séance 2 et 3

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séance 2 et 3
Licence 3 – Droit des sociétés – 2016/2017
Cours de M. PITCHO
SÉANCE N°2
CONTRAT DE SOCIETE (1/2) :
CONDITIONS DE CONSTITUTION
I. ETUDIEZ LES DOCUMENTS SUIVANTS :
DOC 1 :
Recueil Dalloz 2003 p. 1900
Loi pour l'initiative économique : quoi de neuf pour les sociétés ?
Alain Lienhard
L'essentiel
Entre autres mesures hétérogènes de diverses natures destinées à promouvoir l'esprit
d'entreprise, la loi pour l'initiative économique contient plusieurs dispositions intéressant le
droit des sociétés. Certaines directement, comme la suppression du capital social minimal des
SARL ou l'abrogation d'incriminations pénales. D'autres indirectement, relatives notamment à
l'institution d'un récépissé de création d'entreprise ou à la domiciliation des entreprises.
Texte par définition hétérogène pour ne pas dire fourre-tout en ce sens que les
dispositions qu'il regroupe n'ont de commun que leur finalité - favoriser l'esprit
d'entreprise - la loi pour l'initiative économique comporte des mesures de toutes sortes.
Non seulement des allégements fiscaux, vraisemblablement les plus efficaces et qui ne se
limitent pas à l'exonération partielle de l'ISF (elles concernent aussi, notamment, les
plus-values professionnelles), mais également un dispositif d'accompagnement social des
projets, un régime de transition entre le statut de salarié et celui d'entrepreneur, et bien
d'autres règles, un peu sous forme de catalogue, d'inspiration tantôt libérale (comme
l'aménagement de l'usure pour les prêts consentis à une personne morale), tantôt «
protectionniste » (comme le nouveau formalisme destiné à protéger les cautions
personnes physiques s'engageant envers un créancier professionnel, ou encore la
remarquable protection accordée à l'entrepreneur individuel par la possibilité de déclarer
insaisissables des droits qu'il détient sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale ;
V. D. 2003, Point sur p. 1898).
Parmi cet inventaire, figurent certaines dispositions intéressant plus spécialement les
sociétés, soit directement (et, dans ce cas, les seules SARL, ce qui se conçoit bien dans le
contexte - à l'exception quand même de suppressions d'incriminations profitant aux
sociétés par actions et aux SAS), soit indirectement au titre des mesures plus générales de
simplification de la création d'entreprise.
I - La libéralisation de la SARL
A dire vrai, outre une légère dépénalisation, la libéralisation opérée par la loi « initiative
économique » tient quasiment entièrement dans une mesure surtout symbolique : la
suppression du capital social minimum prévue par la loi depuis l'introduction de la société à
responsabilité limitée dans notre droit en 1925. D'autres mesures, plus significatives, suivront
avant l'été 2004, prises cette fois par ordonnance sur habilitation du gouvernement par la loi
habilitant le gouvernement à simplifier le droit. Elles devraient permettre à la SARL d'émettre
des obligations, d'augmenter le nombre de ses associés au-delà du plafond de 50, d'alléger les
formalités de cession de parts sociales et de faciliter les modes d'organisation de sa gérance.
A - La suppression du capital social minimal
1° Le principe de libre fixation par les statuts
L'annonce de cette suppression avait causé une certaine surprise, alors que beaucoup de
réflexions tournaient plutôt autour de l'idée de renforcer les capitaux des sociétés. Au
départ, d'ailleurs, la réforme annoncée par le secrétaire d'Etat aux PME, Renaud Dutreil,
prévoyait une société à responsabilité limitée au capital social d'un euro. Sans que cela
change quoi que soit à la philosophie de la réforme, cette proposition s'est muée dans
l'article 1er du projet de loi pour l'initiative économique, en suppression de toute
référence légale à un minimum. Au lieu des 7 500 euros (50 000 francs auparavant)
prévus depuis la loi du 1er mars 1984, le capital social peut donc, tout simplement, pour
les sociétés créées après l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, être « fixé par les statuts ».
Ce qui permet, désormais, effectivement, de créer une SARL avec un euro, tout comme
il suffit d'une livre en Grande-Bretagne pour constituer une private company limited by
shares.
Bien sûr, la mesure se prête à la circonspection sinon à l'ironie. D'abord, parce que
l'effort financier de départ des entrepreneurs n'en sera guère soulagé, ceux-ci pouvant
déjà avant la réforme (et depuis la loi NRE du 15 mai 2001) limiter leur mise de fonds
initial aux 1 500 euros obligatoirement libérés à la souscription, la libération du surplus
s'étalant sur cinq ans. Ensuite, parce que, en cas d'ouverture d'une procédure collective,
le créateur risque, en pratique, de payer cette liberté « sans plancher » accordée par le
législateur du prix du comblement de passif auquel les juges pourraient être tentés de le
condamner sur le fondement d'une sorte de présomption de faute de gestion (V. CA Aixen-Provence, 16 mai 2001, RD bancaire et financier 2001, n° 192, obs. F.-X. Lucas). De
manière générale, en effet, la sous-capitalisation est susceptible de constituer une faute
civile, ou encore un indice d'abus de droit ou d'acte anormal de gestion sur le plan fiscal.
Enfin, et surtout, parce que, comme l'a suggéré notamment un auteur, d'autres pistes d'esprit, il est vrai, bien différent, peut-être moins démagogique - étaient concevables
partant du constat de l'inadéquation de la notion même de capital social, s'agissant de la
protection tant des créanciers que des associés (T. Massart, Une grande réforme à petit
budget : la SARL au capital de 1 euro, Bull. Joly 2002, p. 1361). A cet égard, on notera
la proposition doctrinale tendant à créer à côté du capital social, un capital dit «
d'engagement », destiné à mesurer la portée de l'engagement des associés vis-à-vis des
tiers (L. Nurit-Pontier, La détermination statutaire du capital social : enjeux et
conséquences, D. 2003, Chron. p. 1612
). Quoi qu'il en soit, avec cette réforme, la
SARL, souvent regardée comme un objet hybride dans la classification des sociétés, peut
sembler pencher un peu plus vers les sociétés de personnes et un peu moins vers les
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sociétés de capitaux (O. Padé, JCP 2003, Act. 213). Si ce n'est qu'en vérité la démarche
législative est beaucoup trop pragmatique et éclatée pour être cohérente sur ce plan : bientôt,
en effet, comme on l'a dit, une ordonnance permettra à ces mêmes sociétés à responsabilité
limitée d'émettre des obligations sans appel public à l'épargne.
2° Les mesures d'accompagnement
Liberté de fixation du montant des parts sociales - La loi initiative économique n'a rien
changé à cet égard. L'article L. 223-2 du code de commerce dispose toujours que le
capital social est divisé « en parts sociales égales ». Plus aucun minimum n'est fixé par un
texte depuis la loi « Madelin » du 11 février 1994. Leur valeur est donc librement fixée
par les statuts. Elle peut naturellement être très faible, voire dérisoire, maintenant que le
capital social lui-même peut n'être que d'un euro. Notons à ce sujet que le législateur, en
reprenant à l'identique cette disposition, ne permet pas plus aujourd'hui qu'hier d'affirmer
avec certitude la validité des stipulations statutaires instituant des parts sociales
privilégiées (V. J.-M. Bermond de Vaulx, JCP éd. E 1993, I, 294).
Réduction du capital - Conséquence logique de cette liberté statutaire, le texte nouveau
supprime également toute obligation de retour au niveau statutairement fixé en cas de
réduction du capital, mécanisme qui perdrait tout son sens dès lors que le principe même
d'un minimum disparaît. Cette mesure profite évidemment également aux sociétés
constituées avant l'intervention de la réforme.
En revanche, malgré la suppression du capital légal minimum, la loi nouvelle a maintenu
le dispositif de dissolution anticipée en cas de pertes réduisant les capitaux propres à
moins de la moitié du capital social, se contentant, un peu mécaniquement, de supprimer
la référence faite par l'article L. 223-42 du code de commerce à l'article L. 223-2 qui
constituait jusque-là la limite inférieure permise pour la réduction. Ce maintien peut
apparaître paradoxal, car on ne voit pas trop pourquoi cette contrainte pèserait sur les
SARL ayant opté pour la conservation ou la fixation d'un capital social minimum.
Cependant, il va de soi que l'article L. 223-42 n'aura en pratique jamais lieu de
s'appliquer dans les SARL à capital social dérisoire, voire symbolique : la société dont les
capitaux propres se retrouveraient inférieurs à la moitié d'un euro serait quasi
inévitablement en situation de cessation des paiements !
Sociétés de presse et sociétés coopératives - La disparition d'un minimum légal pour les
SARL de droit commun ôtait toute justification aux régimes dérogatoires dont bénéficiait
auparavant les sociétés de presse (minimum fixé à 300 euros) et les sociétés coopératives
(minimum fixé à 3 500 euros), qui ont donc été abrogés.
Sociétés à capital variable - La loi de 2003 n'a pas modifié le régime des SARL à capital
variable, qui demeurent régies par les articles L. 231-1 et suivants du code, tels que
modifiés par la loi du 15 mai 2001.
B - La suppression de sanctions pénales obsolètes
Cette mesure résulte de l'adoption par le Sénat d'un amendement de sa commission
spéciale, qui a reçu l'approbation du gouvernement et vise à supprimer certaines
sanctions pénales obsolètes prévues par le code de commerce. Elle concerne
essentiellement les SARL, mais également les sociétés par actions et les sociétés par
actions simplifiées. Avec elle se trouve amplifié le mouvement de dépénalisation,
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souhaité tant des praticiens que de la doctrine, amorcé par la loi relative aux nouvelles
régulations économiques en 2001. Comme celle-ci, suivant une piste déjà suggérée par le
rapport Marini datant de 1996 et reprise par la doctrine spécialisée (B. Bouloc, Faut-il
réformer le droit pénal des sociétés ?, Rev. sociétés 2000, p. 129, spéc. p. 136 ), aux
sanctions pénales sont substituées des injonctions de faire sous astreinte pesant sur le
représentant légal de la société. La dépénalisation du droit des sociétés ne s'arrêtera
toutefois pas là. D'autres dispositions pénales du livre II du code de commerce subiront
bientôt le même sort, d'abord avec la promulgation de la loi de sécurité financière, puis
avec l'ordonnance de « simplification » du droit des sociétés.
Est d'abord modifié l'article L. 241-1 du code de commerce, qui punissait d'un
emprisonnement de six mois et d'une amende de 9 000 euros le fait pour les associés
d'une SARL de faire une fausse déclaration concernant la répartition des parts sociales
entre tous les associés, la libération des parts ou le dépôt de fonds ou d'omettre cette
déclaration. L'incrimination de la fausse déclaration est désormais supprimée, au motif
qu'elle faisait double emploi avec le délit de faux réprimé par le code pénal. En revanche,
l'incrimination de l'absence de déclaration est conservée, le législateur estimant
l'obligation de déclaration protectrice des droits des tiers.
Sont ensuite abrogés les articles L. 241-7 et L. 246-1 du code, qui sanctionnaient d'une
amende de 3 750 euros le fait pour les gérants d'une SARL ou le président, les directeurs
généraux ou les gérants d'une société par actions d'omettre de faire figurer, sur tous les actes
ou documents émanant de la société, l'indication du nom de la société accompagnée de la
mention de son statut juridique et du montant de son capital social. Cette sanction pénale, qui
semblait disproportionnée au regard du comportement incriminé, n'était de surcroît en
pratique jamais utilisée ; mieux valait donc effectivement la remplacer par une sanction
civile.
Enfin, est modifié l'article L. 244-2 du code de commerce. D'une part, par la suppression
du premier alinéa de cet article, qui punissait les mêmes manquements qu'évoqués cidessus pour une société par actions simplifiée. D'autre part, par la modification du
second alinéa, qui ne remontait pourtant qu'à la loi du 15 mai 2001, et sanctionnait
pénalement le président d'une SAS qui ne consulte pas les associés de celle-ci pour les
actes les plus importants de la vie de la société. Il s'agit là de supprimer l'infraction
lorsque l'absence de consultation peut être civilement réparée à la demande des associés,
une nullité de l'acte étant déjà prévue par l'article L. 227-9. Est ainsi supprimée
l'incrimination de l'absence de consultation pour la nomination des commissaires aux
comptes, l'approbation des comptes annuels ou la répartition des bénéfices.
II - La simplification de la création d'entreprise
Quatre d'entre ces mesures figurant sous le titre premier de la loi « Dutreil », et qui
profitent aussi bien aux exploitations individuelles qu'aux sociétés, paraissent
particulièrement importantes pour ces dernières, étant bien entendu qu'elles ne
concernent en fait que le démarrage des petites sociétés et que l'objectif de rapidité - voire
d'immédiateté - de l'accomplissement des formalités présente sans doute plus de vertu
psychologique que juridique pour les créateurs d'entreprises.
A - L'immatriculation en ligne
La loi du 11 février 1994, dite « loi Madelin », avait exclu la possibilité de procéder par
voie électronique aux « déclarations relatives à la création de l'entreprise, à
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la
modification de sa situation ou à la cessation de son activité », en raison de la nécessité
d'assortir la déclaration de justificatifs qui, à l'époque, ne pouvaient être transmis par voie
électronique.
Depuis lors, le développement de moyens sécurisés de transmission électronique a privé de
pertinence cette restriction. D'où la levée de cette interdiction que concrétise aujourd'hui la loi
« Dutreil » prévoyant à l'article 4 modifié de la loi de 1994 que « lorsqu'elles sont transmises
par voie électronique, les déclarations relatives à la création de l'entreprise, à la modification
de sa situation ou à la cessation de son activité sont faites dans des conditions fixées par
décret en Conseil d'Etat ».
Un groupe de travail a été constitué, auquel participent des administrations concernées du
ministère de la Justice et du ministère des Finances, ainsi que des représentants des réseaux
de centres de formalités des entreprises (CFE) et des organismes destinataires des
déclarations d'entreprise. Ce groupe s'est mis d'accord sur deux points importants :
- la nécessité d'une signature électronique obtenue par un dispositif de signature sécurisée
utilisant un certificat électronique qualifié, délivré par une autorité également qualifiée
telle que définie par l'article 3 du décret n° 2001-272 du 30 mars 2001 pris pour
l'application de l'article 1316-4 du code civil ;
- la possibilité de transmettre des pièces justificatives, numérisées par le déclarant ou
fournies par un émetteur tiers directement sous cette forme, en leur appliquant la même
signature sécurisée (rapport Hyest, Bocandé, Trégouët, doc. Sénat, 2002-2003, n° 217).
B - Le récépissé de création d'entreprise
La loi tend à remédier à la situation actuelle où, contrairement aux délais prescrits
notamment par l'article 31 du décret du 30 mai 1984 relatif au registre du commerce et
des sociétés ou de l'article 6 du décret du 19 juillet 1996 relatif aux CFE (normalement
d'un jour ouvrable après réception de la demande), la procédure de délivrance du K bis,
c'est-à-dire de la carte d'identité de la société, s'avère trop longue, risquant de freiner le
démarrage de l'activité. Aussi, l'objectif assigné au nouveau document que constitue le
récépissé d'entreprise (RCE) est-il d'autoriser le créateur, dès le dépôt d'un dossier
complet de demande d'immatriculation, d'effectuer les premières démarches telles que,
par exemple, l'ouverture d'une ligne téléphonique et d'une boîte postale. Le texte dispose
à cet égard que le récépissé permet « d'accomplir les démarches nécessaires auprès des
organismes publics et des organismes chargés d'une mission de service public ».
Aux termes du nouvel article L. 123-9-1 du code de commerce, le RCE pourra être délivré,
non seulement par le greffier du tribunal de commerce chargé de la tenue du registre du
commerce et des sociétés aux personnes assujetties à l'immatriculation à ce registre, comme
le prévoyait seulement le projet de loi initial, mais aussi, sur amendement de l'Assemblée
nationale (contesté par le Sénat, ce qui a provoqué l'intervention sur ce point de la
commission mixte paritaire réunie le 24 juin), par les CFE. En pratique, la délivrance sera le
plus souvent le fait de ces derniers, sachant que, regardés comme des « portails » de la
création d'entreprise, c'est à eux que s'adressent en premier la majorité des créateurs
d'entreprise. Ce qui explique l'extension voulue par les députés, à laquelle s'étaient opposés
les sénateurs au motif que, contrairement aux greffiers, les CFE n'ont pas compétence pour
vérifier la régularité juridique du dossier et de la demande d'immatriculation. Finalement,
pour tenir compte de l'incertitude planant
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encore à ce stade, la commission mixte paritaire a précisé que les démarches accomplis sur la
foi de ce document se feront « sous la responsabilité personnelle de la personne physique
ayant la qualité de commerçant ou qui agit au nom de la société en formation
».
S'agissant des personnes (physiques ou morales) assujetties à l'immatriculation au répertoire
des métiers, la délivrance sera faite par la chambre de métiers (L. 5 juill. 1996, art. 19-1
nouv.). Les sociétés devraient pouvoir obtenir le récépissé de création d'entreprise aussi bien
de la chambre de métiers que du greffe du tribunal de commerce ou du CFE.
Par une autre initiative des députés, cette mission a, par ailleurs, été confiée à la chambre
d'agriculture pour « les personnes exerçant à titre habituel des activités réputés agricoles »
au sens du code rural (art. L. 311-2-1 nouv.). Cette disposition vise aussi bien les
exploitants agricoles personnes physiques que les sociétés agricoles.
Dans tous les cas, la délivrance du RCE suppose que le dossier d'immatriculation déposé soit
complet. Elle ne préjuge évidemment pas de l'immatriculation au RCS. Afin de ne pas induire
en erreur les tiers sur ce point (d'autant plus que le numéro INSEE y serait porté), le récépissé
comportera obligatoirement la mention : « En attente d'immatriculation ».
Le dispositif ainsi institué par l'article de la loi « Dutreil » n'entrera en vigueur qu'après
publication de son décret d'application.
Ce décret déterminera notamment les mentions du récépissé d'immatriculation. Ces mentions
pourraient être les suivantes (rapport Hyest, Bocandé, Trégouët, préc., n° 217) :
- une date d'émission ;
- des éléments d'identification de l'entreprise et, notamment, pour les personnes morales,
la désignation de leurs dirigeants ;
- le domicile de l'entreprise (siège ou établissement principal) ;
- un numéro SIREN provisoire, délivré par l'INSEE, ce numéro étant provisoire dans la
mesure où il ne deviendra le numéro unique d'identification qu'après l'immatriculation
effective.
Outre ces mentions, les travaux parlementaires font état d'interrogations quant à
l'opportunité de prévoir une durée de validité pour le RCE en ce que, dans ce cas, on ne
saurait trop ce qu'il adviendrait en cas de caducité du récépissé avant l'attribution de
l'extrait K bis.
C - L'assouplissement des règles de domiciliation
Le régime de domiciliation de l'entreprise au domicile du chef d'entreprise date d'une loi
du 21 décembre 1984 qui avait ajouté à l'ordonnance du 27 décembre 1958 les articles
1er bis et 1er ter, désormais codifiés aux articles L. 123-10 et L. 123-11 du code de
commerce. Presque vingt ans plus tard, le bilan de cette première réglementation, fort
bien venue à l'époque, fait d'autant plus ressortir sa frilosité que la jurisprudence a
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interprété restrictivement la liberté conditionnelle et temporaire alors accordée par le
législateur (F. Pasqualini, La domiciliation des sociétés : un espace de liberté placé sous
surveillance, Rev. sociétés 1987, p. 569). Aussi, la loi nouvelle refond-elle pour les assouplir
ces conditions de domiciliation, en distinguant la situation de l'entreprise personne physique
de l'entreprise personne morale, tout en levant certaines ambiguïtés juridiques.
Jusqu'ici, l'article L. 123-10 prévoyait que la demande d'immatriculation au registre du
commerce et des sociétés devait s'accompagner de la justification de la jouissance de locaux
où est installé le « siège » de l'entreprise, et que la domiciliation commune à plusieurs
entreprises était autorisée. Et, en vertu de l'article L. 123-11, il était possible au créateur
d'entreprise, nonobstant toute disposition légale ou stipulation contraire, d'installer le siège
dans son local d'habitation ou dans celui du représentant légal de la société si l'entreprise était
créée sous forme de société, pour une durée ne devant pas excéder deux ans ni le terme légal,
contractuel ou judiciaire, de l'occupation des locaux.
