RACISME ET LIBERTÉ D`EXPRESSION. EXAMEN DE
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RACISME ET LIBERTÉ D`EXPRESSION. EXAMEN DE
RACISME ET LIBERTÉ D’EXPRESSION. EXAMEN DE LÉGISLATION ET DE JURISPRUDENCE BELGES « Le monde n’est que variété et dissemblance. » Montaigne, Essais, II, 1. I. — Introduction 1. Sans nécessairement orienter toute réflexion vers le racisme, on ne saurait trop insister, surtout à l’égard de ceux qui en abusent, sur le fait que la liberté d’expression n’est pas un droit absolu ( 1). En réalité, elle constitue un indicateur précieux du fonctionnement démocratique de l’Etat, puisqu’elle autorise la caricature, le pamphlet, la critique même féroce ou la satire. Comme l’a énoncé la Cour européenne des droits de l’homme, « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels de pareille société (démocratique), l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du § 2 de l’article 10 (de la Convention européenne des droits de l’homme), elle vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique » ( 2). (1) Voy. notamment M. Verdussen, obs. sous l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 22 février 1989, Barfod c. Danemark, Rev. trim. dr. h., 1990, p. 57 ; Fl. Massias, « La liberté d’expression et le discours raciste ou révisionniste », Rev. trim. dr. h., 1993, p. 183 ; J. Velaers, De beperkingen van de vrijheid van meningsuiting, Anvers, Maklu, 1991. (2) Arrêt du 7 décembre 1976, Handyside ; arrêt du 8 juillet 1986, Lingens ; arrêt du 20 septembre 1994, Otto-Preminger Institut, Rev. trim. dr. h., 1995, p. 455 ; R.U.D.H., 1994, p. 463; voy., à propos de cet arrêt, P. Wachsmann, « La religion contre la liberté d’expression : sur un arrêt regrettable de la Cour européenne des droits de l’homme », R.U.D.H., 1994, p. 441 ; P. Lambert, « La Cour européenne des droits de l’homme année 1999. Chronique de jurisprudence », J.T.D.E., 2000, p. 40 ; et encore l’arrêt du 28 septembre 1999, Öztürk. Sur les articles 10 et 17 de la Conven→ 322 Rev. trim. dr. h. (2001) Toutefois, face aux abus, le législateur est confronté à la nécessité de circonscrire les limites du droit à la liberté d’expression, dans le respect de la Constitution ( 3) et du droit international ( 4). C’est ce qu’il a fait, dans un premier temps, en adoptant la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie. 2. Les articles 2.1.d) et 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, faite à New York le 7 mars 1966, imposent même à chaque Etat : — d’interdire la discrimination raciale pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations, par tous les moyens, y compris, si les circonstances l’exigent, par des mesures législatives ; — de déclarer punissables par la loi toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale,... ; — et de déclarer illégales et interdire les organisations et les activités de propagande ayant le même objet ( 5). 3. La loi du 30 juillet 1981 ne définissait pas la « discrimination ». Le législateur a réparé cette omission en 1994, en insérant dans l’article 1 er de la loi une définition qui s’inspire largement de celle de l’article 1 er, 1 de la Convention de New York. La discrimination consiste « en toute distinction, exclusion, restriction ou préférence ayant ou pouvant avoir pour but ou pour effet de détruire, de compromettre ou de limiter la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social ou culturel ou dans tout autre domaine de la vie sociale ». Cette loi du 30 juillet 1981 a en outre été utilement modifiée et complétée. ← tion, voy. notamment L.E. Pettiti et al., La Convention européenne des droits de l’homme. Commentaire article par article, Paris, Economica, 1995, pp. 365 et s. et pp. 509 et s. (3) L’article 19 autorise la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de cette liberté. (4) Articles 10 et 17 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966. (5) Voy. aussi l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Rev. trim. dr. h. (2001) 323 La loi du 12 avril 1994 modifiant celle du 30 juillet 1981 a augmenté significativement les peines qui sanctionnaient à l’origine les infractions racistes, en les rapprochant de celles en vigueur notamment en France, afin de souligner l’importance de ces infractions et d’autoriser une répression efficace. Elle y a inséré de nouvelles infractions, à savoir : — le fait de donner une publicité à une intention de recourir à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe, d’une communauté ou de leurs membres ( 6) ; — la discrimination commise en matière de placement, de formation professionnelle, d’offre d’emploi, de recrutement, d’exécution du contrat de travail ou de licenciement de travailleurs. « L’employeur est civilement responsable du paiement des amendes auxquelles ses préposés ou mandataires ont été condamnés. » ( 7) Comme pour l’article 2 de la loi, l’application concrète de l’article 2bis risque toutefois d’être compromise par la difficulté pour les victimes de rapporter la preuve de l’infraction. L’article 2 de la loi a également été remplacé par un nouvel article qui a principalement pour but de supprimer la condition de publicité imposée par la loi du 30 juillet 1981, condition qui avait pour conséquence d’exclure de son champ d’application le refus de location d’immeubles. Il n’en reste pas moins que la preuve de l’existence de la discrimination reste là aussi difficile à rapporter. La loi du 12 avril 1994 a par ailleurs élargi à diverses organisations représentatives de travailleurs la possibilité d’ester en justice. 4. La loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale punit désormais l’auteur de l’une de ces infractions d’une peine d’emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de vingt-six à cinq mille francs. Le juge peut encore ordonner la publication du jugement, intégralement ou par extrait, dans un ou plusieurs journaux, et l’affichage, aux frais du condamné. Avant sa modification par la loi du 7 mai 1999 ( 8), cette loi prévoyait la possibilité pour le juge de condamner l’auteur en état de (6) Article 1 er, alinéa 2, 3 o et 4 o de la loi du 30 juillet 1981. (7) Article 2bis de la loi du 30 juillet 1981. (8) Voy. ci-après. 324 Rev. trim. dr. h. (2001) récidive, à l’interdiction ( 9), conformément à l’article 33 du Code pénal. Il est regrettable que semblable faculté d’ordonner la publication ou l’affichage du jugement n’ait pas été insérée dans la loi du 30 juillet 1981, au moins en cas d’infraction à l’article 3 de la loi, lequel punit toute personne qui fait partie d’un groupement ou d’une association qui, de façon manifeste et répétée, pratique la discrimination ou la ségrégation ou prône celle-ci dans les circonstances de publicité indiquées à l’article 444 du Code pénal ( 10) ou lui prête son concours. Les gouvernants devraient en effet porter spécialement leur attention sur les développements du racisme et de la xénophobie au sein de groupes ou communautés. 