thèse intégrale Albane Mainguy

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thèse intégrale Albane Mainguy
0
UNIVERSITE D’ANGERS
FACULTÉ DE MÉDECINE
Année 2013
THÈSE
pour le
DIPLÔME D’ÉTAT DE DOCTEUR EN MÉDECINE
Qualification en : MÉDECINE GÉNÉRALE
par
Albane MAINGUY
née le 29 janvier 1983 à Nantes (44)
Présentée et soutenue publiquement le 18 juin 2013
Synthèse de la littérature qualitative francophone en
psychologie depuis l’année 2000 sur le vécu psychique de la
femme après l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG)
Membres du jury
Président du jury : Monsieur le Professeur Philippe DUVERGER
Directeur de thèse : Madame le Professeur Céline BARON
1
Liste des enseignants de la Faculté de Médecine d’Angers
Doyen
Pr. RICHARD
Vice doyen recherche
Pr. BAUFRETON
Vice doyen pédagogie
Pr. COUTANT
Doyens Honoraires : Pr. BIGORGNE, Pr. EMILE, Pr. REBEL, Pr. RENIER, Pr. SAINT-ANDRÉ
Professeur Émérite : Pr. GUY
Professeurs Honoraires : Pr. ACHARD, Pr. ALLAIN, Pr. ALQUIER, Pr. BIGORGNE, Pr. BOASSON, Pr. BREGEON,
Pr. CARBONNELLE, Pr. CARON-POITREAU, Pr. M. CAVELLAT, Pr. COUPRIS, Pr. DAUVER, Pr. DELHUMEAU, Pr. DENIS,
Pr. EMILE, Pr. FOURNIÉ, Pr. FRANÇOIS, Pr. FRESSINAUD, Pr. GESLIN, Pr. GROSIEUX, Pr. GUY, Pr. HUREZ, Pr. JALLET,
Pr. LARGET-PIET, Pr. LARRA, Pr. LIMAL, Pr. MARCAIS, Pr. PENNEAU, Pr. PIDHORZ, Pr. POUPLARD, Pr. REBEL,
Pr. RENIER, Pr. RONCERAY, Pr. SIMARD, Pr. SORET, Pr. TADEI, Pr. TRUELLE, Pr. TUCHAIS, Pr. WARTEL
PROFESSEURS DES UNIVERSITÉS
MM
ABRAHAM Pierre
ARNAUD Jean-Pierre
ASFAR Pierre
AUBÉ Christophe
AUDRAN Maurice
AZZOUZI Abdel-Rahmène
Mmes BARON Céline
BARTHELAIX Annick
MM
BASLÉ Michel
BATAILLE François-Régis
BAUFRETON Christophe
BEAUCHET Olivier
BEYDON Laurent
BIZOT Pascal
BONNEAU Dominique
BOUCHARA Jean-Philippe
BOYER Jean
CALÈS Paul
CAROLI-BOSC François-Xavier
CHABASSE Dominique
CHAPPARD Daniel
COUTANT Régis
COUTURIER Olivier
DARSONVAL Vincent
de BRUX Jean-Louis
DESCAMPS Philippe
DIQUET Bertrand
DUBIN Jacques
DUVERGER Philippe
ENON Bernard
FANELLO Serge
FOURNIER Henri-Dominique
MM
FURBER Alain
GAGNADOUX Frédéric
GARNIER François
GARRÉ Jean-Bernard
Physiologie
Chirurgie générale
Réanimation médicale
Radiologie et imagerie médicale
Rhumatologie
Urologie
Médecine générale (professeur associé)
Biologie cellulaire
Cytologie et histologie
Hématologie ; Transfusion
Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
Médecine interne, gériatrie et biologie du vieillissement
Anesthésiologie et réanimation chirurgicale
Chirurgie orthopédique et traumatologique
Génétique
Parasitologie et mycologie
Gastroentérologie ; hépatologie
Gastroentérologie ; hépatologie
Gastroentérologie ; hépatologie
Parasitologie et mycologie
Cytologie et histologie
Pédiatrie
Biophysique et Médecine nucléaire
Chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique ; brûlologie
Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale
Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie clinique
Oto-rhino-laryngologie
Pédopsychiatrie
Chirurgie vasculaire ; médecine vasculaire
Épidémiologie, économie de la santé et prévention
Anatomie
Cardiologie
Pneumologie
Médecine générale (professeur associé)
Psychiatrie d’adultes
2
Mme
M.
Mmes
MM
Mme
MM
Mme
M.
Mme
MM
Mme
MM
Mmes
MM
MM
GINIÈS Jean-Louis
GRANRY Jean-Claude
HAMY Antoine
HUEZ Jean-François
HUNAULT-BERGER Mathilde
IFRAH Norbert
JEANNIN Pascale
JOLY-GUILLOU Marie-Laure
LACCOURREYE Laurent
LAUMONIER Frédéric
LE JEUNE Jean-Jacques
LEFTHÉRIOTIS Georges
LEGRAND Erick
LEROLLE Nicolas
LUNEL-FABIANI Françoise
MALTHIÉRY Yves
MARTIN Ludovic
MENEI Philippe
MERCAT Alain
MERCIER Philippe
MILEA Dan
NGUYEN Sylvie
PARÉ François
PENNEAU-FONTBONNE Dominique
PICHARD Eric
PICQUET Jean
PODEVIN Guillaume
PROCACCIO Vincent
PRUNIER Fabrice
RACINEUX Jean-Louis
REYNIER Pascal
RICHARD Isabelle
RODIEN Patrice
ROHMER Vincent
ROQUELAURE Yves
ROUGÉ-MAILLART Clotilde
ROUSSELET Marie-Christine
ROY Pierre-Marie
SAINT-ANDRÉ Jean-Paul
SENTILHES Loïc
SUBRA Jean-François
URBAN Thierry
VERNY Christophe
VERRET Jean-Luc
WILLOTEAUX Serge
ZANDECKI Marc
MAÎTRES DE CONFÉRENCES
M.
ANNAIX Claude
Mmes BEAUVILLAIN Céline
BELIZNA Cristina
Pédiatrie
Anesthésiologie et réanimation chirurgicale
Chirurgie générale
Médecine générale
Hématologie ; transfusion
Hématologie ; transfusion
Immunologie
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Oto-rhino-laryngologie
Chirurgie infantile
Biophysique et médecine nucléaire
Physiologie
Rhumatologie
Réanimation médicale
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Biochimie et biologie moléculaire
Dermato-vénéréologie
Neurochirurgie
Réanimation médicale
Anatomie
Ophtalmologie
Pédiatrie
Médecine générale (professeur associé)
Médecine et santé au travail
Maladies infectieuses ; maladies tropicales
Chirurgie vasculaire ; médecine vasculaire
Chirurgie infantile
Génétique
Cardiologie
Pneumologie
Biochimie et biologie moléculaire
Médecine physique et de réadaptation
Endocrinologie et maladies métaboliques
Endocrinologie et maladies métaboliques
Médecine et santé au travail
Médecine légale et droit de la santé
Anatomie et cytologie pathologiques
Thérapeutique ; médecine d’urgence ; addictologie
Anatomie et cytologie pathologiques
Gynécologie-obstétrique
Néphrologie
Pneumologie
Neurologie
Dermato-vénéréologie
Radiologie et imagerie médicale
Hématologie ; transfusion
Biophysique et médecine nucléaire
Immunologie
Médecine interne, gériatrie et biologie du vieillissement
3
M.
Mme
MM
Mme
MM
Mme
MM
Mme
M.
Mmes
MM
Mmes
M.
Mme
M.
Mmes
MM
BLANCHET Odile
BOURSIER Jérôme
BOUTON Céline
BOUYE Philippe
CAILLIEZ Éric
CAPITAIN Olivier
CHEVAILLER Alain
CHEVALIER Sylvie
CONNAN Laurent
CRONIER Patrick
CUSTAUD Marc-Antoine
DUCANCELLE Alexandra
DUCLUZEAU Pierre-Henri
EVEILLARD Matthieu
FORTRAT Jacques-Olivier
GALLOIS Yves
HINDRE François
JEANGUILLAUME Christian
JOUSSET-THULLIER Nathalie
LETOURNEL Franck
LIBOUBAN Hélène
LOISEAU-MAINGOT Dominique
MAY-PANLOUP Pascale
MESLIER Nicole
MOUILLIE Jean-Marc
NICOLAS Guillaume
PAPON Xavier
PASCO-PAPON Anne
PELLIER Isabelle
PENCHAUD Anne-Laurence
PIHET Marc
PRUNIER Delphine
PUISSANT Hugues
ROUSSEAU Audrey
SAVAGNER Frédérique
SIMARD Gilles
TURCANT Alain
Hématologie ; transfusion
Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie
Médecine générale (maître de conférences associé)
Physiologie
Médecine générale (maître de conférences associé)
Cancérologie ; radiothérapie
Immunologie
Biologie cellulaire
Médecine générale (maître de conférences associé)
Anatomie
Physiologie
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Nutrition
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Physiologie
Biochimie et biologie moléculaire
Biophysique et médecine nucléaire
Biophysique et médecine nucléaire
Médecine légale et droit de la santé
Biologie cellulaire
Biologie cellulaire
Biochimie et biologie moléculaire
Biologie et médecine du développement et de la reproduction
Physiologie
Philosophie
Neurologie
Anatomie
Radiologie et Imagerie médicale
Pédiatrie
Sociologie
Parasitologie et mycologie
Biochimie et biologie moléculaire
Génétique
Anatomie et cytologie pathologiques
Biochimie et biologie moléculaire
Biochimie et biologie moléculaire
Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie clinique
4
Composition du jury
Président du jury :
Monsieur le Professeur Philippe DUVERGER
Directeur de thèse :
Madame le Professeur Céline BARON
Membres du jury :
Monsieur le Professeur Jean-François HUEZ
Madame le Docteur Françoise ASPEELE
Madame le Professeur Céline BARON
5
Liste des abréviations
AVP : Accident de la Voie Publique
IG : Interruption de Grossesse
IMG : Interruption Médicale de Grossesse
IVG : Interruption Volontaire de Grossesse
PMA : Procréation médicalement assistée
PMI : Protection Maternelle et Infantile
SA : Semaine d’Aménorrhée
VIH : Virus de l’Immunodéficience Humaine
6
Remerciements
Au Professeur Philippe Duverger, pour avoir accepté de présider ce jury,
Aux membres du jury, pour avoir bien voulu y participer,
Au Professeur Céline Baron, pour avoir accepté d’étudier cette question de recherche et
avoir dirigé cette thèse avec rigueur,
A mes parents, ma famille, mes amis et tous ceux qui m’ont encouragée et
accompagnée au cours de ce travail.
7
Sommaire
Titre ...........................................................................................................................................................
Liste des enseignants de la Faculté de Médecine d’Angers…………………………………………..…2
Composition du jury…………………………………………………………………………………… 5
Liste des abréviations .. ………………………………………………………………………………….6
Remerciements . …………………………………………………………………………………………7
Sommaire . ………………………………………………………………………………………………8
1.
Introduction ………………………………………………………………………………………10
2.
Matériel et méthodes .. ……………………………………………………………………………11
3.
2.1
Identification du matériel ……………………………………………………………………11
2.2
Sélection du matériel .. ………………………………………………………………………12
2.3
Evaluation de la qualité du matériel ... ………………………………………………………12
2.4
Recueil de données à partir du matériel . ……………………………………………………13
2.5
Analyse des données .. ………………………………………………………………………13
Résultats . …………………………………………………………………………………………14
3.1
Identification et sélection du matériel ………………………………………………………14
3.2
Evaluation de la qualité du matériel ... ………………………………………………………15
3.3
Recueil des données à partir du matériel…………………………………………………....16
3.3.1
Les caractéristiques des documents ……………………………………………………16
3.3.2
Les autres données.. ……………………………………………………………………17
3.4
Analyse des données .. ………………………………………………………………………17
3.4.1
Synthèse du document n°1 : Léa (Commentaire du vécu p 19) …………………….. ..17
3.4.2
Synthèse du document n°2 : Geneviève (Commentaire du vécu p 22) ………..……..20
3.4.3
Synthèse du document n°3 : Julie (Commentaire du vécu p 25) ………………………23
3.4.4
Synthèse du document n°4 : une femme (Commentaire du vécu p 27)……………….26
3.4.5
Synthèse du document n°5 : Esther (Commentaire du vécu p 30)…..............................28
3.4.6
Synthèse du document n°6 : Antoinette (Commentaire du vécu p 32)…………………31
3.4.7
Synthèse du document n°7 : Julie (Commentaire du vécu p 35)…………………….…33
3.4.8
Synthèse du document n°8 : Madame M. (Commentaire du vécu p 38)…………….…36
3.4.9
Synthèse du document n°9 : Clémentine (Commentaire du vécu p 40)…………….…39
Synthèse du document n°9 : Fatia (Commentaire du vécu p 43)………………………40
3.4.10
Synthèse du document n°10 : Cécilia (Commentaire du vécu p 47)………………...…44
3.4.11
Synthèse du document n°11 : Nadège (Commentaire du vécu p 51)………………......48
3.4.12
Synthèse du document n°12 : Madame T. (Commentaire du vécu p 55)…………...….52
3.4.13
Synthèse du document n°13 : Sarah (Commentaire p 58)…………………...…………56
8
3.4.14
Synthèse du document n°14 : Yasmina (Commentaire p 61)………………………......59
Synthèse du document n°14 : Justine (Commentaire p 63)…………………………….61
3.4.15
Synthèse du document n°15 : Luna (Commentaire p 68)……………………………....64
3.4.16
Synthèse du document n°16 : Nouria (Commentaire p 72)………………………….....69
3.4.17
Synthèse du document n°17 : Madame P. (commentaire p 76)………………………...73
3.4.18
Synthèse du document n°18 : Madame A. (Commentaire p 78) ………………………77
3.4.19
Synthèse du document n°19 : Madame B. (Commentaire p 81)……………………….79
3.4.20
Synthèse du document n°20 : une jeune femme (Commentaire p 85)……………...…..82
3.4.21
Synthèse du document n°21 : une jeune femme (Commentaire p 87)…………...…..…86
3.4.22
Synthèse du document n°22 : Michèle (Commentaire p 91)………………...…………88
3.4.23
Synthèse du document n°23 : 1ère femme (Commentaire p 95)……………...…………92
Synthèse du document n°23 : 2ème femme (Commentaire p 97)
Synthèse du document n°23 : 3
ème
…………………...96
femme (Commentaire p 98)………………..............98
3.4.24
Synthèse du document n°24 : Anna (Commentaire p 102)………………….…………99
3.4.25
Synthèse du document n°25 : Barbara (Commentaire p 103)………………………...103
Synthèse du document n°25 : Michèle (Commentaire p 105)…………………….…..104
4.
Discussion ……………………………………………………………………………………….106
4.1
Type de méthode…………………………………………………………...………………106
4.2
Critique des résultats de la méthode …………………………………………………….....106
4.2.1
Identification et sélection de matériel ………………………………………………...106
4.2.2
Evaluation de la qualité du matériel ………………………………………………….107
4.2.3
Recueil des caractéristiques des documents ………………………………………….108
4.2.4
Analyse des données ……………………………………………………………….....109
4.3
Critique des résultats de l'analyse…………………………………………………………..109
4.3.1
Conflit relationnel intrafamilial ……………………………………………………….109
4.3.2
Mal-être et Culpabilité………………………………………………………… …….110
4.3.3
Troubles du comportement et troubles psychiatriques………………………………...112
4.3.4
Choix d'un nouveau projet de vie……………………………………………………...113
4.3.5
Vécu de perte ………………………………………………………………………….113
4.3.6
Besoin d'accompagnement psychologique…………………………………………….114
4.3.7
Psychosomatisation…………………………………………………………………….115
4.3.8
Ambivalence de la demande répétée d'IVG…………………………………… ……..116
5.
Conclusion ………………………………………………………………………………………118
6.
Bibliographie …………………………………………………………………………………....120
7.
Annexes …………………………………………………………………………………………124
9
1. Introduction
A partir de la seconde moitié du XXème siècle, l’Interruption Volontaire de Grossesse
(IVG) devient autorisée sans restriction de motif1 dans la limite d’un âge gestationnel, par
cinquante-six pays dont trois quarts de pays développés2 (1)(2).
En France et à partir des années trente, la revendication par les mouvements militants et
féministes du contrôle des naissances, de la maîtrise de la fécondité, de l’accès libre à la
contraception et à l’IVG a progressivement conduit à la légalisation de la contraception par la
loi Neuwirth en 1967, puis à celle de l’IVG par la loi Veil en 1974 (2)(4). En 2001, cette loi
connaît une mutation majeure, celle de la dépénalisation de l’IVG (5).
Bien que l’IVG soit désormais inscrite en France dans une politique de santé publique,
et en raison des nombreux domaines qu’elle concerne ; scientifique, éthique, religieux,
philosophique, social et politique, elle reste aujourd’hui « un acte médical pas tout à fait
comme les autres ». Sa singularité s’illustre par sa réglementation très précise d’une part, et
l’existence de « zones d’ombre» d’autre part (4)(5). L’une d’entre elles concerne le vécu
psychologique après l’IVG (5)(6)(7).
Sur ce sujet, les résultats d’études quantitatives anglo-saxonnes menées depuis l’année
2000 sont contradictoires, en raison de limites méthodologiques et de nombreux biais (8).
Ceci montre l’intérêt de la recherche qualitative3 sur ce thème.
Dans cette perspective, une synthèse de la littérature qualitative francophone en
psychologie dans la même période a été réalisée pour tenter d’explorer le vécu psychique de
la femme après l’IVG.
1
Au Royaume-Uni, l’avortement est juridiquement restreint à des raisons médicales larges et socio-
économiques ; en pratique, il n’y a pas de restriction de motif (1)(2)
2
Pays à développement humain élevé ou très élevé selon l’indice statistique défini par le Programme des Nations
Unies pour le Développement (3)
3
La recherche qualitative explore des expériences vécues, les interprètent et en conclut une hypothèse (9).
10
2. Matériel et méthodes
2.1 Identification du matériel
Le matériel s’identifiait au type de document suivant : qualitatif, francophone, publié de
2000 à 2012, disponible en intégralité sur internet, trouvé à partir d’une équation de recherche
dans douze bases de données en sciences humaines ou pluridisciplinaires, et à partir de
références bibliographiques de documents identifiés.
L’équation de recherche avancée4 était établie dans la partie « psychologie » des bases
Cairn.info, Persée, theses.fr, et SantéPsy.
Cette équation était : « IVG » OU « avortement » OU « interruption volontaire de
grossesse » sauf pour les trois bases de données suivantes.
Dans Cairn.info et Google Scholar, l’équation était : « IVG » OU « avortement » OU
« interruption
« expérience »,
volontaire
« vécu »,
de
grossesse » ET
« histoire »,
les
« ressenti »,
vingt-deux
mots-clefs
« psychisme »,
suivants :
« conséquences »,
« santé », « femme », « dépression », « séquelles », « complications », « tristesse », « deuil »,
« traumatisme », « estime de soi », « libération », « joie », « bonheur », « bien-être »,
« délivrance », « soulagement », « amélioration ».
Dans le centre de documentation de l’AP-HP, les documents étaient identifiés dans la
bibliographie sur l’IVG, sans équation de recherche.
4
Les équations de recherche sont précisément décrites en annexe I.
11
2.2 Sélection du matériel
La sélection des documents identifiés a été réalisée selon plusieurs critères.
Le critère d’inclusion était : document sur le vécu psychique de la femme après l’IVG.
Les critères de non-inclusion étaient : étude quantitative, livre, document sur
l’avortement spontané (fausse-couche) ou sur les complications organiques de l’IVG,
document sur l’avortement illégal ou légalement autorisé pour des motifs restreints : viol ou
inceste ou IMG ou santé physique de la femme menacée, document ne traitant pas d’un vécu,
document ne traitant pas du vécu psychique de la femme mais de celui de ses enfants ou de
son conjoint ou des soignants, document sur le vécu psychique de la femme avant ou pendant
une première IVG.
Les critères d’exclusion étaient : document dont l’auteur n’a pas eu d’entretien avec la
femme (compte-rendu de lecture, revue de littérature), document dont l’auteur n’a pas
rapporté le discours de la femme, document en double.
2.3 Evaluation de la qualité du matériel
La qualité de chaque document qualitatif sélectionné était évaluée selon deux critères ;
sa méthodologie, et la forme du discours utilisée par l’auteur pour rapporter les propos de la
femme.
Sur le plan méthodologique, le document était une étude standardisée5, une étude de
cas6 ou un entretien clinique7.
Sur le plan discursif, l’auteur utilisait le verbatim/discours direct8, le discours indirect9
ou le discours indirect libre10 pour rapporter les propos de la femme.
5
Réalisation d’un échantillonnage, d’entretiens ou d’observations, puis d’une analyse des déclarations orales ou
des observations (9)(10)
6
Etude du diagnostic et de l’étiologie des actes et des conflits, étude de leur résolution, des processus psychiques
mis en jeu, et de la démarche clinique du professionnel (11)(12)
7
Technique de choix pour recueillir des informations subjectives telles que l’histoire de vie, les sentiments, les
expériences, puis en faire une analyse du contenu et une analyse psychologique (11)
8
Discours rapporté tel qu’il a été réellement énoncé, avec un changement du système d’énonciation (13)
9
Discours rapporté avec des paroles incluses par une conjonction de subordination (13)
10
Discours rapporté avec des paroles incluses sans conjonction de subordination ni changement du système
d’énonciation (13)
12
2.4 Recueil des données à partir du matériel
Le recueil des données a été réalisé à partir de la lecture de la littérature sélectionnée. Il
concernait les spécificités du document et de la femme, les modalités de l’entretien avec
l’auteur, l’épisode d’IVG et les éléments du vécu psychique après l’IVG.
Les caractéristiques de chaque document ont été notées : sa nature et son titre, sa date de
publication dans la revue scientifique, le nom de celle-ci, la profession de l’auteur, son pays et
sa ville d’exercice.
Les caractéristiques de chaque femme ont été réunies : prénom, âge, pays d’habitation,
situation familiale, culture religieuse, statut social. Celles de l’entretien ont été relevées :
l’initiateur de la rencontre, le motif et la nature de celle-ci.