A l'usage, ce dispositif s'est heurté à deux limites gênantes. D'abord, la domiciliation
dans le local d'habitation étant expressément traitée par la loi comme une dérogation à
des stipulations contractuelles ou à des dispositions législatives contraires, la
jurisprudence l'a interprétée de façon restrictive, n'y autorisant que la tenue des livres et
la réception du courrier. Ainsi, elle a considéré, malgré l'article L. 631-7-3 du code de la
construction et de l'habitation issu d'une loi postérieure du 2 juillet 1998 et sa libérale
lecture par une circulaire du 24 juillet 1998, que la domiciliation ne pouvait jamais
excéder deux ans (V. notamment CA Paris, 24 sept. 1999, D. 1999, AJ p. 57, obs. A. L.
). Ensuite, en visant « l'entreprise », les textes distinguaient mal entre personne physique et
personne morale. La notion de « siège » n'apparaît, en effet, guère adaptée pour les personnes
physiques, et certaines décisions avaient conclu alors au changement d'affectation des locaux,
le local d'habitation se transformant en local commercial. Ce qui plaçait alors l'entrepreneur
dans une situation fort délicate, qui se retrouvait en contravention avec les règles du code de
la construction, et, le cas échéant, le règlement de copropriété ou le bail, encourant donc la
résiliation de ce dernier.
La loi pour l'initiative économique s'est attachée à résoudre ces difficultés en distinguant,
d'une part, le traitement des personnes physiques de celui des personnes morales et en
allégeant, d'autre part, les conditions de domiciliation de façon, notamment, à autoriser
les commerçants personnes physiques à établir leur activité dans leur local d'habitation
pour une durée indéterminée.
1° La domiciliation des personnes physiques
Désormais, en vertu de l'article L. 123-10 remanié, la situation des commerçants
personnes physiques dépendra de la disposition, ou non, par celle-ci d'un « établissement
». Si l'entreprise dispose d'un établissement commercial, tel qu'une boutique, l'adresse
commerciale sera celle de cet établissement. Il ne sera alors possible de choisir comme
adresse celle du domicile de l'entrepreneur qu'à la condition qu'aucune disposition légale
ou stipulation ne s'y oppose. C'est le principe que pose dorénavant l'alinéa 2 : « Les
personnes physiques peuvent déclarer l'adresse de leur local d'habitation et y exercer une
activité dès lors qu'aucune disposition législative ou stipulation contractuelle ne s'y
oppose ».
Les dispositions législatives implicitement visées résident évidemment, pour l'essentiel,
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dans les règles d'urbanisme interdisant l'affectation de locaux d'habitation à un usage autre
que celui pour lequel ils ont été construits, dans certaines agglomérations, c'est-à- dire l'article
L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation. Les stipulations contractuelles
concernées sont principalement les clauses « d'occupation bourgeoise » ou de destination
prévues par les baux ou les règlements de copropriété (V. F. Pasqualini, préc., n° 6).
Rappelons que la notion d'établissement est définie à l'article 9 du décret du 30 mai 1984
précité, modifié par un décret du 10 avril 1995, et fait référence (à propos des établissements
secondaires) au « pouvoir de lier des rapports juridiques avec les tiers », ce qui exclut, par
exemple, les simples locaux à usage de remisage d'outillage ou de marchandises.
L'entrepreneur ne disposant que d'un local de cette nature (tel est le cas fréquemment des
professions exerçant essentiellement leur activité chez le client : plombiers, réparateurs, etc.)
sera donc réputé ne pas avoir d'établissement, au sens de ce texte, et pourra dès lors déclarer «
à titre exclusif d'adresse de l'entreprise » celle de son « local d'habitation », autrement dit
l'adresse de son domicile personnel, et cela sans limitation de durée. A ce sujet, lors de la
navette parlementaire, les députés ont gommé l'épithète « fixe » que le projet de loi avait à
l'origine accolée au mot « établissement » pour s'assurer que les tribunaux ne réservent pas
cette faculté aux entrepreneurs ambulants.
L'article L. 123-10 nouveau précise expressément que « cette déclaration n'entraîne pas de
changement d'affectation des locaux », mais aussi (pour rassurer les bailleurs) qu'elle
n'entraîne pas plus « application du statut des baux commerciaux ».
2° La domiciliation des personnes morales
La situation des entreprises exploitées sous forme de sociétés relève dorénavant de
l'article L. 123-11 modifié et de l'article L. 123-11-1 ajouté par la loi « Dutreil ». Plusieurs
cas de figure doivent dorénavant être distingués.
Il résulte de l'article L. 123-11-1, alinéa 1er, que la personne morale est autorisée à
installer son siège au domicile de son représentant légal sans limitation de durée à
condition que nulles « dispositions législatives ou stipulations contractuelles » ne s'y
oppose (sur ces notions, V. supra, 1°).
En revanche, en présence de « dispositions législatives ou stipulations contractuelles
contraires», le siège peut quand même être installé, mais pour une durée limitée à cinq ans
(ou par le terme légal, contractuel ou judiciaire de l'occupation des locaux). Dans ce cas,
l'apport de la loi nouvelle consiste donc essentiellement à augmenter la durée de la
domiciliation temporaire permise, qui n'était que de deux ans dans le régime antérieur. Cette
augmentation évitera que, au même moment où l'entreprise encore toute jeune perd le
bénéfice d'un certain nombre d'avantages fiscaux et sociaux accordés au démarrage, elle ne se
voit obligée d'engager les frais correspondant à la location d'un local commercial.
Le nouveau régime de domiciliation issu de la loi pour l'initiative économique étant
applicable aux entreprises immatriculées au RCS ou au répertoire des métiers à la date de sa
promulgation, l'allongement profitera aux entreprises ayant déclaré comme siège social le
local d'habitation de leur dirigeant depuis plus de deux ans.
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Par ailleurs, l'article L. 123-11 réécrit reconduit la possibilité, qui existait déjà depuis la
loi de 1984, de domicilier plusieurs personnes morales à une même adresse, ce qui leur
permet d'y recevoir leur courrier et d'y tenir leurs livres. On notera seulement à ce sujet
de récentes décisions attestant d'un contrôle judiciaire accru de l'obligation faite au
domiciliataire, par l'article 26-1 (1°) du décret du 30 mai 1984, de « mettre à la
disposition de la personne domiciliée des locaux permettant une réunion régulière des
organes chargés de la direction, de l'administration ou de la surveillance de l'entreprise et
l'installation des servies nécessaires à la tenue, à la conservation et à la consultation des
livres, registres et documents prescrits par les lois et règlements ». Par deux fois au
moins, en effet, la cour d'appel de Paris vient de s'opposer à la domiciliation en raison de
locaux trop exigus (25 oct. 2002, Bull. Joly 2003, p. 660, note J.-M. Bahans ; JCP éd. E
2003, n° 474 ; RJDA 2003, n° 493 ; 31 janv. 2003, JCP éd. E 2003, n° 787).
D - La possibilité pour les sociétés d'exercer l'activité au domicile du représentant légal
Dans sa rédaction actuelle, l'article L. 631-7-3 du code de la construction et de l'habitation,
issu de la loi du 2 juillet 1998, autorise, par dérogation à l'article L. 631-7 (qui interdit le
changement d'affectation des locaux d'habitation ou des locaux à usage professionnel situés,
notamment, à Paris, dans les communes situées dans un rayon de 50 kilomètres des anciennes
fortifications et dans celles de plus de 10 000 habitants), « l'exercice d'une activité
professionnelle, y compris commerciale, dans une partie d'un local à usage d'habitation, dès
lors que l'activité considérée n'est exercée que par le ou les occupants ayant leur résidence
principale dans ce local et ne conduit à y recevoir ni clientèle ni marchandise ».
Mais le libellé de ce texte, pris à la lettre, interdisait de faire bénéficier les sociétés de cette
dérogation permanente. La réforme met fin à cette disparité peu justifiée en précisant par un
ajout audit article L. 631-7-3 que ses dispositions « sont applicables aux représentants légaux
des personnes morales ».
Mots clés :
SOCIETE COMMERCIALE * Droit des sociétés * Modification * Loi pour l'initiative
économique
DOC 2 :
Cass. Com. 16 juillet 1997, n°95-11.837
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :
Vu l'article 1832 du Code civil ;
Attendu que, pour rejeter la demande de M. Y..., chirurgien, en remboursement de la
somme globale de 303 500 francs qu'il soutenait avoir versée de 1970 à 1977 à M. X...,
professeur à la Faculté de médecine de Bordeaux, qui exerçait son activité libérale dans
plusieurs cliniques, l'arrêt attaqué retient que la relation entre les deux praticiens s'analyse
en une société de fait dans laquelle ils ont apporté respectivement l'un son industrie,
l'autre son influence, leur volonté de collaborer à une " oeuvre sanitaire commune " et
leur souci d'en partager les bénéfices, et que les sommes perçues par M. X... de la part de
M. Y... constituent les dividendes de la société de fait ayant existé entre eux ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher en quoi consistait l'influence reconnue à
M. X..., et si celle-ci, qui ne pourrait elle-même s'analyser que comme un
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apport en industrie, était licite, et sans s'expliquer sur les conditions dans lesquelles les
rétrocessions versées par M. Y... à M. X... entre 1970 et 1977, rétrocessions qui, à l'origine de
25 %, se sont progressivement réduites, étaient constitutives de la répartition d'un bénéfice
social, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et, sur le second moyen, pris en sa première branche : (sans intérêt) ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier
moyen, ni sur la seconde branche du second moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de M. Y... en
remboursement des sommes versées à M. X... et en paiement de dommages-intérêts pour
préjudice moral, perte de clientèle et préjudice matériel, l'arrêt rendu le 7 décembre 1994,
entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, quant à ce, la
cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait
droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.
DOC 3 :
Cass. Com. 22 novembre 1976
SUR LE MOYEN UNIQUE, PRIS EN SES TROIS BRANCHES : ATTENDU QU'IL
EST REPROCHE A L'ARRET ATTAQUE (PARIS, 21 NOVEMBRE 1974) D'AVOIR
PRONONCE LA NULLITE DES DECISIONS DES ASSEMBLEES GENERALES
DE LA SOCIETE A RESPONSABILITE LIMITEE LES ETABLISSEMENTS
LANGLOIS ET PETERS TENUES LES 30 JUIN 1970, 29 JUIN 1971, 29 JUIN 1972,
28 JUIN 1973 ET 27 JUIN 1974 ET QUI ONT AFFECTE A LA RESERVE
EXTRAORDINAIRE LES BENEFICES DES EXERCICES SUR LESQUELS ELLES
ONT RESPECTIVEMENT STATUE ET AINSI REFUSE LEUR DISTRIBUTION,
ALORS, SELON LE POURVOI, D'UNE PART, QUE DANS SES CONCLUSIONS
DEMEUREES SANS REPONSE, LA SOCIETE AVAIT FAIT VALOIR QUE CE
N'EST QU'A PARTIR DE 1968 QU'IL N'AVAIT PLUS ETE DECIDE A
L'UNANIMITE DE SES MEMBRES D'AFFECTER LES BENEFICES A LA
RESERVE EXTRAORDINAIRE ET QU'A PARTIR DE CETTE DATE, ROIZOT,
ASSOCIE MINORITAIRE ET DEMANDEUR EN NULLITE, N'AVAIT PAS EMIS
DE VOTE DEFAVORABLE, MAIS S'ETAIT SIMPLEMENT ABSTENU DE
VOTER, EN SORTE QU'IL ETAIT IRRECEVABLE A CRITIQUER DES
DELIBERATIONS AUXQUELLES IL NE S'ETAIT PAS OPPOSE, D'AUTANT
PLUS QUE LA QUESTION D'UNE EVENTUELLE DISTRIBUTION DE
DIVIDENDES N'AVAIT JAMAIS ETE PORTEE REGULIEREMENT A L'ORDRE
DU JOUR DESDITES ASSEMBLEES, ALORS, D'AUTRE PART, QUE L'ARRET
ATTAQUE NE RELEVE AUCUN ELEMENT CONSTITUTIF D'UN PREJUDICE
QUELCONQUE RESULTANT POUR LA SOCIETE DES DELIBERATIONS
LITIGIEUSES, LA SEULE REFERENCE A L'OPPORTUNITE PLUS OU MOINS
FAVORABLE D'UNE POLITIQUE DE THESAURISATION, QUI ACCROISSAIT
AU CONTRAIRE L'ACTIF SOCIAL, NE POUVANT, A ELLE SEULE, JUSTIFIER
L'ANNULATION DES DECISIONS DE LA MAJORITE, ET ALORS, ENFIN, QUE
L'ARRET NE CARACTERISE PAS NON PLUS L'AVANTAGE SUSCEPTIBLE DE
RESULTER DES DELIBERATIONS ANNULEES POUR LES ASSOCIES
MAJORITAIRES, ET CORRELATIF A UN PREJUDICE SUBI PAR L'ASSOCIE
MINORITAIRE,
DE
NATURE
A ETABLIR
L'EXISTENCE
D'UNE
DISCRIMINATION ENTRE LES ASSOCIES, CELLE-CI NE POUVANT ETRE
RECHERCHEE DANS LES ELEMENTS EXTRINSEQUES A LA DELIBERATION
POURSUIVIE EN ANNULATION POUR ABUS DU DROIT DE MAJORITE ;
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MAIS ATTENDU, D'UNE PART, QUE L'ARRET ENONCE QUE LES DECISIONS
LITIGIEUSES ONT ETE PRISES EN ASSEMBLEE GENERALE PAR LES DEUX
ASSOCIES MAJORITAIRES PETERS ET TILLINGER SANS AUCUN EGARD
POUR L'AVIS DIFFERENT EXPRIME PAR ROIZOT, ET QUE CE DERNIER
AVAIT SAISI LA SOCIETE CHAQUE ANNEE DEPUIS 1969 D'UNE DEMANDE
DE DISTRIBUTION AUX ASSOCIES DU MONTANT DE LA RESERVE
EXTRAORDINAIRE MAIS QU'IL S'ETAIT VU IMPOSER CHAQUE ANNEE LA
LOI DE LA MAJORITE ;
QUE L'ARRET A AINSI REPONDU AUX CONC LUS IONS DE LA SOC IETE,
REGULIEREMENT PRODUITES, QUI SOUTENAIENT QUE ROIZOT NE
S'ETAIT PAS OPPOSE FORMELLEMENT A L'AFFECTATION DES BENEFICES
AUX RESERVES ET QUE L'ORDRE DU JOUR N'AVAIT JAMAIS COMPORTE
L'EXAMEN DE LA DISTRIBUTION DES RESERVES, MAIS QUI NE
PRETENDAIENT
PAS QUE
LA QUESTION
D'UNE
EVENTUELLE
DISTRIBUTION DE DIVIDENDES N'AVAIT PAS ETE PORTEE A L'ORDRE DU
JOUR ;
QUE, DES LORS, LE PREMIER GRIEF DE LA PREMIERE BRANCHE EST MAL
FONDE, ET LE SECOND GRIEF NOUVEAU ET DONC IRRECEVABLE ;
ATTENDU, D'AUTRE PART, QUE L'ARRET CONSTATE QUE LA SOCIETE,
SANS DISTRIBUER PENDANT VINGT ANS AUCUN DIVIDENDE, A MIS EN
RESERVE DES SOMMES CONSIDERABLES DONT L'ACCUMULATION A
ATTEINT CHAQUE ANNEE DEPUIS 1968 UN CHIFFRE SUPERIEUR AUX
DEUX TIERS DU CHIFFRE D'AFFAIRES, ET QU'A DEFAUT DE VERITABLES
INVESTISSEMENTS, CES SOMMES ONT SIMPLEMENT ETE PORTEES AU
CREDIT DES COMPTES BANCAIRES ET CHEQUES POSTAUX DE LA
SOCIETE ;
QUE L'ARRET RETIENT QU'EN L'ESPECE CETTE AFFECTATION
SYSTEMATIQUE DE LA TOTALITE DES BENEFICES A LA RESERVE
EXTRAORDINAIRE A CONSTITUE UNE THESAURISATION PURE ET
SIMPLE, QU'ELLE A FAIT SUBIR A TOUTES CES SOMMES, DONT LA
SOCIETE N'AVAIT PAS L'USAGE, LES CONSEQUENCES DES FLUCTUATIONS
MONETAIRES, ET QU'AINSI ELLE N'A REPONDU NI A L'OBJET NI AUX
INTERETS DE LA SOCIETE ;
QUE, PAR CES MOTIFS, L'ARRET A RELEVE LE PREMIER ELEMENT DONT
L'EXISTENCE EST NECESSAIRE, SINON
SUFFISANTE,
POUR
CARACTERISER L'ABUS DU DROIT DE MAJORITE ;
QUE LE MOYEN, PRIS EN SA DEUXIEME BRANCHE, EST DONC SANS
FONDEMENT ;
ATTENDU, ENFIN, QUE L'ARRET DECLARE QU'A RAISON DES DECISIONS
LITIGIEUSES QUI LUI ETAIENT IMPOSEES PAR LES DEUX ASSOCIES
MAJORITAIRES PETERS ET TILLINGER, EXERCANT DES FONCTIONS DE
DIRECTION ET RECEVANT A CE TITRE CHAQUE ANNEE DE LA SOCIETE UN
SALAIRE ET DES AVANTAGES SUBSTANTIELS, ROIZOT, SEUL ASSOCIE
MINORITAIRE ET ETRANGER A LA GESTION DES AFFAIRES SOCIALES, S'EST
TROUVE, EN L'ABSENCE DE TOUT DIVIDENDE, PRIVE DU SEUL AVANTAGE QUE
PRESENTAIT SA QUALITE DE PORTEUR DE PARTS, EN MEME TEMPS QUE
CELLES-CI, AU LIEU D'ETRE VALORISEES PAR LA PROSPERITE DE
L'ENTREPRISE, ONT EN FAIT PERDU LEUR VALEUR ;
QU'EN CONSTATANT PAR CES MOTIFS QUE LES DECISIONS LITIGIEUSES
FAVORISAIENT LES DEUX ASSOCIES MAJORITAIRES ET NUISAIENT AU
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CONTRAIRE A ROIZOT, LA COUR D'APPEL A RELEVE LE SECOND ELEMENT
CARACTERISTIQUE DE L'ABUS DU DROIT DE MAJORITE ;
QUE LA TROISIEME BRANCHE DOIT ETRE EGALEMENT ECARTEE ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE LE POURVOI FORME CONTRE L'ARRET RENDU LE 21
NOVEMBRE 1974 PAR LA COUR D'APPEL DE PARIS.
DOC 4 :
Cass. Com. 11 juin 2013, n°12-22.296
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 février 2012), que par acte du 3 avril 2008, M. X...a
promis de vendre à Mme Y...et à M. Z..., qui se sont engagés à les acquérir, une partie des
actions représentant le capital de la société par actions simplifiée Modèles et stratégies, ayant
pour objet la gestion de portefeuilles, dont il était l'actionnaire majoritaire ; que M. X...ayant
refusé, après la levée des conditions suspensives, d'accomplir les opérations nécessaires au
transfert de la propriété des titres, Mme Y...et
M. Z...l'ont fait assigner en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X...fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors, selon le moyen,
qu'à l'instar du contrat de société originaire, qui postule l'affectio societatis des associés
fondateurs, la cession partielle de titres sociaux, lorsqu'elle vise pour le cédant à partager
le contrôle de sa société avec de nouveaux associés spécialement choisis à cet effet, exige
aussi bien l'existence d'une affectio societatis de la part du cédant et du cessionnaire,
chacun étant appelé à s'associer et à concourir ensemble à la réalisation de l'objet social ;
qu'en l'espèce, M. X...faisait valoir que la convention de cession n'avait pu se former
faute d'affectio societatis de la part de Mme Y...et de M. Z...; qu'en écartant ce moyen au
seul motif que le contentieux en cause ne concernait pas le contrat de société originaire,
les juges du fond ont violé les articles 1134 et 1832 du code civil ;
Mais attendu que l'affectio societatis n'est pas une condition requise pour la formation
d'un acte emportant cession de droits sociaux ; que c'est donc à bon droit que l'arrêt
retient que le défaut d'affectio societatis en la personne de Mme Y...et de M. Z..., à le
supposer avéré, n'a pas fait obstacle à la formation de la promesse synallagmatique de
vente d'actions conclue par ces derniers avec M. X...; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. X...fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que l'affectio societatis
étant requise du cessionnaire de titres sociaux appelé à partager le contrôle de la société avec
le cédant, ce dernier doit être admis à renoncer unilatéralement à l'opération s'il apparaît, une
fois la promesse conclue, que l'affectio societatis fait défaut chez le cessionnaire ; qu'en
décidant le contraire, motif pris de ce que l'affectio societatis ne serait exigée qu'au jour de la
formation du contrat de société, les juges du fond ont violé les articles 1184 et 1832 du code
civil ;
Mais attendu que les conventions légalement formées ne peuvent être révoquées que du
consentement mutuel de ceux qui les ont faites ou pour les causes que la loi autorise ; que
l'absence d'affectio societatis en la personne du cessionnaire de droits sociaux ne constitue pas
l'une de ces causes ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que le troisième moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du
pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X...aux dépens ;
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Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer la somme globale de 2
500 euros à Mme Y...et à M. Z...; rejette les autres demandes ; Ainsi
fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et
prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille treize.