5. Saisie d’un recours en annulation de la loi du 23 mars 1995, la Cour d’arbitrage a rappelé que « le législateur a voulu atteindre un comportement spécifique et n’apporter qu’une restriction exceptionnelle à la liberté d’expression ; qu’il ressort des travaux préparatoires que le législateur a jugé nécessaire d’intervenir contre les comportements visés parce qu’ils se sont multipliés ces dernières années, parallèlement à un retour de courants antidémocratiques et racistes dans la société » et que « le législateur a toutefois souligné que rien n’empêche que le champ d’application de la loi soit étendu si l’on constate la négation ou la justification tout aussi systématique, et dans un but d’idéologie déterminée, de faits semblables, mais a estimé que tel n’était cependant pas encore le cas ». La Cour conclut que le choix opéré par le législateur ne repose pas sur une appréciation manifestement erronée ou déraisonnable et rejette le recours ( 11). L’intervention du législateur en matière de restrictions des libertés individuelles n’est d’ailleurs pas isolée ou nouvelle ( 12). (9) Notamment l’interdiction de remplir des fonctions, emplois ou offices publics, d’éligibilité, de porter des décorations, d’être juré, expert, de déposer en justice, de faire partie d’un conseil de famille, d’être tuteur, subrogé tuteur ou curateur,... (10) C’est-à-dire dans des réunions ou lieux publics, en présence de plusieurs personnes même dans des lieux non ouverts au public, en présence de la personne offensée ou devant témoins, par des écrits, imprimés ou non, images ou emblèmes, par des écrits non rendus publics, mais adressés ou communiqués à plusieurs personnes. (11) C.A., 12 juillet 1996, n o 45/96, J.T., 1997, p. 95 ; Rev. trim. dr. h., 1997, p. 111 et obs. F. Ringelheim « Le négationnisme contre la loi » ; J. Velaers, « Het Arbitragehof, de vrijheid van meningsuiting en de wet tot bestraffing van het negationisme en het revisionisme », C.D.P.K., 1997, p. 573. (12) Voy. notamment A. Vanwelkenhuysen, « Les restrictions que la loi belge apporte aux libertés individuelles », in Rapports belges au VII e Congrès international de droit comparé, Bruxelles, C.I.D.C., 1966, p. 355 ; J. Velu et R. Ergec, La Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1996. Rev. trim. dr. h. (2001) 325 Comme l’observe J. Velaers, l’arrêt de la Cour s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’homme, fondée sur les articles 10 et 17 de la Convention ( 13) dont il ressort que la liberté d’expression n’est pas absolue, mais au contraire peut être limitée pour des motifs d’atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, d’atteinte à l’honneur ou à la réputation des personnes, etc. La Cour d’arbitrage procède à une véritable analyse exégétique du texte et des travaux préparatoires de la loi lorsqu’elle énonce : « Qu’il s’agisse de nier le génocide, de l’approuver, de chercher à le justifier ou de le minimiser grossièrement, les agissements érigés en infraction par la loi présentent ce trait commun qu’il n’est guère concevable de les adopter sans vouloir, ne fût-ce qu’indirectement, réhabiliter une idéologie criminelle et hostile à la démocratie et sans vouloir, par la même occasion, offenser gravement une ou plusieurs catégories d’êtres humains. La loi ne mentionne pas de telles volontés comme un élément constitutif du délit qu’elle institue, mais il apparaît des travaux préparatoires que si le législateur y a renoncé, c’est en considération de l’extrême difficulté de preuve (...) résultant notamment du recours fréquent à des modes d’expression d’apparence scientifique. » La Cour énonce que la loi a pu être considérée par le législateur comme répondant à un besoin social impérieux et répond par l’affirmative à la question de savoir si elle respecte les conditions de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, c’est-àdire être nécessaire dans une société démocratique, ou, en d’autres termes être proportionnée à l’objectif poursuivi. La loi a pour but la répression des manifestations publiques d’opinions ouvertes et manifestes, mais heureusement aussi de « celles qui abusent de la liberté d’expression sur un mode plus subtil et souvent pseudo-scientifique » ( 14). 6. Telle qu’elle est conçue et rédigée, la loi confère au juge judiciaire un large pouvoir d’appréciation des faits dont il sera saisi ( 15). (13) Op. cit., n o 18, p. 579. (14) J. Velaers, ibid. (15) C’est à juste titre que le tribunal correctionnel de Namur a rappelé que c’est au juge qu’il appartient d’apprécier à partir de quand l’expression de la libre pensée peut être considérée comme constituant une incitation à la violence, à la haine ou à la discrimination raciale (Corr., 23 septembre 1993, R.D.P., 1994, p. 920 ; La loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie, Jurisprudence, Bruxelles, Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, 1999, p. 157). 326 Rev. trim. dr. h. (2001) Espérons qu’il saisira cette opportunité pour donner à la loi son plein effet. 7. L’article 5bis de la loi du 30 juillet 1981, y inséré par la loi du 7 mai 1999, prévoit que le condamné pour infraction aux articles 1 er, 2, 2bis, 3 et 4 peut être condamné à l’interdiction conformément à l’article 33 du Code pénal. La même loi du 7 mai 1999 a également modifié la loi du 23 mars 1995 en supprimant l’exigence de l’état de récidive du condamné pour sa condamnation à l’interdiction conformément à l’article 33 du Code pénal. Un délinquant primaire peut depuis son entrée en vigueur être frappé par cette peine. 8. Bien que toutes les dispositions de la loi du 30 juillet 1981 supposent une extériorisation de la pensée et donc une expression de la volonté, nous examinerons principalement ci-après la jurisprudence relative aux infractions visées aux articles 1 er et 3 de ladite loi, et à l’article 1 er de la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale, en distinguant selon qu’elles sont commises directement, c’est-à-dire sans support écrit, radiophonique, télévisuel ou informatique (point II), ou par le moyen des médias et des nouvelles technologies de l’information (point III). Ces infractions (incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence, publicité donnée à l’intention de recourir à la discrimination, participation à un groupement ou une association qui, de façon manifeste et répétée, pratique la discrimination raciale, négation ou minimisation grossière du génocide commis par le régime nationalsocialiste) nous paraissent en effet davantage constituer des restrictions à la liberté d’expression que les autres infractions visées par la loi du 30 juillet 1981 (discrimination à l’occasion de la fourniture ou de l’offre de fourniture d’un service, d’un bien ou de la jouissance de celui-ci, discrimination dans le travail, refus discriminatoire de l’exercice d’un droit ou d’une liberté par un fonctionnaire ou officier public). Cette dernière décennie a été marquée par la montée en puissance de partis politiques, communément appelés les partis liberticides, dont la ligne