carl von linné Voyage en laponie

Transcription

carl von linné Voyage en laponie
en Laponie.indd 5
Carl von Linné
Voyage en Laponie
Mise en français de Turid Wadstein-Gette
et de Paul-Armand Gette
Présentation et notes de Paul-Armand Gette
Minos
La Différence
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 7
NOTE PRÉALABLE À LA DEUXIÈME ÉDITION
Je profite de la réédition de ce Voyage en Laponie
pour dissiper quelques ambiguïtés et dire encore une
fois que cette « mise en français » des notes linnéennes
n’aurait jamais vu le jour sans la primordiale et
constante aide de Turid Wadstein‑Gette. Qu’elle soit ici
très chaleureusement remerciée. La première ambiguïté
que je veux dissiper c’est que nous ne sommes pas des
traducteurs au sens strict. La deuxième est que ce Voyage
fait partie d’un triptyque dont le premier volet fut la
lecture des noms contenus dans le Species plantarum à
l’université de Nanterre‑Paris X en 1975, le centre étant
notre voyage reprenant l’itinéraire de Linné en 1981. La
troisième est que l’usage que je fais de l’écriture me la
fait considérer comme un médium au même titre que la
photographie ou la peinture.
paul‑armand gette
Paris, janvier 2002
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 8
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 9
AVERTISSEMENT
La traduction de Iter Lapponicum a été réalisée
en prenant pour référence et base de travail l’ouvrage
publié par Th. Fries dans le cadre de l’université
d’Uppsala. Cette édition, parue en 1913, est considé‑
rée comme l’édition scientifique du texte linnéen. Nous
l’avons préférée à plusieurs autres qui limitent l’écrit
du naturaliste suédois, soit par des coupures, soit par
un laminage constant du style.
Ce choix préalable amenait plusieurs décisions
quant à la mise en français de ces carnets de route.
Il s’agit en effet de notes portées sur de petits carnets
suivant les aléas du voyage entrepris en 1732. Elles for‑
ment un récit en forme de répertoire où chaque jour le
botaniste se révèle et s’affronte à lui‑même, constituant
comme une longue mémoire. Un effort de rationalisation
et de description, une fascination pour la formation, le
surgissement et la transformation des mots les traversent
de bout en bout. Linné ne les publiera jamais, à la dif‑
férence de celles qu’il rédigea lors des autres voyages ;
toute son œuvre, ainsi que sa correspondance, montrent
pourtant que ce voyage est celui qui l’a le plus marqué.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 10
10
L’idiome linnéen est d’une grande singularité,
accumulant plu­sieurs niveaux de langage – nominatif,
narratif, descriptif, poétique – fondés sur le double
principe de la liste et du décrochement. Le latin et les
dessins, qui n’ont pas de fonction ornementale, éton‑
nants hybrides venus du corps de la langue, parsèment
l’économie descrip­tive de colorations temporelles et
spatiales étonnantes, à la fois gage d’histoire savante
et trace de plaisir.
Ce texte essentiel pour l’histoire naturelle et la litté‑
rature, cette ouverture fascinante sur les articulations de
la pensée, de la mémoire et du langage au début du XVIIIe
siècle, devait pouvoir trouver dans sa traduction ce qui
insiste continuellement en lui. C’est ce que nous avons
tenté, évitant avant tout l’alignement sur une prévention
normée de lecture ou des conseils frileux de lisibilité.
Carl Linné est aussi un « fondateur de langue », et
cette pre­mière démarche lapone marque aussi bien son
entrée dans le monde de l’histoire naturelle que son
ouverture à la littérature.
Vu la complexité du manuscrit, nous avons sans
cesse confronté l’édition Fries avec celles, excellentes,
de la collection Natur och Kultur – Lappländska Resa,
pour le suédois et Lappländische Reise – Tachenbücher
102, pour l’allemand.