Les évènements de vie avant l’IVG signalés par la femme, et l’épisode de l’IVG : date,
circonstances et motif ont été retenus.
L’expression de chaque femme sur son vécu psychique après l’IVG et l’interprétation
de ses paroles par l’auteur ont été extraites mot à mot selon la chronologie du texte initial.
2.5 Analyse des données
Pour chaque femme, l’analyse a concerné les données sur le vécu psychique après
l’IVG. Leur retranscription littérale a été soumise à un double codage à partir duquel ont été
réalisées une analyse thématique puis une synthèse.
Celle-ci a été organisée sous forme d’un récit qui fait émerger le vécu psychique de la
femme après l’IVG en l’intégrant à son histoire, et en incluant les interprétations de l’auteur
pour permettre une compréhension de son impact psychique. La rédaction s’est faite selon le
plan suivant :
1) Titre du document
2) Contexte de la rencontre avec l’auteur
3) Histoire clinique à partir des propos de la femme rapportés par l’auteur
4) Analyse de l’auteur
La synthèse a été suivie d’une analyse compréhensive tentant de répondre à la question
de recherche « vécu psychique post IVG » sous forme d’un commentaire intitulé.
13
3. Résultats
3.1 Identification et sélection du matériel
Figure 1 - Identification, inclusion et non-inclusion du matériel
Nombre de documents
1000
625
595
152
105
100
145
41
41
30
105
40
40
26
24
23
10
24
11
25
25
7
9
6
10
7
7
6
4
3
1
11
1
1
2
2
nombre total de
documents identifiés
nombre de documents
non inclus
nombre de documents
inclus
Le matériel a été recherché entre juin 2011 et août 2012.
1072 documents ont été repérés, et 4.3% ont été inclus. La majeure partie du matériel
identifié n’a donc pas été retenue pour répondre à la question de recherche.
Parmi les 46 documents inclus, 65.2% ont été extraits de la base de données Cairn.info,
15.2% de Francis, 6.5% de Google Scholar, 4.35% de la documentation de l’AP-HP, 4.35%
de références bibliographiques de documents identifiés, 2.2% de RERO DOC et 2.2% de
Santé Psy. La base de données Cairn.info a été la plus pertinente des bases de recherche.
14
Figure 2 - Exclusion et non-exclusion des documents inclus
document dont l'auteur n'a pas eu d'entretien avec la femme
document dont l'auteur n'a pas rapporté le discours de la femme
document en double
document non exclu
6
10
25
5
Près de la moitié des documents ont été exclus de l’étude parce que leurs auteurs
n’avaient pas eu d’entretien avec la femme ou n’avaient pas rapporté leur discours.
Parmi les 25 documents conservés, 92% ont été extraits de la base de données
Cairn.info, 4% de Google Scholar et 4% de Francis. La base de données Cairn.info a été
confirmée comme la plus pertinente des bases de recherche.
3.2 Evaluation de la qualité du matériel
Figure 3 - Méthodologie des documents
entretien clinique;
37,04%
étude
standardisée;
7,40%
étude standardisée
étude de cas
entretien clinique
étude de cas;
55,56%
Les documents correspondaient à 15 études de cas6, 10 entretiens cliniques7, et 2 études
standardisées5. Certains d’entre eux rapportaient plusieurs études de cas ou entretiens
cliniques. [Annexe III]
15
Figure 4 - Forme du discours utilisé pour rapporter les propos de la femme
Nombre de documents
14
14
12
10
7
8
6
4
2
1
2
1
0
Forme de discours
direct
direct et
indirect
direct et
indirect
libre
direct,
indirect et
indirect
libre
indirect et
indirect
libre
Sur une totalité de 25 documents, 96% contenaient du discours direct8, en exclusivité
pour 8% d’entre eux, et de manière importante pour 44% d’entre eux. 88% contenaient du
discours indirect libre10. 36% contenaient du discours indirect9. La majorité d’entre eux
contenait du discours direct associé à du discours indirect libre. Un seul document était une
étude qualitative primaire contenant exclusivement du verbatim. [Annexe III]
3.3 Recueil des données à partir du matériel
3.3.1 Les caractéristiques des documents
La majorité des documents étaient des articles publiés dans des revues spécialisées de
psychanalyse ou des revues de sciences humaines pluridisciplinaires, mais aussi de
psychologie ou de psychiatrie. Un seul document était un mémoire de fin d’études
infirmières. Leurs auteurs étaient surtout psychanalystes ou psychologues, mais également
conseillers conjugaux, pédopsychiatres, infirmières ou gynécologue-obstétricien. Ils
exerçaient pour la plupart en France, mais aussi en Belgique et en Suisse.
La plupart des intitulés de ces documents étaient sans rapport avec le thème du vécu
psychique de la femme après l’IVG. [Annexe IV]
16
3.3.2 Les autres données
Le vécu psychique post-IVG de trente femmes a été abordé à travers le regard de vingtcinq professionnels. Les éléments recueillis sur le vécu psychique après l’IVG [Annexe VII]
ont fait l’objet de l’analyse ci-dessous où ont été intégrées les caractéristiques de chaque
femme, les évènements de sa vie avant l’IVG et l’épisode de l’IVG [Annexe V].
3.4 Analyse des données
Pour chaque femme, l’analyse des données sur le vécu psychique après l’IVG a consisté
en un double codage [Annexe VII] puis en une analyse thématique [Annexe VI] dont les
résultats ont été ainsi synthétisés et commentés :
3.4.1 Synthèse du document n° 1 : Léa (14)
« Lorsque l’expérience traumatique dépasse les fantasmes »
Léa avait 16 ans et vivait en France. Elle avait un petit ami et pas d’enfant. Elle était
hospitalisée dans un service de rééducation pour une paraplégie et une gastrectomie
secondaires à un accident de la voie publique dans lequel son père était décédé. Un suivi
pédopsychiatrique y était demandé en raison d’une anorexie mentale préexistante à l’accident.
Quelques mois avant celui-ci, elle avait réalisé une IVG. Elle avait comme antécédent médical
une fracture du fémur survenue dans l’enfance suite à un premier AVP.
Depuis la réalisation de son IVG, Léa avait des relations familiales difficiles : « Léa
avait subi une interruption volontaire de grossesse (IVG), ce qui avait engendré des tensions
importantes avec ses parents et notamment avec son père […] qui, dit-elle, ne la voyait pas
grandir. » « Cette IVG avait été le point de départ d’une anorexie mentale », et la jeune fille
projetait de consulter un psychiatre : « Léa s’était décidée à rencontrer un psychiatre pour ces
problèmes au moment de l’accident. » Elle gardait peu de souvenirs de celui-ci sauf « un
vague sentiment de la joie qu’elle se faisait de partager une journée avec ses parents. »
De plus, Léa exprimait des difficultés à réaliser les répercussions de l’accident
notamment la mort de son père : « Lorsque nous abordons avec elle les conséquences de cet
accident elle élude les problèmes les uns après les autres […] ». Elle se plaignait beaucoup de
17
son ventre : « Après 8 j de coma, nous rencontrons Léa à la demande d’une équipe soignante
désarmée par cette patiente dont les plaintes [sont] focalisées autour de la sphère abdominale
[…]. » Elle ressentait également une angoisse « […] présente depuis le réveil, qu’elle ne peut
expliquer […]». Léa avait rêvé après l’accident que son entourage la reconstruisait : « […] les
membres de sa famille lui rapportaient une à une des cellules pour la reconstruire. »
Léa désirait récupérer son autonomie en s’alimentant elle-même : « […] elle espère
pouvoir se nourrir d’elle-même le plus tôt possible pour retrouver son autonomie ». Elle était
maltraitante envers la partie paralysée de son corps : « Et lorsqu’elle circule, elle ne fait pas
plus attention à ses jambes et multiplie les ecchymoses. » « Elle ira jusqu’à détourner l’usage
des sondes en retardant ses sondages pour avoir le plaisir de voir son ventre se gonfler puis
s’aplatir au rythme de la vidange […].»
Pendant le port de son corset plâtré, Léa traversait une période de repli sur elle-même :
« Si Léa mettait toujours une certaine coquetterie dans sa présentation, depuis la pose du
corset elle se soigne moins et refuse toute visite (excepté celle de sa mère). » Il s’y associait
une prise de conscience des délimitations de son corps : « Elle évoque ce qui se passe ‘en
dessous’ en nommant ses jambes, son corps ». Par la suite, elle réprouvait son autoagressivité : « Elle critique ses conduites agressives envers cette partie du corps […], prend
de la distance par rapport à sa mère » et elle exprimait son désir de guérison : « Elle exprime
la volonté de s’en sortir […] ».
Depuis son IVG, Léa vivait un conflit avec ses parents, en partie à cause de la
désapprobation de son père qui « […] vraisemblablement acceptait mal la sexualité de sa
fille ». Léa développait une anorexie mentale en réponse à ces tensions familiales. En effet,
l’auteur évoquait « […] la problématique anorexique dans laquelle elle évoluait et […] la
nature des conflits affectifs sous-tendant cette problématique ». Son anorexie témoignait des
mécanismes de défense contre ce conflit, « […] moyens défensifs très particuliers […]
(clivage, déni) ». Léa était traumatisée par la mort de son père et vivait une « […] effraction
au-delà du représentable, aboutissant à une sidération de la pensée », intensifiant ses
mécanismes de défense : « Le défaut de représentation intervenait sur une image du corps
déjà défaillante et a renforcé les mécanismes de défense préexistants à l’accident.»
Après la mort de son père, Léa culpabilisait, refoulait son agressivité et bloquait
l’élaboration du conflit préexistant : « […] les fantasmes agressifs ressentis à l’égard de son
père étaient refreinés par une trop grande culpabilité ; culpabilité d’avoir eu des relations
sexuelles trop tôt […]. » Elle déniait le décès de son père en évitant le sujet par des « […]
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plaintes focalisées autour de la sphère abdominale, […] disproportionnées en comparaison
de sa paraplégie et du décès de son père dont elle ne parle pas ». Par ailleurs, elle clivait son
corps en deux parties, ignorant ou détestant la partie paralysée : « De ce fait, pour ce qui se
passe ‘en dessous’, comme elle le nomme, le clivage est physique et psychique. »
Elle avait des plaintes qui s’accompagnaient d’angoisses massives traduisant sa peur de
la perte de contrôle de son alimentation et sa crainte d’être abandonnée : « Léa se plaint avant
tout d’angoisses abandonniques massives, essentiellement le soir ». Puis elle retrouvait vite
une autonomie et un contrôle de son corps par les auto-sondages urinaires et la sonde
d’alimentation : « Très rapidement cependant, elle s’approprie le fonctionnement de ses
sondes et retrouve au niveau de certaines la maîtrise qu’elle pouvait exercer sur son corps.»
Pour l’auteur, Léa était « […] confrontée à toute une série de deuils et de problèmes
intriqués les uns aux autres ». Elle avait un sentiment d’identité altéré : « Il convient de
préciser qu’elle est installée dans un fonctionnement anorexique depuis 6 mois, ce qui
explique en partie la fragilité du sentiment d’autonomie et d’identité. » En effet,
« l’anorexique, dans ses agirs, avance qu’elle n’est pas elle-même un être existant en
substance ; son objectif physique étant la maigreur extrême comme pour afficher sa noncontenance ». Puis, pendant le port obligatoire du corset, Léa changeait : « Ces événements
sont pour Léa l’amorce d’un mouvement dépressif ». Elle ressentait une unité corporelle :
« […] elle montre qu’elle prend conscience d’elle comme contenante. » Elle se distanciait de
sa mère et repérait son ‘espace psychique propre’, son désir propre, à commencer par celui de
la guérison : « Par la suite l’évolution sera positive, associant une reprise de poids et
psychiquement elle pourra faire part d’affects dépressifs et commencer un travail
d’élaboration authentique. »
Commentaire « Quand l’IVG provoque un conflit affectif avec le père et est le point de
départ d’une anorexie mentale fragilisant le sentiment d’identité »
L’IVG de Léa provoque des tensions familiales, notamment avec son père qui accepte
mal la sexualité de sa fille adolescente. Elle est à l’origine d’une anorexie mentale pour
laquelle Léa avait l’intention de consulter avant la survenue de l’accident. Ce trouble de la
conduite alimentaire exprime la fragilité de son sentiment d’identité et témoigne de la
mobilisation de mécanismes de défense contre son conflit affectif sous forme de déni et de
clivage. Léa clive sa personne en maîtrisant son corps. Elle dénie l’agressivité envers son père
en la refoulant par une culpabilité d’avoir eu des relations sexuelles trop tôt.
19
3.4.2 Synthèse du document n° 2 : Geneviève (15)
« Reconstruire pour ne pas se détruire »
Geneviève avait 40 ans. Elle vivait en France avec son mari et deux de ses enfants
adolescents. Elle avait fait des études supérieures et avait obtenu un poste à lourdes
responsabilités. Elle réalisait une psychanalyse à la demande de son mari et d’un thérapeute
conjugal en raison de nombreux conflits conjugaux. Elle avait réalisé une IVG plusieurs
années auparavant, alors qu’elle était mariée et avait déjà des enfants, car « elle était très
déprimée et ne se sentait plus capable de s’occuper convenablement de ses enfants ».
Son enfance avait été marquée par la solitude, et par des terreurs nocturnes faisant suite
à un déménagement et à la naissance de sa petite sœur quand elle avait 3 ans. Elle avait aussi
subi des jeux sexuels par ses grands frères et en avait été culpabilisée par sa tante.
Geneviève éprouvait une forte anxiété : « Très rapidement sont évoquées des terreurs
nocturnes qui la plongent dans un état de détresse sans nom devant un trou noir qui la
réveille encore actuellement lors de cauchemars très angoissants. » Elle décrivait aussi un
blocage sur le plan de la sexualité : « Elle l’exprime en disant qu’elle se referme comme une
plante dès que son mari la touche. » En effet, elle refusait de séduire : « Elle se laisse grossir
pour ne pas séduire », et elle se sentait oppressée en position allongée : « […] du fait d’être
allongée sur le divan. Elle se sent coincée, étouffée. »
Geneviève se trouvait généralement rejetée par l’autre : « […] elle se vit toujours
comme bouc émissaire de tous les groupes auxquels elle a appartenu. » Elle ressentait de la
colère : « Elle repense souvent, dans la colère et la rage, à cette tante qui a toujours défendu
les garçons […]. » Et elle exprimait une souffrance, un besoin et un manque de
reconnaissance : « Elle a toujours été confrontée à des choix, ou des tâches trop difficiles
pour elle, elle sent […] la recherche d’une gratification narcissique, qui ne vient pas. » « Ce
qui est le plus dur pour elle, c’est que sa souffrance ne soit pas reconnue, recueillie par
l’autre. » De plus, depuis son IVG, elle avait un sentiment de rancœur et de tristesse à cause
de son « son mari [qui] l’a laissée prendre seule la décision, ce qui lui a beaucoup pesé, et a
fait qu’elle lui en a énormément voulu. Elle pleure en le racontant […] ».
Geneviève désirait lutter contre cette souffrance : « Il est important pour moi de tenir,
ne pas me décourager et ne pas me laisser détruire […] ». Elle réalisait des activités
physiques très difficiles pour tester ces limites : « Le lendemain, elle va souffrir d’être la
dernière, de risquer de ne pas y arriver, et de s’épuiser au-delà de ses forces. » Elle avait
20
aussi des relations destructrices avec ses collègues : « Les conflits avec les collègues étant
incessants, elle exprime des liens très passionnés, impulsifs ». Elle avait une tendance à la
maîtrise et la manipulation.
Geneviève culpabilisait de sa violence : « […] elle souffre de se sentir destructrice et
très négative […]. En somme, elle ressent le vide, la contrainte, la culpabilité et la
disqualification. » Elle se voyait alors soit coupable soit victime : « Si elle est active, cela
provoque les situations de rupture ; si elle est passive, elle subit une souffrance insupportable
et a le sentiment de se faire avoir, d’être utilisée aux fins de l’autre.» Elle avait aussi des
difficultés à relier son ressenti physique et son vécu psychique : « Elle l’exprime très
clairement lorsqu’elle affirme ne pas parvenir à faire de liens entre son corps et ses pensées
abstraites.» Au cours de la psychanalyse, elle ressentait également un vide qui laissait
progressivement la place à un sentiment de plénitude : « Après le sentiment de vide et de trous
noirs, désormais j’ai l’impression d’avoir un centre de gravité qui fait que je me sens pleine
maintenant. »
Selon l’auteur, Geneviève était animée par deux humeurs, détresse et colère : « Elle
arrive en état de grande détresse mais aussi de rage contre le mari et le thérapeute ». Elle
avait une dépression essentielle, une phobie, secondaires à une angoisse d’abandon issue de
traumatismes de l’enfance : « L’image d’un effondrement central, primordial ou d’une
dépression essentielle ou encore d’une phobie centrale, liée à une détresse sans nom du bébé
subissant un brutal changement de lieu, d’ambiance affective du fait de la naissance de sa
petite sœur, ont accompagné le déménagement. Cette agonie primitive se double chez elle du
traumatisme lié aux jeux sexuels avec les frères […]. » Elle déniait cette angoisse : « Elle
oppose un mouvement dénégatoire systématique à toutes mes tentatives de lui montrer que les
vacances et les séparations sont pour elle des ruptures douloureuses, qui en rappelle
d’autres ». Elle manifestait notamment cette angoisse à travers un ressentiment envers son
mari à cause des circonstances de l’IVG, « elle pleure en le racontant [l’IVG] laissant venir
l’angoisse d’être abandonnée par l’autre ».
Geneviève se représentait la séduction comme un danger, « […] comme une démarche
honteuse et coupable, marquée par la dangerosité », ou comme une soumission : « […] être
‘passivement soumise au désir de l’autre, en position allongée’ […]. » De plus, pour l’auteur,
« ses comportements actuels d’adulte [sont] marqués du sceau de la répétition ».
Geneviève luttait contre sa souffrance et son manque de reconnaissance au risque de
détruire : « […] mais pour cela il lui faut attaquer l’autre d’une façon qui la rend tout
21
particulièrement pénible et agaçante […]. » Ainsi, elle recherchait une validation de sa
vie dans ses éprouvantes activités physiques : « Cette mise à l’épreuve a des aspects qui
rappelle les épreuves ordaliques. » Et elle avait avec l’autre une relation violente, de caractère
vital, « […] de l’ordre de l’élimination de l’autre en vue de se sentir exister et de se
sauvegarder. » Elle se défendait par sa violence : « Son transfert est défensif, le plus souvent
négatif ; le contre-transfert s’inscrit dans une sorte de capacité à supporter une femme
inlassablement […] déprimante et destructrice. » Geneviève avait concrétisé par l’IVG un
désir de meurtre témoignant de son lien violent avec l’autre : « Le désir de meurtre se
cristallise autour d’une IVG […] ».
Puis Geneviève prenait conscience de son conflit psychique entre sa pulsion de violence
et son désir d’être aimée : « Elle a désormais conscience du conflit intérieur entre […] son
désir de bien faire et d’être reconnue et aimée, et la part inconsciente pulsionnelle qui
l’emporte […] ». Inconsciemment, Geneviève faisait mémoire par son corps de traumatismes
psychiques passés : « Les effractions de l’appareil psychique lors de la petite enfance passent
par l’effraction du corps de la petite fille qui se sent inexorablement […] utilisée, malmenée
par les autres […]. » Elle en prenait conscience par la psychanalyse, elle reconnaissait son
vécu douloureux de séparations, elle réalisait un travail de deuil, et elle construisait son Moi :
« Elle a fait son deuil de beaucoup d’idéal, idéal d’elle-même, idéal des objets qu’elle
investit. »
Commentaire du vécu de Geneviève
« IVG et ressentiment : témoins d’un comportement violent et d’une dépression
essentielle fondés sur une angoisse d’abandon »
A l’évocation de son IVG réalisée il y a plusieurs années, Geneviève manifeste un
ressentiment envers son mari qui l’a laissée décider seule, et elle révèle une angoisse
d’abandon.
Cette angoisse non reconnue, venant de traumatismes psychiques subis dans l’enfance,
est à l’origine d’une dépression essentielle contre laquelle elle lutte par la violence : elle
cherche à valider sa vie par des activités physiques difficiles, elle tente de se sauvegarder à
travers des relations conflictuelles avec son entourage. L’IVG cristallise et répète un
comportement violent qui fait mémoire de son vécu passé.
22
3.4.3 Synthèse du document n° 3 : Julie (16)
« ‘J’ai tué mon enfant…’ Pour penser la clinique de l’IVG »
Julie avait 23 ans, étudiait et vivait en Belgique chez ses parents fleuristes. Elle avait un
petit ami et pas d’enfant. A la demande de son médecin généraliste, elle débutait un suivi
psychologique pour mal-être. Neuf mois avant le début de ce suivi, avec son petit ami, elle
avait réalisé une IVG à cinq mois de grossesse en Angleterre sur une décision maternelle ;
Julie « a laissé sa mère décider. » Elle avait eu des troubles boulimiques dans l’enfance.
Pour Julie, la date de sa première consultation psychologique avait un lien symbolique
avec son IVG : « Ce n’est pas par hasard que ça fait 9 mois. Je viens chez vous justement 9
mois après que ça s’est passé ». En raison de cette IVG, elle avait le sentiment d’avoir
commis un crime : « […] ce qui s’est passé, c’est que j’ai tué mon enfant. »
Après l’avortement, Julie ne s’exprimait pas sur son IVG : « Tout recommence ou
semble continuer comme si rien n’était arrivé ». Cependant, elle avait à nouveau des troubles
boulimiques : « Julie […] revit de nombreuses crises de boulimie éprouvées déjà au moment
de la période de latence11 et disparues ensuite. Elle cache de la nourriture, dévore, vomit
[…]. » De plus, Julie s’engageait peu dans les projets d’aménagement de sa future maison
située à cinquante mètres de celle de ses parents et que ces derniers lui offraient : « Julie dans
son discours, évoque son peu d’investissement dans le projet, si ce n’est […] pour faire
plaisir aux parents qui sont heureux de la voir s’installer, se fiancer et qui pensent déjà au
mariage. » Puis, de nouveau, elle ne montrait aucun affect suite à la séparation avec son ami
qui l’avait quittée juste après leur emménagement en couple : « Julie elle, au lieu de
s’approprier cette maison seule, continue sa vie en réintégrant sa chambre de jeune fille sans
trop de soucis. Elle ne pleure pas. » Par la suite, Julie « a recommencé à sortir ».