d’action est fondée sur la discrimination et le rejet. Le législateur a également pris des dispositions particulières en ce qui les concerne. Nous les examinerons dans une troisième partie (point IV). Rev. trim. dr. h. (2001) 327 II. — L’expression directe du racisme, de la discrimination raciale et du révisionnisme 9. Par son arrêt du 19 mai 1993, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que l’article 1 er, 2 o et 3 o de la loi du 30 juillet 1981 relatif à l’incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination n’exige pas que cette incitation ait pour but la commission d’un acte précis de racisme ou de xénophobie par une personne ou un public déterminé. La Cour observe que, par son arrêt du 3 décembre 1992, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles avait ajouté une condition à la loi en considérant qu’il n’y avait pas lieu à poursuivre les défendeurs dont le comportement « (tendait) à inviter (le public) à des comportements généraux (...) et nullement à des actes concrets, déterminés ou déterminables » ( 16). Cet arrêt de la chambre des mises en accusation faisait suite à une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Nivelles, qui avait considéré, d’une part, que des tracts rédigés et diffusés pour le Parti des forces nouvelles par les défendeurs De Becker et Sandron incitaient à la discrimination raciale et qui avait conclu à l’existence d’un délit de presse, au motif que « les idées exprimées par les inculpés dans les documents écrits, imprimés et diffusés (...) sont le support du message raciste qu’ils diffusent... » et, d’autre part, qu’ils faisaient partie d’un groupement ou d’une association qui, de façon manifeste et répétée, pratique la discrimination raciale ou prône celle-ci publiquement ( 17). A la suite de l’arrêt de la Cour de cassation, la cour d’appel de Mons, chambre des mises en accusation, a rendu le 14 janvier 1994 un nouvel arrêt aux termes duquel elle a conclu à l’existence d’un délit de presse et a renvoyé les deux défendeurs devant la Cour d’assises du Hainaut, eu égard au procédé de diffusion des écrits reproduits, analogue à celui de l’imprimerie ( 18). La Cour d’assises a condamné les défendeurs pour leur appartenance à un groupement ou une association incitant à ou prônant la discrimination raciale, mais elle les a acquittés pour le délit de presse. (16) Pas., 1993, I, p. 498; R.D.P., 1993, p. 880 ; J.T., 1993, p. 574, avis de l’avocat général Piret et l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 3 décembre 1992. (17) J.L.M.B., 1992, p. 1252. (18) J.L.M.B., 1994, 506 et obs. F. Jongen « Un délit de presse devant la Cour d’assises ». 328 Rev. trim. dr. h. (2001) 10. Deux affaires, comparables à la précédente et entre elles, ont donné lieu à des décisions curieusement opposées. Dans la première, les défendeurs appartenant au Vlaams Blok étaient poursuivis pour avoir fait partie d’un groupement ou d’une association incitant à ou prônant la discrimination raciale. Le tribunal correctionnel de Bruxelles s’est fondé sur la publication dans la revue de ce parti du programme en septante points pour requalifier les faits en délit de presse et se déclarer incompétent ( 19). Dans la seconde, des membres du Parti des forces nouvelles à Liège étaient poursuivis notamment pour avoir incité à la haine raciale en apposant des affiches, et en diffusant des tracts sur la voie publique, et pour avoir fait partie d’un groupement ou d’une association qui pratique ou prône la discrimination raciale. Le tribunal correctionnel de Liège a conclu que les faits reprochés aux défendeurs n’étaient pas constitutifs d’un délit de presse ou d’opinion, au motif que ces procédés n’étaient qu’un des aspects de l’activité du parti et qu’au surplus, aucun des défendeurs n’apparaissait être l’auteur des tracts et des affiches ( 20). 11. Ces différentes décisions témoignent du malaise des juges lorsque l’incitation à la discrimination ou à la haine raciale se fait par des écrits destinés au public (ou à un certain public). On sait en effet que les délits de presse (drukpers en néerlandais), consistant, selon la Cour de cassation ( 21), dans l’expression et la diffusion d’une pensée ou d’une opinion délictueuse dans un écrit reproduit par un procédé d’imprimerie — ce qui exclut les autres médias — relèvent, en vertu de l’article 150 de la Constitution, de la cour d’assises, laquelle est probablement moins à même qu’un juge professionnel (19) Corr. Bruxelles, 6 septembre 1994, inédit. (20) Corr. Liège, 22 juin 1993, inédit. (21) Cass., 9 décembre 1981, Pas., 1982, I, p. 482; 28 mai 1985, R.W., 1985-86, col. 2854 ; 17 janvier 1990, Pas., 1990, I, p. 582 ; R.D.P., 1990, p. 659 et note ; J.L.M.B., 1990, p. 412. La cour d’appel de Bruxelles s’est départie de cette jurisprudence à de multiples occasions, considérant en substance qu’« une interprétation littérale et restrictive du prescrit constitutionnel serait manifestement réductrice de la volonté du constituant » (voy. Bruxelles, 19 février 1985, R.W., 1985-86, col. 806; Bruxelles, 29 juin 1990, inédit ; Bruxelles, 7 juin 1991, R.D.P., 1992, p. 131 ; Bruxelles, 24 mars 1992, J.L.M.B., 1992, p. 1242 et note F. Jongen « Des délits de presse aussi à la télévision? » ; Bruxelles, 25 mai 1993, J.T., 1994, p. 104, obs. F. Jongen « Le délit de presse, concept élargi »). Voy. encore, sur ce débat, G.A.I. Schuit et D. Voorhoof, Vrijheid van meningsuiting, Racisme en revisionisme, Gent, Academia Press, 1995, p. 171 ; E. Francis, « Bedenkingen bij de ‘ correctionalisering ’ van racistisch geïnspireerde drukpersmisdrijven », R.W., 1999-2000, p. 377, spéc. p. 380. Rev. trim. dr. h. (2001) 329 de se prononcer sur des questions d’ordres à la fois techniques et éthiques. Un jugement intéressant du tribunal correctionnel de Liège du 21 décembre 1998 retient l’attention. Le défendeur, conseiller provincial à Liège, qui était poursuivi pour avoir prononcé un discours au conseil provincial « contenant des propos manifestement et inutilement agressifs et injurieux à l’égard des étrangers », avait invoqué l’incompétence du tribunal correctionnel en se fondant sur le fait que son discours avait été reproduit dans une revue. Le tribunal oppose au défendeur que la citation fait seulement référence au discours prononcé en public et que dans cette mesure, le tribunal est compétent pour connaître des poursuites ( 22). Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de Liège le 18 octobre 1999 ( 23). 