*
La traduction latine et l’index botanico‑zoologique
suivront le texte régulièrement de page en page. L’emploi
du latin par Linné suit une ligne assez paradoxale en
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 11
11
même temps que fort stimulante ; le latin est en effet
principe de citation et de notation : par la citation il est
une reprise des connaissances de l’histoire naturelle de
cette époque, par la notation il est un moyen commode
de trouver précisément les mots adéquats et, au plus
vite, de passer à une nouvelle observation. Il dégage
le regard par une opération singulière de la parole. Il
s’ensuit un savoureux décrochement entre les formes les
plus rigides d’un savoir et la manière la plus simple et
la plus rapide de s’exprimer, et tout cela, dans un temps
identique de parole et au même lieu de la pensée. Seul le
traducteur s’en trouve un peu bousculé ; à suivre Linné
il risquait à chaque pas de perdre ce qui était justement,
en l’occurrence, l’objet immédiat de son travail ; c’était
pourtant la seule conduite possible. Il ne pouvait donc
être question lors de cette traduction de percer l’une des
multiples ruses du botaniste suédois, mais d’en ressentir
la présence et si possible l’approcher.
Il en est de même en ce qui concerne les termes de
botanique et de zoologie ; la nomenclature binaire et
la classification sexuelle n’étaient pas encore fixées et
l’Iter Lapponicum sera l’occasion de leur complexe
mise au jour. Linné décrit donc souvent les plantes
à la manière ancienne, accumulant des détails qui
ne nous permettent pas de reconnaître formellement
les végétaux ; il nous fait donc sentir on ne peut plus
concrètement l’importance et l’efficacité de son propre
système de nomination et de classification, système
aujourd’hui partout employé. Il détient donc au cœur de
l’écriture de ce voyage et l’énigme et la clé, nous porte
sans rémission au plus près d’une question que lui seul
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 12
12
avait pu alors résoudre : comment faire coïncider le plus
arbitraire et le plus naturel dans la découpe des mots
et le choix du visible ; comment, d’une certaine façon,
par une brûlure maintenue des sens, du sens et jusqu’à
la lumière peut‑être, nous habituer à concevoir la trop
grande simplicité d’une clé comme énigme en elle‑même.
Rappelons enfin qu’il s’agit de notes de voyage,
jamais publiées du vivant de Linné. Le principe que nous
avons essayé de maintenir tout au long de cette mise
en français du suédois et du latin, tient dans le respect
de ce granulé, à la substance variable, qui caractérise
ce genre d’écriture. À chaque instant nous avons donc
préféré l’abrupt du carnet linnéen aux formulations
classiquement littéraires.
*
Que Monsieur Pontus Grate ainsi que la Fondation
Sven et Dagmar Salén trouvent ici l’expression de nos
vifs remerciements pour l’aide qu’ils nous ont apportée
lors de notre travail.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 13
PRÉSENTATION
Mon regard sur la « nature » passa très vite par les
sciences qui y sont consacrées et par les petites filles dont
l’une fut responsable du goût que j’eus pour les collec‑
tions. J’ai conservé longtemps un fossile d’ammonite
orné d’une petite tache d’encre violette laissée par le
doigt de celle qui l’avait trouvé sur le chemin de l’école.
Sans doute fus-je plus sensible à la poésie inhérente aux
sciences qu’à leur intérêt, si tant est qu’elles en aient un
dans le champ où l’on s’obstine à les confiner ; bien que,
dans un premier temps, j’en eusse utilisé quelques-unes
(« Notes sur les Carabiques capturés au bord du Rhône
à Lyon », Bulletin de la Société linnéenne de Lyon, n° 1,
janvier 1947) sans procéder à ces glissements que je
ne manquerai pas d’introduire par la suite dans mon
travail.
Quand, pendant le cours de l’année 1975, je décidai
de donner des points de repère capables d’éclairer mes
activités artistiques et de préciser leur orientation future,
je dédiai quelques travaux à Carl von Linné, Charles
Lutwidge Dodgson et Claude Monet. « La Nomenclature
binaire », lecture faite à l’université de Nanterre‑Paris
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 14
14
X, le 29 novem­bre, fut le volet central de mon hommage
à Carl von Linné. Cette lecture de près de 6 000 noms,
extraits de la première édition du Species Plantarum et
introduits dans le champ sonore, mettait en évidence le
processus nominatif linnéen, tout d’économie et d’élé‑
gance, mais aussi, du fait de son entier déroulement à
l’intérieur des murs du savoir, une volonté de ma part
que cette manifestation soit également comprise en tant
que tentative de décloisonnement des genres et de remise
en question des systèmes de codage.
