séance 2 et 3
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Licence 3 – Droit des sociétés – 2016/2017 Cours de M. PITCHO SÉANCE N°2 CONTRAT DE SOCIETE (1/2) : CONDITIONS DE CONSTITUTION I. ETUDIEZ LES DOCUMENTS SUIVANTS : DOC 1 : Recueil Dalloz 2003 p. 1900 Loi pour l'initiative économique : quoi de neuf pour les sociétés ? Alain Lienhard L'essentiel Entre autres mesures hétérogènes de diverses natures destinées à promouvoir l'esprit d'entreprise, la loi pour l'initiative économique contient plusieurs dispositions intéressant le droit des sociétés. Certaines directement, comme la suppression du capital social minimal des SARL ou l'abrogation d'incriminations pénales. D'autres indirectement, relatives notamment à l'institution d'un récépissé de création d'entreprise ou à la domiciliation des entreprises. Texte par définition hétérogène pour ne pas dire fourre-tout en ce sens que les dispositions qu'il regroupe n'ont de commun que leur finalité - favoriser l'esprit d'entreprise - la loi pour l'initiative économique comporte des mesures de toutes sortes. Non seulement des allégements fiscaux, vraisemblablement les plus efficaces et qui ne se limitent pas à l'exonération partielle de l'ISF (elles concernent aussi, notamment, les plus-values professionnelles), mais également un dispositif d'accompagnement social des projets, un régime de transition entre le statut de salarié et celui d'entrepreneur, et bien d'autres règles, un peu sous forme de catalogue, d'inspiration tantôt libérale (comme l'aménagement de l'usure pour les prêts consentis à une personne morale), tantôt « protectionniste » (comme le nouveau formalisme destiné à protéger les cautions personnes physiques s'engageant envers un créancier professionnel, ou encore la remarquable protection accordée à l'entrepreneur individuel par la possibilité de déclarer insaisissables des droits qu'il détient sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale ; V. D. 2003, Point sur p. 1898). Parmi cet inventaire, figurent certaines dispositions intéressant plus spécialement les sociétés, soit directement (et, dans ce cas, les seules SARL, ce qui se conçoit bien dans le contexte - à l'exception quand même de suppressions d'incriminations profitant aux sociétés par actions et aux SAS), soit indirectement au titre des mesures plus générales de simplification de la création d'entreprise. I - La libéralisation de la SARL A dire vrai, outre une légère dépénalisation, la libéralisation opérée par la loi « initiative économique » tient quasiment entièrement dans une mesure surtout symbolique : la suppression du capital social minimum prévue par la loi depuis l'introduction de la société à responsabilité limitée dans notre droit en 1925. D'autres mesures, plus significatives, suivront avant l'été 2004, prises cette fois par ordonnance sur habilitation du gouvernement par la loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit. Elles devraient permettre à la SARL d'émettre des obligations, d'augmenter le nombre de ses associés au-delà du plafond de 50, d'alléger les formalités de cession de parts sociales et de faciliter les modes d'organisation de sa gérance. A - La suppression du capital social minimal 1° Le principe de libre fixation par les statuts L'annonce de cette suppression avait causé une certaine surprise, alors que beaucoup de réflexions tournaient plutôt autour de l'idée de renforcer les capitaux des sociétés. Au départ, d'ailleurs, la réforme annoncée par le secrétaire d'Etat aux PME, Renaud Dutreil, prévoyait une société à responsabilité limitée au capital social d'un euro. Sans que cela change quoi que soit à la philosophie de la réforme, cette proposition s'est muée dans l'article 1er du projet de loi pour l'initiative économique, en suppression de toute référence légale à un minimum. Au lieu des 7 500 euros (50 000 francs auparavant) prévus depuis la loi du 1er mars 1984, le capital social peut donc, tout simplement, pour les sociétés créées après l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, être « fixé par les statuts ». Ce qui permet, désormais, effectivement, de créer une SARL avec un euro, tout comme il suffit d'une livre en Grande-Bretagne pour constituer une private company limited by shares. Bien sûr, la mesure se prête à la circonspection sinon à l'ironie. D'abord, parce que l'effort financier de départ des entrepreneurs n'en sera guère soulagé, ceux-ci pouvant déjà avant la réforme (et depuis la loi NRE du 15 mai 2001) limiter leur mise de fonds initial aux 1 500 euros obligatoirement libérés à la souscription, la libération du surplus s'étalant sur cinq ans. Ensuite, parce que, en cas d'ouverture d'une procédure collective, le créateur risque, en pratique, de payer cette liberté « sans plancher » accordée par le législateur du prix du comblement de passif auquel les juges pourraient être tentés de le condamner sur le fondement d'une sorte de présomption de faute de gestion (V. CA Aixen-Provence, 16 mai 2001, RD bancaire et financier 2001, n° 192, obs. F.-X. Lucas). De manière générale, en effet, la sous-capitalisation est susceptible de constituer une faute civile, ou encore un indice d'abus de droit ou d'acte anormal de gestion sur le plan fiscal. Enfin, et surtout, parce que, comme l'a suggéré notamment un auteur, d'autres pistes d'esprit, il est vrai, bien différent, peut-être moins démagogique - étaient concevables partant du constat de l'inadéquation de la notion même de capital social, s'agissant de la protection tant des créanciers que des associés (T. Massart, Une grande réforme à petit budget : la SARL au capital de 1 euro, Bull. Joly 2002, p. 1361). A cet égard, on notera la proposition doctrinale tendant à créer à côté du capital social, un capital dit « d'engagement », destiné à mesurer la portée de l'engagement des associés vis-à-vis des tiers (L. Nurit-Pontier, La détermination statutaire du capital social : enjeux et conséquences, D. 2003, Chron. p. 1612 ). Quoi qu'il en soit, avec cette réforme, la SARL, souvent regardée comme un objet hybride dans la classification des sociétés, peut sembler pencher un peu plus vers les sociétés de personnes et un peu moins vers les Page 2 sur 49 sociétés de capitaux (O. Padé, JCP 2003, Act. 213). Si ce n'est qu'en vérité la démarche législative est beaucoup trop pragmatique et éclatée pour être cohérente sur ce plan : bientôt, en effet, comme on l'a dit, une ordonnance permettra à ces mêmes sociétés à responsabilité limitée d'émettre des obligations sans appel public à l'épargne. 2° Les mesures d'accompagnement Liberté de fixation du montant des parts sociales - La loi initiative économique n'a rien changé à cet égard. L'article L. 223-2 du code de commerce dispose toujours que le capital social est divisé « en parts sociales égales ». Plus aucun minimum n'est fixé par un texte depuis la loi « Madelin » du 11 février 1994. Leur valeur est donc librement fixée par les statuts. Elle peut naturellement être très faible, voire dérisoire, maintenant que le capital social lui-même peut n'être que d'un euro. Notons à ce sujet que le législateur, en reprenant à l'identique cette disposition, ne permet pas plus aujourd'hui qu'hier d'affirmer avec certitude la validité des stipulations statutaires instituant des parts sociales privilégiées (V. J.-M. Bermond de Vaulx, JCP éd. E 1993, I, 294). Réduction du capital - Conséquence logique de cette liberté statutaire, le texte nouveau supprime également toute obligation de retour au niveau statutairement fixé en cas de réduction du capital, mécanisme qui perdrait tout son sens dès lors que le principe même d'un minimum disparaît. Cette mesure profite évidemment également aux sociétés constituées avant l'intervention de la réforme. En revanche, malgré la suppression du capital légal minimum, la loi nouvelle a maintenu le dispositif de dissolution anticipée en cas de pertes réduisant les capitaux propres à moins de la moitié du capital social, se contentant, un peu mécaniquement, de supprimer la référence faite par l'article L. 223-42 du code de commerce à l'article L. 223-2 qui constituait jusque-là la limite inférieure permise pour la réduction. Ce maintien peut apparaître paradoxal, car on ne voit pas trop pourquoi cette contrainte pèserait sur les SARL ayant opté pour la conservation ou la fixation d'un capital social minimum. Cependant, il va de soi que l'article L. 223-42 n'aura en pratique jamais lieu de s'appliquer dans les SARL à capital social dérisoire, voire symbolique : la société dont les capitaux propres se retrouveraient inférieurs à la moitié d'un euro serait quasi inévitablement en situation de cessation des paiements ! Sociétés de presse et sociétés coopératives - La disparition d'un minimum légal pour les SARL de droit commun ôtait toute justification aux régimes dérogatoires dont bénéficiait auparavant les sociétés de presse (minimum fixé à 300 euros) et les sociétés coopératives (minimum fixé à 3 500 euros), qui ont donc été abrogés. Sociétés à capital variable - La loi de 2003 n'a pas modifié le régime des SARL à capital variable, qui demeurent régies par les articles L. 231-1 et suivants du code, tels que modifiés par la loi du 15 mai 2001. B - La suppression de sanctions pénales obsolètes Cette mesure résulte de l'adoption par le Sénat d'un amendement de sa commission spéciale, qui a reçu l'approbation du gouvernement et vise à supprimer certaines sanctions pénales obsolètes prévues par le code de commerce. Elle concerne essentiellement les SARL, mais également les sociétés par actions et les sociétés par actions simplifiées. Avec elle se trouve amplifié le mouvement de dépénalisation, Page 3 sur 49 souhaité tant des praticiens que de la doctrine, amorcé par la loi relative aux nouvelles régulations économiques en 2001. Comme celle-ci, suivant une piste déjà suggérée par le rapport Marini datant de 1996 et reprise par la doctrine spécialisée (B. Bouloc, Faut-il réformer le droit pénal des sociétés ?, Rev. sociétés 2000, p. 129, spéc. p. 136 ), aux sanctions pénales sont substituées des injonctions de faire sous astreinte pesant sur le représentant légal de la société. La dépénalisation du droit des sociétés ne s'arrêtera toutefois pas là. D'autres dispositions pénales du livre II du code de commerce subiront bientôt le même sort, d'abord avec la promulgation de la loi de sécurité financière, puis avec l'ordonnance de « simplification » du droit des sociétés. Est d'abord modifié l'article L. 241-1 du code de commerce, qui punissait d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 9 000 euros le fait pour les associés d'une SARL de faire une fausse déclaration concernant la répartition des parts sociales entre tous les associés, la libération des parts ou le dépôt de fonds ou d'omettre cette déclaration. L'incrimination de la fausse déclaration est désormais supprimée, au motif qu'elle faisait double emploi avec le délit de faux réprimé par le code pénal. En revanche, l'incrimination de l'absence de déclaration est conservée, le législateur estimant l'obligation de déclaration protectrice des droits des tiers. Sont ensuite abrogés les articles L. 241-7 et L. 246-1 du code, qui sanctionnaient d'une amende de 3 750 euros le fait pour les gérants d'une SARL ou le président, les directeurs généraux ou les gérants d'une société par actions d'omettre de faire figurer, sur tous les actes ou documents émanant de la société, l'indication du nom de la société accompagnée de la mention de son statut juridique et du montant de son capital social. Cette sanction pénale, qui semblait disproportionnée au regard du comportement incriminé, n'était de surcroît en pratique jamais utilisée ; mieux valait donc effectivement la remplacer par une sanction civile. Enfin, est modifié l'article L. 244-2 du code de commerce. D'une part, par la suppression du premier alinéa de cet article, qui punissait les mêmes manquements qu'évoqués cidessus pour une société par actions simplifiée. D'autre part, par la modification du second alinéa, qui ne remontait pourtant qu'à la loi du 15 mai 2001, et sanctionnait pénalement le président d'une SAS qui ne consulte pas les associés de celle-ci pour les actes les plus importants de la vie de la société. Il s'agit là de supprimer l'infraction lorsque l'absence de consultation peut être civilement réparée à la demande des associés, une nullité de l'acte étant déjà prévue par l'article L. 227-9. Est ainsi supprimée l'incrimination de l'absence de consultation pour la nomination des commissaires aux comptes, l'approbation des comptes annuels ou la répartition des bénéfices. II - La simplification de la création d'entreprise Quatre d'entre ces mesures figurant sous le titre premier de la loi « Dutreil », et qui profitent aussi bien aux exploitations individuelles qu'aux sociétés, paraissent particulièrement importantes pour ces dernières, étant bien entendu qu'elles ne concernent en fait que le démarrage des petites sociétés et que l'objectif de rapidité - voire d'immédiateté - de l'accomplissement des formalités présente sans doute plus de vertu psychologique que juridique pour les créateurs d'entreprises. A - L'immatriculation en ligne La loi du 11 février 1994, dite « loi Madelin », avait exclu la possibilité de procéder par voie électronique aux « déclarations relatives à la création de l'entreprise, à Page 4 sur 49 la modification de sa situation ou à la cessation de son activité », en raison de la nécessité d'assortir la déclaration de justificatifs qui, à l'époque, ne pouvaient être transmis par voie électronique. Depuis lors, le développement de moyens sécurisés de transmission électronique a privé de pertinence cette restriction. D'où la levée de cette interdiction que concrétise aujourd'hui la loi « Dutreil » prévoyant à l'article 4 modifié de la loi de 1994 que « lorsqu'elles sont transmises par voie électronique, les déclarations relatives à la création de l'entreprise, à la modification de sa situation ou à la cessation de son activité sont faites dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ». Un groupe de travail a été constitué, auquel participent des administrations concernées du ministère de la Justice et du ministère des Finances, ainsi que des représentants des réseaux de centres de formalités des entreprises (CFE) et des organismes destinataires des déclarations d'entreprise. Ce groupe s'est mis d'accord sur deux points importants : - la nécessité d'une signature électronique obtenue par un dispositif de signature sécurisée utilisant un certificat électronique qualifié, délivré par une autorité également qualifiée telle que définie par l'article 3 du décret n° 2001-272 du 30 mars 2001 pris pour l'application de l'article 1316-4 du code civil ; - la possibilité de transmettre des pièces justificatives, numérisées par le déclarant ou fournies par un émetteur tiers directement sous cette forme, en leur appliquant la même signature sécurisée (rapport Hyest, Bocandé, Trégouët, doc. Sénat, 2002-2003, n° 217). B - Le récépissé de création d'entreprise La loi tend à remédier à la situation actuelle où, contrairement aux délais prescrits notamment par l'article 31 du décret du 30 mai 1984 relatif au registre du commerce et des sociétés ou de l'article 6 du décret du 19 juillet 1996 relatif aux CFE (normalement d'un jour ouvrable après réception de la demande), la procédure de délivrance du K bis, c'est-à-dire de la carte d'identité de la société, s'avère trop longue, risquant de freiner le démarrage de l'activité. Aussi, l'objectif assigné au nouveau document que constitue le récépissé d'entreprise (RCE) est-il d'autoriser le créateur, dès le dépôt d'un dossier complet de demande d'immatriculation, d'effectuer les premières démarches telles que, par exemple, l'ouverture d'une ligne téléphonique et d'une boîte postale. Le texte dispose à cet égard que le récépissé permet « d'accomplir les démarches nécessaires auprès des organismes publics et des organismes chargés d'une mission de service public ». Aux termes du nouvel article L. 123-9-1 du code de commerce, le RCE pourra être délivré, non seulement par le greffier du tribunal de commerce chargé de la tenue du registre du commerce et des sociétés aux personnes assujetties à l'immatriculation à ce registre, comme le prévoyait seulement le projet de loi initial, mais aussi, sur amendement de l'Assemblée nationale (contesté par le Sénat, ce qui a provoqué l'intervention sur ce point de la commission mixte paritaire réunie le 24 juin), par les CFE. En pratique, la délivrance sera le plus souvent le fait de ces derniers, sachant que, regardés comme des « portails » de la création d'entreprise, c'est à eux que s'adressent en premier la majorité des créateurs d'entreprise. Ce qui explique l'extension voulue par les députés, à laquelle s'étaient opposés les sénateurs au motif que, contrairement aux greffiers, les CFE n'ont pas compétence pour vérifier la régularité juridique du dossier et de la demande d'immatriculation. Finalement, pour tenir compte de l'incertitude planant Page 5 sur 49 encore à ce stade, la commission mixte paritaire a précisé que les démarches accomplis sur la foi de ce document se feront « sous la responsabilité personnelle de la personne physique ayant la qualité de commerçant ou qui agit au nom de la société en formation ». S'agissant des personnes (physiques ou morales) assujetties à l'immatriculation au répertoire des métiers, la délivrance sera faite par la chambre de métiers (L. 5 juill. 