La vente des biens nationaux dans le district de Bernay

Transcription

La vente des biens nationaux dans le district de Bernay
HAUTE-NORMANDIE
ARCHÉOLOGIQUE
BULLETIN N° 9
2004
Centre de Recherches Archéologiques de Haute-Normandie
Société Normande d’Études Préhistoriques
Hôtel des Sociétés Savantes, 190 rue Beauvoisine, 76000 Rouen
4
COMMUNICATIONS PRÉSENTÉES
AUX JOURNÉES ARCHÉOLOGIQUES RÉGIONALES, EU, 22-23 Mai 2004
Colloque organisé par le Centre de Recherche Archéologiques de Haute-Normandie et la Direction
Régionale des Affaires Culturelles - Service Régional de l’Archéologie, en collaboration avec la Société
Géologique de Normandie, le Muséum d’histoire naturelle du Havre, Archéo 27, Les Amys du Vieil Eu,
les amis du Musée Louis Philippe et le concours de la Ville d’Eu.
p. 7
Alain Beauvilain
p. 9
Déborah Tailleur, Jean-Pierre Watté
et André Bouffigny
Diaporama sur les recherches paléontologiques dans le
Sahara tchadien.
Yainville (Seine-Maritime) : Un site belloisien du nordouest français.
A propos des sources de matières premières utilisables
et utilisées par les préhistoriques en Seine-Maritime : le
silex cénomanien, un bon marqueur pour la mise en
évidence du transport de matières premières et d’objets
finis.
Apports de la fouille d’Octeville-sur-Mer (SeineMaritime) à la connaissance du Campaniforme régional.
Découverte d’un édifice gallo-romain sous l’église
d’Hondouville (Eure).
p. 13
Jean-Pierre Watté
p. 37
Jean-Pierre Watté et Yves Lepage
p. 47
Florence Carré
p. 51
Gilles Dumondel, Véronique Leborgne
et Jean-Noël Leborgne
Archéologie aérienne sur la moitié ouest de l’Eure. Une
bonne campagne 2003.
Nicolas Koch
L’occupation du plateau du Neubourg, de la fin du
er
e
I siècle avant J.-C., jusqu’au V siècle après J.-C.
d’après la photographie aérienne.
Jacques Le Maho
Le Câtelier d’Eu et les fortifications du littoral de la
Manche au haut Moyen-Âge (VIIe-IXe siècles).
Christophe Colliou
et Philippe Dillmann
Approche archéométrique de la métallurgie par
réduction directe en Pays de Bray.
Maxime L’Héritier
L’utilisation du fer à la cathédrale de Rouen à l’époque
médiévale.
Jens Christian Moesgaard
Deux trésors de la Guerre de Cent Ans provenant de la
région d’Eu.
Jens Christian Moesgaard
Faux monnayage en Haute-Normandie.
e
Astrid Lemoine-Descourtieux
Les petites fortifications de la région de l’Avre (XI e
XIII siècles) : essai d’inventaire d’après les sources
littéraires, iconographiques et la prospection.
Gilles Deshayes
Les occupations de la presqu’île de Jumièges de
la Tène finale au Bas Empire : les témoignages des
textes et de l’archéologie.
Sandrine Bertaudière
et Laurent Guyard
Un monument des eaux en bois énigmatique au VieilÉvreux (Eure).
Christian David
et Sophie Talin d’Eyzac
Prospection géophysique par la méthode électrique des
jardins du château d’Yville-sur-Seine (Seine-Maritime).
Jens Christian Moesgaard
La circulation des monnaies anglaises en France sous
Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre et le
financement de la guerre sous Philippe Auguste.
p. 61
p. 65
p. 67
p. 69
p. 79
p. 81
p. 83
p. 93
p. 105
p. 109
p. 115
p. 127
Yves-Marie Adrian
L’atelier de potiers-tuiliers des Ventes « Les Mares
Jumelles » (Eure) : principaux résultats de la campagne
2000.
5
COMMUNICATIONS PRÉSENTÉES
AUX JOURNÉES ARCHÉOLOGIQUES DE CAUDEBEC-EN-CAUX ET DE BERNAY
p. 131
André Goudeau
p. 135
Jean-Pierre Derouard
p. 141
Bernard Bodinier
p. 153
Lionel Dumarché
p. 159
Gaël Léon et Yves-Marie Adrian
Trafic fluvial et troubles de subsistances à Vernon dans
e
la seconde moitié du XVIII siècle.
Kay-le-Roy et Jumièges : un port et passage de la
Basse-Seine à la fin de la Guerre de Cent Ans.
L’événement le plus important de la Révolution ? La
vente des biens nationaux dans le district de Bernay.
Un village de Seine aux XVIIe-XVIIIe siècles en aval de
Rouen : Freneuse.
Résultats archéologiques de la déviation de Saint-Clairsur-Epte (Eure) : les occupations antiques et
médiévales et leur environnement.
147
L’ÉVÉNEMENT LE PLUS IMPORTANT DE LA RÉVOLUTION ?
LA VENTE DES BIENS NATIONAUX DANS LE DISTRICT DE BERNAY
Bernard BODINIER
Contrairement à la plupart des communications de ce congrès, je me référerai bien peu à l'archéologie
pour traiter du sujet qui m'occupe ce matin. Mes informations proviennent des archives. Mais on pourrait
aussi demander aux archéologues de suivre le patrimoine ou les paysages (ruraux et urbains) qui ont
été concernés par la vente des biens nationaux, travail ô combien important et qui reste à faire pour
l'essentiel.
