Les deux visages de l`érythème : sensibilité cutanée et rosacée
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Les deux visages de l`érythème : sensibilité cutanée et rosacée
1 1 2* ERIC DUPONT , JUAN GOMEZ , DIANE BILODEAU . *Auteur de correspondance 1 Immanence IDC Inc., 3229 ch. Quatre-Bourgeois, bureau 600, Québec (Québec), G1W 0C1, CANADA 2 e CosmeConsult, 174 Rue 9 , Québec (Québec), G1L 2N1, CANADA [email protected] Les deux visages de l’érythème : sensibilité cutanée et rosacée MOTS CLÉS : Érythème, Sensibilité cutanée, Rosacée, Pathophysiology, Traitement RÉSUMÉ : La rougeur cutanée est un souci cosmétique dont l’importance est en nette croissance. L’érythème peut être passager et d’intensité variable, comme c’est le cas pour les peaux sensibles, ou bien il peut être récurrent et s’intensifier avec le temps, comme c’est le cas au cours de la rosacée. Les deux phénomènes sont souvent confondus. Le présent article résume sommairement et compare le contexte général, la pathophysiologie et les solutions potentielles pouvant être appliquées au traitement de la sensibilité cutanée et de la rosacée. Les similarités et différences, de même que les nouveaux développements dans la compréhension de ces deux conditions cutanées sont présentés. LA SENSIBILITÉ CUTANÉE Généralités Les gens qui ont une peau sensible présentent une réponse exagérée à divers stimuli normalement considérés comme inoffensifs. Les déclencheurs peuvent provenir de différentes sources telles l’environnement (rayons ultraviolets, chaleur, froid, vent, sécheresse de l’air, pollution), les produits chimiques (produits nettoyants, cosmétiques, savons, parfums), les stress mécaniques (rasage, vêtements), certains états psychologiques (stress, émotions), et les fluctuations hormonales (menstruations). L’éventail des manifestations inclut des sensations anormales et variées telles que tiraillements, démangeaisons, brûlures, piqures, picotements, douleurs et/ou irritations (1). L’érythème et les bouffées vasomotrices, lorsque présents, sont temporaires et d’intensités variables (Figure 1). Les plaintes de sensibilité cutanée concernent habituellement le visage, le pli nasolabial étant la région la plus sujette au phénomène. Toutefois, la sensibilité cutanée peut également affecter d’autres parties du corps, telles que les mains, le cuir chevelu et les pieds (2). Bien que la sensibilité cutanée ne soit pas une condition médicale, elle est excessivement incommodante pour les gens qui en souffrent et a un impact négatif sur leur qualité de vie. Prévalence et facteurs associés La prévalence de cette condition dermatologique, essentiellement auto-rapportée, est étonnamment élevée. Au Japon, en Europe et en Amérique, lorsque questionnés, environ 50% des femmes et 30% des hommes déclarent avoir une peau sensible (3-5). Bien que les femmes rapportent le phénomène plus souvent que les hommes, on n’a jamais pu mettre en évidence une différence de réactivité cutanée aux irritants connus, entre hommes et femmes (6). De manière générale, l’origine ethnique n’est pas non plus un facteur déterminant, bien qu’une certaine variabilité de la sensibilité de la peau à des irritants spécifiques ait été rapportée entre différentes populations. Les japonaises montrent ainsi une plus grande réactivité de la peau suite à l’ingestion de nourriture épicée (1). Aussi, parmi les gens à peau sensible, les bouffées vasomotrices liées aux émotions et aux variations soudaines de température sont plus fréquemment associées aux peaux de phototype I et II (teints clairs) (4). En ce qui concerne l’effet de l’âge, des résultats contradictoires ont été rapportés. Les gens de plus de 50 ans sont plus nombreux que les jeunes à proclamer que leur peau est sensible. Par contre, en clinique on rapporte plutôt une baisse de réactivité de la peau aux irritants avec l’âge (7). Toutefois, indépendamment d’autres facteurs, la sensibilité cutanée apparaît fortement associée au type cosmétique de peau, les