12. Toutes ces décisions, à l’exception de l’arrêt de la cour d’appel de Liège du 18 octobre 1999, ont été rendues avant la modification de l’article 150 de la Constitution, le 7 mai 1999. Le nouveau texte de l’article 150, selon lequel « le jury est établi en toutes matières criminelles et pour les délits politiques et de presse, à l’exception des délits de presse inspirés par le racisme et la xénophobie » ( 24), a pour objectif de mettre fin, en ce qui concerne les infractions à caractère raciste, à l’impunité de fait dont jouissent les auteurs de délits de presse, vu l’absence de constitution de cours d’assises pour en connaître ( 25). Il est permis de se demander pourquoi le constituant n’a pas omis de l’article 150 tous les délits de presse, pour les faire relever des juridictions correctionnelles. Même si la distinction est justifiée en raison de l’objectif poursuivi et peut-être aussi des valeurs à protéger, comme l’ont observé (22) Corr. Liège, 21 décembre 1998, in La loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie, Jurisprudence, Bruxelles, Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, 1999, p. 325. (23) Inédit. (24) Ce qui vise également le révisionnisme. Voy., sur ce nouvel article de la Constitution, A. Schauss, « Le délit de presse raciste », in Les droits de l’homme au seuil du troisième millénaire, Mélanges en hommage à Pierre Lambert, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 735. (25) En 1970 déjà, J. De meyer constatait que le ministère public hésitait à poursuivre les délits de presse (« Les limites à la liberté d’information (presse, radio, cinéma, télévision) en droit belge », in Rapports belges au VIII e Congrès international de droit comparé, Bruxelles, C.I.D.C., 1970, p. 622. 330 Rev. trim. dr. h. (2001) certains commentateurs ( 26), la modification intervenue crée désormais un système dans lequel les auteurs de délits de presse ordinaires échappent aux poursuites, alors que les auteurs de délits de presse racistes seront effectivement poursuivis. Comme l’écrit A. Schaus, « la cohérence aurait exigé que l’on réfléchisse correctement au sort à réserver à tous les délits de presse. Une réforme générale de la procédure devant la cour d’assises relative à ce type de délit aurait peut-être été opportune. » ( 27) A l’appui de son analyse, cet auteur évoque une question technique importante : si un écrit contient à la fois des infractions à la loi du 30 juillet 1981 ou à la loi du 23 mars 1995 et une injure ou diffamation ordinaire, le tribunal devrait se déclarer incompétent par application des règles relatives à la connexité des infractions. « Seule une poursuite ou une citation directe, pour l’aspect raciste de l’écrit uniquement, ou le dépôt de deux plaintes distinctes permettra d’éviter cet écueil » ( 28). V. Ost a émis une série de critiques comparables ( 29), ainsi que des doutes sur la compatibilité de la nouvelle disposition avec le principe d’égalité consacré par les normes internationales et sur sa capacité de résistance au contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme. Le nouvel article 150 de la Constitution paraît cependant nécessaire dans une société démocratique et ne contenir aucune atteinte au principe d’égalité dans la mesure ou le critère de distinction retenu est susceptible de justification objective et raisonnable et que celle-ci se situe dans un rapport de proportionnalité eu égard au but et aux effets voulus par le constituant. Enfin, si la crainte des gouvernants devait être d’ouvrir les portes à une répression pénale injustifiée (et inacceptable) de la presse, on rappellera que la Cour européenne des droits de l’homme a développé une jurisprudence qui circonscrit sérieusement les risques en contrôlant strictement a posteriori si les juges nationaux ont usé de leur liberté d’appréciation dans une mesure raisonnable et compatible avec les objectifs de la Convention et les valeurs fondamentales (26) Notamment Fr. Tulkens, « Pour un droit constitutionnel des médias », R.B.D.C., 1999, p. 18. (27) Op. cit., p. 752 ; du même auteur, « Les délits de presse à caractère raciste », in Pas de liberté pour les partis liberticides ?, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 331. (28) Ibid., p. 764. (29) « Le raciste, le diffamateur et le nouvel article 150 de la Constitution », A & M, 2000, 1-2, p. 27. Rev. trim. dr. h. (2001) 331 qu’elle protège ( 30). Comme le rappelle P. Tapie, dans l’affaire Sunday Times ( 31), la Cour européenne a affirmé, à propos du poids respectif de la liberté d’expression et de la bonne administration de la justice, qu’« elle ne se trouve pas devant un choix entre deux principes antinomiques, mais devant un principe — la liberté d’expression — assorti d’exceptions qui appellent une interprétation étroite » ( 32). Tel semble bien être le cas en l’occurrence. 13. On signalera enfin le jugement du tribunal correctionnel de Bruxelles du 15 juillet 1996 ( 33) relatif au salut fasciste et au discours d’installation du conseil communal de Bruxelles du 9 janvier 1995 au cours duquel la défenderesse N. Lemmens avait énoncé : « La patrie est l’endroit où il y a le plus de gens qui vous ressemblent disait Stendhal. Hélas... il y a dans cette auguste assemblée trois nouveaux compatriotes qui ne nous ressemblent pas. Ce n’est évidemment pas de ces belges-là dont nous nous soucions. » Le tribunal considère à propos de la première prévention (le salut fasciste), « qu’il apparaît bien que la référence explicite et volontaire à l’idéologie fasciste qui a prôné la suprématie d’une race par rapport à d’autres et a poursuivi l’extermination desdites races implique en soi l’incitation à la haine, la discrimination, la violence ou la ségrégation. » A l’opposé, un jugement du tribunal correctionnel d’Anvers a acquitté un conseiller provincial du Vlaams Blok poursuivi, sur la constitution de partie civile du Centre pour l’égalité des chances, pour avoir effectué un salut hitlérien lors d’une séance du conseil provincial, aux motifs que, en l’absence de preuves suffisantes, le geste effectué avec le bras par le défendeur constituait moins un salut hitlérien que le (30) Même si cette jurisprudence est critiquée. Voy., sur cette question, P. Wachsmann, « Une certaine marge d’appréciation, considérations sur les variations du contrôle européen en matière de liberté d’expression », in Les droits de l’homme au seuil du troisième millénaire. Mélanges en hommage à Pierre Lambert, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 1017 ; G. Cohen-Jonathan, « Discrimination raciale et liberté d’expression », R.U.D.H., 1995, p. 1 ; S. Velu, « Le juge des référés et la liberté d’expression », in Présence du droit public et des droits de l’homme, Mélanges offerts à J. Velu, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 1757, spéc. à propos de l’arrêt du 26 novembre 1991, Observer et Guardian, pp. 1784 et 1788. (31) Arrêt du 26 avril 1979. (32) « Les libertés publiques et les droits de l’homme », in Evolution constitutionnelle en Belgique et relations internationales, Hommage à P. De Visscher, Paris, Pedone, 1984, p. 111, spéc. p. 126. (33) R.D.E., 1996, p. 415 ; La loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie, Jurisprudence, Bruxelles, Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, 1999, p. 200. 332 Rev. trim. dr. h. (2001) témoignage d’un mépris grossier à l’égard d’un organe politique établi comme le conseil provincial et ses membres ( 34). 