Selon l’auteur, comme d’autres femmes, Julie culpabilisait d’avoir tué son bébé au point
d’en saturer son psychisme : « Elles m’avaient permis d’entendre les lames de fond
puissantes, qui voulant préserver ces femmes de leur culpabilité, ne faisaient que les traiter
11
Période qui va de la cinquième ou sixième année jusqu’au début de la puberté et qui marque un temps d’arrêt
dans l’évolution de la sexualité.
23
mal psychiquement un peu plus, en ne voulant prendre en compte ce qui saturait leur
psychisme… » Elle avait en effet une difficulté à parler de son choix d’avoir avorté :
« Comment dire qu’on a pris la décision […] de ne pas le garder celui-là ? ». Elle souffrait :
« Parole impossible à soutenir, secret inavouable et douleur infinie pour les mères qui restent
aux prises avec cette phrase qui les hante. » Julie se trouvait dans l’impossibilité de faire le
deuil de l’enfant : « C’est un enfant essentiellement imaginaire, tout réel de cellules et de
chairs fut-il, potentiellement symbolisable mais qui, pour toutes ces raisons de nonnomination, reste candidat pour devenir un fantôme […] un mort vivant ».
D’après l’auteur, par l’IVG, Julie révélait un fantasme d’infanticide : « Je vous propose
de penser […] autour de l’insistance de cette phrase ‘J’ai tué mon enfant …’ et de l’entendre
comme l’expression consciente d’un fantasme inconscient, le fantasme d’infanticide. » Elle
enfreignait donc un interdit psychique : « Les femmes ayant eu recours à l’IVG, nous disent
que même si, et heureusement, la morale et le social ne les condamnent plus pour cet acte, il
garde dans leur psychisme la valeur d’une transgression majeure ». Julie était envahie par ce
vécu de transgression : « J’ai tué mon enfant, complainte et compagne inlassable, phrase
obsédante qui saturait leur psychisme […] ». Julie vivait ainsi cette transgression dans la
culpabilité : « Nous pouvons alors entendre le sentiment de culpabilité consciente qui surgit
après l’intervention, comme trace du fait même que ce fantasme a été mis en acte et non
comme une question morale, qui aurait trait à une quelconque faute, péché, crime, ou à une
culpabilisation. »
Julie avait une difficulté d’élaboration : « Il fallut encore quelques mois d’élaboration
pour que Julie puisse commencer à penser qu’elle y avait été elle aussi pour quelque chose,
dans ce qui ressemblait à un passage à l’acte unilatéral de son compagnon [de rompre la
relation]. » Elle vivait difficilement l’autonomie, la séparation, l’énonciation d’un désir
propre : « Entrer dans ce projet de vie dans une maison préparée par les parents, avec un
compagnon qui n’a pas pris position par rapport à la décision d’IVG, c’est à coup sûr ne pas
se séparer des parents. Julie le sait sans le savoir. » Elle recherchait de manière inconsciente
et ambigüe un ami qui l’aurait aidé à se séparer de sa mère : « […] sans le savoir, et dans une
ambivalence totale, ce que Julie recherchait désespérément c’était quelqu’un qui l’aide à se
séparer de sa mère, que pourtant elle ne voulait lâcher à aucun prix. » Julie entreprenait alors
un long travail d’élaboration sur « […] l’intensité du lien fusionnel avec sa mère […] » à
travers un travail sur le sens de son IVG : « Pour les femmes comme Julie, qui choisiront à un
moment ou à un autre l’IVG, la confrontation sera frontale. Plus moyen d’éviter [le
fantasme], il faudra alors au mieux tenter de l’élaborer, au pire l’affronter. »
24
L’IVG de Julie était en effet un passage à l’acte : « Il s’agit bien d’un passage à l’acte
[…] comme une lente descente vers un acte qui est un passage dans le réel, faute d’appui
symbolique suffisant. Ici il s’agit du réel du corps. » L’IVG était une tentative, échouée, de
séparation et de différenciation avec sa mère : « Dans le recours à l’IVG, en même temps elles
y sont, ces filles, au point précis d’énonciation de ce qu’il s’agirait de faire mourir, – l’enfant
du narcissisme primaire – et en même temps ça rate. » Cette tentative était liée à un manque
de soutien paternel : « […] il s’agit […] de la défaillance du père réel (et non de la réalité) au
sens de ce qui viendrait soutenir […]. » En effet, Julie doit se séparer des attentes de sa mère,
« ce qui signifie en freudien que l’opération œdipienne n’est pas totalement accomplie. Julie
nous en offre un exemple saisissant à son corps défendant. »
La compréhension du sens de son IVG par le travail analytique était nécessaire pour
diminuer sa culpabilité : « […] le recours à l’acte ne pourra qu’échouer dans cette voie de la
séparation, s’il n’est pas ensuite repris dans le tissage du langage, dans l’élaboration du sens
de l’acte, et dans l’épuisement de la culpabilité consciente associée […]. »
Ainsi Julie prenait son indépendance : « Elle put s’autoriser à quitter la maison
familiale et à tomber amoureuse. »
Commentaire du vécu de Julie
« Lorsque l’IVG est à l’origine d’une forte culpabilité amenant à constater une difficulté
de séparation maternelle »
Après son IVG, Julie ne s’exprime pas sur ce qui est arrivé, elle souffre d’un mal-être et
développe des troubles boulimiques qu’elle a déjà connus dans l’enfance. Elle confie sa très
forte culpabilité d’avoir tué son enfant à la psychologue qu’elle rencontre à une date
symbolique de l’IVG.
Cette culpabilité occupe toute sa pensée, l’empêche de faire le deuil de l’enfant
imaginaire ou réel, et manifeste sa transgression d’un interdit non pas moral ni social mais
psychique, liée au fantasme d’infanticide. Elle l’amène à comprendre le sens de cette IVG
tardive et décidée par sa mère comme l’échec du passage à l’acte dans le réel de son corps
pour tenter une séparation maternelle. Elle la conduit à prendre conscience de sa difficulté à
se séparer, à énoncer son désir propre faute d’un appui paternel suffisant.
25
3.4.4 Synthèse du document n° 4 : une femme (17)
« Exil, migration et confusion généalogique »
Le document concernait une femme ayant immigré en France. Elle était musulmane
pratiquante. Elle vivait avec son mari et ses enfants et travaillait comme ouvrière. Elle
acceptait de s’entretenir avec le psychiatre qui prenait en charge son fils aîné. Celui-ci était
suivi pour un épisode délirant aigu, survenu lors de vacances dans son pays d’origine et
déclenché suite à la transgression d’un interdit : « il a fumé un joint. » Cette femme avait
réalisé une IVG plusieurs mois auparavant, d’abord sur insistance de son mari, puis sur sa
propre décision pour ne pas perdre son nouvel emploi. Son fils aîné n’était pas au courant.
Cette femme avait l’autorité à la maison, ce qui causait un conflit avec son mari. Elle le
critiquait d’être peu responsable : « Elle lui reproche de ne pas prendre ses responsabilités,
de boire, de sortir dans les cafés, de ne pas s’occuper des enfants (les devoirs, l’école, etc.) »,
alors que lui l’accusait d’en prendre trop : « Elle dit : ‘Je suis le chef à la maison et mon mari
me le reproche : tu as pris les manières des français, chez nous c’est l’homme qui
commande !’ » « La mésentente parentale existe depuis la naissance de ce fils [aîné]. » Elle se
sentait plus proche de son propre père, resté au pays, que de son mari : « Au mépris des
traditions là encore, puisque des affaires importantes se décident entre la fille et son père,
sans que le mari-gendre ne soit mis au courant. »
Cette femme évoquait difficilement ce qui la troublait : « Au bout de plusieurs
entretiens, elle finit par exprimer ce qui la travaille. » Elle culpabilisait de son IVG au point
de se sentir coupable de la maladie de son fils : « Elle émet l’idée d’une punition divine : Tu
m’as enlevé un enfant, je t’enlève le grand ! » Elle était hantée par son avortement : « Elle est
obsédée par cette IVG. » A la suite de ces entretiens, la relation avec son mari s’améliorait :
« Quelque temps plus tard (après les révélations de sa mère [à l’auteur]), celui-ci rechute.
[…] Le père est à nouveau à la maison. L’entente est bonne entre les parents. »
Selon l’auteur, cette femme avait envers son mari un comportement qui ne s’accordait
pas avec le traditionnel respect du père : « […] elle discrédite constamment le père et son
autorité. » Son comportement cachait le deuil non fait de son exil et de son émigration, « […]
deuil impossible chez les parents – et notamment la mère –, […] », ce qui déclenchait la
maladie du fils : « Mensonges, non-dits et refus d’assumer deuils et désirs propres sont les
véritables éléments pathogènes. »
26
En effet, cette femme justifiait son comportement par sa ferveur religieuse : « La
religiosité de la mère (quelle que soit sa ferveur consciente dont il n’y a pas lieu de douter)
est mise au service d’un mensonge affolant pour le fils. » Elle expliquait ainsi son lien
particulier avec son père : « L’argument religieux recouvre pour la mère un attachement
œdipien à son propre père impossible à entendre. » Elle excusait son attitude conjugale par ce
même argument qui « justifie (comme discours de vérité) la disqualification du mari ». En
fait, par la critique de son mari, elle dissimulait une non-acceptation de sa vie en France,
notamment de l’IVG : « […] la disqualification du mari, […] à son tour camoufle une
adhésion non assumée à un rôle social de type occidental (travail en usine, IVG, etc.).
Commentaire du vécu d’une femme
« IVG et culpabilité : révélation d’une non-acceptation des mœurs occidentales et de la
souffrance de l’exil »
Plusieurs mois après son IVG décidée d’un commun accord avec son mari, un épisode
délirant aigu est diagnostiqué chez le fils aîné de cette femme. Elle a des difficultés à aborder
le sujet de son avortement. Elle exprime une forte culpabilité d’avoir enlevé un enfant à Dieu,
s’expliquant la maladie de son fils comme une punition divine de son IVG.
Sa ferveur religieuse masque et révèle sa non-acceptation de l’IVG qui s’inscrit dans un
refus plus global de sa vie occidentale. Elle garde un attachement œdipien à son père et elle
n’a pas fait le deuil de son exil, ce qui est à l’origine de l’épisode délirant du fils et du conflit
conjugal.
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3.4.5 Synthèse du document n° 5 : Esther (18)
« Il faudrait la ‘médiquer’ un peu »
Esther avait 28 ans et travaillait en France. Elle vivait avec un homme dont la religion
était différente de la sienne. Elle effectuait un double suivi psychiatrique à la demande de sa
psychanalyste, pour réaliser la co-thérapie d’un trouble psychotique évoluant depuis plusieurs
mois. Elle avait réalisé une IVG quelques mois avant l’apparition de ce trouble.
Elle avait raconté son enfance « trop sage » au sein d’une famille accaparée par la
petite sœur malade d’une cardiopathie congénitale. A l’adolescence, elle avait eu de multiples
expériences affectives et sexuelles, et à l’âge de 24 ans, elle avait vécu le décès de sa sœur
cadette.
Esther avait des idées obsédantes sur le thème de la sexualité : « Elle était dans une
soirée et en regardant une amie homosexuelle, elle a pensé qu’elle était elle-même
homosexuelle. […] c’est plus fort qu’elle, cette idée revient, s’impose à elle, la harcèle, la
questionne sur son orientation sexuelle. » « Le moindre contact avec un homme oblige Esther
à penser qu’elle a attrapé le sida ou qu’elle est enceinte. » Elle ressentait une angoisse, « […]
angoisse terrifiante qui peut l’envahir pendant plusieurs heures et la couper du monde ». Elle
manifestait un sentiment de déréalisation : « Je suis là et pas là. Je suis avec vous, mais
ailleurs. C’est comme s’il y avait un voile, une sorte de brume entre le monde et moi. Je suis
une étrangère, je ne me reconnais plus. »
Esther vivait une histoire d’amour impossible : « Elle vit avec un homme dont la
religion différente de la sienne rend son amour impossible. » Elle exprimait un mal-être
ressenti lors de soirées excentriques : « L’état d’excitation permanente dans lequel elle était,
surtout au cours de ces soirées folles, ne la rendait pas franchement joyeuse. » Elle
reconnaissait également avoir une forte volonté de maîtrise d’elle-même et des autres, ce qui
se traduisait notamment dans la mauvaise observance de son traitement : « Je lui propose un
traitement médicamenteux. Elle est réticente. Elle craint de ne plus être elle-même. » Et elle
ressentait une « […] perte de contrôle ».
De plus, elle était mal à l’aise vis-vis du comportement de sa mère dont le deuil de la
sœur d’Esther n’était pas fait : « Au cours de cet entretien familial, la souffrance de la mère
éclate au grand jour. Elle ne parlera que de sa fille décédée, qui est toujours là, vivante, dans
son cœur, dans le monde. […]. Esther et son père […] sont consternés par cette scène, par les
propos de la mère qui sont manifestement un leitmotiv familial. »
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Puis Esther affirmait qu’elle allait bien : « J’ai un très bon moral. Bien meilleur que
quelqu’un de déprimé, je suis forte, je vais m’en sortir. » Elle révélait son angoisse de la
maternité : « Au cours d’un entretien récent, elle a évoqué son angoissante inquiétude à l’idée
qu’elle pourrait être mère, femme installée dans une vie affective. Elle n’arrive pas à se
figurer ce genre de scène. » Son observance médicamenteuse s’améliorait : « Esther accepte
mieux le traitement médicamenteux et plus largement le traitement psychiatrique comme étant
seulement l’un des éléments du traitement […] ».
L’auteur décrivait un « […] processus psychotique […] » où « […] la prescription a
donc pour ambition de réduire la violence des mouvements pulsionnels, de ralentir le flot de
la pensée, de contenir l’angoisse et peut-être d’endiguer (un peu) le processus dissociatif. »
Selon lui, l’IVG et les idées obsédantes d’homosexualité d’Esther étaient en lien évident avec
le décès de la petite sœur : « La fantasmatique homosexuelle qui la trouble tant reprend-elle
la passion de la mère pour la jeune sœur ? » En effet, Esther ne faisait pas le deuil de sa sœur
à cause de sa mère : « Pour elle, le deuil semble interdit par la mère. Le père se replie,
incapable de contenir la folie de sa femme, se mêlant peu au gynécée. »
Esther manifestait une instabilité qui « […] signe de l’échec du moi à contrôler son
impulsivité ». De plus, par ses symptômes psychotiques, elle souffrait d’un sentiment de perte
de contrôle « […] ressentie comme une profonde blessure narcissique ». Ayant le désir de
maîtriser elle-même sa propre psyché, l’ordonnance d’un traitement médicamenteux était mal
supportée par Esther, « […] l’idée qu’il faut qu’elle fasse appel à une aide extérieure pour
maîtriser ce qui lui arrive est difficile à accepter ».
Esther culpabilisait de la mort de sa sœur, ce qui provoquait un comportement
d’autopunition par la mauvaise observance du traitement : « Ces accès de ‘mort psychique’
qu’elle s’inflige en ne prenant pas son traitement médicamenteux […] sont-ils l’expression
d’une autopunition en réponse à son sentiment de culpabilité lié à la mort de sa sœur ? » Au
cours du suivi, elle prenait conscience de cette culpabilité et son comportement changeait :
« Depuis cette scène _ qui a peut-être permis l’exposition de la culpabilité familiale autour
du décès de la fille _, Esther prend plus facilement, sinon plus volontiers, son traitement. »
Puis, Esther entrait dans un état dépressif témoignant d’un renoncement à sa tentative
de contrôle : « Ces éléments dépressifs […] signent un certain renoncement à la tentative de
maîtrise mégalomaniaque d’elle-même et du monde […] ». Cette dépression faisait l’objet
d’une dénégation, et témoignait aussi de l’identification d’Esther à sa mère dans « […] cette
passion […] » pour sa sœur, dans ce deuil non fait : « Quelques éléments dépressifs
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apparaissent depuis quelques semaines, sous la forme de dénégation. Est-elle en train de
s’identifier à sa mère ? » La crise psychotique et ses idées d’homosexualité permettaient
de « […] révéler la fragilité de son identité sexuée ». « La guérison de la crise passera par la
reconnaissance de la différence des sexes […]. »
Commentaire du vécu d’Esther
« IVG suivie d’une crise psychotique : témoins de la fragilité d’une identité sexuée »
L’IVG d’Esther est suivie quelques mois plus tard de l’apparition d’un processus
psychotique, caractérisé par des angoisses et des idées obsédantes sur la sexualité, et par des
accès de déréalisation. Ceux-ci provoquent un sentiment de perte de contrôle et une blessure
narcissique.
Son IVG et ses obsessions d’homosexualité sont en lien avec le malaise causé par le
décès de sa sœur ; elle n’en a pas fait le deuil qui semble être interdit par sa mère et par la
culpabilité de la mort de sa sœur. La crise psychotique révèle son angoisse d’être mère, sa
difficulté d’identification à sa mère, la fragilité de son identité sexuée liée à une
méconnaissance de la différence des sexes.
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3.4.6 Synthèse du document n° 6 : Antoinette (19)
« Le féminin et le maternel, l’angoisse face à la différence »
Antoinette vivait en France avec son mari. Elle était mariée depuis quinze ans et n’avait
pas d’enfant. Elle suivait une psychothérapie individuelle et de couple en raison de sa vie
affective et sexuelle devenue inexistante, et des fugues et alcoolisations de son mari. Elle
avait réalisé deux IVG dix ans auparavant car « pour elle, il n’était pas question d’être
mère ».
Elle avait raconté qu’elle était la fille unique d’un père adoré qui avait de nombreuses
maîtresses, ce que sa mère vivait très mal, mais elle, « personnellement convaincue d’avoir la
première place dans le cœur de son père, elle ne s’en inquiétait pas plus que ça ».
Antoinette abordait sans difficulté le sujet de ses IVG : « [elle] évoque rapidement ses
deux IVG ». Elle gardait la certitude qu’elle n’aurait pas été une bonne mère : « […] je savais
que j’aurais été une mère excessive, possessive, envahissante, capable d’étouffer son enfant
de sollicitude au point de l’empêcher de grandir. » Et elle exprimait son accord pour que son
mari tînt la place de l’enfant : « Regardant tendrement son mari elle souligne : C’est lui mon
enfant, il le sait et il aime cette place. »
Par ailleurs, Antoinette se sentait angoissée par le comportement de son mari : « […] il
y a une ombre au tableau. Fabrice de temps en temps fugue au volant de leur voiture et rentre
ivre ou parfois ne rentre pas, et atterrit aux urgences de l’hôpital où on commence à le
connaître […] ». Elle avait une vie affective et sexuelle « […] très pauvre, même inexistante
depuis quelque temps ».
Au fur et à mesure de la thérapie, son mari changeait, quittant l’alcool pour le sport, et
Antoinette s’inquiétait : « Elle le regarde changer, avec un mélange de satisfaction et de
détresse […]. » Elle devenait jalouse des femmes qu’il rencontrait, et elle questionnait son
éventuel désir homosexuel : « La violence de ces scènes de jalousie la font s’interroger sur
son désir à elle pour ces jolies jeunes femmes. »
Selon l’auteur, Antoinette et son mari subissaient un blocage du remaniement psychique
de leur couple renforcé par les IVG : « […] il est indéniable que toute naissance a une
potentialité traumatique, du fait des multiples remaniements psychiques inhérents à cet
événement […] véritable levain à la maturation psychique de l’un et l’autre du couple ainsi
que de leur mode relationnel. » Ainsi leur couple s’installait sur le mode mère-enfant, son
31
mari buvait et fuguait : « On est en droit de se demander si les IVG n’ont pas, dans un
premier temps, stoppé tous les mouvements de remaniement psychique qui, néanmoins, ont
continué à travailler le couple sous forme de passages à l’acte et de comportements
aberrants, pour finalement donner lieu à une déroute conjugale justifiant une démarche
thérapeutique. » Par le suivi thérapeutique, le couple mûrissait sur le plan psychique et
relationnel : « [Son mari] sort peu à peu de sa dépendance infantile ».
Antoinette s’inquiétait de la prise d’indépendance de son mari, et « […] canalise son
angoisse dans de violentes crises de jalousie ». Elle souffrait de ressembler à sa mère
trompée : « Aujourd’hui elle se retrouve dans la peau de sa mère et c’est intolérable pour
elle. » Selon l’hypothèse de l’auteur, Antoinette manifestait un rejet de maternité qui pouvait
masquer sa possible homosexualité : « Le refus des manifestations du sentiment maternel
peut-il voiler une homosexualité latente ? »
Commentaire du vécu d’Antoinette
« Lorsque l’IVG renforce un dysfonctionnement conjugal et témoigne d’un rejet du
sentiment maternel »
Antoinette aborde rapidement et facilement le sujet de ses deux IVG réalisées il y a dix
ans et elle explique leur motif : la certitude qu’elle aurait été une mauvaise mère. Par ailleurs,
son couple fonctionne selon un schéma mère-enfant où son mari a une dépendance infantile
envers sa femme, s’alcoolise, et fugue.
Les avortements sont issus d’un rejet du sentiment maternel. Ils viennent renforcer le
dysfonctionnement du couple et le blocage de sa maturation et de ses remaniements
psychiques inhérents à toute naissance. Ce rejet pourrait masquer une homosexualité latente.
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3.4.7 Synthèse du document n° 7 : Julie (20)
« Sublimation de la violence et violence de la sublimation, une orientation sans fin ? »
Julie vivait en France avec son petit ami. Elle n’avait pas d’enfant, elle était sculptrice
amatrice, et elle travaillait comme soignante en maison de retraite. Elle effectuait une
psychanalyse. Elle avait réalisé deux IVG, la deuxième étant « exigée par son conjoint mais
non voulue par elle ».
Elle avait raconté la pression de ses grands-parents paternels pour faire avorter sa mère
enceinte d’elle. Elle avait été maltraitée par sa mère et sa grand-mère maternelle alors que son
père était resté passif et avait été trompé par sa femme.