peaux sèches et les peaux grasses étant plus fréquemment affectées que les peaux normales (3, 4). Le fait d’avoir déjà souffert de dermatite atopique est aussi considéré comme un facteur prédisposant (1, 8). Pathophysiologie En recourant à un test d’occlusion de la peau sous pellicule plastique, suivi de la mesure de la perte d’eau transépidermique (TEWL), il a été établi que la fonction barrière cutanée est altérée chez les peaux sensibles (9). Ce résultat s’explique par le fait que le contenu en céramides (lipides) est réduit de manière significative au niveau du stratum corneum (SC), chez les peaux sensibles (10). Les céramides constituent normalement environ 50% du total des lipides retrouvé au niveau de la SC et toute altération des constituants lipidiques à ce niveau augmente la perméabilité de la barrière cutanée. La perturbation de la fonction barrière, qui s’en suit, facilite la pénétration de substances irritantes et pourrait expliquer le seuil de tolérance abaissé observé chez les peaux sensibles. La réduction de la fonction barrière expose également les terminaisons nerveuses contribuant ainsi à générer des dysfonctions sensorielles. Une altération de la réponse neuronale, spécifique aux peaux sensibles, a été élégamment démontrée au cours d’une étude utilisant l’imagerie par résonnance magnétique afin de suivre l’activité cérébrale suite à l’application d’acide lactique au niveau du pli nasolabial (11). A l’échelle moléculaire, une activation exagérée du récepteur vanilloïde TRPV1 a été rapportée au cours des états d’hyperréactivité sensorielle (12, 13). TRPV1 est un canal servant au transport d’ions que l’on retrouve à la membrane plasmique des fibroblastes, des kératinocytes, des cellules nerveuses, des mastocytes et des cellules endothéliales de la peau. À la surface des cellules nerveuses, TRPV1 s’ouvre suite à des stimuli nocifs comme la chaleur ou un pH acide, autorisant un afflux soudain et massif d’ions calcium à l’intérieur de la cellule, ce qui entraîne des sensations de douleur et de démangeaison. Au niveau des cellules non-neuronales, l’activation de TRPV1 provoque la libération de médiateurs de l’inflammation comme la prostaglandine E2 (PGE2) et le leukotriène B4 (LTB4) qui sensibilisent les neurones voisins et initient une boucle de rétroaction négative (14). Des études récentes ont aussi démontré que TRPV1 participe à la fonction barrière (12). Solution possibles Mis à part l’identification des facteurs sensibilisants propres à chaque individu et l’évitement de l’exposition à ces substances, il n’existe pas de traitement spécifique reconnu pour les peaux sensibles. Cependant, l’élucidation récente des mécanismes moléculaires discutés plus haut et impliqués dans le phénomène d’hypersensibilité cutané offre de nouvelles perspectives thérapeutiques. Il apparaît maintenant évident que la photoprotection est essentielle afin de prévenir l’aggravation de cette condition par les UV. De plus, l’utilisation de produits hydratants semble appropriée puisque les peaux sensibles sont généralement aussi des peaux sèches. Les produits capables de supporter la fonction barrière, via le rétablissement de l’homéostasie des lipides de la couche cornée, peuvent aussi s’avérer utiles. Des ingrédients aux propriétés anti-inflammatoires pourraient également aider à réduire l’inflammation et la vasodilatation induites par la libération de PGE2 au cours du phénomène d’hypersensibilité. Enfin, Les inhibiteurs de TRPV1 ont le potentiel d’aider sur plusieurs fronts. En prévenant l’activation excessive du canal ionique qu’elle cible, cette classe de produits pourrait normaliser le niveau de sensibilité neuronale, prévenir la production de prostaglandines, apaiser les démangeaisons et influencer positivement l’homéostasie de la fonction barrière. LA ROSACÉE Généralités La rosacée est un désordre de nature inflammatoire affectant le visage (Figure 2) et, plus rarement, les yeux. Cette condition s’accompagne de signes cliniques