DOC 5 :
Cass. Civ. 3e, 16 mars 2011, n°10-15.459
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 12 janvier 2010), que M. X..., qui avait constitué
avec Mme Y... alors qu'ils vivaient en concubinage la société civile immobilière LAJG (la
SCI), a assigné son associée et la SCI en dissolution anticipée de la société et en
désignation d'un liquidateur ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le débouter de cette demande, alors, selon le
moyen, que si la mésentente entre associés ne peut justifier la dissolution que s'il y a
paralysie du fonctionnement de la société ou dysfonctionnement grave de la société, en
revanche, la disparition de l'affectio societatis, élément constitutif de la société, doit
justifier, à elle seule, la dissolution notamment dans une société de personnes regroupant
deux associés, sans qu'il soit besoin de constater en outre une paralysie du
fonctionnement de la société, ou un dysfonctionnement grave affectant le
fonctionnement de la société ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé
l'article 1844-7 5° du code civil, ensemble l'article 1830 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant exactement retenu que la mésentente existant entre les associés et par
suite la disparition de l'affectio societatis ne pouvaient constituer un juste motif de dissolution
qu'à la condition de se traduire par une paralysie du fonctionnement de la société, la cour
d'appel, qui a souverainement relevé que les difficultés rencontrées n'étaient pas suffisamment
graves pour paralyser le fonctionnement social, a rejeté à bon droit la demande de M. X... ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le
président en son audience publique du seize mars deux mille onze.
II. COMMENTAIRE : ARRET CASS. COM. 22 NOVEMBRE 1976 (DOC. 3).
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Licence 3 – Droit des sociétés – 2016/2017
Cours de M. PITCHO
SÉANCE N°3
CONTRAT DE SOCIETE (1/2) :
SANCTIONS DES IRREGULARITES DE CONSTITUTION (NULLITES)
I. ETUDIEZ LES DOCUMENTS SUIVANTS :
DOC 1 :
Cass. com. 13 février 1996
Joint les pourvois n° 93-21.140 et n° 94-12.225 qui attaquent le même arrêt ;
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 8 octobre 1993) que, par des conventions
du 10 octobre 1988, M. Joseph Y..., la société Harpax et la société Alma intervention ont
renoncé, les deux premiers totalement, la troisième pour moitié, à leurs droits à participer
aux bénéfices de la société en nom collectif Almaflux (la SNC) dont ils étaient associés,
en contrepartie de l'engagement pris à titre personnel par M. X..., autre associé, gérant de
la SNC, de les garantir des conséquences financières d'un redressement fiscal ; que,
réunie le 20 septembre 1989, l'assemblée générale extraordinaire de la SNC a réparti les
bénéfices de l'année 1988 à concurrence de 80 % pour M. X... et de 20 % pour la société
Alma intervention puis, décidé la modification des statuts afin de prévoir, pour 1989 et
les exercices suivants, une répartition des bénéfices à concurrence de 95 % pour M. X...
et de 5 % pour la société Alma intervention ; que M. Joseph Y..., ainsi que les sociétés
Alma intervention et Harpax ont assigné la SNC pour demander l'annulation des
conventions, délibérations et modifications statutaires précitées et la répartition des
bénéfices des années 1988 et 1989 en proportion des parts détenues par chaque associé,
conformément aux dispositions initiales des statuts ; que la cour d'appel a annulé les
conventions du 10 octobre 1988, la résolution de l'assemblée générale du 20 septembre
1989 relative à la répartition des bénéfices futurs et la modification corrélative des statuts
;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 94-12.225 pris en ses cinq branches :
Attendu que la SNC et M. X... font grief à l'arrêt d'avoir, par voie de confirmation, rejeté
la fin de non-recevoir qu'ils avaient opposée sur le fondement du défaut de qualité pour
agir des porteurs de parts M. Joseph Y... et la société Alma intervention, faute pour ces
derniers d'avoir eu la qualité d'associé du fait de cessions régulières des parts de la société
alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dans l'hypothèse même où M. X... aurait été
personnellement acquiescé à l'existence de la cession consentie à M. Joseph Y..., il
n'aurait pas pour autant engagé sur ce point la SNC, alors, d'autre part, qu'ayant contesté
l'authenticité de la signature de M. Joseph Y... telle que figurant dans le pouvoir donné
par celui-ci à son fils, l'arrêt ne pouvait écarter ce moyen sans s'expliquer sur cette
contestation, alors, en outre, que la ratification par M. Joseph Y... de la cession ne
pouvait avoir aucune influence sur son agrément par l'unanimité des associés, dont ils
avaient démontré qu'elle n'avait pu être le fait de l'assemblée générale du 21 mars 1988,
alors encore que, dès lors qu'ils avaient contesté la validité de la signature portée dans le
procès-verbal d'agrément du 21 mars 1988, et, partant, l'agrément de la cession, l'article
126 du nouveau Code de procédure civile ne pouvait régulariser rétroactivement cet
agrément et alors, enfin, que la contestation de l'agrément objet de la délibération du 21
mars 1988 concernait la régularité des cessions intervenues au profit de M. Y... et la
société Alma intervention, qu'ainsi, l'arrêt attaqué a violé les articles 1984 et suivants du
Code civil, 13 et suivants, 10, alinéa 1er, de la loi du 24 juillet 1986, 455 du nouveau
Code de procédure civile et par fausse application l'article 126 du même Code ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'article 19 de la loi du 24 juillet 1966 n'impose pas que
la SNC donne son consentement à la cession des parts des associés ;
Attendu, en deuxième lieu, que c'est par un motif non critiqué par le pourvoi, selon lequel le
procès-verbal de l'assemblée extraordinaire de la SNC du 21 mars 1988 mentionnait que M.
Marc Y... avait procuration de M. Z... pour représenter la société Harpax, que la cour d'appel
a, sans faire application de l'article 126 du nouveau Code de procédure civile, estimé que M.
Marc Y... avait consenti à la cession au nom de la société Harpax ;
Attendu, en troisième lieu, qu'en retenant que M. Joseph Y... avait implicitement mais
nécessairement ratifié l'acquisition des parts de la SNC faite à son nom en se comportant
comme un véritable associé, la cour d'appel, qui a motivé sa décision, a pu statuer comme elle
a fait ;
Attendu, en quatrième lieu, qu'ayant relevé par motifs adoptés que la société Alma
intervention justifiait avoir acquis ses parts de la société Arc Conseil par acte du 30 mars
1988, et, par motifs propres, d'un côté, que les associés de la SNC avaient autorisé l'un d'eux,
titulaire de 40 % des parts à les céder à la société Alma intervention et, d'un autre côté, que M.
X... et la SNC ne fournissaient aucune précision réelle et ne versaient aucune pièce pour
contester la qualité d'associé de cette société, la cour d'appel a pu décider que ladite qualité
était établie ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses cinq branches ;
Sur le second moyen du pourvoi n° 94-12.225 pris en ses deux branches :
Attendu que la SNC et M. X... font encore grief à l'arrêt d'avoir écarté le moyen tiré par
eux de l'article 361 de la loi du 24 juillet 1966 alors, selon le pourvoi, d'une part, que cette
nullité avait été expressément évoquée par leurs conclusions d'appel, qu'ainsi l'arrêt a
violé les articles 455 du nouveau Code de procédure civile par dénaturation de leurs
conclusions par refus d'application de l'article 361 de la loi du 24 juillet 1966 et alors,
d'autre part, que sur ce dernier point, leurs demandes au fond étaient subsidiaires,
qu'ainsi, l'arrêt a violé les mêmes textes ;
Mais attendu que, dès lors qu'elle n'avait constaté aucune fraude, la cour d'appel, qui n'a pas
dénaturé les conclusions invoquées, n'a fait qu'user de la faculté d'appréciation à elle accordée
par l'article 361 de la loi du 24 juillet 1966, en ne prononçant pas la nullité de l'assemblée
générale du 21 mars 1988 ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux
branches ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 93-21.140, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Alma intervention, M. Joseph Y... et la société Harpax font grief à
l'arrêt d'avoir refusé d'annuler la résolution votée au cours d'une assemblée générale
extraordinaire par laquelle les associés d'une société en nom collectif ont décidé d'exclure
deux associés totalement de la répartition des bénéfices de l'exercice écoulé et de réduire
de moitié les droits d'un autre associé, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'est nulle en
application de l'article 1844-1, alinéa 2, du Code civil, la résolution par laquelle les
associés d'une société décident d'exclure totalement certains d'entre eux de la répartition
des bénéfices, fût-ce pour un exercice écoulé ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel
a violé le texte susvisé, alors d'autre part, qu'une partie ne peut pas renoncer par avance à
un droit d'ordre public ; qu'en l'absence de décision de l'assemblée lui distribuant un
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dividende, un associé n'est titulaire d'aucune créance individuelle contre la société dont il
pourrait faire abandon au profit d'un autre associé ; qu'en décidant que deux associés
avaient pu avant toute attribution de dividendes, renoncer à leur droit, la cour d'appel a
violé l'article 1134 du Code civil ensemble l'article 347 de la loi du 24 juillet 1965 et alors,
enfin, que l'annulation du pacte d'associés et du protocole d'accord du 10 octobre 1988
devait nécessairement entraîner l'annulation de la deuxième résolution de l'assemblée
générale extraordinaire du 20 septembre 1989 qui n'était que l'exécution des conventions
susvisées ; qu'ainsi, la cour d'appel a encore violé l'article 1844-1, alinéa 2, du Code civil ;
Mais attendu que l'article 1844-1, alinéa 2, du Code civil ne fait pas obstacle à ce que les
bénéfices distribuables d'un exercice clos soient répartis entre les associés, sous forme de
dividendes, conformément aux renonciations exprimées par certains d'entre eux en
assemblée générale ; que dès lors, abstraction faite des motifs critiqués par le pourvoi, la
cour d'appel a pu décider qu'était valide la résolution de l'assemblée générale du 20
septembre 1989 relative à la répartition des bénéfices de l'année 1988 ; d'où il suit que le
moyen ne peut être accueilli en aucune de ses trois branches ;
Et sur le second moyen du pourvoi n° 93-21.140, pris en ses trois branches : (sans intérêt)
;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.
DOC 2 :
Revue des sociétés 1993 p. 725
Société fictive et simulation
Pascal Rouast-Bertier, Avocat à la cour d'appel de Paris
1. Le droit entretient avec la notion de fiction des rapports complexes. En tant que
système d'organisation des rapports économiques et sociaux, il secrète des notions
abstraites qui visent à qualifier et à normaliser la réalité concrète. Parce qu'elles reflètent
des choix philosophiques et des conventions sociales, ces notions abstraites de la sphère
juridique peuvent apparaître, comparées par exemple aux notions également abstraites
qui expriment les lois mathématiques ou physiques, subjectives, voire arbitraires. Pour
autant, la question du caractère réel ou fictif du droit n'apparaît pas très pertinente. Fictif,
le droit l'est au sens où ce terme recouvre ce qui est le produit de l'esprit humain ou n'a
de valeur qu'en vertu d'une norme sociale (1) ; il ne l'est pas en revanche si on assigne à
ce terme le sens de ce qui n'existe qu'en apparence, de ce qui tend à donner une image
fausse de la réalité. Le droit ne vise pas à déformer la réalité, mais à l'organiser. En ce
sens on peut dire en adoptant une démarche hégélienne qu'il est réel, parce que rationnel.
2. S'il ne lui est pas assimilable, le droit utilise en revanche la notion de fiction dans un
mouvement soit constructif, soit destructeur. Le droit construit à partir de la notion de
fiction lorsqu'il utilise « le procédé qui consiste à supposer un fait ou une situation
différente de la réalité pour en déduire des conséquences juridiques » (2). On parle alors
de fiction juridique (3). Toutefois, la frontière entre la réalité et la fiction n'est de ce
point de vue pas objectivement claire, comme l'illustre la controverse entre les tenants de
la fictivité de la personnalité morale
(4) et ceux de sa (5). Le droit peut à
l'inverse, le plus souvent à travers la jurisprudence, utiliser la notion de fiction pour
détruire des constructions qui détournent les instruments juridiques qu'il met à leur
disposition dans un but non nécessairement frauduleux mais du moins artificiel, éloigné
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des objectifs pour lesquels ces instruments ont été créés. C'est une telle démarche
téléologique que reflète la notion de personne morale (c'est-à-dire en pratique, dans la
plupart des cas, de société) fictive.
3. La notion de société fictive est d'origine jurisprudentielle, même si elle a été
généralement présentée comme une application du mécanisme législatif de la simulation
(6). L'examen, tant du point de vue de ses conditions (I) que du point de vue de ses
effets (II) de cette assimilation de la notion de société fictive à une application du
mécanisme de la simulation conduit à une redéfinition de la notion.
La définition traditionnelle de la fictivité à l'épreuve de ses conditions
Il convient de rappeler cette définition traditionnelle (A) avant d'en mesurer les insuffisances
(B).
La définition traditionnelle de la fictivité
4. Dans la conception traditionnelle de la société fictive, celle-ci est le produit non
nécessairement d'une fraude mais en tous cas d'une simulation (7), c'est-à-dire de la
création, à l'intention des tiers, d'une apparence (l'existence d'un contrat de société) non
conforme à l'intention réelle des parties, auxquelles la volonté de se mettre en société, et
plus précisément l'affectio societatis, font défaut (8). Ainsi, des deux aspects indissociables
de la société (contrat et institution), l'aspect institutionnel constitue une simple façade
dans la mesure où l'aspect contractuel, son support nécessaire, n'a pas de réalité.
Apparence sans réalité, la société fictive est l'antithèse de la société créée de fait, réalité
sans apparence.
5. Si le contrat qui fonde une société entachée de fictivité n'a pas de réalité, ce peut être
pour deux types de raisons, habituellement recensées par les auteurs à travers la
jurisprudence : ou bien le contrat de société dissimule un autre contrat ou acte juridique,
et la simulation porte alors sur la nature de l'acte liant les parties (1°), ce qui constitue un
cas d'application classique de ce mécanisme, ou bien le contrat de société dissimule une
exploitation unipersonnelle, une absence de contrat (2°), ce qui constitue une forme de
simulation plus éloignée du schéma évoqué par l'article 1321 du Code civil.
La simulation porte sur la nature du contrat
Dans le premier cas, application topique du schéma auquel fait référence l'article 1321 du
Code civil, le contrat de société dissimule l'existence d'un autre contrat (ou acte
juridique), qui constitue lui-même la contre-lettre évoquée par l'article 1321 (9).
6. Cet autre contrat peut être un contrat de vente (10) (le vendeur faisant apport à une
société spécialement constituée d'un bien immobilier avant de céder ses parts à
l'acquéreur, évitant ainsi à ce dernier le paiement des droits de mutation immobilière). Le
contrat secret peut également être un contrat de travail (11), l'employeur constituant
avec son salarié une société pour échapper aux règles du droit du travail, ou un contrat
de prêt (12), la simulation étant alors le plus souvent destinée à permettre aux parties
d'échapper aux dispositions qui régissent ces contrats, particulièrement en matière
d'usure. Il peut aussi s'agir d'un acte juridique, fréquemment une libéralité
(13)
(généralement pour échapper aux règles protégeant la réserve héréditaire).
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7. Bien que les auteurs s'attachent généralement à différencier la société fictive de la
société frauduleuse, la simulation ne comportant pas en principe un but répréhensible
(14), on peut remarquer d'emblée que les montages juridiques précités, qui visent tous à
éluder l'application de dispositions légales d'ordre public, constituent sans exception des cas
de fraude. Se fait alors nécessairement jour la question de l'utilité, dans ces circonstances, du
recours à l'outil de la fictivité en présence de l'arme très puissante de la fraude (v. ci-après n°
39).
La simulation porte sur l'existence même d'un contrat
8. Dans ce second cas, de loin le plus fréquent en pratique, on s'éloigne davantage du
schéma classique de la simulation (contrat apparent dissimulant un autre contrat - la
contre-lettre - entre les mêmes parties). En effet la simulation porte non sur la nature du
contrat mais sur l'existence même d'un contrat : c'est l'hypothèse de la société de façade
dissimulant, grâce à la complaisance de prête-noms, associés fictifs, l'activité du véritable
maître de l'affaire, celui-ci pouvant être soit une personne physique
(15) soit une
personne morale, une société le plus souvent (16).
9. Pas plus que les sociétés fictives dissimulant un autre contrat, ces sociétés fictives
dissimulant l'activité d'une seule personne ne sont en principe frauduleuses. Cependant,
si l'on observe qu'elles sont le plus souvent des sociétés de capitaux (dans lesquelles la
responsabilité des associés est en principe limitée au montant de leurs apports), on peut
se demander si elles ne sont pas dans de nombreux cas inspirées par le souci de faire
échec au principe de l'unité du patrimoine (17), donc entachées de fraude à la loi. Il
semble qu'il n'en soit rien et que leur création obéisse le plus souvent, du moins
lorsqu'elle est le fait d'une autre société, à de tout autres motifs (v. ci-après n° 13 et la
note 39) (18).
10. La fictivité de la qualité d'associés des comparses du maître de l'affaire (ou, ce qui
revient au même, le caractère simulé de leur qualité d'associés, c'est-à-dire leur absence
d'affectio societatis), cause de fictivité de la société elle-même, est difficile à apprécier.
L'existence entre les mains du maître de l'affaire d'actes de cession de parts en blanc ou
autres documents analogues (19), si elle constitue la meilleure preuve de la qualité de
prête-noms des autres associés
(20), est par définition malaisée à établir, et la
jurisprudence n'en offre guère d'exemples. Cette hypothèse mise à part, l'indice de
fictivité le plus visible est généralement le déséquilibre marqué, dans la répartition du
capital, entre le maître de l'affaire et le ou les autres associés qui lui servent de prêtenoms. Cependant, une égale répartition du capital entre les associés n'étant pas de
l'essence de la société, « un associé peut détenir la grande majorité des parts ou actions
sans que la société soit nécessairement fictive » (21), et cet indice ne peut donc être jugé
suffisant à lui (22). Toutefois il constitue dans de nombreux cas le point de départ
du raisonnement du juge
(23). De même, si l'existence de liens familiaux entre les
associés ne suffit pas à donner un caractère fictif à la société
(24), elle peut en
constituer un premier indice (25). Un autre indice peut résulter, s'agissant d'une filiale,
de la communauté de dirigeants entre celle-ci et sa société mère (26) (mais là encore
cette seule circonstance est insuffisante à établir la fictivité) (27), ou la présence dans
son capital d'associés minoritaires qui sont eux-mêmes des salariés ou des mandataires
sociaux de la société mère (28).