14. Le tribunal correctionnel de Gand a condamné à trois mois d’emprisonnement et à une amende de 250 francs sur la base de l’article 1 er, 3 o et 4 o de la loi du 30 juillet 1981 le client d’un snack qui avait injurié le patron turc de l’établissement et avait appelé à l’arrivée du Vlaams Blok au pouvoir en vue de chasser tous les étrangers ( 35). On peut se demander quelle aurait été l’appréciation du tribunal si le défendeur s’était limité à proférer des injures, comprenant ou non des éléments racistes, et s’il n’est pas temps de compléter la loi du 30 juillet 1981 par le délit de diffamation ou d’injure raciste, infractions qui auraient le mérite d’étendre le champ d’application de la loi aux expressions les plus faciles et courantes du racisme et de la xénophobie qui, sans nécessairement contenir d’incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence, empoisonnent la vie en société ( 36). Enfin, le tribunal correctionnel de Verviers a sanctionné, le 5 septembre 2000 ( 37), un conseiller communal qui avait tenu des propos racistes, évoquant notamment la « canaille maghrébine », lors d’une séance du conseil communal. 15. On observera un changement inquiétant dans la qualité des auteurs d’infractions aux articles 1 er ou 3 de la loi du 30 juillet 1981. La plupart des décisions qui ont été prononcées ces dix dernières années concernent des mandataires politiques, locaux ou provinciaux. Ceux-ci, même s’ils ne bénéficient que d’une audience limitée, n’hésitent plus à affirmer plus ou moins ouvertement leur idéologie antidémocratique. (34) Corr. Anvers, 23 juin 1999, inédit. (35) Corr. Gand, 23 novembre 1999, inédit ; à propos de faits comparables, voy. notamment Corr. Anvers, 14 mars 1996, Gand, 19 novembre 1996, Corr. Bruges, 30 juin 1997, Corr. Courtrai, 19 août 1998, Corr. Louvain, 8 février 1999, in La loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie, Jurisprudence, Bruxelles, Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, 1999. (36) Voy. D. Batsele, M. Hanotiau et O. Daurmont, La lutte contre le racisme et la xénophobie, Bruxelles, Nemesis, 1992, p. 43 ; B. Renson, « Du renforcement de la lutte contre le racisme et la xénophobie : du rêve à la réalité », R.D.E., 1995, p. 3, spéc. p. 13. (37) Inédit. Rev. trim. dr. h. (2001) 333 III. — L’expression du racisme et du révisionnisme par le moyen des medias et des nouvelles technologies 17. L’article 22bis de la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989 du Conseil de l’Union européenne visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle, y inséré par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil, dispose que « les Etats membres veillent à ce que les émissions ne contiennent aucune incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité. » ( 38) Cette obligation pourrait, le cas échéant, justifier le refus, par le gouvernement d’une communauté, d’une autorisation d’émission par une société de radio ou de télévision. 18. En Communauté française de Belgique, l’article 7, § 1 er du décret du 14 juillet 1997 portant statut de la radiotélévision belge de la Communauté française (R.T.B.F.) dispose que « L’entreprise ne peut produire ou diffuser des émissions contraires aux lois ou à l’intérêt général, portant atteinte au respect de la dignité humaine, et, notamment contenant des incitations à la discrimination, à la haine ou à la violence, en particulier pour des raisons de race, de sexe ou de nationalité ou tendant à la négation, la minimisation, la justification, l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale ou toute autre forme de génocide » ( 39). Des dispositions comparables ont été adoptées en Communauté flamande. Dans les décrets relatifs à la radiodiffusion et à la télévision, coordonnés le 25 janvier 1995 par l’arrêté du gouvernement flamand, les articles 32, 16 o, 53, 14 o, et 74, relatifs aux conditions d’agrément des radios locales et des organismes de télé(38) Cette disposition qui remplace l’article 22, alinéa 2, de la directive 89/552/ CEE du 3 octobre 1989, lequel énonçait la même règle, est reprise sous le chapitre intitulé « Protection des mineurs et ordre public ». (39) Pour ce qui concerne les autres organismes de télédiffusion, pareille interdiction ressort des articles 24quater et 27bis du décret du 17 juillet 1987 sur l’audiovisuel et, pour les sociétés privées de radiodiffusion, elle est prévue à l’article 38 du décret de la Communauté française du 24 juillet 1997 relatif au Conseil supérieur de l’audiovisuel et aux services privés de radiodiffusion sonore de la Communauté française. Voy., à ce propos, H. Dumont et Fr. Tulkens, « Les activités liberticides et le droit public belge », in Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ?, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 219, spéc. p. 274. Pour les sociétés privées de radiodiffusion, l’article 33, 7 o du décret de la Communauté française du 24 juillet 1997, précité, prévoit le retrait de l’autorisation ou de l’attribution d’une fréquence, notamment en cas d’infraction à la loi du 30 juillet 1981 ou à la loi du 23 mars 1995. 334 Rev. trim. dr. h. (2001) diffusion prévoient en effet que « toute forme de discrimination est exclue du contenu des programmes et de la grille d’émission », tandis que l’article 78 figurant dans le titre contenant les dispositions communes applicables à tous les radiodiffuseurs (public et privés) dispose que « les programmes des radiodiffuseurs ne peuvent contenir aucune incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité » ( 40). 19. Saisi de la demande des demandeurs Feret et consorts contre la R.T.B.F., laquelle avait privé les premiers de l’accès à l’antenne au motif que leur programme électoral en matière d’immigration n’était pas compatible avec l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et avec l’esprit de la Convention de New York du 7 mars 1966, le président du tribunal de première instance de Bruxelles, siégeant en référé, a considéré dans une ordonnance rendue le 2 juin 1994, qu’il n’apparaissait pas du seul fait de l’insertion, dans le programme des demandeurs, de « l’arrêt réel de l’immigration non européenne », que ce programme serait contraire aux principes de la démocratie ou pouvait inciter à la ségrégation ou à la discrimination, et que les autres éléments produits devant lui n’étaient pas davantage probants. La cour d’appel de Bruxelles a confirmé la décision du président du tribunal de première instance dans son arrêt du 8 juin 1994 ( 41). 