Le deuxième volet de notre hommage linnéen fut une
exposition intitulée Iter Suecicum (Centre culturel sué‑
dois, Paris, février/mars 1977) présentant des travaux
personnels : photographies, diapositives, notes, courbes
résultant d’observations climatologiques, etc., et ren‑
voyant, par son titre même, aux six voyages : Laponie,
Dalécarlie, Oland, Gotland, Vastergotland, Scanie, que
Linné effectua entre 1732 et 1749 et qui lui furent tous
commandés ; à l’exception de celui en Laponie, tous
furent publiés par leur auteur. La botanique et la zoolo­
gie y tiennent une place importante, ce qui ne s’appelle
pas encore l’ethnographie, l’agronomie, l’économie, la
diététique, l’archéologie n’en sont pas absentes pour
autant ; et notre liste n’est pas exhaustive. Ces travaux
sont indéniablement à situer dans une prémouvance
encyclopédique et ce n’est pas cela que visait notre
hommage, mais l’utilisa­tion des éléments qui permettent
une approche des régions visitées en fracturant les
spécificités des différentes sciences, élargissant ainsi le
champ d’appréhension, tout en ne s’apparentant pas aux
préoccupa­tions littéraires qui verront le jour ultérieu‑
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 15
15
rement, celles de Goethe et de Rousseau entre autres. À
première vue, Linné n’a pas de méthode de prospection
ce qui est surprenant chez celui qui sera l’auteur de
Philosophica Botanica et du Systema Naturae. Il voyage
en empruntant les voies de circulation et ne s’en écarte
guère, il n’est pas très obstiné ; si les obstacles entravent
par trop sa progression, il abandonne et cherche une
autre route, il est très peu explorateur, et s’il est vrai
que la Suède du XVIIIe siècle n’est ni l’Afrique ni les
Amériques, son voyage en Laponie reste remarquable‑
ment exempt d’extrava­gances, si ce n’est au niveau
rédactionnel dans la version remise à la Société des
sciences de Stockholm qui a financé le voyage ; dans les
notes rédigées journellement (manuscrit de la Société
linnéenne de Londres) les dessins apparaissent comme
une autre forme de l’écrit linnéen, ils vont à l’essentiel ;
par contre les souvent très longs descrip­tifs donnant les
mesures et les caractères morphologiques des échantil‑
lons n’ont pas été retenus pour cette édition. De l’Iter
Lapponicum à l’Iter Scanicum la distance entre l’obser‑
vateur et l’objet de l’observation ne fera que croître,
non que l’acuité du regard y perde, mais parce que se
met en place la banalisation absolue de l’information
communiquée. Lors du voyage en Laponie, Linné a vingtcinq ans, mais déjà il abolit dans ses notes la notion de
valeur, il refuse la classification des observations suivant
des critériums d’importance, il n’extrait ni le pittoresque
ni le sensationnel, il est déjà bien près de ce point zéro où
il situera événements et choses, plantes et hommes, dans
le dernier voyage. Certes le périple lapon est empreint
de la fraîcheur qui caracté­rise la jeunesse et la poésie y
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 16
16
est‑elle plus frémissante ; elle n’a pas encore atteint à
cette limpidité absolue, constituante majeure de la pensée
linnéenne qui, sans la lecture des voyages, ne peut être
perçue dans sa totalité. Le systématicien‑nomenclateur
se complète alors d’un préleveur d’espace temporel dont
la méthode de travail est régie par l’aléatoire.
