épilogue - cyclandes

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épilogue - cyclandes
ÉPILOGUE
LES ÉCLATS DE LA VIE
Je suis seul, je crois !
Je suis moi, je crois !
Je suis là au bord de mon miroir
Voilà l’ombre.
Le Piaf s’était envolé et le Reflet évanoui dans le morceau de miroir de ma vie. Tout
s’était reconstitué, j’avais effectué ce chemin cherchant la vie ou cherchant la mort.
J’avais souffert dans mon corps et pourtant il restait à en finir, voulais-je revenir ou
mourir. Le Piaf était imaginaire et le Reflet flou. Un être voulait me soustraire à
l’entonnoir de la mort. Un être qui m’aimait, cet être était ces étoiles qui scintillaient
comme des larmes et qui éveillaient mon esprit de ses lumières. C’était ce parfum qui
venait comme un souvenir d’autrefois sur moi, c’était cette voix qui parlait comme le Piaf,
une voix qui n’était pas du monde de mon coma et possédait un souffle de vie. Tant de
fois j’ai cru comprendre, tant de fois j’ai voulu lever mes bras vers cette ombre inerte,
mais mes bras restaient immobiles, implacablement rivés dans le noir de mon espace.
M’étais-je raconté mon histoire ou une personne me l’avait-elle raconté, l’oiseau n’était-il
qu’une voix et le Reflet mon subconscient. Mais cette voix était comme le bruit d’une
source ruisselant entre les pierres froides, pénétrant la terre comme pénétrant mon être
qui donnait vie aux racines des cellules de mon cerveau. Je vivais, mon cœur battait, je
le sentais battre, l’attirance me tendait les bras, des mains fines caressaient mon visage.
Je pouvais sortir de mes ténèbres. Le voulais-je ?
Là, dans ma mémoire j’ai vu mon miroir, ce morceau de glace aux reflets de vie, il en
manquait deux bouts, comme deux ébréchures coupantes, j’ai vu ces morceaux aux
éclats terrifiants, je pouvais, avec l’un me couper le cordon qui me tenait à la vie, avec
l’autre voir l’avenir alors….
Je me suis penché vers mon miroir et j’ai vu.
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J’ai vu le soleil se coucher, étendre son lit aux draps d’or sur le flot bleu d’un soir et tirer
sur lui la couverture de l’océan. Quand il tombait dans les profondeurs amnésiques là où
sa lumière ne devenait qu’une ombre, je comprenais que tout astre a ses ténèbres, tout
puissant soit-il. Je pouvais alors marcher sur le chemin de ma détresse avec espoir, vers
les jours meilleurs que l’aurore sommeillante me cachait encore. Rompu d’un si long
voyage dans l’agonie des méandres de la mort, je mendiais de la vie son existence
encore, qu’elle me donne cette force où l’esprit jaillit comme une eau claire en mon
cerveau, que mon cœur batte le sang en mon âme et que mon âme habite ce corps
meurtri d’une douleur jeune encore.
Ces morceaux de miroir qui me suivaient dans ce temps opaque, brillaient toujours
comme des larmes, deux gouttes d’eau. Tout près de la fin d’un monde, l’ombre se
détachant du corps, revenant du royaume de l’éternité, d’une force irréelle mes mains
sont allées vers eux, tremblantes comme des membres vivants, j’avais bougé les bras,
mes mains s’ouvraient et touchaient ces morceaux de lumière, mes yeux s’entrouvrirent
et j’ai crié : « J’ai vu ! »
J’ai vu le soleil sortir rougeoyant du coma de la nuit, s’arrachant au vague d’amertume
par des pleurs d’écumes. Il se dressait sur l’océan en maître, inondant lentement de son
sang, ses flots en ce matin levant. Mes yeux mi-clos se levèrent avec cet astre brûlant
déchirant doucement le voile lugubre du passé, laissant l’éblouissante lumière blesser
mes yeux à la recherche de la scintillante vérité.
Une voix m’appelait. Ce n’était qu’un murmure de pleurs, une mélodie de mots résonnait
sur le mur de mon silence :
« Honoré, il a ouvert les yeux, il a ouvert les yeux !»
S’écroulaient les murs de ma tombe, mes yeux aveuglés par la lumière naissante, me
faisaient renaître au matin d’un jour qui me semblait le premier. Je tenais dans mes
mains serrées, deux morceaux de miroir qui encadraient un visage trouble où brillaient
de vraies larmes. J’étais dans la blancheur d’une chambre, je sortais du noir dans ce lit
où les draps ondulaient sur moi, je ressentais couler le sang dans tous les membres de
mon corps. Je vivais. Las d’une fatigue, d’un effort, le sommeil m’appelait encore.