Julie pensait que sa naissance était issue d’une lutte : « En effet, elle pense devoir sa
naissance à la résistance de ses parents dans leur combat contre la pression des grands
parents paternels pour faire avorter cette grossesse. » Elle fixait le début de son trouble
psychologique autour de son avortement forcé : « Julie […] situe le début de sa
désorientation psychique au moment de sa deuxième IVG. » Elle dévoilait aussi sa
maltraitance : « Elle révèle avoir été une enfant maltraitée activement par sa mère et sa
grand-mère paternelle, mais aussi passivement par un père resté indifférent à ces sévices. »
Julie prenait conscience de l’implication de sa violence dans ses limites professionnelles
et personnelles : « […] elle perçoit l’ombre de sa propre action inconsciente : c’est elle qui
fait échouer tous ses projets, sa vie relationnelle, son analyse et sa créativité. » Elle était
violente envers ses sculptures : « En effet, depuis longtemps elle travaille la terre mais elle
réduit la durée de vie de ses œuvres en les cassant lors de la cuisson ou en les fracassant
contre le mur lors d’accès de rage ». Elle était maltraitante envers ses patients : « Ses
maltraitances par négligence sont probantes […]. » Julie ne se sentait pas valorisée au
travail : « […] elle travaille dans un contexte qu’elle vit comme la privant de reconnaissance
et de gratification. » Elle ne culpabilisait pas de cette agressivité, la justifiait par sa lassitude,
et demandait du repos : « […] elle pense que sa violence est engendrée par la fatigue et,
comme elle travaille de nuit, elle revendique le droit au repos. »
Julie avait une apathie qui justifiait un statut d’invalidité : « Elle est reconnue invalide
par la Sécurité Sociale et, pendant deux ans, elle se bat contre une torpeur irréductible ». Elle
refusait de rendre visite à son père en fin de vie, puis elle en culpabilisait : « […] elle laisse
émerger un intense sentiment de culpabilité ». Elle décidait alors de surmonter l’opposition de
sa mère pour aller à sa rencontre, et elle « […] découvre une relation au père qu’elle avait
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crue impossible ». En parlant avec lui, elle comprenait le comportement violent de celui-ci lié
à son histoire familiale : « Elle comprend que la brutalité de celui-ci est aussi une violence
pour la vie quand il lui parle de ses difficultés avec ses propres parents. » D’une part, Julie en
éprouvait « […] un sentiment de culpabilité exacerbé […] », et d’autre part elle retrouvait
l’inspiration : « Elle retourne voir son père pour lui parler, lui parler encore de sa créativité
qui s’organise et s’enrichit en technique […]. »
Après la mort de son père, elle ressentait de la colère envers sa mère : « La violence se
déplace dans la relation à sa mère à qui elle reproche sa double vie dans le dos du père
pendant son enfance. Julie se sent constamment sur le point de ‘déraper’ avec elle. » Et elle
connaissait de nouveau une baisse d’inspiration : « C’est alors qu’elle se trouve confrontée à
une panne de sa créativité ». Elle mettait alors en relation son « […] refus inconscient de
créer […] » et sa violence, elle reliait création et vie, vie et violence : « Elle […] hasarde une
auto-interprétation : si sa vie prend des allures de catastrophe, c’est peut-être qu’elle ne joue
pas le jeu de la création. » Julie réussissait mieux par la suite à valoriser ses œuvres, et elle
envisageait de « […] renoncer à l’invalidité ».
Pour l’auteur, Julie ne pouvait « faire confiance », ce qui expliquait la décision de ses
deux IVG et aussi sa relation particulière avec lui, le psychanalyste : « Ce refus de confiance
sans rupture [dans la cure] constitue le support nécessaire à l’épreuve de l’avortement sous
les traits d’un avortement de la confiance. S’inscrit ainsi un destin de la cure qui répète le
destin d’une vie avortée dès la conception de Julie. »
Si Julie était insensible envers autrui, c’était pour protéger son psychisme : « C’est pour
sauvegarder son économie psychique qu’elle se défausse de sa tâche de soignante […]. » En
effet, par ses passages à l’acte violents, elle témoignait de son insensibilité à la souffrance de
l’autre tout en reproduisant le comportement de son père : « Ce n’est que très
progressivement qu’elle prend conscience de sa violence par indifférence à la détresse
d’autrui mais, malgré les liens que je lui propose avec l’indifférence de son père devant les
maltraitances subies par elle […], Julie ne parvient pas à l’intégrer […]. » L’auteur évoquait
le « […] vécu de souffrance […] » de Julie. Par ailleurs, elle se vengeait de son père en fin de
vie en marquant son indifférence, exprimant ainsi le « […] fantasme de parricide […] » :
« Elle refuse de lui rendre visite à l’hôpital, toute braquée qu’elle est dans une attitude de
refus vengeur. » Puis, elle laissait exprimer une culpabilité jusque-là refoulée, « […] jusque-là
écrasé[e] sous une violente répression, toujours au motif qu’elle a besoin de repos ». Par la
suite, elle accédait à une meilleure connaissance de son père et de « […] certaines réactions
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de son père qu’elle vivait jusque-là comme des blessures insupportables ». Elle trouvait un
« […] nouvel équilibre trouvé/créé dans la répartition entre l’intérêt du narcissisme et celui
de l’objectalité par la voie désignée par l’introjection paternelle en appui sur la fonction
maternelle. »
A travers la colère éprouvée envers sa mère, Julie prenait aussi conscience de sa
violence intérieure et de sa tentative de la refouler : « […] elle comprend que sa tentation par
le détachement affectif actif, l’indifférence, est une mesure de protection par répression de sa
violence mais qu’elle en est aussi la plus violente expression. » Elle devenait d’une humeur
encore plus dépressive : « C’est alors qu’elle se trouve confrontée à une panne de sa
créativité et qu’elle entre dans un profond mouvement dépressif. » Puis elle réalisait la
nécessité pour vivre, de sublimer sa violence par la création artistique : « […] elle saisit
l’impératif de liaison dans la sublimation ». Selon l’auteur, Julie parvenait à la sublimation en
raison de l’accès à cet équilibre œdipien : « L’unification des processus psychiques autour de
l’introjection de la fonction paternelle prend alors valeur de garant pour la réussite de la
sublimation. »
Commentaire du vécu de Julie
« IVG forcée suivie de passages à l’acte violents : témoins d’une violence intérieure,
d’un déséquilibre œdipien, d’une incapacité à faire confiance »
Après sa deuxième IVG, exigée par son conjoint mais non voulue par elle, Julie souffre
d’une désorientation psychique caractérisée par des passages à l’acte violents : maltraitance
envers ses patients, destruction de ses propres œuvres d’art, violence envers ses parents,
comportement qu’elle justifie en tant qu’expression de sa fatigue, de son apathie, de sa
souffrance.
Depuis le début de sa vie, Julie ne peut « faire confiance », elle doute, se dévalorise,
avorte. Elle refoule la culpabilité de ses violents passages à l’acte, elle manifeste une
indifférence affective à la détresse d’autrui reproduisant le comportement que son père a eu
face à sa propre détresse dans l’enfance. Par cette violente indifférence, elle se protège contre
sa violence intérieure qui est liée à un déséquilibre œdipien.
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3.4.8 Synthèse du document n° 8 : Madame M. (21)
« Cadre(s), transfert et contre-transfert dans la pratique clinique »
Madame M. avait 35 ans et vivait en France avec son mari et ses trois enfants de 8, 5 et
2 ans. Elle était en congé parental et aidait son mari dans leur exploitation viticole. Elle
rencontrait une conseillère conjugale parce qu’elle souhaitait « parler à quelqu’un ». Ces
entretiens, débutés avant la réalisation de son avortement, se poursuivaient après. Elle avait
demandé cette IVG alors qu’elle était « en pleine crise conjugale, sans contraception pour
marquer son souhait d’arrêter les rapports sexuels ». Son mari n’était pas informé de cette
IVG. De plus, elle avait évoqué sa timidité depuis l’enfance, à l’école et au travail, son goût
pour la solitude, et sa mésentente avec son mari.
Madame M. ressentait un soulagement quinze jours après cette IVG qu’elle qualifiait de
non choisie : « Une fois le soulagement exprimé [elle dit] : Je n’avais pas le choix […] ». Elle
décidait de divorcer contre l’avis de son mari, ce qui l’angoissait : « […] j’entends sa
souffrance et celle de son mari par la décision qu’elle a prise de le quitter, elle, qui n’en
prenait pas…et lui qui décide de tout. » Elle exprimait ensuite une crainte envers lui, dont elle
se sentait victime, « […] tyran face auquel elle n’a pas son mot à dire, qui lui impose son
point de vue […] ». Ainsi, elle avait un besoin de se séparer de lui, un « […] besoin vital de se
dégager physiquement de son mari […] ». Elle se plaignait également de son manque de
confiance en elle illustré par son choix d’aller habiter chez ses parents après la séparation,
« […] son besoin sécuritaire de s’installer avec ses enfants chez ses parents ‘qui
n’attendaient que ça’ […] ». Et elle angoissait à l’idée de la fin du congé parental : « La
panique à l’idée de reprendre le travail […] l’amène à envisager la rupture de son contrat
plutôt que d’affronter le directeur […]. »
Puis Madame M. reconnaissait que tous les défauts n’étaient pas du côté de son mari :
« Il n’a pas tout à fait tort, car je suis quelqu’un de timide, j’ai toujours été peureuse […] je
suis quelqu’un qu’il faut pousser… ». Elle repérait et exprimait ses peurs, et elle réussissait à
discuter avec son patron : « […] elle va pouvoir négocier avec son directeur une fin de
contrat. » Elle culpabilisait de critiquer son mari et d’aller à aux séances thérapeutiques. Et
elle réussissait mieux à affronter l’agressivité de celui-ci par le dialogue : « […] avant
j’aurais été le dire à ma mère, maintenant j’ai pu le lui dire et lui donner mon point de vue,
mon avis sur nos désaccords. » Elle prenait de la distance avec ses parents : « […] elle trouve
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à présent excessif et pesant le jugement qu’ils ont sur son mari. Elle trouvera un logement et
un nouveau travail. »
Madame M. ressentait de l’agressivité en réaction de celle de ses enfants : « Oui, mais
moi aussi je panique et moi aussi je suis agressive et ça, ce n’est pas moi. » Elle reprend une
relation avec son mari et « […] se met à pleurer à cause de sa souffrance à ne pouvoir
affronter le regard et l’incompréhension de ses parents. » Elle observait mal sa thérapie, elle
décidait de l’interrompre, et elle prévoyait de révéler l’IVG à son mari : « […] et je lui dirai à
mon mari pour l’IVG, pour pas que ça reste un secret ».
D’après l’auteur, Madame M. souffrait d’un conflit conjugal qui amenait à en constater
un second : « Sa souffrance conjugale vient exprimer une souffrance personnelle ancienne. »
Madame M. souffrait d’un « […] conflit relationnel et phobique […] », secondaire à son
tempérament passif, son manque de confiance en elle, son angoisse de séparation : « La
souffrance exprimée porte sur l’estime d’elle qui se trouve menacée dans la relation à l’autre,
à son mari, à ses parents, à ses enfants, et qui la met en demande afin de trouver une autre
issue, autre que la fuite. » De plus, Madame M. était paradoxalement soulagée après son IVG
qualifiée de non choisie : « Une fois le soulagement exprimé : ‘Je n’avais pas le choix’ … [il]
reste toutefois le ‘je’ en question. » Par sa grossesse et son IVG, elle souhaitait cesser la
relation avec son mari : « D’interrompre cette grossesse lui permet d’interrompre la vie
conjugale. » Et l’écoute de la thérapeute lui permettait d’aller plus loin en livrant ses
angoisses : « Je lui demande ce qu’elle craint, ce renvoi à ses craintes a un premier effet
mobilisateur qui ouvre une parole sur la ‘réalité’ conjugale et vient soulager une tension
émotionnelle. »
Pour l’auteur, Madame M. tentait de se protéger de sa souffrance par la fuite, « […]
fuite qui a été jusque là son mode de défense […]. Elle a quitté les jupes de sa mère pour un
mari entreprenant. Son manque de confiance en elle la rattrape et quand ce n’est pas
élaborable, il n’y a plus qu’à partir, quitter son emploi précédent, partir de sa vie de
couple ». Cette fuite provoquait un silence protecteur et une difficulté relationnelle en ne la
mettant « […] pas à l’aise sur le plan de la relation […] ». Son lien à l’autre est narcissique :
« Pour Mme M., l’autre intériorisé (objet interne primaire) est absence, mais il existe comme
lien […]. » Ainsi, grossesse et IVG étaient une fuite face à ce conflit relationnel et phobique :
« Arrivés à cette étape, on peut se demander si cette quatrième grossesse suivie d’IVG n’est
pas venue pour que Madame M. trouve une issue à son conflit relationnel avec son père, son
directeur, son mari. »
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Puis elle quittait progressivement son rôle de dominée : « Madame M. va ainsi
commencer petit à petit à sortir des positions extrêmes victime/tyran. » Elle se confrontait
désormais à sa famille en se remettant en question : « Chemin faisant, l’agressivité de ses
enfants l’amènera à se poser des questions plutôt qu’à se protéger. » Elle modifiait son
mécanisme de défense en se distanciant de ses parents : « L’hyper protection qu’elle est venue
chercher en retournant chez sa mère fonctionne comme une barrière, un garde-fou que sa
panique vient bousculer, cette protection de sa mère, elle ne la supporte plus. » Elle retrouvait
une place renouvelée par le dialogue avec son mari : « Le travail thérapeutique permet à
Madame M. une prise de parole avec lui pour parler d’elle, de ses difficultés qui datent, ce
qui crée une certaine distance entre eux et vient remobiliser leur attachement mutuel. »
Madame M. reconnaissait que le parti pris contre son mari était une réaction de défense
contre elle-même : « […] elle a tenu à rectifier que tout n’était pas du côté du mari, comme
elle a pu leur faire croire en mettant à l’écart une part d’elle ». Elle renonçait à fuir : « […] et
je lui dirai à mon mari pour l’IVG, pour pas que ça reste un secret (ou une fuite et une
exclusion pour lui). »
Commentaire du vécu de Madame M.
« IVG secrète, soulagement et décision de séparation conjugale : révélation d’un conflit
relationnel et phobique avec l’autre dont l’issue est la fuite »
Quinze jours après son IVG qu’elle a décidée seule, Madame M. souhaite poursuivre
son suivi psychologique débuté avant l’avortement. Elle qualifie son acte de non choisi, le
garde secret envers son mari, et se sent soulagée. Elle choisit ensuite d’interrompre sa vie
conjugale et de se séparer de son mari. Peu habituée à faire des choix, elle est angoissée par
cette prise de décision.
Cette angoisse révèle son manque de confiance en elle, son lien narcissique, son conflit
relationnel et phobique avec l’autre dont elle se défend par la fuite, ce qui provoque un silence
protecteur et une difficulté relationnelle. La grossesse et l’IVG lui ont peut-être permis de
trouver une issue au conflit relationnel avec son père, son patron, son mari.
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3.4.9 Synthèse du document n° 9 (22)
« Adolescentes enceintes »
Clémentine
Clémentine avait 18 ans, travaillait en Suisse et vivait en colocation avec une amie. Elle
venait de quitter son compagnon avec qui elle avait eu le projet de prendre un appartement.
Au cours de sa demande d’IVG quelques jours avant l’expiration du délai légal, elle acceptait
l’entretien systématiquement proposé, dans cette maternité, aux adolescentes entre 16 et 18
ans demandant l’IVG. Cette rencontre se poursuivait après l’IVG.
Clémentine était tombée enceinte après avoir abandonné la pilule « qu’elle prenait
scrupuleusement jusque-là ». Elle avait arrêté ce contraceptif suite à un accident de voiture
survenu une semaine auparavant lors de sa soirée d’anniversaire, où trois amis étaient
décédés, où elle était la seule survivante. Et peu après avoir appris sa grossesse, elle s’était
séparée de son ami en ayant provoqué une dispute « totalement artificielle, me dira-t-elle,
mais il fallait que je le quitte ». Puis elle l’avait informé de sa décision d’IVG.
Après l’IVG, Clémentine expliquait la raison de son interruption de grossesse ; elle
expliquait sa prise de conscience que l’enfant qu’elle avait porté ne pouvait être ses amis.
L’auteur rapportait : « Je me suis demandé quel grain de sable avait pu interrompre un
processus qui paraissait si inéluctable. Elle me l’a expliqué : l’enfant à venir ne pouvait que
représenter ses amis morts, alors qu’elle recherchait une réplication exacte. »
Pour l’auteur, Clémentine se sentait coupable du décès de ses trois amis, et sa « […]
culpabilité rendait le deuil impossible ». Elle avait tenté de les remplacer par ce bébé :
« Après, elle se serait consacrée à la tâche de faire revivre ses amis à travers le bébé. L’arrêt
de son histoire d’amour participait à la punition. » Cet enfant n’était pas celui pensé avec son
ami : « Il ne devait pas être celui qu’elle avait projeté de faire avec son ami, dans la
continuité de leur installation en commun. » Elle avait eu une vision délirante de l’enfant à
naître : « Nous étions, à ce moment, dans une économie propre à l’hallucinatoire. »
Clémentine avait ensuite réalisé l’échec de sa tentative de remplacement, ce qui l’avait
amenée à décider d’une IVG. Selon l’auteur, le soutien psychiatrique devait permettre de
transférer l’embryon de l’espace du délire à celui de la réalité pour permettre son deuil : « Le
travail de crise a consisté, avant et après l’IG, à déplacer cet embryon de l’espace purement
39
subjectif de Clémentine, pour l’extérioriser et le replacer au sein du couple qui l’avait créé,
pour lui permettre une entrée dans l’ordre du symbolique et en faire le deuil. »
Commentaire du vécu de Clémentine
« Où l’accompagnement psychologique après l’IVG amène à comprendre l’interruption
de grossesse comme l’échec d’une tentative de remplacement et à révéler un deuil non fait »
Après son IVG, Clémentine, adolescente, poursuit l’accompagnement psychologique.
Elle y explique son choix d’interruption de grossesse à savoir la prise de conscience de
l’échec de sa tentative de remplacement de ses amis décédés par un enfant à naître.
Cette tentative d’ordre hallucinatoire résultait du deuil non fait de ses amis, lui-même
lié à la culpabilité de leur mort.
Fatia
Fatia avait 17 ans et vivait chez ses parents, un médecin et une infirmière réfugiés
politiques à Genève depuis 15 ans. Elle était musulmane moins pratiquante qu’eux, célibataire
et lycéenne brillante. Au cours de sa demande d’IVG à 9 semaines de grossesse, elle acceptait
de rencontrer un psychiatre, rencontre systématiquement proposée, dans cette maternité, aux
adolescentes entre 16 et 18 ans demandant l’IVG. Un an auparavant, à l’âge de 15 ans, Fatia
avait réalisé une première IVG en clinique privée sur décision de sa mère, alors qu’elle et son
petit ami voulaient un enfant qui « viendrait sceller leur amour et le rendrait public ». Son
compagnon de l’époque avait 23 ans et était demandeur d’asile.
Fatia racontait qu’au moment de sa première IVG, elle avait été accusée de plusieurs
fautes par sa mère : « […] elle accuse sa fille d’avoir sali l’honneur de la famille, d’attirer la
malédiction de Dieu, et d’avoir failli à la règle qui voudrait qu’elle reste vierge jusqu’au
mariage. » Elle avait été obligée par sa mère, sous sa menace, de se séparer de son ami.
Affligée, Fatia s’était sentie en profond désaccord avec ses parents : « L’adolescente est
désespérée et entre en opposition violente avec sa famille […] ». Et malgré un placement
temporaire en foyer d’urgence puis en famille d’accueil, elle avait continué à s’alcooliser de
retour chez ses parents : « Elle sortait pratiquement toutes les nuits et revenait imbibée
d’alcool. »
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Environ un an après l’IVG, une de ses alcoolisations s’était compliquée d’un coma
éthylique déclenchant un suivi médical familial rapidement interrompu : « Et sans
explication, ils ne vont plus donner suite aux propositions thérapeutiques faites par le
médecin. » Puis à cette même période, Fatia était tombée enceinte au cours d’une relation
passagère et alcoolisée : « Cette possible grossesse, elle n’y avait pas pris gare. Elle était
tellement alcoolisée […] qu’elle n’a pas eu l’énergie physique ou psychique de prendre une
quelconque décision. » Elle demandait alors une deuxième IVG et acceptait la consultation
psychiatrique préalable. Elle était indifférente : « Cet enfant ne compte pas […]. » Et elle
s’estimait responsable de la survenue de cette grossesse : « Son partenaire n’est pas investi et
semble surtout avoir profité de son état. Elle ne lui en veut pas de l’avoir mise enceinte, car il
lui appartenait à elle de lui dire non ou d’exiger qu’il prenne des précautions. En fait, elle ne
lui a même pas demandé d’utiliser un préservatif. »
Fatia souhaitait que ses parents et surtout sa mère ne fussent pas mis au courant : « […]
le seul souci qu’elle se fait est d’éviter que sa mère s’aperçoive qu’elle est enceinte de
nouveau. » Pourtant, sa mère découvrait la grossesse de sa fille : « […] elle avait fouillé dans
le sac de sa fille la veille au soir, trouvé la carte de rendez-vous de la Maternité et ainsi vu
ses craintes confirmées. » Fatia réalisait sa deuxième IVG en sa présence. Puis elle
interrompait le suivi psychiatrique : « Le lendemain c’est elle qui me téléphone et nous
convenons d’un rendez-vous auquel elle ne viendra pas. »
Pour l’auteur, Fatia mettait du temps à lui évoquer son premier avortement dont elle
n’avait jamais parlé auparavant : « Au cours d’un entretien long, difficile au début, elle va me
confier son histoire. » En révélant sa grossesse et son IVG passées, elle manifestait une
humeur dépressive et signifiait sa culpabilité : « Elle sait […] qu’il sera question de ce bébé
qui lui manque et qui ne peut exister dans le champ intersubjectif qu’en l’absence de celle qui
l’a fait disparaître : sa mère bien sûr, mais aussi la partie d’elle-même complice de cette
mère. » Elle souffrait de la destruction de ce projet d’enfant, « […] projet narcissique certes,
que les parents de Fatia ont saccagé pour des motifs religieux et identitaires sans le moindre
égard pour la subjectivité de la jeune fille. » Elle en gardait une blessure narcissique : « Ce
trou dans le tissu narcissique de l’adolescente appelle la deuxième grossesse. » Elle tentait de
remplacer ce bébé par ses alcoolisations qui « […] ne suffis[ai]ent pas car il n’y a pas
interchangeabilité des contenus dans le ventre de l’adolescente. Nourriture, toxiques ou bébé
ne sont pas équivalents […] ». Elle voulait combler le manque d’un bébé qui « […]
s’apparente ici davantage à un vide qu’à une absence […] ».