Le troisième volet de notre hommage à Carl von
Linné est à situer en miroir par rapport au précédent ;
s’il reflète encore partiellement mes préoccupations, le
lecteur y entendra presque exclusivement le philosophe
suédois. Cette mise en français d’Iter Lapponicum doit
tant à Turid Wadstein que son nom ne peut être dissocié
de ce travail et que les remerciements seraient incon‑
grus quand il y a égalité d’apports. Nous avons voulu
respecter le ton de ces notes où l’emploi du latin joue
un si grand rôle ; le faire disparaître en le traduisant
dans le texte aurait neutralisé une des qualités du récit.
Au moment de la rédaction des observations lapones,
Linné n’a pas encore conçu la nomenclature binaire ;
il n’est donc pas toujours possible de savoir avec certi‑
tude à quelles espèces se rapporte ce qu’il écrit, même
si souvent la précision des descriptions ou des dessins
fournit des indications précieuses ; nous avons alors
quelquefois donné les équivalents français de ces noms
quand ils existent dans la généralité de cette langue. Si
nous avons écrit précédemment « entendre » et « récit »
à propos d’un tissu textuel, c’est que les notes du voyage
en Laponie nous ont toujours semblé être la restitution
d’un parlé ; on y trouve d’ailleurs une abondance de
répéti­tions très caractéristique de l’argumentation ora‑
toire ; si elles sont insupportables lors de la lecture, nous
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 17
17
conseillons de lire à haute voix, mais nous ne voulions,
en aucun cas, les faire disparaître. Nous n’avons pas
cherché à obtenir une joliesse ou une fluidité de langage
niveleuse, ni voulu alourdir le travail de celui que nous
considérons comme un de nos maîtres, par une foule de
notes ou d’explications.
P.-A. G.
Paris, janvier 1982.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 39
Le voyage en Laponie de Carl Linné, par la grâce de Dieu en
1732 ; aux dépends de la Société royale des Lettres et Sciences en
vue d’instruire l’histoire naturelle de Laponie concernant les pierres,
les terres, les eaux, les herbes, les arbres, les céréales, les mousses,
les quadrupèdes, les ciseaux, les poissons et les insectes, ainsi que
les maladies, la santé, la diététique, les mœurs et la manière de vivre
des hommes.
Je partais le 12 mai, revenais le 10 octobre. Uppsala.
*
Småland m’a vu naître. J’ai traversé la Suède. J’ai vu les
entrailles de la terre à 450 aunes de profondeur. Je suis monté dans
le vent jusqu’à un mille. J’ai vécu l’été et l’hiver en un seul jour. J’ai
traversé les nuages. J’ai visité le bout du monde. J’ai vu la retraite
nocturne du soleil. J’ai voyagé en une année 1 000 milles sur terre.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 40
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 41
O ENS
Entium miserere mei1
Après avoir été, le 2 mai, choisi par la Société royale
des Sciences pour aller en Laponie et y décrire les trois
Regna Naturae, je préparai mes affaires et m’habillai de
la manière suivante. Les vêtements étaient donc un petit
paletot en tissu de Västergötland, sans ourlets, à courts
revers et col de velours ; des pantalons de cuir collants,
une perruque à catogan, un bonnet capuchon en fibre,
des demi‑bottes aux pieds. Dans un petit sac de cuir
tanné long d’une demi‑aune et un peu moins large, muni
de boucles sur un côté pour le porter sur soi, il y avait
une chemise, deux paires de manchettes, deux paletots
de nuit, encrier, plumier, microscope, longue‑vue, un
chapeau avec voilette pour se protéger des moustiques ;
ce procès-verbal. Un tas de papier broché pour mettre
des plantes, les deux en folio, un peigne, mon Ornithologie, Flora Uplandica et Characteres generici. J’avais
un couteau de chasse au côté et un petit fusil entre la
cuisse et la selle ; une canne octogonale sur laquelle les
1. Ô Créateur, ayez pitié de moi.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 42
42
mensurae1 étaient indiquées. Un portefeuille en poche
avec le passeport de la chancellerie d’Uppsala et la
recommandation de la Société.