11. Mais il semble que la jurisprudence se satisfasse de moins en moins de ces seuls
critères « organiques »
(29), recherchant des preuves de la fictivité de la société dans le
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fonctionnement de cette dernière : absence de toute vie sociale attestée par l'absence de
réunion ou d'information des organes sociaux (30), et surtout imbrication d'activités et
d'actifs aboutissant à la confusion du patrimoine de la société arguée de fictivité avec
celui du maître de l'affaire (31) (cette confusion pouvant, il faut le souligner, se faire
indifféremment au profit du patrimoine du maître de l'affaire ou de celui de la société
fictive) (32). Cette émergence d'un critère « fonctionnel » de fictivité trouve son point
culminant dans son application à l'EURL (33) qui, selon la doctrine, « peut être tenue
pour fictive notamment si l'associé unique confond son patrimoine avec celui de sa
société » (34). Madame Martin-Serf, pourtant réticente à une totale assimilation de la
fictivité au mécanisme de la simulation (35), considère qu'il s'agit bien en l'espèce d'un
cas de simulation (36). Ainsi selon cet auteur, s'il peut y avoir fictivité sans simulation,
il pourrait également y avoir simulation sans contrat.
Les insuffisances de la définition traditionnelle
12. On l'a vu, les deux formes de société fictive (société dissimulant un autre contrat,
société dissimulant l'activité d'une seule personne) sont dans l'opinion commune, et
malgré l'émergence d'un critère « fonctionnel » de la fictivité, fondées sur la notion de
simulation (37), elle-même découlant du défaut d'affectio societatis relevé par les juges du
fond dans le comportement des parties lors de la formation du contrat ou son exécution
(confusion des activités et des patrimoines, absence de fonctionnement social). Cette
approche fondée sur la notion d'affectio societatis n'est pas sans inconvénients, tant
pratiques que juridiques (1°). L'utilisation autonome, détachée de la notion d'affectio
societatis, du critère fonctionnel de la confusion d'activités et de patrimoines, qui semble-til vise à pallier certains de ces inconvénients, soulève elle-même d'autres questions (2°).
Les inconvénients pratiques et les incertitudes juridiques de l'affectio societatis comme critère
déterminant du caractère réel ou fictif d'une société
13. L'assimilation du défaut d'affectio societatis (c'est-à-dire de l'absence d'une réelle
dimension contractuelle) à la fictivité d'une société conduirait logiquement à qualifier de
fictives toutes les sociétés qui sont filiales à presque 100 % d'une société mère, le solde de
leur capital étant détenu soit par d'autres sociétés du même groupe, soit par des
personnes physiques employées par ce groupe. Ce cas est très fréquent dans la réalité des
affaires (38), il s'agit même de l'un des cas dans lesquels la constitution de la société
qualifiée de fictive obéit à des motifs le moins souvent
(39). Et que dire du
phénomène des nationalisations, par lequel l'Etat est devenu l'actionnaire unique de
sociétés d'une importance économique considérable (40) ? Faut-il en déduire que ces
sociétés sont devenues fictives, simples écrans derrière lesquels c'est l'Etat lui-même qui
fait actes de commerce ? C'est sans doute en considération du caractère à la fois néfaste
et irréaliste en pratique de cette menace de fictivité
(41), pesant sur de
nombreuses sociétés, qui seraient ainsi de véritables « fantômes juridiques » en sursis le
plus souvent sans le savoir, et de l'incertitude qui en résulterait pour l'autonomie
patrimoniale (et donc les créanciers) tant de ces sociétés que de leurs sociétés mères,
que la jurisprudence tend comme on l'a vu plus haut à privilégier semble-t-il de
manière croissante un critère de type fonctionnel au détriment du critère tenant au
caractère de facto unipersonnel de la société (42) (lié à l'absence d'affectio societatis
des minoritaires) et à rechercher des signes de fictivité dans l'absence de fonctionnement
social de la société arguée de fictivité et la confusion de ses activités avec celles de sa
société mère.
14. Si la fictivité résulte de l'absence d'affectio sociétatis, il convient de tenter de définir
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cette notion, ce qui ne va pas sans incertitudes juridiques. L'affectio societatis n'est pas une
autre façon de désigner le consentement des parties à un contrat de société. Pour certains
auteurs, la spécificité du contrat de société réside dans « le concours entre des volontés
qui ont toutes le même contenu et tendent toutes vers le même but » (43) alors que,
d'une manière générale, le contrat constitue le point d'équilibre entre des volontés non
pas semblables et concordantes, mais distinctes et conflictuelles. La notion d'affectio
societatis traduirait cette spécificité. Par un arrêt du 3 juin (44), la chambre
commerciale de la Cour de cassation a défini l'affectio societatis de façon très exigeante,
comme requérant la collaboration effective des associés à l'exploitation du fonds, « dans l'intérêt
commun et sur un pied d'égalité pour participer aux bénéfices comme aux pertes ».
Même si la doctrine admet unanimement que cette définition doit être modulée en
particulier en fonction de la forme de la société (les exigences de l'affectio sociétatis étant
par exemple plus fortes dans une société de personnes que dans une société de capitaux)
(45), il n'en demeure pas moins qu'elle suppose un comportement actif de la part des
associés. Or, c'est devenu un lieu commun de constater que, dans les grandes sociétés de
capitaux modernes, particulièrement dans les sociétés cotées, les petits actionnaires « se
désintéressent des affaires sociales, se contentant d'encaisser les dividendes qui leur sont
attribués, un peu comme un créancier touche les intérêts de son prêt »
(46)
l'affectio societatis paraissant se réduire pour ces associés à l'acceptation d'un aléa
dans la rémunération de leur investissement, ce qui paraît insuffisant pour satisfaire les
exigences de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation (47). En réalité, comme
l'a souligné un auteur (48), les multiples définitions de l'affectio societatis « cachent mal
la crise de la notion. [...] La passivité des associés bailleurs de fonds, l'existence de titres
sans affectio sociétatis, de sociétés dans lesquelles certains associés n'ont pas ou guère
d'affectio societatis, de sociétés sans affectio societatis, de différences d'intensité dans
l'affectio societatis [...] montrent l'éclatement du concept et son déclin » (49). Dès
lors la notion d'affectio societatis, notion psychologique au contenu mouvant autant
qu'incertain, ne paraît guère en mesure de constituer un critère de la fictivité des
sociétés procurant aux agents économiques (et en particulier aux créanciers comme
aux associés des sociétés en cause) le minimum de sécurité juridique requis.
Les questions soulevées par le critère « fonctionnel »
15. C'est semble-t-il pour pallier ces inconvénients tant pratiques que juridiques de
l'utilisation de l'affectio societatis comme critère déterminant de fictivité que la
jurisprudence, tandis qu'elle réaffirmait le principe de l'indépendance patrimoniale des
personnes morales même en présence d'un associé prépondérant et d'une communauté
de dirigeants (50), a dégagé des critères plus objectifs et « fonctionnels » de fictivité, tels
que la confusion d'activités et de patrimoine. Cependant, cette démarche n'est pas sans
soulever des questions d'un point de vue juridique.
16. La première remarque concerne la confusion qui à première vue semble être faite,
dans certaines décisions, entre fictivité et théorie de l'apparence. En examinant les
conditions de fonctionnement de la société, les tribunaux indiquent parfois de manière
plus ou moins explicite que la confusion réalisée entre les activités et les actifs de la
société fictive et ceux du maître de l'affaire (personne physique ou, plus souvent, société)
a été ou doit avoir été apparente, de manière à créer la confusion dans l'esprit des tiers
(51), relevant des indices de cette confusion dans l'identité de sièges sociaux, de numéros
de téléphone, l'identité ou la similarité des dénominations sociales, etc. Ainsi, un arrêt de
la Cour d'appel de Paris du 31 mai 1989 (52) énonce que la fictivité « exige un haut
degré de confusion établissant une véritable identité extérieure au point que les
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partenaires [des deux sociétés] aient pu croire qu'elles formaient une personne morale
unique » (53). Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 4
janvier 1982 (54) semble au contraire faire explicitement la différence entre fictivité et
identité apparente (55). Mais la rédaction de l'arrêt ne permet pas de déterminer avec
certitude si la Cour de cassation voit dans les deux notions des conditions alternatives ou
cumulatives du recours des créanciers de la société fictive contre le maître de l'affaire
(56). La rédaction de l'arrêt (57) va plutôt dans le sens de la première interprétation
(58), mais M. Burst, commentateur de l'arrêt, semble y voir une illustration du nécessaire
cumul de la fictivité et de la création d'une apparence trompeuse pour établir l'obligation
de la société dominante au paiement des dettes de la société dominée (59)(59.
17. On sait que, du point de vue des tiers, la théorie de l'apparence est plus exigeante que
la simulation : alors que celle-ci requiert leur simple bonne foi (qui n'a pas à être
prouvée), celle-là exige la démonstration d'une erreur invincible ou commune (60), ou
du moins d'une erreur légitime (61). Par ailleurs, et surtout, si le caractère fictif de la
société est apparent et non dissimulé, la raison d'être de l'option offerte aux tiers par
l'article 1321 Code civil (se prévaloir de l'apparence ou de l'acte secret) disparaît.
Rechercher des éléments de fictivité dans les conditions de fonctionnement de la société «
au vu et au su des tiers », c'est même, si l'on assimile cette fictivité à une forme de
simulation (62), aboutir à une contradiction flagrante puisque par définition, ce qui est
apparent (la confusion créée entre deux entités) ne saurait être dissimulé (la contre-lettre
constitutive de simulation). Pour expliquer la jurisprudence précitée, on est alors
nécessairement amené à détacher la notion de fictivité de celle de simulation, comme y
invitent par ailleurs d'autres arguments.
18. En effet, le raisonnement juridique qui consiste à rechercher des indices de fictivité
non pas dans les circonstances de la formation du contrat mais dans les modalités de son
exécution s'accorde mal avec le maintien de la notion de société fictive sous l'empire du
mécanisme de la simulation. La simulation intervient en principe dans la formation du
contrat (63). Ainsi, la Cour de cassation rappelle logiquement que l'affectio societatis en
tant qu'élément constitutif du contrat de société (élément faute duquel, on l'a vu, la
société doit être jugée fictive parce que simulée) doit s'apprécier au jour de la constitution
de la société (64).
19. Si la recherche des preuves du caractère simulé de la formation d'un contrat dans les
conditions d'exécution de ce contrat ne paraît pas a priori illégitime, ce n'est pas la
démarche que semble adopter la jurisprudence (qui n'indique pas que la confusion de
patrimoines est pour elle un indice de l'absence d'affectio societatis originel des associés, et à
qui, à vrai dire, cette circonstance paraît indifférente). Sans doute des auteurs ont-ils
argué que rien ne s'oppose à ce que la simulation, c'est à dire le maintien d'une apparence
contractuelle alors que la société est devenue de facto la chose d'un seul, apparaisse au
cours de la vie sociale (65). Mais on s'éloigne alors encore davantage du mécanisme de
la simulation tel qu'il est classiquement décrit. De même, cette conception « fonctionnelle
», voire matérielle, de la fictivité en atténue l'élément intentionnel, qui caractérise en
principe la simulation (66).
20. De plus, considérer que la seule disparition, en cours de vie sociale, de l'affectio
societatis entraîne la fictivité de la société conduirait à un paradoxe. On sait en effet que,
depuis 1966 pour les sociétés commerciales et depuis 1981 pour les sociétés civiles, la
réunion en une même main de toutes les parts ou actions d'une société n'entraîne plus
dissolution automatique et de plein droit de la société (67). On ne peut concevoir que
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la société devenue ouvertement unipersonnelle demeure en principe valable tandis que
celle dont le caractère unipersonnel serait dissimulé derrière une apparence contractuelle
maintenue verrait son existence remise en cause. On rappelle également que la Cour de
cassation a jugé, conformément à l'article 1844-7-5° du Code civil, que la mésentente
entre associés (qui implique la disparition de l'affectio societatis) ne justifie la dissolution
judiciaire de la société que si elle compromet la bonne marche de l'entreprise ou paralyse
le fonctionnement de la société (68).
21. Cette autonomie de la fictivité « du deuxième type » (apparence d'un contrat de
société dissimulant l'activité d'une seule personne, et décelée à travers une confusion
d'activités et de patrimoines) à l'égard du mécanisme de la simulation semble avoir été
consacrée par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 9 octobre 1967 (69), la Chambre
commerciale a considéré qu'une cour d'appel, ayant constaté « que les clients, les
travaux, le personnel étaient les mêmes et que les deux entreprises n'en formaient qu'une
» pouvait étendre la faillite de l'une à l'autre et que « invoquant au soutien de sa décision la
confusion des deux entreprises et non la simulation, elle n'avait pas à se référer aux conditions de
cette dernière » (70). Plus récemment la même Chambre commerciale (71), sans faire
référence aux conditions de la simulation, caractérise la fictivité par le fait qu'une
personne physique non associée « avait pris toutes les décisions nécessaires à la gestion
de la société [...] en fonction de ses seuls intérêts et de ceux de sa famille, qu'il s'était
occupé seul des affaires sociales sans être associé et avait même manipulé à son gré la
composition de la gérance, puis du conseil d'administration de la société », et approuve la
cour d'appel d'avoir relevé que la société en cause « n'était qu'une société de façade dont
les organes sociaux étaient manipulés au gré de P. qui était le véritable et seul maître de
l'entreprise et que la cession intervenue [...] n'avait pas fait cesser la confusion de
patrimoine ». Ainsi, pour la Cour de cassation, il peut y avoir fictivité par confusion
d'activités et de patrimoines (72), cette dernière notion étant indépendante de celle de
simulation (73). De même, de nombreuses cours d'appel assimilent confusion de
patrimoines et fictivité (74), mais pas nécessairement fictivité et simulation.
22. Ne faut-il pas alors voir dans la fictivité liée à la confusion d'activités et de
patrimoines la marque d'une sanction ? De fait la jurisprudence concernant la confusion
de patrimoines apparaît fréquemment animée par une telle motivation
(75), ce qui
l'éloigné encore davantage de la notion de simulation qui ne contient pas en principe une
telle acception (76).
23. Si la fictivité par confusion d'activités et de patrimoines est une notion autonome qui
ne découle pas du mécanisme civiliste de la simulation, sur quel fondement la justifier en
droit ?
24. M me Gisserot (77), citant à l'appui de sa démonstration un arrêt de la Chambre
commerciale du 3 janvier (78), estime que la confusion de patrimoines est une
source de fictivité indépendante des notions d'affectio societatis et de simulation - ce qui
nous paraît désormais acquis - et que la jurisprudence y relative s'explique par le fait que
la raison d'être du patrimoine social est de constituer pour les créanciers une garantie et
de permettre par là au commerçant agissant par l'intermédiaire de la société d'obtenir du
crédit. Ainsi, « lorsque celui-ci ne respecte pas cette séparation entre patrimoine
personnel et patrimoine commercial, il rend illusoire la sécurité que les créanciers
commerciaux étaient en droit d'attendre ». Cette interprétation justifierait par exemple
qu'il puisse exister des EURL fictives.
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25. Mais il ne paraît même pas certain qu'il faille assimiler confusion de patrimoines et
fictivité, que celle-ci soit ou non une application du mécanisme de la simulation. M.
Bellanger (79) a proposé une explication de la confusion de patrimoines détachée des
notions de fictivité et de simulation et fondée sur la représentation : « en même temps
qu'elle s'engage elle-même, chaque société du groupe où règne la confusion des
patrimoines représente les autres membres de ce groupe. Ce qu'elle offre à la garantie de
ses engagements, ce n'est pas seulement son propre patrimoine mais celui de toutes les
autres sociétés. » On note qu'il s'agit là d'une explication qui ne se rattache ni à la notion
de prête-nom (elle même liée à la notion de simulation) ni à celle de mandat apparent
(application de la théorie générale de l'apparence).
26. De fait, la jurisprudence et la doctrine semblent tantôt considérer la confusion
d'activités et de patrimoines comme un indice déterminant de fictivité (80), tantôt la
présenter comme une notion indépendante de celle de fictivité et réservée au domaine
des procédures collectives (81). Tantôt encore la possibilité d'une extension de faillite
sur le fondement d'une fictivité ne découlant pas de la confusion de patrimoines est
évoquée (82), tantôt la confusion de patrimoines est présentée comme étant parfois
source de fictivité, parfois source autonome d'extension de la procédure collective (83).
On conçoit que le non initié s'y perde.
Mais avant de prendre position sur le (ou les) fondement(s) juridique(s) de la fictivité des
sociétés, il convient d'examiner la notion sous l'angle de ses effets.
La définition traditionnelle de la fictivité à l'épreuve de ses effets
Les conditions de la fictivité sont indissociables de ses effets. Selon le mécanisme auquel elle
se rattache (simulation ou autre...), ses effets ne devraient pas être les mêmes.
Les contradictions inhérentes à la définition traditionnelle
Rappel des effets de la simulation et de l'action des tiers
(84)
27. On sait que dans le cadre d'une simulation, les parties sont liées « par ce qu'elles ont
réellement voulu, c'est à dire par l'acte apparente tel qu'il est modifié ou détruit par l'acte
secret » (85), à condition de pouvoir faire la preuve de ce dernier selon les règles de
droit commun. S'agissant d'une société fictive, le lien juridique entre les parties serait
donc soit le contrat dissimulé derrière la société
(86), soit, dans l'hypothèse d'une
société fictive dissimulant l'activité d'une personne unique, simplement inexistant (mis à
part la contre-lettre éventuellement constituée par des cessions de parts en blanc ou
autres accords écrits ou oraux équivalents).
28. Au profit des tiers, la simulation ouvre classiquement la possibilité de se prévaloir
soit de l'acte apparent (87), soit de la contre-lettre au terme d'une action en déclaration
de simulation leur permettant d'en établir la preuve par tous moyens (88). La contrelettre ne leur est par ailleurs par opposable, pour autant qu'elle leur ait été effectivement
cachée (89). En cas de conflit d'intérêt entre tiers de bonne foi, les uns invoquant
l'apparence, les autres la réalité cachée, la jurisprudence tend à faire prévaloir la cause
des premiers, mais uniquement si cette apparence était assez bien organisée pour donner
à leur erreur un caractère légitime, faisant là une application de la théorie de l'apparence
(90) qui intervient comme un mécanisme correcteur des effets de la simulation (91).
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29. Ainsi dans le cas d'une société fictive dissimulant un autre contrat ou acte juridique,
les tiers pourraient-ils se prévaloir soit de l'existence de la société, soit, en prouvant la
simulation, du contrat ou de l'acte dissimulé derrière la société (par exemple, contrat de
vente, contrat de travail, donation), à condition naturellement que ledit acte ou contrat
ne soit pas contraire à l'ordre public. S'agissant d'une société fictive dissimulant l'activité
du véritable maître de l'affaire, la preuve de la simulation( c'est-à-dire du caractère fictif
de la société) devrait permettre aux tiers soit de faire annuler la société soit de faire
constater son inexistence (v. ci-après n° 30), puisque l'équivalent de la contre-lettre est
constitué par une absence de contrat, et non directement de faire réintégrer dans le
patrimoine du maître de l'affaire l'actif et le passif de celle-ci (92).
Simulation et inexistence
30. Traditionnellement, la doctrine considérait que la preuve de la fictivité d'une société
devait entraîner la déclaration non de sa nullité, mais de son inexistence
(93), l'action
en déclaration de simulation étant ainsi assimilable à une action en déclaration
d'inexistence. Cette distinction est lourde de conséquences pratiques, car la nullité d'une
société a désormais de par la loi les mêmes effets qu'une dissolution et n'opère donc pas
rétroactivement (94). Par ailleurs l'action en nullité se prescrit par trois ans à compter
du jour où la nullité est encourue (95), alors que l'action en déclaration d'inexistence
serait prescriptible par trente ans (comme l'action en déclaration de simulation), voire
imprescriptible. En outre, la nullité peut être couverte jusqu'à ce que le tribunal ait statué
sur le fond en première instance, sauf si elle résulte de l'illicéité de l'objet social (96) (ne
subsiste dans ce cas qu'une action en dommages-intérêts tendant à réparer le préjudice
causé par la nullité, qui se prescrit elle-même par trois ans à compter du jour où la nullité
a été couverte) (97).
31. Surtout, cette prise de position d'auteurs par ailleurs attachés à l'explication
traditionnelle de la fictivité par la simulation, en faveur de l'inexistence des sociétés
fictives est surprenante car l'inexistence devrait pouvoir être opposée aux tiers par les
parties au contrat, ce qui, on le sait, est exclu en matière de simulation (la contre-lettre
étant inopposable aux tiers).