20. A l’occasion des élections régionales, fédérales et européennes de 1999, M. Bastien, cofondatrice et présidente du parti du Front nouveau de Belgique, avait sollicité une tribune électorale, qui lui a été refusée par l’administrateur général de la R.T.B.F., ce dernier faisant valoir à l’appui de sa réponse longuement motivée tant des raisons de forme que de fond. Parmi ces dernières il relevait que différents éléments de la propagande du parti lui permettaient de considérer que « le message électoral et politique et les idées défendues par le Front nouveau de Belgique ne sont pas compatibles avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, faite à New York le 16 mars 1966 et avec la loi du 30 juillet 1981 ». Madame Bastien a introduit une demande de (40) Voy., sur ces textes, D. Voorhoof, « Racismebestrijding en vrijheid van meningsuiting in België : wetgeving en jurisprudentie », in Vrijheid van meningsuiting, racisme en revisionisme, Gent, Academia press, 1995, p. 155, spéc. p. 156. (41) J.T., 1995, p. 742 et obs. A. Lefebvre « La compétence du juge des référés en matière administrative : peut-on se prévaloir d’un droit subjectif à passer sur les antennes de la R.T.B.F. ? ». Rev. trim. dr. h. (2001) 335 suspension au Conseil d’Etat en alléguant notamment la violation, par la décision attaquée, du droit fondamental à la liberté d’opinion et d’expression. Dans son arrêt n o 80.787 du 9 juin 1999 ( 42), le Conseil d’Etat énonce que l’article 7, § 1 er du décret du 14 juillet 1997 « n’impose de prendre en considération que le contenu même du texte (à diffuser), et non les propos que son auteur aurait tenus en d’autres circonstances » ( 43). Il considère ensuite, qu’il résulte de la combinaison de l’article 7, § 1 er du décret du 14 juillet 1997 et de l’article 3 de la loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques ( 44), qu’il n’est pas interdit à la R.T.B.F. de diffuser un message anodin émanant de personnes par ailleurs connues pour ne pas respecter les valeurs énoncées à l’article 7 du décret du 14 juillet 1997, mais qu’elle n’y est pas davantage obligée et que la R.T.B.F. a pu déduire de divers documents, « sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que le parti de la requérante ne respecte pas les principes et les règles de la démocratie ou ne s’y conforme pas. » Comme l’observent H. Dumont et Fr. Tulkens, c’est la première fois que l’article 3 de la loi du 16 juillet 1973 est appliqué aux tribunes électorales et « permet, sauf erreur manifeste d’appréciation, de refuser l’accès aux groupements liberticides, et notamment aux partis ‘ qui n’acceptent pas les principes et les règles de la démocratie ou qui ne s’y conforment pas ’ » ( 45). 21. Une décision du tribunal correctionnel de Bruxelles du 22 décembre 1999 ( 46) concernant la diffusion, par courrier électronique, de messages incitant à la haine raciale, retient l’attention. Le tribunal a en effet considéré que le défendeur, qui participait à des groupes de discussion (newsgroups) sur l’Internet, était l’auteur de plusieurs messages à contenu raciste et xénophobe, et que la diffusion de ces messages par l’Internet pouvait constituer un délit de presse. Le tribunal rappelle que le constituant a voulu protéger la libre diffusion des idées et non pas l’instrument de celle-ci ; qu’il y (42) J.T., 2000, p. 574 et obs. H. Dumont et Fr. Tulkens « Débats électoraux, service public de télévision et groupements liberticides : un pas de plus vers des règles claires » ; R.D.E., 1999, p. 103. (43) L’article 7 ne semble pas davantage viser l’auteur du texte. (44) Selon lequel « les autorités publiques doivent associer les utilisateurs et toutes les tendances idéologiques et philosophiques à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique culturelle, selon les modalités prévues par la présente loi, et pour autant qu’ils acceptent les principes et les règles de la démocratie et s’y conforment ». (45) Obs., op. cit., p. 577. (46) Inédit. 336 Rev. trim. dr. h. (2001) a donc lieu de prendre en considération le nouveau mode d’expression de la pensée que constitue l’Internet ; par ailleurs, les textes en cause satisfont aux conditions de publicité établies par la loi ( 47). Depuis que le délit de presse raciste relève de la compétence du tribunal correctionnel ( 48), on peut se demander l’intérêt pratique pour le tribunal d’examiner la diffusion de messages racistes sous l’angle d’un délit de presse ( 49). C’est en effet l’infraction proprement dite, dans ce cas l’infraction à l’article 1 er de la loi du 30 juillet 1981, qui détermine la sanction à appliquer et la circonstance que cette infraction soit constitutive ou non d’un délit de presse est sans incidence sur la peine applicable. Le jugement condamne le défendeur à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis, à une amende et à l’indemnisation du dommage subi par le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. On s’étonnera toutefois que le tribunal n’ait pas ordonné la saisie du matériel informatique utilisé par le défendeur. Ce jugement a été confirmé par la cour d’appel de Bruxelles le 27 juin 2000, sauf pour ce qui concerne le dommage du Centre pour l’égalité des chances que la cour réduit de 100 000 francs à 1 franc. 22. On notera enfin le jugement du tribunal correctionnel de Bruxelles du 7 janvier 1994 ( 50). Ce tribunal avait eu à connaître d’un litige opposant une personne, qui souhaitait faire usage de son droit de réponse à la suite d’un article paru dans le journal De Morgen intitulé « L’extrême droite et les médias : l’offensive masquée », et ce journal qui lui avait refusé ce droit en considérant que la réponse avait pour objectif la propagation d’idées visant à nier l’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Le tribunal considère que cet élément fait défaut et que la réponse ne contient pas davantage d’élément constitutif d’infraction à la loi du 30 juillet 1981. (47) Dans l’ouvrage intitulé Vrijheid van expressie en informatie op het Internet (Gand, Academia press, 1997), T. De Pessemier considère que, comme la radio ou la télévision, l’Internet n’est pas visé par l’article 25 de la Constitution, qui ne concerne que la presse écrite, c’est-à-dire la reproduction par un procédé mécanique, physique ou chimique d’une expression délictueuse dans un grand nombre d’exemplaires identiques (pp. 94 et 95). Sur le recours à l’Internet pour diffuser des messages à contenu raciste, voy. A. Strowel, « La lutte contre les activités liberticides sur internet », in Pas de liberté pour les ennemis de la liberté?, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 411. (48) Voy. supra. (49) La même question peut être posée en cas d’intervention des médias (radio et télévision). (50) Inédit. Rev. trim. dr. h. (2001) 337 IV. — Au sujet des partis liberticides 23. Le législateur a adopté diverses dispositions afin de contenir les partis liberticides. L’article 15bis de la loi du 4 juillet 1989 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales ( 51), y inséré par la loi du 10 avril 1995, prévoit que pour pouvoir bénéficier de la dotation prévue à l’article 15 de la loi, chaque parti politique doit s’engager, dans ses statuts ou dans son programme à respecter et à faire respecter par ses mandataires élus les droits et les libertés garantis par la Convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’inutilité, et oserais-je écrire la naïveté ( 52), de cette disposition dépourvue de sanction a été rapidement démontrée par le fait que tous les partis