Le 12. Avec ceci je quittai la ville d’Uppsala le 12
mai 1732, c’était un vendredi à 11 h. J’avais 25 ans à
une demi‑journée près. Maintenant, toute la campagne
se faisait belle, maintenant la belle Flora arrive et dort
chez Febus.
Omnia vere vigent et veris tempore florent
et totus fervet Veneris dulcedine mundus2.
Maintenant, le seigle d’hiver avait un demi‑pied de
hauteur et l’orge avait récemment sorti une feuille. Le
bouleau commençait d’éclore et tous les arbres montraient leurs feuilles, hormis l’aulne et le tremble.
Je voyageais seul depuis Uppsala, la vieille ville
capitale de la province, qui possède un château, détruit
par le feu en 1702, d’où la vue n’a pas d’égale ; tout
autour, la plaine verdie par Cérès s’étend sur un quart
de mille3, plus loin il y a la montagne et enfin la forêt.
Dès que j’eus franchi la porte douanière nord, je
trouve aussitôt la terre argileuse, sauf dans les montagnes où il y a sable et pierres, le sol est uni, sans un
arbre sur un quart de mille. Dans les fossés le long de la
route, surtout où le vent n’arrive pas, je voyais un byssus
1. Mesures.
2. Tout est plein de force et fleurit au printemps, le monde frémit
sous la caresse de Vénus.
3. Environ 2 670 m.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 43
43
jaune, semblable à la crème sur le lait, qui fait dire aux
paysans que l’eau fleurit. Je voyais partout le long de
la route les juments pâturer avec leurs jeunes poulains,
admirant leurs longues pattes, dont on dit qu’elles ont
leur taille définitive à la naissance, car, si on mesure du
sabot jusqu’aux genoux sur un jeune poulain, il suffit
de doubler cette longueur pour connaître la taille qu’il
aura. Ossicula auditus in infante1.
Je décrivis une sorte de mousse s.2 Lichenoides
terrestre daedaleis sinubus3, que j’avais déjà rencontrée
sur la butte du château.
Les oies marchaient avec leurs petits oisons jaunes ;
il est curieux de faire observer qu’à leur sortie de l’œuf,
tous ont cette couleur, quelle que soit celle qu’ils auront
plus tard, et que ce jaune sera généralement perdu.
À main droite nous laissons le vieil Uppsala et ses
trois tumulus dynastiques.
Les fleurs étaient en ce moment peu abondantes :
Taraxacum4, celui que Tournefort confond avec Pilo‑
sella5, qui en diffère pourtant par folia calysis reflexa6.
Draba caule nudo, longitudine palmi7, qu’en Småland
on appelle « fleur de seigle », parce que sitôt qu’elle
fleurit, le paysan sait qu’il doit semer son seigle de
1. Les osselets auditifs chez le petit (poulain).
2. Abréviation de sive : ou.
3. Lichen des neiges.
4. Dent de lion.
5. Épervière.
6. Les sépales réfléchis.
7. Drave à tige nue, haute d’une main.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 44
44
printemps. Myosotidem1, Viola arv. et mari.2, Thalspi3,
Lithospernum seget.4, Cyperoides5, Juncoides6, Salix7,
Primula, licet non sit hic, nec albi, prima veris8, Caltha9,
svet. les câpres suédoises, car certains pensent qu’elles
sont mangées par beaucoup en tant que telles ; mais il
est faux qu’elles colorent le beurre en jaune.
L’alouette chantait tout le long du chemin, pour nous,
tremblante dans l’air :
Ecce suum, tirile, tirile suum tirile tractai10.
Le ciel était clair et chaud, le vent d’ouest rafraîchissait avec un souffle agréable et une couleur sombre
commençait, venant de l’ouest, d’envahir le ciel.
Okstad 5/4 de mille. Maintenant la forêt s’épaississait de plus en plus, la charmante alouette qui jusqu’ici
avait captivé notre oreille nous abandonnait ; mais alors
une autre nous reçoit dans la forêt avec autant de grands
compliments, à savoir la grive, Turdus minor ; quand du
sommet du plus haut sapin elle joue pour son amoureuse,
1. Myosotis.
2. Deux espèces de violette.
3. Tabouret.
4. Gremil.
5. Laiche.
6. Luzule.
7. Saule.
8. Primevère, bien qu’elle ne soit, ici ni ailleurs, la première
au printemps.