Décidée par la Révolution d'abord pour résoudre le problème financier que lui a légué l'Ancien Régime,
puis pour punir ses ennemis, la vente des biens nationaux serait, selon l'expression de Georges
Lecarpentier (1), « l'événement le plus important de la Révolution ». Il ajoutait toutefois que cette
aliénation partageait cette place avec la conquête de l'égalité civile et celle de la liberté politique. Quoi
qu'il en soit, cette nationalisation-vente originale constitue une importante question d'histoire
e
économique et sociale qui mérite qu'on s'y arrête. Pendant tout le XIX siècle, on n'a guère osé en
parler, tant le sujet était sulfureux. Les acquéreurs de biens nationaux n'étaient-ils pas des profiteurs,
comme les décrit Balzac ? N'avait-on pas honte dans telle ou telle famille d'avoir tiré parti du système ? Il
faut attendre la fin du siècle et Jaurès, pour qui cette vente de biens nationaux confirme le caractère
bourgeois de la Révolution, pour que les études quantitatives apparaissent. Elles se multiplient au
e
XX siècle, ce qui m'a permis, en collaboration avec Éric Teyssier, de faire le point sur cette question à
l'échelle nationale (2). Sur l'ensemble de la France, on a vendu environ 1 100 000 lots couvrant un peu
plus de 5 500 000 ha, ce qui représente un peu plus du dixième du territoire, la grandeur de la
Normandie et de la Bretagne réunies. S'y ajoutent des dizaines de milliers d'édifices de toutes sortes,
abbayes, églises, presbytères, moulins, fermes, maisons, halles, châteaux, granges, forges… et le
mobilier qu'on a souvent tendance à oublier, des livres, des tableaux… L'essentiel est vendu avant
e
1797, même si les ventes se prolongent fort loin dans le XIX siècle (au moins jusqu'en 1867). Ces
aliénations profitent à 600 000 acquéreurs, 700 000 peut-être, soit un foyer sur dix. L'Église perd
pratiquement tout son patrimoine, la noblesse sort affaiblie mais pas ruinée, la bourgeoisie et les citadins
l'emportant nettement sur les paysans et les ruraux.
Mais qu'en est-il dans cette région du centre-ouest du département ? Le district de Bernay a été créé en
1790. Il est l'un des six districts du département. Il recouvre pour l'essentiel l'ancienne élection de
Bernay et une partie de celle de Conches appartenant à la généralité d'Alençon. Sur le plan judiciaire, il
correspond au sous-bailliage de Bernay et partie de ceux de Beaumont, Conches, Breteuil et Orbec. La
Charentonne séparait les évêchés de Lisieux et Evreux. Au total, il regroupe 172 communes sur
2
107 576 ha. La population y est relativement dense : 71 h/km (68 pour l'Eure et 50 pour la France) mais
le sud du Lieuvin est beaucoup plus peuplé que le Pays d'Ouche. L'habitat y est le plus souvent
dispersé. L'agriculture occupe la très grande majorité de la population. Le textile est toutefois présent à
Bernay et dans la région de Thiberville (rubanerie). Moulins à blé, à tan ou à papier complètent ces
activités non agricoles, qui comptent encore la verrerie de Vieilles et les forges de Ferrières-Saint-Hilaire
et Courcelles. Bernay, qui compte alors un peu plus de 6 000 habitants, s'est naturellement imposé
comme chef-lieu de district, aucune des autres communes ne pouvant rivaliser (une dizaine seulement a
entre 1 000 et 2 000 habitants).
LA LÉGISLATION ET LE CALENDRIER DES VENTES
L'étude des ventes de biens nationaux se fait à partir de la série Q des archives départementales et plus
particulièrement des procès-verbaux d'adjudication définitive. Les résultats qui suivent proviennent de
ma thèse de doctorat d'État soutenue en 1988 (3).
(1)
(2)
(3)
La vente des biens ecclésiastiques pendant la Révolution Française, Paris, Alcan, 1908.
BODINIER Bernard et TEYSSIER Eric, L'événement le plus important de la Révolution : La vente des biens
nationaux en France et dans les territoires annexés (1789-1867), Paris, Société des études robespierristes et
CTHS, 2000.
BODINIER Bernard, La vente des biens nationaux dans le département de l'Eure (1789-1827), Thèse d'Etat,
Paris I, 1988.
148
La loi du 2 novembre 1789 nationalise les biens de l'Église qui sont bientôt rejoints par ceux de la
Couronne, puis ceux des fabriques, des charités, des écoles, des hôpitaux… Cet ensemble forme les
biens de première origine. Le 27 juillet 1792 est adopté le principe de la vente des biens des émigrés
auxquels on adjoint par la suite ceux des prêtres déportés et des condamnés révolutionnairement : ce
sont les biens de seconde origine.
Les modalités de confiscation, administration et vente de tous ces biens sont fixées par des législations
successives, huit principales s'échelonnant de 1790 à 1814. Mais on peut retenir quelques données
principales. Les biens sont vendus au chef-lieu de district jusqu'en décembre 1795, à celui du
département ensuite. Sauf pendant la période régie par la loi de ventôse IV (mars 1796), ils le sont aux
enchères. Le paiement se fait à crédit, selon des modalités variables dans le temps. Ajoutons encore
que les biens sont d'abord vendus d'un seul tenant, jusqu'au printemps 1793, ce qui ne touche donc pas
les fermes de l'Église mais concerne celles des émigrés qui sont divisées en multiples lots. Ainsi, une
exploitation de 124 ha à Drucourt est dispersée en 51 morceaux, une autre de 16 ha à Harcourt en 31.
Le lotissement est abandonné dès 1796. Enfin, les coalitions d'acquéreurs, d'abord autorisées, sont
interdites. Neuf habitants de Calleville se sont ainsi réunis, le 21 mars 1791, pour acheter ensemble une
exploitation de 37,3 ha qu'ils se partagent. Ils sont imités par neuf personnes de Bray pour seulement
5,8 ha le 20 juillet suivant.
La préparation des ventes (confiscation, inventaire, expertise, soumission, mise en vente proprement
dite) explique que la première vente n'ait lieu à Bernay que le 7 février 1791, soit un mois et demi après
Evreux. Mais ensuite, le mouvement s'accélère : 22 lots en mars mais 168 en juin, 130 en juillet (on ne
retrouvera des chiffres voisins qu'à l'été 1796 : 124 en juin, 122 en juillet, 107 en août). Les ventes par
l'administration de district représentent 1 206 lots, soit 63,9 % du nombre total des ventes de première
origine (1 886). Après 1796, où sont vendus de nombreux presbytères et des parcelles des cures et
fabriques, on constate que les ventes deviennent insignifiantes : quelques dizaines par an contre
plusieurs centaines les années précédentes. La dernière vente de première origine a lieu le 9 octobre
1830 mais c'est un cas isolé (on n'avait rien vendu depuis 1811) puisqu'il s'agit des bois du prieuré de
Grandmont au Noyer-en-Ouche qui avaient été affectés à la sénatorerie de Rouen. D'autres bois,
couvrant 263 ha, et qui avaient été réservés comme tous les massifs forestiers, avaient été liquidés au
début de la Restauration.