évidents permettant de délimiter 4 sous -types : 1) la rosacée érythémato-télangiectasique accompagnée par des bouffées vasomotrices (flushing) et l’apparition d’un réseau de fines lignes rouges sur la peau (télangiectasies, aussi appelées «spider veins»); 2) la rosacée papulopustuleuse caractérisée par une rougeur persistante et la présence de petits boutons (papules et pustules); 3) la rosacée phymateuse affectant le nez qui s’élargit et devient bosselé; 4) la rosacée oculaire causant rougeur et sensations de brûlure au niveau des yeux. La rosacée est une condition chronique qui tend à se détériorer avec le temps. Les déclencheurs incluent des facteurs environnementaux (soleil, chaleur), certains aliments (mets épicés, breuvages chauds, alcool), quelques médicaments (stéroïdes topiques, vasodilatateurs), le style de vie (exercice physique intense), des facteurs psychologiques (stress, anxiété) et possiblement aussi des infections bactériennes transmises par des acariens cutanés (Bacillus oleronius véhiculé par Demodex folliculorum) (16, 17). Le risque de développer la rosacée semble réduit chez les fumeurs er légèrement augmenté chez les ex-fumeurs (17). La rosacée est une affection de la peau qui nécessite une attention médicale. Prévalence et facteurs associés La rosacée est une condition passablement répandue, affectant les femmes plus que les hommes, dont la prévalence se situe entre 0.09% et 22% selon les études publiées sur le sujet (17). L’écart important entre les chiffres rapportés pourrait s’expliquer en partie par des différences au niveau du phototype de peau et de l’origine ethnique des participants, puisqu’il est bien connu que la condition est plus répandue chez les gens d’origine celtique au teint pâle (17). Les asiatiques et les gens d’origine africaine sont moins affectés (15). La rosacée ne débute habituellement pas avant l’âge de 30 ans (17). La rosacée peut toucher plusieurs membres d’une même famille, bien qu’aucun gène prédisposant n’ait encore été identifié. On suspecte depuis longtemps que la condition puisse être précipitée par une infection microbienne sous-jacente, étant donnés les bénéfices apportés par l’antibiothérapie. Pathophysiologie La pathophysiologie de la rosacée est plutôt complexe et implique une altération de la fonction barrière, un dérèglement des fonctions neuro-immunes de la peau, une inflammation immunogène et des changements au niveau de la vasculature cutanée. Une altération de la fonction barrière est observée chez beaucoup de patients souffrant de rosacée et pourrait expliquer les signes d’hypersensibilité de la peau souvent rapportés au cours de cette condition (19). Puisque la perméabilité de la barrière cutanée et sa fonction antimicro bienne sont étroitement liées, les changements notés à ce niveau pourraient vraisemblablement être liés à la présence de bactéries associées à Demodex (19). Cette hypothèse est supportée par des études récentes faisant état d’une production accrue de peptides anti-microbiens (cathélicidines and bêta-défensines) par les kératinocytes et l’activation de protéases participant à leur modification, au sein des peaux affectées par la rosacée (20). Certains fragments de peptides anti-microbiens, en combinaison avec des facteurs environnementaux sont susceptibles de stimuler l’immunité innée, incitant ainsi le système de défense neuronale cutané à générer inflammation, vasodilatation et œdème (15, 21). Comme c’est le cas pour les peaux hypersensibles, une activation exagérée du récepteur vanilloïde TRPV1 participe aux réactions inflammatoires (15). L’inflammation chronique est associée à l’activation de métalloprotéinases (MMPs), de même qu’à la production de molécules pro-oxydantes (ROS), de facteurs angiogéniques (VEGF) et de cytokines pro-inflammatoires (19). Les ROS et les MMPs attaquent directement et affaiblissent la matrice extracellulaire (ECM) autour d’eux, tandis que le VEGF dilate les vaisseaux et augmente leur perméabilité (19). Le VEGF