1996, art. 19-1 nouv.). Les sociétés devraient pouvoir obtenir le récépissé de création d'entreprise aussi bien de la chambre de métiers que du greffe du tribunal de commerce ou du CFE. Par une autre initiative des députés, cette mission a, par ailleurs, été confiée à la chambre d'agriculture pour « les personnes exerçant à titre habituel des activités réputés agricoles » au sens du code rural (art. L. 311-2-1 nouv.). Cette disposition vise aussi bien les exploitants agricoles personnes physiques que les sociétés agricoles. Dans tous les cas, la délivrance du RCE suppose que le dossier d'immatriculation déposé soit complet. Elle ne préjuge évidemment pas de l'immatriculation au RCS. Afin de ne pas induire en erreur les tiers sur ce point (d'autant plus que le numéro INSEE y serait porté), le récépissé comportera obligatoirement la mention : « En attente d'immatriculation ». Le dispositif ainsi institué par l'article de la loi « Dutreil » n'entrera en vigueur qu'après publication de son décret d'application. Ce décret déterminera notamment les mentions du récépissé d'immatriculation. Ces mentions pourraient être les suivantes (rapport Hyest, Bocandé, Trégouët, préc., n° 217) : - une date d'émission ; - des éléments d'identification de l'entreprise et, notamment, pour les personnes morales, la désignation de leurs dirigeants ; - le domicile de l'entreprise (siège ou établissement principal) ; - un numéro SIREN provisoire, délivré par l'INSEE, ce numéro étant provisoire dans la mesure où il ne deviendra le numéro unique d'identification qu'après l'immatriculation effective. Outre ces mentions, les travaux parlementaires font état d'interrogations quant à l'opportunité de prévoir une durée de validité pour le RCE en ce que, dans ce cas, on ne saurait trop ce qu'il adviendrait en cas de caducité du récépissé avant l'attribution de l'extrait K bis. C - L'assouplissement des règles de domiciliation Le régime de domiciliation de l'entreprise au domicile du chef d'entreprise date d'une loi du 21 décembre 1984 qui avait ajouté à l'ordonnance du 27 décembre 1958 les articles 1er bis et 1er ter, désormais codifiés aux articles L. 123-10 et L. 123-11 du code de commerce. Presque vingt ans plus tard, le bilan de cette première réglementation, fort bien venue à l'époque, fait d'autant plus ressortir sa frilosité que la jurisprudence a Page 6 sur 49 interprété restrictivement la liberté conditionnelle et temporaire alors accordée par le législateur (F. Pasqualini, La domiciliation des sociétés : un espace de liberté placé sous surveillance, Rev. sociétés 1987, p. 569). Aussi, la loi nouvelle refond-elle pour les assouplir ces conditions de domiciliation, en distinguant la situation de l'entreprise personne physique de l'entreprise personne morale, tout en levant certaines ambiguïtés juridiques. Jusqu'ici, l'article L. 123-10 prévoyait que la demande d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés devait s'accompagner de la justification de la jouissance de locaux où est installé le « siège » de l'entreprise, et que la domiciliation commune à plusieurs entreprises était autorisée. Et, en vertu de l'article L. 123-11, il était possible au créateur d'entreprise, nonobstant toute disposition légale ou stipulation contraire, d'installer le siège dans son local d'habitation ou dans celui du représentant légal de la société si l'entreprise était créée sous forme de société, pour une durée ne devant pas excéder deux ans ni le terme légal, contractuel ou judiciaire, de l'occupation des locaux. A l'usage, ce dispositif s'est heurté à deux limites gênantes. D'abord, la domiciliation dans le local d'habitation étant expressément traitée par la loi comme une dérogation à des stipulations contractuelles ou à des dispositions législatives contraires, la jurisprudence l'a interprétée de façon restrictive, n'y autorisant que la tenue des livres et la réception du courrier. Ainsi, elle a considéré, malgré l'article L. 631-7-3 du code de la construction et de l'habitation issu d'une loi postérieure du 2 juillet 1998 et sa libérale lecture par une circulaire du 24 juillet 1998, que la domiciliation ne pouvait jamais excéder deux ans (V. notamment CA Paris, 24 sept. 1999, D. 1999, AJ p. 57, obs. A. L. ). Ensuite, en visant « l'entreprise », les textes distinguaient mal entre personne physique et personne morale. La notion de « siège » n'apparaît, en effet, guère adaptée pour les personnes physiques, et certaines décisions avaient conclu alors au changement d'affectation des locaux, le local d'habitation se transformant en local commercial. Ce qui plaçait alors l'entrepreneur dans une situation fort délicate, qui se retrouvait en contravention avec les règles du code de la construction, et, le cas échéant, le règlement de copropriété ou le bail, encourant donc la résiliation de ce dernier. La loi pour l'initiative économique s'est attachée à résoudre ces difficultés en distinguant, d'une part, le traitement des personnes physiques de celui des personnes morales et en allégeant, d'autre part, les conditions de domiciliation de façon, notamment, à autoriser les commerçants personnes physiques à établir leur activité dans leur local d'habitation pour une durée indéterminée. 1° La domiciliation des personnes physiques Désormais, en vertu de l'article L. 123-10 remanié, la situation des commerçants personnes physiques dépendra de la disposition, ou non, par celle-ci d'un « établissement ». Si l'entreprise dispose d'un établissement commercial, tel qu'une boutique, l'adresse commerciale sera celle de cet établissement. Il ne sera alors possible de choisir comme adresse celle du domicile de l'entrepreneur qu'à la condition qu'aucune disposition légale ou stipulation ne s'y oppose. C'est le principe que pose dorénavant l'alinéa 2 : « Les personnes physiques peuvent déclarer l'adresse de leur local d'habitation et y exercer une activité dès lors qu'aucune disposition législative ou stipulation contractuelle ne s'y oppose ». Les dispositions législatives implicitement visées résident évidemment, pour l'essentiel, Page 7 sur 49 dans les règles d'urbanisme interdisant l'affectation de locaux d'habitation à un usage autre que celui pour lequel ils ont été construits, dans certaines agglomérations, c'est-à- dire l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation. Les stipulations contractuelles concernées sont principalement les clauses « d'occupation bourgeoise » ou de destination prévues par les baux ou les règlements de copropriété (V. F. Pasqualini, préc., n° 6). Rappelons que la notion d'établissement est définie à l'article 9 du décret du 30 mai 1984 précité, modifié par un décret du 10 avril 1995, et fait référence (à propos des établissements secondaires) au « pouvoir de lier des rapports juridiques avec les tiers », ce qui exclut, par exemple, les simples locaux à usage de remisage d'outillage ou de marchandises. L'entrepreneur ne disposant que d'un local de cette nature (tel est le cas fréquemment des professions exerçant essentiellement leur activité chez le client : plombiers, réparateurs, etc.) sera donc réputé ne pas avoir d'établissement, au sens de ce texte, et pourra dès lors déclarer « à titre exclusif d'adresse de l'entreprise » celle de son « local d'habitation », autrement dit l'adresse de son domicile personnel, et cela sans limitation de durée. A ce sujet, lors de la navette parlementaire, les députés ont gommé l'épithète « fixe » que le projet de loi avait à l'origine accolée au mot « établissement » pour s'assurer que les tribunaux ne réservent pas cette faculté aux entrepreneurs ambulants. L'article L. 123-10 nouveau précise expressément que « cette déclaration n'entraîne pas de changement d'affectation des locaux », mais aussi (pour rassurer les bailleurs) qu'elle n'entraîne pas plus « application du statut des baux commerciaux ». 2° La domiciliation des personnes morales La situation des entreprises exploitées sous forme de sociétés relève dorénavant de l'article L. 123-11 modifié et de l'article L. 123-11-1 ajouté par la loi « Dutreil ». Plusieurs cas de figure doivent dorénavant être distingués. Il résulte de l'article L. 123-11-1, alinéa 1er, que la personne morale est autorisée à installer son siège au domicile de son représentant légal sans limitation de durée à condition que nulles « dispositions législatives ou stipulations contractuelles » ne s'y oppose (sur ces notions, V. supra, 1°). En revanche, en présence de « dispositions législatives ou stipulations contractuelles contraires», le siège peut quand même être installé, mais pour une durée limitée à cinq ans (ou par le terme légal, contractuel ou judiciaire de l'occupation des locaux). Dans ce cas, l'apport de la loi nouvelle consiste donc essentiellement à augmenter la durée de la domiciliation temporaire permise, qui n'était que de deux ans dans le régime antérieur. Cette augmentation évitera que, au même moment où l'entreprise encore toute jeune perd le bénéfice d'un certain nombre d'avantages fiscaux et sociaux accordés au démarrage, elle ne se voit obligée d'engager les frais correspondant à la location d'un local commercial. Le nouveau régime de domiciliation issu de la loi pour l'initiative économique étant applicable aux entreprises immatriculées au RCS ou au répertoire des métiers à la date de sa promulgation, l'allongement profitera aux entreprises ayant déclaré comme siège social le local d'habitation de leur dirigeant depuis plus de deux ans. Page 8 sur 49 Par ailleurs, l'article L. 123-11 réécrit reconduit la possibilité, qui existait déjà depuis la loi de 1984, de domicilier plusieurs personnes morales à une même adresse, ce qui leur permet d'y recevoir leur courrier et d'y tenir leurs livres. On notera seulement à ce sujet de récentes décisions attestant d'un contrôle judiciaire accru de l'obligation faite au domiciliataire, par l'article 26-1 (1°) du décret du 30 mai 1984, de « mettre à la disposition de la personne domiciliée des locaux permettant une réunion régulière des organes chargés de la direction, de l'administration ou de la surveillance de l'entreprise et l'installation des servies nécessaires à la tenue, à la conservation et à la consultation des livres, registres et documents prescrits par les lois et règlements ». Par deux fois au moins, en effet, la cour d'appel de Paris vient de s'opposer à la domiciliation en raison de locaux trop exigus (25 oct. 2002, Bull. Joly 2003, p. 660, note J.-M. Bahans ; JCP éd. E 2003, n° 474 ; RJDA 2003, n° 493 ; 31 janv. 2003, JCP éd. E 2003, n° 787). D - La possibilité pour les sociétés d'exercer l'activité au domicile du représentant légal Dans sa rédaction actuelle, l'article L. 631-7-3 du code de la construction et de l'habitation, issu de la loi du 2 juillet 1998, autorise, par dérogation à l'article L. 631-7 (qui interdit le changement d'affectation des locaux d'habitation ou des locaux à usage professionnel situés, notamment, à Paris, dans les communes situées dans un rayon de 50 kilomètres des anciennes fortifications et dans celles de plus de 10 000 habitants), « l'exercice d'une activité professionnelle, y compris commerciale, dans une partie d'un local à usage d'habitation, dès lors que l'activité considérée n'est exercée que par le ou les occupants ayant leur résidence principale dans ce local et ne conduit à y recevoir ni clientèle ni marchandise ». Mais le libellé de ce texte, pris à la lettre, interdisait de faire bénéficier les sociétés de cette dérogation permanente. La réforme met fin à cette disparité peu justifiée en précisant par un ajout audit article L. 631-7-3 que ses dispositions « sont applicables aux représentants légaux des personnes morales ». Mots clés : SOCIETE COMMERCIALE * Droit des sociétés * Modification * Loi pour l'initiative économique DOC 2 : Cass. Com. 16 juillet 1997, n°95-11.837 Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches : Vu l'article 1832 du Code civil ; Attendu que, pour rejeter la demande de M. Y..., chirurgien, en remboursement de la somme globale de 303 500 francs qu'il soutenait avoir versée de 1970 à 1977 à M. X..., professeur à la Faculté de médecine de Bordeaux, qui exerçait son activité libérale dans plusieurs cliniques, l'arrêt attaqué retient que la relation entre les deux praticiens s'analyse en une société de fait dans laquelle ils ont apporté respectivement l'un son industrie, l'autre son influence, leur volonté de collaborer à une " oeuvre sanitaire commune " et leur souci d'en partager les bénéfices, et que les sommes perçues par M. X... de la part de M. Y... constituent les dividendes de la société de fait ayant existé entre eux ; Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher en quoi consistait l'influence reconnue à M. X..., et si celle-ci, qui ne pourrait elle-même s'analyser que comme un Page 9 sur 49 apport en industrie, était licite, et sans s'expliquer sur les conditions dans lesquelles les rétrocessions versées par M. Y... à M. X... entre 1970 et 1977, rétrocessions qui, à l'origine de 25 %, se sont progressivement réduites, étaient constitutives de la répartition d'un bénéfice social, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; Et, sur le second moyen, pris en sa première branche : (sans intérêt) ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen, ni sur la seconde branche du second moyen : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de M. Y... en remboursement des sommes versées à M. X... et en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral, perte de clientèle et préjudice matériel, l'arrêt rendu le 7 décembre 1994, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse. DOC 3 : Cass. Com. 22 novembre 1976 SUR LE MOYEN UNIQUE, PRIS EN SES TROIS BRANCHES : ATTENDU QU'IL EST REPROCHE A L'ARRET ATTAQUE (PARIS, 21 NOVEMBRE 1974) D'AVOIR PRONONCE LA NULLITE DES DECISIONS DES ASSEMBLEES GENERALES DE LA SOCIETE A RESPONSABILITE LIMITEE LES ETABLISSEMENTS LANGLOIS ET PETERS TENUES LES 30 JUIN 1970, 29 JUIN 1971, 29 JUIN 1972, 28 JUIN 1973 ET 27 JUIN 1974 ET QUI ONT AFFECTE A LA RESERVE EXTRAORDINAIRE LES BENEFICES DES EXERCICES SUR LESQUELS ELLES ONT RESPECTIVEMENT STATUE ET AINSI REFUSE LEUR DISTRIBUTION, ALORS, SELON LE POURVOI, D'UNE PART, QUE DANS SES CONCLUSIONS DEMEUREES SANS REPONSE, LA SOCIETE AVAIT FAIT VALOIR QUE CE N'EST QU'A PARTIR DE 1968 QU'IL N'AVAIT PLUS ETE DECIDE A L'UNANIMITE DE SES MEMBRES D'AFFECTER LES BENEFICES A LA RESERVE EXTRAORDINAIRE ET QU'A PARTIR DE CETTE DATE, ROIZOT, ASSOCIE MINORITAIRE ET DEMANDEUR EN NULLITE, N'AVAIT PAS EMIS DE VOTE DEFAVORABLE, MAIS S'ETAIT SIMPLEMENT ABSTENU DE VOTER, EN SORTE QU'IL ETAIT IRRECEVABLE A CRITIQUER DES DELIBERATIONS AUXQUELLES IL NE S'ETAIT PAS OPPOSE, D'AUTANT PLUS QUE LA QUESTION D'UNE EVENTUELLE DISTRIBUTION DE DIVIDENDES N'AVAIT JAMAIS ETE PORTEE REGULIEREMENT A L'ORDRE DU JOUR DESDITES ASSEMBLEES, ALORS, D'AUTRE PART, QUE L'ARRET ATTAQUE NE RELEVE AUCUN ELEMENT CONSTITUTIF D'UN PREJUDICE QUELCONQUE RESULTANT POUR LA SOCIETE DES DELIBERATIONS LITIGIEUSES, LA SEULE REFERENCE A L'OPPORTUNITE PLUS OU MOINS FAVORABLE D'UNE POLITIQUE DE THESAURISATION, QUI ACCROISSAIT AU CONTRAIRE L'ACTIF SOCIAL, NE POUVANT, A ELLE SEULE, JUSTIFIER L'ANNULATION DES DECISIONS DE LA MAJORITE, ET ALORS, ENFIN, QUE L'ARRET NE CARACTERISE PAS NON PLUS L'AVANTAGE SUSCEPTIBLE DE RESULTER DES DELIBERATIONS ANNULEES POUR LES ASSOCIES MAJORITAIRES, ET CORRELATIF A UN PREJUDICE SUBI PAR L'ASSOCIE MINORITAIRE, DE NATURE A ETABLIR L'EXISTENCE D'UNE DISCRIMINATION ENTRE LES ASSOCIES, CELLE-CI NE POUVANT ETRE RECHERCHEE DANS LES ELEMENTS EXTRINSEQUES A LA DELIBERATION POURSUIVIE EN ANNULATION POUR ABUS DU DROIT DE MAJORITE ; Page 10 sur 49 MAIS ATTENDU, D'UNE PART, QUE L'ARRET ENONCE QUE LES DECISIONS LITIGIEUSES ONT ETE PRISES EN ASSEMBLEE GENERALE PAR LES DEUX ASSOCIES MAJORITAIRES PETERS ET TILLINGER SANS AUCUN EGARD POUR L'AVIS DIFFERENT EXPRIME PAR ROIZOT, ET QUE CE DERNIER AVAIT SAISI LA SOCIETE CHAQUE ANNEE DEPUIS 1969 D'UNE DEMANDE DE DISTRIBUTION AUX ASSOCIES DU MONTANT DE LA RESERVE EXTRAORDINAIRE MAIS QU'IL S'ETAIT VU IMPOSER CHAQUE ANNEE LA LOI DE LA MAJORITE ; QUE L'ARRET A AINSI REPONDU AUX CONC LUS IONS DE LA SOC IETE, REGULIEREMENT PRODUITES, QUI SOUTENAIENT QUE ROIZOT NE S'ETAIT PAS OPPOSE FORMELLEMENT A L'AFFECTATION DES BENEFICES AUX RESERVES ET QUE L'ORDRE DU JOUR N'AVAIT JAMAIS COMPORTE L'EXAMEN DE LA DISTRIBUTION DES RESERVES, MAIS QUI NE PRETENDAIENT PAS QUE LA QUESTION D'UNE EVENTUELLE DISTRIBUTION DE DIVIDENDES N'AVAIT PAS ETE PORTEE A L'ORDRE DU JOUR ; QUE, DES LORS, LE PREMIER GRIEF DE LA PREMIERE BRANCHE EST MAL FONDE, ET LE SECOND GRIEF NOUVEAU ET DONC IRRECEVABLE ; ATTENDU, D'AUTRE PART, QUE L'ARRET CONSTATE QUE LA SOCIETE, SANS DISTRIBUER PENDANT VINGT ANS AUCUN DIVIDENDE, A MIS EN RESERVE DES SOMMES CONSIDERABLES DONT L'ACCUMULATION A ATTEINT CHAQUE ANNEE DEPUIS 1968 UN CHIFFRE SUPERIEUR AUX DEUX TIERS DU CHIFFRE D'AFFAIRES, ET QU'A DEFAUT DE VERITABLES INVESTISSEMENTS, CES SOMMES ONT SIMPLEMENT ETE PORTEES AU CREDIT DES COMPTES BANCAIRES ET CHEQUES POSTAUX DE LA SOCIETE ; QUE L'ARRET RETIENT QU'EN L'ESPECE CETTE AFFECTATION SYSTEMATIQUE DE LA TOTALITE DES BENEFICES A LA RESERVE EXTRAORDINAIRE A CONSTITUE UNE THESAURISATION PURE ET SIMPLE, QU'ELLE A FAIT SUBIR A TOUTES CES SOMMES, DONT LA SOCIETE N'AVAIT PAS L'USAGE, LES CONSEQUENCES DES FLUCTUATIONS MONETAIRES, ET QU'AINSI ELLE N'A REPONDU NI A L'OBJET NI AUX INTERETS DE LA SOCIETE ; QUE, PAR CES MOTIFS, L'ARRET A RELEVE LE PREMIER ELEMENT DONT L'EXISTENCE EST NECESSAIRE, SINON SUFFISANTE, POUR CARACTERISER L'ABUS DU DROIT DE MAJORITE ; QUE LE MOYEN, PRIS EN SA DEUXIEME BRANCHE, EST DONC SANS FONDEMENT ; ATTENDU, ENFIN, QUE L'ARRET DECLARE QU'A RAISON DES DECISIONS LITIGIEUSES QUI LUI ETAIENT IMPOSEES PAR LES DEUX ASSOCIES MAJORITAIRES PETERS ET TILLINGER, EXERCANT DES FONCTIONS DE DIRECTION ET RECEVANT A CE TITRE CHAQUE ANNEE DE LA SOCIETE UN SALAIRE ET DES AVANTAGES SUBSTANTIELS, ROIZOT, SEUL ASSOCIE MINORITAIRE ET ETRANGER A LA GESTION DES AFFAIRES SOCIALES, S'EST TROUVE, EN L'ABSENCE DE TOUT DIVIDENDE, PRIVE DU SEUL AVANTAGE QUE PRESENTAIT SA QUALITE DE PORTEUR DE PARTS, EN MEME TEMPS QUE CELLES-CI, AU LIEU D'ETRE VALORISEES PAR LA PROSPERITE DE L'ENTREPRISE, ONT EN FAIT PERDU LEUR VALEUR ; QU'EN CONSTATANT PAR CES MOTIFS QUE LES DECISIONS LITIGIEUSES FAVORISAIENT LES DEUX ASSOCIES MAJORITAIRES ET NUISAIENT AU Page 11 sur 49 CONTRAIRE A ROIZOT, LA COUR D'APPEL A RELEVE LE SECOND ELEMENT CARACTERISTIQUE DE L'ABUS DU DROIT DE MAJORITE ; QUE LA TROISIEME BRANCHE DOIT ETRE EGALEMENT ECARTEE ; PAR CES MOTIFS : REJETTE LE POURVOI FORME CONTRE L'ARRET RENDU LE 21 NOVEMBRE 1974 PAR LA COUR D'APPEL DE PARIS. DOC 4 : Cass. Com. 11 juin 2013, n°12-22.296 LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 février 2012), que par acte du 3 avril 2008, M. X...a promis de vendre à Mme Y...et à M. Z..., qui se sont engagés à les acquérir, une partie des actions représentant le capital de la société par actions simplifiée Modèles et stratégies, ayant pour objet la gestion de portefeuilles, dont il était l'actionnaire majoritaire ; que M. X...ayant refusé, après la levée des conditions suspensives, d'accomplir les opérations nécessaires au transfert de la propriété des titres, Mme Y...et M. Z...l'ont fait assigner en paiement de dommages-intérêts ; Sur le premier moyen : Attendu que M. X...fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors, selon le moyen, qu'à l'instar du contrat de société originaire, qui postule l'affectio societatis des associés fondateurs, la cession partielle de titres sociaux, lorsqu'elle vise pour le cédant à partager le contrôle de sa société avec de nouveaux associés spécialement choisis à cet effet, exige aussi bien l'existence d'une affectio societatis de la part du cédant et du cessionnaire, chacun étant appelé à s'associer et à concourir ensemble à la réalisation de l'objet social ; qu'en l'espèce, M. X...faisait valoir que la convention de cession n'avait pu se former faute d'affectio societatis de la part de Mme Y...et de M. Z...; qu'en écartant ce moyen au seul motif que le contentieux en cause ne concernait pas le contrat de société originaire, les juges du fond ont violé les articles 1134 et 1832 du code civil ; Mais attendu que l'affectio societatis n'est pas une condition requise pour la formation d'un acte emportant cession de droits sociaux ; que c'est donc à bon droit que l'arrêt retient que le défaut d'affectio societatis en la personne de Mme Y...et de M. Z..., à le supposer avéré, n'a pas fait obstacle à la formation de la promesse synallagmatique de vente d'actions conclue par ces derniers avec M. X...; que le moyen n'est pas fondé ; Sur le deuxième moyen : Attendu que M. X...fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que l'affectio societatis étant requise du cessionnaire de titres sociaux appelé à partager le contrôle de la société avec le cédant, ce dernier doit être admis à renoncer unilatéralement à l'opération s'il apparaît, une fois la promesse conclue, que l'affectio societatis fait défaut chez le cessionnaire ; qu'en décidant le contraire, motif pris de ce que l'affectio societatis ne serait exigée qu'au jour de la formation du contrat de société, les juges du fond ont violé les articles 1184 et 1832 du code civil ; Mais attendu que les conventions légalement formées ne peuvent être révoquées que du consentement mutuel de ceux qui les ont faites ou pour les causes que la loi autorise ; que l'absence d'affectio societatis en la personne du cessionnaire de droits sociaux ne constitue pas l'une de ces causes ; que le moyen n'est pas fondé ; Et attendu que le troisième moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne M. X...aux dépens ; Page 12 sur 49 Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer la somme globale de 2 500 euros à Mme Y...et à M. Z...; rejette les autres demandes ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille treize. DOC 5 : Cass. Civ. 3e, 16 mars 2011, n°10-15.459 Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 12 janvier 2010), que M. X..., qui avait constitué avec Mme Y... alors qu'ils vivaient en concubinage la société civile immobilière LAJG (la SCI), a assigné son associée et la SCI en dissolution anticipée de la société et en désignation d'un liquidateur ; Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le débouter de cette demande, alors, selon le moyen, que si la mésentente entre associés ne peut justifier la dissolution que s'il y a paralysie du fonctionnement de la société ou dysfonctionnement grave de la société, en revanche, la disparition de l'affectio societatis, élément constitutif de la société, doit justifier, à elle seule, la dissolution notamment dans une société de personnes regroupant deux associés, sans qu'il soit besoin de constater en outre une paralysie du fonctionnement de la société, ou un dysfonctionnement grave affectant le fonctionnement de la société ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 1844-7 5° du code civil, ensemble l'article 1830 du code civil ; Mais attendu qu'ayant exactement retenu que la mésentente existant entre les associés et par suite la disparition de l'affectio societatis ne pouvaient constituer un juste motif de dissolution qu'à la condition de se traduire par une paralysie du fonctionnement de la société, la cour d'appel, qui a souverainement relevé que les difficultés rencontrées n'étaient pas suffisamment graves pour paralyser le fonctionnement social, a rejeté à bon droit la demande de M. X... ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne M. X... aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille onze. II. COMMENTAIRE : ARRET CASS. COM. 22 NOVEMBRE 1976 (DOC. 3). Page 13 sur 49 Licence 3 – Droit des sociétés – 2016/2017 Cours de M. PITCHO SÉANCE N°3 CONTRAT DE SOCIETE (1/2) : SANCTIONS DES IRREGULARITES DE CONSTITUTION (NULLITES) I. ETUDIEZ LES DOCUMENTS SUIVANTS : DOC 1 : Cass. com. 13 février 1996 Joint les pourvois n° 93-21.140 et n° 94-12.225 qui attaquent le même arrêt ; Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 8 octobre 1993) que, par des conventions du 10 octobre 1988, M. Joseph Y..., la société Harpax et la société Alma intervention ont renoncé, les deux premiers totalement, la troisième pour moitié, à leurs droits à participer aux bénéfices de la société en nom collectif Almaflux (la SNC) dont ils étaient associés, en contrepartie de l'engagement pris à titre personnel par M. X..., autre associé, gérant de la SNC, de les garantir des conséquences financières d'un redressement fiscal ; que, réunie le 20 septembre 1989, l'assemblée générale extraordinaire de la SNC a réparti les bénéfices de l'année 1988 à concurrence de 80 % pour M. X... et de 20 % pour la société Alma intervention puis, décidé la modification des statuts afin de prévoir, pour 1989 et les exercices suivants, une répartition des bénéfices à concurrence de 95 % pour M. X... et de 5 % pour la société Alma intervention ; que M. Joseph Y..., ainsi que les sociétés Alma intervention et Harpax ont assigné la SNC pour demander l'annulation des conventions, délibérations et modifications statutaires précitées et la répartition des bénéfices des années 1988 et 1989 en proportion des parts détenues par chaque associé, conformément aux dispositions initiales des statuts ; que la cour d'appel a annulé les conventions du 10 octobre 1988, la résolution de l'assemblée générale du 20 septembre 1989 relative à la répartition des bénéfices futurs et la modification corrélative des statuts ; Sur le premier moyen du pourvoi n° 94-12.225 pris en ses cinq branches : Attendu que la SNC et M. X... font grief à l'arrêt d'avoir, par voie de confirmation, rejeté la fin de non-recevoir qu'ils avaient opposée sur le fondement du défaut de qualité pour agir des porteurs de parts M. Joseph Y... et la société Alma intervention, faute pour ces derniers d'avoir eu la qualité d'associé du fait de cessions régulières des parts de la société alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dans l'hypothèse même où M. X... aurait été personnellement acquiescé à l'existence de la cession consentie à M. Joseph Y..., il n'aurait pas pour autant engagé sur ce point la SNC, alors, d'autre part, qu'ayant contesté l'authenticité de la signature de M. Joseph Y... telle que figurant dans le pouvoir donné par celui-ci à son fils, l'arrêt ne pouvait écarter ce moyen sans s'expliquer sur cette contestation, alors, en outre, que la ratification par M. Joseph Y... de la cession ne pouvait avoir aucune influence sur son agrément par l'unanimité des associés, dont ils avaient démontré qu'elle n'avait pu être le fait de l'assemblée générale du 21 mars 1988, alors encore que, dès lors qu'ils avaient contesté la validité de la signature portée dans le procès-verbal d'agrément du 21 mars 1988, et, partant, l'agrément de la cession, l'article 126 du nouveau Code de procédure civile ne pouvait régulariser rétroactivement cet agrément et alors, enfin, que la contestation de l'agrément objet de la délibération du 21 mars 1988 concernait la régularité des cessions intervenues au profit de M. Y... et la société Alma intervention, qu'ainsi, l'arrêt attaqué a violé les articles 1984 et suivants du Code civil, 13 et suivants, 10, alinéa 1er, de la loi du 24 juillet 1986, 455 du nouveau Code de procédure civile et par fausse application l'article 126 du même Code ; Mais attendu, en premier lieu, que l'article 19 de la loi du 24 juillet 1966 n'impose pas que la SNC donne son consentement à la cession des parts des associés ; Attendu, en deuxième lieu, que c'est par un motif non critiqué par le pourvoi, selon lequel le procès-verbal de l'assemblée extraordinaire de la SNC du 21 mars 1988 mentionnait que M. Marc Y... avait procuration de M. Z... pour représenter la société Harpax, que la cour d'appel a, sans faire application de l'article 126 du nouveau Code de procédure civile, estimé que M. Marc Y... avait consenti à la cession au nom de la société Harpax ; Attendu, en troisième lieu, qu'en retenant que M. Joseph Y... avait implicitement mais nécessairement ratifié l'acquisition des parts de la SNC faite à son nom en se comportant comme un véritable associé, la cour d'appel, qui a motivé sa décision, a pu statuer comme elle a fait ; Attendu, en quatrième lieu, qu'ayant relevé par motifs adoptés que la société Alma intervention justifiait avoir acquis ses parts de la société Arc Conseil par acte du 30 mars 1988, et, par motifs propres, d'un côté, que les associés de la SNC avaient autorisé l'un d'eux, titulaire de 40 % des parts à les céder à la société Alma intervention et, d'un autre côté, que M. X... et la SNC ne fournissaient aucune précision réelle et ne versaient aucune pièce pour contester la qualité d'associé de cette société, la cour d'appel a pu décider que ladite qualité était établie ; D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses cinq branches ; Sur le second moyen du pourvoi n° 94-12.225 pris en ses deux branches : Attendu que la SNC et M. X... font encore grief à l'arrêt d'avoir écarté le moyen tiré par eux de l'article 361 de la loi du 24 juillet 1966 alors, selon le pourvoi, d'une part, que cette nullité avait été expressément évoquée par leurs conclusions d'appel, qu'ainsi l'arrêt a violé les articles 455 du nouveau Code de procédure civile par dénaturation de leurs conclusions par refus d'application de l'article 361 de la loi du 24 juillet 1966 et alors, d'autre part, que sur ce dernier point, leurs demandes au fond étaient subsidiaires, qu'ainsi, l'arrêt a violé les mêmes textes ; Mais attendu que, dès lors qu'elle n'avait constaté aucune fraude, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé les conclusions invoquées, n'a fait qu'user de la faculté d'appréciation à elle accordée par l'article 361 de la loi du 24 juillet 1966, en ne prononçant pas la nullité de l'assemblée générale du 21 mars 1988 ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ; Sur le premier moyen du pourvoi n° 93-21.140, pris en ses trois branches : Attendu que la société Alma intervention, M. Joseph Y... et la société Harpax font grief à l'arrêt d'avoir refusé d'annuler la résolution votée au cours d'une assemblée générale extraordinaire par laquelle les associés d'une société en nom collectif ont décidé d'exclure deux associés totalement de la répartition des bénéfices de l'exercice écoulé et de réduire de moitié les droits d'un autre associé, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'est nulle en application de l'article 1844-1, alinéa 2, du Code civil, la résolution par laquelle les associés d'une société décident d'exclure totalement certains d'entre eux de la répartition des bénéfices, fût-ce pour un exercice écoulé ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé, alors d'autre part, qu'une partie ne peut pas renoncer par avance à un droit d'ordre public ; qu'en l'absence de décision de l'assemblée lui distribuant un Page 16 sur 49 dividende, un associé n'est titulaire d'aucune créance individuelle contre la société dont il pourrait faire abandon au profit d'un autre associé ; qu'en décidant que deux associés avaient pu avant toute attribution de dividendes, renoncer à leur droit, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ensemble l'article 347 de la loi du 24 juillet 1965 et alors, enfin, que l'annulation du pacte d'associés et du protocole d'accord du 10 octobre 1988 devait nécessairement entraîner l'annulation de la deuxième résolution de l'assemblée générale extraordinaire du 20 septembre 1989 qui n'était que l'exécution des conventions susvisées ; qu'ainsi, la cour d'appel a encore violé l'article 1844-1, alinéa 2, du Code civil ; Mais attendu que l'article 1844-1, alinéa 2, du Code civil ne fait pas obstacle à ce que les bénéfices distribuables d'un exercice clos soient répartis entre les associés, sous forme de dividendes, conformément aux renonciations exprimées par certains d'entre eux en assemblée générale ; que dès lors, abstraction faite des motifs critiqués par le pourvoi, la cour d'appel a pu décider qu'était valide la résolution de l'assemblée générale du 20 septembre 1989 relative à la répartition des bénéfices de l'année 1988 ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses trois branches ; Et sur le second moyen du pourvoi n° 93-21.140, pris en ses trois branches : (sans intérêt) ; PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois. DOC 2 : Revue des sociétés 1993 p. 725 Société fictive et simulation Pascal Rouast-Bertier, Avocat à la cour d'appel de Paris 1. Le droit entretient avec la notion de fiction des rapports complexes. En tant que système d'organisation des rapports économiques et sociaux, il secrète des notions abstraites qui visent à qualifier et à normaliser la réalité concrète. Parce qu'elles reflètent des choix philosophiques et des conventions sociales, ces notions abstraites de la sphère juridique peuvent apparaître, comparées par exemple aux notions également abstraites qui expriment les lois mathématiques ou physiques, subjectives, voire arbitraires. Pour autant, la question du caractère réel ou fictif du droit n'apparaît pas très pertinente. Fictif, le droit l'est au sens où ce terme recouvre ce qui est le produit de l'esprit humain ou n'a de valeur qu'en vertu d'une norme sociale (1) ; il ne l'est pas en revanche si on assigne à ce terme le sens de ce qui n'existe qu'en apparence, de ce qui tend à donner une image fausse de la réalité. Le droit ne vise pas à déformer la réalité, mais à l'organiser. En ce sens on peut dire en adoptant une démarche hégélienne qu'il est réel, parce que rationnel. 2. S'il ne lui est pas assimilable, le droit utilise en revanche la notion de fiction dans un mouvement soit constructif, soit destructeur. Le droit construit à partir de la notion de fiction lorsqu'il utilise « le procédé qui consiste à supposer un fait ou une situation différente de la réalité pour en déduire des conséquences juridiques » (2). On parle alors de fiction juridique (3). Toutefois, la frontière entre la réalité et la fiction n'est de ce point de vue pas objectivement claire, comme l'illustre la controverse entre les tenants de la fictivité de la personnalité morale (4) et ceux de sa (5). Le droit peut à l'inverse, le plus souvent à travers la jurisprudence, utiliser la notion de fiction pour détruire des constructions qui détournent les instruments juridiques qu'il met à leur disposition dans un but non nécessairement frauduleux mais du moins artificiel, éloigné Page 17 sur 49 des objectifs pour lesquels ces instruments ont été créés. C'est une telle démarche téléologique que reflète la notion de personne morale (c'est-à-dire en pratique, dans la plupart des cas, de société) fictive. 3. La notion de société fictive est d'origine jurisprudentielle, même si elle a été généralement présentée comme une application du mécanisme législatif de la simulation (6). L'examen, tant du point de vue de ses conditions (I) que du point de vue de ses effets (II) de cette assimilation de la notion de société fictive à une application du mécanisme de la simulation conduit à une redéfinition de la notion. La définition traditionnelle de la fictivité à l'épreuve de ses conditions Il convient de rappeler cette définition traditionnelle (A) avant d'en mesurer les insuffisances (B). La définition traditionnelle de la fictivité 4. Dans la conception traditionnelle de la société fictive, celle-ci est le produit non nécessairement d'une fraude mais en tous cas d'une simulation (7), c'est-à-dire de la création, à l'intention des tiers, d'une apparence (l'existence d'un contrat de société) non conforme à l'intention réelle des parties, auxquelles la volonté de se mettre en société, et plus précisément l'affectio societatis, font défaut (8). Ainsi, des deux aspects indissociables de la société (contrat et institution), l'aspect institutionnel constitue une simple façade dans la mesure où l'aspect contractuel, son support nécessaire, n'a pas de réalité. Apparence sans réalité, la société fictive est l'antithèse de la société créée de fait, réalité sans apparence. 5. Si le contrat qui fonde une société entachée de fictivité n'a pas de réalité, ce peut être pour deux types de raisons, habituellement recensées par les auteurs à travers la jurisprudence : ou bien le contrat de société dissimule un autre contrat ou acte juridique, et la simulation porte alors sur la nature de l'acte liant les parties (1°), ce qui constitue un cas d'application classique de ce mécanisme, ou bien le contrat de société dissimule une exploitation unipersonnelle, une absence de contrat (2°), ce qui constitue une forme de simulation plus éloignée du schéma évoqué par l'article 1321 du Code civil. La simulation porte sur la nature du contrat Dans le premier cas, application topique du schéma auquel fait référence l'article 1321 du Code civil, le contrat de société dissimule l'existence d'un autre contrat (ou acte juridique), qui constitue lui-même la contre-lettre évoquée par l'article 1321 (9). 6. Cet autre contrat peut être un contrat de vente (10) (le vendeur faisant apport à une société spécialement constituée d'un bien immobilier avant de céder ses parts à l'acquéreur, évitant ainsi à ce dernier le paiement des droits de mutation immobilière). Le contrat secret peut également être un contrat de travail (11), l'employeur constituant avec son salarié une société pour échapper aux règles du droit du travail, ou un contrat de prêt (12), la simulation étant alors le plus souvent destinée à permettre aux parties d'échapper aux dispositions qui régissent ces contrats, particulièrement en matière d'usure. Il peut aussi s'agir d'un acte juridique, fréquemment une libéralité (13) (généralement pour échapper aux règles protégeant la réserve héréditaire). Page 18 sur 49 7. Bien que les auteurs s'attachent généralement à différencier la société fictive de la société frauduleuse, la simulation ne comportant pas en principe un but répréhensible (14), on peut remarquer d'emblée que les montages juridiques précités, qui visent tous à éluder l'application de dispositions légales d'ordre public, constituent sans exception des cas de fraude. Se fait alors nécessairement jour la question de l'utilité, dans ces circonstances, du recours à l'outil de la fictivité en présence de l'arme très puissante de la fraude (v. ci-après n° 39). La simulation porte sur l'existence même d'un contrat 8. Dans ce second cas, de loin le plus fréquent en pratique, on s'éloigne davantage du schéma classique de la simulation (contrat apparent dissimulant un autre contrat - la contre-lettre - entre les mêmes parties). En effet la simulation porte non sur la nature du contrat mais sur l'existence même d'un contrat : c'est l'hypothèse de la société de façade dissimulant, grâce à la complaisance de prête-noms, associés fictifs, l'activité du véritable maître de l'affaire, celui-ci pouvant être soit une personne physique (15) soit une personne morale, une société le plus souvent (16). 9. Pas plus que les sociétés fictives dissimulant un autre contrat, ces sociétés fictives dissimulant l'activité d'une seule personne ne sont en principe frauduleuses. Cependant, si l'on observe qu'elles sont le plus souvent des sociétés de capitaux (dans lesquelles la responsabilité des associés est en principe limitée au montant de leurs apports), on peut se demander si elles ne sont pas dans de nombreux cas inspirées par le souci de faire échec au principe de l'unité du patrimoine (17), donc entachées de fraude à la loi. Il semble qu'il n'en soit rien et que leur création obéisse le plus souvent, du moins lorsqu'elle est le fait d'une autre société, à de tout autres motifs (v. ci-après n° 13 et la note 39) (18). 10. La fictivité de la qualité d'associés des comparses du maître de l'affaire (ou, ce qui revient au même, le caractère simulé de leur qualité d'associés, c'est-à-dire leur absence d'affectio societatis), cause de fictivité de la société elle-même, est difficile à apprécier. L'existence entre les mains du maître de l'affaire d'actes de cession de parts en blanc ou autres documents analogues (19), si elle constitue la meilleure preuve de la qualité de prête-noms des autres associés (20), est par définition malaisée à établir, et la jurisprudence n'en offre guère d'exemples. Cette hypothèse mise à part, l'indice de fictivité le plus visible est généralement le déséquilibre marqué, dans la répartition du capital, entre le maître de l'affaire et le ou les autres associés qui lui servent de prêtenoms. Cependant, une égale répartition du capital entre les associés n'étant pas de l'essence de la société, « un associé peut détenir la grande majorité des parts ou actions sans que la société soit nécessairement fictive » (21), et cet indice ne peut donc être jugé suffisant à lui (22). Toutefois il constitue dans de nombreux cas le point de départ du raisonnement du juge (23). De même, si l'existence de liens familiaux entre les associés ne suffit pas à donner un caractère fictif à la société (24), elle peut en constituer un premier indice (25). Un autre indice peut résulter, s'agissant d'une filiale, de la communauté de dirigeants entre celle-ci et sa société mère (26) (mais là encore cette seule circonstance est insuffisante à établir la fictivité) (27), ou la présence dans son capital d'associés minoritaires qui sont eux-mêmes des salariés ou des mandataires sociaux de la société mère (28). 