Calendrier des ventes de première origine
1791 427
1796 488
après 1800
1792 152
1797 43
1793
82
1798 70
1794 221
1799 19
1795 324
1800 11
Ventes par l'administration de district
1 206
Ventes selon la loi de ventôse IV
538
Autres lois
142
7,5
Total
1 886
100
49
63,9 %
28,5
Cette répartition des lots selon le calendrier est corroborée par d'autres critères, comme la superficie ou
la valeur des ventes. La législation de 1790, appliquée jusqu'à la fin de 1795, assure la vente de 4 440
des 5 897 ha de première origine liquidés (et 56 des 59 exploitations), soit 75,3 %. Toutefois, la
suivante, celle de ventôse IV, si elle est dominée pour les terres (892 ha, 15,1 % quand même),
l'emporte pour les immeubles : 27 des 53 maisons et 145 des 155 presbytères. Et comme dès 1791, on
a vendu, en valeur d'estimation, les trois cinquièmes de ce qu'adjuge la première législation, c'est dire la
rapidité des ventes.
Pour la seconde origine, la situation est légèrement différente. D'abord parce que les ventes sont plus
tardives. Elles ne commencent que le 13 décembre 1793 et sont concernées par le lotissement des
fermes, ce qui explique le grand nombre des lots adjugés entre 1793 et 1795 : 489 des 657, soit
74,4 % ; 135 pendant le seul mois de pluviôse III. Mais un peu moins de la moitié des superficies (47 %).
Alors que la législation de ventôse IV avec seulement 94 procès-verbaux (14,3 %) adjuge 34 % du sol et
pratiquement autant d'immeubles (65 contre 75) que le district. Les ventes se terminent aussi plus
rapidement que pour la première origine en raison de l'amnistie consulaire. Mais la présence de
quelques irréductibles qui refusent de rentrer en France explique qu'on vende encore de tels biens
jusqu'en avril 1812. Ces ventes sont naturellement interrompues par la Restauration qui rend ce qui
n'avait pas été aliéné, avant d'indemniser les émigrés par la fameuse loi du Milliard (27 avril 1825) qui ne
rend pas les biens mais accorde une compensation sous forme d'une rente à 3 %, malgré l'opposition de
Dupont de l'Eure.
149
Calendrier des ventes de seconde origine
Administration de district 489 lots 74,4 % 2 050 ha 47,1 %
Loi de ventôse IV
94
14,3
1 492
34,2
Autres lois
84
11,3
815
18,7
Total
657
100
4 357
100
Au total, on a vendu réellement 5 897 ha de première origine, dont 5 732 aux dépens de l'Église et 165
du Domaine royal (4), auxquels s'ajoutent 4 357 ha de seconde origine. L'ensemble représente un peu
moins du dixième de la superficie du district, 9,5 % exactement (5,5 % pour la première origine et 4 %
pour la seconde), ce qui est loin d'être négligeable mais légèrement inférieur à la moyenne
départementale (11,5 %), tout en étant supérieur au niveau national (8,5 %). Cette relative faiblesse, à
l'échelle de l'Eure, est due à une propriété ecclésiastique plus faible (5,5 contre 7,5 %), alors que la
seconde origine se situe à la moyenne. Les immeubles aliénés sont au nombre de presque 400 pour la
première origine et d'un peu plus de 150 pour la seconde, soit 550 au total, ce qui représente un
patrimoine immobilier important, même s'il n'a pas la même valeur que la terre. Encore que certains de
ces immeubles (abbayes, couvents, moulins, halles, châteaux, bâtiments de ferme…) soient d'une
importance considérable, notamment pour l'économie.
Le bilan financier de ces ventes mérite quelques mots. On a longtemps considéré que ce fut une
catastrophe financière pour la Révolution. Ce ne fut peut-être pas aussi vrai. Certes l'assignat a perdu
rapidement de sa valeur. Mais les biens ont été vendus à un prix correct (5), le mécanisme des
enchères permettant de dépasser très nettement des mises à prix relativement basses (6) mais il fallait
pouvoir vendre et rapidement. Par ailleurs, ces biens n'avaient rien coûté à l'État qui a pu financer ses
réformes et les guerres. Mais, incontestablement, la dépréciation de l'assignat à laquelle s'ajoute le
système de crédit, a permis aux acquéreurs de faire d'excellentes affaires.
LES VICTIMES DE LA NATIONALISATION
A partir des ventes, on peut, rétrospectivement, reconstituer le patrimoine des différents propriétaires, à
condition d'admettre que tous leurs biens séquestrés aient été vendus, ce qui semble être le cas
général, sauf pour la seconde origine où il faut être plus prudent.
Au premier rang des victimes, il faut bien sûr placer l'Église qui perd 5 733 ha et 400 immeubles, c'est-àdire la quasi totalité de sa propriété. Elle ne parvient à conserver que les églises (3 seulement sont
vendues), quelques dizaines de presbytères et 144 ha dont la majeure partie est affectée aux hospices.
Autant dire que sa situation est catastrophique : elle qui détenait 5,5 % du sol disparaît comme
propriétaire foncier et elle n'est pas indemnisée, contrairement aux émigrés. A signaler qu'une partie de
l'abbaye de la Comté est transformée en collège, que l'abbaye Notre-Dame (7) abrite les administrations
nées de la Révolution (mairie, district puis sous-préfecture), qu'une partie de celle du Bec devient le
e
siège de la 14 cohorte de la Légion d'Honneur avant de servir de dépôt de remonte (8).