32. Mais en ce domaine comme en d'autres (98), la Cour de cassation, après avoir paru
l'admettre (mais dans une affaire où la société avait semble-t-il dès l'origine un but
frauduleux, et en tout état de cause antérieure à la loi du 4 janvier 1978 qui a étendu à
toutes les sociétés les principes applicables, en matière de nullité, aux sociétés
commerciales) (99) a écarté la notion d'inexistence, en dernier lieu par un arrêt de la
chambre commerciale en date du 16 juin 1992
(100). C'est donc bien le régime des
nullités qui devrait s'appliquer. Cependant, l'évolution législative et doctrinale semble
irrémédiablement condamner une telle sanction de la fictivité par la nullité (v. ci-après
B).
Simulation et extension des procédures collectives
33. Comme on l'a vu, la reconnaissance de la confusion des patrimoines ou de la fictivité
de la société a pour effet essentiel, dans le cadre d'une procédure collective, l'extension de
la procédure au maître de l'affaire.
S'il s'agissait là d'une application du mécanisme de la simulation, les créanciers sociaux se
prévalant légitimement de l'apparence (c'est-à-dire de l'autonomie des deux entités)
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devraient pouvoir faire échec à l'extension de la procédure. Or, comme l'a justement
souligné un auteur (101), « les tribunaux n'ont jamais fait leur une telle analyse (...)
L'unicité de procédure est le seul moyen d'éviter l'arbitraire s'attachant à la répartition
des éléments d'actif entre les différents patrimoines apparents qui n'en forment en réalité
qu'un. Les impératifs du droit des affaires conduisent à substituer à l'analyse du droit
civil, qui s'intéresse à des rapports individuels, une vision globale de la défaillance de ce
qui constitue une entreprise unique reposant sur un patrimoine unique ».
La nullité d'une sociétépour fictivité et l'évolution législative et doctrinale
Le droit moderne, pour des raisons évidentes de sécurité juridique, tend à fonder la
personnalité morale des sociétés sur des critères objectifs, tels que l'accomplissement des
formalités de publicité (1°). Cette évolution est approuvée par la doctrine qui tend à
substituer à la fictivité et à la simulation des outils juridiques plus respectueux de la
personnalité morale des sociétés (2°).
Le droit interne à l'épreuve du droit communautaire
33. La nullité d'une société civile « ne peut résulter que de la violation des dispositions
er
des articles 1832, 1832-1, alinéa 1 et 1833 [du Code civil], ou de l'une des causes de
nullité des contrats en général » (102) ; quant aux sociétés commerciales, la loi du 24
juillet 1966
(103) dispose que leur nullité « ne peut résulter que d'une disposition
expresse de la présente loi ou de celles qui régissent la nullité des contrats » (104). En
restant dans les limites imposées par ces textes, on peut trouver le fondement de la nullité
des sociétés pour défaut d'affectio societatis (c'est à dire des sociétés simulées) dans l'article
1832 du Code civil (105) pour les sociétés civiles, et - de façon moins évidente - dans
l'absence de cause pour les sociétés commerciales (car la création de la société, même
fictive, n'a-t-elle pas une cause ?).
34. Mais il paraît douteux que le maintien du défaut d'affectio societatis et des causes de
nullité des contrats en général (y compris l'absence de cause) dans la liste des causes de
nullité des sociétés soit conforme au droit communautaire en ce qui concerne tout au
moins les sociétés de capitaux (SARL et sociétés par actions) (106). En effet, ces causes
de nullité ne figurent pas à l'article 11 de la directive CEE 68/151 du 9 mars 1968, qui
définit limitativement les causes pour lesquelles la législation des Etats membres peut
prévoir la nullité de ces sociétés (107). Mis à part ces cas, « les sociétés ne peuvent
être soumises à aucune cause d'inexistence, de nullité absolue, de nullité
relative ou d'annulabilité ». Or, les causes de nullité prévues par la directive ne
comprennent ni la fraude, ni la cause illicite (108), ni l'absence d'affectio
societatis ou le caractère unipersonnel de la société (sauf si ce caractère unipersonnel
existe de façon apparente dès sa constitution) (109). Dans sa décision Marleasing du
13 novembre 1990 (110), la CJCE a jugé que « l'exigence d'une interprétation du
droit national conforme à l'article 11 de la directive 68/151/CEE précitée interdit
d'interpréter les dispositions du droit national relatives aux sociétés anonymes d'une
manière telle que la nullité d'une société anonyme puisse être prononcée pour des
motifs autres que ceux qui sont limitativement énoncés à l'article 11 de la directive en
cause ».
35. Cette évolution de la notion de personne morale vers une conception plus formaliste,
voire « mécaniste », transparaît dans le fait que l'immatriculation est désormais la
condition déterminante de la personnalité morale (111) alors que le droit antérieur la
subordonnait à l'existence réelle du contrat de société (la publicité n'étant qu'une
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condition supplémentaire, et uniquement pour les sociétés commerciales).
Le renforcement d'un courant doctrinal en faveur d'un dépassement de la définition
traditionnelle de la fictivité
36. Depuis la première et surtout la seconde guerre mondiale s'est affirmée au sein de la
doctrine l'idée que la création d'une société est avant tout le moyen d'expression
juridique d'une entreprise, et le moyen de réaliser l'autonomie patrimoniale qui est
nécessaire à cette entreprise pour individualiser et organiser une fonction économique et
obtenir des moyens de financement (112). On peut rapprocher de cette conception la
notion de fictivité par confusion d'activités et de patrimoines et en déduire que cette
notion exprime alors la sanction de l'abus qui résulte de l'utilisation d'une société d'une
façon contraire à l'objet pour lequel cet instrument juridique a été conçu (113). La «
fictivité » pour confusion d'activités et de patrimoines se rattacherait alors à la notion
d'abus de droit (ou encore, pour M. Hannoun (114), à la notion de « transparence »).
37. Dès 1929 le doyen Rousseau avait émis des doutes sur le caractère approprié de la
simulation pour percer l'écran social d'une société de capitaux : « La société anonyme
dépasse la volonté des individus qui la créent. Ce qu'ils ont voulu faire n'importe pas. La
recherche des intentions individuelles est inutile... Pour faire disparaître une société
anonyme, on ne pourra donc jamais agir en simulation parce que la société existe réellement du
moment où elle présente les apparences d'une société anonyme, et agit comme telle » (115). Le
doyen Rousseau fait ainsi figure de précurseur du mouvement qui, au sein de la doctrine,
vise à contester la place occupée par le contrat dans les conditions déterminantes de la
réalité d'une société, du moins en ce qui concerne les sociétés de capitaux. Cette opinion
a été également défendue par le professeur Bastian, pour qui « on simule une vente... on
ne simule pas une société anonyme » (116), et, dans un esprit assez différent, par le
professeur Bredin (117), qui a mis l'accent sur la nécessité, pour que soit constituée la
simulation, non seulement de l'existence d'un acte secret, mais également d'un pouvoir
de destruction de l'acte secret sur l'acte apparent (118). On peut également citer M.
Hannoun pour qui « la pratique des groupes de sociétés ne permet plus de penser la
pluralité des associés comme un élément essentiel de la notion de société » (119).
38. L'explication de la notion de société fictive dissimulant l'activité d'une seule
personne, ou encore de la notion de société fictive par confusion d'activités et de
patrimoines à partir d'un canevas purement contractuel fondé sur les notions de
simulation et d'affectio societatis ne paraît pas satisfaisante en l'état actuel du droit positif,
tant du point de vue de ses conditions que du point de vue de ses effets. Il nous semble
qu'elle trouve un meilleur fondement dans l'idée de gage des créanciers ou de patrimoine
d'affectation, que l'on peut rattacher à la théorie de l'institution (120). L'évolution
législative depuis quinze ans (121) va dans ce sens (122). Elle pourrait se poursuivre,
au vu de l'orientation prise par de nombreuses législations étrangères - et non des
moindres - qui admettent la validité de principe de la société unipersonnelle, du moins
s'agissant des sociétés de capitaux (123) (alors que le droit français, le cas de l'EURL
excepté, ne les admet que comme entités juridiques « en sursis »)
(124).
39. On peut se demander si le recours des demandeurs et des tribunaux à la notion de
fictivité par simulation dans des situations parfois frauduleuses ne s'explique pas surtout
par la difficulté qui provient, en matière de fraude, de la nécessité de prouver la
complicité de toutes les parties au contrat de société. Le recours clair à la théorie de
l'abus de droit permettrait d'éviter un tel forcement du mécanisme de la simulation.
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40. L'effet recherché, et obtenu, par les demandeurs qui invoquent avec succès la fictivité
d'une société (c'est à dire le fait que la société « n'était qu'un rouage d'une entreprise plus
vaste ») (125) est en réalité non pas la nullité de celle-ci (dont la conséquence devrait
être, rappelons le, la dissolution, sans effet rétroactif) mais la prise en charge de son
passif par la personne physique ou morale dont ils mettent en avant la qualité de maître
de l'affaire. En réalité, personne ne se soucie de la validité ou de la nullité de la société
prétendue fictive, le résultat recherché est tout autre
(126). Au demeurant, dans
certaines décisions, les tribunaux ont condamné une société-mère au paiement des dettes
de sa filiale en dehors de toute procédure collective, et sans remettre en cause l'existence
de celle-ci (donc sans la qualifier de fictive), en se fondant simplement sur l'étroite
imbrication des deux (127).
41. Il reste que dans certains cas, rares en pratique (sociétés dissimulant dès leur création
un autre contrat), la simulation peut demeurer un fondement juridique satisfaisant. Il
semble que la notion de société fictive, notion « fourre-tout », recouvre des situations qui
ne peuvent en réalité être analysées juridiquement de façon identique et ne doivent pas
produire les mêmes effets : tantôt simulation, tantôt convention de prête-nom (présence
d'associés minoritaires agissant consciemment dès leur entrée dans la société comme
prête-noms du maître de l'affaire (128), la société agissant alors éventuellement ellemême pour le compte de ce dernier), tantôt application de la théorie de l'apparence
(mandat apparent ou apparence de société unique), tantôt enfin, le plus souvent, abus de
l'outil juridique que constituent la personnalité morale et l'autonomie patrimoniale
qu'elle permet de réaliser, application croisée de la théorie de l'abus de droit et de celle de
l'institution.
Mots clés :
SOCIETE EN GENERAL * Société fictive * Simulation
(1) V. l'ex. donné par le Petit Robert : « valeur fictive de la monnaie fiduciaire ».
(2) V. le Petit Robert, à Fiction. V. égal. P. FORIERS, Les présomptions et les fictions en droit
in Travaux du centre national de recherches de logique, 1974, p. 7.
(3) V. en particulier WOODLAND, Le procédé de la fiction dans la pensée juridique, thèse
Paris II, 1981.
(4) V. par ex. MAZEAUD par DE JUGLART, Leçons de droit civil, t. I, vol. 2 (1972), p.
105 s.
(5) Il est généralement admis que c'est la théorie de la réalité qui l'a emporté depuis un
arrêt de principe de la Cour de cassation du 28 janvier 1954 (Civ. 2e, 28 janv. 1954, D.,
1954.217, note Levasseur). Pour une réactualisation du débat à partir de la question des
sources du droit, et plus précisément de l'opposition entre la thèse du positivisme
légaliste (qui tend à faire prévaloir la théorie de la fiction) et celle du pluralisme des
sources (qui privilégie la thèse de la réalité), v. Ch. HANNOUN, Le droit et les groupes de
sociétés, LGDJ 1991, p. 105 s.
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(6) Art. 1321 C. civ. ; cf. par ex. Rép. Dalloz Sociétés, « Société fictive », par J. CALAISAULOY (1971), n° 1 ; v. égal. note 8 ci-après. Contra : J.-Cl. Sociétés, Fasc. 7 ter, «
Consentement des parties - Sociétés fictives et frauduleuses » par A. MARTIN-SERF
(1991), n° 4 : « la fictivité d'une société est habituellement abordée comme une simple
espèce de la simulation, ce qui est une vision réductrice, pour ne pas dire inexacte du
phénomène. La simulation suppose à la fois un acte ostensible et un acte secret, or il
n'existe le plus souvent aucune contre-lettre derrière une société fictive » ; J.-D.
BREDIN, « Remarques sur la conception jurisprudentielle de l'acte simulé », RTD civ.,
1956.261, qui développe le même argument.
(7) On rappelle que la fraude ne fait pas partie des éléments constitutifs de la simulation.
V. Rép. Dalloz « Simulation », par J. GHESTIN, n° 2 et les auteurs cités ; V. égal. P. PIC,
note ss Cass. 11 avr. 1927 (DP, 1929.1.25) qui distingue trois types de simulation : deux
types licites, la simulation bienfaisante (telle que la donation déguisée) et la simulation
simplificatrice, et un type illicite, la simulation frauduleuse ; BREDIN, loc. cit. (note 6), n° 2.
Cependant il est vrai que, si elle ne constitue pas une fraude à la loi, la simulation n'en
comporte pas moins une « mise en scène destinée à tromper quelqu'un » et à ce titre constitue
une « fraude dans les relations privées » (ROUAST, Les grands adages coutumiers dans le
droit des obligations, « Cours de droit civil de doctorat polycopié », cité par Bredin, loc. cit.).
(8) V. not. CALAIS-AULOY, op. cit. (note 6), n° 1 et s. ; MARTIN-SERF, op. cit. (note
6), n° 4 et s. (qui semble cependant considérer qu'il peut y avoir fictivité par absence
d'affectio societatis sans qu'il y ait pour autant simulation) ; CARBONNIER, Les
obligations, n° 567 ; DEMOGUE, Traité des obligations, t. VII, n° 1140 ; RIPERT et
ROBLOT, Droit commercial, t. 1, 14 éd., LGDJ 1991, n° 723 ; WEILL et TERRE, Les
obligations, n° 567 ; MERLE, Droit commercial, sociétés commerciales, 2e éd., Dalloz 1990, n°
43 à 46 ; Lamy Sociétés Commerciales, éd. 1992, n° 428 et s. V. égal. M. DAGOT, La
simulation en droit privé (LGDJ 1967), p. 66 : « il y a société fictive lorsque l'on crée en
apparence une société en simulant l'existence des éléments du contrat de société ». En
jurisprudence, V. not. Civ. 11 avr. 1927, DP, 1929.1.25, note Pic ; Aix, 14 mai 1934, DP,
1937.1.57, note Pic ; Crim. 28 janv. 1959, JCP, 1959.II.11012, note Bouzat ; Soc. 26 oct.
1959, Bull. IV, n° 1056.
(9) V. not. CALAIS-AULOY, op. cit. (note 6), n° 11 à 13 ; MARTIN-SERF, op. cit. (note
6), n° 35 à 45.
(10) Req. 19 avr. 1932, S., 1933.1.321, note Esmein, DP, 1932.1.125, note Pilon ; Com. 10
juin 1953, JCP, 1954.II.7908, note Bastian.
(11) Civ. 13 févr. 1946, S., 1946.1.124 ; Soc. 30 avr. 1985, BRDA, 1985, n° 17, p. 9.
(12) Civ. 16 juin 1863, DP, 63.1.295 ; Civ 1re, 6 déc. 1972, Bull. I, n° 280 ; Com. 12 déc.
1978, Bull. IV n° 306, D., 1980.IR.161, obs. Bousquet.
(13) Civ. 11 avr. 1927, DP, 1929.1.25, note Pic (préc. note 8) ; Orléans, 18 juill. 1928,
DP, 1929.2.65, note Pic ; Aix, 7 avr. 1970, JCP, 1970.II.16466, obs. Schmidt à la Rev.
sociétés, 1971.576.
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(14) V. not. GHESTIN, op. cit. (note 7), n° 2 et s. ; MARTIN-SERF, op. cit. (note 6), n°
46.
(15) V. par ex. Com. 30 oct. 1967, Bull III, n° 346, obs. Houin à la RTD com., 1968.131.
(16) V. par ex. Civ. 13 déc. 1967, D., 1968.337, note P.L.
(17) C. Civ., art. 2092 et 2093 ; La théorie de l'unité du patrimoine reste indissociable des
e
noms d'AUBRY et RAU (v. en particulier de ces auteurs, Droit civil, t. V, 6
éd. par
Esmein, Ed. Techniques 1946).
(18) V. Fl. GISSEROT, « La confusion des patrimoines est-elle une source autonome
d'extension de faillite ? », RTD com., 1979.49 (n° 20) : « Souvent il ne s'agit pas de créer,
par une voie détournée, un patrimoine commercial d'affectation, une limitation des
risques que la loi ne prévoit pas ». V. égal. M. DAGOT et Chr. MOULY, « L'usage
personnel du crédit social et son abus », Rev. sociétés, 1988.1 (n° 2), pour qui la société,
d'abord technique de financement puis technique de protection, est aujourd'hui, compte
tenu de la multiplication des moyens de percer l'écran social, surtout une technique «
permettant d'organiser et de structurer une ou des activités économiques ». L'un des
premiers à avoir développé cette idée est J. PAILLUSSEAU in La société anonyme,
technique d'organisation de l'entreprise, Sirey 1967.
(19) Qui peuvent être assimilées à des contre-lettres (V. en ce sens MARTIN-SERF, op.
cit., note 6, n° 17).
(20) Civ. 1re, 26 mai 1954, JCP, 1954.II.8377 ; Com., 2 janv. 1967, Bull. III, n° 1. Ou
encore le fait que les comparses du maître de l'affaire « ont reconnu ne pas avoir eu à l'origine
l'affectio societatis nécessaire à la constitution d'une société » (Civ. 3e, 22 juin 1976, D.,
1977.619, note Diener).
(21) CALAIS-AULOY, op. cit. (note 6), n° 8 ; MARTIN-SERF, op. cit. (note 6), n° 18.
La présence d'un associé prépondérant, si elle n'est pas une condition suffisante de la
fictivité, n'en est pas non plus une condition nécessaire : la Cour de cassation a jugé que
le véritable maître de l'affaire, sous couvert d'une société fictive, pouvait être une
personne non associée qui s'était immiscée dans la gestion et avait pris toutes les
décisions dans son intérêt exclusif (Com. 3 nov. 1980, Bull IV, n° 358).
(22) V. en part. Req., 17 mai 1931, S., 1932.1.57 (participation de l'associé principal
atteignant 89 %) et Civ. 7 janv. 1946, S., 1947.1.33 (participation atteignant 98,75 %),
cités par Hannoun, op. cit. (note 5), p. 68 ; Com. 24 mai 1982, Rev. sociétés 1983.361, note
Béguin ; Paris, 31 mai 1989, Gaz. Pal., 1989.2.603, concl. av. gén. Tulli, note Marchi ;
Civ. 1re, 5 juill. 1989, Bull I, n° 272 (participation attegnant 99 %). Plus généralement, la
Cour de cassation a rappelé en 1982 (Com. 24 mai 1982, Rev. sociétés, 1983.361, note
Béguin) que l'appartenance au même groupe n'emporte aucune conséquence juridique
nécessaire et ne saurait à elle seule justifier la transmission à une société des obligations
d'une autre. V. dans le même sens Com. 20 oct. 1992, Rev. sociétés, 1993.449 ; 14 avr.
1992, JCP éd. E, 1992.I.166 ; 6 avr. 1993, Bull. Joly, 1993.677.
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(23) Civ. 1re, 26 mai 1954, préc. (note 20) ; Com. 23 juin 1954, Bull. III, n° 232, RTD
com., 1954.875 ; 15 mars 1955, Bull III, n° 100 ; 19 avr. 1961, Bull. III, n° 180 ; 18 mars
1963, Bull. III, n° 159 ; 11 juin 1974, Bull. IV, n° 188.
(24) Aix, 23 mai 1974, DS 1974, Somm. 106 ; Com. 21 déc. 1982, BRDA, 1983/12, p. 21,
obs. Merle à la RTD com., 1983.476.
(25) Com. 10 déc. 1957, Bull. III, n° 353, Rev. sociétés, 1958.38, RTD com., 1958.612, obs.
Houin ; 7 mars 1972, Bull. IV, n° 84, Rev. sociétés, 1973.339, obs. Sortais ; 11 juin 1974,
préc. (note 23) ; Paris, 26 nov. 1979, D., 1980, IR p. 322.
(26) Com. 27 avr. 1970, Bull. IV, n° 136 ; 28 nov. 1989, Rev. sociétés, 1990.240
.