11. Mais il semble que la jurisprudence se satisfasse de moins en moins de ces seuls critères « organiques » (29), recherchant des preuves de la fictivité de la société dans le Page 19 sur 49 fonctionnement de cette dernière : absence de toute vie sociale attestée par l'absence de réunion ou d'information des organes sociaux (30), et surtout imbrication d'activités et d'actifs aboutissant à la confusion du patrimoine de la société arguée de fictivité avec celui du maître de l'affaire (31) (cette confusion pouvant, il faut le souligner, se faire indifféremment au profit du patrimoine du maître de l'affaire ou de celui de la société fictive) (32). Cette émergence d'un critère « fonctionnel » de fictivité trouve son point culminant dans son application à l'EURL (33) qui, selon la doctrine, « peut être tenue pour fictive notamment si l'associé unique confond son patrimoine avec celui de sa société » (34). Madame Martin-Serf, pourtant réticente à une totale assimilation de la fictivité au mécanisme de la simulation (35), considère qu'il s'agit bien en l'espèce d'un cas de simulation (36). Ainsi selon cet auteur, s'il peut y avoir fictivité sans simulation, il pourrait également y avoir simulation sans contrat. Les insuffisances de la définition traditionnelle 12. On l'a vu, les deux formes de société fictive (société dissimulant un autre contrat, société dissimulant l'activité d'une seule personne) sont dans l'opinion commune, et malgré l'émergence d'un critère « fonctionnel » de la fictivité, fondées sur la notion de simulation (37), elle-même découlant du défaut d'affectio societatis relevé par les juges du fond dans le comportement des parties lors de la formation du contrat ou son exécution (confusion des activités et des patrimoines, absence de fonctionnement social). Cette approche fondée sur la notion d'affectio societatis n'est pas sans inconvénients, tant pratiques que juridiques (1°). L'utilisation autonome, détachée de la notion d'affectio societatis, du critère fonctionnel de la confusion d'activités et de patrimoines, qui semble-til vise à pallier certains de ces inconvénients, soulève elle-même d'autres questions (2°). Les inconvénients pratiques et les incertitudes juridiques de l'affectio societatis comme critère déterminant du caractère réel ou fictif d'une société 13. L'assimilation du défaut d'affectio societatis (c'est-à-dire de l'absence d'une réelle dimension contractuelle) à la fictivité d'une société conduirait logiquement à qualifier de fictives toutes les sociétés qui sont filiales à presque 100 % d'une société mère, le solde de leur capital étant détenu soit par d'autres sociétés du même groupe, soit par des personnes physiques employées par ce groupe. Ce cas est très fréquent dans la réalité des affaires (38), il s'agit même de l'un des cas dans lesquels la constitution de la société qualifiée de fictive obéit à des motifs le moins souvent (39). Et que dire du phénomène des nationalisations, par lequel l'Etat est devenu l'actionnaire unique de sociétés d'une importance économique considérable (40) ? Faut-il en déduire que ces sociétés sont devenues fictives, simples écrans derrière lesquels c'est l'Etat lui-même qui fait actes de commerce ? C'est sans doute en considération du caractère à la fois néfaste et irréaliste en pratique de cette menace de fictivité (41), pesant sur de nombreuses sociétés, qui seraient ainsi de véritables « fantômes juridiques » en sursis le plus souvent sans le savoir, et de l'incertitude qui en résulterait pour l'autonomie patrimoniale (et donc les créanciers) tant de ces sociétés que de leurs sociétés mères, que la jurisprudence tend comme on l'a vu plus haut à privilégier semble-t-il de manière croissante un critère de type fonctionnel au détriment du critère tenant au caractère de facto unipersonnel de la société (42) (lié à l'absence d'affectio societatis des minoritaires) et à rechercher des signes de fictivité dans l'absence de fonctionnement social de la société arguée de fictivité et la confusion de ses activités avec celles de sa société mère. 14. Si la fictivité résulte de l'absence d'affectio sociétatis, il convient de tenter de définir Page 20 sur 49 cette notion, ce qui ne va pas sans incertitudes juridiques. L'affectio societatis n'est pas une autre façon de désigner le consentement des parties à un contrat de société. Pour certains auteurs, la spécificité du contrat de société réside dans « le concours entre des volontés qui ont toutes le même contenu et tendent toutes vers le même but » (43) alors que, d'une manière générale, le contrat constitue le point d'équilibre entre des volontés non pas semblables et concordantes, mais distinctes et conflictuelles. La notion d'affectio societatis traduirait cette spécificité. Par un arrêt du 3 juin (44), la chambre commerciale de la Cour de cassation a défini l'affectio societatis de façon très exigeante, comme requérant la collaboration effective des associés à l'exploitation du fonds, « dans l'intérêt commun et sur un pied d'égalité pour participer aux bénéfices comme aux pertes ». Même si la doctrine admet unanimement que cette définition doit être modulée en particulier en fonction de la forme de la société (les exigences de l'affectio sociétatis étant par exemple plus fortes dans une société de personnes que dans une société de capitaux) (45), il n'en demeure pas moins qu'elle suppose un comportement actif de la part des associés. Or, c'est devenu un lieu commun de constater que, dans les grandes sociétés de capitaux modernes, particulièrement dans les sociétés cotées, les petits actionnaires « se désintéressent des affaires sociales, se contentant d'encaisser les dividendes qui leur sont attribués, un peu comme un créancier touche les intérêts de son prêt » (46) l'affectio societatis paraissant se réduire pour ces associés à l'acceptation d'un aléa dans la rémunération de leur investissement, ce qui paraît insuffisant pour satisfaire les exigences de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation (47). En réalité, comme l'a souligné un auteur (48), les multiples définitions de l'affectio societatis « cachent mal la crise de la notion. [...] La passivité des associés bailleurs de fonds, l'existence de titres sans affectio sociétatis, de sociétés dans lesquelles certains associés n'ont pas ou guère d'affectio societatis, de sociétés sans affectio societatis, de différences d'intensité dans l'affectio societatis [...] montrent l'éclatement du concept et son déclin » (49). Dès lors la notion d'affectio societatis, notion psychologique au contenu mouvant autant qu'incertain, ne paraît guère en mesure de constituer un critère de la fictivité des sociétés procurant aux agents économiques (et en particulier aux créanciers comme aux associés des sociétés en cause) le minimum de sécurité juridique requis. Les questions soulevées par le critère « fonctionnel » 15. C'est semble-t-il pour pallier ces inconvénients tant pratiques que juridiques de l'utilisation de l'affectio societatis comme critère déterminant de fictivité que la jurisprudence, tandis qu'elle réaffirmait le principe de l'indépendance patrimoniale des personnes morales même en présence d'un associé prépondérant et d'une communauté de dirigeants (50), a dégagé des critères plus objectifs et « fonctionnels » de fictivité, tels que la confusion d'activités et de patrimoine. Cependant, cette démarche n'est pas sans soulever des questions d'un point de vue juridique. 16. La première remarque concerne la confusion qui à première vue semble être faite, dans certaines décisions, entre fictivité et théorie de l'apparence. En examinant les conditions de fonctionnement de la société, les tribunaux indiquent parfois de manière plus ou moins explicite que la confusion réalisée entre les activités et les actifs de la société fictive et ceux du maître de l'affaire (personne physique ou, plus souvent, société) a été ou doit avoir été apparente, de manière à créer la confusion dans l'esprit des tiers (51), relevant des indices de cette confusion dans l'identité de sièges sociaux, de numéros de téléphone, l'identité ou la similarité des dénominations sociales, etc. Ainsi, un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 31 mai 1989 (52) énonce que la fictivité « exige un haut degré de confusion établissant une véritable identité extérieure au point que les Page 21 sur 49 partenaires [des deux sociétés] aient pu croire qu'elles formaient une personne morale unique » (53). Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 4 janvier 1982 (54) semble au contraire faire explicitement la différence entre fictivité et identité apparente (55). Mais la rédaction de l'arrêt ne permet pas de déterminer avec certitude si la Cour de cassation voit dans les deux notions des conditions alternatives ou cumulatives du recours des créanciers de la société fictive contre le maître de l'affaire (56). La rédaction de l'arrêt (57) va plutôt dans le sens de la première interprétation (58), mais M. Burst, commentateur de l'arrêt, semble y voir une illustration du nécessaire cumul de la fictivité et de la création d'une apparence trompeuse pour établir l'obligation de la société dominante au paiement des dettes de la société dominée (59)(59. 17. On sait que, du point de vue des tiers, la théorie de l'apparence est plus exigeante que la simulation : alors que celle-ci requiert leur simple bonne foi (qui n'a pas à être prouvée), celle-là exige la démonstration d'une erreur invincible ou commune (60), ou du moins d'une erreur légitime (61). Par ailleurs, et surtout, si le caractère fictif de la société est apparent et non dissimulé, la raison d'être de l'option offerte aux tiers par l'article 1321 Code civil (se prévaloir de l'apparence ou de l'acte secret) disparaît. Rechercher des éléments de fictivité dans les conditions de fonctionnement de la société « au vu et au su des tiers », c'est même, si l'on assimile cette fictivité à une forme de simulation (62), aboutir à une contradiction flagrante puisque par définition, ce qui est apparent (la confusion créée entre deux entités) ne saurait être dissimulé (la contre-lettre constitutive de simulation). Pour expliquer la jurisprudence précitée, on est alors nécessairement amené à détacher la notion de fictivité de celle de simulation, comme y invitent par ailleurs d'autres arguments. 18. En effet, le raisonnement juridique qui consiste à rechercher des indices de fictivité non pas dans les circonstances de la formation du contrat mais dans les modalités de son exécution s'accorde mal avec le maintien de la notion de société fictive sous l'empire du mécanisme de la simulation. La simulation intervient en principe dans la formation du contrat (63). Ainsi, la Cour de cassation rappelle logiquement que l'affectio societatis en tant qu'élément constitutif du contrat de société (élément faute duquel, on l'a vu, la société doit être jugée fictive parce que simulée) doit s'apprécier au jour de la constitution de la société (64). 19. Si la recherche des preuves du caractère simulé de la formation d'un contrat dans les conditions d'exécution de ce contrat ne paraît pas a priori illégitime, ce n'est pas la démarche que semble adopter la jurisprudence (qui n'indique pas que la confusion de patrimoines est pour elle un indice de l'absence d'affectio societatis originel des associés, et à qui, à vrai dire, cette circonstance paraît indifférente). Sans doute des auteurs ont-ils argué que rien ne s'oppose à ce que la simulation, c'est à dire le maintien d'une apparence contractuelle alors que la société est devenue de facto la chose d'un seul, apparaisse au cours de la vie sociale (65). Mais on s'éloigne alors encore davantage du mécanisme de la simulation tel qu'il est classiquement décrit. De même, cette conception « fonctionnelle », voire matérielle, de la fictivité en atténue l'élément intentionnel, qui caractérise en principe la simulation (66). 20. De plus, considérer que la seule disparition, en cours de vie sociale, de l'affectio societatis entraîne la fictivité de la société conduirait à un paradoxe. On sait en effet que, depuis 1966 pour les sociétés commerciales et depuis 1981 pour les sociétés civiles, la réunion en une même main de toutes les parts ou actions d'une société n'entraîne plus dissolution automatique et de plein droit de la société (67). On ne peut concevoir que Page 22 sur 49 la société devenue ouvertement unipersonnelle demeure en principe valable tandis que celle dont le caractère unipersonnel serait dissimulé derrière une apparence contractuelle maintenue verrait son existence remise en cause. On rappelle également que la Cour de cassation a jugé, conformément à l'article 1844-7-5° du Code civil, que la mésentente entre associés (qui implique la disparition de l'affectio societatis) ne justifie la dissolution judiciaire de la société que si elle compromet la bonne marche de l'entreprise ou paralyse le fonctionnement de la société (68). 21. Cette autonomie de la fictivité « du deuxième type » (apparence d'un contrat de société dissimulant l'activité d'une seule personne, et décelée à travers une confusion d'activités et de patrimoines) à l'égard du mécanisme de la simulation semble avoir été consacrée par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 9 octobre 1967 (69), la Chambre commerciale a considéré qu'une cour d'appel, ayant constaté « que les clients, les travaux, le personnel étaient les mêmes et que les deux entreprises n'en formaient qu'une » pouvait étendre la faillite de l'une à l'autre et que « invoquant au soutien de sa décision la confusion des deux entreprises et non la simulation, elle n'avait pas à se référer aux conditions de cette dernière » (70). Plus récemment la même Chambre commerciale (71), sans faire référence aux conditions de la simulation, caractérise la fictivité par le fait qu'une personne physique non associée « avait pris toutes les décisions nécessaires à la gestion de la société [...] en fonction de ses seuls intérêts et de ceux de sa famille, qu'il s'était occupé seul des affaires sociales sans être associé et avait même manipulé à son gré la composition de la gérance, puis du conseil d'administration de la société », et approuve la cour d'appel d'avoir relevé que la société en cause « n'était qu'une société de façade dont les organes sociaux étaient manipulés au gré de P. qui était le véritable et seul maître de l'entreprise et que la cession intervenue [...] n'avait pas fait cesser la confusion de patrimoine ». Ainsi, pour la Cour de cassation, il peut y avoir fictivité par confusion d'activités et de patrimoines (72), cette dernière notion étant indépendante de celle de simulation (73). De même, de nombreuses cours d'appel assimilent confusion de patrimoines et fictivité (74), mais pas nécessairement fictivité et simulation. 22. Ne faut-il pas alors voir dans la fictivité liée à la confusion d'activités et de patrimoines la marque d'une sanction ? De fait la jurisprudence concernant la confusion de patrimoines apparaît fréquemment animée par une telle motivation (75), ce qui l'éloigné encore davantage de la notion de simulation qui ne contient pas en principe une telle acception (76). 23. Si la fictivité par confusion d'activités et de patrimoines est une notion autonome qui ne découle pas du mécanisme civiliste de la simulation, sur quel fondement la justifier en droit ? 24. M me Gisserot (77), citant à l'appui de sa démonstration un arrêt de la Chambre commerciale du 3 janvier (78), estime que la confusion de patrimoines est une source de fictivité indépendante des notions d'affectio societatis et de simulation - ce qui nous paraît désormais acquis - et que la jurisprudence y relative s'explique par le fait que la raison d'être du patrimoine social est de constituer pour les créanciers une garantie et de permettre par là au commerçant agissant par l'intermédiaire de la société d'obtenir du crédit. Ainsi, « lorsque celui-ci ne respecte pas cette séparation entre patrimoine personnel et patrimoine commercial, il rend illusoire la sécurité que les créanciers commerciaux étaient en droit d'attendre ». Cette interprétation justifierait par exemple qu'il puisse exister des EURL fictives. Page 23 sur 49 25. Mais il ne paraît même pas certain qu'il faille assimiler confusion de patrimoines et fictivité, que celle-ci soit ou non une application du mécanisme de la simulation. M. Bellanger (79) a proposé une explication de la confusion de patrimoines détachée des notions de fictivité et de simulation et fondée sur la représentation : « en même temps qu'elle s'engage elle-même, chaque société du groupe où règne la confusion des patrimoines représente les autres membres de ce groupe. Ce qu'elle offre à la garantie de ses engagements, ce n'est pas seulement son propre patrimoine mais celui de toutes les autres sociétés. » On note qu'il s'agit là d'une explication qui ne se rattache ni à la notion de prête-nom (elle même liée à la notion de simulation) ni à celle de mandat apparent (application de la théorie générale de l'apparence). 26. De fait, la jurisprudence et la doctrine semblent tantôt considérer la confusion d'activités et de patrimoines comme un indice déterminant de fictivité (80), tantôt la présenter comme une notion indépendante de celle de fictivité et réservée au domaine des procédures collectives (81). Tantôt encore la possibilité d'une extension de faillite sur le fondement d'une fictivité ne découlant pas de la confusion de patrimoines est évoquée (82), tantôt la confusion de patrimoines est présentée comme étant parfois source de fictivité, parfois source autonome d'extension de la procédure collective (83). On conçoit que le non initié s'y perde. Mais avant de prendre position sur le (ou les) fondement(s) juridique(s) de la fictivité des sociétés, il convient d'examiner la notion sous l'angle de ses effets. La définition traditionnelle de la fictivité à l'épreuve de ses effets Les conditions de la fictivité sont indissociables de ses effets. Selon le mécanisme auquel elle se rattache (simulation ou autre...), ses effets ne devraient pas être les mêmes. Les contradictions inhérentes à la définition traditionnelle Rappel des effets de la simulation et de l'action des tiers (84) 27. On sait que dans le cadre d'une simulation, les parties sont liées « par ce qu'elles ont réellement voulu, c'est à dire par l'acte apparente tel qu'il est modifié ou détruit par l'acte secret » (85), à condition de pouvoir faire la preuve de ce dernier selon les règles de droit commun. S'agissant d'une société fictive, le lien juridique entre les parties serait donc soit le contrat dissimulé derrière la société (86), soit, dans l'hypothèse d'une société fictive dissimulant l'activité d'une personne unique, simplement inexistant (mis à part la contre-lettre éventuellement constituée par des cessions de parts en blanc ou autres accords écrits ou oraux équivalents). 28. Au profit des tiers, la simulation ouvre classiquement la possibilité de se prévaloir soit de l'acte apparent (87), soit de la contre-lettre au terme d'une action en déclaration de simulation leur permettant d'en établir la preuve par tous moyens (88). La contrelettre ne leur est par ailleurs par opposable, pour autant qu'elle leur ait été effectivement cachée (89). En cas de conflit d'intérêt entre tiers de bonne foi, les uns invoquant l'apparence, les autres la réalité cachée, la jurisprudence tend à faire prévaloir la cause des premiers, mais uniquement si cette apparence était assez bien organisée pour donner à leur erreur un caractère légitime, faisant là une application de la théorie de l'apparence (90) qui intervient comme un mécanisme correcteur des effets de la simulation (91). Page 24 sur 49 29. Ainsi dans le cas d'une société fictive dissimulant un autre contrat ou acte juridique, les tiers pourraient-ils se prévaloir soit de l'existence de la société, soit, en prouvant la simulation, du contrat ou de l'acte dissimulé derrière la société (par exemple, contrat de vente, contrat de travail, donation), à condition naturellement que ledit acte ou contrat ne soit pas contraire à l'ordre public. S'agissant d'une société fictive dissimulant l'activité du véritable maître de l'affaire, la preuve de la simulation( c'est-à-dire du caractère fictif de la société) devrait permettre aux tiers soit de faire annuler la société soit de faire constater son inexistence (v. ci-après n° 30), puisque l'équivalent de la contre-lettre est constitué par une absence de contrat, et non directement de faire réintégrer dans le patrimoine du maître de l'affaire l'actif et le passif de celle-ci (92). Simulation et inexistence 30. Traditionnellement, la doctrine considérait que la preuve de la fictivité d'une société devait entraîner la déclaration non de sa nullité, mais de son inexistence (93), l'action en déclaration de simulation étant ainsi assimilable à une action en déclaration d'inexistence. Cette distinction est lourde de conséquences pratiques, car la nullité d'une société a désormais de par la loi les mêmes effets qu'une dissolution et n'opère donc pas rétroactivement (94). Par ailleurs l'action en nullité se prescrit par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue (95), alors que l'action en déclaration d'inexistence serait prescriptible par trente ans (comme l'action en déclaration de simulation), voire imprescriptible. En outre, la nullité peut être couverte jusqu'à ce que le tribunal ait statué sur le fond en première instance, sauf si elle résulte de l'illicéité de l'objet social (96) (ne subsiste dans ce cas qu'une action en dommages-intérêts tendant à réparer le préjudice causé par la nullité, qui se prescrit elle-même par trois ans à compter du jour où la nullité a été couverte) (97). 