Cette propriété était distribuée entre plusieurs centaines de propriétaires, seize communautés
religieuses (et l'ermitage de Plasnes), autant de cures et de fabriques que de paroisses (180 environ),
auxquelles s'ajoutaient 33 charités, 16 chapelles, 9 autres confréries, 4 trésors, 4 écoles, 3 rosaires et
2 hôpitaux. L'absence d'évêché et de chapitre dans la circonscription explique que le clergé séculier soit
largement dominé, avec seulement 30 % des terres, par des réguliers qui possèdent sur place trois
abbayes (Le Bec et Notre-Dame de Bernay de l'ordre bénédictin, La Comté aux chanoinesses de SaintAugustin), une dizaine de prieurés (dont les plus importants sont ceux du Parc à Harcourt, de
Grandmont au Noyer-en-Ouche, de Maupas à Capelle, de Beaumont-le-Roger, du Bosc Morel…) et trois
couvents, tous situés à Bernay (Pénitents, Cordeliers et Franciscaines). Il n'y pas d'abbaye cistercienne
ni d'Ursulines dans le district et plusieurs prieurés ont perdu toute autonomie quand ce n'est pas leurs
religieux (9). Ces différents établissements sont irrégulièrement pourvus.
(4)
(5)
(6)
(7)
(8)
(9)
Surtout de l'apanage de Monsieur (144 ha dont 85 à Bernay même).
Environ 1 000 f l'hectare de terre mais les prés valent plus cher, les bois nettement moins. Et tout dépend de la
qualité des terres.
En 1791, les prix d'adjudication dépassent ceux d'estimation de 55 %.
L'église, rachetée par la ville en 1813, devient halle au blé.
Elle sera rendue aux moines en 1948.
e
Le prieuré de Beaumont dépend de l'abbaye du Bec où ses religieux se sont installés au début du XVIII siècle.
Celui de Maupas apporte ses revenus à l'abbaye de Lyre et celui du Bosc Morel au prieuré de Lierru.
150
Quelques propriétaires du clergé régulier
Abbaye du Bec
1 585 ha (3 132 sur le département)
Abbaye de Bernay
497
(509 en tout)
Prieuré du Parc
219
Prieuré de Grandmont
204
Prieuré de Maupas
114
Franciscaines de Bernay
99
Prieuré de Beaumont
89
Abbaye de La Comté
73
Prieuré du Bosc Morel
42
…
Pénitents de Bernay
3
Cordeliers de Bernay
0 (uniquement leur couvent)
La situation du bas clergé est donc difficile. Les quelques 174 cures et fabriques se partagent 1 379 ha,
soit 7,9 ha en moyenne, ce qui est toutefois loin d'être négligeable si on compare cette étendue à la
propriété d'un paysan ou, a fortiori, d'un journalier. Mais 5 ont moins de 1 ha, 9 de 1 à 2 ha et 47 de 2 à
5. A l'opposé, 39 ont de 10 à 20 ha et 5 dépassent ce seuil, le record appartenant au Tilleul-Fol-Enfant
(60,2 ha). Les 16 chapelles ne sont pas mieux pourvues (85 ha). Les 33 charités se partagent 137 ha,
celle de Beaumont en ayant 27,5. Avec 113 ha, l'hôpital de Bernay est plus favorisé que celui d'Harcourt
(18 seulement). La propriété des autres associations est insignifiante. L'abbaye du Bec, avec ses 1 585
ha dans le seul district de Bernay, ses onze exploitations, ses trois moulins, ses halles, son audience de
justice… écrase la propriété ecclésiastique du district, dont elle possède 27 %. Elle est l'abbaye
nettement la plus riche du département avec 3 132 ha, 24 fermes, 9 moulins, 3 halles… Sa propriété est
surtout concentrée autour de l'abbaye proprement dite et déborde donc sur le district voisin de PontAudemer (489 ha) mais on la retrouve également dans celui de Louviers (662 ha) et même sur la rive
droite de la Seine (171 ha). L'abbaye Notre-Dame de Bernay vient loin derrière avec ses 509 ha, onze
fermes, trois moulins dont un à foulon, cinq maisons, une audience, des halles et une poissonnerie ; le
prieuré de Pressagny lui apporte un manoir et une dizaine d'hectares. La répartition géographique de
cette propriété ecclésiastique reflète la présence (ou l'absence) de ces grands propriétaires. Ainsi
retrouve-t-on sur la carte la zone entourant Le Bec et Bernay (257 ha), quelques grandes exploitations
expliquant les points importants qui sont disséminés ailleurs. Au plan des immeubles, sans les églises et
presbytères, les trente-cinq bâtiments de Bernay sont sans rivaux dans le district (sept au Bec et à
Thiberville, six à Beaumont, Harcourt et Brionne). Il est vrai que le chef-lieu abrite deux abbayes, trois
couvents, un hôpital et un collège, et que l'Église y possède encore quatorze maisons, six fermes, trois
moulins dont un à foulon, des halles, une poissonnerie, une audience, une chapelle…
La noblesse constitue l'essentiel des victimes de seconde origine mais rappelons que tous les nobles
n'ont pas émigré et que tous les émigrés ne sont pas nobles. La liste des proscrits du district de Bernay
compte une cinquantaine de noms dont une quarantaine est aristocrate. Quelques prêtres déportés
(dont deux sont nobles) et domestiques y figurent aussi. Souvent officiers, ces contre-révolutionnaires
ont décidé de quitter la France pour servir un roi qu'ils n'avaient cependant guère défendu au début de la
Révolution (ils partent pour l'essentiel après l'échec de la fuite du souverain). A ces « locaux », s'ajoutent
quelques grandes familles comme les de Broglie ou les princes de Lorraine. La plupart sont peu
fortunés, si l'on excepte le comte et maréchal de camp Le Filleul de La Chapelle (619 ha), les conseillers
au parlement Grossin de Bouville (316 ha) et Lefebvre d'Amécourt (309), ou encore de Vigan (252),
l'officier Chanu du Tilleul (213) et la femme Colonia (192). Les autres se contentent d'une bonne
centaine d'hectares (136 pour d'Hommey, 124 pour Le Cornu de Balivière, 112 pour Bonnechose,
111 pour Boshenry de Plainville, tous quatre officiers), voire moins (98 pour Pilon de Giverville, 95 pour
d'Etrépagny et Courtœuvre, 74 pour Cherville, 70 pour le prêtre Dufaix de Carsix…). Certains nobles
sont toutefois plus riches qu'il n'y paraît de prime abord car ils peuvent être possessionnés ailleurs,
comme le duc de Bouillon qui n'a que 70 ha dans le district mais possède le domaine de Navarre (que
rachètera Napoléon pour Joséphine) ou le président au parlement de Rouen Bailleul (22 ha mais dont la
fortune haut normande avoisine les 2 400 ha). La complexité de la législation, la non-émigration d'une
partie de la famille, les divorces, les oppositions… expliquent que toute la propriété séquestrée ne soit
pas vendue. Il faudrait également évoquer le phénomène compliqué des partages de présuccession qui
permet de saisir une partie des fortunes des parents, la République ouvrant par anticipation la
succession et prenant la part qui devait normalement échoir à l'héritier émigré.