stimule également l’angiogénèse au cours des formes avancées de rosacée (15, 19). Dans les cas les plus sévères, l’inflammation et l’activation de myofibroblastes cutanés sous-tend la réaction fibrotique à l’origine des déformations du nez (15). Solution possibles Le traitement médical de la rosacée repose habituellement sur l’utilisation d’antibiotiques topiques et oraux (metronidazole, acide azélaïque, tétracyclines), d’immunosuppresseurs topiques (inhibiteurs de la calcineurine), et d’anti-inflammatoires topiques (rétinoïdes, doxycycline) (22). Les agonistes des récepteurs alpha -adrénergiques (oxymetazoline, xylometazoline et brimonidine tartrate), sont présentement à l’étude, en tant que vasoconstricteurs visant à réduire l’érythème persistent associé à la rosacée (23). Les traitements au laser peuvent également aider à améliorer l’érythème et l’apparence des télangiectasies (23). La protection solaire est bénéfique, en particulier lorsqu’associée à l’utilisation d’une bonne crème hydratante (22). Les crèmes cosmétiques apaisantes adressant l’hydratation cutanée, la fonction barrière, l’inflammation neurogène, la production de ROS, de même que l’intégrité vasculaire et matricielle ont aussi prouvé leur utilité dans les cas de rosacée. L’efficacité d’un sérum (Rougeminime d’IDC) basé sur ce genre d’approche intégrale a récemment été démontrée et les résultats cliniques publiés dans la littérature scientifique. L’étude rapporte une diminution moyenne significative de 48% (p< 0,001) de l’érythème cutané après 2 mois d’application du produit, selon l’évaluation visuelle réalisée par un expert sur un panel de 45 volontaires (24). En complément de ces mesures, un fond de teint correctif peut être utilisé afin d’améliorer la qualité de vie des gens souffrant de rosacée (25). CONCLUSIONS La sensibilité cutanée et la rosacée, en tant qu’entités distinctes, ont des manifestations à la fois différentes et similaires (Table I). Elles ont en commun un certain nombre de déclencheurs. Cependant la sensibilité cutanée est une condition de nature essentiellement cosmétique impliquant une altération de la fonction barrière et une inflammation de nature neurogène, alors que la rosacée est une condition médicale caractérisée par des changements vasculaires importants et une inflammation de nature immunogène. L’érythème facial peut se manifester dans les deux cas, quoique différemment. L’érythème des peaux sensibles n’est pas toujours présent et lorsqu’il apparaît, c’est de manière transitoire et selon une intensité variable, alors que l’érythème de la rosacée persiste et tend à s’aggraver avec le temps. Le traitement peut différer. Ainsi, l’antibiothérapie ne profitera qu’aux patients souffrant de rosacée. Par contre, les deux conditions pourront bénéficier de soins cosmétiques quotidiens formulés de manière à soutenir efficacement l’hydratation et la fonction barrière de la peau, diminuer l’inflammation et réduire le stress oxydatif. RÉFÉRENCES ET NOTES 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 J. Escalas-Taberner, E. González-Guerra et al., Actas Dermosifiliogr., 102, pp. 563-71 (2011). C. Saint-Martory, A.M. Roguedas-Contios et al., Br J Dermatol., 158, pp. 130-3 (2008). L. Misery, V. Sibaud et al., Int J Dermatol., 50, pp. 961-7 (2011). C. Guinot, D. Malvy et al., J Eur Acad Dermatol Venereol., 20, pp. 380-90 (2006). L. Misery, Ann Dermatol., 138, pp. S207-10 (2011). A.B. Cua, K.P. Wilhelm et al., Br J Dermatol., 123, pp. 607–13 (1990). M.A. Farage, “Perceptions of sensitive skin with age”. Textbook of Aging Skin, Edited by M.A. Farage, K.W. Miller, H.I. Maibach, Berlin-Heidelberg, Springer-Verlag,1027–1046 (2010). Venereol., 138, pp. 154-7 (2011). L. Misery, S. Boussetta, J Eur Acad Dermatol Venereol., 23, pp. 376-81 (2009). P. Pinto, C. Rosado et al., Skin Res Technol., 17, pp. 181-5 (2011). H.J. Cho, B.Y. Chung et al., J Dermatol., 39, pp. 295-300 (2012). B. Querleux, K. 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