31. Surtout, cette prise de position d'auteurs par ailleurs attachés à l'explication traditionnelle de la fictivité par la simulation, en faveur de l'inexistence des sociétés fictives est surprenante car l'inexistence devrait pouvoir être opposée aux tiers par les parties au contrat, ce qui, on le sait, est exclu en matière de simulation (la contre-lettre étant inopposable aux tiers). 32. Mais en ce domaine comme en d'autres (98), la Cour de cassation, après avoir paru l'admettre (mais dans une affaire où la société avait semble-t-il dès l'origine un but frauduleux, et en tout état de cause antérieure à la loi du 4 janvier 1978 qui a étendu à toutes les sociétés les principes applicables, en matière de nullité, aux sociétés commerciales) (99) a écarté la notion d'inexistence, en dernier lieu par un arrêt de la chambre commerciale en date du 16 juin 1992 (100). C'est donc bien le régime des nullités qui devrait s'appliquer. Cependant, l'évolution législative et doctrinale semble irrémédiablement condamner une telle sanction de la fictivité par la nullité (v. ci-après B). Simulation et extension des procédures collectives 33. Comme on l'a vu, la reconnaissance de la confusion des patrimoines ou de la fictivité de la société a pour effet essentiel, dans le cadre d'une procédure collective, l'extension de la procédure au maître de l'affaire. S'il s'agissait là d'une application du mécanisme de la simulation, les créanciers sociaux se prévalant légitimement de l'apparence (c'est-à-dire de l'autonomie des deux entités) Page 25 sur 49 devraient pouvoir faire échec à l'extension de la procédure. Or, comme l'a justement souligné un auteur (101), « les tribunaux n'ont jamais fait leur une telle analyse (...) L'unicité de procédure est le seul moyen d'éviter l'arbitraire s'attachant à la répartition des éléments d'actif entre les différents patrimoines apparents qui n'en forment en réalité qu'un. Les impératifs du droit des affaires conduisent à substituer à l'analyse du droit civil, qui s'intéresse à des rapports individuels, une vision globale de la défaillance de ce qui constitue une entreprise unique reposant sur un patrimoine unique ». La nullité d'une sociétépour fictivité et l'évolution législative et doctrinale Le droit moderne, pour des raisons évidentes de sécurité juridique, tend à fonder la personnalité morale des sociétés sur des critères objectifs, tels que l'accomplissement des formalités de publicité (1°). Cette évolution est approuvée par la doctrine qui tend à substituer à la fictivité et à la simulation des outils juridiques plus respectueux de la personnalité morale des sociétés (2°). Le droit interne à l'épreuve du droit communautaire 33. La nullité d'une société civile « ne peut résulter que de la violation des dispositions er des articles 1832, 1832-1, alinéa 1 et 1833 [du Code civil], ou de l'une des causes de nullité des contrats en général » (102) ; quant aux sociétés commerciales, la loi du 24 juillet 1966 (103) dispose que leur nullité « ne peut résulter que d'une disposition expresse de la présente loi ou de celles qui régissent la nullité des contrats » (104). En restant dans les limites imposées par ces textes, on peut trouver le fondement de la nullité des sociétés pour défaut d'affectio societatis (c'est à dire des sociétés simulées) dans l'article 1832 du Code civil (105) pour les sociétés civiles, et - de façon moins évidente - dans l'absence de cause pour les sociétés commerciales (car la création de la société, même fictive, n'a-t-elle pas une cause ?). 34. Mais il paraît douteux que le maintien du défaut d'affectio societatis et des causes de nullité des contrats en général (y compris l'absence de cause) dans la liste des causes de nullité des sociétés soit conforme au droit communautaire en ce qui concerne tout au moins les sociétés de capitaux (SARL et sociétés par actions) (106). En effet, ces causes de nullité ne figurent pas à l'article 11 de la directive CEE 68/151 du 9 mars 1968, qui définit limitativement les causes pour lesquelles la législation des Etats membres peut prévoir la nullité de ces sociétés (107). Mis à part ces cas, « les sociétés ne peuvent être soumises à aucune cause d'inexistence, de nullité absolue, de nullité relative ou d'annulabilité ». Or, les causes de nullité prévues par la directive ne comprennent ni la fraude, ni la cause illicite (108), ni l'absence d'affectio societatis ou le caractère unipersonnel de la société (sauf si ce caractère unipersonnel existe de façon apparente dès sa constitution) (109). Dans sa décision Marleasing du 13 novembre 1990 (110), la CJCE a jugé que « l'exigence d'une interprétation du droit national conforme à l'article 11 de la directive 68/151/CEE précitée interdit d'interpréter les dispositions du droit national relatives aux sociétés anonymes d'une manière telle que la nullité d'une société anonyme puisse être prononcée pour des motifs autres que ceux qui sont limitativement énoncés à l'article 11 de la directive en cause ». 35. Cette évolution de la notion de personne morale vers une conception plus formaliste, voire « mécaniste », transparaît dans le fait que l'immatriculation est désormais la condition déterminante de la personnalité morale (111) alors que le droit antérieur la subordonnait à l'existence réelle du contrat de société (la publicité n'étant qu'une Page 26 sur 49 condition supplémentaire, et uniquement pour les sociétés commerciales). Le renforcement d'un courant doctrinal en faveur d'un dépassement de la définition traditionnelle de la fictivité 36. Depuis la première et surtout la seconde guerre mondiale s'est affirmée au sein de la doctrine l'idée que la création d'une société est avant tout le moyen d'expression juridique d'une entreprise, et le moyen de réaliser l'autonomie patrimoniale qui est nécessaire à cette entreprise pour individualiser et organiser une fonction économique et obtenir des moyens de financement (112). On peut rapprocher de cette conception la notion de fictivité par confusion d'activités et de patrimoines et en déduire que cette notion exprime alors la sanction de l'abus qui résulte de l'utilisation d'une société d'une façon contraire à l'objet pour lequel cet instrument juridique a été conçu (113). La « fictivité » pour confusion d'activités et de patrimoines se rattacherait alors à la notion d'abus de droit (ou encore, pour M. Hannoun (114), à la notion de « transparence »). 37. Dès 1929 le doyen Rousseau avait émis des doutes sur le caractère approprié de la simulation pour percer l'écran social d'une société de capitaux : « La société anonyme dépasse la volonté des individus qui la créent. Ce qu'ils ont voulu faire n'importe pas. La recherche des intentions individuelles est inutile... Pour faire disparaître une société anonyme, on ne pourra donc jamais agir en simulation parce que la société existe réellement du moment où elle présente les apparences d'une société anonyme, et agit comme telle » (115). Le doyen Rousseau fait ainsi figure de précurseur du mouvement qui, au sein de la doctrine, vise à contester la place occupée par le contrat dans les conditions déterminantes de la réalité d'une société, du moins en ce qui concerne les sociétés de capitaux. Cette opinion a été également défendue par le professeur Bastian, pour qui « on simule une vente... on ne simule pas une société anonyme » (116), et, dans un esprit assez différent, par le professeur Bredin (117), qui a mis l'accent sur la nécessité, pour que soit constituée la simulation, non seulement de l'existence d'un acte secret, mais également d'un pouvoir de destruction de l'acte secret sur l'acte apparent (118). On peut également citer M. Hannoun pour qui « la pratique des groupes de sociétés ne permet plus de penser la pluralité des associés comme un élément essentiel de la notion de société » (119). 38. L'explication de la notion de société fictive dissimulant l'activité d'une seule personne, ou encore de la notion de société fictive par confusion d'activités et de patrimoines à partir d'un canevas purement contractuel fondé sur les notions de simulation et d'affectio societatis ne paraît pas satisfaisante en l'état actuel du droit positif, tant du point de vue de ses conditions que du point de vue de ses effets. Il nous semble qu'elle trouve un meilleur fondement dans l'idée de gage des créanciers ou de patrimoine d'affectation, que l'on peut rattacher à la théorie de l'institution (120). L'évolution législative depuis quinze ans (121) va dans ce sens (122). Elle pourrait se poursuivre, au vu de l'orientation prise par de nombreuses législations étrangères - et non des moindres - qui admettent la validité de principe de la société unipersonnelle, du moins s'agissant des sociétés de capitaux (123) (alors que le droit français, le cas de l'EURL excepté, ne les admet que comme entités juridiques « en sursis ») (124). 39. On peut se demander si le recours des demandeurs et des tribunaux à la notion de fictivité par simulation dans des situations parfois frauduleuses ne s'explique pas surtout par la difficulté qui provient, en matière de fraude, de la nécessité de prouver la complicité de toutes les parties au contrat de société. Le recours clair à la théorie de l'abus de droit permettrait d'éviter un tel forcement du mécanisme de la simulation. Page 27 sur 49 40. L'effet recherché, et obtenu, par les demandeurs qui invoquent avec succès la fictivité d'une société (c'est à dire le fait que la société « n'était qu'un rouage d'une entreprise plus vaste ») (125) est en réalité non pas la nullité de celle-ci (dont la conséquence devrait être, rappelons le, la dissolution, sans effet rétroactif) mais la prise en charge de son passif par la personne physique ou morale dont ils mettent en avant la qualité de maître de l'affaire. En réalité, personne ne se soucie de la validité ou de la nullité de la société prétendue fictive, le résultat recherché est tout autre (126). Au demeurant, dans certaines décisions, les tribunaux ont condamné une société-mère au paiement des dettes de sa filiale en dehors de toute procédure collective, et sans remettre en cause l'existence de celle-ci (donc sans la qualifier de fictive), en se fondant simplement sur l'étroite imbrication des deux (127). 41. Il reste que dans certains cas, rares en pratique (sociétés dissimulant dès leur création un autre contrat), la simulation peut demeurer un fondement juridique satisfaisant. Il semble que la notion de société fictive, notion « fourre-tout », recouvre des situations qui ne peuvent en réalité être analysées juridiquement de façon identique et ne doivent pas produire les mêmes effets : tantôt simulation, tantôt convention de prête-nom (présence d'associés minoritaires agissant consciemment dès leur entrée dans la société comme prête-noms du maître de l'affaire (128), la société agissant alors éventuellement ellemême pour le compte de ce dernier), tantôt application de la théorie de l'apparence (mandat apparent ou apparence de société unique), tantôt enfin, le plus souvent, abus de l'outil juridique que constituent la personnalité morale et l'autonomie patrimoniale qu'elle permet de réaliser, application croisée de la théorie de l'abus de droit et de celle de l'institution. Mots clés : SOCIETE EN GENERAL * Société fictive * Simulation (1) V. l'ex. donné par le Petit Robert : « valeur fictive de la monnaie fiduciaire ». (2) V. le Petit Robert, à Fiction. V. égal. P. FORIERS, Les présomptions et les fictions en droit in Travaux du centre national de recherches de logique, 1974, p. 7. (3) V. en particulier WOODLAND, Le procédé de la fiction dans la pensée juridique, thèse Paris II, 1981. (4) V. par ex. MAZEAUD par DE JUGLART, Leçons de droit civil, t. I, vol. 2 (1972), p. 105 s. (5) Il est généralement admis que c'est la théorie de la réalité qui l'a emporté depuis un arrêt de principe de la Cour de cassation du 28 janvier 1954 (Civ. 2e, 28 janv. 1954, D., 1954.217, note Levasseur). Pour une réactualisation du débat à partir de la question des sources du droit, et plus précisément de l'opposition entre la thèse du positivisme légaliste (qui tend à faire prévaloir la théorie de la fiction) et celle du pluralisme des sources (qui privilégie la thèse de la réalité), v. Ch. HANNOUN, Le droit et les groupes de sociétés, LGDJ 1991, p. 105 s. Page 28 sur 49 (6) Art. 1321 C. civ. ; cf. par ex. Rép. Dalloz Sociétés, « Société fictive », par J. CALAISAULOY (1971), n° 1 ; v. égal. note 8 ci-après. Contra : J.-Cl. Sociétés, Fasc. 7 ter, « Consentement des parties - Sociétés fictives et frauduleuses » par A. MARTIN-SERF (1991), n° 4 : « la fictivité d'une société est habituellement abordée comme une simple espèce de la simulation, ce qui est une vision réductrice, pour ne pas dire inexacte du phénomène. La simulation suppose à la fois un acte ostensible et un acte secret, or il n'existe le plus souvent aucune contre-lettre derrière une société fictive » ; J.-D. BREDIN, « Remarques sur la conception jurisprudentielle de l'acte simulé », RTD civ., 1956.261, qui développe le même argument. (7) On rappelle que la fraude ne fait pas partie des éléments constitutifs de la simulation. V. Rép. Dalloz « Simulation », par J. GHESTIN, n° 2 et les auteurs cités ; V. égal. P. PIC, note ss Cass. 11 avr. 1927 (DP, 1929.1.25) qui distingue trois types de simulation : deux types licites, la simulation bienfaisante (telle que la donation déguisée) et la simulation simplificatrice, et un type illicite, la simulation frauduleuse ; BREDIN, loc. cit. (note 6), n° 2. Cependant il est vrai que, si elle ne constitue pas une fraude à la loi, la simulation n'en comporte pas moins une « mise en scène destinée à tromper quelqu'un » et à ce titre constitue une « fraude dans les relations privées » (ROUAST, Les grands adages coutumiers dans le droit des obligations, « Cours de droit civil de doctorat polycopié », cité par Bredin, loc. cit.). (8) V. not. CALAIS-AULOY, op. cit. (note 6), n° 1 et s. ; MARTIN-SERF, op. cit. (note 6), n° 4 et s. (qui semble cependant considérer qu'il peut y avoir fictivité par absence d'affectio societatis sans qu'il y ait pour autant simulation) ; CARBONNIER, Les obligations, n° 567 ; DEMOGUE, Traité des obligations, t. VII, n° 1140 ; RIPERT et ROBLOT, Droit commercial, t. 1, 14 éd., LGDJ 1991, n° 723 ; WEILL et TERRE, Les obligations, n° 567 ; MERLE, Droit commercial, sociétés commerciales, 2e éd., Dalloz 1990, n° 43 à 46 ; Lamy Sociétés Commerciales, éd. 1992, n° 428 et s. V. égal. M. DAGOT, La simulation en droit privé (LGDJ 1967), p. 66 : « il y a société fictive lorsque l'on crée en apparence une société en simulant l'existence des éléments du contrat de société ». En jurisprudence, V. not. Civ. 11 avr. 1927, DP, 1929.1.25, note Pic ; Aix, 14 mai 1934, DP, 1937.1.57, note Pic ; Crim. 28 janv. 1959, JCP, 1959.II.11012, note Bouzat ; Soc. 26 oct. 1959, Bull. IV, n° 1056. (9) V. not. CALAIS-AULOY, op. cit. (note 6), n° 11 à 13 ; MARTIN-SERF, op. cit. (note 6), n° 35 à 45. (10) Req. 19 avr. 1932, S., 1933.1.321, note Esmein, DP, 1932.1.125, note Pilon ; Com. 10 juin 1953, JCP, 1954.II.7908, note Bastian. (11) Civ. 13 févr. 1946, S., 1946.1.124 ; Soc. 30 avr. 1985, BRDA, 1985, n° 17, p. 9. (12) Civ. 16 juin 1863, DP, 63.1.295 ; Civ 1re, 6 déc. 1972, Bull. I, n° 280 ; Com. 12 déc. 1978, Bull. IV n° 306, D., 1980.IR.161, obs. Bousquet. (13) Civ. 11 avr. 1927, DP, 1929.1.25, note Pic (préc. note 8) ; Orléans, 18 juill. 1928, DP, 1929.2.65, note Pic ; Aix, 7 avr. 1970, JCP, 1970.II.16466, obs. Schmidt à la Rev. sociétés, 1971.576. Page 29 sur 49 (14) V. not. GHESTIN, op. cit. (note 7), n° 2 et s. ; MARTIN-SERF, op. cit. (note 6), n° 46. (15) V. par ex. Com. 30 oct. 1967, Bull III, n° 346, obs. Houin à la RTD com., 1968.131. (16) V. par ex. Civ. 13 déc. 1967, D., 1968.337, note P.L. (17) C. Civ., art. 2092 et 2093 ; La théorie de l'unité du patrimoine reste indissociable des e noms d'AUBRY et RAU (v. en particulier de ces auteurs, Droit civil, t. V, 6 éd. par Esmein, Ed. Techniques 1946). (18) V. Fl. GISSEROT, « La confusion des patrimoines est-elle une source autonome d'extension de faillite ? », RTD com., 1979.49 (n° 20) : « Souvent il ne s'agit pas de créer, par une voie détournée, un patrimoine commercial d'affectation, une limitation des risques que la loi ne prévoit pas ». V. égal. M. DAGOT et Chr. MOULY, « L'usage personnel du crédit social et son abus », Rev. sociétés, 1988.1 (n° 2), pour qui la société, d'abord technique de financement puis technique de protection, est aujourd'hui, compte tenu de la multiplication des moyens de percer l'écran social, surtout une technique « permettant d'organiser et de structurer une ou des activités économiques ». L'un des premiers à avoir développé cette idée est J. PAILLUSSEAU in La société anonyme, technique d'organisation de l'entreprise, Sirey 1967. (19) Qui peuvent être assimilées à des contre-lettres (V. en ce sens MARTIN-SERF, op. cit., note 6, n° 17). (20) Civ. 1re, 26 mai 1954, JCP, 1954.II.8377 ; Com., 2 janv. 1967, Bull. III, n° 1. Ou encore le fait que les comparses du maître de l'affaire « ont reconnu ne pas avoir eu à l'origine l'affectio societatis nécessaire à la constitution d'une société » (Civ. 3e, 22 juin 1976, D., 1977.619, note Diener). (21) CALAIS-AULOY, op. cit. (note 6), n° 8 ; MARTIN-SERF, op. cit. (note 6), n° 18. La présence d'un associé prépondérant, si elle n'est pas une condition suffisante de la fictivité, n'en est pas non plus une condition nécessaire : la Cour de cassation a jugé que le véritable maître de l'affaire, sous couvert d'une société fictive, pouvait être une personne non associée qui s'était immiscée dans la gestion et avait pris toutes les décisions dans son intérêt exclusif (Com. 3 nov. 1980, Bull IV, n° 358). (22) V. en part. Req., 17 mai 1931, S., 1932.1.57 (participation de l'associé principal atteignant 89 %) et Civ. 7 janv. 1946, S., 1947.1.33 (participation atteignant 98,75 %), cités par Hannoun, op. cit. (note 5), p. 68 ; Com. 24 mai 1982, Rev. sociétés 1983.361, note Béguin ; Paris, 31 mai 1989, Gaz. Pal., 1989.2.603, concl. av. gén. Tulli, note Marchi ; Civ. 1re, 5 juill. 