9. Populage.
10. Écoutez, elle chante son tirélé, tirélé, tirélé.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 45
45
elle nous laisse nous en réjouir, oui, elle pousse si haut
ses diverses notes que souvent elle surpasse le rossignol,
le maître des chanteurs.
Ici dans la forêt, nous avons vu des pins innombrables qui avaient de gros troncs mais pas une hauteur
en proportion ; les branches les plus basses étaient aussi
longues que les plus hautes et la cime manquait, oui,
toutes les branches semblaient venir ex uno centro1,
comme sur un palmier, et le haut était coupé, ce que
j’attribue à la qualité de la terre et j’admire que même la
nature cherche à couper ses arbres ; je les appelle donc
Pinus plicata2.
Läby cinq quarts de mille. Ici dans la forêt, nous
avons vu en grand nombre les busseroles qui commençaient à fleurir.
Nous sommes reçus par une grande forêt de pins,
entièrement stérile, parce que les plantes au sol étouffaient, et qu’à leur place il y avait les aiguilles et Erica3,
Muscus pariet. coralloides4. L’humus avait à peine deux
digitorum crassitie5 et en dessous pure « mo6 ».
Une grande pierre runique gisait sur la route, un
demi‑quart de mille après l’auberge, mais je ne me
donnai pas la peine de la copier car je voyais qu’elle
venait d’être déchiffrée. À deux demi‑quarts de mille
1. D’un centre unique.
2. Forme de pin sylvestre.
3. Bruyère.
4. Mousse ou lichen ?
5. Deux doigts d’épaisseur.
6. Terre spéciale entre sable et argile.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 46
46
de l’auberge, face à une borne d’allure bizarre, c’étaient
quatre pierres dressées in quadraturam1 et une in centro,
toutes compressi2 et erecti3, je vis face à celles‑ci une
grande lapis marmoreus4 polyzonicus ; voulant la casser,
j’en cherche une autre plus petite et en trouve une de
même nature ; la plus grande, je ne pouvais pas la briser,
mais la petite se cassa ; dans celle‑ci, je trouvai prismata
crystallina5 entièrement subtila6 et pellucida7, certains
étaient blancs mais d’autres complètement fulvi8.
Avant que je n’arrive à la deuxième auberge, il y
a une petite ferme à main droite et, de l’autre côté de
la route, une flaque d’eau pour faire la lessive. Là, je
voyais une pierre à laver lisse et inclinée qui était en
gneiss blanc, mais qui contenait trois grands carreaux
de granit noir, comme si un tailleur de pierre artiste les
y avait incrustés ; pourtant, ils traversent toute la pierre
comme on le voit à une extrémité, là où elle est cassée.
1. En carré.
2. Serrées.
3. Droites.
4. Pierre de marbre.
5. Prismes cristallins.
6. Fins.
7. Transparents.
8. Fauves, roux.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 47
47
En face d’Yvre coule une petite rivière qui maintenant ne couvrait pas les chaussures, mais dont les bords
sont si profonds qu’ils ont bien cinq aunes de profondeur,
ce qui a été causé ou par l’eau qui emporte toujours le
sable meuble, ou, ce que je crois plus volontiers, parce
que la rivière a diminué.
Chrysoplenium1 était ici maintenant en fleurs, celle
que Tournefort appelle foliis auriculatis2 très à tort, car
folia sont totum diversa3 ; elle a huit stamina4 disposées
in quadraturam5 et deux pistilla6, car il est clair qu’elle
est plus près des Saxifragas des anciens que des Cam‑
paniformes.
Yvre huit quarts de mille. Ici, je voyais des petits
chevreaux qui avaient sous le menton, là où le cou
commence, deux condylones7, comme certains porcs,
longitudine unciali, pilis raris vestiti, crassitie mammae
lactantis suae ; in scroto etiam 2 mammae. Sed cur suis
sint tales nescio8.