ont souscrit à cet engagement hautement moral et symbolique... en ce compris le Vlaams Blok, qui ne s’est pas privé de l’ignorer en diffusant par la suite des tracts et dépliants à caractère raciste ( 53). La loi du 12 février 1999 insérant un article 15 ter dans la même loi et un article 16bis dans les lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, a remédié à cette faiblesse en prévoyant désormais que la suppression de la dotation d’un parti politique peut être décidée par la Commission de contrôle des dépenses électorales lorsque ce parti « montre de manière manifeste et à travers plusieurs indices concordants son hostilité envers les droits et libertés garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ses protocoles additionnels en vigueur en Belgique ». Ce nouveau texte exprime encore la timidité du législateur, qui exige, pour sanctionner le parti en cause, une « hostilité manifeste » et l’existence de « plusieurs indices concordants ». L’exigence de l’hostilité manifeste ou évidente pourrait avoir pour conséquence la difficulté, voire l’impossibilité de prendre en considération des expressions voilées ou suggérées, des attitudes ou comportements (51) L’intitulé complet de cette loi est le suivant : loi du 4 juillet 1989 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales et au contrôle des dépenses électorales engagées pour les élections des chambres fédérales, ainsi qu’au financement et à la comptabilité ouverte des partis politiques. (52) En ce sens, S. Depré, « Le financement public des partis politiques hostiles aux droits et libertés de l’homme », R.B.D.C., 1999, p. 287. (53) Voy. E. Bribosia et M. Juramie, « Restrictions légales aux libertés et droits des partis liberticides », R.D.E., 1999, p. 191, spéc. p. 192. 338 Rev. trim. dr. h. (2001) trompeurs, des dissimulations ( 54) sinon des omissions, tandis que celle de la pluralité des indices concordants semble exclure la prise en compte d’une expression ou d’une action isolée. Curieusement, les deux conditions sont cumulatives. Il semble pourtant que l’une ou l’autre de celles-ci eût suffi pour justifier l’engagement de la procédure et son aboutissement : la suppression de la dotation. Saisie de recours en annulation de l’article 15ter par l’a.s.b.l. Vlaamse Concentratie et divers membres du Vlaams Blok, la Cour d’arbitrage a fort justement rappelé, dans son arrêt n o 10/2001 du 7 février 2001, que la différence de traitement établie à l’article 15ter entre les partis qui respectent ou non la condition à laquelle est soumis le bénéfice de la dotation repose sur des fins qui sont raisonnablement liées à l’objectif de garantie du respect des libertés et des droits fondamentaux. Mais alors que l’article 15ter se réfère aux droits et libertés protégés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à ses protocoles additionnels, la Cour ajoute que le terme « hostilité » est peu précis (même en tenant compte du correctif « montre de manière manifeste ») et « ne conduit pas nécessairement à l’arbitraire, sous réserve que l’interprétation d’un tel terme doit nécessairement y apporter des précisions » et que l’« hostilité » ne peut se comprendre que « comme une incitation à violer une norme juridique en vigueur ». La Cour semble ainsi perdre de vue que les griefs retenus contre les partis concernés, un de leurs candidats ou un de leurs mandataires élus, peuvent non seulement viser l’incitation à violer une norme juridique en vigueur mais aussi prendre en compte la commission même d’infractions. La procédure est rapide ( 55), ce qui assurera sans doute l’utilité de toute décision de suppression de la dotation. La procédure est engagée par au moins cinq parlementaires, membres de la Commission de contrôle des dépenses électorales, qui doivent déposer une plainte au Conseil d’Etat, lequel doit rendre un arrêt motivé sur le principe et les modalités de la suppression de la dotation dans les deux mois de sa saisine. Cet arrêt lie la Commis- (54) Comme l’écrit H. Dumont, en se référant à M. Aubry et O. Duhamel, « dans le langage de l’extrême droite, le rejet du ‘ mondialisme ’ est le moyen euphémique de remettre en cause les droits de l’homme sans attaquer ceux-ci de face » (« Les partis liberticides et le loyalisme démocratique », A.P.T., 1996, p. 109) ; également in La loyauté. Mélanges offerts à E. Cerexhe, Bruxelles, Larcier, 1997, p. 147). (55) Voy. S. Depré, op. cit., p. 294. Rev. trim. dr. h. (2001) 339 sion de contrôle des dépenses électorales, qui doit prendre une décision dans les quinze jours suivant la réception de l’arrêt ( 56). 24. Ces diverses dispositions anticipent pour partie la Déclaration 19/2000 du Parlement européen sur le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme, qui demande à tous les partis politiques démocratiques notamment « de refuser toute relation politique et toute alliance électorale ou gouvernementale avec des groupes et des partis qui, directement ou indirectement, encouragent ou tolèrent le terrorisme, la violence, la xénophobie ou le racisme, et d’isoler les groupes et forces politiques qui agissent sciemment contre les valeurs et principes communs sanctionnés par le traité d’Amsterdam, les constitutions démocratiques des Etats membres et la Charte des droits fondamentaux. » Cette déclaration intervient peu après l’adoption par la Commission de Venise, les 10 et 11 décembre 1999, des « Lignes directrices sur l’interdiction et la dissolution des partis politiques et les mesures analogues », aux termes desquelles « L’interdiction ou la dissolution de partis politiques, comme mesure particulière à portée considérable, doivent être utilisées avec la plus grande retenue. Avant de demander à la juridiction compétente d’interdire ou de dissoudre un parti, les gouvernements ou autres organes de l’Etat doivent établir — au regard de la situation dans le pays concerné — si le parti représente réellement un danger pour l’ordre politique libre et démocratique ou pour les droits des individus, et si d’autres mesures moins radicales peuvent prévenir le danger... Toutes les mesures doivent s’appuyer sur des preuves suffisantes que le parti en lui-même — et pas seulement ses membres individuels — poursuit des objectifs politiques en utilisant (ou est prêt à les utiliser) des moyens inconstitutionnels » ( 57) La loi du 4 juillet 1989, telle que complétée par les articles 15bis et 15ter, exprime sans doute l’inquiétude des mandataires politiques appartenant aux partis démocratiques face à la montée de l’extrême droite. On pourrait cependant douter de sa réelle utilité. Le ou les parti(s) peuvent en effet polir leurs discours et déléguer à des associations de droit ou des groupements de fait la distribution et la (56) L’arrêt du Conseil d’Etat peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation. La Cour statue chambres réunies. Le projet d’arrêté royal déterminant l’ensemble de la procédure est actuellement soumis à l’avis de la section de législation du Conseil d’Etat. (57) Sur l’interdiction des partis liberticides, voy. J. Sohier, « L’interdiction des partis liberticides et le seuil électoral, spécificités du droit électoral allemand. Des règles transposables en droit belge ? », A.P.T., 1997, p. 117. 