Au total, on n'a donc vendu que 4 357 ha de seconde origine, soit 4 % du sol du district et
156 immeubles dont seize châteaux, vingt maisons, soixante-dix-sept fermes, dix moulins (un à tan, un à
papier), deux audiences, une auberge…
151
Géographiquement, cette propriété correspond à la situation des domiciles des nobles émigrés et il est
frappant de constater son importance dans les communes bordant le Calvados et l'Orne, alors que les
vallées de la Charentonne et de la Risle, ainsi que le plateau du Neubourg sont moins concernés. Les
terres sont généralement regroupées autour du château : ainsi des 192 ha de la femme Colonia à
Fontaine-l'Abbé, des biens de d'Hommey à Gisay, de ceux de Le Cornu de Balivière à Drucourt… En
revanche, ceux de Le Filleul de La Chapelle (619 ha, onze fermes, huit maisons, deux moulins à blé, un
moulin à tan et un autre à papier, les halles de Montreuil…) sont dispersés sur une dizaine de
communes, autour de ses trois châteaux de La Chapelle-Gauthier, Réville et La Goulafrière.
LES ACQUEREURS
Les opérations de vente semblent s'être déroulées à Bernay dans des conditions normales,
contrairement à ce qui a pu se passer à Louviers ou aux Andelys, où la présence de spéculateurs est
avérée et pèse lourdement sur le déroulement des enchères. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait eu
aucun agioteur à Bernay mais un Assegond, qui acquiert une trentaine de lots, fait pâle figure à côté
d'un Beaudouin ou d'un Guillaume Assire (10). Certains ont préféré se faire représenter aux enchères,
ce qui est d'autant plus facile que la loi permet, en vertu du droit de commande, de rétrocéder sans frais,
immédiatement ou un peu plus tard, le bien acquis. Mais le toilier Fourquemin de Bernay est désavoué
par celui à qui il destinait son achat et qui proteste qu'il est un honnête homme et n'a pas donné de
procuration. De même, l'homme de loi Ledanois refuse-t-il le cadeau d'une ferme de 60 ha que veut lui
faire un bourgeois parisien qui rétrocède finalement la ferme à un autre Parisien. Faute de trouver un
acquéreur, il ne reste qu'à payer ou à se laisser déchoir, ce qui entraîne une faible amende et le bien est
revendu. C'est ce qui arrive à Saint-Didier, un Parisien, qui ne peut - ou ne veut - payer les deux fermes
couvrant 112 ha, qu'il avait achetées et qui retourneront à l'hôpital de Bernay. La concentration des
ventes au chef-lieu de département gêne quelque peu les acheteurs potentiels du district. Il faut se
rendre à Evreux et y affronter la bande de spéculateurs qui sévit alors mais peut aussi rendre service.
C'est en tout cas ce qui explique que de nombreux lots, après 1798 surtout, soient achetés par ces
agioteurs qui les rétrocèdent à des habitants du district. Enfin, il conviendrait de ne pas s'en tenir aux
seuls acquéreurs primitifs ou à ceux qui bénéficient de rétrocessions immédiates ou très rapides. Il
faudrait suivre la destinée des biens, certains acquéreurs, pas particulièrement spéculateurs, ayant
choisi d'en revendre tout ou partie. Les exemples connus ailleurs montrent que ces rétrocessions et
reventes ont souvent profité à la paysannerie qui n'avait pas toujours osé affronter les enchères. En voici
un exemple pour Bernay. Le couvent des Franciscaines est vendu le 2 mai 1793 pour 60 100 f (sur une
mise à prix de 12 055 f) à deux marchands de Bernay, Flavier et Hazard. Tous les deux gardent une
partie de l'immeuble mais ils en rétrocèdent le reste à des particuliers. Hazard revend ainsi, le 30 nivôse
II (20 décembre 1793), soit sept mois après l'acquisition, un grand bâtiment avec salle, cuisine,
chambre, greniers, cour… à un certain Pinchon de Saint-Nicolas-du-Bosc-l'Abbé, moyennant 16 000 f en
assignats, ce qui ne représente que 3 200 f au cours de 20 %. Ils se partageront l'utilisation du puits.
Nombre d'acquéreurs selon la taille du bien acheté
200-300 ha
100-200
50-100
20-50
10-20
5-10
2-5
1-2
0-1
Immeuble seul
Rente
Total
Nombre P.V.
Moy. P.V./acq.
Superficie
Moy. sup./acq.
Première origine Seconde origine (11) Total
1
1
9
7
16
16
10
26
34
34
68
33
13
46
76
30
106
203
73
286
195
69
264
734
110
844
63
9
72
2
0
2
1 366
355
1 721
1 866
657
2 523
1,4
1,9
1,5
5 897
3 011
8 908
4,3
8,5
5,2
(10) En 25 ans d'activité, Beaudouin enlève 168 lots et 2 440 ha dont il rétrocède la majeure partie. Ce que fait aussi
Guillaume Assire, acquéreur de 185 des 1 955 lots de première origine vendus par l'administration du district de
Louviers.
(11) En ne tenant compte que des biens réellement vendus.