Le nuage qui avait grossi de plus en plus, et de
temps en temps menacé avec une petite pluie clairsemée,
1. Dorine.
2. Aux feuilles « en oreilles ».
3. Toutes différentes.
4. Étamines.
5. En carré.
6. Pistils.
7. Condylons (éminences osseuses).
8. Long d’un pouce, avec des poils rares, gros comme le tétin
d’une truie allaitant ; sur la bourse il y a deux tétins. Pourquoi ceux
d’un porc sont ainsi, je n’en sais rien.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 48
48
commence maintenant à pleuvoir tellement que j’étais
obligé de rester ici quelques heures.
Comme j’arrivais vers l’église de Tierp, une rivière
court, qui du côté où elle s’incurve, a un bord assez
haut et raide, comme un mur, ce que j’attribue aux
Alnus1 qui se trouvent en bas près de l’eau. J’ai vu là
où des lacs rongent la terre de plus en plus, et ainsi peu
à peu menacent des grands châteaux, des églises, etc.,
qui sont bâtis près d’eux, qu’ils ont contraint de lever à
grand-peine des digues sur la rive. Mais cependant sans
beaucoup d’effet. Mais là où les Alnus sont sur la rive,
l’eau n’a que peu ou rien pu faire.
De part et d’autre de l’église je voyais plusieurs
petits tumulus.
La nuit venait maintenant et je me hâtais vers
Mehede.
Le 13. Mehede 8,50 quarts de mille.
Ici je voyais Taxus2 croître sauvage, celui qu’ils
appellent if ou if‑sapin.
Dans la forêt poussait partout Anemonoides3, celle
que certains trop follement séparent d’Anemone, et, me
semble‑t‑il, n’ont jamais vu Anemone ; également Hepa‑
tica4, Oxys5. Mais c’est curieux que toutes aujourd’hui
soient fermées ; qui a donné aux plantes cette intelligence
de se couvrir pour la pluie ? oui, souvent quand le temps
1. Aulne.
2. If.
3. Anémone des bois.
4. Hépatique.
5. Oxalis, petite oseille, pain de coucou.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 49
49
passe instantanément de l’éclat du soleil, où elles étalent
leur tapisserie, puis, au moment où la pluie arrive, la
replient, comme pour ces trois.
Le coucou se faisait entendre maintenant pour la
première fois, lui qui annonce le doux été.
Et comme j’avais tellement entendu parler de la
chute d’Älvkarle, je pensais que cela méritait de sortir
un peu du chemin pour l’observer, surtout que du chemin
elle était à la fois vue et entendue, oui, la buée qui en
provenait était comme celle d’une grande flambée de
bûchettes quand la fumée sort de la cheminée.
Quand j’arrivais je voyais le cours d’eau partagé en
trois tronçons, car une île bâtie sur la montagne sépare
le courant. Cette chute n’est nullement de l’art, mais
de la nature, qui a placé un fort rocher au milieu du
courant ; l’eau dans le plus proche des trois tronçons
(qui actionne aussi la roue d’une scie) tombe plus bas
d’une hauteur de 12 à 15 aunes, ce qui la fait devenir
blanche ; elle mugit comme une furie, oui, jette les
gouttes quelques aunes en l’air, de telle façon qu’il se
produit continuellement comme une fumée. Le scieur
qui doit rester toujours près d’une telle fumée, je le
trouvais pâle, mais il ne se plaignait pourtant d’aucun
mal particulier.
Cette chute se situe sur un rocher noir, qu’il est
impossible d’examiner comme il faut. Plus bas sur la
rivière, où on pêche des saumons, quand l’eau se calme
un peu entre les courants, c’est un piège quadrangulaire,
une aune au‑dessus de l’eau, où le saumon entre et ne
sort plus.
27/10/2015 17:42
en Laponie.indd 4
Titre original : Iter Lapponicum
Cet ouvrage a été publié pour la première fois à La Différence en 1983.
© SNELA La Différence, 47, rue de la Villette, 75019 Paris, 2002.
27/10/2015 17:42