(27) Cf. Martin-Serf, op. cit. (note 6), n° 29 et les décisions citées ; v. en part. Paris, 31
mai 1989, préc. (note 22) ; 21 nov. 1989, Bull. Joly, 1990.186, note Petel. V. égal Com.,
29 mai 1972, Bull. IV, n° 160.
(28) Com. 30 juin 1975, Bull. IV, n° 180.
(29) V. de façon caractéristique Paris, 31 mai 1989, préc. (note 22), qui indique que « [...]
malgré les liens étroits pouvant exister entre une société mère et sa filiale, celle-ci est
juridiquement distincte des personnes physiques ou morales qui la composent et cela
malgré l'importance de la participation que la société mère peut détenir dans le capital de
sa filiale ou l'existence de dirigeants communs ; [...] que ce principe de l'autonomie de la
personne morale a pour conséquence que mère et filiale ne répondent pas des dettes l'une
de l'autre [...] ; qu'ainsi la circonstance que la société Tenec ait eu le même dirigeant [...]
que Chaffoteaux et Maury qui détenait 100 % de son capital [...] ne sont pas suffisants
pour masquer la personnalité de Tenec qui avait un objet social complètement différent
de celui de Chaffoteaux et Maury » ; V. égal. Paris, 21 nov. 1989, préc. (note 27), qui va
jusqu'à énoncer que « [...] l'appartenance à un groupe de sociétés implique, d'une part,
l'existence entre ses membres de relations croisées fréquentes et régulières, constituées
par des liens financiers étroits, des liaisons économiques privilégiées, des rapports
commerciaux préférentiels, d'autre part un contrôle d'ensemble, une unité de décision,
une stratégie commune assurée par l'une des sociétés, la société mère [...] » ; que, cela
étant, en l'espèce, « les éléments de fait rassemblés par l'expert ne permettent pas
d'affirmer que l'interdépendance et la solidarité des filiales sous la direction de la société
mère ont dépassé le degré d'organisation inhérent à tout groupe de sociétés et que les
frontières entre les patrimoines respectifs de ces sociétés ont été abolies ou encore que
lesdites sociétés n'avaient qu'une personnalité morale fictive ; [...] dans ces conditions,
qu'il ne saurait être fait échec à l'application du principe posé par l'article 1842 du Code
civil selon lequel une société est une personne morale autonome possédant un
patrimoine qui est le gage des créanciers ».
(30) Civ. 1 re, 26 mai 1954, préc. (note 20) ; Com. 21 mai 1963, Bull. III, n° 245, RTD
Com., 1963.891, obs. Houin ; 30 oct. 1967, Bull III, n° 346, RTD com., 1968.131, obs.
Houin ; Com. 30 juin 1975, préc. (note 28) ; a contrario, Paris, 21 nov. 1989, préc. (note
27).
(31) V. par ex. Com. 19 juin 1967, Bull. III, n° 248, obs. Houin à la RTD com., 1968.131
(comptabilité de la société sans force probante, manipulation des fonds sociaux sans
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trace comptable par les associés) ; Com. 11 mai 1982, Bull. Joly, 1982.683 ; 6 avr. 1993
(préc. note 22), qui s'attache à l'activité réelle et distincte de celle de sa société-mère exercée
par la filiale. Paris, 25 fév. 1981, Gaz. Pal., 1981.2, Somm. 241 ; Paris, 5 mars 1985, BRDA
1985/9, p. 9.
(32) V. Paris, 5 mars 1985, préc. (note 31).
(33) Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (loi du 11 juill. 1985).
(34) MARTIN-SERF, op. cit. (note 6), n° 11. V. égal. MERCADAL et JANIN, Sociétés
commerciales, éd. Francis Lefebvre, 1994, n° 121.
(35) Cf. note 6.
(36) « Il n'y a pas en l'occurrence, comme dans les cas classiques de simulation, un
accord entre plusieurs personnes pour créer une apparence puisque par hypothèse la
société résulte d'un acte unilatéral. Il n'en reste pas moins que si l'associé unique a, au vu
et au su des tiers, confondu son patrimoine avec le patrimoine social, l'acte de société
aura permis une simulation puisque la société unipersonnelle n'a été conçue que comme
une façade destinée à masquer une affectation de patrimoine qui n'existait pas en réalité »
(op. cit., note 6, n° 11).
(37) V. en ce sens : pour la fictivité en général : P. PIC, « De la simulation dans les actes
de société », DH 1935, chron. 33 ; pour la fictivité par confusion de patrimoines :
SORTAIS, note ss Com. 28 mars 1977, Rev. sociétés, 1978.119, p. 121 ; A. BRUNET,
note ss Paris, 5 févr. 1979, Rev. jurisp. comm., 1979.226, n° 13.
(38) V. F. GISSEROT, loc. cit. (note 18), n° 11 : « ... il est certain qu'un secteur important
de l'économie nationale viendrait à être démantelé si toutes les société fictives étaient
rayées du jour au lendemain. ».
(39) V. CALAIS-AULOY, op. cit. (note 6), n° 10 : « une entreprise importante, par
exemple, pour décentraliser sa gestion, aura tendance à ériger les différents centres de
décision en filiales qui, dans bien des cas, seront des sociétés fictives comme sociétés
d'une seule personne ». V. dans le même sens J. AUDESSAT, « Société unipersonnelle et
patrimoine d'affectation », Rev. sociétés, 1974.221, p. 242 : « Et pourquoi donc [...] ces
filiales, qui fonctionnent et prospèrent pour le plus grand bien de l'économie, sont-elles
admises sans réticences, même par les esprits juridiques les plus chatouilleux ? [...] Parce
qu'elles sont utiles. C'est en quelque sorte leur utilité qui les légitime, aussi bien au plan
économique qu'au plan juridique. » V. égal. Cl. CHAMPAUD, Le pouvoir de concentration
de la société par action, Sirey, 1962, p. 273 : « ... l'unité de direction économique qui
caractérise le groupe tend à vider de sa substance juridique la personnalité morale des
sociétés subordonnées. La personne morale subsiste en apparence, mais elle tend à ne
plus être qu'une apparence ».
(40) Sur ce phénomène, V. K. KATZAROV, « Les entreprises d'Etat contiennent-elles la
personne juridique des anciennes entreprises », RTD com., 1957.313 ; AUDESSAT, op.
cit. (note 39).
(41) Sans doute peut-on objecter que les sociétés peuvent depuis 1985 (loi du 11 juill.
1985 créant l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) échapper à cette menace
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en transformant leurs filiales en EURL. On observe que la plupart d'entre-elles ne l'ont
pas fait, peut-être pour des raisons fiscales (les cessions de parts de SARL - donc d'EURL
- étant soumises à un droit d'enregistrement de 4,80 %), plus probablement parce qu'elles
n'ont simplement pas conscience d'être soumises à une réelle menace. De plus, la règle
selon laquelle une EURL ne peut être associé unique d'une autre EURL (Loi du 24 juill.
1966, art. 36-2, al. 1) limite la possibilité d'y avoir recours s'agissant de sous-filiales.
(42) Pour une illustration de la tendance inverse : Civ. 1re, 13 déc. 1967, D., 1968.337,
note P.L.
(43) ROUJOU DE BOUBEE, cité par J.-P. GASTAUD, Personnalité morale et droit
subjectif, LGDJ 1976, p. 20.
(44) Rev. sociétés, 86.585, obs. Y. Guyon, qui note que, semblant marquer sa volonté «
d'amorcer le contrôle d'une notion laissée jusqu'ici plus ou moins à l'appréciation des
juges du fond, la Cour de cassation « renoue avec la tradition classique, qui voit dans
l'affectio societatis une participation à la gestion volontaire et active, intéressée et égalitaire
». Il s'agissait en l'espèce de qualifier un société de fait. V. à ce sujet. P. DIENER, note ss
Civ. 3e, 22 juin 1976, D., 1977, p. 619 qui estime (n° 19) que la qualification de l'affectio
societatis est une question de droit s'agissant d'apprécier l'existence d'une société de fait
mais une simple question de fait s'agissant d'apprécier le caractère fictif d'une société. A
partir de ce raisonnement on peut se demander si la Cour de cassation n'a pas souhaité
réserver la définition très stricte de son arrêt de 1986 au cas des sociétés de fait.
Cependant on ne voit pas bien ce qui pourrait motiver une telle position, mis à part des
considérations d'opportunité (éviter la multiplication des requalifications de situations de
collaboration en sociétés de fait).
(45) V. Lamy sociétés 1993, n° 297 et la jurisprudence citée.
e
(46) Y. GUYON, Droit des affaires, t. 1, 6 éd. 1990, p. 125 ; V. dans le même sens
MERLE, Droit commercial - Sociétés commerciales, 2e éd., Dalloz 1990, n° 43 : « l'affectio
societatis souvent très forte chez les associés des sociétés de petite taille est inexistante
chez l'immense majorité des actionnaires des sociétés cotées en bourse ». V. égal.
HAMEL et LAGARDE, Droit commercial, t. 1, 2e éd., LGDJ 1980.
(47) La Cour de cassation a d'ailleurs jugé (Com. 19 mai 1969, Bull. IV, p. 177) que ne
donne pas de base légale à sa décision l'arrêt qui pour admettre l'existence d'une société
de fait entre deux personnes se borne à affirmer leur volonté de participer aux bénéfices
et aux pertes sans constater l'affectio sociétatis qui est distinct de cette volonté. V. dans le
même sens DE JUGLART et IPPOLITO, Droit commercial, vol. 2, Sociétés commerciales,
8e éd. 1988, n° 188 : « l'associé ne doit pas se contenter de faire des apports et d'attendre
qu'on lui envoie les comptes sociaux avec sa part dans les bénéfices comme dans les
pertes, ce qui serait une attitude passive de sa part. Il doit chercher à faire des bénéfices
en participant à la vie de la société. »
(48) Th. HASSLER, « L'intérêt commun », RTD com., 1984.581, p. 633.
(49) V. égal. DAGOT et MOULY, loc. cit. (note 18), n° 20, pour qui la notion dissimule «
sous une formalisation latine qui masque l'embarras, soit un grand vide, soit un trop
plein ».
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(50) V. sur cette tendance la note de J.-J. Burst ss Com. 4 janv. 1982, Rev. sociétés,
1983.95 : « La Cour de cassation a indiscutablement voulu mettre un frein aux abus que
pourrait engendrer une admission trop large des recours exercés par les créanciers d'une
société d'un groupe contre les autres sociétés du même groupe. Elle manifeste ainsi le souci
de ne pas réduire à néant certaines notions et principes essentiels : la notion de personnalité
morale, d'unité du patrimoine et de relativité des conventions ». V. égal. la note de M. Petel
sous Paris, 21 nov. 1989, préc. (note 30), approuvant l'arrêt commenté en ce qu'il « réagit
contre une tendance de la part de certaines juridictions à admettre trop facilement l'extension
d'une procédure collective à toutes les sociétés d'un même groupe sur la simple constatation
d'une interdépendance économique entre ces sociétés ».
(51) V. par ex. Com. 4 déc. 1979 (D., 1980.IR.322), qui, après avoir relevé l'existence
d'indices typiques de la confusion de patrimoines (en particulier la gérante de l'une des
sociétés disposait de la signature sur le compte de l'autre société dont elle était associée,
effectuait des achats communs et des paiements pour l'ensemble des sociétés qui n'ont pu
fonctionner que grâce aux fonds de l'exploitation qu'elle assurait directement) approuve
la cour d'appel d'avoir étendu à la gérante la liquidation de biens de l'une de ces sociétés
après avoir retenu que ces sociétés, « créées de concert par la gérante et un autre associé,
sous des dénominations choisies de façon à susciter la confusion, n'ont été que des
sociétés purement fictives ». Cet arrêt suscite une autre interrogation : la faillite de l'une
des sociétés a été étendue à la gérante, alors qu'il semble que l'apparence de confusion ait
été créée entre deux sociétés (et non entre la société en faillite et le patrimoine de la
gérante). La volonté de sanction est ici évidente.
(52) Préc. (note 22).
(53) Ainsi semble-t-il de deux arrêts rendus en 1929 par la chambre des requêtes (13 mai
1929, S., 1929.1.289 et 19 juin 1929, S., 1960.1.176) qui ont admis que deux sociétés ne
forment qu'un seul être moral lorsqu'elles ont « même siège social, même personnel,
même comptabilité, même caisse, même numéro de téléphone ».
(54) Préc. (note 50).
(55) « [...] que la cour d'appel, qui ne s'est pas bornée à déclarer pour se prononcer que
les deux sociétés en cause avaient une personnalité juridique propre a, dans l'exercice de
son pouvoir souverain, relevé que la [société créancière], tandis qu'elle facturait les
sommes réclamées à la [société débitrice] et tirait, en raison de ces sommes, des lettres de
change sur cette société, n'avait pu confondre l'activité et les intérêts de celle-ci avec ceux
de sa [société « grand-mère »] ».
(56) Dans le second cas, les créanciers devraient démontrer, outre la confusion des
activités et des patrimoines, le fait que cette confusion était suffisamment apparente pour
qu'ils aient légitimement pu confondre l'activité et les intérêts de deux sociétés.
(57) V. note 55.
(58) En effet, si les deux conditions sont cumulatives, la Cour d'appel aurait pu
précisément « se borner à déclarer que les deux sociétés en cause avaient une
personnalité juridique propre ». A moins que le terme « personnalité juridique propre »
recouvre la seule constatation superficielle que les deux sociétés sont deux personnes
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morales distinctes, sans rechercher si, s'agissant de la filiale, les éléments constitutifs d'un
véritable contrat de société sont effectivement réunis. V. Com. 11 mai 1993 (Bull. Joly
1993.1050, note Petel), qui indique que la Cour d'appel n'avait pas à rechercher si les tiers
pouvaient croire légitimement à une confusion de patrimoines. Le commentateur en déduit
que les tiers peuvent se prévaloir de l'apparence s'agissant de l'identité des sociétés, non de la
simple confusion de leurs patrimoines, qui, à ses yeux, est inspirée par de simples
considérations pratiques, « à savoir l'impossibilité d'apurer les comptes » entre les entités
concernées.
(59) « Il ne suffit donc pas pour mettre en cause une société d'un groupe - généralement
la société dominante - à raison des dettes contractées par une autre société du même
groupe de démontrer que tous les éléments constitutifs d'une société fictive sont réunis ; il
faut encore prouver que l'apparence créée par la société poursuivie a été de nature à
tromper le créancier et partant à lui causer un préjudice. » V. égal. J. BEGUIN, note ss
Com. 24 mai 1982, préc. (note 22), qui semble faire de l'apparence un des éléments de la
fictivité : « Encore faut-il, le plus souvent, pour que la Cour de cassation prenne une
décision [imposant à une société la prise en charge des obligations d'une autre] que
l'apparence invoquée ne soit pas uniquement psychologique. Mais que l'image de la
confusion ou de l'identité des firmes perçues comme formant une seule personne morale
soit accréditée par des indices concrets. Si ces indices concrets forment un faisceau
suffisant, les facteurs d'appréciation psychologique cessent d'être le centre de l'analyse.
Les juges notent que les tiers pouvaient s'y tromper, ou s'y sont effectivement trompés.
Mais ils notent surtout que les indices concrets rassemblés attestent qu'en effet les deux
sociétés n'offraient qu'un seul visage ». Mais on ne voit pas bien ce que seraient ces
indices « concrets » mis à part ceux précisément qui ont légitimement provoqué dans
l'esprit des tiers l'erreur consistant à croire que les deux sociétés étaient confondues.
D'ailleurs l'auteur relève parmi ces « indices concrets » la communauté d'implantation
géographique, la communauté de personnel, l'identité des dénominations, l'identité des
intitulés des comptes bancaires et postaux, qui sont justement typiques des circonstances
dans lesquelles les tiers ont pu plaider avec succès l'erreur légitime.
(60) V. GHESTIN, op. cit. (note 7) n° 59 ; N. FADEL RAAD, L'abus de la personnalité
morale en droit privé, LGDJ 1991, qui relève (n° 22) qu'en matière de simulation l'élément
psychologique se situe du côté des parties au contrat tandis que dans la théorie de
l'apparence cet élément psychologique se situe du côté des tiers.
e
(61) V. GHESTIN et GOUBEAUX, Traité de droit civil, « Introduction générale », 3 éd.,
LGDJ 1990, n° 771 et s.
(62) V. par ex. BEGUIN, note ss Com. 24 mai 1982, préc. (note 22), qui estime que les
créanciers « peuvent, sur le fondement de l'article 1321 du Code civil, invoquer
l'apparence de fictivité de la filiale qu'ils ont de bonne foi considérée comme une
succursale [...] ».
(63) V. en ce sens, mais concernant les sociétés fictives « du premier type » (celles
dissimulant non une absence de contrat mais un autre contrat ou acte juridique, en
l'occurrence une libéralité) MARTIN-SERF, op. cit. (note 6) n° 42 : « le reproche de
fictivité ne pourra pas non plus être avancé si la libéralité à occulter est réalisée non pas
lors de la constitution de la société mais au cours du fonctionnement de celle-ci. [...] La
société est alors plutôt un moyen de réaliser une libéralité que le masque dissimulant une
donation ». Comp. BREDIN, loc. cit. (note 6), n° 10.
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(64) Civ. 1re, 24 oct. 1978, Bull. I, n° 318.
(65) V. en ce sens M. DAGOT, La simulation en droit privé, LGDJ 1967, n° 76 à 84 ;
CALAIS-AULOY, op. cit. (note 6) n° 7 : « La fictivité n'existe d'ailleurs pas
nécessairement dès la constitution de la société : une société, d'abord réelle, peut être
rendue fictive par la mainmise progressive de l'un des associés. ».
(66) V. GHESTIN, op. cit. (note 7) n° 26, qui parle de « mensonge concerté ». V. égal.
ROUAST, op. cit. (note 7).
(67) Art. 9 ancien de la loi du 24 juill. 1966 ; loi du 30 déc. 1981 mettant en harmonie le
droit des sociétés avec la deuxième directive du conseil des communautés européennes
du 13 décembre 1976 : C. civ., art. 1844-5. Sur la contribution de cette réforme (alors en
gestation) à la théorie de l'institution, V. J. LEBLOND, « De le réunion de toutes les
parts ou actions d'une société entre les mains d'une seule personne au point de vue
juridique et fiscal », RTD com., 1963.417.
(68) V. MERCADAL et JANIN, Sociétés commerciales, éd. Francis Lefebvre 1994, n° 350
et la jurisprudence citée.
(69) Bull. III, n° 310 ; RTD com., 1968.129, obs. Houin.
(70) V. égal. Paris, 5 févr. 1979, préc. (note 37), qui distingue avec soin les deux
hypothèses, tout en semblant indiquer que la confusion de patrimoines, si elle est une
cause autonome d'extension de la faillite, est également l'une des conditions de la
me
fictivité. V. dans le même sens la note de M Brunet. V. égal. Paris, 21 nov. 1989, préc. (note
27).
(71) 3 nov. 1980, préc. (note 21).
(72) V. dans le même sens Com. 17 mars 1981, Bull. IV, n° 145.
(73) On rappelle cependant que la Cour de cassation n'étend en principe pas son contrôle
à la qualification de fictivité ou de confusion de patrimoines effectuée par les juges du
fond à partir des faits (v. par ex. Com. 20 juin 1984, Bull. IV, n° 203). V. cependant Com.
30 oct. 1989, Bull. IV, n° 240, par lequel la Cour suprême semble contrôler - pour
l'approuver - la qualification que la Cour d'appel fait de ses constatations et énonciations,
« qui font apparaître le caractère fictif » de la société.
(74) V. Paris, 5 févr. 1979, préc. (note 70) : « qu'en effet lorsque l'on est en présence non
d'une société réelle mais d'une société fictive créée par une ou plusieurs personnes
physiques ou morales, avec leurs capitaux et le concours de comparses et que le
patrimoine social est la propriété de cette ou de ces personnes qui l'exploitent sous le
nom de la société de façade il est normal que la liquidation des biens soit étendue à cette
ou ces personnes puisqu'en définitive elles ne forment' qu'une seule et même personne
avec la société fictive ».