1989, Bull I, n° 272 (participation attegnant 99 %). Plus généralement, la Cour de cassation a rappelé en 1982 (Com. 24 mai 1982, Rev. sociétés, 1983.361, note Béguin) que l'appartenance au même groupe n'emporte aucune conséquence juridique nécessaire et ne saurait à elle seule justifier la transmission à une société des obligations d'une autre. V. dans le même sens Com. 20 oct. 1992, Rev. sociétés, 1993.449 ; 14 avr. 1992, JCP éd. E, 1992.I.166 ; 6 avr. 1993, Bull. Joly, 1993.677. Page 30 sur 49 (23) Civ. 1re, 26 mai 1954, préc. (note 20) ; Com. 23 juin 1954, Bull. III, n° 232, RTD com., 1954.875 ; 15 mars 1955, Bull III, n° 100 ; 19 avr. 1961, Bull. III, n° 180 ; 18 mars 1963, Bull. III, n° 159 ; 11 juin 1974, Bull. IV, n° 188. (24) Aix, 23 mai 1974, DS 1974, Somm. 106 ; Com. 21 déc. 1982, BRDA, 1983/12, p. 21, obs. Merle à la RTD com., 1983.476. (25) Com. 10 déc. 1957, Bull. III, n° 353, Rev. sociétés, 1958.38, RTD com., 1958.612, obs. Houin ; 7 mars 1972, Bull. IV, n° 84, Rev. sociétés, 1973.339, obs. Sortais ; 11 juin 1974, préc. (note 23) ; Paris, 26 nov. 1979, D., 1980, IR p. 322. (26) Com. 27 avr. 1970, Bull. IV, n° 136 ; 28 nov. 1989, Rev. sociétés, 1990.240 . (27) Cf. Martin-Serf, op. cit. (note 6), n° 29 et les décisions citées ; v. en part. Paris, 31 mai 1989, préc. (note 22) ; 21 nov. 1989, Bull. Joly, 1990.186, note Petel. V. égal Com., 29 mai 1972, Bull. IV, n° 160. (28) Com. 30 juin 1975, Bull. IV, n° 180. (29) V. de façon caractéristique Paris, 31 mai 1989, préc. (note 22), qui indique que « [...] malgré les liens étroits pouvant exister entre une société mère et sa filiale, celle-ci est juridiquement distincte des personnes physiques ou morales qui la composent et cela malgré l'importance de la participation que la société mère peut détenir dans le capital de sa filiale ou l'existence de dirigeants communs ; [...] que ce principe de l'autonomie de la personne morale a pour conséquence que mère et filiale ne répondent pas des dettes l'une de l'autre [...] ; qu'ainsi la circonstance que la société Tenec ait eu le même dirigeant [...] que Chaffoteaux et Maury qui détenait 100 % de son capital [...] ne sont pas suffisants pour masquer la personnalité de Tenec qui avait un objet social complètement différent de celui de Chaffoteaux et Maury » ; V. égal. Paris, 21 nov. 1989, préc. (note 27), qui va jusqu'à énoncer que « [...] l'appartenance à un groupe de sociétés implique, d'une part, l'existence entre ses membres de relations croisées fréquentes et régulières, constituées par des liens financiers étroits, des liaisons économiques privilégiées, des rapports commerciaux préférentiels, d'autre part un contrôle d'ensemble, une unité de décision, une stratégie commune assurée par l'une des sociétés, la société mère [...] » ; que, cela étant, en l'espèce, « les éléments de fait rassemblés par l'expert ne permettent pas d'affirmer que l'interdépendance et la solidarité des filiales sous la direction de la société mère ont dépassé le degré d'organisation inhérent à tout groupe de sociétés et que les frontières entre les patrimoines respectifs de ces sociétés ont été abolies ou encore que lesdites sociétés n'avaient qu'une personnalité morale fictive ; [...] dans ces conditions, qu'il ne saurait être fait échec à l'application du principe posé par l'article 1842 du Code civil selon lequel une société est une personne morale autonome possédant un patrimoine qui est le gage des créanciers ». (30) Civ. 1 re, 26 mai 1954, préc. (note 20) ; Com. 21 mai 1963, Bull. III, n° 245, RTD Com., 1963.891, obs. Houin ; 30 oct. 1967, Bull III, n° 346, RTD com., 1968.131, obs. Houin ; Com. 30 juin 1975, préc. (note 28) ; a contrario, Paris, 21 nov. 1989, préc. (note 27). (31) V. par ex. Com. 19 juin 1967, Bull. III, n° 248, obs. Houin à la RTD com., 1968.131 (comptabilité de la société sans force probante, manipulation des fonds sociaux sans Page 31 sur 49 trace comptable par les associés) ; Com. 11 mai 1982, Bull. Joly, 1982.683 ; 6 avr. 1993 (préc. note 22), qui s'attache à l'activité réelle et distincte de celle de sa société-mère exercée par la filiale. Paris, 25 fév. 1981, Gaz. Pal., 1981.2, Somm. 241 ; Paris, 5 mars 1985, BRDA 1985/9, p. 9. (32) V. Paris, 5 mars 1985, préc. (note 31). (33) Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (loi du 11 juill. 1985). (34) MARTIN-SERF, op. cit. (note 6), n° 11. V. égal. MERCADAL et JANIN, Sociétés commerciales, éd. Francis Lefebvre, 1994, n° 121. (35) Cf. note 6. (36) « Il n'y a pas en l'occurrence, comme dans les cas classiques de simulation, un accord entre plusieurs personnes pour créer une apparence puisque par hypothèse la société résulte d'un acte unilatéral. Il n'en reste pas moins que si l'associé unique a, au vu et au su des tiers, confondu son patrimoine avec le patrimoine social, l'acte de société aura permis une simulation puisque la société unipersonnelle n'a été conçue que comme une façade destinée à masquer une affectation de patrimoine qui n'existait pas en réalité » (op. cit., note 6, n° 11). (37) V. en ce sens : pour la fictivité en général : P. PIC, « De la simulation dans les actes de société », DH 1935, chron. 33 ; pour la fictivité par confusion de patrimoines : SORTAIS, note ss Com. 28 mars 1977, Rev. sociétés, 1978.119, p. 121 ; A. BRUNET, note ss Paris, 5 févr. 1979, Rev. jurisp. comm., 1979.226, n° 13. (38) V. F. GISSEROT, loc. cit. (note 18), n° 11 : « ... il est certain qu'un secteur important de l'économie nationale viendrait à être démantelé si toutes les société fictives étaient rayées du jour au lendemain. ». (39) V. CALAIS-AULOY, op. cit. (note 6), n° 10 : « une entreprise importante, par exemple, pour décentraliser sa gestion, aura tendance à ériger les différents centres de décision en filiales qui, dans bien des cas, seront des sociétés fictives comme sociétés d'une seule personne ». V. dans le même sens J. AUDESSAT, « Société unipersonnelle et patrimoine d'affectation », Rev. sociétés, 1974.221, p. 242 : « Et pourquoi donc [...] ces filiales, qui fonctionnent et prospèrent pour le plus grand bien de l'économie, sont-elles admises sans réticences, même par les esprits juridiques les plus chatouilleux ? [...] Parce qu'elles sont utiles. C'est en quelque sorte leur utilité qui les légitime, aussi bien au plan économique qu'au plan juridique. » V. égal. Cl. CHAMPAUD, Le pouvoir de concentration de la société par action, Sirey, 1962, p. 273 : « ... l'unité de direction économique qui caractérise le groupe tend à vider de sa substance juridique la personnalité morale des sociétés subordonnées. La personne morale subsiste en apparence, mais elle tend à ne plus être qu'une apparence ». (40) Sur ce phénomène, V. K. KATZAROV, « Les entreprises d'Etat contiennent-elles la personne juridique des anciennes entreprises », RTD com., 1957.313 ; AUDESSAT, op. cit. (note 39). (41) Sans doute peut-on objecter que les sociétés peuvent depuis 1985 (loi du 11 juill. 1985 créant l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) échapper à cette menace Page 32 sur 49 en transformant leurs filiales en EURL. On observe que la plupart d'entre-elles ne l'ont pas fait, peut-être pour des raisons fiscales (les cessions de parts de SARL - donc d'EURL - étant soumises à un droit d'enregistrement de 4,80 %), plus probablement parce qu'elles n'ont simplement pas conscience d'être soumises à une réelle menace. De plus, la règle selon laquelle une EURL ne peut être associé unique d'une autre EURL (Loi du 24 juill. 1966, art. 36-2, al. 1) limite la possibilité d'y avoir recours s'agissant de sous-filiales. (42) Pour une illustration de la tendance inverse : Civ. 1re, 13 déc. 1967, D., 1968.337, note P.L. (43) ROUJOU DE BOUBEE, cité par J.-P. GASTAUD, Personnalité morale et droit subjectif, LGDJ 1976, p. 20. (44) Rev. sociétés, 86.585, obs. Y. Guyon, qui note que, semblant marquer sa volonté « d'amorcer le contrôle d'une notion laissée jusqu'ici plus ou moins à l'appréciation des juges du fond, la Cour de cassation « renoue avec la tradition classique, qui voit dans l'affectio societatis une participation à la gestion volontaire et active, intéressée et égalitaire ». Il s'agissait en l'espèce de qualifier un société de fait. V. à ce sujet. P. DIENER, note ss Civ. 3e, 22 juin 1976, D., 1977, p. 619 qui estime (n° 19) que la qualification de l'affectio societatis est une question de droit s'agissant d'apprécier l'existence d'une société de fait mais une simple question de fait s'agissant d'apprécier le caractère fictif d'une société. A partir de ce raisonnement on peut se demander si la Cour de cassation n'a pas souhaité réserver la définition très stricte de son arrêt de 1986 au cas des sociétés de fait. Cependant on ne voit pas bien ce qui pourrait motiver une telle position, mis à part des considérations d'opportunité (éviter la multiplication des requalifications de situations de collaboration en sociétés de fait). (45) V. Lamy sociétés 1993, n° 297 et la jurisprudence citée. e (46) Y. GUYON, Droit des affaires, t. 1, 6 éd. 1990, p. 125 ; V. dans le même sens MERLE, Droit commercial - Sociétés commerciales, 2e éd., Dalloz 1990, n° 43 : « l'affectio societatis souvent très forte chez les associés des sociétés de petite taille est inexistante chez l'immense majorité des actionnaires des sociétés cotées en bourse ». V. égal. HAMEL et LAGARDE, Droit commercial, t. 1, 2e éd., LGDJ 1980. (47) La Cour de cassation a d'ailleurs jugé (Com. 19 mai 1969, Bull. IV, p. 177) que ne donne pas de base légale à sa décision l'arrêt qui pour admettre l'existence d'une société de fait entre deux personnes se borne à affirmer leur volonté de participer aux bénéfices et aux pertes sans constater l'affectio sociétatis qui est distinct de cette volonté. V. dans le même sens DE JUGLART et IPPOLITO, Droit commercial, vol. 2, Sociétés commerciales, 8e éd. 1988, n° 188 : « l'associé ne doit pas se contenter de faire des apports et d'attendre qu'on lui envoie les comptes sociaux avec sa part dans les bénéfices comme dans les pertes, ce qui serait une attitude passive de sa part. Il doit chercher à faire des bénéfices en participant à la vie de la société. » (48) Th. HASSLER, « L'intérêt commun », RTD com., 1984.581, p. 633. (49) V. égal. DAGOT et MOULY, loc. cit. (note 18), n° 20, pour qui la notion dissimule « sous une formalisation latine qui masque l'embarras, soit un grand vide, soit un trop plein ». Page 33 sur 49 (50) V. sur cette tendance la note de J.-J. Burst ss Com. 4 janv. 1982, Rev. sociétés, 1983.95 : « La Cour de cassation a indiscutablement voulu mettre un frein aux abus que pourrait engendrer une admission trop large des recours exercés par les créanciers d'une société d'un groupe contre les autres sociétés du même groupe. Elle manifeste ainsi le souci de ne pas réduire à néant certaines notions et principes essentiels : la notion de personnalité morale, d'unité du patrimoine et de relativité des conventions ». V. égal. la note de M. Petel sous Paris, 21 nov. 1989, préc. (note 30), approuvant l'arrêt commenté en ce qu'il « réagit contre une tendance de la part de certaines juridictions à admettre trop facilement l'extension d'une procédure collective à toutes les sociétés d'un même groupe sur la simple constatation d'une interdépendance économique entre ces sociétés ». (51) V. par ex. Com. 4 déc. 1979 (D., 1980.IR.322), qui, après avoir relevé l'existence d'indices typiques de la confusion de patrimoines (en particulier la gérante de l'une des sociétés disposait de la signature sur le compte de l'autre société dont elle était associée, effectuait des achats communs et des paiements pour l'ensemble des sociétés qui n'ont pu fonctionner que grâce aux fonds de l'exploitation qu'elle assurait directement) approuve la cour d'appel d'avoir étendu à la gérante la liquidation de biens de l'une de ces sociétés après avoir retenu que ces sociétés, « créées de concert par la gérante et un autre associé, sous des dénominations choisies de façon à susciter la confusion, n'ont été que des sociétés purement fictives ». Cet arrêt suscite une autre interrogation : la faillite de l'une des sociétés a été étendue à la gérante, alors qu'il semble que l'apparence de confusion ait été créée entre deux sociétés (et non entre la société en faillite et le patrimoine de la gérante). La volonté de sanction est ici évidente. (52) Préc. (note 22). (53) Ainsi semble-t-il de deux arrêts rendus en 1929 par la chambre des requêtes (13 mai 1929, S., 1929.1.289 et 19 juin 1929, S., 1960.1.176) qui ont admis que deux sociétés ne forment qu'un seul être moral lorsqu'elles ont « même siège social, même personnel, même comptabilité, même caisse, même numéro de téléphone ». (54) Préc. (note 50). (55) « [...] que la cour d'appel, qui ne s'est pas bornée à déclarer pour se prononcer que les deux sociétés en cause avaient une personnalité juridique propre a, dans l'exercice de son pouvoir souverain, relevé que la [société créancière], tandis qu'elle facturait les sommes réclamées à la [société débitrice] et tirait, en raison de ces sommes, des lettres de change sur cette société, n'avait pu confondre l'activité et les intérêts de celle-ci avec ceux de sa [société « grand-mère »] ». (56) Dans le second cas, les créanciers devraient démontrer, outre la confusion des activités et des patrimoines, le fait que cette confusion était suffisamment apparente pour qu'ils aient légitimement pu confondre l'activité et les intérêts de deux sociétés. (57) V. note 55. (58) En effet, si les deux conditions sont cumulatives, la Cour d'appel aurait pu précisément « se borner à déclarer que les deux sociétés en cause avaient une personnalité juridique propre ». A moins que le terme « personnalité juridique propre » recouvre la seule constatation superficielle que les deux sociétés sont deux personnes Page 34 sur 49 morales distinctes, sans rechercher si, s'agissant de la filiale, les éléments constitutifs d'un véritable contrat de société sont effectivement réunis. V. Com. 11 mai 1993 (Bull. Joly 1993.1050, note Petel), qui indique que la Cour d'appel n'avait pas à rechercher si les tiers pouvaient croire légitimement à une confusion de patrimoines. Le commentateur en déduit que les tiers peuvent se prévaloir de l'apparence s'agissant de l'identité des sociétés, non de la simple confusion de leurs patrimoines, qui, à ses yeux, est inspirée par de simples considérations pratiques, « à savoir l'impossibilité d'apurer les comptes » entre les entités concernées. (59) « Il ne suffit donc pas pour mettre en cause une société d'un groupe - généralement la société dominante - à raison des dettes contractées par une autre société du même groupe de démontrer que tous les éléments constitutifs d'une société fictive sont réunis ; il faut encore prouver que l'apparence créée par la société poursuivie a été de nature à tromper le créancier et partant à lui causer un préjudice. » V. égal. J. BEGUIN, note ss Com. 24 mai 1982, préc. (note 22), qui semble faire de l'apparence un des éléments de la fictivité : « Encore faut-il, le plus souvent, pour que la Cour de cassation prenne une décision [imposant à une société la prise en charge des obligations d'une autre] que l'apparence invoquée ne soit pas uniquement psychologique. Mais que l'image de la confusion ou de l'identité des firmes perçues comme formant une seule personne morale soit accréditée par des indices concrets. Si ces indices concrets forment un faisceau suffisant, les facteurs d'appréciation psychologique cessent d'être le centre de l'analyse. Les juges notent que les tiers pouvaient s'y tromper, ou s'y sont effectivement trompés. Mais ils notent surtout que les indices concrets rassemblés attestent qu'en effet les deux sociétés n'offraient qu'un seul visage ». Mais on ne voit pas bien ce que seraient ces indices « concrets » mis à part ceux précisément qui ont légitimement provoqué dans l'esprit des tiers l'erreur consistant à croire que les deux sociétés étaient confondues. D'ailleurs l'auteur relève parmi ces « indices concrets » la communauté d'implantation géographique, la communauté de personnel, l'identité des dénominations, l'identité des intitulés des comptes bancaires et postaux, qui sont justement typiques des circonstances dans lesquelles les tiers ont pu plaider avec succès l'erreur légitime. (60) V. GHESTIN, op. cit. (note 7) n° 59 ; N. FADEL RAAD, L'abus de la personnalité morale en droit privé, LGDJ 1991, qui relève (n° 22) qu'en matière de simulation l'élément psychologique se situe du côté des parties au contrat tandis que dans la théorie de l'apparence cet élément psychologique se situe du côté des tiers. e (61) V. GHESTIN et GOUBEAUX, Traité de droit civil, « Introduction générale », 3 éd., LGDJ 1990, n° 771 et s. (62) V. par ex. BEGUIN, note ss Com. 24 mai 1982, préc. (note 22), qui estime que les créanciers « peuvent, sur le fondement de l'article 1321 du Code civil, invoquer l'apparence de fictivité de la filiale qu'ils ont de bonne foi considérée comme une succursale [...] ». (63) V. en ce sens, mais concernant les sociétés fictives « du premier type » (celles dissimulant non une absence de contrat mais un autre contrat ou acte juridique, en l'occurrence une libéralité) MARTIN-SERF, op. cit. (note 6) n° 42 : « le reproche de fictivité ne pourra pas non plus être avancé si la libéralité à occulter est réalisée non pas lors de la constitution de la société mais au cours du fonctionnement de celle-ci. [...] La société est alors plutôt un moyen de réaliser une libéralité que le masque dissimulant une donation ». Comp. BREDIN, loc. cit. (note 6), n° 10. Page 35 sur 49 (64) Civ. 1re, 24 oct. 1978, Bull. I, n° 318. (65) V. en ce sens M. DAGOT, La simulation en droit privé, LGDJ 1967, n° 76 à 84 ; CALAIS-AULOY, op. cit. (note 6) n° 7 : « La fictivité n'existe d'ailleurs pas nécessairement dès la constitution de la société : une société, d'abord réelle, peut être rendue fictive par la mainmise progressive de l'un des associés. ». (66) V. GHESTIN, op. cit. (note 7) n° 26, qui parle de « mensonge concerté ». V. égal. ROUAST, op. cit. (note 7). (67) Art. 9 ancien de la loi du 24 juill. 