Alors, je me soulevais péniblement luttant contre l’attirance du néant, laissant ce fantôme
allongé sur ce lit. J’avais vaincu la faiblesse de mon corps qui voulait se replier sur luimême, mes doigts s’écartaient lentement, doucement, comme sortis d’une paralysie
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s’ouvraient mes mains et dans la paume de chacune d’elle, apparut la luminance d’un
éclat de vie.
Je les voyais enfin ces éclats de vie qui venaient chaque jour éveiller mon sommeil, ces
éclats que le Reflet cherchait comme l’espérance d’une existence. Scintillantes boucles
de lumière, fragments de miroir, larmes de verre qu’un visage d’ange portaient à ses
oreilles. Ces bijoux de pacotille n’étaient rien et tant de choses que la richesse du monde
ne peut s’offrir, le don du cœur. Humble cadeau d’un jour de peine, venu des mains
volages de la Ficelle comme une offrande à l’amour, ce qu’il me donnait à moi, je l’offrais
à Solange pour que ses larmes s’arrêtent un moment et se cristallisent en souvenir. Les
voilà ses larmes, ses morceaux de verre ciselés, vacillant dans l’ombre de mon ange, ils
sont venus me chercher dans les méandres de ma mortelle errance.
Aux brumes du jour, s’éveille en moi l’envie de renaître, ébloui par tant de clarté, je
m’approchais de ce doux visage frôlant de mes mains ces joues humides d’un chagrin
qui vient de voir le soleil. Je voyais un lac de bonheur au milieu de mon miroir. Solange,
mon ange, me ramenait à la vie. J’avais senti sa bouche glisser sur mon front, ses lèvres
tremblantes balbutiaient un délire de mots incompréhensibles, ses mains parcouraient
mes cheveux et son visage se fondaient avec le mien. J’étais son frère. Tant d’amour ne
pouvait rester orphelin et d’une voix venant d’un au-delà je lui susurrais dans le creux de
l’oreille :
« T’es belle Solange, je suis revenu !»
Puis à bout de force, je me rallongeais sortant de son étreinte à regret, j’entendis une
infirmière :
« Il faut le laisser se reposer maintenant, ce réveil est un effort terrible pour lui »
Mes yeux s’ouvrirent mi-clos encore une fois, pour voir l’ombre de mon ange s’en aller.
J’étais apaisé, je savais que je voulais :
« Vivre !»
Ainsi, je m’endormais sans le Piaf, sans le Reflet, j’étais redevenu moi.
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J’avais passé presque une année dans le coma. Pendant ces quelques mois, Solange
était venue tous les jours me parler, me caresser, elle venait, parée de ses boucles
d’oreilles qui m’appelaient vers la vie, elle me racontait mon histoire, la présence de ces
ombres près d’elle, étaient-ce celles de Victor et d’Angèle. Toute une histoire qu’un ange
seul pouvait raconter, dans le fond c’était peut-être elle « le Piaf ».
Il m’est difficile à ce jour, de vous raconter ce que sont devenus mes amis, ce que sont
devenus les Fibros, Julien, Nicolas, et les autres, car pour moi, ils vivent encore comme
autrefois. Si je ferme les yeux, j’entends leurs voix qui résonnent dans les Fibros, je les
vois dans mon imaginaire affection. Diogène derrière sa poussette. La Pie débitant des
histoires à n’en plus finir. Frédo passant son peigne dans ses cheveux. Cécilia tortillant
une de ses boucles brunes de cheveux. Jean B se grattant quelques boutons. Nadège
caressant la Ficelle de ses yeux. La Ficelle les mains pleines de cambouis réparant un
monstre de ferraille, je l’entends me dire :
« Le Piaf s’est réveillé, il va pleuvoir de la poésie les mecs, prenez vos boules Quiès »
Là, dans un coin sombre de l’usine, Julien enlaçant Josy, comme égaré dans un monde
où les sentiments sont rois. Martine n’est qu’une ombre qui s’en va vers une vie où je ne
suis pas, pourtant elle se retourne et je vois des larmes briller dans ses yeux. Ce monde
de la rive droite et de la rive gauche, la route des Ornières, Madame Labrousse devant
son café les mains sur les hanches, qui regarde le haut de la décharge et ne voit que
pauvreté. Paulo et son éternel mégot qui brûle sa vie. J’entends un bruit de marmaille
suivant le tablier gris de la Friche. Plus bas dans mon rêve, je vois, main dans la main,
Nicolas et Solange unissant les deux rives et marchant au milieu de la route. Mon cher
Victor penché sur sa poésie, Angèle passant le chiffon sur des meubles sans poussière.