(75) V. en ce sens ARTZ, « L'extension du règlement judiciaire ou de la liquidation de
biens aux dirigeants sociaux », RTD com., 1975.1 (n° 13) ; BRUNET, loc. cit. (note 70) ;
BEAUBRUN, « La confusion des patrimoines au regard des procédures collectives de
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liquidation du passif », Rev. jurispr. comm., 1980.41 (n° 20). V. égal. Paris, 26 nov. 1979,
préc.
(76) V. GHESTIN, op. cit. (note 7), n° 63.
(77) Loc. cit. (note 18), n° 13.
(78) Bull. III, n° 2 ; obs. Houin à la RTD com. 1958.613. Dans cette espèce, les deux
uniques associés d'une SARL avaient mis l'actif en coupe réglée et la Cour de cassation a
appliqué le régime de la faillite des sociétés fictives malgré l'argument présenté par les
associés selon lequel, détenant à eux seuls la totalité du capital, ils ne sauraient se voir
reprocher de s'être conduits en maîtres de la société. Est sous-jacente l'idée que la
protection du patrimoine de la société doit être assurée non seulement dans l'intérêt des
associés, mais également dans celui des créanciers.
(79) « Entretien sur la pluralité des masses », Rev. jurispr. comm. 1962.160.
(80) V. en ce sens GISSEROT, loc. cit. (note 18), pour qui « l'unité de masse est le résultat
logique de l'unicité de débiteur » (n° 4), et qui estime que le critère de la confusion de
patrimoines est plus révélateur du caractère factice d'une société que celui du défaut
d'affectio societatis (n° 13) ; symétriquement, Houin, obs. ss Com. 7 mars 1972, RTD com.
1973.355, pour qui la confusion de patrimoines existe « du seul fait que les sociétés
étaient de pure façade et cachaient une « entreprise unique ».
(81) V. en ce sens BELLANGER, loc. cit. (note 79) n° 54 ; DERRIDA, note ss Com. 15
mars 1982, D., 1982.404, qui considère que les deux concepts de société fictive et de
confusion des patrimoines (qui peut être totale ou seulement partielle), « doivent [...] être
soigneusement distingués, notamment parce que la fictivité d'une société implique un
patrimoine unique, tandis que la confusion en suppose nécessairement au moins deux »,
et qu'en cas de confusion, même totale, des patrimoines, « il ne peut y avoir extension de
plano à l'un des exploitants de la procédure collective ouverte contre un autre, comme
c'est le cas pour une société fictive ».
(82) DERRIDA, note préc. (note 81), n° 2. Paris, 29 mai 1978 (Rev. sociétés, 1979.373,
note J.-P. Sortais) : « [...] le tribunal qui a ordonné la liquidation des biens d'une société a
aussi la possibilité de l'étendre à une autre personne morale dans deux cas, lorsque la
société a été créée de toutes pièces par cette personne, avec ses capitaux propres et le
concours de comparses, parce que, dans ce cas, le patrimoine social est en réalité la
propriété de celui qui l'exploite sous le nom de la société fictive et qu'en définitive l'une et
l'autre ne font qu'une seule et même personne, et aussi, lorsqu'on est en présence de deux
personnes physiques ou morales qui, tout en étant des sujets de droit autonomes,
indépendants et ayant des patrimoines distincts, les ont confondus, les éléments de l'une
se trouvant dans l'autre et réciproquement ; que, dans ces deux cas, en raison de la
fictivité de la société ou de l'imbrication née de la confusion, il ne peut y avoir qu'une
seule liquidation de biens avec une seule masse ». Cette opinion semble confirmée par la
jurisprudence récente de la Cour de cassation (Com. 8 nov. 1988, D . 1989, Somm. p.
372, obs. Honorat ; 20 oct. 1992, BRDA, 1992, n° 22, p. 13), qui distingue clairement la
notion de confusion de patrimoines de celle de fictivité, en présentant les deux notions
comme les deux uniques justifications de l'extension de la liquidation judiciaire d'une
société à une autre. V. égal. en ce sens Paris, 21 nov. 1989, préc. (note 30).
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(83) BRUNET, note préc., n° 14 et s., qui considère même qu'au sein de cette hypothèse
la confusion de patrimoines peut soit révéler l'existence d'une entreprise commune, et
dans ce cas permettre de déclarer la faillite commune à toutes les personnes qui ont
confondu leurs patrimoines, soit être réalisée entre un société « dotée d'une existence
réelle » et un dirigeant qui la gère dans son intérêt personnel, et dans ce cas justifier la
mise en redressement judiciaire ou en liquidation de biens de ce dirigeant sur le
fondement de l'article 101 de la loi du 13 juillet 1967 (remplacé depuis par l'art. 182 de la
loi du 25 janv. 1985).
(84) On se place dans l'hypothèse d'une simulation non frauduleuse.
(85) GHESTIN, op. cit. (note 7), n° 30.
(86) A supposer, bien évidemment, que ce contrat soit lui même valable. V. GHESTIN,
op. cit. (note 7), n° 33.
(87) Tel n'est pas le cas naturellement si les tiers exercent par voie oblique l'action dont
dispose leur débiteur associé de la société simulée. V. en ce sens Civ. 1re, 12 oct. 1982,
Bull. I, n° 284.
(88) V. GHESTIN, op. cit. (note 7), n° 61 et s., n° 69 et s., n° 91. V. également Com., 21
mars 1977, Bull. IV, n° 90.
(89) V. GHESTIN, op. cit., n° 56.
(90) V. GHESTIN, op. cit., n° 65 et s.
(91) Car ne faire prévaloir l'apparence que dans les cas où l'erreur des tiers qui
l'invoquent est légitime, et donc faire prévaloir la contre-lettre dans les autres cas, c'est
rendre dans ces cas la contre-lettre opposable à des tiers qui lui préfèrent l'apparence, et
donc corriger le principe posé par l'article 1321 du Code civil. V. M. DE
GAUDEMARIS, « Théorie de l'apparence et sociétés », Rev. sociétés, 1991, p. 465, n° 12
, qui justifie cette solution par le fait que « ce conflit [entre tiers de bonne foi] relève
plus de la théorie de l'apparence que de celle de la simulation, puisqu'il oppose des tiers
entre eux et non un tiers aux simulateurs ».
(92) Alors que si la société est qualifiée de prête-nom du maître de l'affaire, l'action en
déclaration de simulation devrait permettre aux créanciers de faire réintégrer dans le
patrimoine du maître de l'affaire les dettes contractées par la société pour le compte de ce
dernier.
(93) V. PIC, loc. cit. (note 37), p. 38 ; CALAIS-AULOY, op. cit. (note 6), n° 3 et 16, qui
considère que la notion d'inexistence et ses effets n'ont pas été remis en cause par la loi
du 24 juillet 1966 car « des règles écrites pour celle-là [la nullité] ne sauraient s'appliquer
à celle-ci [l'inexistence] » ; CHARTIER, Droit des affaires, t. 2, « sociétés commerciales »,
PUF 1992, p. 161.
(94) C. civ., art. 1844-15 pour les sociétés civiles ; loi du 24 juill. 1966, art. 368 pour les
sociétés commerciales.
(95) C. civ., art. 1844-14 pour les sociétés civiles ; loi du 24 juill. 1966, art. 367 pour les
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sociétés commerciales.
(96) C. civ., art. 1844-11 pour les sociétés civiles ; loi du 24 juill. 1966, art. 362 pour les
sociétés commerciales.
(97) C. civ., art. 1844-17 pour les sociétés civiles ; loi du 24 juill. 1966, art. 370 pour les
sociétés commerciales.
(98) Sur le déclin et la survivance de la théorie de l'inexistence, v. X. BARRE, « Nullité
et inexistence ou les bégaiements de la technique juridique », Les Petites Affiches, 30 juill.
1993, n° 91, p. 7.
(99) Civ. 3e, 22 juin 1976, préc. (note 44).
(100) JCP, 1992, Pan. 1025 ; Dr. sociétés, 1992, n° 178 ; Bull. Joly, 1992.313, p. 960. Pour
une prise de position doctrinale regrettant cette jurisprudence au motif que « l'inexistence
constitue une soupape de sécurité du régime des nullités », v. note ss Paris, 1 er déc. 1992, Dr.
sociétés, mars 1993, n° 48.
(101) GAUDEMARIS, loc. cit. (note 91), n° 15.
(102) C. civ., art. 1844-10.
(103) Art. L. 360.
(104) En outre, la nullité des SARL et des sociétés par actions « ne peut résulter ni d'un
vice de consentement, ni de l'incapacité, à moins que celle-ci n'atteigne tous les associés
fondateurs » (art. L. 360, préc.).
(105) « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un
contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de
partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. [...] ».
(106) Qui sont - pour des raisons évidentes tenant à la responsabilité limitée de leurs
associés - celles dont la fictivité est le plus souvent invoquée.
(107) Ces causes sont :
a) le défaut d'acte constitutif ou l'inobservation, soit des formalités de contrôle préventif,
soit de la forme authentique ;
b) le caractère illicite ou contraire à l'ordre public de l'objet de la société ;
c) l'absence, dans l'acte constitutif ou dans les statuts, de toute indication au sujet soit de
la dénomination de la société, soit des apports, soit du montant du capital souscrit, soit
de l'objet social ;
d) l'inobservation des dispositions de la législation nationale relatives à la libération
minimale du capital social ;
e) l'incapacité de tous les associés fondateurs ;
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f) le fait que, contrairement à la législation nationale régissant les sociétés, le nombre des
associés fondateurs est inférieur à deux ».
(108) L'art. 11 mentionne cependant « le caractère illicite ou contraire à l'ordre public de
l'objet de la société ». Mais la CJCE a donné de cette disposition une interprétation très
restrictive et formelle en considérant que le terme « objet » désigne l'objet social tel qu'il
est décrit dans les statuts, ce qui fait perdre à ce chef de nullité presque tout son intérêt
pratique (CJCE, 13 nov. 1990, Marleasing S.A., Bull. Joly, 1991/2, p. 190, JCP,
1991.II.21658, note Level) ; v. égal. SAINTOURENS, « Les causes de nullité des
sociétés : l'impact de la 1ère directive CEE de 1968 sur les sociétés, interprétée par la cour
de justice des communautés européennes », Bull. Joly, 1991/2, p. 190.
(109) V. art. 11, paragraphe f), préc. (note 107).
(110) Préc. (note 108).
(111) C. civ., art. 1842 : « les sociétés jouissent de la personnalité morale à compter de
leur immatriculation ». V. égal. la réforme de la société en participation opérée par la loi
du 4 janv. 1978 : l'art. 419 de la loi du 24 juill. 1966, qui disposait que « la société en
participation [...] n'est pas soumise à publicité [...] » a été abrogé par cette loi et remplacé
par l'art. 1871 C. civ. qui dispose que « les associés peuvent convenir que la société ne
sera point immatriculée », la société n'ayant en conséquence pas la personnalité morale.
Ainsi, c'est l'absence de personnalité morale qui découle de la non-immatriculation, et
non plus l'absence de nécessité d'immatriculer qui découle de l'absence de personnalité
morale. V. en ce sens Fadel RAAD, op. cit. (note 60), n° 31.
(112) V. not. PAILLUSSAU, La société anonyme, technique d'organisation de l'entreprise,
Sirey 1967 ; CONTIN et HOVASSE, « L'autonomie patrimoniale des sociétés », D.,
1971, chron. p. 197.
(113) De même que la fictivité pour simple défaut d'affectio societatis, qui a presque
disparu en droit positif (mis à part le cas de simulation au sens strict dans lequel le
contrat de société dissimule ab initio un autre contrat ou acte juridique) sanctionnait,
dans la conception contractuelle, l'usage abusif d'un outil juridique alors conçu comme
étant avant tout le moyen d'expression d'une collaboration.
(114) Op. cit. (note 5), n° 264 et s.
(115) Note ss Req., 13 mai 1929, S., 1929.1.289.
(116) Note ss Com. 10 juin 1953, JCP, 1954.II.7908, cité par Bredin, loc. cit. (note 6), n°
18.
(117) Loc. cit. (note 6), spéc. n° 9 ; v. égal. BOULANGER, « La simulation », Ency.
Dalloz, Rép. Dr. civ., 1955, cité par Bredin (loc. cit. ) : « il n'y a pas de simulation si l'acte
apparent échappe au pouvoir destructeur qui s'affirmerait dans l'acte secret ».
(118) Mais estime que les tribunaux parviendraient aux mêmes effets en s'attachant à
établir, plutôt que la simulation, l'absence d'affectio societatis. Il serait donc abusif de
ranger M. Bredin, du moins au seul vu de l'article cité, au rang des partisans de la théorie
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institutionnelle de la société.
(119) Op. cit. (note 5), n° 99 et s.
(120) V. cep. P. SERLOOTEN, « L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée »,
D., 1985, chron. 187, pour qui la société, « qu'on y voie un contrat ou une institution, ne
se conçoit que si elle comporte au moins deux associés ». Cette prise de position n'est à
nos yeux pas réellement justifiée par l'argumentation de l'auteur qui, très critique à
l'égard de la société unipersonnelle (à laquelle il préfère la solution du patrimoine
d'affectation) avance cependant un argument de poids en rappelant que la jurisprudence
qui fonde la théorie de la réalité de la personne morale (Civ. 2e, 28 janv. 1954, préc. note
5) est fondée sur la notion de groupement. Ne représentant pas un groupement, la société
unipersonnelle ne serait donc pas susceptible, sauf distorsion législative, d'acquérir la
personnalité morale.
(121) Exception à la nullité de plein droit en cas de réunion de toutes les parts ou actions
en une seule main (généralisée en 1981) ; création de l'EURL (1985).
(122) Et bien auparavant, la nécessité de cette évolution avait été pressentie par le doyen
Hamel (cf. sa chron. au D., 1949.141, « La personnalité morale et ses limites »).
(123) C'est le cas en particulier des législations allemande et néerlandaise et de la loi
américaine. V. en particulier GRISOLI, « La société d'une seule personne en droit
comparé », Mélanges Jauffret, 1974, p. 361.
(124) Puisque tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société si la
situation n'a pas été régularisée au bout d'un an.
(125) J.-P. SORTAIS, note ss Com. 7 mars 1972, préc. (note 25).
(126) Comp. BREDIN, loc. cit. (note 6), n° 10, qui distingue, après Esmein, la simulation
du « procédé détourné en vue d'atteindre un certain résultat » et qui relève que, dans le
deuxième cas, « pour frapper d'inefficacité la manoeuvre, les tribunaux n'affirment pas la
nullité de l'acte, ils se contentent en général d'empêcher la réalisation du but illicite
poursuivi ».
(127) V. Civ., 7 janv. 1946, D., 1946.I.132 ; Com. 27 avr. 1970, Bull. IV, n° 136. V. égal,
le célèbre arrêt Lamborn (Req., 20 nov. 1922, S., 1926.1.305, note Rousseau) qui, à l'inverse,
condamne la filiale à prendre en charge les dettes de sa mère étrangère ; plus récemment
Com. 5 févr. 1991, Bull. Joly, avr. 1991, n° 125, note Delebecque, qui semble cependant
implicitement se fonder sur la théorie de l'apparence. V. les autres décisions citées par M.
Hannoun, op. cit., p. 51 et s.
(128) Mais dans ce cas la simulation dont résulte la convention de prête-nom implique-telle nécessairement que la société elle-même est également simulée ? On est plutôt dans
l'hypothèse de la société de façade, société réelle dissimulant l'activité du maître de
l'affaire.
DOC 3 :
Note J. Pagès (D. 1993.23), à propos de Cass. com. 28 janv. 1992, Bull. civ. IV, no 36
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Recueil Dalloz 1993 p. 23
La nullité d'une société constituée par un époux en fraude des droits de son épouse : nécessité
de constater que tous les associés ont concouru à cette fraude
Jeanne Pages
NOTE
[1] Le statut des biens communs offre de multiples occasions de fraude. Le risque était
considérable avant la réforme de 1985, les deux époux ne gérant pas conjointement les
biens communs. Il n'a pas complètement disparu depuis cette date, surtout lorsque le
régime communautaire, construit sur une toile de fond de confiance réciproque, est vécu
dans un contexte de mésentente et de crise conjugale.
La difficulté naît à l'analyse des contentieux, lorsqu'il faut tenter de cerner une notion
multiforme (1) comme celle de la fraude, en corrélation avec un système aussi construit
que celui du régime matrimonial, et dans le cadre de l'exercice du droit des sociétés !
La difficulté s'accroît lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la nullité d'une société, sachant avec
quelle résistance droit national et droit communautaire organisent le recours à cette sanction.
L'arrêt analysé est intéressant à bien des titres. La Chambre commerciale casse un arrêt
de la Cour d'appel de Besançon qui avait annulé pour « cause illicite » une société créée à
l'initiative d'un époux avec d'autres associés, considérant que cette constitution était une
manoeuvre pour frauder aux intérêts de son épouse.
Un des intérêts de l'arrêt consiste dans l'accueil de la prétention des demandeurs au
pourvoi. Reprenant la définition classique du moyen de pur droit, « celui qui est
nécessairement dans la cause, parce qu'il n'exige l'appréciation d'aucun fait non déduit
devant les juges du fond » (2), la Cour déclare recevable le moyen contesté par la
défense. Le mari et la SARL soutenaient que la nullité ne pouvait être prononcée que si
tous les associés avaient été complices de la fraude.
En effet, il est remarquable que la Chambre commerciale reste discrète apparemment sur
le recours à la cause illicite comme fondement possible de la nullité de la société pour ne
se situer que sur celui de la fraude.
Et alors que la fraude dans la gestion des biens communs est généralement sanctionnée
par l'inopposabilité - ce qui a reçu une consécration légale dans l'art. 1421 c. civ. - elle
accède par cet arrêt à la qualité de cause de nullité sur le fondement de l'art. 360 de la loi
du 24 juill. 1966 très restrictif en principe (I). Devant la rareté des décisions de la
Chambre commerciale en matière de nullité de société, il est tentant de s'interroger à
l'heure de la confirmation de la construction européenne pour savoir comment cette prise
de position se situe par rapport à la jurisprudence de la Cour de justice des
Communautés européennes qui ne se prive pas d'interprétation « autoritaire » (II).
I. - Mariés le 24 avr. 1965 sous le régime de la communauté légale les deux époux
avaient créé un fonds artisanal. Exploité dans un premier temps par les deux conjoints, le
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fonds l'avait été ensuite par le seul mari. Alors qu'une mésentente conjugale s'installait, il
organisait un montage sociétaire avec plusieurs associés dont un était expert-comptable,
réaménageant ainsi à la fois son statut professionnel et le régime juridique d'exploitation du
fonds commun.
Cette opération réalisée le 10 févr. 1986, peu de temps avant le divorce des conjoints, ne fit
pas l'objet d'une information en direction de l'épouse au moment de l'apport, malgré la
prescription légale de l'art. 1832-2. Cette absence de notification laisse peser bien
évidemment une lourde présomption d'intention frauduleuse aussi bien de la part du mari que
de l'un des associés au moins qui ne pouvait pas ignorer les formalités de constitution de
société compte tenu de sa profession.
L'autre objet d'étonnement consiste dans la formulation de l'objet social statutaire : « la prise
en location-gérance du fonds ». La signature de cette location-gérance le jour de la
constitution de la société entre le mari bailleur et lui-même en tant que gérant minoritaire de
la SARL locataire, pour un loyer mensuel très inférieur aux revenus de l'exploitation du fonds
commun à titre individuel, constitue encore une source de suspicion.
L'épouse ne fut informée que le 8 avr. 1986, par une lettre adressée par l'expertcomptable associé, de l'apport fait par son conjoint à la société. Estimant que la création
de cette société n'avait été effectuée que pour faire échec à ses droits, elle fit alors assigner
la SARL ainsi que ses associés devant le Tribunal de grande instance de Belfort à l'effet
de voir prononcer la nullité de la SARL ainsi que la nullité de la location-gérance. Par
jugement du 13 juill. 1988 le Tribunal de Belfort retenait l'existence d'une fraude et
prononçait la nullité de la société.
Ayant interjeté appel de ce jugement, la SARL et les associés plaidaient devant la Cour
d'appel de Besançon l'absence de cause de nullité, estimant que l'époux n'avait en aucune
façon excédé ses pouvoirs.