152
Les 1 886 lots de première origine ont été répartis entre 1 366 acquéreurs, chacun n'ayant donc emporté
en moyenne que 1,4 lot et 4,3 ha (soit moins que les moyennes départementales de 1,6 et 5,6 ha). Ce
qui signifie que la répartition s'est faite plus égalitairement à Bernay, mais c'est aussi qu'il y avait moins
de biens à vendre qu'ailleurs. Plus de la moitié des acheteurs (734 exactement, auxquels il faudrait
ajouter les 43 acquéreurs d'un seul immeuble et les deux qui n'ont acquis qu'une rente) se contentent de
moins de 1 ha, 195 de 1 à 2 ha et 203 de 2 à 5 ha. Au total, ce sont donc 1 197 acheteurs (87,6 %) qui
acquièrent moins de la superficie nécessaire à une famille pour vivre bien modestement. Seuls 93
dépassent les 10 ha et 26 les 50 ha, un seul excédant les 200 (228 ha pour Lebrun de Rochemont, frère
du futur troisième consul).
La très grande majorité de ces acquéreurs sont domiciliés dans le département de l'Eure, dans le district
de Bernay et même, le plus souvent, dans la commune de situation du bien à vendre : 96 % sont du
département et 90,6 % du district. Les autres viennent des départements limitrophes du Calvados et de
l'Orne (seize), quelques-uns de la région rouennaise (quatorze) ou de Paris (vingt). La vente des biens
nationaux est donc d'abord une affaire locale, ce qui n'est pas très surprenant, mais s'explique aussi par
la multitude de parcelles qui ne pouvaient intéresser des acquéreurs lointains. On peut également
remarquer que les habitants du district de Bernay restent maîtres chez eux, en raison de l'éloignement
d'Evreux et plus encore de Rouen et Paris dont les représentants sévissent particulièrement dans
certains districts (Les Andelys et Louviers notamment). Les vingt Parisiens présents n'ont acheté que
479 ha (8,5 %), les quatorze de Rouen-Elbeuf un peu moins (428 ha, 7,3 %), ceux de l'Orne et du
Calvados se contentant de 400 ha (6,8 %). C'est quand même près du quart du sol vendu qui a échappé
aux habitants de l'Eure et à ceux du district de Bernay. Et ils emportent la plupart des gros lots : six des
dix biens de plus de 100 ha.
Globalement, les citadins, avec 2 503 ha et 42,4 % sont nettement dépassés par les ruraux, ce qui n'est
pas le cas dans l'ensemble du département où ils gagnent 56 %. Ces habitants des villes sont d'abord
des Bernayens : 112 des 1 366 acheteurs et ils enlèvent 783 ha dans le district (et seulement six ha
ailleurs), ce qui donne à chacun sept ha, soit nettement plus que la moyenne des autres acquéreurs du
district et traduit la domination de la ville chef-lieu sur les autres communes de la circonscription
puisqu'elle arrache 6,8 % du sol vendu.
Les acquisitions des différentes catégories sociales en biens de première origine
Noblesse
Clergé
Grande bourgeoisie
Bourgeoisie locale
Paysannerie
Divers
Inconnus
Total
Acquéreurs
Nb
%
11
0,8
12
0,9
27
2
265
19,4
350
25,6
47
3,4
654
47,9
1 366
100
En ha
200
59
1 526
763
1 300
68
1 981
5 897
Superficie
En %
3,4
1
25,9
12,9
22
1,2
33,6
100
Par acq.
13,3
4,9
56,5
2,9
3,7
1,4
3
4,3
Socialement, ces acheteurs appartiennent à toutes les catégories mais les paysans sont les plus
nombreux (350 sur les 712 dont connaît la qualité) et on a de bonnes raisons de penser qu'ils sont aussi
très nombreux parmi les « inconnus » dont la plupart habitent les villages du district. En revanche, ils ne
dominent pas en ce qui concerne le volume des acquisitions : 22 % seulement mais le pourcentage
semble devoir approcher les 50 % avec les « inconnus ». Les 27 acquéreurs de la grande bourgeoisie
raflent plus du quart des terres et les 265 de la petite et moyenne bourgeoisie, locale pour l'essentiel,
près du septième. Au total, la bourgeoisie dépasse nettement le tiers. La noblesse (3,4 %) n'est pas
absente (12), ce qui lui permettra de limiter ses pertes globales, alors que le clergé - qui n'est pas
l'Église - fait de la figuration (1 %). La paysannerie résiste donc relativement bien dans le district de
Bernay où elle l'emporte même vraisemblablement, contrairement à celui des Andelys (seulement 21 %
sans les énormes massifs boisés vendus au début de la Restauration et 8 % avec). La proximité ou
l'éloignement de Paris et Rouen se trouvent ainsi vérifiés. Ce qui explique aussi que la plupart des
bâtiments soient achetés par les gens de la région.
(12) Le comte Dauger, de Menneval, a racheté le presbytère et la maison de charité de sa commune.
153
Quelques grands acquéreurs de biens de première origine
Lebrun de Rochemont
Vochelet
de Beaufre
Mouchel
Martel
Duruflé
Clercq et Lefebvre
Alleaume
Saint-Didier (déchu)
Primois
Abbaye du Bec
La Comté
Partie ND Bernay
Cordeliers
Pénitents
Franciscaines
Prieuré du Parc
Prieuré de Beaumont
Négociant
Noble
Laigle
Off. gendarmerie
Négociant
Propriétaires
Négociant
Bourgeois
Recev. district
Grandin
Assegond
de Sens
Assegond
Bréant
Paris
Bernay
Selle
228 ha
186
185
150
147
133
132
131
112
102
Evreux
Elbeuf (bois)
Paris
Lisieux
Paris
Laigle
Négociant
Négociant
Noble
Négociant
Marcouville
Bernay
Bernay
Bernay
Bernay
Bernay
Bernay
S.-Aubin-Barc
2 marchands
Négociant
Chaufournier
Assegond
Les acquéreurs de seconde origine sont nettement moins nombreux, malgré le lotissement des fermes,
qui n'a pas concerné l'ensemble des exploitations adjugées. Ils ne sont que 355 à se partager les
3 011 ha réellement vendus, ce qui donne 8,5 ha à chacun, soit nettement plus que pour la première
origine et qui correspond à la moyenne départementale. La taille des acquisitions fait apparaître les
mêmes constatations que pour la première origine, à savoir que très nombreux sont les acheteurs
parcellaires (13) : 110 de moins de 1 ha, 69 de 1 à 2, 73 de 2 à 5. Avec les neuf acheteurs d'un
immeuble, ils représentent près des trois quarts des acquéreurs (73,5 %). 64 dépassent les 10 ha et 7 la
centaine, le maximum atteignant 137.