Voilà la Filoche qui vient vers moi avec sa voix de titi parisien :
« Alors t’es revenu, mais où t’étais ?»
J’étais là-bas, je vous cherchais dans les nuages et même si maintenant je vous cherche
toujours, vous êtes dans mon cœur à jamais.
Oh toi Julien ! tu n’es sûrement pas dans ce coin sombre dans les bras de Josy. Mon
frère de sang, l’ami de ma jeune vie, tu marches sur un chemin qui mène là où je ne suis
pas, je t’ai perdu de ton vivant, mais tu voyageras en moi chaque nuit. J’ai tant de
choses à te dire. Il y a ces mots qui reviennent comme un remord, pardonne-moi Julien
de ne pas t’avoir dit :
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« Viens Julien partons ensemble, vers un autre monde, celui que l’on fera sera meilleur
puisqu’il sera le nôtre. La vengeance n’assouvit pas les blessures, elle n’est qu’une plaie
purulente sur la plaie de la haine, laissons ici ta terrible souffrance qui vit dans les yeux
de tes démons et si ces démons sont des hommes, laisse-les là, ces hommes avec leur
certitude vaniteuse d’être nés d’un droit divin. Partons ensemble vers l’oubli et si tu veux
Julien oublier à jamais, alors mourons ensemble. »
Mais, où tu seras Julien, il y aura toujours un Piaf qui posera ses pattes sur une branche,
sur une gouttière, sur une bordure de trottoir où ton regard se penchera, alors Julien tu
penseras à moi et moi je serais là !
Maintenant, viennent ces jours qui passent. Je me pose la question à chacun d’eux « Où
se trouve Eve », elle me croit sûrement mort après le récit des journaux de l’époque qui
avait annoncé trop vite mon décès, alors aucune lettre, aucun mot je ne suis plus de ce
monde pour elle. J’appartiens au hasard qui me guide dans mon espoir d’un jour. La
revoir.
Comment parler d’Eve sans vouloir mourir encore ? Comment prononcer son nom, sans
sentir la flèche, que Cupidon m’avait plantée comme une épine dans le cœur ? C’est un
souvenir muet qui vit en moi. Un rêve parfois vient se coucher près de moi et m’appelle.
« Yves je t’aime »
Un rêve Eve ? C’est une île au milieu de ma vie, entourée d’un océan de regrets. Une île
qui s’appelle Amour. Une île déserte sans âme qui vive, seule s’y trouve notre histoire,
l’histoire de quelques jours de bonheur, de quelques jours d’éternité. Cette histoire
s’appelle aujourd’hui, car aujourd’hui c’était hier, car aujourd’hui sera demain et
qu’aujourd’hui sera toujours, car, je lui avais dit une fois que je l’aimais pour toujours et
que chaque jour de ce toujours irait jusqu’à la mort. Eve, un visage qui se brouille que je
ne peux toucher quand le rêve s’éveille et que Eve disparaît. D’un tendre regard, je lui
dis :
« Au revoir, je t’aime !»
Parfois je fredonne cette chanson qui accompagne ma nostalgie. Je danse avec elle
encore une fois, nous sommes dans ce nuage de rêve, elle rit, ses cheveux blonds
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s’envolent, voltigent dans les tourbillons de sa robe blanche, le rouge pâle de ses lèvres
ressort sur le rose de sa peau, le ciel d’azur colore ses yeux nous sommes seuls enfin
dans l’Eden.
Les anges chantent notre chanson :
« Ils s’aiment comme des enfants,
Comme avant les menaces et les grands tourments,
Et si tout doit sauter, s’écrouler sous nos pieds
Laissons-les, laissons-les, laissons-les s’aimer »
Je vis avec Eve dans mon cœur.
Elle disait qu’elle viendrait le premier lundi de chaque mois à midi place de l’Opéra dans
l’espoir de revoir ses parents. Alors, si un jour vous voyez un garçon sur les marches de
l’Opéra le premier lundi du mois à midi, mêlé à la foule, ce garçon rêveur mélancolique
qui cherche le visage d’un souvenir qui s’enfuit, alors ne cherchez pas…. C’est moi !
Les vents avaient poussé les odeurs de la décharge, vers l’Est, un chien s’était endormi
pour toujours entre quatre rosiers près d’une usine en ruines, ainsi en revenant à la vie,
mourait en moi :
« L’EST des BENNES »
EMERAINVILLE LE 17 mai 2002
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