1966 ; loi du 30 déc. 1981 mettant en harmonie le droit des sociétés avec la deuxième directive du conseil des communautés européennes du 13 décembre 1976 : C. civ., art. 1844-5. Sur la contribution de cette réforme (alors en gestation) à la théorie de l'institution, V. J. LEBLOND, « De le réunion de toutes les parts ou actions d'une société entre les mains d'une seule personne au point de vue juridique et fiscal », RTD com., 1963.417. (68) V. MERCADAL et JANIN, Sociétés commerciales, éd. Francis Lefebvre 1994, n° 350 et la jurisprudence citée. (69) Bull. III, n° 310 ; RTD com., 1968.129, obs. Houin. (70) V. égal. Paris, 5 févr. 1979, préc. (note 37), qui distingue avec soin les deux hypothèses, tout en semblant indiquer que la confusion de patrimoines, si elle est une cause autonome d'extension de la faillite, est également l'une des conditions de la me fictivité. V. dans le même sens la note de M Brunet. V. égal. Paris, 21 nov. 1989, préc. (note 27). (71) 3 nov. 1980, préc. (note 21). (72) V. dans le même sens Com. 17 mars 1981, Bull. IV, n° 145. (73) On rappelle cependant que la Cour de cassation n'étend en principe pas son contrôle à la qualification de fictivité ou de confusion de patrimoines effectuée par les juges du fond à partir des faits (v. par ex. Com. 20 juin 1984, Bull. IV, n° 203). V. cependant Com. 30 oct. 1989, Bull. IV, n° 240, par lequel la Cour suprême semble contrôler - pour l'approuver - la qualification que la Cour d'appel fait de ses constatations et énonciations, « qui font apparaître le caractère fictif » de la société. (74) V. Paris, 5 févr. 1979, préc. (note 70) : « qu'en effet lorsque l'on est en présence non d'une société réelle mais d'une société fictive créée par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, avec leurs capitaux et le concours de comparses et que le patrimoine social est la propriété de cette ou de ces personnes qui l'exploitent sous le nom de la société de façade il est normal que la liquidation des biens soit étendue à cette ou ces personnes puisqu'en définitive elles ne forment' qu'une seule et même personne avec la société fictive ». (75) V. en ce sens ARTZ, « L'extension du règlement judiciaire ou de la liquidation de biens aux dirigeants sociaux », RTD com., 1975.1 (n° 13) ; BRUNET, loc. cit. (note 70) ; BEAUBRUN, « La confusion des patrimoines au regard des procédures collectives de Page 36 sur 49 liquidation du passif », Rev. jurispr. comm., 1980.41 (n° 20). V. égal. Paris, 26 nov. 1979, préc. (76) V. GHESTIN, op. cit. (note 7), n° 63. (77) Loc. cit. (note 18), n° 13. (78) Bull. III, n° 2 ; obs. Houin à la RTD com. 1958.613. Dans cette espèce, les deux uniques associés d'une SARL avaient mis l'actif en coupe réglée et la Cour de cassation a appliqué le régime de la faillite des sociétés fictives malgré l'argument présenté par les associés selon lequel, détenant à eux seuls la totalité du capital, ils ne sauraient se voir reprocher de s'être conduits en maîtres de la société. Est sous-jacente l'idée que la protection du patrimoine de la société doit être assurée non seulement dans l'intérêt des associés, mais également dans celui des créanciers. (79) « Entretien sur la pluralité des masses », Rev. jurispr. comm. 1962.160. (80) V. en ce sens GISSEROT, loc. cit. (note 18), pour qui « l'unité de masse est le résultat logique de l'unicité de débiteur » (n° 4), et qui estime que le critère de la confusion de patrimoines est plus révélateur du caractère factice d'une société que celui du défaut d'affectio societatis (n° 13) ; symétriquement, Houin, obs. ss Com. 7 mars 1972, RTD com. 1973.355, pour qui la confusion de patrimoines existe « du seul fait que les sociétés étaient de pure façade et cachaient une « entreprise unique ». (81) V. en ce sens BELLANGER, loc. cit. (note 79) n° 54 ; DERRIDA, note ss Com. 15 mars 1982, D., 1982.404, qui considère que les deux concepts de société fictive et de confusion des patrimoines (qui peut être totale ou seulement partielle), « doivent [...] être soigneusement distingués, notamment parce que la fictivité d'une société implique un patrimoine unique, tandis que la confusion en suppose nécessairement au moins deux », et qu'en cas de confusion, même totale, des patrimoines, « il ne peut y avoir extension de plano à l'un des exploitants de la procédure collective ouverte contre un autre, comme c'est le cas pour une société fictive ». (82) DERRIDA, note préc. (note 81), n° 2. Paris, 29 mai 1978 (Rev. sociétés, 1979.373, note J.-P. Sortais) : « [...] le tribunal qui a ordonné la liquidation des biens d'une société a aussi la possibilité de l'étendre à une autre personne morale dans deux cas, lorsque la société a été créée de toutes pièces par cette personne, avec ses capitaux propres et le concours de comparses, parce que, dans ce cas, le patrimoine social est en réalité la propriété de celui qui l'exploite sous le nom de la société fictive et qu'en définitive l'une et l'autre ne font qu'une seule et même personne, et aussi, lorsqu'on est en présence de deux personnes physiques ou morales qui, tout en étant des sujets de droit autonomes, indépendants et ayant des patrimoines distincts, les ont confondus, les éléments de l'une se trouvant dans l'autre et réciproquement ; que, dans ces deux cas, en raison de la fictivité de la société ou de l'imbrication née de la confusion, il ne peut y avoir qu'une seule liquidation de biens avec une seule masse ». Cette opinion semble confirmée par la jurisprudence récente de la Cour de cassation (Com. 8 nov. 1988, D . 1989, Somm. p. 372, obs. Honorat ; 20 oct. 1992, BRDA, 1992, n° 22, p. 13), qui distingue clairement la notion de confusion de patrimoines de celle de fictivité, en présentant les deux notions comme les deux uniques justifications de l'extension de la liquidation judiciaire d'une société à une autre. V. égal. en ce sens Paris, 21 nov. 1989, préc. (note 30). Page 37 sur 49 (83) BRUNET, note préc., n° 14 et s., qui considère même qu'au sein de cette hypothèse la confusion de patrimoines peut soit révéler l'existence d'une entreprise commune, et dans ce cas permettre de déclarer la faillite commune à toutes les personnes qui ont confondu leurs patrimoines, soit être réalisée entre un société « dotée d'une existence réelle » et un dirigeant qui la gère dans son intérêt personnel, et dans ce cas justifier la mise en redressement judiciaire ou en liquidation de biens de ce dirigeant sur le fondement de l'article 101 de la loi du 13 juillet 1967 (remplacé depuis par l'art. 182 de la loi du 25 janv. 1985). (84) On se place dans l'hypothèse d'une simulation non frauduleuse. (85) GHESTIN, op. cit. (note 7), n° 30. (86) A supposer, bien évidemment, que ce contrat soit lui même valable. V. GHESTIN, op. cit. (note 7), n° 33. (87) Tel n'est pas le cas naturellement si les tiers exercent par voie oblique l'action dont dispose leur débiteur associé de la société simulée. V. en ce sens Civ. 1re, 12 oct. 1982, Bull. I, n° 284. (88) V. GHESTIN, op. cit. (note 7), n° 61 et s., n° 69 et s., n° 91. V. également Com., 21 mars 1977, Bull. IV, n° 90. (89) V. GHESTIN, op. cit., n° 56. (90) V. GHESTIN, op. cit., n° 65 et s. (91) Car ne faire prévaloir l'apparence que dans les cas où l'erreur des tiers qui l'invoquent est légitime, et donc faire prévaloir la contre-lettre dans les autres cas, c'est rendre dans ces cas la contre-lettre opposable à des tiers qui lui préfèrent l'apparence, et donc corriger le principe posé par l'article 1321 du Code civil. V. M. DE GAUDEMARIS, « Théorie de l'apparence et sociétés », Rev. sociétés, 1991, p. 465, n° 12 , qui justifie cette solution par le fait que « ce conflit [entre tiers de bonne foi] relève plus de la théorie de l'apparence que de celle de la simulation, puisqu'il oppose des tiers entre eux et non un tiers aux simulateurs ». (92) Alors que si la société est qualifiée de prête-nom du maître de l'affaire, l'action en déclaration de simulation devrait permettre aux créanciers de faire réintégrer dans le patrimoine du maître de l'affaire les dettes contractées par la société pour le compte de ce dernier. (93) V. PIC, loc. cit. (note 37), p. 38 ; CALAIS-AULOY, op. cit. (note 6), n° 3 et 16, qui considère que la notion d'inexistence et ses effets n'ont pas été remis en cause par la loi du 24 juillet 1966 car « des règles écrites pour celle-là [la nullité] ne sauraient s'appliquer à celle-ci [l'inexistence] » ; CHARTIER, Droit des affaires, t. 2, « sociétés commerciales », PUF 1992, p. 161. (94) C. civ., art. 1844-15 pour les sociétés civiles ; loi du 24 juill. 1966, art. 368 pour les sociétés commerciales. (95) C. civ., art. 1844-14 pour les sociétés civiles ; loi du 24 juill. 1966, art. 367 pour les Page 38 sur 49 sociétés commerciales. (96) C. civ., art. 1844-11 pour les sociétés civiles ; loi du 24 juill. 1966, art. 362 pour les sociétés commerciales. (97) C. civ., art. 1844-17 pour les sociétés civiles ; loi du 24 juill. 1966, art. 370 pour les sociétés commerciales. (98) Sur le déclin et la survivance de la théorie de l'inexistence, v. X. BARRE, « Nullité et inexistence ou les bégaiements de la technique juridique », Les Petites Affiches, 30 juill. 1993, n° 91, p. 7. (99) Civ. 3e, 22 juin 1976, préc. (note 44). (100) JCP, 1992, Pan. 1025 ; Dr. sociétés, 1992, n° 178 ; Bull. Joly, 1992.313, p. 960. Pour une prise de position doctrinale regrettant cette jurisprudence au motif que « l'inexistence constitue une soupape de sécurité du régime des nullités », v. note ss Paris, 1 er déc. 1992, Dr. sociétés, mars 1993, n° 48. (101) GAUDEMARIS, loc. cit. (note 91), n° 15. (102) C. civ., art. 1844-10. (103) Art. L. 360. (104) En outre, la nullité des SARL et des sociétés par actions « ne peut résulter ni d'un vice de consentement, ni de l'incapacité, à moins que celle-ci n'atteigne tous les associés fondateurs » (art. L. 360, préc.). (105) « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. [...] ». (106) Qui sont - pour des raisons évidentes tenant à la responsabilité limitée de leurs associés - celles dont la fictivité est le plus souvent invoquée. (107) Ces causes sont : a) le défaut d'acte constitutif ou l'inobservation, soit des formalités de contrôle préventif, soit de la forme authentique ; b) le caractère illicite ou contraire à l'ordre public de l'objet de la société ; c) l'absence, dans l'acte constitutif ou dans les statuts, de toute indication au sujet soit de la dénomination de la société, soit des apports, soit du montant du capital souscrit, soit de l'objet social ; d) l'inobservation des dispositions de la législation nationale relatives à la libération minimale du capital social ; e) l'incapacité de tous les associés fondateurs ; Page 39 sur 49 f) le fait que, contrairement à la législation nationale régissant les sociétés, le nombre des associés fondateurs est inférieur à deux ». (108) L'art. 11 mentionne cependant « le caractère illicite ou contraire à l'ordre public de l'objet de la société ». Mais la CJCE a donné de cette disposition une interprétation très restrictive et formelle en considérant que le terme « objet » désigne l'objet social tel qu'il est décrit dans les statuts, ce qui fait perdre à ce chef de nullité presque tout son intérêt pratique (CJCE, 13 nov. 1990, Marleasing S.A., Bull. Joly, 1991/2, p. 190, JCP, 1991.II.21658, note Level) ; v. égal. SAINTOURENS, « Les causes de nullité des sociétés : l'impact de la 1ère directive CEE de 1968 sur les sociétés, interprétée par la cour de justice des communautés européennes », Bull. Joly, 1991/2, p. 190. (109) V. art. 11, paragraphe f), préc. (note 107). (110) Préc. (note 108). (111) C. civ., art. 1842 : « les sociétés jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation ». V. égal. la réforme de la société en participation opérée par la loi du 4 janv. 1978 : l'art. 419 de la loi du 24 juill. 1966, qui disposait que « la société en participation [...] n'est pas soumise à publicité [...] » a été abrogé par cette loi et remplacé par l'art. 1871 C. civ. qui dispose que « les associés peuvent convenir que la société ne sera point immatriculée », la société n'ayant en conséquence pas la personnalité morale. Ainsi, c'est l'absence de personnalité morale qui découle de la non-immatriculation, et non plus l'absence de nécessité d'immatriculer qui découle de l'absence de personnalité morale. V. en ce sens Fadel RAAD, op. cit. (note 60), n° 31. (112) V. not. PAILLUSSAU, La société anonyme, technique d'organisation de l'entreprise, Sirey 1967 ; CONTIN et HOVASSE, « L'autonomie patrimoniale des sociétés », D., 1971, chron. p. 197. (113) De même que la fictivité pour simple défaut d'affectio societatis, qui a presque disparu en droit positif (mis à part le cas de simulation au sens strict dans lequel le contrat de société dissimule ab initio un autre contrat ou acte juridique) sanctionnait, dans la conception contractuelle, l'usage abusif d'un outil juridique alors conçu comme étant avant tout le moyen d'expression d'une collaboration. (114) Op. cit. (note 5), n° 264 et s. (115) Note ss Req., 13 mai 1929, S., 1929.1.289. (116) Note ss Com. 10 juin 1953, JCP, 1954.II.7908, cité par Bredin, loc. cit. (note 6), n° 18. (117) Loc. cit. (note 6), spéc. n° 9 ; v. égal. BOULANGER, « La simulation », Ency. Dalloz, Rép. Dr. civ., 1955, cité par Bredin (loc. cit. ) : « il n'y a pas de simulation si l'acte apparent échappe au pouvoir destructeur qui s'affirmerait dans l'acte secret ». (118) Mais estime que les tribunaux parviendraient aux mêmes effets en s'attachant à établir, plutôt que la simulation, l'absence d'affectio societatis. Il serait donc abusif de ranger M. Bredin, du moins au seul vu de l'article cité, au rang des partisans de la théorie Page 40 sur 49 institutionnelle de la société. (119) Op. cit. (note 5), n° 99 et s. (120) V. cep. P. SERLOOTEN, « L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée », D., 1985, chron. 187, pour qui la société, « qu'on y voie un contrat ou une institution, ne se conçoit que si elle comporte au moins deux associés ». Cette prise de position n'est à nos yeux pas réellement justifiée par l'argumentation de l'auteur qui, très critique à l'égard de la société unipersonnelle (à laquelle il préfère la solution du patrimoine d'affectation) avance cependant un argument de poids en rappelant que la jurisprudence qui fonde la théorie de la réalité de la personne morale (Civ. 2e, 28 janv. 1954, préc. note 5) est fondée sur la notion de groupement. Ne représentant pas un groupement, la société unipersonnelle ne serait donc pas susceptible, sauf distorsion législative, d'acquérir la personnalité morale. (121) Exception à la nullité de plein droit en cas de réunion de toutes les parts ou actions en une seule main (généralisée en 1981) ; création de l'EURL (1985). (122) Et bien auparavant, la nécessité de cette évolution avait été pressentie par le doyen Hamel (cf. sa chron. au D., 1949.141, « La personnalité morale et ses limites »). (123) C'est le cas en particulier des législations allemande et néerlandaise et de la loi américaine. V. en particulier GRISOLI, « La société d'une seule personne en droit comparé », Mélanges Jauffret, 1974, p. 361. (124) Puisque tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société si la situation n'a pas été régularisée au bout d'un an. (125) J.-P. SORTAIS, note ss Com. 7 mars 1972, préc. (note 25). (126) Comp. BREDIN, loc. cit. (note 6), n° 10, qui distingue, après Esmein, la simulation du « procédé détourné en vue d'atteindre un certain résultat » et qui relève que, dans le deuxième cas, « pour frapper d'inefficacité la manoeuvre, les tribunaux n'affirment pas la nullité de l'acte, ils se contentent en général d'empêcher la réalisation du but illicite poursuivi ». (127) V. Civ., 7 janv. 1946, D., 1946.I.132 ; Com. 27 avr. 1970, Bull. IV, n° 136. V. égal, le célèbre arrêt Lamborn (Req., 20 nov. 1922, S., 1926.1.305, note Rousseau) qui, à l'inverse, condamne la filiale à prendre en charge les dettes de sa mère étrangère ; plus récemment Com. 5 févr. 1991, Bull. Joly, avr. 1991, n° 125, note Delebecque, qui semble cependant implicitement se fonder sur la théorie de l'apparence. V. les autres décisions citées par M. Hannoun, op. cit., p. 51 et s. (128) Mais dans ce cas la simulation dont résulte la convention de prête-nom implique-telle nécessairement que la société elle-même est également simulée ? On est plutôt dans l'hypothèse de la société de façade, société réelle dissimulant l'activité du maître de l'affaire. DOC 3 : Note J. Pagès (D. 1993.23), à propos de Cass. com. 28 janv. 1992, Bull. civ. IV, no 36 Page 41 sur 49 Recueil Dalloz 1993 p. 23 La nullité d'une société constituée par un époux en fraude des droits de son épouse : nécessité de constater que tous les associés ont concouru à cette fraude Jeanne Pages NOTE [1] Le statut des biens communs offre de multiples occasions de fraude. Le risque était considérable avant la réforme de 1985, les deux époux ne gérant pas conjointement les biens communs. Il n'a pas complètement disparu depuis cette date, surtout lorsque le régime communautaire, construit sur une toile de fond de confiance réciproque, est vécu dans un contexte de mésentente et de crise conjugale. La difficulté naît à l'analyse des contentieux, lorsqu'il faut tenter de cerner une notion multiforme (1) comme celle de la fraude, en corrélation avec un système aussi construit que celui du régime matrimonial, et dans le cadre de l'exercice du droit des sociétés ! La difficulté s'accroît lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la nullité d'une société, sachant avec quelle résistance droit national et droit communautaire organisent le recours à cette sanction. L'arrêt analysé est intéressant à bien des titres. La Chambre commerciale casse un arrêt de la Cour d'appel de Besançon qui avait annulé pour « cause illicite » une société créée à l'initiative d'un époux avec d'autres associés, considérant que cette constitution était une manoeuvre pour frauder aux intérêts de son épouse. Un des intérêts de l'arrêt consiste dans l'accueil de la prétention des demandeurs au pourvoi. Reprenant la définition classique du moyen de pur droit, « celui qui est nécessairement dans la cause, parce qu'il n'exige l'appréciation d'aucun fait non déduit devant les juges du fond » (2), la Cour déclare recevable le moyen contesté par la défense. Le mari et la SARL soutenaient que la nullité ne pouvait être prononcée que si tous les associés avaient été complices de la fraude. En effet, il est remarquable que la Chambre commerciale reste discrète apparemment sur le recours à la cause illicite comme fondement possible de la nullité de la société pour ne se situer que sur celui de la fraude. Et alors que la fraude dans la gestion des biens communs est généralement sanctionnée par l'inopposabilité - ce qui a reçu une consécration légale dans l'art. 1421 c. civ. - elle accède par cet arrêt à la qualité de cause de nullité sur le fondement de l'art. 360 de la loi du 24 juill. 1966 très restrictif en principe (I). Devant la rareté des décisions de la Chambre commerciale en matière de nullité de société, il est tentant de s'interroger à l'heure de la confirmation de la construction européenne pour savoir comment cette prise de position se situe par rapport à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui ne se prive pas d'interprétation « autoritaire » (II). I. - Mariés le 24 avr. 1965 sous le régime de la communauté légale les deux époux avaient créé un fonds artisanal. Exploité dans un premier temps par les deux conjoints, le Page 42 sur 49 fonds l'avait été ensuite par le seul mari. Alors qu'une mésentente conjugale s'installait, il organisait un montage sociétaire avec plusieurs associés dont un était expert-comptable, réaménageant ainsi à la fois son statut professionnel et le régime juridique d'exploitation du fonds commun. Cette opération réalisée le 10 févr. 1986, peu de temps avant le divorce des conjoints, ne fit pas l'objet d'une information en direction de l'épouse au moment de l'apport, malgré la prescription légale de l'art. 1832-2. Cette absence de notification laisse peser bien évidemment une lourde présomption d'intention frauduleuse aussi bien de la part du mari que de l'un des associés au moins qui ne pouvait pas ignorer les formalités de constitution de société compte tenu de sa profession. L'autre objet d'étonnement consiste dans la formulation de l'objet social statutaire : « la prise en location-gérance du fonds ». La signature de cette location-gérance le jour de la constitution de la société entre le mari bailleur et lui-même en tant que gérant minoritaire de la SARL locataire, pour un loyer mensuel très inférieur aux revenus de l'exploitation du fonds commun à titre individuel, constitue encore une source de suspicion. L'épouse ne fut informée que le 8 avr. 1986, par une lettre adressée par l'expertcomptable associé, de l'apport fait par son conjoint à la société. Estimant que la création de cette société n'avait été effectuée que pour faire échec à ses droits, elle fit alors assigner la SARL ainsi que ses associés devant le Tribunal de grande instance de Belfort à l'effet de voir prononcer la nullité de la SARL ainsi que la nullité de la location-gérance. Par jugement du 13 juill. 