Comme pour la première origine, ils sont très majoritairement de l'Eure (93,2 %) et du district (91 %).
Les « étrangers » au département sont moins présents, y compris pour les plus gros lots : trois
seulement sur les sept de plus de 100 ha et un sur les neuf de 50 à 100 ha. Cette relative discrétion
peut s'expliquer par le climat général de l'époque et le lotissement. Les Parisiens ne sont que neuf (pour
322 ha, soit 10,7 %) et six seulement viennent de Seine-Inférieure (173 ha et 5,7 %).
Bernay domine encore : ses 35 acquéreurs se partagent 610 ha, soit 17,4 ha pour chacun, ce qui
correspond au double de la moyenne. Et il supplante toujours Paris et Rouen. Les villes n'ont acheté
que 38 % des superficies vendues, soit nettement moins que pour la première origine (56 %).
Les acquisitions des différentes catégories sociales
en biens de seconde origine
Acquéreurs
Nb
%
acq.
Noblesse
Grande bourgeoisie
Bourgeoisie locale
Paysannerie
Divers, Inconnus
Total
1
4
178
132
40
355
0,3
1,1
50,1
37,2
11,3
100
En ha
12
290
1 752
610
347
3 011
Superficie
En %
Par acq.
0,4
9,6
58,2
20,3
11,5
100
12
72,5
9,8
4,6
6,1
8,5
Socialement, les conclusions sont sensiblement différentes de la première origine. D'abord, parce que si
l'on retrouve quelques-uns des acheteurs de première origine (14), la plupart sont différents. Ensuite,
parce que la bourgeoisie domine tant en nombre (182) qu'en superficie (2 042 ha) mais, cette fois la
grande (quatre acheteurs et moins de 10 % des terres) est largement dominée par la petite et moyenne,
(13) Cf. tableau p. 11.
(14) Le négociant bernayen Assegond achète seul 70 ha de seconde origine (et 103 ha avec d'autres), qui s'ajoutent
aux 82 ha de première origine et à trois bâtiments communautaires. Le cultivateur Piel, de Verneusses, acquiert
une ferme de 75 ha au détriment de l'Eglise et une autre de 125 ha de seconde origine.
154
généralement d'origine locale. La paysannerie est moins nombreuse (134) et moins forte (610 ha, 20 %)
et si on ajoutait les « inconnus », on n'arriverait même pas à 30 %. La seconde origine a donc été moins
favorable aux paysans que la première, malgré la division des fermes qui devait justement la favoriser.
L'absence des grands bourgeois peut s'expliquer par le fait qu'ils avaient satisfait leur envie de terre
avec les fermes de l'Église, que celles des émigrés étaient morcelées et que la période - troublée - ne se
prêtait pas à des affaires faites au détriment d'individus qui pouvaient revenir et se retourner contre eux.
On ne sera pas surpris de ne rencontrer qu'un seul noble et aucun ecclésiastique.
A Drucourt, trois personnes se présentent avec des bons de 500 livres payables en 20 années sans
intérêt, comme le permet la loi du 13 septembre 1793. Mais le système des enchères, s'il ne les
2
empêche pas d'acquérir effectivement de petites parcelles de 30 perches (1 380 m ), les oblige à
rajouter un peu d'argent : les mises à prix étaient de 209 livres mais les prix d'adjudication allaient de
610 à 700 livres.
Quelques grands acquéreurs de biens de seconde origine
Godet
Monvoisin
Piel
Mariarly
Boisrenoult
Chausson la Salle
Assegond et 2 autres
Négociant
Négociant
Cultivateur
Marchand
Négociant
Pont-Chardon
Bernay
Verneusses
Paris
Bernay
Paris
district de Bernay
137
130
125
122
120
103
103
Mais ce qui caractérise aussi ces ventes de seconde origine, c'est le fait que rien n'empêchait les
familles d'y participer, notamment lors des partages de présuccession, et cela alors que la législation en
place (ventôse IV) a supprimé les enchères et qu'il suffisait de faire une offre pour devenir acquéreur.
Certains acheteurs potentiels ont sûrement hésité à se présenter face aux familles de Vigan,
Bonnechose… Ces dernières ont donc pu racheter 1 346 ha, soit près de 31 % des biens vendus. La
noblesse n'a donc réellement perdu qu'un peu plus de 3 000 ha du fait des confiscations à son encontre.
Certaines familles ont même réussi à garder ainsi la totalité de leur patrimoine, comme de Vigan
(252 ha) ou une partie (61 sur 111 ha pour Boshenry de Plainville). Mais la plupart ont tout perdu, à
l'image de Le Filleul de La Chapelle, Lefebvre d'Amécourt, Chanu du Tilleul ou la femme Colonia.
La nationalisation-vente des biens, pour l'essentiel appartenant à l'Église et aux émigrés nobles, a donc
provoqué une redistribution importante de la propriété. Au total, on a vendu plus de 10 250 ha (9,5 % du
district) dont près de 9 000 (8,3 %) ont réellement changé de propriétaires. Le mouvement ayant eu lieu
essentiellement sur quelques années (moins de dix), c'est dire l'ampleur du phénomène. La Révolution
n'a jamais franchement voulu faire une réforme agraire malgré le lotissement des fermes (mais rien
n'interdisait à quelqu'un de racheter successivement l'ensemble des morceaux) ; les décrets de ventôse
qui visaient à distribuer la terre aux indigents n'ont pas connu de début d'application et on n'a guère
trouvé la trace des bons de 500 £. Quand on fait le bilan social de l'opération, force est de reconnaître
que les premiers intéressés, les paysans, s'en sortent convenablement, sans plus. Sur l'ensemble des
deux origines, ils enlèvent sûrement 45 % des terres vendues, ce qui est nettement supérieur à ce qui
se passe dans les autres districts de l'Eure et à l'échelle de la France entière. Ils font quasiment jeu égal
avec les bourgeoisies et confortent sans doute leur place mais ne peuvent qu'être déçus par une
Révolution qui ne leur a pas donné la terre qu'ils travaillaient. A quelques exceptions près, les fermes
leur échappent et ils doivent souvent se contenter des parcelles. Si l'Église sort complètement ruinée, la
noblesse limite ses pertes par les rachats familiaux et les acquisitions de première origine, mais elle
laisse quand même partir près de 3 000 ha. L'indemnité du Milliard lui procure des ressources mais sous
la forme d'une rente (15) et ne lui rend pas la terre sur laquelle reposait son pouvoir, pas seulement de
propriétaire mais aussi de seigneur. Au bout du compte, on assiste à une nouvelle répartition de la
propriété : dans le district de Bernay, on compte environ 1 700 acquéreurs (dont certains sont devenus
propriétaires alors qu'ils ne l'étaient pas), ce qui représente plus d'un foyer sur dix. Mais cela a sans
doute contribué à multiplier les petites propriétés et gêné les transformations agricoles pourtant
nécessaires.
