie. Je coupe court et demande aux deux parents de me dire comment était leur relation avant cet épisode. Ils n'en disent pas grand-chose. - Ça marchait plutôt bien, au moins on pouvait se parler, dit-elle. C'est depuis que tu es avec ta chérie ! Je propose alors au père d'exprimer les difficultés qu'il pourrait avoir à intégrer son rôle paternel dans son nouveau couple. Il parle alors des circonstances dans lesquelles il a rejeté son fils. Je l'invite, avec des questions précises, à parler de lui-même, de son exaspération et de sa difficulté à trouver une connivence avec cet adolescent taciturne. La mère dira ensuite comment elle a perçu que leur fils en était très blessé. Il conviendra un peu plus tard qu'il souhaite que son fils revienne mais il reste inquiet de l’attitude de sa nouvelle compagne vis-à-vis de lui. Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux Les justifications des personnes produisent un phénomène d'auto-conviction. En parlant, elles sont de plus en plus convaincues de ce qu’elles avancent. Je fais l’hypothèse que le père dans l'exemple ci-dessus n'est pas très satisfait d'avoir mis son fils dehors. Il aurait sans doute préféré ne pas le faire. Il aurait pu s'en excuser si l'altercation n'avait pas fait naitre un véritable conflit. La dynamique de celui-ci le pousse à ne pas perdre la face et à se battre. En cherchant à exprimer ses arguments, il se convainc qu'il a bien fait, il essaye de sortir de l'inconfort psychique dans lequel il s'est mis. En se justifiant devant la mère et moi-même, il se justifie à ses propres yeux. Le mécanisme d'auto-justification est éclairé par la théorie de la dissonance cognitive élaborée par Léon Festinger chercheur en psychologie sociale. Il a montré que les individus qui ont été poussés par une circonstance particulière à agir en contradiction avec leurs croyances et leurs valeurs, cherchent ensuite à réduire leur malaise psychologique. Ils le font en modifiant celles-ci après coup jusqu'à les rendre cohérentes avec les actes produits, ou bien en reproduisant de nouveau le comportement inadéquat. « L’existence simultanée d'éléments de connaissance qui, d'une manière ou d'une autre ne s'accordent pas (dissonance), entraîne de la part de l'individu un effort pour les faire, d'une façon ou d'une autre, mieux s'accorder (réduction de la dissonance)11. » Le nouveau comportement, étrange au début, finit, à force d'être répété, par ne plus l'être et produit bientôt par l'habitude une nouvelle norme. Les individus ajustent en fait après coup leurs opinions, leurs croyances au comportement qu'ils viennent de réaliser. Il s'en suit une attitude totalement incompréhensible pour l'entourage au regard des qualités et caractères qu'avait la personne auparavant. La théorie montre que les comportements qui suivent une période de dissonance cognitive vont à l'encontre de ce que l'environnement attendrait raisonnablement. Le conflit offre une multitude de situations de dissonances cognitives. Celles-ci sont à l'origine d'incompréhensions majeures, de sentiments d'absurdité voire de délire. Les actes réalisés semblent parfois totalement impossibles à croire. J'ai de nombreuses fois en médiation entendu dire que l'Autre était devenu fou, ou bien qu'il avait du rencontrer une secte ou un nouveau compagnon cinglé ! Je me souviens ainsi d'un papa qui était furieux et surpris que la mère de son fils fasse de l'auto-stop avec lui. Il l'avait toujours connu très craintive, peu sociable, et il s'étonnait qu'elle ose faire cela. Lors de leur rencontre en médiation, elle trouvait pourtant de très bons arguments pour prouver que le stop n'était pas dangereux. Cette théorie est éclairante par son aspect motivationnel. L'individu est toujours à la recherche d’un équilibre. Lorsque celui est rompu, l'état de tension qui en découle le motive à retrouver un univers cohérent. Il ne peut supporter longtemps de produire des actes contraires à ses idées car la culpabilité est source d'angoisses profondes et douloureuses. Il cherche alors inconsciemment à réduire la discordance en réduisant l'écart entre le comportement et les idées. Sans en avoir conscience et sans le décider Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux délibérément, il remplace ses anciennes idées par celles qui correspondent à ses actes. Ne pouvant annuler ce qui a été fait, il peut par contre en nier l'évidence, le minimiser ou bien au contraire en rajouter. On retrouve ici les trois manières de justifier. Plus la discordance est grande, plus l'individu ressent fortement la pression visant à réduire celle-ci et plus les justifications sont fortes, convaincantes, et assenées avec persuasion. Il s'agit d'une pression sociale non identifiée. Les convictions de chacun s'assouplissent ainsi et se transforment au gré des évènements. Les idées et les valeurs sont revisitées de manière à ce qu'elles