1988 le Tribunal de Belfort retenait l'existence d'une fraude et prononçait la nullité de la société. Ayant interjeté appel de ce jugement, la SARL et les associés plaidaient devant la Cour d'appel de Besançon l'absence de cause de nullité, estimant que l'époux n'avait en aucune façon excédé ses pouvoirs. Rappelant que l'époux avait le droit de mettre en location-gérance le fonds qu'il exploitait seul, la cour d'appel (3) confirmait le jugement de Belfort. Ce rappel de la procédure a pour objectif de révéler : - en premier lieu l'erreur qui s'est insérée dans la rédaction de l'arrêt de la Cour de cassation reproduit ici dans son « originalité ». La cour d'appel ne s'était pas fondée sur l'art. 1424 c. civ. (ce qui aurait été surprenant) (4) mais sur l'art. 1421 c. civ. (5). - en second lieu le choix du fondement de l'annulation possible, par la Chambre commerciale (A) afin de mieux mesurer l'intérêt de la décision quant aux conditions de l'annulation (B). A. - La cour d'appel a bâti son dispositif sur l'indivisibilité entre deux contrats. Partant du contrat de location-gérance qu'elle annule pour fraude, elle considère que le détournement des pouvoirs du mari n'a pu être réalisé que grâce à la constitution de la SARL : cette corrélation constituant pour elle la cause illicite du contrat de société. Plusieurs remarques s'imposent. La cour d'appel annule le contrat de location-gérance alors que l'art. 1421 c. civ. a depuis la loi de 1985 opté pour l'inopposabilité au conjoint des actes frauduleux, mettant logiquement un terme, et tout au moins un frein, à une Page 43 sur 49 jurisprudence qui en application du texte antérieur, silencieux sur la sanction, choisissait d'annuler les actes frauduleux (6). La cour d'appel considérait qu'il y avait cause illicite du contrat de société parce que la société était la technique juridique qui permettait la réalisation de cette fraude. La Cour de cassation se situe exclusivement sur le terrain de la nullité de la société. Les demandeurs au pourvoi contestaient cependant les deux annulations, celle de la locationgérance et celle de la société. Sous le seul visa de l'art. 360 de la loi du 24 juill. 1966, la Chambre commerciale retient la fraude comme cause de nullité pour une société soumise à la première directive communautaire. Par cet arrêt la Chambre commerciale semble redonner à la fraude son indépendance alors qu'elle est très souvent englobée dans la théorie de la cause illicite. En effet le recours à l'annulation pour cause illicite des contrats en général, et de la société en particulier, englobe le cas de la fraude. La doctrine reste cependant partagée. Certains auteurs considèrent sans difficulté que les contrats de société conclus uniquement dans une perspective frauduleuse doivent être annulés sous couvert de cause illicite (7). D'autres auteurs considèrent au contraire que la fraude constitue une cause autonome de nullité (8). La jurisprudence n'adopte pas une conception très stricte de la cause illicite ou immorale (9) : la plupart du temps l'intention frauduleuse peut donner lieu à l'application de l'art. 1131 c. civ. Une doctrine autorisée (10) sur la position possible des conseillers de la Cour de cassation a pu écrire que bien que l'on puisse affirmer que « la nullité d'une société ne peut pas être prononcée pour fraude puisqu'il ne s'agit pas d'une nullité expressément prévue par la loi de 1966 ou la réglementation applicable au contrat, il était possible de penser cependant que les tribunaux qui n'ont jamais hésité à annuler les contrats entachés de fraude, en particulier les contrats de société, pourraient continuer à le faire sous l'empire de la loi de 1966 ». La fraude n'en demeure pas moins une notion spécifique. Elle peut consister dans le consentement donné à la création d'une société exclusivement pour faire échec à des droits déterminés tout en se désintéressant des effets normaux d'un contrat de société. Or la société peut être considérée comme frauduleuse en portant atteinte aux droits de l'épouse. Sa constitution en effet a eu pour objet de créer un cocontractant au mari pour lui permettre de réaliser une location-gérance dans des conditions qui pouvaient faire diminuer la valeur du gage général de l'épouse. La collusion frauduleuse de tous les associés permettrait en effet de caractériser la véritable finalité de la technique sociétaire et empêcherait de voir dans ce montage une habileté permise. Il est vrai que devenir gérant salarié d'une SARL, locataire-gérant du fonds, dont on reste propriétaire, peut être un montage juridique astucieux, eu égard au statut social et fiscal que l'époux exploitant peut obtenir. Il y aurait fraude cependant à opposer à l'application normale des règles du régime matrimonial un montage juridique qui apparaîtrait comme un obstacle artificiel. « Frauder la loi n'est pas en écarter l'application par un moyen légal, c'est en éluder l'observation dans les cas où on avait le devoir de la respecter » (11). Si pour un époux la fraude naît de la conscience d'une atteinte portée à l'intérêt de la communauté, il n'est pas possible de présumer cette intention de la part de tous les associés. La Chambre commerciale exige la preuve du véritable « détournement de la personnalité morale » que peut constituer le concours frauduleux de plusieurs associés. B. - On pourrait peut-être considérer qu'en exigeant la fraude de tous les associés la Chambre Page 44 sur 49 commerciale exige plus encore en 1992 que la Chambre civile a pu le faire le 12 juill. 1989 en restant sur le terrain de la cause illicite. La Chambre civile, dans cette décision, avait précisé à la fois les deux conceptions de la cause (objective et subjective) et elle avait confirmé la jurisprudence exprimée nettement depuis 1956 (12). Elle avait pris le soin cependant de souligner que l'exigence de la cause illicite commune aux contractants n'est pas celle d'un projet illicite commun, mais seulement d'une connaissance du mobile animant le partenaire contractuel (13). Ici la Chambre commerciale exige « que tous les associés aient concouru à la fraude ». C'est bien le consentement à une fraude commune, et pas seulement sa connaissance que la Chambre commerciale exige, et cela se conçoit aisément. Le contrat de société n'est pas un contrat ordinaire. Il est un « contrat de groupement » (14) qui permet à plusieurs personnes de s'unir en vue de la constitution et de l'organisation d'une entreprise. La spécificité de ce contrat réside dans « l'intérêt commun » des parties au contrat, alors que dans les autres contrats synallagmatiques les intérêts des parties sont antagonistes (15). Un projet commun frauduleux ne peut que détourner la finalité du contrat de société et être contraire à l'ordre public. En faisant accéder la fraude commune dans une SARL à la qualité de cause de nullité sous le visa de l'art. 360 de la loi de 1966, la Chambre commerciale manifeste ici cependant une résistance certaine à l'interdit posé avec force par la Cour de justice des Communautés européennes le 13 nov. 1990 (16). II. - Il ne suffit pas de cerner sur quel fondement s'est placée la Chambre commerciale sous le visa de l'art. 360 de la loi du 24 juill. 1966 mais il faut encore s'interroger sur la portée de cet arrêt au regard de la conformité de notre droit national avec le droit communautaire. « La théorie de la fraude est un moyen de garder le contrôle de l'application des normes juridiques en permettant d'y déroger au nom de la sauvegarde du droit tout entier » (17). Tandis que certains auteurs persistent à préciser que la fraude ne peut être cause de nullité ni pour une SARL ni pour une société anonyme la référence à l'art. 360 (18) contredit-elle la thèse de ceux qui la font échapper aux restrictions du régime de la nullité ? On sait que la Cour de cassation elle-même a eu recours à d'autres sanctions telle l'inexistence. Si certains auteurs (19) s'interrogeaient sur la subversion de la théorie des nullités que le choix de cette sanction pourrait entraîner, leur inquiétude peut être apaisée. La Chambre commerciale opère un véritable rétablissement en matière de sanction des conditions de validité de la société. En faisant de la fraude une cause autonome de nullité de la société, la Chambre commerciale ne se plie pas à la double injonction du juge communautaire qui, dans l'arrêt Marleasing, premièrement exige que le juge national interprète son propre droit conformément à la directive et deuxièmement qu'il élimine des causes de nullité celles non prévues par la directive. La réforme « indirecte du droit français des sociétés » (20) qu'opère l'arrêt Marleasingserait-elle passée inaperçue ? La Chambre commerciale s'est-elle donné l'occasion de résister à une autorité juridictionnelle qui se voudrait trop directive ? L'Assemblée plénière de la Cour de cassation avait pourtant reconnu la suprématie de la norme communautaire à propos de la continuation des contrats de travail en cas de modification de la situation juridique de l'employeur (21). L'effet direct du principe communautaire vient d'être à nouveau rappelé à la fois par la Cour de justice des Communautés européennes le 30 mai 1991 (22) à propos de l'interprétation de la deuxième directive en cas d'augmentation de capital, et par le Conseil d'Etat qui, le 28 févr. 1992, a affirmé que la directive l'emporte sur toute disposition législative Page 45 sur 49 incompatible avec les objectifs qu'elle a fixés (23). En réalité, plus que la nullité en tant que sanction des conditions de validité d'un contrat, la Chambre commerciale utilise ici la nullité comme sanction de l'abus de la personnalité morale. Il apparaît et doit être sanctionné lorsque la société ne se présente exclusivement que comme un écran, lorsqu'elle n'est qu'un instrument juridique dénué de toute effectivité, qu'elle est entièrement détournée de sa vocation légale telle que la définit l'art. 1832 c. civ. La formulation de l'objet social « prise en location-gérance » nous permet de douter de la volonté de collaborer à une oeuvre commune, sur un pied d'égalité, qui caractérise la société. Ainsi, sans pouvoir se situer sur le terrain de la société fictive, car le moyen ne dirigeait pas l'action dans ce sens, c'est de façon implicite que la Chambre commerciale considère la SARL constituée par le mari et d'autres associés comme fictive s'ils se réunissaient sur un projet commun frauduleux. Or une société fictive est une société nulle (24). Une recherche des conditions réelles de l'acte serait nécessaire pour mettre en évidence le caractère frauduleux de l'apparence. Mots clés : SOCIETE A RESPONSABILITE LIMITEE * Nullité * Associé * Fraude * Constatation * Recherche nécessaire (1) Vidal, Essai d'une théorie générale de la fraude en droit français, 1957 ; F. ChevallierDumas, La fraude dans les régimes matrimoniaux, RTD civ. 1979.40 ; J.-P. Langlade, La fraude dans les régimes matrimoniaux, thèse, Paris II, 1976. (2) Boré, in Rép. pr. civ. Dalloz, v° Cassation, n° 2591 s. ; obs. Guinchard sous Com. 26 oct. 1983, Gaz. Pal. 1984.1. Pan. 70 ; note Le Cannu, Bull. Joly, avr. 1992.420. (3) Besançon, 16 mai 1990, JCP 1991.II.21756, note A. Tisserand. (4) Le Cannu, note préc. (5) « Attendu que la location-gérance qui a donc été consentie en fraude des droits de l'épouse doit être considérée comme nulle en application de l'art. 1421 c. civ. ; que la société qui n'a été instituée que pour permettre la réalisation de cette fraude est également nulle, pour cause illicite en vertu de l'art. 1131 c. civ. ; attendu qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris, en prononçant en tant que de besoin la nullité de la location-gérance ... ». (6) G. Blanc, De l'idée d'association comme fondement du pouvoir des époux communs en biens, RTD civ. 1988.31 s. ; V. Civ. 1re, 24 oct. 1977, D. 1978.290, note PoissonDrocourt ; RTD civ. 1979.414, obs. Savatier, et 604, obs. Nerson ; 21 juin 1978, Bull. civ. I, n° 237 ; D. 1979.479, note Chartier ; D. 1979. IR. 75, obs. Martin et 141, obs. Vasseur ; Defrénois 1979, art. 31936, p. 487, obs. Champenois ; 31 janv. 1984, Bull. civ. I, n° 38. (7) J. Mestre, Lamy Sociétés commerciales, 1992, n° 192. (8) Stoufflet, Sociétés fictives et frauduleuses, J.-Cl. Sociétés, fasc. 7 ter ; M. Jeantin, Droit Page 46 sur 49 des sociétés, Domat, 2e éd., n° 331. (9) Ghestin, Traité de droit civil. Introduction générale, n° 764. (10) P. Bézard, La société anonyme, Montchrestien, n° 675. (11) Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, 4e éd. 1949, n° 176. (12) Civ. 1re, 4 déc. 1956, JCP 1957.II.10008, note J. Mazeaud ; D. 1957. Somm. 53. (13) Obs. Aubert, D. 1991. Somm.320 . (14) Alfandari, Droit des affaires, Mémentos Dalloz 1987 ; M. Dubisson, Les accords de coopération dans le commerce international, éditions juridiques et techniques Lamy 1989 ; N. David, Les entreprises conjointes, JDI 1988.37 s. ; O. Baptista et P. Durand-Barthez, Les associations d'entreprises (Joint venture) dans le commerce international, 2e éd., Feduci-LGDJ, 1991. (15) V. cependant Paris, 26 juin 1985, RTD civ. 1986.102, obs. J. Mestre ; Weill et Terré, Droit civil. Les obligations, n° 357 ; Picod, L'obligation de coopération dans l'exécution du contrat, JCP 1988.I.3318. (16) CJCE, aff. C. 106/89, Marleasing SA, Bull. Joly févr. 1991.190, et chron. Saintourens, p. 123 ; note Chaput, Rev. sociétés 1991.532 ; note P. Level, JCP1991.II.21658 et éd. E 1991.II.156. (17) Ghestin et Goubeaux, Traité de droit civil. Introduction générale, p. 668, n° 745. (18) Janin, Sociétés commerciales, 1992, n° 3731. (19) Diener, note sous Civ. 3e, 22 juin 1976, D.1977.619. (20) Saintourens, op. cit. ; Sarlin, Liaisons juridiques et fiscales, n° 455.1. (21) Cass., Ass. plén., 16 mars 1990, D. 1990.305, note A. Lyon-Caen . (22) CJCE, 6e ch., aff. C-19-90 et C-20-90, Marina Karella, Bull. Joly 1991.1143, note Saintourens. (23) Sté Rothmans et Philip Morris, req n° 56776-56777, en annexe à la chronique Kovar, D. 1992. Chron. 207, spéc. 213 ; JCP1992.II.21859, note G. Teboul. (24) Com. 16 juin 1992, n° 1144P, BRDA, n° 17, p. 11 ; P. Le Cannu, Inexistence ou nullité des sociétés fictives Bull. Joly1992.875. DOC 4 : Cass. Civ. 3e 10 mai 2007, n°05-21.123 Page 47 sur 49 Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 septembre 2005), que la société civile immobilière Les Antilles (la SCI) a, le 20 décembre 1973, vendu à Mme X..., sa gérante, et aux époux Y..., beaux-parents de celle-ci, divers locaux lui appartenant dans un immeuble en copropriété ; que par acte en date des 18 et 25 février 1998, la SCI, prise en la personne de son liquidateur, a assigné Mme X... et Mme Y..., sa fille, ayant cause à titre particulier des époux Y..., en nullité de ces ventes ; Sur le premier moyen : Attendu qu'aucun texte ne déterminant sous quelle forme l'exposé des prétentions et moyens doit être fait, il suffit qu'il résulte, même succinctement, des énonciations de la décision ; que Mme Y... ayant exposé dans ses conclusions des moyens et des prétentions similaires à ceux figurant dans les conclusions de Mme X..., la cour d'appel, en exposant le contenu des secondes et en y répondant, a satisfait, en ce qui concerne les premières, aux exigences de l'article 455 du nouveau code de procédure civile ; Sur le deuxième moyen : Attendu que Mme X... et Mme Y... font grief à l'arrêt d'accueillir l'action en nullité, alors, selon le moyen, que les actions en nullité d'actes ou de délibérations postérieurs à la constitution de la société se prescrivent par trois ans, de sorte qu'en faisant droit à la demande d'annulation de décisions de vente d'immeubles en date du 20 décembre 1973, dont le principe avait été décidé lors d'une assemblée générale des associés de la SCI du 21 janvier 1972, au motif erroné tiré de ce que la demande d'annulation était fondée sur l'existence d'une cause illicite, de sorte que la prescription trentenaire se trouvait applicable et que la demande présentée près de 25 ans après les actes en cause était recevable, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 1844-14 du code civil ; Mais attendu qu'ayant relevé que la demande de nullité visait des actes de vente conclus par la société sur le fondement de leur cause illicite ou immorale, la cour d'appel, qui n'était saisie ni d'une demande tendant à la nullité de la société ou d'actes ou de délibérations des organes de celle-ci, ni d'une action en annulation des actes de vente fondée sur l'irrégularité affectant la délibération les ayant autorisées, en a déduit à bon droit que la prescription prévue par l'article 1844-14 du code civil devait être écartée et que la prescription trentenaire était applicable ; Sur le troisième et le quatrième moyens, réunis : Attendu que Mme X... et Mme Y... font grief à l'arrêt de prononcer l'annulation des ventes, alors, selon le moyen : 1°/ qu'en estimant que les contrat de vente du 20 décembre 1973 avaient une cause illicite imputable à Mme X..., tout en constatant que ces transactions avaient été autorisées par l'assemblée générale des associés de la SCI, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1131 et 1133 du code civil ; 2°/ qu'en estimant que les contrats de vente du 20 décembre 1973 avaient une cause illicite, au motif que Mme X... avait été "condamnée pour ses agissements frauduleux envers la SCI, la juridiction pénale ayant constaté par décision devenue définitive le caractère infidèle de sa gestion et la commission d'abus de confiance", sans expliquer en quoi la décision pénale considérée contraignait le juge civil à prononcer l'annulation des contrats de vente du 20 décembre 1973 sur le fondement de la cause illicite, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1131, 1133 et 1351 du code civil ; 3°/ qu'en estimant que les contrats de vente du 20 décembre 1973 avaient une cause illicite, au motif que les immeubles avaient été vendus à un prix minoré, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'élément d'illicéité qu'elle retenait, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1131 et 1133 du code civil ; 4°/ que dans ses conclusions d'appel, Mme Y... faisait valoir qu'elle n'avait jamais contracté avec la SCI, qu'elle était tiers aux transactions intervenues et que les demandes d'annulation présentées à son encontre étaient irrecevables ; qu'en laissant sans réponse ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ; Page 48 sur 49 Mais attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, constaté qu'il résultait des arrêts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 3 mars 1987 et du 14 juin 1995, condamnant Mme X... pour ses agissements frauduleux envers la SCI, et des expertises ordonnées au cours de l'instance pénale que les deux ventes avaient été consenties à des prix inférieurs à ceux pratiqués à l'époque et que si les époux Y... avaient versé à la SCI la somme de 100 000 francs correspondant au prix de vente, Mme X... avait aussitôt émis un chèque de 50 000 francs au profit de son père qui aurait prêté cette somme à la SCI et un autre chèque de 60 000 francs à son propre profit, sans payer le prix de vente des lots qu'elle avait acquis mais en débitant seulement son compte courant d'une somme correspondante, relevé que Mme X... ne pouvait se prévaloir de ce qu'elle avait été autorisée le 21 janvier 1972, soit près de deux ans avant, à passer ces actes par l'assemblée générale des associés, dès lors que les difficultés de trésorerie dénoncées provenaient des détournements qu'elle avait commis, et retenu que le motif déterminant des deux contrats de vente était la volonté de violer le pacte social de la SCI en consentant des ventes de biens appartenant à celle-ci à des prix largement minorés au profit de la gérante et de ses beaux-parents, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé l'illicéité de la cause des contrats, sans s'estimer liée par les décisions pénales, en a déduit à bon droit, sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que les ventes devaient être annulées et que les lots vendus devaient être réintégrés dans l'actif social de la SCI ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le cinquième moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne, ensemble, Mme X... et Mme Y... aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... et de Mme Y... et les condamne, ensemble, à payer à la SCI Les Antilles la somme de 2 000 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille sept. II. ENNONCEZ LES CAUSES DE NULLITÉS DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ III. DISSERTATION : LA FRAUDE ET LA NULLITÉ DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ Page 49 sur 49