41
Fatia faisait alors mémoire du bébé en tombant enceinte à la date anniversaire de la
première IVG : « Le seul intérêt de cette grossesse est de marquer une trace de l’enfant
[…]. » Elle essayait aussi par cette grossesse de rétablir son projet d’enfant : « Il s’agit de la
reconstitution active d’un traumatisme subi, qui l’avait laissée dans la plus grande passivité.
La conception répare tout aussi bien celui qui n’a pas pu exister que la maternalité de
l’adolescente. » Par la suite, Fatia prenait violemment conscience que cette tentative de
réparation était illusoire et elle décidait de réaliser l’IVG : « […] ce bébé n’est que l’ombre de
l’autre et […], pas plus que lui, il n’a le droit d’exister. Ce n’est pas un simple constat. C’est
une rage qui anime Fatia. Contre le faux enfant, contre la fausse mère qu’elle a été contrainte
de jouer. Le vécu de meurtre s’installe. » Et elle culpabilisait de sa décision d’IVG, laissant
inconsciemment sa mère intervenir en faveur de ce deuxième avortement qu’elle voulait
garder secret : « Et la culpabilité la saisit de nouveau, l’obligeant à négliger, en apparence, le
secret de sa grossesse. Sa mère, instance punitive, est sollicitée par le biais d’une
étourderie. » Puis, en renonçant brutalement à poursuivre le suivi médical, Fatia témoignait
d’une ambivalence pouvant s’expliquer par trois hypothèses : « Interdite par la mère
extérieure ? Rattrapée par une communauté de déni intériorisée ? Obligée de continuer à se
punir par une autodestruction dont la mouture actuelle serait le refus des soins que je lui
propose ? »
En répétant le cycle IVG-grossesse, Fatia répétait l’attaque au corps vécu un an
auparavant, « [l’] entreprise mortifère dans le lieu même qui avait été choisi pour abriter le
narcissisme de vie ». Cette attaque s’exprimait aussi dans ses conduites sexuelles à risque :
« À mon sens, l’attaque au corps se situe dans son activité sexuelle désordonnée, infiltrée par
le sadomasochisme de ses relations, et aggravée par l’anesthésie provoquée par l’alcool. »
Une prise en charge était nécessaire pour tenter de « […] récupérer […] » le projet
narcissique de la première grossesse : « Il aurait fallu poursuivre la prise en soins de la jeune
fille pour permettre une évolution dans laquelle la grossesse ne serait pas la réplication d’une
automutilation, mais une virtualité d’élaboration corporelle et psychique du deuil destructeur
de 2004. »
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Commentaire du vécu de Fatia
« Alcoolisations, conduites sexuelles à risque et IVG : des automutilations répétant la
blessure narcissique d’une IVG non choisie »
Au moment de son IVG décidée par sa mère, Fatia, adolescente, est culpabilisée de cette
première grossesse et obligée de se séparer de son ami par celle-ci. Elle entre en opposition
violente avec ses parents et est placée en famille d’accueil. Elle s’alcoolise très fréquemment
et a des conduites sexuelles à risques. Elle tombe dans un coma éthylique et apprend sa
deuxième grossesse autour de la date anniversaire de l’IVG.
Les alcoolisations sont une tentative de remplacer le bébé qui lui manque et dont elle se
sent coupable de la disparition. Sa deuxième grossesse est une tentative de faire mémoire du
bébé, de combler le manque et le vide, de réparer sa maternalité, de cicatriser la blessure
narcissique liée à la négation de sa subjectivité et à la destruction de son projet d’enfant par
ses parents.
Fatia a des difficultés à parler de sa première IVG, manifeste une humeur dépressive, se
sent indifférente et responsable de la survenue de sa seconde grossesse. Elle décide d’avorter
à l’insu de sa mère, obtenant finalement l’approbation de celle-ci par le biais d’une étourderie.
Parce qu’elle prend conscience de l’échec de sa tentative de réparation, elle décide
d’une deuxième IVG, décision dont elle culpabilise. Elle ne fait pas le deuil du projet
narcissique initial et répète l’automutilation de la première IVG à travers ses conduites
sexuelles à risque et le cycle grossesse-IVG.
Fatia est ambivalente à accepter un accompagnement psychologique, ce qui peut
révéler un comportement d’autopunition, ou un déni de la nécessité d’être suivi, ou
l’obéissance à une interdiction maternelle.
43
3.4.10 Synthèse du document n° 10 : Cécilia (23)
« Des corps en acte. Désymbolisation/symbolisation à l’adolescence »
Cécilia avait 24 ans, vivait en France et était célibataire sans enfant. Elle avait arrêté ses
études à 21 ans et était, depuis, en recherche d’emploi et d’appartement. Elle sollicitait un
psychologue à cause d’un mal de vivre et de crises de boulimie survenant deux fois par jour
environ depuis un an. Elle avait demandé et réalisé une IVG un an auparavant, quelques mois
après le départ de sa mère, en raison d’une grossesse non prévue issue d’une relation
insatisfaisante avec « un garçon volage »,
Cécilia avait raconté son adolescence marquée par la séparation de ses parents quand
elle avait 14 ans, par le départ de sa sœur dans les ordres, restant alors seule avec sa mère.
Elle avait probablement eu « des conduites alimentaires restrictives de type anorexique […]
car tout au long de sa croissance, entre 14 et 19 ans, son poids a suivi une évolution souvent
bien inférieure à celle de la normale », période suivie d’une prise de poids de 12 kg entre 19
et 22 ans. Après le divorce de ses parents quand elle avait 21 ans, sa mère avait quitté la
région, la laissant seule dans la demeure maternelle alors qu’elle recherchait travail et
logement. Au moment de ce départ, elle avait constaté sa prise de poids, avait arrêté le sport,
puis était tombée enceinte quelques mois plus tard.
Depuis son IVG il y a un an, Cécilia ressentait un mal-être ainsi que la nécessité d’être
remplie : « Dans le contexte post-IVG surgissent les conduites boulimiques toujours
actuelles :‘Je ne peux pas m’empêcher de manger, manger, et manger encore, dit Cécilia,
manger, ça me permet d’être pleine, de me sentir pleine’. » Sa boulimie s’associait à des
vomissements : « […] après chacune de ces incontrôlables frénésies alimentaires surviennent
les vomissements, eux aussi incoercibles. » Depuis avant son IVG, Cécilia se préoccupait
beaucoup de sa silhouette, en réaction à celle des femmes de sa famille : « Vous savez, ditelle, je suis d’origine sicilienne par ma mère, et les femmes de ma famille, ma grand-mère,
ma mère, ma sœur ont toutes tendance à avoir des hanches plutôt prononcées. » Elle évoquait
donc l’importance du sport, pour sa taille mais aussi pour la connaissance d’elle-même :
« Courir c’est, dit-elle, aller de l’avant, savoir se tenir et se servir de ses jambes, connaître
ses propres limites mais aussi ses possibilités. »
Cécilia exprimait sa détresse face au départ de sa mère, douleur liée à son besoin
d’indépendance : « C’était pas juste, c’est pas normal, crie, pleure aujourd’hui encore
Cécilia, elle avait pas le droit de me faire ça, c’était pas à elle de partir, c’était à moi, elle
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m’a pas laissé le temps, il m’aurait fallu juste un peu de temps, je sais pas moi, une semaine,
deux mois. » « Elle se sent […] prisonnière de cette maison. » Elle ne s’estimait pas capable
de la tenir en ordre, et elle se trouvait abandonnée par sa mère : « Elle se sent littéralement
perdue, dans cette maison qu’elle n’affectionne pas. Cette maison est vécue comme trop
grande pour elle. Plus encore, Cécilia se trouve démunie, et même complètement étrangère en
terre maternelle. » Cécilia évoquait aussi sa passivité dans le fait d’être tombée enceinte :
« […] ‘ce garçon l’a mise enceinte’ selon ses propres termes. »
Elle était demandeuse d’un suivi psychologique régulier, progressivement espacé, puis
arrêté à sa demande après une amélioration des symptômes : « Neuf mois (!) plus tard, Cécilia
fait part de sa décision de suspendre complètement les entretiens ; […] elle n’a plus ni
boulimie ni vomissement, a repris l’aérobic et a entretemps emménagé dans son propre
appartement. »
Selon l’auteur, le trouble alimentaire de Cécilia révélait une problématique narcissique,
signifiait son vide intérieur et son conflit psychique entre le désir de rester la petite fille et
celui de devenir mère : « Mais les ingestions boulimiques ne constituent-elles pas, plus
encore, des tentatives, pour parvenir enfin à garder en soi l’objet (l’enfant à venir, la mère à
être, mais aussi Cécilia-enfant et la mère qu’elle eut) […]». Les vomissements reproduisaient
l’échec de ces tentatives tel un « […] symptôme commémoratif en quelque sorte, et peut-être
alors aussi élaboratif des différents conflits psychiques ici en jeu ». Cécilia n’était pas
consciente de ses conflits ; « […] elle bute à reconnaître son (ambivalent) désir d’enfant. »
Pourtant Cécilia montrait sa difficulté à accepter de devenir femme : « Quelle image de
la féminité s’avère ici difficilement intégrable pour Cécilia, et sous laquelle se profile aussi le
spectre de la ‘mamma’ italienne tout autant ingérable. » Elle se questionnait sur son identité :
« […] elle se débat plus encore avec les questionnements et les enjeux de l’adolescence, c’està-dire avec les incertitudes liées à son devenir sexué de femme, d’amante et de mère
potentielle, mais plus fondamentalement aussi à son devenir d’adulte, de sujet mature et
autonome. » Sa construction identitaire était fragilisée par les évènements de sa vie familiale,
et en dernier lieu par sa séparation précoce avec sa mère : « Cela va en effet trop vite pour
Cécilia à qui il est demandé d’être une femme adulte autonome et responsable d’elle. » Cette
séparation aggravait son déséquilibre psychique en provoquant un choc spéculaire :
« Angoisses d’abandon et de castration sont simultanément activées et […] le miroir renvoie
soudainement à Cécilia l’image de la femme qu’elle est devenue sans le savoir (ça voir). »
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Concrètement, le départ de sa mère la privait de l’indépendance recherchée, l’accablait
et la bloquait dans sa prise d’autonomie : « Loin de représenter pour elle l’accomplissement
de ses aspirations à l’indépendance, cette conjoncture active chez Cécilia frustration et
dépression. » Psychiquement, Cécilia, seule dans la maison maternelle, était sous l’emprise de
sa mère qui occupait son « […] espace subjectif propre […] », elle restait peu différenciée
d’elle : « Autrement dit, […] sa naissance comme femme adulte et mature sur un plan
libidinal se complique de la résurgence de son advenue comme sujet peu différencié du corps
maternel. »
Selon l’auteur, Cécilia utilisait donc son corps comme mode principal d’expression :
sport, grossesse, avortement, boulimie, vomissements, « […] conduites (les dernières surtout)
à caractère psychopathologique qui peuvent donc interroger sur leurs sens et valeurs
évolutifs au sein de l’organisation psychosomatique de Cécilia ». Ces passages à l’acte
répétés sur son propre corps lui permettaient d’exprimer angoisses et conflits psychiques
identitaires.
Ainsi, la grossesse de Cécilia révélait un désir inconscient de grossesse et de
construction identitaire : « Cette grossesse non préméditée, véritable ‘acte manqué’, révèle
[…] l’essai, certes encore délicat, d’appropriation subjective de son corps sinon du maternel
féminin en elle. » Cet acte manqué était suivi d’un autre passage à l’acte, l’IVG, « […] l’agir
abortif qui lui fait aussitôt suite et qui constitue la toile de fond sur laquelle viennent
s’inscrire ses récents comportements boulimiques et pratiques vomitives ». IVG et
comportement alimentaire continuaient de traduire le conflit psychique de Cécilia entre besoin
et rejet de sa mère : « Les perturbations alimentaires de Cécilia disent simultanément sa faim
de l’objet oral, vital (sous la nourriture, la mère) et sa satiété de celui-ci, rassasiement allant
jusqu’à l’écœurement, d’où son rejet. »
Les passages à l’acte chez Cécilia permettaient ensuite d’aboutir à un travail
d’élaboration par une prise en charge médico-psychologique : « Si l’agir alimentaire, au
même titre que l’agir abortif d’ailleurs, pourrait à première vue paraître une voie régressive
[…], c’est pourtant lui qui conduit Cécilia à l’hôpital et l’amène à demander consultations
médicale et psychologique, soit une assistance pour son corps et pour sa psyché […]. »
Durant ce suivi, elle espaçait les consultations et marquait ainsi sa prise d’autonomie : « […]
la rémission de ses conduites boulimiques à l’occasion de la séparation estivale en atteste
d’ailleurs.
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Commentaire du vécu de Cécilia
« IVG suivie de boulimie et vomissements : témoins d’une crise identitaire, d’un conflit
psychique entre besoin et rejet de devenir femme et mère »
L’IVG de Cécilia est suivie de l’apparition d’une boulimie et de vomissements. Elle
mange parce qu’elle a besoin de se sentir pleine. Ces troubles manifestent son mal-être, et
l’amènent à consulter.
La boulimie est une tentative de garder en soi l’enfant à venir ou la mère en devenir ou
la petite fille qu’elle était ou sa propre mère. Les vomissements signent l’échec de ces
tentatives. La grossesse et l’IVG constituent des actes manqués révélant son conflit psychique
entre besoin et rejet de devenir femme et mère. Ces passages à l’acte répétés sur son propre
corps témoignent de l’existence d’une crise identitaire qui se caractérise par un blocage de sa
prise d’autonomie, une difficulté de séparation avec sa mère. Cette crise est provoquée par le
départ trop précoce de celle-ci et survient dans un contexte de questionnement narcissique et
d’une construction identitaire déjà fragilisée par les évènements de son adolescence.
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3.4.11 Synthèse du document n° 11 : Nadège (24)
« Crime en solitude ? Un cas clinique »
Nadège avait 24 ans. Elle vivait en France avec son conjoint et n’avait pas d’enfant.
Issue d’une famille aux grosses difficultés financières et sociales, elle avait abandonné ses
études pour un job de serveuse. Elle rencontrait un psychiatre dans le cadre d’une enquête
judiciaire où elle était inculpée d’homicide involontaire après avoir accouché dans la cuvette
de ses WC d’un bébé à terme, vivant, viable puis mort d’une inondation bronchique. Cette
grossesse était seulement connue du couple, sans suivi médical. Nadège avait réalisé une IVG
deux ans auparavant à plus de 11 semaines de grossesse, en Hollande, sur décision mutuelle
avec son ami, et à l’insu de sa mère. Cette première grossesse avait été confirmée à
l’échographie à cause de la persistance de nausées et d’un dégoût d’odeur, et préalablement
traités par son médecin avec « une contraception du lendemain alors qu’il existait déjà un test
de grossesse positif effectué en pharmacie ».
Nadège avait raconté sa pauvreté cachée à ses amies, son enfance et son adolescence
heureuses en raison de l’union harmonieuse de ses parents et de la présence constante de sa
mère au foyer. Puis elle avait évoqué le départ de son père et de sa grand-mère lié au divorce
de ses parents vers l’âge de 16 ans, suite à la découverte de l’infidélité du père par sa mère.
Elle avait alors décidé de rompre toute relation avec son père qui avait ensuite refait sa vie et
avait eu deux enfants. Elle avait été amenée à remplacer sa mère auprès de ses deux jeunes
frères, en raison de la dépression de celle-ci.
Nadège décrivait sans hésitation sa mère comme une personne faible : « Sa mère est
décrite de manière univoque : trop gentille, trop douce, se laissant trop faire. Le seul moment
où elle s’est montrée forte et décidée a été celui de la rupture […]. » Elle disait par ailleurs
avoir le même caractère que son père, fier, affectueux et un peu dominateur. Elle souffrait de
sa rupture totale de contact avec lui _ rupture qu’elle avait elle-même décidée _ : « Elle ne le
voit plus et ne lui parle plus depuis quatre ans, mais cette attitude volontaire et absolue la
laisse meurtrie. » Elle se sentait trahie par son père, elle éprouvait « […] la rancœur d’avoir
été trompée ». Elle l’accusait en effet de son comportement passé qui la faisait toujours
souffrir : « Elle ne lui pardonne ni son infidélité, ni les conséquences psychologiques que le
divorce a entraînées sur sa mère et, par contrecoup, sur elle. »
Ainsi, Nadège restait très protectrice envers ses frères : « Elle est déçue que le cadet
n’ait pas poursuivi ses études et elle considère que ses frères ont encore plus durement
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qu’elle subi l’éclatement de la famille. » Et elle exprimait sa confiance envers son ami :
« C’est mon pilier, il est plus mûr que moi, il est stable, il est plus sûr de lui […]. »
Puis Nadège évoquait une tristesse à l’évocation de son bébé mort noyé : « Elle se fait
en pleurs tout du long. » Elle expliquait ne pas avoir eu la vigueur pour se lever de la cuvette
de ses WC : « […] j’ai mis au monde mon bébé dans les toilettes, et j’ai pas eu la force de me
soulever pour m’extirper des toilettes et je l’ai noyé. » Elle révélait avoir eu le doute de cette
grossesse à environ six mois de son commencement, doute qu’elle avait uniquement exprimé
à son ami : « Ainsi, Nadège reste dans le soupçon de sa grossesse. Les fêtes se passent. Elle
en parle à Kevin qui l’engage à voir un gynécologue. Elle n’y va pas. Il l’engage à parler à
sa mère. Elle ne le fait pas. » Elle racontait ne pas en avoir parlé à sa mère parce qu’elle
« […] n’aurait plus été sa petite fille ». Elle décrivait le décalage entre sa prise de conscience
progressive de la grossesse et celle de son terme : « Du jour de l’an jusqu’au 12 février [jour
de l’accouchement], le temps s’écoule passivement et pour le couple commence à germer la
réalité de cette grossesse, […] ils évoquent déjà les prénoms possibles de l’enfant. L’un et
l’autre se croyaient au cinquième ou sixième mois. »
Selon l’auteur, plus que de la culpabilité de son acte d’homicide, Nadège souffrait
surtout de la perte de sa vie de famille : « Nadège va livrer une longue litanie douloureuse,
non pas concernant les faits dont elle se sent pourtant coupable, mais concernant sa vie
familiale dans l’enfance et l’adolescence, éden dont elle ne s’est pas remise de la perte […]
suite à la séparation et au divorce des parents. » Elle ne faisait pas le deuil de sa vie d’avant
le divorce : « […] elle reste appendue à son histoire familiale, sans pouvoir s’en détacher et
sans pouvoir faire le deuil d’une famille qui a éclaté quand elle avait 16 ou 17 ans. » A cause
de cette épreuve, Nadège vivait dans une torpeur émotionnelle, une « […] pesanteur affective
rivée aux souvenirs malheureux et au sentiment d’être dans une ruine insurmontable ». Elle
tissait des liens affectifs très forts avec ses frères, avec son ami : « Il [son ami] est venu
comme un emplâtre, pour non pas cicatriser la perte du père, mais la masquer. C’est pour ça
qu’il n’a pas réellement été investi comme un futur père rassurant. »
Ainsi, pour l’auteur, Nadège avait une immaturité affective : « Il s’agit donc d’une
immaturité qui n’est pas sans profondeur et qui revêt la forme d’un sentimentalisme qui n’a
pas été refoulé par des défenses névrotiques suffisamment actives. » En effet, elle avait une
dépendance affective avec sa mère : « Chez elle […] c’est le retour constant au souvenir
d’une chaleur familiale détruite qui la laisse dépendante de la relation à sa mère et qui
alimente ses à-coups de tristesse. » Le jour de l’accouchement, Nadège prévenait sa mère en
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premier : « il [son conjoint] ne reste pas auprès de sa compagne, il ne téléphone pas, mais
court dans tous les sens, prend sa voiture et va d’abord chercher la mère de Nadège. Il fallait
enfin lui dire. C’est après qu’il peut prévenir les pompiers. »
En raison de son défaut de refoulement, Nadège développait un autre mécanisme de
défense ; le déni « […] qui n’est pas celui de la perversion, qui n’est pas tout à fait celui de la
psychose, qui n’est pas structural mais de situation ». L’auteur amenait ici au sujet du déni de
grossesse de Nadège pour qui la deuxième grossesse est « […] un cauchemar d’une extrême
fugacité, qu’elle va immédiatement mettre hors circuit non par un acte réel comme
l’avortement, mais par un acte magique. » En effet, si elle acceptait de fonder une nouvelle
famille, elle trahissait et abandonnait sa famille précédente comme son père l’avait fait :
« […] il faut noter que Nadège avait déjà vécu une maternité sous l’aile protectrice de sa
mère : celle de ses deux frères. » Alors elle refusait de modifier son statut de petite fille,
« […] d’égaler sa mère […] » et de se représenter un futur enfant : « L’infanticide est en
quelque sorte un refus de transmission. […] C’est le statut fait au futur enfant qui permet de
dépasser cet enjeu, qui donne sa consistance à l’enfant imaginaire et qui dessine la place qui
lui sera assignée. L’avortement de ce processus psychique entraîne une rétention mentale qui
peut durer neuf mois et qui finit, un jour ou l’autre, là où finit toute rétention. »
L’auteur soulignait que l’IVG tardive de Nadège était un signe avant-coureur de son
infanticide, car les deux grossesses avaient fait l’objet d’un déni : « Par deux fois, elle est
restée à mi-chemin entre le déni total et le sursaut de conscience qui lui a fait reconnaître,
trop tard, son état de grossesse. Dans la première grossesse, l’acte magique permettant le déni
avait cédé à un acte réel d’interruption au bout de deux mois. La prise de conscience de ce
déni était responsable chez Nadège d’un traumatisme et d’une culpabilité : « Il faut souligner
la déflagration que constituent pour l’intéressée le constat de ce qui s’est passé et le
sentiment de culpabilité que cela entraîne. »
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Commentaire du vécu de Nadège
« IVG et infanticide secondaires à un déni de grossesse : témoins d’une immaturité
affective et du deuil non fait de la séparation parentale »
L’IVG de Nadège est suivie, deux plus tard, d’un infanticide secondaire à un déni de
grossesse. En prenant conscience des faits, Nadège est traumatisée et culpabilise.