Rappelant que l'époux avait le droit de mettre en location-gérance le fonds qu'il exploitait
seul, la cour d'appel (3) confirmait le jugement de Belfort.
Ce rappel de la procédure a pour objectif de révéler :
- en premier lieu l'erreur qui s'est insérée dans la rédaction de l'arrêt de la Cour de
cassation reproduit ici dans son « originalité ». La cour d'appel ne s'était pas fondée sur
l'art. 1424 c. civ. (ce qui aurait été surprenant) (4) mais sur l'art. 1421 c. civ. (5).
- en second lieu le choix du fondement de l'annulation possible, par la Chambre
commerciale (A) afin de mieux mesurer l'intérêt de la décision quant aux conditions de
l'annulation (B).
A. - La cour d'appel a bâti son dispositif sur l'indivisibilité entre deux contrats. Partant du
contrat de location-gérance qu'elle annule pour fraude, elle considère que le
détournement des pouvoirs du mari n'a pu être réalisé que grâce à la constitution de la
SARL : cette corrélation constituant pour elle la cause illicite du contrat de société.
Plusieurs remarques s'imposent. La cour d'appel annule le contrat de location-gérance alors
que l'art. 1421 c. civ. a depuis la loi de 1985 opté pour l'inopposabilité au conjoint
des actes frauduleux, mettant logiquement un terme, et tout au moins un frein, à une
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jurisprudence qui en application du texte antérieur, silencieux sur la sanction, choisissait
d'annuler les actes frauduleux (6). La cour d'appel considérait qu'il y avait cause illicite
du contrat de société parce que la société était la technique juridique qui permettait la
réalisation de cette fraude.
La Cour de cassation se situe exclusivement sur le terrain de la nullité de la société. Les
demandeurs au pourvoi contestaient cependant les deux annulations, celle de la locationgérance et celle de la société.
Sous le seul visa de l'art. 360 de la loi du 24 juill. 1966, la Chambre commerciale retient
la fraude comme cause de nullité pour une société soumise à la première directive
communautaire. Par cet arrêt la Chambre commerciale semble redonner à la fraude son
indépendance alors qu'elle est très souvent englobée dans la théorie de la cause illicite.
En effet le recours à l'annulation pour cause illicite des contrats en général, et de la
société en particulier, englobe le cas de la fraude. La doctrine reste cependant partagée.
Certains auteurs considèrent sans difficulté que les contrats de société conclus
uniquement dans une perspective frauduleuse doivent être annulés sous couvert de cause
illicite (7). D'autres auteurs considèrent au contraire que la fraude constitue une cause
autonome de nullité (8). La jurisprudence n'adopte pas une conception très stricte de la
cause illicite ou immorale (9) : la plupart du temps l'intention frauduleuse peut donner
lieu à l'application de l'art. 1131 c. civ. Une doctrine autorisée
(10) sur la position
possible des conseillers de la Cour de cassation a pu écrire que bien que l'on puisse
affirmer que « la nullité d'une société ne peut pas être prononcée pour fraude puisqu'il ne
s'agit pas d'une nullité expressément prévue par la loi de 1966 ou la réglementation
applicable au contrat, il était possible de penser cependant que les tribunaux qui n'ont
jamais hésité à annuler les contrats entachés de fraude, en particulier les contrats de
société, pourraient continuer à le faire sous l'empire de la loi de 1966 ».
La fraude n'en demeure pas moins une notion spécifique. Elle peut consister dans le
consentement donné à la création d'une société exclusivement pour faire échec à des
droits déterminés tout en se désintéressant des effets normaux d'un contrat de société. Or
la société peut être considérée comme frauduleuse en portant atteinte aux droits de
l'épouse. Sa constitution en effet a eu pour objet de créer un cocontractant au mari pour
lui permettre de réaliser une location-gérance dans des conditions qui pouvaient faire
diminuer la valeur du gage général de l'épouse.
La collusion frauduleuse de tous les associés permettrait en effet de caractériser la
véritable finalité de la technique sociétaire et empêcherait de voir dans ce montage une
habileté permise. Il est vrai que devenir gérant salarié d'une SARL, locataire-gérant du
fonds, dont on reste propriétaire, peut être un montage juridique astucieux, eu égard au
statut social et fiscal que l'époux exploitant peut obtenir. Il y aurait fraude cependant à
opposer à l'application normale des règles du régime matrimonial un montage juridique
qui apparaîtrait comme un obstacle artificiel. « Frauder la loi n'est pas en écarter
l'application par un moyen légal, c'est en éluder l'observation dans les cas où on avait le
devoir de la respecter » (11). Si pour un époux la fraude naît de la conscience d'une
atteinte portée à l'intérêt de la communauté, il n'est pas possible de présumer cette
intention de la part de tous les associés. La Chambre commerciale exige la preuve du
véritable « détournement de la personnalité morale » que peut constituer le concours
frauduleux de plusieurs associés.
B. - On pourrait peut-être considérer qu'en exigeant la fraude de tous les associés la Chambre
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commerciale exige plus encore en 1992 que la Chambre civile a pu le faire le 12 juill.
1989 en restant sur le terrain de la cause illicite. La Chambre civile, dans cette décision,
avait précisé à la fois les deux conceptions de la cause (objective et subjective) et elle
avait confirmé la jurisprudence exprimée nettement depuis 1956 (12). Elle avait pris le
soin cependant de souligner que l'exigence de la cause illicite commune aux contractants
n'est pas celle d'un projet illicite commun, mais seulement d'une connaissance du mobile
animant le partenaire contractuel (13). Ici la Chambre commerciale exige « que tous les
associés aient concouru à la fraude ». C'est bien le consentement à une fraude commune,
et pas seulement sa connaissance que la Chambre commerciale exige, et cela se conçoit
aisément.
Le contrat de société n'est pas un contrat ordinaire. Il est un « contrat de groupement »
(14) qui permet à plusieurs personnes de s'unir en vue de la constitution et de
l'organisation d'une entreprise. La spécificité de ce contrat réside dans « l'intérêt commun
» des parties au contrat, alors que dans les autres contrats synallagmatiques les intérêts
des parties sont antagonistes
(15). Un projet commun frauduleux ne peut que
détourner la finalité du contrat de société et être contraire à l'ordre public. En faisant
accéder la fraude commune dans une SARL à la qualité de cause de nullité sous le visa
de l'art. 360 de la loi de 1966, la Chambre commerciale manifeste ici cependant une
résistance certaine à l'interdit posé avec force par la Cour de justice des Communautés
européennes le 13 nov. 1990 (16).
II. - Il ne suffit pas de cerner sur quel fondement s'est placée la Chambre commerciale
sous le visa de l'art. 360 de la loi du 24 juill. 1966 mais il faut encore s'interroger sur la
portée de cet arrêt au regard de la conformité de notre droit national avec le droit
communautaire. « La théorie de la fraude est un moyen de garder le contrôle de
l'application des normes juridiques en permettant d'y déroger au nom de la sauvegarde
du droit tout entier » (17). Tandis que certains auteurs persistent à préciser que la
fraude ne peut être cause de nullité ni pour une SARL ni pour une société anonyme la
référence à l'art. 360
(18) contredit-elle la thèse de ceux qui la font échapper aux
restrictions du régime de la nullité ? On sait que la Cour de cassation elle-même a eu
recours à d'autres sanctions telle l'inexistence. Si certains auteurs (19) s'interrogeaient
sur la subversion de la théorie des nullités que le choix de cette sanction pourrait
entraîner, leur inquiétude peut être apaisée. La Chambre commerciale opère un véritable
rétablissement en matière de sanction des conditions de validité de la société. En faisant
de la fraude une cause autonome de nullité de la société, la Chambre commerciale ne se
plie pas à la double injonction du juge communautaire qui, dans l'arrêt Marleasing,
premièrement exige que le juge national interprète son propre droit conformément à la
directive et deuxièmement qu'il élimine des causes de nullité celles non prévues par la
directive.
La réforme « indirecte du droit français des sociétés »
(20) qu'opère l'arrêt
Marleasingserait-elle passée inaperçue ? La Chambre commerciale s'est-elle donné
l'occasion de résister à une autorité juridictionnelle qui se voudrait trop directive ?
L'Assemblée plénière de la Cour de cassation avait pourtant reconnu la suprématie de la
norme communautaire à propos de la continuation des contrats de travail en cas de
modification de la situation juridique de l'employeur (21). L'effet direct du principe
communautaire vient d'être à nouveau rappelé à la fois par la Cour de justice des
Communautés européennes le 30 mai 1991
(22) à propos de l'interprétation de la
deuxième directive en cas d'augmentation de capital, et par le Conseil d'Etat qui, le 28
févr. 1992, a affirmé que la directive l'emporte sur toute disposition législative
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incompatible avec les objectifs qu'elle a fixés
(23).
En réalité, plus que la nullité en tant que sanction des conditions de validité d'un contrat, la
Chambre commerciale utilise ici la nullité comme sanction de l'abus de la personnalité
morale. Il apparaît et doit être sanctionné lorsque la société ne se présente exclusivement que
comme un écran, lorsqu'elle n'est qu'un instrument juridique dénué de toute effectivité, qu'elle
est entièrement détournée de sa vocation légale telle que la définit l'art. 1832 c. civ.
La formulation de l'objet social « prise en location-gérance » nous permet de douter de la
volonté de collaborer à une oeuvre commune, sur un pied d'égalité, qui caractérise la
société. Ainsi, sans pouvoir se situer sur le terrain de la société fictive, car le moyen ne
dirigeait pas l'action dans ce sens, c'est de façon implicite que la Chambre commerciale
considère la SARL constituée par le mari et d'autres associés comme fictive s'ils se
réunissaient sur un projet commun frauduleux. Or une société fictive est une société
nulle (24). Une recherche des conditions réelles de l'acte serait nécessaire pour mettre
en évidence le caractère frauduleux de l'apparence.
Mots clés :
SOCIETE A RESPONSABILITE LIMITEE * Nullité * Associé * Fraude * Constatation *
Recherche nécessaire
(1) Vidal, Essai d'une théorie générale de la fraude en droit français, 1957 ; F. ChevallierDumas, La fraude dans les régimes matrimoniaux, RTD civ. 1979.40 ; J.-P. Langlade, La
fraude dans les régimes matrimoniaux, thèse, Paris II, 1976.
(2) Boré, in Rép. pr. civ. Dalloz, v° Cassation, n° 2591 s. ; obs. Guinchard sous Com. 26 oct.
1983, Gaz. Pal. 1984.1. Pan. 70 ; note Le Cannu, Bull. Joly, avr. 1992.420.
(3) Besançon, 16 mai 1990, JCP 1991.II.21756, note A. Tisserand.
(4) Le Cannu, note préc.
(5) « Attendu que la location-gérance qui a donc été consentie en fraude des droits de
l'épouse doit être considérée comme nulle en application de l'art. 1421 c. civ. ; que la
société qui n'a été instituée que pour permettre la réalisation de cette fraude est
également nulle, pour cause illicite en vertu de l'art. 1131 c. civ. ; attendu qu'il convient
donc de confirmer le jugement entrepris, en prononçant en tant que de besoin la nullité
de la location-gérance ... ».
(6) G. Blanc, De l'idée d'association comme fondement du pouvoir des époux communs
en biens, RTD civ. 1988.31 s. ; V. Civ. 1re, 24 oct. 1977, D. 1978.290, note PoissonDrocourt ; RTD civ. 1979.414, obs. Savatier, et 604, obs. Nerson ; 21 juin 1978, Bull. civ.
I, n° 237 ; D. 1979.479, note Chartier ; D. 1979. IR. 75, obs. Martin et 141, obs. Vasseur ;
Defrénois 1979, art. 31936, p. 487, obs. Champenois ; 31 janv. 1984, Bull. civ. I, n° 38.
(7) J. Mestre, Lamy Sociétés commerciales, 1992, n° 192.
(8) Stoufflet, Sociétés fictives et frauduleuses, J.-Cl. Sociétés, fasc. 7 ter ; M. Jeantin, Droit
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des sociétés, Domat, 2e éd., n° 331.
(9) Ghestin, Traité de droit civil. Introduction générale, n° 764.
(10) P. Bézard, La société anonyme, Montchrestien, n° 675.
(11) Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, 4e éd. 1949, n° 176.
(12) Civ. 1re, 4 déc. 1956, JCP 1957.II.10008, note J. Mazeaud ; D. 1957. Somm. 53.
(13) Obs. Aubert, D. 1991. Somm.320
.
(14) Alfandari, Droit des affaires, Mémentos Dalloz 1987 ; M. Dubisson, Les accords de
coopération dans le commerce international, éditions juridiques et techniques Lamy 1989 ; N.
David, Les entreprises conjointes, JDI 1988.37 s. ; O. Baptista et P. Durand-Barthez, Les
associations d'entreprises (Joint venture) dans le commerce international, 2e éd., Feduci-LGDJ,
1991.
(15) V. cependant Paris, 26 juin 1985, RTD civ. 1986.102, obs. J. Mestre ; Weill et Terré,
Droit civil. Les obligations, n° 357 ; Picod, L'obligation de coopération dans l'exécution du
contrat, JCP 1988.I.3318.
(16) CJCE, aff. C. 106/89, Marleasing SA, Bull. Joly févr. 1991.190, et chron. Saintourens,
p. 123 ; note Chaput, Rev. sociétés 1991.532 ; note P. Level, JCP1991.II.21658 et éd. E
1991.II.156.
(17) Ghestin et Goubeaux, Traité de droit civil. Introduction générale, p. 668, n° 745.
(18) Janin, Sociétés commerciales, 1992, n° 3731.
(19) Diener, note sous Civ. 3e, 22 juin 1976, D.1977.619.
(20) Saintourens, op. cit. ; Sarlin, Liaisons juridiques et fiscales, n° 455.1.
(21) Cass., Ass. plén., 16 mars 1990, D. 1990.305, note A. Lyon-Caen
.
(22) CJCE, 6e ch., aff. C-19-90 et C-20-90, Marina Karella, Bull. Joly 1991.1143, note
Saintourens.
(23) Sté Rothmans et Philip Morris, req n° 56776-56777, en annexe à la chronique Kovar,
D. 1992. Chron. 207, spéc. 213 ; JCP1992.II.21859, note G. Teboul.
(24) Com. 16 juin 1992, n° 1144P, BRDA, n° 17, p. 11 ; P. Le Cannu, Inexistence ou
nullité des sociétés fictives Bull. Joly1992.875.
DOC 4 :
Cass. Civ. 3e 10 mai 2007, n°05-21.123
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Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 septembre 2005), que la société civile
immobilière Les Antilles (la SCI) a, le 20 décembre 1973, vendu à Mme X..., sa gérante, et
aux époux Y..., beaux-parents de celle-ci, divers locaux lui appartenant dans un immeuble en
copropriété ; que par acte en date des 18 et 25 février 1998, la SCI, prise en la personne de
son liquidateur, a assigné Mme X... et Mme Y..., sa fille, ayant cause à titre particulier des
époux Y..., en nullité de ces ventes ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'aucun texte ne déterminant sous quelle forme l'exposé des prétentions et moyens
doit être fait, il suffit qu'il résulte, même succinctement, des énonciations de la décision ; que
Mme Y... ayant exposé dans ses conclusions des moyens et des prétentions similaires à ceux
figurant dans les conclusions de Mme X..., la cour d'appel, en exposant le contenu des
secondes et en y répondant, a satisfait, en ce qui concerne les premières, aux exigences de
l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que Mme X... et Mme Y... font grief à l'arrêt d'accueillir l'action en nullité, alors,
selon le moyen, que les actions en nullité d'actes ou de délibérations postérieurs à la
constitution de la société se prescrivent par trois ans, de sorte qu'en faisant droit à la demande
d'annulation de décisions de vente d'immeubles en date du 20 décembre 1973, dont le principe
avait été décidé lors d'une assemblée générale des associés de la SCI du 21 janvier 1972, au
motif erroné tiré de ce que la demande d'annulation était fondée sur l'existence d'une cause
illicite, de sorte que la prescription trentenaire se trouvait applicable et que la demande
présentée près de 25 ans après les actes en cause était recevable, la cour d'appel a violé par
refus d'application l'article 1844-14 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la demande de nullité visait des actes de vente conclus par la
société sur le fondement de leur cause illicite ou immorale, la cour d'appel, qui n'était saisie ni
d'une demande tendant à la nullité de la société ou d'actes ou de délibérations des organes de
celle-ci, ni d'une action en annulation des actes de vente fondée sur l'irrégularité affectant la
délibération les ayant autorisées, en a déduit à bon droit que la prescription prévue par l'article
1844-14 du code civil devait être écartée et que la prescription trentenaire était applicable ;
Sur le troisième et le quatrième moyens, réunis :
Attendu que Mme X... et Mme Y... font grief à l'arrêt de prononcer l'annulation des ventes,
alors, selon le moyen :
1°/ qu'en estimant que les contrat de vente du 20 décembre 1973 avaient une cause illicite
imputable à Mme X..., tout en constatant que ces transactions avaient été autorisées par
l'assemblée générale des associés de la SCI, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences
légales de ses constatations et a violé les articles 1131 et 1133 du code civil ;
2°/ qu'en estimant que les contrats de vente du 20 décembre 1973 avaient une cause illicite, au
motif que Mme X... avait été "condamnée pour ses agissements frauduleux envers la SCI, la
juridiction pénale ayant constaté par décision devenue définitive le caractère infidèle de sa
gestion et la commission d'abus de confiance", sans expliquer en quoi la décision pénale
considérée contraignait le juge civil à prononcer l'annulation des contrats de vente du 20
décembre 1973 sur le fondement de la cause illicite, la cour d'appel a privé sa décision de
toute base légale au regard des articles 1131, 1133 et 1351 du code civil ;
3°/ qu'en estimant que les contrats de vente du 20 décembre 1973 avaient une cause illicite, au
motif que les immeubles avaient été vendus à un prix minoré, la cour d'appel, qui n'a pas
caractérisé l'élément d'illicéité qu'elle retenait, a privé sa décision de base légale au regard des
articles 1131 et 1133 du code civil ;
4°/ que dans ses conclusions d'appel, Mme Y... faisait valoir qu'elle n'avait jamais contracté
avec la SCI, qu'elle était tiers aux transactions intervenues et que les demandes d'annulation
présentées à son encontre étaient irrecevables ; qu'en laissant sans réponse ces conclusions, la
cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
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Mais attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, constaté qu'il résultait des arrêts de la
cour d'appel d'Aix-en-Provence du 3 mars 1987 et du 14 juin 1995, condamnant Mme X...
pour ses agissements frauduleux envers la SCI, et des expertises ordonnées au cours de
l'instance pénale que les deux ventes avaient été consenties à des prix inférieurs à ceux
pratiqués à l'époque et que si les époux Y... avaient versé à la SCI la somme de 100 000 francs
correspondant au prix de vente, Mme X... avait aussitôt émis un chèque de 50 000 francs au
profit de son père qui aurait prêté cette somme à la SCI et un autre chèque de 60 000 francs à
son propre profit, sans payer le prix de vente des lots qu'elle avait acquis mais en débitant
seulement son compte courant d'une somme correspondante, relevé que Mme X... ne pouvait
se prévaloir de ce qu'elle avait été autorisée le 21 janvier 1972, soit près de deux ans avant, à
passer ces actes par l'assemblée générale des associés, dès lors que les difficultés de trésorerie
dénoncées provenaient des détournements qu'elle avait commis, et retenu que le motif
déterminant des deux contrats de vente était la volonté de violer le pacte social de la SCI en
consentant des ventes de biens appartenant à celle-ci à des prix largement minorés au profit de
la gérante et de ses beaux-parents, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé l'illicéité de la cause
des contrats, sans s'estimer liée par les décisions pénales, en a déduit à bon droit, sans être
tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que les
ventes devaient être annulées et que les lots vendus devaient être réintégrés dans l'actif social
de la SCI ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le cinquième moyen qui ne serait pas de nature à
permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne, ensemble, Mme X... et Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... et de
Mme Y... et les condamne, ensemble, à payer à la SCI Les Antilles la somme de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le
président en son audience publique du dix mai deux mille sept.
II. ENNONCEZ LES CAUSES DE NULLITÉS DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ
III. DISSERTATION : LA FRAUDE ET LA NULLITÉ DU CONTRAT DE
SOCIÉTÉ
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