s'accordent avec les comportements. Ce réajustement échappe à la conscience. L'individu attribue une cause rationnelle et une logique à un comportement qui trouve son origine dans la sphère passionnelle ou qui est le résultat de concours de circonstances. La rationalisation sert à justifier des comportements en les fondant sur la raison alors que leur ressort se situe en dehors de la rationalité. Je n'ai pas besoin dans ma fonction de médiatrice de savoir quels sont les déterminants des comportements des personnes, je n'ai ni à interpréter ni à expliquer. La connaissance des procédés de justification m'aide à ne pas adhérer stricto sensu aux explications qui me sont fournies. Repérer cette attitude de mise en cohérence, si fréquente dans le conflit, m'invite à prendre garde aux motifs affichés. Alors que les personnes se présentent comme rationnelles, je les vois plutôt comme des individus qui rationalisent. La construction des justifications provoque un renforcement des certitudes, or, qui dit renforcement des certitudes dit renforcement du conflit. Les deux adversaires fournissent arguments et contre-arguments dans une escalade qui n'en vient pas à bout. Il y a spontanément une montée en puissance. Les arguments ne font pas taire l'Autre, celui-ci ne se rend pas à l'évidence du raisonnement et cela agace. Les justifications attisent le conflit. Ici se révèle un malentendu. Les personnes attendent de nous médiateurs, que nous les aidions à sortir du conflit. Elles cherchent cette sortie du côté de la raison, de l'objectivité, de la logique. Elles argumentent, poussée par un courant puissant qui pousse à la rationalité. Elles insistent et s'enferment dans des systèmes de pensée qui les éloignent l'une de l'autre. - Monsieur, vous venez de nous dire les raisons pour lesquelles vous avez refusé de venir voir vos enfants, mais je me permets de vous poser de nouveau la question que je vous ai posé tout à l'heure et à laquelle vous n'avez-pas vraiment répondu : comment avez-vous vécu cette période-là, comment était-ce pour vous ? J'invite les personnes à quitter la rationalisation pour aller vers la prise en compte des ressentis. J'interviens, je coupe la parole et utilise le questionnement pour orienter les échanges. Il y a des intentions dans mes questions ; l'une de celles-ci est de décaler, de surprendre, de déséquilibrer la logique de l'argumentaire. Je vise l'expression des sentiments et des motivations, la reconnaissance mutuelle. Les personnes reviennent inlassablement à leurs justifications. J'insiste. J'ai le sentiment de ramer à contre-courant. D'un côté le flot de leur argumentaire, de l'autre le contre-courant de la médiation qui freine le premier, oriente, décale. Claire Bonnelle Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux Lu dans « l’âge de faire » N°107 Une part du journal porte sur la façon dont les conflits sont abordés au sein de la ZAD de Notre-Dame des landes (entre 200 à 300 personnes, dont la plupart ont entre 25 et 35 ans). Il n’est pas question pour les occupants de créer un appareil répressif; alors se sont mis en place des réunions chaque semaine. Au cours de ces réunions sont mis sur la table les différends et conflits. Des règles collectives (“ jamais fixées dans le marbre”) se sont dégagées (gestion des chiens en liberté, agressions, menaces...). Un groupe de médiation de 12 personnes (le “groupe embrouilles”) s’est créé; ses membres sont tirés au sort (pour moitié sur une liste de volontaires, pour moitié sur une liste comprenant la cinquantaine de lieux de vie de la zad); il convient alors au lieu de choisir en interne la personne désignée pour faire partie du groupe de médiateurs. Les habitants de la ZAD peuvent appeler l’instance de médiation par téléphone et le groupe de médiateurs peut “s’autosaisir” quand un conflit peut avoir des répercutions sur un groupe. Il y a par ailleurs une attention collective : ”on est tous considérés comme responsable de ce qui se passe; quand quelqu’un dépasse les limites, chacun est chargé de se positionner” dit un habitant de la ZAD. Atelier d’écriture Si vous souhaitez écrire en lien avec la médiation et à partir d’annonces humoristiques : Exemples : « Cherche un électricien pour rétablir le courant entre les gens » « Cherche un opticien pour changer leur regard » « Cherche un artiste pour dessiner un sourire sur tous les visages » « Cherche un maçon pour bâtir la paix » « Cherche un jardinier pour cultiver la pensée » « Cherche un prof de maths pour nous apprendre à compter les uns sur les autres » « Cherche des porteurs de rêves, allumeurs de conscience, conteneurs de violences, penseurs du commun » (....) Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs Mail : [email protected] / site internet : http://corem.internetrie.fr/ Courrier / Adhésion (libre) : COREM chez Céline De Clercq 7 rue de Saint Macaire, 33800 Bordeaux