L’infanticide et l’IVG sont secondaires à un déni de grossesse incomplet. Lors de la
première grossesse, l’acte magique de suppression de la grossesse est remplacé par l’acte réel
d’IVG. Lors de la seconde, cet acte magique conduit à l’infanticide. Ce déni est un
mécanisme de défense contre le refus de Nadège de fonder une famille, de se représenter un
futur enfant, d’être comme sa mère, de perdre sa dépendance affective avec celle-ci et son
statut de petite fille. Il est une protection contre sa peur de trahir et d’abandonner sa famille
comme son père l’a fait. Nadège n’a pas fait le deuil de cette perte de « vie d’avant » la
séparation de ses parents, et révèle une immaturité affective fondée sur un défaut de
refoulement. L’IVG annonçait l’infanticide.
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3.4.12 Synthèse du document n° 12 : Madame T. (25)
« Violences conjugales et souffrance de l’enfant »
Madame T. avait au moins 29 ans et était née en banlieue parisienne. Elle avait vécu de
l’âge de 6 ans à 21 ans en Afrique du Nord pour ensuite repartir vivre en France avec son
mari. Elle avait trois enfants ; deux filles âgées de 8 ans et 18 mois, un fils âgé de 3 ans. De
culture musulmane, elle était la seule femme non voilée de sa famille. Elle acceptait le suivi
proposé par la psychologue de la PMI qui prenait en charge son fils à la demande urgente de
l’école, car celui-ci était « incontrôlable, très agité et perturbant considérablement la
classe ». Elle avait réalisé une IVG, pratiquée plus de huit ans auparavant, suite à un viol avec
un inconnu alors qu’elle était mariée et sans enfant.
Madame T. avait raconté son enfance durant laquelle elle avait été témoin de son père
battant sa mère, et où de l’âge de 6 à 12 ans, elle avait été victime d’inceste par un de ses
grands frères. Sa mère ne l’avait pas protégée, « prise dans la violence subie » par son mari.
Madame T. s’était mariée vers 21 ans dans le but de s’enfuir de chez elle. Depuis le début de
son mariage, elle était battue et violentée par son mari. A cette époque, elle s’était faite violée
à cause de sa tante ; celle-ci « l’aurait fait boire, et contre de l’argent, l’aurait laissée à un
homme dans un hôtel ». Madame T. avait également décidé de quitter son emploi, se sentant
sexuellement harcelée par son patron.
Madame T. exprimait le besoin de se confier à la psychologue : « Tout reste ici, n’est-ce
pas, vous ne parlez pas dehors de ce que je vous dis ? » Toute habillée de noire, elle révélait
alors une relation de couple devenue impossible par la violence physique de son mari sur
elle : « Elle évoque alors sa situation conjugale avec un mari qu’elle ne supporte plus. Elle
est victime de sa violence, et ce, depuis le début de leur relation. » Elle avouait avoir porté
plainte une fois contre lui alors qu’il l’avait brûlée au visage, plainte qu’elle avait rétractée
« […] sous la pression d’un de ses frères lui demandant de laisser une seconde chance à son
mari ».
Madame T. évoquait un sentiment de malaise suite aux retrouvailles avec le grand
frère : « Elle me précise […] ‘se sentir particulièrement mal’ depuis quelque temps, car elle a
revu un de ses frères aînés qui l’aurait agressée sexuellement dès ses six ans […]. » Elle
racontait qu’elle avait signalé pour la première fois ces violences sexuelles à sa mère l’été
précédent. Celle-ci « […] ne l’aurait pas crue et, dans une inconsciente tentative de ‘couvrir’
son fils, lui aurait rétorqué : ‘Si c’était vrai, pourquoi tu ne nous l’as pas dit avant ?’ ».
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Madame T. se sentait abandonnée par sa mère à qui elle avait courageusement confié son
secret, ne pouvant alors pas « […] imaginer le ‘conflit de loyauté’ que ses révélations allaient
susciter ». Par ailleurs, elle souffrait de sa première IVG : « Elle [la] vit encore comme une
‘plaie ouverte’, ajoutant : ‘Quand j’y pense, j’ai la haine, j’ai la honte’. »
Madame T. disait s’être confiée à l’une de ses sœurs à propos du harcèlement de son
patron et des agressions de son frère, et celle-ci « […] lui aurait répondu que c’est elle ‘qui
provoquait’ ce type de situations par son comportement et autres signaux, dont sa tenue
vestimentaire […] ». En effet, elle se sentait fautive de tous ces évènements, et notamment de
son refus de relations sexuelles par son mari : « Je me dis que c’est de ma faute, je dois
mériter ça […]. » Et sa culpabilité entraînait une attitude secrète : « Je n’ai pas le droit d’en
parler, car on va encore me le faire payer ».
Madame T. n’avait pas de désir d’enfant : « Moi, je ne voulais pas d’enfants, à chaque
fois, il m’a forcée et je suis tombée enceinte. » Après une cinquième grossesse forcée, elle
décidait de réaliser une deuxième IVG, à l’insu de son mari, et elle affirmait « […] être
certaine qu’‘un jour, elle le quitterait’. » Elle parlait alors pour la première fois de ses filles,
« […] établissant le lien avec son histoire infantile, [de] la peur que ses filles soient à leur
tour victimes de violence sexuelle des hommes, oncles de la famille notamment ». Elle
souffrait tant que son seul plaisir lui était procuré par ses enfants, « […] et que par
conséquent, elle supportait mal de venir me voir pour évoquer les soucis de son fils à
l’école ». Elle cherchait à construire une relation de confiance avec la psychologue pour
libérer sa parole et « […] faire le ménage dans sa tête ».
Selon l’auteur, Madame T. racontait sa vie avec une certaine froideur tel « […] un
automate répétant une histoire déjà maintes fois racontée ». L’auteur soulignait son apathie,
« […] la tonalité dépressive [qui] transparaît dans ses ‘non-échanges avec son enfant’ », et sa
passivité : « Madame T. m’évoque tout cela sans que je sente une réelle volonté (capacité ?)
de mettre fin à cette situation qu’elle semble subir, comme avec son fils, passivement. » Par ce
comportement, elle manifestait sa détresse : « Madame T. m’apparaît alors éteinte et triste
comme démunie vis-à-vis de son fils, débordée par le spectacle qu’il mettait en scène, nous
regardant alternativement, avec une grande passivité, espérant vraisemblablement que je
vienne à sa rescousse. »
En effet, malgré l’aveu de ses agressions à certains membres de sa famille, Madame T.
restait seule face à son histoire ; « […] répétition ininterrompue de violence subie sans avoir
jamais pu ni s’en défendre ni s’y soustraire, violence marquée par le sceau de la relation à
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des hommes maltraitants, dans des circonstances où la sexualité est mêlée à la contrainte et à
la peur. » Progressivement, Madame T. laissait exprimer sa colère au fur et à mesure de son
récit, notamment à cause de l’incrédulité de sa mère face au comportement incestueux de son
propre fils : « Le déni de la mère venait donc comme une seconde trahison, une ‘nonreconnaissance’ qui la laissait à nouveau face à sa cruelle solitude, avec une colère ‘sans
nom’, sans fond. » Dans la solitude, elle souffrait et culpabilisait de son vécu : « Démunie, ne
trouvant d’appuis, c’est avec un très fort sentiment de culpabilité qu’elle était venue déposer
ces éléments douloureux de son histoire de vie. » Elle justifiait le comportement de son mari,
« […] expliquant sa violence comme la seule réponse possible face à son refus d’avoir des
relations sexuelles avec lui ». Et comme à l’époque de sa dépression du troisième post-partum
où elle avait refusé de consulter, sa culpabilité rendait difficile l’expression de sa parole à la
psychologue : « […] elle vit ce rendez-vous comme une sorte de ‘trahison’ à l’égard de ceux
dont elle va me parler. »
Pour l’auteur, son statut permanent de victime lui était un moyen de se défendre contre
son traumatisme initial, le viol du frère, « […] avec une recherche systématique, bien
qu’inconsciente, de situations permettant à la victime de ‘rejouer’ et de tenter de se dégager,
dans le réel, de ce qui engendre une angoisse insurmontable, en lien avec un traumatisme
ancien mais non ‘digéré’ psychiquement ». Néanmoins, un mois après cette consultation,
Madame T. décidait en choisissant l’IVG de mettre fin au cycle de répétitions : « Ultime
répétition, elle retombera enceinte, à la suite (là encore) d’un rapport forcé [...] Mais cette
fois-ci, elle dira vouloir avorter _ ce qu’elle fera d’ailleurs dans le secret absolu […] ». Le
travail psychologique permettait la fin du processus de répétition : « La vie de Madame T. me
paraît receler à elle seule l’ensemble des ferments de la violence subie passivement, après
l’avoir été de façon traumatique (viol du frère), prise dans les chaînes de la répétition infinie
jusqu’à ce qu’un début d’élaboration, et donc de distanciation, puisse enfin s’amorcer. » Puis
Madame T. se satisfaisait même à exposer sa souffrance à la psychologue au point de passer
par la parole de la position de victime à agresseur : « Au plaisir masochiste de la rétention se
substituent peu à peu au fil de notre échange singulier le plaisir ‘du dire’ et celui, plus
sadique, du ‘faire subir à autrui ce que l’on a subi sans pouvoir s’en défendre’ : la violence
crue, l’effroi à l’état brut. »
Madame T. n’avait pas d’estime d’elle-même ; son narcissisme était blessé depuis
l’enfance. « Rappelons que chez l’enfant, le viol doublé de l’inceste conduit à une
‘démolition’ de son narcissisme par défaut de protection de l’enveloppe corporelle et
psychique qui a été brutalement effractée à cette occasion. C’est donc le Moi tout entier qui
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est assimilé à ce corps blessé et ‘intrusé’. » Petit-à-petit, son identité de femme se construisait
sur la peur des hommes et celle « […] de ne pouvoir, à son tour, protéger ses filles de [leur]
violence prédatrice ». Et son identité de mère se fondait sur le défaut de contenance de
l’entourage féminin, mère, tante, sœur, générant sa « […] méfiance vis-à-vis des femmes de
l’autre, avec une figure maternelle passive, absente car non-protectrice […] ».
Commentaire du vécu de Madame T.
« IVG, haine et honte : témoins d’une angoisse de l’enfance et d’une blessure
narcissique d’origine incestueuse »
Madame T. a besoin de se confier et révèle avec difficulté un viol suivi d’une IVG. Son
évocation provoque haine et honte qui prennent part à un vécu d’abandon et de souffrance
dont elle culpabilise.
Elle prend le statut de victime de violences à répétition qui lui permet de se défendre
contre son angoisse du traumatisme initial de l’enfance en essayant de la rejouer et de s’en
dégager. Son statut témoigne aussi de son absence d’estime d’elle-même et de sa blessure
narcissique construite sur l’inceste, la peur des hommes et l’absence de soutien féminin.
55
3.4.13 Synthèse du document n° 13 : Sarah (26)
« Le fantasme de magmamatrice »
Sarah avait 18 ans et vivait en France. Elle demandait un suivi psychologique en raison
d’une IVG réalisée quelques mois auparavant.
Elle avait raconté son enfance vécue auprès de sa mère, dépressive depuis la mort de
son bébé à huit mois de grossesse, peu de temps avant la naissance de Sarah : « Elle me parle
de la dépression de sa mère et de ses vécus d’enfance auprès d’une mère blessée. »
Sarah avait besoin de se confier : « Elle me parle longtemps d’elle-même […] ». Elle
avait le sentiment de ne pas avoir récupéré de son IVG : « ‘Je ne peux pas m’en remettre’ ditelle. Depuis l’interruption de cette grossesse, elle est déprimée et a le sentiment de
‘s’enfoncer lentement’. » Elle ne voyait pas d’issue à cette souffrance ayant le « […]
sentiment d’être dans une impasse ». Mais elle était certaine que l’IVG était liée à son malêtre : « Elle ne voit pas, ne comprend pas, pourquoi cette IVG a introduit chez elle cette
cassure ; pourtant elle en est sûre, ça vient de là. »
Sarah évoquait par la suite un rêve pénible datant de quelques jours après son IVG :
« Elle perd un bébé à la naissance, ça la rend très, très triste. » Elle exprimait alors son
important ressenti du deuil non fait de sa mère concernant le bébé mort à huit mois de
grossesse : « Sarah […] a le sentiment d’avoir toujours grandi avec l’impression de cette
perte chez sa mère. » Puis elle évoquait son sentiment d’avoir un peu tué ce bébé par son
IVG : « Elle revient alors sur son rêve, disant que ça n’est pas le bébé de sa mère qu’elle a
tué en faisant l’IVG mais que, quand même, ‘ça y ressemblait drôlement’. »
Selon l’auteur, Sarah déprimait, et elle réactivait sa culpabilité de n’avoir pu pallier à
l’état dépressif chronique de sa mère perçu depuis son enfance : « Sarah a repris à son
compte la dépression maternelle qui, semble-t-il, vient réveiller une culpabilité ancienne liée
à la perception de la détresse maternelle et au sentiment de ne pas réussir à la colmater, à la
combler. » En effet, la jeune femme développait une dépression à l’image de la dépression
maternelle : « Pour avoir ‘tué un bébé’ qui était à la fois le sien et celui de sa mère, elle est
devenue cette mère déprimée qu’elle a connue dans l’enfance. »
Sarah confondait son histoire et celle de sa mère, et elle culpabilisait alors de son IVG
au point de ne pouvoir l’accepter : « Au fond, il n’y avait dans cette histoire qu’un seul bébé,
qu’une seule femme et qu’une seule fécondité possible […] acte dans le réel si emprunt de
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culpabilité qu’il devient inintégrable et ouvre une faille dans laquelle Sarah s’engouffre. »
Elle fusionnait avec sa mère : « ‘Je suis cette mère déprimée, je suis ce ventre en deuil
perpétuel d’un bébé trop tôt disparu’ pourrait être l’énoncé inconscient. » « Il y a parfois un
sentiment très vif et intense […] de fusion/confusion […]. » Sarah manifestait son lien
douloureux avec sa mère par la grossesse et l’IVG : « La fécondité féminine est alors ce par
quoi le dialogue mère/fille se poursuit, prenant la chair comme support. »
D’une part, Sarah culpabilisait de sa grossesse comme c’est aussi le cas d’autres jeunes
femmes : « […] elles gardent parfois le sentiment intérieur d’avoir volé la fécondité de leur
mère, une culpabilité intense devant leur volonté intérieure de différenciation […]. » Elle
hésitait puis renonçait à se différencier de sa mère : « La question de l’IVG chez une
adolescente, confronte alors les filles à une ambivalence insondable. Elle les situe à nouveau
devant la nécessité vitale et douloureuse de symboliser une différenciation entre elles-mêmes
et leur mère. »
D’autre part, elle tentait de réparer un traumatisme maternel par sa propre grossesse :
« Lorsqu’il y a eu quelque chose d’impensé pour une mère autour de ces grossesses et de ces
maternités, les filles adolescentes s’enlisent parfois dans des tentatives désespérées de
réparation maternelle à travers leur propre grossesse. » Selon l’auteur, cette tentative de
réparation se rattachait au fantasme d’une matrice commune ayant pour support la fécondité :
« La Magmamatrice met en scène l’origine d’un vivant collectif, elle ignore la mort
individuelle (tout est ‘remplaçable’, interchangeable et sans limite). » Par cette tentative de
réparation, Sarah ne laissait pas de place à l’embryon : « Dans ce cas, l’embryon destiné à
l’IVG (‘précipité embryonnaire’) n’est que la concrétisation charnelle de ce désir de toute
puissance qui voudrait fourvoyer la mort elle-même. » Elle échouait dans cette tentative et
elle reproduisait la souffrance et le deuil maternels : « À ce niveau psychique
d’indifférenciation matricielle, le danger peut être grand, de plonger dans l’abîme de la
détresse d’une mère. »
Par la suite, Sarah différenciait les deux histoires, celle de sa mère et la sienne, afin
« […] de remettre les bébés à leur place », par les entretiens lui permettant d’accéder à sa
parole propre telle que l’expression de son rêve. Elle se réappropriait l’histoire de son IVG,
« […] afin que Sarah puisse vivre et penser son IVG de façon singulière, afin qu’elle puisse
penser au mieux le sens qu’avait pour elle la mise en place de cette grossesse et la nécessité
de son interruption au cœur même du lien à sa mère ».
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Commentaire du vécu de Sarah
« IVG et dépression secondaire ou l’échec d’une tentative de réparation d’un
traumatisme maternel révélant un lien maternel fusionnel »
Plusieurs mois après son IVG, Sarah, adolescente, demande un suivi psychologique.
Elle a besoin de se confier à propos de cette IVG dont elle est certaine du lien avec sa
dépression actuelle sans pouvoir l’expliquer.
Sa dépression reproduit la souffrance et le deuil vécus par sa mère lors de la perte d’un
fœtus de huit mois, et réactive sa culpabilité de n’avoir pu combler cette perte. Elle témoigne
de sa culpabilité d’avoir tué un bébé, le sien et celui de sa mère, de sa non-acceptation de
l’IVG, et de sa confusion/fusion entre son histoire et celle de sa mère. L’IVG est l’échec de sa
tentative de réparer un traumatisme maternel et déclenche sa dépression. Elle témoigne aussi
de sa culpabilité, de son renoncement et de son ambivalence à tenter, par la grossesse, de se
différencier de sa mère.
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3.4.14 Synthèse du document n° 14 (27)
« Le moment adolescent comme moteur de la cure d’adulte »
Yasmina
Yasmina avait 35 ans et vivait en France où son père, algérien, avait immigré. Elle
vivait seule depuis qu’elle avait quitté le père de ses enfants dix ans auparavant, celui-ci ayant
obtenu leur garde. Ses enfants étaient maintenant en période d’adolescence. Elle avait perdu
son emploi. Elle demandait un entretien avec la psychologue à l’occasion d’une démarche
dans un centre d’orthogénie pour une prise de contraception. Elle avait réalisé une IVG à
l’adolescence suite à une relation avec « le premier venu » : « tout s’est déroulé sans trop
réfléchir ». Elle avait suivi la résolution maternelle, « plus soumise à la décision de sa mère
qu’à son désir, ajoutant : ‘Et puis, c’était la honte.’ »
Elle avait raconté la séparation de ses parents alors qu’elle avait 14 ans, suivie du retour
en Algérie de son père « qu’elle vénérait », et des nombreux séjours de sa mère chez la sœur
de celle-ci. « Elle s’était sentie alors livrée à elle-même. » Elle avait évoqué son souvenir
d’une coupure d’électricité dans « l’appartement déserté par sa mère » et l’arrêt de sa
scolarité suite à des absences répétées.
Yasmina exprimait une volonté de sortir de son grand isolement par son acte d’aller au
centre d’orthogénie : « Elle évoque alors cette rencontre médicale pour une prise de
contraception qui constituait pour elle la première démarche lui ayant permis de s’extraire de
chez elle. » Elle se sentait abandonnée par ses enfants : « Elle se présente […] comme
‘accablée par l’abandon de ses enfants’. » Elle exprimait également son abattement suite à
l’action judiciaire concernant leur garde : «‘Étrangement’ dit-elle, elle ne s’est pas battue
mais s’est sentie ‘accablée’ par le résultat de la procédure. »
Yasmina constatait sa relation quasi-inexistante avec ses enfants : « Elle les a vus de
loin en loin. Ils ont alors déménagé avec leur père à une trentaine de kilomètres de son
domicile et, brusquement, elle ne les a plus accueillis chez elle. » Au moment de leur
adolescence, elle souhaitait rattraper « […] le temps perdu de leur enfance » dont elle accusait
le père : « Si d’ailleurs leur père est tenu responsable de ce rapt de temps, le temps des
retrouvailles au moment de l’adolescence de ses enfants est marqué dans son discours par ce
constat : ‘Ils m’ont abandonnée, je ne suis pas leur mère, il n’y a aucune complicité !’ » Elle
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manifestait en effet son besoin d’être estimée en tant que mère dans « […] la plainte formulée
ainsi : ‘Je ne suis pas reconnue comme une mère’ […] ».
Yasmina se disait affligée depuis la séparation de ses parents : « Passé le temps de
l’euphorie lié au sentiment nouveau extrême de liberté, le cauchemar du quotidien l’a envahie
et c’est d’ailleurs depuis qu’elle se sent ‘accablée par la vie’ », période marquant le début de
ses inquiétudes : « […] le moment de la séparation de ses parents vient indiquer chez elle la
fin de ‘l’insouciance’ […].»