340 Rev. trim. dr. h. (2001) propagation d’idées ou de propositions qui heurtent les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Mais la participation d’un candidat ou d’un mandataire élu à l’une de ces associations peut néanmoins être prise en considération en vue de l’application de l’article 15ter. Par ailleurs, pour ce qui concerne les personnes morales de droit privé, les articles 5 et 7bis nouveaux du Code pénal, y insérés par la loi du 4 mai 1999 instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, prévoient désormais la possibilité de condamner les personnes morales qui commettent des infractions intrinsèquement liées à la réalisation de leur objet ou à la défense de leurs intérêts ou encore des infractions dont les faits concrets démontrent qu’elles ont été commises pour leur compte. Les peines prévues peuvent être l’amende et la confiscation spéciale si l’infraction constitue une contravention, un délit ou un crime, ainsi que notamment la dissolution et la fermeture d’un ou plusieurs établissements en cas de délit ou de crime ( 58). L’article 35 nouveau du Code pénal soumet cependant la dissolution de la personne morale à la condition que celle-ci ait été intentionnellement créée pour exercer les activités punissables pour lesquelles elle est condamnée ou que son objet ait été intentionnellement détourné afin d’exercer de telles activités. Pratiquement, le juge judiciaire peut désormais prononcer, par exemple à la demande du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, la dissolution d’une telle association pratiquant ou prônant la discrimination raciale ainsi que le révisionnisme ou, pour reprendre les termes de l’article 15ter de la loi du 15 juillet 1989 précité, une atteinte aux droits et libertés fondamentaux ( 59). (58) Voy. A. Masset, « La loi du 4 mai 1999 instaurant la responsabilité pénale des personnes morales : une extension du filet pénal modalisée », J.T., 1999, p. 653, spéc. n os 12 et s., p. 655 ; J. Messinne, « Propos provisoires sur un texte curieux : la loi du 4 mai 1999 instituant la responsabilité pénale des personnes morales », R.D.P., 2000, p. 637. (59) Ces nouvelles dispositions complètent fort heureusement l’article 18 de la loi du 27 juin 1921 accordant la personnalité civile aux associations sans but lucratif et aux établissements d’utilité publique, lequel permet au juge civil de dissoudre l’association, à la demande d’un associé, d’un tiers intéressé ou du ministère public, dans différentes hypothèses et notamment lorsque cette association contrevient gravement à ses statuts, à la loi ou à l’ordre public. 341 Rev. trim. dr. h. (2001) On pourrait imaginer de compléter ces dispositions en prévoyant la possibilité pour le juge de condamner en outre ces personnes morales ou, le cas échéant, les personnes physiques identifiées qui ont commis lesdites infractions, à la restitution des subventions dont elles auraient bénéficié, ce qui constituerait le pendant de l’article 3 de la loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques, dite loi « du Pacte culturel », lequel article autorise la suppression des avantages prévus par la loi en faveur des autorités publiques, c’est-à-dire « les services culturels des ministères des Communautés, les a.s.b.l. publiques pures — ou à dominante publique — (et) des organismes privés créés par des particuliers et remplissant une mission de service public » ( 60). Quant aux groupements ou associations de fait, les personnes qui les composent sont visées par la loi du 30 juillet 1981 ou celle du 23 mars 1995. 25. Certains auteurs envisagent la possibilité d’interdire les partis liberticides ( 61). L’interdiction ou la dissolution des partis liberticides ne résout pas tout, puisque tout simplement ils peuvent se reconstituer. La solution qui paraît la plus efficace consisterait plutôt à condamner les mandataires politiques à l’interdiction pour des infractions racistes ( 62) et à interdire aux partis politiques, à peine de dissolution également, de compter parmi leurs membres ces mandataires ou des candidats qui auraient été condamnés par application des lois du 30 juillet 1981 ou du 23 mars 1995. V. — Conclusions 26. Comme le rappelle L.E. Pettiti, « la liberté d’expression et d’information telle que la garantit l’article 10 (de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamen- (60) Voy., à ce propos, E. Bribosia et M. Juramie, op. cit., p. 204 et la jurisprudence de la Commission nationale permanente du Pacte culturel concernant les partis d’extrême droite, p. 205 ; également H. Dumont, « Les partis liberticides... », op. cit., p. 114. (61) Notamment M. Uyttendaele et N. Van Laer, « Une interdiction constitutionnelle des partis liberticides », R.B.D.C., 1999, p. 65. (62) Sur la base de l’article 5bis de la loi du 30 juillet 1981 ou de l’article 1 er, alinéa 3 de la loi du 23 mars 1995. 342 Rev. trim. dr. h. (2001) tales) est un ‘ droit par abstention ’ » ( 63), en ce sens qu’il interdit à l’Etat de s’immiscer et l’oblige à ne pas intervenir dans le domaine de la communication. L’Etat a cependant l’obligation d’intervenir pour limiter la liberté d’expression lorsque l’usage de celle-ci a pour objet ou pour but de porter atteinte aux valeurs fondamentales de la vie en société ou aux fondements de l’Etat lui-même. Il doit le faire avec modération et sagesse mais aussi avec fermeté, en évitant de créer de nouvelles discriminations. 27. Il convient aussi qu’il le fasse par voie de dispositions générales adoptées in tempore non suspecto. La loi générale ne doit pas être une loi de circonstance et ne doit pas donner le sentiment qu’elle le serait, ce qui hélas, semble être une tendance du législateur depuis quelques années. 28. La plupart des décisions commentées ci-avant sanctionnent lourdement les infractions à la loi du 30 juillet 1981 (ou à celle de 1995). On décèle une évolution marquante de la jurisprudence sur ce point, par rapport à la période 1981-1991. On ne rappellera cependant jamais assez que la répression n’est pas la seule manière, ni sans doute la meilleure, de maintenir la paix des relations humaines, mais que c’est surtout par un travail d’éducation et de formation culturelle incombant aux autorités publiques que cet objectif peut être atteint. En cas d’échec, la sanction s’impose et se justifie. Les missions respectives des gouvernants et des juges doivent par leur complémentarité contribuer à la stabilité de la société et à son évolution harmonieuse. Didier BATSELÉ Conseiller à la Cour de cassation de Belgique, Chargé de cours aux Universités de Bruxelles et de Mons-Hainaut ✩ (63) « Liberté d’expression et nouvelles technologies de l’audiovisuel », in Liber amicorum Marc-André Eissen, Bruxelles-Paris, Bruylant, L.G.D.J., 1995, p. 319.