(15) Pour des indemnités brutes supérieures à 200 000 f dont il faut retirer le passif (la Révolution avait pris les
dettes des émigrés à sa charge), Chanu du Tilleul aura ainsi une rente de 6 727 f, Le Cornu de Balivière 6 528,
la femme Colonia 4 315…, Boshenry de Plainville 2 713 (pour 139 387 f)… et son domestique 11 f !
155
On s'attache en général moins au sort des immeubles que de la terre, ce qui est sans doute dommage.
Leurs nouveaux propriétaires ont habité ou loué les maisons, fermes et autres édifices qu'ils ont
achetés. La plupart des châteaux ont été récupérés par des habitants de la région, les Parisiens se
contentant d'un seul en raison de l'éloignement d'une capitale dont les habitants ont déjà amorcé le
mouvement de création de résidences secondaires mais dans les districts les plus proches de Paris. On
sait le sort qu'il est advenu d'un certain nombre de bâtiments qu'on qualifie aujourd'hui volontiers de
« monuments historiques », comme les abbayes du Bec et de Bernay dont ils subsistent d'importants
vestiges. Ce qui n'est pas le cas des prieurés du Parc, de Maupas ou du Bosc Morel… dont il ne reste
quasiment rien. La Révolution est souvent accusée d'avoir bradé les biens nationaux et contribué à la
disparition du patrimoine national, qu'il soit mobilier ou immobilier. De fait, on a vendu les ornements
religieux, le mobilier des églises (et des châteaux), dispersé le contenu des caves (16) et fondu la
plupart des cloches (17), en même temps qu'on a aliéné des bâtiments dont les acquéreurs, à l'image du
négociant Assegond de Bernay, ont fait des carrières de pierre (18). Mais c'est oublier qu'on n'avait pas
attendu la Révolution pour laisser détruire certains édifices que leurs propriétaires ne parvenaient pas à
entretenir (l'abbaye de Cormeilles était déjà ruinée) et que c'est justement elle qui est à l'origine de la
notion de patrimoine historique. Elle a sauvé certains bâtiments en les transformant en services publics
(mairie, collège, sous-préfecture, caserne…) et elle a, par ailleurs, contribué à constituer le fonds de
certaines bibliothèques (c'est le cas de celle de Bernay) à partir des ouvrages des abbayes et couvents
(19). Il convient donc d'en finir avec le vandalisme présumé de l'époque et qui, même si l'on peut
regretter certaines destructions, n'est pas nouveau. Et je pense que les archéologues présents ne me
contrediront pas si je dis que le remploi des matériaux anciens est une constante de l'histoire du bâti ou
même du mobilier.
Bernard Bodinier
Maître de Conférences, IUFM ROUEN
26 rue Géricault
27400 Louviers
(16) Celle du château de Broglie contenait 3 161 bouteilles de vin et celle de Le Filleul 1 314. Sur les caves :
e
BODINIER Bernard, Les caves des châteaux de l'Eure à la fin du XVIII siècle, Manger et boire en Normandie,
e
Annales de Normandie, Actes du XXXIII Congrès des Sociétés Historiques et Archéologiques de Normandie,
vol. 4, 1999.
(17) Sur le mobilier :
DUVAL Philippe, La vente des biens nationaux mobiliers dans l'Eure, Maîtrise, Rouen, 1990. Au total, pour
l'ensemble du département, on a vendu 50 000 lots de mobilier appartenant à l'Eglise pour 200 000 £, ce qui ne
représente que 0,4 % de la valeur des adjudications foncières et immobilières. Il n'a pas été possible de
retrouver les documents des ventes de mobilier des communautés religieuses du district de Bernay. Nous ne
disposons d'actes que pour quelques cures. En revanche, les données sont plus complètes pour la seconde
origine et le chiffre atteint un peu plus du million pour le mobilier aliéné dans l'Eure (500 000 £ en prix réel).
Avec respectivement 81 493 et 39 943 £ les châteaux de Broglie et de La Chapelle-Gauthier disposent
assurément d'un mobilier remarquable.
e
SUAU Bernadette, Le sort du mobilier des abbayes dans l'Eure pendant la Révolution, Actes du XIII Congrès
des Sociétés Historiques et Archéologiques de Normandie, Rouen, 1979, p. 163-177.
(18) L'acte de vente d'une partie de l'abbaye Notre-Dame stipule que son acquéreur (c'est Assegond) devra détruire
plusieurs bâtiments. La chapelle Saint-Michel de Bernay est vendue à condition d'être démolie par son
acheteur, un maçon de la ville.
(19) Sur le sort des bibliothèques de l'Eure : VARRY Dominique, Recherches sur le livre en Normandie : les
e
bibliothèques de l'Eure à la fin du XVIII siècle, d'après les saisies révolutionnaires, Thèse, Paris I, 1985. La
bibliothèque de l'abbaye du Bec renfermait 6 317 volumes et celle du duc de Broglie 3 509 (l'hôtel de Broglie à
Paris est fort de 3 709 ouvrages).
156
157
Haute-Normandie Archéologique, tome 9, 2004