Selon l’auteur, Yasmina vivait maintenant sa crise d’adolescence, déclenchée par la
période d’adolescence de ses enfants : « Yasmina pourrait-elle faire partie de ces ‘[…] futurs
adultes en crise de maturité virtuelle, quand leurs enfants devenus adolescents, réveilleront
ces incertitudes masquées’. » En effet, elle ressentait depuis longtemps un mal-être qu’elle
manifestait par une succession de cassures telles que l’arrêt de sa scolarité, l’IVG… « [qu’]
elle évoque dans une même logique de rupture en chaîne ». Elle souffrait d’une perturbation
de sa construction psychique secondaire à « la séparation des parents, le départ du père en
Algérie, père qu’elle vénérait… voici donc l’origine de son malaise et de tous les maux à
venir. ‘On lui a volé son adolescence’. » Elle ressentait un mal-être à cause de cette
adolescence manquée : « Nous voyons chez elle le souci d’un repérage du moment adolescent
dans sa difficulté de constitution puisque justement chez cette patiente, l’adolescence est
introduite par son ratage. C’est là […] que le malaise prend son origine. »
Yasmina manquait d’un soutien adulte depuis le début de son adolescence, « […] là où
le sujet s’indiquerait justement, par son absence, là où la responsabilité du sujet ne peut
s’énoncer encore que sous celle d’un Autre tout-puissant […] ». Le malaise adulte était donc
causé par un moment de sa vie adolescente : « La clinique m’a conduite à constater que les
sujets rencontrés, supposés adultes, mettent immédiatement en avant comme conséquence
logique de leur malaise, un moment de leur vie situé autour de leur adolescence où les
constructions élaborées précédemment ne tiennent plus. »
D’après l’auteur, ce malaise était aussi causée par sa maternité manquée, où le « […]
rapt de l’adolescence redoublé de celui de ses enfants […] prend un autre sens pour ce sujet
quand elle décide de se mettre au travail […]. » En effet, Yasmina se questionnait sur son
identité de femme : « […] elle s’interroge sur sa vie de femme, femme qui serait susceptible
de désirer un homme. » « Chez l’adulte femme en devenir s’opère donc un mouvement de
retour sur ce temps adolescent où s’étaient posées les questions suivantes : qu’est-ce qu’être
femme, comment devenir mère ? » Elle se confrontait de nouveau à une recherche identitaire
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de féminité et de maternité déjà questionnée et ambivalente à l’époque de son IVG : « La
problématique adolescente y est alors souvent marquée par cette potentialité à devenir mère
sans pourtant choisir de s’y confronter dans la réalité. »
Commentaire du vécu de Yasmina
« IVG, témoin d’un mal-être fondé sur un ratage de l’adolescence et du questionnement
sur la potentialité d’être femme et de devenir mère »
Yasmina éprouve un mal-être depuis la séparation de ses parents à l’adolescence.
Son mal-être se manifeste à travers une succession de cassures telles que l’IVG à
l’adolescence. Il prend son origine dans le ratage de son adolescence qui correspond au
manque de soutien adulte causé par la séparation de ses parents. Au moment de l’adolescence
de ses enfants, Yasmina revit une crise d’adolescence où elle se confronte à une recherche sur
sa potentialité d’être femme et de devenir mère, questionnement ambivalent déjà survenu à
l’époque de son adolescence et illustré par son IVG.
Justine
Justine avait 32 ans et vivait avec son petit ami en France. Elle travaillait comme
stripteaseuse et n’avait pas d’enfant. Elle acceptait un entretien psychologique suite à
l’insistance du médecin du centre d’orthogénie où elle demandait une troisième IVG. Elle
avait réalisé deux IVG sur une décision mutuelle avec son ami, surtout à sa demande à lui qui,
séparé de la mère de son premier enfant, ne voulait pas « se risquer dans une autre
paternité ».
Elle avait évoqué son enfance, où ses parents la cachaient aux autres et à ses grandsparents. Elle avait raconté la révélation faite par une tante, à ses 18 ans, sur sa naissance par
procréation médicalement assistée, révélation suivie de l’abandon de son brillant cursus
scolaire. Elle était ensuite beaucoup sortie et avait trouvé un travail de stripteaseuse.
Justine ne montrait pas clairement le besoin de voir une psychologue : « Elle n’a
jusqu’alors jamais souhaité rencontrer ‘un psy’, s’est même opposée à l’insistance du
médecin à me rencontrer. » Puis, elle lui manifestait son indécision de réaliser cette troisième
IVG : « L’indécision quant à cet acte d’interruption se poursuit […] ». Elle révélait ensuite le
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lien entre son changement de comportement et le secret levé sur son origine : « […] la
patiente évoque les ‘quatre cents coups’ dont sa vie a été animée après la révélation faite par
sa tante. » A l’aide de l’auteur, elle interprétait alors ce bouleversement comme le besoin
d’enfreindre une interdiction lui paraissant avoir été posée par ses parents, celle de se
montrer : « Elle notera la nécessité de transgresser ce qu’elle percevait comme un interdit
parental à connotation incestueuse, puisqu’on la cachait… aux grands-parents. »
Justine exprimait pour la première fois « […] son désir d’avoir un enfant de son ami, ce
qu’elle n’avait pu faire jusqu’alors ». Par la suite, elle choisissait de réaliser l’IVG, mais pour
un motif différent des précédents, pour une raison personnelle et non motivée son ami :
« Après l’énoncé de son désir, elle décidera cependant, mais ‘pour elle, cette fois-ci’,
d’interrompre la grossesse. »
Pour l’auteur, Justine cessait d’être hésitante sur sa décision ou non d’avorter, après
avoir exprimé le bouleversement de sa vie secondaire à la découverte de ses origines :
« L’indécision quant à cet acte d’interruption se poursuit jusqu’au moment où la patiente
évoque les ‘quatre cents coups’ dont sa vie a été animée après la révélation faite par sa
tante. » Depuis celle-ci, Justine s’exposait à la vue des autres : « Je lui dis : ‘Vous vous êtes
montrée’ et arrête là la séance. Au rendez-vous suivant elle associera à partir de mon
interprétation. » Justine reliait son attitude actuelle à son enfance cachée, « […] reconstruite
à partir de ce coup de tonnerre du réel [la révélation de sa tante] dont elle ne peut se
déprendre. » Le comportement de Justine à l’âge adulte révélait les failles survenues dans son
développement adolescent : « Il s’agirait alors [par le moment adulte] de tester la solidité de
cette construction adolescente ou au contraire d’en mesurer les ratages afin de tenter une
nouvelle construction […]. »
Au cours de l’entretien psychologique, Justine choisissait d’avorter une troisième fois
pour un motif différent de celui des décisions antérieures, annonçant peut-être la fin d’une
série d’IVG : « Peut-être pouvons-nous émettre l’hypothèse que cette mise au travail chez
cette femme lui aura permis de mettre différemment un terme à cette grossesse, voire
d’arrêter la répétition d’IVG dans laquelle elle s’était engagée. »
62
Commentaire du vécu de Justine
« Où l’accompagnement psychologique après la répétition d’IVG révèle un désir
d’enfant en attente d’élaboration »
Justine est indécise quant-à sa demande de troisième IVG, les deux précédentes ayant
été décidées d’un mutuel accord avec son compagnon, surtout à sa demande à lui. Elle
n’exprime pas clairement le besoin de rencontrer un psychologue à cette occasion. Par la
suite, elle découvre le lien entre son changement de mode de vie et la brusque révélation de
ses origines (PMA). Elle exprime ensuite pour la première fois son désir d’avoir un enfant de
son ami et cesse d’être indécise en décidant d’avorter.
Son comportement d’exhibition manifeste son besoin de transgresser un supposé
interdit parental de se montrer, en réponse à un vécu d’enfance cachée à cause de ses origines.
Il témoigne d’une construction adolescente peu solide, peu affirmée.
63
3.4.15 Synthèse du document n° 15 : Luna (28)
« Sexe, mensonge et trahison. De l’emprise familiale au lien fraternel effracté »
Luna avait 14 ans et vivait chez ses parents en Belgique. Elle était célibataire, sans
enfant, et avait deux frères étudiants, Joël 20 ans et Fabian 22 ans. Sa famille était très
catholique. Elle était collégienne, sa mère travaillait comme sage-femme et son père était
commissaire de police. Elle suivait une psychothérapie familiale à la demande parentale à
cause de son IVG. Elle avait réalisé cette IVG très récemment sur une décision mutuelle avec
ses parents, décision « pesée et réfléchie », sans regret des parents selon sa mère « bien qu’ils
soient tous deux philosophiquement et éthiquement contre ». Les grands-parents qui ne
vivaient pas en Belgique n’en étaient pas informés.
Luna avait évoqué l’existence d’une tante maternelle et d’une tante paternelle qui, ayant
fait la honte de leur famille respective, étaient devenues « victimes sacrificielles » de celle-ci.
Elle avait ensuite révélé les violences sexuelles subies par son frère aîné Fabian quand elle
avait 6 ans. Elle avait tenté d’en parler à ses parents, une fois à l’âge de 6 ans, une seconde
fois au moment de sa grossesse, ce qui les avait rendus incrédules.
La psychologue réalisait différentes sortes d’entretiens : mère-Luna, père-mère-Luna, mère seule, père
seul, Luna-frère. Il paraissait important de rapporter le vécu des parents lors de leurs entretiens :
La mère de Luna paraissait stricte comme son mari, et maîtresse d’elle-même. Elle était
effondrée par la grossesse et l’IVG de Luna. Elle pensait que cette grossesse était issue d’un
manque de confiance et de communication réciproque sur les relations sexuelles de sa fille,
qu’elle aurait ainsi pu lui déconseiller. Les parents de Luna étaient aussi très inquiets de son
insouciance « […] ‘alors qu’elle devrait tirer les leçons de ce qui lui est arrivé et se mettre à
travailler pour l’école’, où ses points sont en train de chuter ». Finalement, ces parents
aimants et à la moralité irréprochable vivaient la grossesse et l’IVG de leur fille comme un
drame, un évènement honteux inacceptable. La mère de Luna la considérait peu digne d’être
sa fille comme elle pensait être elle-même une mère indigne à ses yeux.
En racontant leur enfance, les parents de Luna prenaient conscience du statut de leurs
sœurs : « Ils parlèrent du processus d’exclusion qui avaient présidé au rejet de leur sœur
respective (deux tantes de Luna) dont ils découvrirent avec émotions la position de victime
sacrificielle. » A ce sujet, la mère de Luna était marquée par la ressemblance physique de sa
fille avec cette sœur, ce qui lui faisait constater que Luna « […] n’avait aucun point commun
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avec elle [sa mère] ». Les deux parents vivaient donc « […] un lien fraternel effracté […] »
causée par la honte.
En raison de son enfance malheureuse et close, le père de Luna « […] poussait donc ses
propres enfants pour s’armer dans la vie, à transgresser. Mais il pensait aussi que lorsqu’on
a pu s’offrir le luxe de transgresser, on doit en sortir raisonnable et grandi ». En raison de
son enfance sans communication familiale, la mère de Luna « […] devait offrir à ses enfants
un espace de dialogue, de partage, témoin d’une confiance dont elle avait tellement manqué.
Inconsciemment, elle devenait de plus en plus contrôlante et étouffante [...] ». Les deux
parents utilisaient donc des « […] stratégies réparatrices […] pour restaurer leur propre
blessure du passé » en tenant un double discours sur la transgression. Ces stratégies
d’adaptation à une emprise familiale passée devenaient violentes au point de reproduire
l’exclusion de leurs sœurs dans le rejet de Luna, de « […] rejouer un drame de leur enfance
en s’offrant une lutte masquée passant par l’exclusion de Luna ». Les parents niaient la
souffrance infligée à leur fille.
Fin du vécu des parents
Luna, habillée en style gothique, souffrait depuis l’épreuve récente de sa grossesse et de
l’IVG. Elle exprimait le besoin de voir ses amis et de profiter de la vie : « Elle dit qu’elle a
vécu des moments très durs et qu’elle a besoin de voir les amis et amies qui l’ont le mieux
aidée à traverser cette épreuve. » Elle évoquait la douleur de ses parents : « […] elle clame
son envie de vivre et de s’amuser et dit qu’elle a souffert et souffre encore, mais que ça, ses
parents ne veulent pas le voir, qu’ils ne voient que leur souffrance à eux. » En effet, elle
insistait sur son sentiment d’être mieux comprise par ses amis que par sa famille, sauf l’un de
ses frères : « Luna se dit proche du plus jeune et décrit l’aîné comme très éloigné d’elle, et
‘pensant comme ses parents’, c’est-à-dire incapable de la comprendre. »
Luna décrivait son père comme une personne très stricte, « […] encore plus dur que sa
mère ». Elle rejetait l’idée d‘avoir un entretien en présence de ses parents ou d’être vue avec
sa mère dans la rue : « Elle refuse de sortir aux côtés de sa mère et marche 50 m derrière elle
pour éviter qu’on les voie ensemble […]. » Appelant ses amis sa deuxième famille, elle
percevait qu’une distance s’installait entre elle et ses parents : « […] elle sent qu’elle est en
train de perdre ses parents ».
Elle racontait ensuite un cauchemar quotidien et angoissant : « Un homme entrait dans
sa chambre. Il était grand, portait une grande cape noire et avait des cheveux gominés et
coiffés un peu à la manière de son père. Il se dirigeait vers elle, ouvrait sa cape... on pouvait
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alors entrevoir un fœtus ensanglanté que l’homme essayait ensuite de donner à Luna. » Puis,
elle cessait de faire ce rêve : « Elle m’a seulement répondu que ce n’était pas son père qui
rentrait dans sa chambre. Peu après, les cauchemars ont cessé. » Elle exprimait un sentiment
de solitude et d’exclusion. Elle révélait aussi que « […] le garçon dont elle avait été enceinte
s’appelait…Fabian […] ».
Luna était perçue comme différente par ses parents, ce qu’ils acceptaient mal : « Bien
qu’ayant souvent travaillé avec des situations violentes, j’ai rarement vécu dans une famille
ce moment précis où s’installe et s’amplifie cette perception de la différence chez un patient
désigné […] ». Luna était alors l’objet d’un mécanisme de persécution de ses parents qui
l’excluait progressivement de la famille : « […] le sentiment d’ostracisme et de rejet de la
différence par les parents les pousse à essayer d’anéantir, d’écraser, d’exclure par des
moyens parfois très subtiles et pervers ces aspects de leur enfant qu’ils ne peuvent accepter. »
Luna entretenait son côté provocant et extraverti : « De son côté, elle renforce cette différence
[…]. » De l’autre, elle souffrait de sa situation d’étrangère aux yeux de ses parents : « Elle me
semble en train d’endosser une position de ‘victime sacrificielle’ dont elle essaye pourtant
par tous les moyens de se débarrasser […]. »
Pour l’auteur, Luna se libérait d’un fardeau en racontant son cauchemar : « L’entretien
individuel a été une espèce de séance cathartique où elle est comme venue me ‘déposer’ un
cauchemar […] ». Par ce rêve à caractère incestueux, Luna manifestait probablement sa
culpabilisation par ses parents. D’ailleurs, ils s’accusaient mutuellement : « Les entretiens
avec les deux parents et Luna furent, comme prédits par Luna, une véritable catastrophe où
violence, haine, culpabilisation et messages paradoxaux fusèrent. » Luna était diabolisée par
ces attaques : « Ce n’était plus la Luna que je connaissais, dont on me parlait et qui se
trouvait face à moi mais un être possédé par le Mal. » En revanche, Luna était soutenue par
son frère Joël : « Les entretiens de fratrie permirent à Joël et Luna de se mettre à coopérer, ce
qui témoignait déjà, me semble-t-il d’une réelle capacité du système à se mobiliser. »
Luna déclenchait la culpabilité parentale : « Le mythe de l’irréprochabilité est attaqué
par cette double transgression (grossesse + avortement) et le système entre en crise ; il va se
rigidifier, se fermer, le mythe familial devenant omnipotent […]. » Cette culpabilité réactivait
une blessure narcissique familiale, la culpabilité de l’inceste dénié de Luna : « On peut faire
l’hypothèse que la grossesse ait ravivé les émotions négatives associées à l’abus sexuel
fraternel non seulement chez Luna mais aussi chez tous les membres de sa famille. Lorsque la
grossesse et son interruption apportèrent leur lot de souffrance et de culpabilité, les émotions
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devinrent trop intenses pour être contenues. » La famille avait donc consulté suite à la double
transgression de Luna et la culpabilité réactivée de ses parents : « Cette charge émotionnelle
vint questionner, avec insistance, ce secret bien verrouillé et amena la famille à consulter un
thérapeute. »
Luna subissait le mécanisme de défense de ses parents contre leur culpabilité : « D’une
part, cette histoire montre comment à partir du lien effracté par une violence sexuelle
fraternelle déniée, une famille devient capable, pour se protéger de l’indicible, de projeter sa
pathologie sur la victime elle-même. Celle-ci devient alors chargée des souffrances et d’un
poids qui n’est pas le sien mais qu’elle prend sur elle. » En fait, Luna devenait la victime des
violentes stratégies d’adaptation de ses parents à leurs propres blessures d’enfance : « […]
l’obligation d’une revanche par rapport à ce que [ses parents] ont subi de violent dans le
passé prenait la forme d’une ‘revendication destructive’ à l’égard de Luna ; la soumission à
ces modèles réparateurs devenant pour elle le prix à payer pour conserver une appartenance
familiale. » Elle voyait dans leur comportement une double trahison ce qui avait sur elle un
effet d’exclusion déstructurant : « Plus la mère est dure avec Luna, plus le père l’encourage à
transgresser, ce qui pousse la mère à être encore plus dure. Officiellement, le père soutient sa
femme et Luna se sent doublement trahie et abandonnée. Luna est prise au piège d’un jeu
relationnel qui l’entraîne dans une spirale totalitaire, violente, intolérante et qui pousse à
l’exclure. ».
Au cours de la psychothérapie, en plus de sa révélation d’avoir été enceinte d’un garçon
nommé Fabian comme son frère aîné, Luna communiquait de mieux en mieux avec ses
parents devenus capables d’aborder l’inceste de leur fille par leur fils aîné : « Alors que la
solidarité familiale fut réintroduite dans le respect des différences, d’abord entre Luna et
Joël, puis entre les parents et que le dialogue se renoua, un secret jusqu’alors bien enfoui
refit surface. » « La mémoire familiale était relancée. La loi du silence était levée. »
67
Commentaire du vécu de Luna
« Persécution parentale et souffrance après l’IVG : révélation d’un secret familial »
Depuis sa grossesse adolescente et son IVG, Luna se sent incomprise par ses parents.
Alors qu’elle est consciente de leur douleur, elle souffre d’être rejetée et persécutée par eux.
Par ailleurs, elle cesse de faire un cauchemar répété et de caractère incestueux après l’avoir
décrit à la psychologue. Ce rêve illustrerait la façon dont les parents de Luna la culpabilisent
en se déchargeant sur elle de leur propre culpabilité
La culpabilité des parents est secondaire à la double transgression grossesse + IVG. Elle
réactive leur culpabilité de l’inceste dénié de Luna, et déclenche leurs mécanismes de défense
qui provoquent la persécution de Luna en la rendant progressivement étrangère à leurs propres
yeux, en faisant d’elle une victime sacrificielle.
68
3.4.16 Synthèse du document n° 16 : Nouria (29)
« La persécution maternelle primaire »
Nouria était d’origine algérienne et vivait en France avec son mari et ses trois filles. Elle
avait elle-même deux sœurs aînées et était musulmane. Elle travaillait comme assistante
dentaire tandis que son mari était technicien. Avec lui et sa dernière fille Sarah âgée de un
mois, elle rencontrait une psychanalyste à la demande de son psychiatre, pour elle et pour
Sarah « qui ne dort pas, pleure tout le temps et refuse aussi bien le sein que le biberon ».
Nouria avait décidé seule deux IVG successives entre la naissance de sa deuxième et de sa
troisième fille parce qu’elle n’avait jamais voulu d’enfant et « qu’elle ne pouvait supporter
aucune contraception ». Son mari en était informé.
Elle avait raconté le refus de son père d’avoir des filles : il avait fait scandale à la
naissance de l’aînée, il avait disparu plusieurs mois à la naissance de la seconde, il avait
abandonné sa famille et immigré en France à la naissance de Nouria. Elle avait expliqué
l’échec de sa mère à la faire avorter par tous les moyens, puis son refus de la laver, de
l’habiller, de la bercer. Elle avait raconté la prostitution de sa mère ensuite rejetée par toute sa
famille, son immigration en France à l’âge de 7 ans avec ses sœurs, puis la poursuite des
maltraitances et des reproches maternels : « C’est à cause de toi que nous vivons dans la
misère. » Nouria avait ensuite connu le décès de sa mère d’un cancer, puis sa prise
progressive d’indépendance à 16 ans. Elle avait expliqué la naissance de sa fille Sarah née
dans un état de mort apparente qui avait nécessité une hospitalisation de 17 jours en
réanimation néonatale.
Nouria ne supportait aucune contraception : « […] Tous les ennuis de contraception
sont arrivés, les bébés avec, et la naissance de Sarah qui a été l’acmé de sa vie de mère. »
Ainsi, elle se tourmentait à chacune de ses grossesses et attendait de son mari qu’il prenne la
décision de sa poursuite ou de son interruption, « […] mais le mari –comme il le dit luimême– ‘respecte son choix’, il la laisse donc prendre seule la décision ». A la question de la
possibilité d’avorter, Nouria niait avoir réalisé des IVG sous prétexte que sa religion l’en
empêchait : « ‘C’est défendu par le Coran.’ En fait, comme ils me laissent le compte-rendu
d’hospitalisation (du bébé), je vois une trace d’effaceur blanc sur une ligne qui commence
par 3e pare – et sous le blanc on lit ‘5e geste’. »
Nouria soulignait qu’elle n’avait connu qu’une période heureuse dans sa vie, celle où
elle vivait seule : « Ces années-là furent ‘le paradis’, disait-elle. Sans famille, sans cris, sans
69
disputes, sans insultes, sans soucis. » De plus, Nouria n’avait jamais voulu d’enfant : « […]
elle a rencontré celui qui allait devenir son mari, à qui elle a dit qu’elle ne voulait pas
d’enfant. Sa réponse a été : ‘Comme tu veux’, comme d’habitude. » Et elle ne voulait pas de
troisième enfant auquel elle s’identifiait : « La mère me raconte qu’elle ne voulait surtout pas
de troisième enfant parce qu’elle est elle-même la troisième de trois filles. »
Nouria vivait sa troisième maternité comme un cauchemar : « […] pendant la
grossesse, elle avait l’impression d’avoir un gros caillou dans le ventre, l’accouchement fut
une horreur, et l’hospitalisation de Sarah l’obligea à venir tous les jours dans cet hôpital qui
la rendait folle. » Durant la période d’hospitalisation de Sarah, elle voyait des signes partout :
« Lorsqu’elle arrivait et qu’elle trouvait une place libre sur le parking, elle savait que c’était
pour elle. Tout lui parlait. Tout avait un sens bizarre, les feux passaient au rouge pour
l’empêcher d’y aller […] ». A cause de certains signes, elle culpabilisait de son non-désir
d’enfant et de ses IVG : « […] s’ils [les feux] passaient au vert, c’est pour lui rappeler
qu’elle ne voulait pas d’enfant, ce qui était ‘péché’ (le vert, la couleur de l’islam, qui la
culpabilise). » Elle avait consulté pour des troubles du sommeil et prenait un traitement pour
ces interprétations de signes : « Ce n’est qu’après avoir été chez son médecin généraliste,
parce qu’elle ne pouvait pas dormir, qu’elle a été orientée vers un psychiatre. […] Depuis,
elle prend des médicaments qui la mettent dans un état étrange, mais au moins elle ne voit
plus tous ces signes partout […] ».
