Une tasse en céramique sigillée de Rognée (Walcourt)
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Une tasse en céramique sigillée de Rognée (Walcourt)
Une tasse en céramique sigillée de Rognée (Walcourt) Collections SAN Photo M. Destrée © SAN La céramique emblématique de l’époque romaine La sigillée du Bas-Empire est caractérisée par un éventail de formes plus réduit. Celles-ci sont plus simples, la couleur vire de plus en plus à l’orange et la qualité du vernis va en diminuant. Les vases décorés le sont exclusivement à l’aide de molettes imprimant sur leur paroi extérieure des bandes de motifs géométriques souvent répartis en casiers. La sigillée est une vaisselle de table à vernis argileux grésé, plus ou moins brillant, dont la couleur varie du rouge à l’orange, diffusée dans tout le monde romain : on en retrouve partout où les commerçants romains se sont aventurés, même en dehors des frontières de l’Empire, de la Pologne à l’Inde. La plus grande partie de la production est lisse ; une série relativement limitée de formes porte un décor en relief réalisé par moulage. Elle fut d’abord produite en Italie, peu avant notre ère, à Arezzo et Pise surtout, d’où le nom de « sigillée arétine » conféré à cette production initiale. Dès l’époque augustéenne, des ateliers se fixent à Lyon, puis, successivement, dans le Sud (La Graufesenque, Montans, Banassac), le Centre (Lezoux, Vichy, Les-Martres-de-Veyre) et l’Est (La Madeleine, Heiligenberg, Mittelbronn, etc .. en Alsace ; Lavoye, Les Allieux, Avocourt en Argonne) de la Gaule. Ces derniers alimenteront nos régions jusqu’au 5ème siècle. Bol en céramique sigillée du Bas-Empire (4ème s.) avec décor à la molette. Tombe 10B du cimetière de La-Motte-le-Comte à Namur. (Musée archéologique de Namur. Collections SAN. Photo L. BATY © SPW-DG04) Un produit d’importation venu du Sud … L’exemplaire présenté ici est une jolie tasse bilobée, de type Dragendorff 27. Elle porte au centre de la face intérieure du fond une estampille qui se lit OFMURRAN, le M, le U, et le premier R étant ligaturés, tout comme le A et le N, formulation abrégée d’ Officina Murrani, ce qui signifie « Atelier de Murranus ». Celui-ci fut actif à La Graufesenque (Millau, Aveyron), entre les règnes des empereurs Claude (41-54) et Vespasien (69-79). (Photo M. Destrée © SAN) Elle appartient au mobilier funéraire d’une des deux tombes fouillées en 1894 par la Société archéologique de Namur à Rognée (Walcourt), au lieu-dit Péruwéz. Les tombes d’enfants de Péruwez (Rognée, Walcourt) Carte des principales zones de production de céramique sigillée en Gaule au Haut-Empire. (Dessin J.-M. Danzain © SAN) Des sigles bien utiles … Une large proportion de la sigillée produite en Italie et en Gaule durant le Haut-Empire porte des sigles comportant le nom d’un individu, généralement écrit au génitif et souvent accompagné des lettres F (abréviation de Fecit, « un tel a fait »), M (abréviation de Manu, « de la main d’un tel »), ou OF (abréviation d’Officina, « atelier d’un tel »). On a beaucoup discuté de la place qu’occupe le signataire dans la chaîne de production : propriétaire de l’atelier (c’est certainement le cas lorsque le nom est accompagné de la mention Officina), ouvrier (c’étaient souvent des esclaves), voire négociant ? On s’interroge aussi sur la raison d’être de ces sigles : simple publicité, nécessité d’identifier différents producteurs utilisant un four commun, voire marque d’identification fiscale ? Quoiqu’il en soit, ils permettent d’identifier « une » production, généralement bien située dans le temps. Un outil privilégié pour les archéologues Par l’abondance de sa production, l’universalité de sa diffusion dans le monde romain, la standardisation et la rapide évolution de ses formes permettant l’établissement de typologies précises, la présence fréquente de sigles, la sigillée est devenue le « fossile directeur » le plus sûr pour la période romaine, c’est-à-dire le type d’objet offrant la plus grande précision chronologique. C’est, à l’heure actuelle, un des outils privilégiés des archéologues. Ceux-ci utilisent généralement encore la typologie établie par l’archéologue allemand Hans Dragendorff qui, en 1895, distingua 55 formes différentes, en grande majorité non-décorées. Le pays de Walcourt est très riche en vestiges archéologiques de toutes périodes, notamment gallo-romains. La commune est traversée d’Ouest en Est par une route importante partant de Bavay (Bagacum ou Bagaco Nerviorum, chef-lieu de la cité des Nerviens, en territoire français mais à quelques kilomètres seulement de la frontière) et se dirigeant vers la Meuse, qui a contribué à fixer les sites de cette époque. Le coin a été intensément prospecté par la Société archéologique de Namur qui y a fouillé en 1891 et 1892 à Berzée (lieu-dit Les Villées) le plus important cimetière gallo-romain connu à ce jour en province de Namur (706 tombes). Non loin de là, elle découvrit en 1894 à Rognée (lieu-dit Péruwez), deux tombes gallo-romaines, voisines et manifestement contemporaines, particulièrement intéressantes. Par rapport à la plupart des sépultures gallo-romaines du Haut-Empire trouvées dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, les deux tombes de Rognée tranchent nettement par leur richesse et leur ancienneté. Leur mobilier funéraire, abondant et varié, en céramique, surtout, et verre, est riche en produits d’importation, notamment de beaux services, tasses et assiettes, en sigillée du Sud de la Gaule. Elles pourraient dater du règne de Néron (54 ─ 68 ap. J.-C.). Elles sont considérées comme des tombes d’enfants, à cause de la présence de trois figurines de chiens interprétées comme des jouets ainsi que de la petite taille et de la gracilité des ossements. Ceux-ci n’ont malheureusement pas été conservés, ce qui nous prive des informations qu’auraient pu apporter les méthodes anthropologiques actuelles. Les chercheurs ont émis l’hypothèse que les défunts appartenaient à la famille des propriétaires d’un grand bâtiment Un des petits chiens en terre cuite. voisin, fouillé à la même époque par la Société (Photo Jacques Leurquin © Ville archéologique de Charleroi, où l’on a vu une de Namur) villa, de plan inhabituel cependant. Orientation bibliographique M. VANDERHOEVEN, La terre sigillée, Liège, 1984 (Cahiers de l’Institut archéologique liégeois, I) ; A. BEQUET, Tombe de deux enfants trouvées à Rognée. IIe siècle, dans les Annales de la Société archéologique de Namur, t. 21, 1891 – 1894, pp. 79 – 85 (Nos fouilles 1891 – 1894).