Nouria exprimait une agressivité envers son bébé pleurant beaucoup mais qui pouvait se
calmer aux explications de la psychanalyste : « La mère me dit d’un air soupçonneux : ‘C’est
bizarre : quand c’est moi qui lui parle, elle pleure encore plus’. » Elle confiait son désarroi
face à la lourde prise en charge de Sarah au point d’en préférer sa mort : « ‘De toute façon,
dit-elle, ç’aurait été mieux si elle était morte’, elle lui donne trop de travail trop de soucis,
trop d’examens à faire encore : neurologiques, ophtalmiques, infectieux. »
Selon l’auteur, Nouria attendait à chacune de ses grossesse un ordre de son mari pour
avorter : « [elle] a harcelé son mari dans l’attente d’une décision de sa part (‘Fais-toi
avorter !’) » Elle culpabilisait de ses IVG et se déchargeait sur la psychanalyste en lui
donnant le dossier qui en portait la preuve : « Les parents étaient venus me voir en fait, pour
se débarrasser du compte-rendu d’hospitalisation et plus particulièrement de ce qui était
recouvert par le blanc [effaceur] : la faute morale de la mère. En effet, ils ne viendront pas au
rendez-vous suivant et je ne les reverrai plus jamais par la suite. »
70
Pour l’auteur, Nouria définissait comme un moment de paradis son isolement familial
qui
correspondait
à
un
mécanisme
de
défense
archaïque
contre
les
carences
environnementales de son enfance, et qui aggravait la gélation de son individuation et de son
accès à la différence des sexes : « Le processus de maturation de la psyché ne suffit pas à lui
seul, pour que l’infans parvienne à devenir un individu. Encore faut-il un environnement qui
facilite cette individuation. Ce gel ne le permet pas. »
Nouria était traitée pour une psychose : « En fait, elle a fait une psychose puerpérale,
dont personne ne s’est aperçu, tout le monde s’occupant de Sarah […] et non d’elle. » Elle ne
reconnaissait pas les besoins du bébé, elle n’acceptait pas ce bébé : « Elle est psychiquement
sourde aux besoins de sa fille et elle ne peut même pas accepter qu’elle puisse avoir des
besoins. […] Sarah est de trop. » Elle était violentée par son bébé à cause de son propre
déséquilibre identitaire causé par l’absence de son propre père et la discordance entre ses
propres parents : « Lorsque le conflit œdipien est mal élaboré chez la mère, s’installe dans la
famille un mode de relations fait d’exigences maternelles surmoïques auxquelles l’enfant ne
peut répondre : il est de toute façon récusé comme insuffisant. Ces mères sont gravement
agressées par leur bébé qui ne peut être investi que comme une terrible catastrophe. » De
plus, Nouria se sentait attaquée par son bébé à cause de son statut féminin responsable de tous
ses malheurs : « L’être féminin est déjà une tare dès la naissance, une ‘faute’, que l’enfant
doit expier à travers les propos et gestes agressifs dont il est l’objet. Il est l’‘objet’ de la
honte, transmise d’une génération à l’autre, le morceau de chair immonde, dont il faut se
débarrasser au plus vite. »
Par ses maternités, et en raison de son non-accès à la différence des sexes, Nouria
réactivait sa passivité agressive ; passivité dans l’attente désespérée d’être aimée de sa mère,
« […] assimilée au ‘devoir’ de l’enfant envers sa propre mère, dette morale par la
reconnaissance de laquelle il espère toujours se faire ’aimer’, espoir perpétuellement déçu »,
agressivité née de la souffrance infligée par sa mère qui jouissait « […] de pouvoir, enfin,
faire souffrir l’autre, l’infans, celui qui ne parle pas et ne peut rien en dire […] ». A cause de
la réminiscence de cette souffrance, Nouria n’avait aucune empathie envers son bébé : « C’est
peu dire que ces femmes n’ont pas accès aux sentiments maternels. Elles ont une haine tenace
pour celui qui les a éjectées du paradis de leur ‘gélation’, qui rend possible le dégel et, avec
lui, toute la souffrance qu’elles avaient pensé pouvoir fuir. » Nouria reproduisait
inconsciemment une persécution maternelle primaire transmise de génération en génération :
« Ces mères ne voient d’autre continuité avec l’enfant que celle de l’expiation, de la
répétition qu’elles infligent sans même faire la relation avec leur propre vécu d’enfant. »
71
Commentaire du vécu de Nouria
« Culpabilité d’IVG répétées et psychose puerpérale : culpabilité d’un non-désir
d’enfant et carences environnementales de l’enfance »
A cause de ses deux IVG, Nouria se sent coupable d’une faute morale, elle les garde
secrètes et se débarrasse implicitement de leur preuve au cours de l’entretien psychanalytique.
Après son troisième accouchement, elle voit des signes, dont certains la culpabilisent de ses
IVG et de son non-désir conscient d’enfant. Elle vit sa troisième maternité comme un
cauchemar, elle est agressive envers son bébé, ne répond pas à ses besoins et souhaite sa mort.
Elle est traitée pour une psychose puerpérale.
La psychose de Nouria révèle une absence de sentiment maternel qui a pour origine la
passivité agressive de son enfance réactivée par sa troisième et dernière-née. Cette crise
psychotique témoigne de la répétition d’une persécution maternelle primaire transmise de
génération en génération, basée sur sa honte du statut féminin, sur sa construction identitaire
perturbée par les carences environnementales de son enfance, la gélation de son individuation
et de son accès à la différence des sexes : Le bébé est alors jugé insuffisant par sa mère, objet
de honte et responsable de ses malheurs.
72
3.4.17 Synthèse du document n° 17 : Madame P. (30)
« Psychothérapie d’une maman trop attentionnée : un syndrome de Münchhausen par
procuration »
Madame P. vivait en France avec son mari et ses deux fils. Mère au foyer, elle avait une
formation de secrétaire tandis que son mari était militaire. Suite à ses révélations d’inceste
subie dans l’enfance, elle acceptait une prise en charge demandée et assurée par la
pédopsychiatre de son fils cadet Adrien, cinq ans et demi, suivi depuis deux ans pour
encoprésie. Quelques mois avant
le début de la psychothérapie, suite à un « oubli de
contraception », Madame P. avait réalisé une IVG sur décision mutuelle avec son mari, pour
pouvoir accompagner sa sœur malade dont ils venaient d’apprendre qu’elle était mourante.
Environ trois ans après, alors que la psychothérapie se poursuivait, elle avait réalisé quatre
IVG, secondaires à des grossesses provoquées dans le but d’être interrompues.
Madame P. avait raconté son enfance marquée par les violences, les vols, les multiples
examens génitaux que lui avait imposés sa mère, ces derniers pour vérifier l’absence de signes
de masturbation, interdit maternel que Madame P. transgressait. Elle avait été victime
d’inceste par son grand-père. Elle avait aussi évoqué les relations conflictuelles de ses
parents, ses automutilations génitales, son mariage avec l’ancien ami de sa sœur, et ses idées
obsessionnelles sexuelles. Elle avait dépeint sa deuxième grossesse comme non désirée mais
réalisée pour sa mère et son mari qui voulaient une fille. Cette grossesse a été vécue comme
une réussite « là où sa sœur échoue [par une fausse-couche] », puis elle a fait l’objet de
tentatives d’avortement par masturbations traumatiques. Madame P. avait également décrit un
comportement maltraitant envers ses deux fils.
Au début de la psychothérapie, Madame P. exprimait d’abord une grande culpabilité
envers sa sœur mourante. Puis, elle évoquait sa soumission aux désirs de son fils cadet :
« Madame […] le laissait tout décider : son régime (trois biberons lactés, plus des sucreries),
ses heures de sommeil, ses activités... » Elle abordait ensuite dans les pleurs l’inceste de son
enfance : « C’est alors qu’elle évoqua devant moi avoir subi des attouchements de la part de
son grand-père maternel pendant une grande partie de son enfance : c’était la première fois
qu’elle en parlait à quelqu’un. »
Au cours du suivi, Madame P. avouait simuler la constipation d’Adrien auprès du
médecin. Elle exprimait le besoin de faire des lavements à Adrien pour pouvoir le dominer et
lui faire subir ce qu’elle avait souffert tout en lui espérant une « […] meilleure enfance […] ».
73
Elle tenait son fils responsable de ce qu’elle était : « J’espère un jour pardonner à Adrien ce
qu’il m’a fait devenir. » De plus, elle provoquait l’entorse de cheville de son fils par une chute
dans les escaliers, et sa déshydratation sévère par une privation de boisson suite à une gastroentérite. Elle racontait marcher avec lui sur la balustrade du balcon au dixième étage, mais
aussi lui faire avaler un médicament pour le protéger de son désir à elle de le masturber :
« elle lui fait prendre sous l’appellation de ‘vitamine’ un comprimé d’un antidépresseur […].
Elle me téléphone immédiatement après […]. »
Madame P. souffrait de masturbations compulsives, exprimait des idées suicidaires et
culpabilisait de ses fréquents fantasmes sexuels. Dans l’un d’eux, « elle subit un viol, donc
doit faire une IVG, puis elle a un cancer utérin. Les médecins et sa mère se penchent sur elle.
Elle meurt ». Par ailleurs, elle disait ne jamais prendre sa pilule contraceptive et déclencher
des conceptions dans le but délibéré de réaliser des IVG : « Ces passages à l’acte maltraitants
[…] alternèrent avec quatre IVG, à la suite de conceptions volontairement provoquées. »
Madame P. désirait maîtriser son corps qu’elle n’acceptait pas : « je n’aime pas mon
corps, je ne supporte pas qu’on s’en occupe directement, je veux que ce soit par
l’intermédiaire d’un bébé ». Elle exprimait également un sentiment de terreur et de rage
provoqué par un vide intérieur, notamment lié à son fils cadet qui grandissait et devenait
autonome : « Quand Adrien est là, tout reprend sa place à l’intérieur de mon corps ».
Madame P. se sentait habitée par sa mère : « Les pensées de ma mère sont tellement
ancrées en moi, que je ne peux pas faire la différence entre elle et moi. » Elle en attendait un
amour légitime après la mort de sa sœur : « J’ai tant espéré recevoir l’amour de ma mère
après le décès d’Hélène. Cela me revenait de droit. Après trois ans, tout est fini de mes
espoirs. » Elle éprouvait le besoin de culpabiliser pour aider sa mère : « Si je vais mieux, si je
me sens moins coupable, cela l’accuse, je la trahis. Je fais alors un acte mauvais pour
pouvoir m’accuser, me faire accuser, souffrir, et la sauver. » Elle refusait des relations
sexuelles avec son mari car « il penserait que tout va bien, et ‘donc’, se détournerait d’elle. »
Madame P. se considérait comme une mauvaise mère, « […] voyant Adrien grandir,
s’autonomiser, me rappelant chaque jour qui passe mon échec de mère ».
Selon l’auteur, Madame P. souffrait d’un syndrome de Münchhausen par procuration,
forme rare de maltraitance de l’enfant, double ou simple : « […] on pourrait considérer son
comportement comme un syndrome de Münchhausen ‘simple’: elle provoquait sciemment des
conceptions pour avoir des IVG et exhibait un comportement de folie pour conserver des
soins de la part d’un psychiatre […]. » Elle voulait protéger la vie de son fils, elle
74
culpabilisait et avouait systématiquement aux soignants ses passages à l’acte maltraitants :
« En effet, rendre son fils malade est rapidement passé au second plan par rapport à son
objectif premier : ‘Je veux qu’on SACHE... ... que je suis COUPABLE... de faire subir à mon
enfant... ... donc d’avoir subi, enfant...’ ». Elle utilisait son fils et ses fœtus pour attirer
l’attention des médecins, du juge ou de sa mère sur elle : « […] elle cherchait à se montrer
délinquante pour attirer l’attention du juge utilisant […] une de ses ‘productions’, enfant né
ou à naître ». « La mère donne procuration à son enfant pour être malade et ‘soigné’ à sa
place ». Madame ne pouvait pas envisager la maternité au-delà de soins physiques pour le
bébé, elle vivait un clivage psychique entre son état de mère en détresse et celui de mère
dangereuse : « La véhémence de son appel au secours pour protéger son enfant, la prise de
conscience [par l’auteur] de ce clivage absolu qui lui fait oublier que cette mère follement
dangereuse, c’est elle-même, dessillent enfin mon esprit. »
Madame P. avait des obsessions sexuelles, et la phobie des mots évoquant le corps et la
sexualité : « Ses relations à son corps étaient marquées par ces abus précoces. » Elle
considérait son fils cadet comme une partie de son corps : « Il lui semblait évident,
puisqu’Adrien était elle, qu’il devait d’abord être réellement malade et violenté. » Elle le
détestait : « […] Adrien était la partie haïe d’elle-même, représentant en même temps sa mère
et son grand-père abuseur, son premier persécuteur […]. » S’identifiant à l’agresseur, elle le
soumettait à ses désirs : « Elle lui demande d’être son ‘complément narcissique’, totalement
soumis à ses désirs, comme elle l’était à ceux de sa mère. » Devenu victime, elle s’identifiait
alors à lui et le protégeait « […] pour pouvoir réparer son enfance à elle ».
Madame P. culpabilisait de son enfance : « […] de manière très culpabilisée et très
fugace, elle [pleurait] sur la petite fille qu’elle avait été. ». Elle était jalouse de sa sœur et en
culpabilisait également : « sa culpabilité vis-à-vis de sa sœur était majorée par […] le plaisir
qu’elle avait ressenti lors de sa maladie, enfin Hélène allait ‘rater’ quelque chose ! » Elle
utilisait son fils et ses fœtus pour se faire pardonner : « D’une manière très archaïque, elle
pense qu’Hélène réclame un sacrifice humain. Pour ‘payer sa dette’, elle va lui offrir des
morceaux d’elle-même (Adrien et des fœtus) en holocauste pour l’apaiser. » De plus,
Madame P. voulait faire preuve d’une loyauté inébranlable envers sa mère par le biais de la
culpabilité : « […] confondant cause et conséquence, sentiments et actes commis, il lui faut
maintenir un haut taux de culpabilité réelle. » Enfin, elle doutait de l’amour de son mari :
« Cela augmente son mépris et son désir de jouer avec ses limites à lui, pour vérifier, encore
et encore, s’il tient vraiment à elle. » Elle attirait son attention par l’intermédiaire de son fils
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et ses fœtus, elle réalisait « […] les actes secrets de rétorsion contre les ‘biens’ de son mari
(son fils, ses fœtus, sa femme ou son argent). »
Madame P. tentait de maintenir son équilibre psychique au prix d’une angoisse
relationnelle permanente avec sa mère, son fils, son mari, ses thérapeutes et le juge. Et
lorsqu’elle devenait plus maltraitante, « […] nous recherchions ensemble une baisse de
tension, un vide dans sa vie (par exemple, l’annonce par un des pédopsychiatres que le
signalement au procureur avait été classé) […] ». Elle avait un comportement masochiste,
elle était dans un état de perversion narcissique, « […] fruit et racine de l’inceste […] » :
« elle en avait l’incapacité affective et l’intelligence dans l’emprise, le déni des différences,
des limites et des lois, l’érotisation de la peur et du secret, la jouissance au détriment de
l’autre, l’alternance de maîtrise et de soumission qui tiennent lieu de tendresse et d’intimité,
impossibles. » Elle sortait lentement de la relation perverse avec son fils à l’aide de la
psychothérapie.
Commentaire de Madame P.
« IVG préméditées et syndrome de Münchhausen, ou une perversion narcissique
d’origine incestueuse »
Madame P. prémédite ses quatre dernières conceptions pour avoir des IVG, la première
ayant été décidée avec son mari. Leur but est de réaliser un sacrifice pour sa sœur décédée en
réparation de la jalousie qu’elle a eue envers elle, d’attirer l’attention de son mari sur ses
fœtus et donc sur elle parce qu’elle doute de son amour. Cette violence lui permet également
de maintenir sa culpabilité pour rester loyale à sa mère dont elle espère recevoir de l’affection.
Elle provoque aussi des passages à l’acte maltraitants sur son fils.
L’aveu de ces actes attire l’attention sur elle et révèle son désir de faire connaître ce
qu’elle a subi enfant pour être aidée. Elle souffre d’un syndrome de Münchhausen.
Elle vit dans un état de perversion narcissique, fruit et racine de l’inceste, autorisant
seulement la maîtrise ou la soumission, générant un masochisme, une incapacité affective,
sans reconnaître les différences, les lois, autrui. Son équilibre psychique est assuré au prix
d’une angoisse entretenue avec son entourage.
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3.4.18 Synthèse du document n° 18 : Madame A. (31)(32)
« Deuil périnatal : Transmission intergénérationnelle »
Madame A. avait 55 ans et vivait avec son mari. Elle avait une fille et plusieurs petitsenfants. Elle consultait son gynécologue en raison de bouffées de chaleur. Elle avait réalisé
une IVG il y a 28 ans, sur la décision de son mari qui « l’a obligée à se faire avorter de sa
seconde grossesse parce qu’il ne voulait pas d’un second enfant ».
Madame A. exprimait son incompréhension d’être interdite par son gendre de revoir à
tout jamais sa fille : « Est-ce que vous trouvez normal, Docteur, que je ne puisse pas rendre
visite à ma fille et à mes petits enfants et ce, depuis la naissance de son premier fils ? » Elle
tergiversait avant de raconter l’origine de ce rejet : « Avec beaucoup d’hésitations, elle
raconte […] » :
En apprenant l’accouchement de sa fille, Madame A. s’était empressée de lui rendre
visite et de s’approprier le bébé : « Dès son entrée dans la chambre, elle se précipite vers le
berceau, s’empare du bébé en s’écriant : ‘Mon enfant !’ » Elle s’était ensuite effondrée en se
séparant du nouveau-né : « Son beau-fils la regarde un moment interloqué puis il se lève pour
reprendre l’enfant. Mme A. lui résiste un moment puis finit par s’écrouler en pleurs. » Elle
s’était aussi appropriée secrètement cette grossesse : « A l’occasion d’une autre consultation,
Mme A. raconte qu’elle a vécu chaque étape de la grossesse de sa fille comme si c’était la
sienne, allant même jusqu’à préparer en cachette des affaires pour son bébé. »
Madame A. révélait ensuite son IVG.
Selon l’auteur, Madame A. vivait l’IVG comme une perte : « Interrogée sur
l’éventualité d’une perte, elle confie que son mari l’a obligée à se faire avorter de sa seconde
grossesse parce qu’il ne voulait pas d’un second enfant. » Elle était en deuil périnatal : « Par
deuils périnataux, il faut entendre tous ceux qui résultent des pertes qui font suite à un
diagnostic de grossesse qui a enclenché le processus du devenir mère ou du devenir père. »
Elle vivait un deuil prolongé au point de le transmettre sur un mode transgénérationnel : « Il
ne sera question ici que de la transmission aux générations suivantes de deuils périnataux
insuffisamment résolus. »
Madame A. transmettait et manifestait son deuil à travers le syndrome de l’enfant de
remplacement. « Cela ne veut pas dire que tous les enfants nés après la mort d’un frère ou
d’une sœur sont des enfants de remplacement. » Elle projetait ses représentations de l’enfant
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perdu sur son petit-fils : « […] le comportement de Mme A. […] montre l’extrême vivacité
que les représentations d’une mère endeuillée peuvent avoir de son enfant et la puissance que
leur projection peut exercer sur l’enfant suivant ou un enfant de la troisième génération. »
Cela provoquait alors une rupture des relations affectives intergénérationnelles.
Commentaire du vécu de Madame A.
« Syndrome de l’enfant de remplacement et rupture familiale suite à une IVG forcée et
vécue comme un deuil périnatal transgénérationnel »
Madame A. s’est appropriée la grossesse de sa fille. Après l’accouchement de celle-ci,
elle s’est emparée de ce premier petit-fils en le désignant comme son enfant, provoquant une
réaction de rejet de son gendre et une rupture de leurs relations. Elle ne comprend pas
l’attitude de son gendre, et elle raconte cette histoire après beaucoup d’hésitations. Puis elle
révèle son IVG réalisée il y a 28 ans sur l’obligation de son mari.
Cette IVG est vécue comme une perte, responsable d’un deuil périnatal inachevé,
transmis sur le mode transgénérationnel sous la forme d’un syndrome de l’enfant de
remplacement.
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3.4.19 Synthèse du document n° 19 : Madame B. (33)
« La mélancolie résiste bien à l’épreuve du temps »
Madame B. vivait en France avec son mari. Elle avait quatre enfants. Elle était suivie et
fréquemment hospitalisée en psychiatrie depuis cinq ans en raison d’une mélancolie
diagnostiquée suite au suicide de sa belle-sœur. Elle avait réalisé une IVG « il y a bien
longtemps ».
Elle avait raconté qu’elle était fille unique et qu’elle avait été élevée par sa grand-mère
maternelle décédée vers ses 5 ans.
Madame B. voulait que son couple ressemblât à celui de ses parents, « […] son objectif
étant bien sûr de réaliser avec son mari un couple uni […] ‘comme ses parents’ ». Elle
exprimait « […] qu’elle étouffait son mari […] ». Puis, elle découvrait que son mari la
trompait. Elle se confiait alors beaucoup à sa belle-sœur. Elle parlait d’elle en disant : « Je
l’aimais […] ». Après le suicide de celle-ci, Madame B. avait le sentiment d’être morte,
enterrée et elle déclarait : « ‘C’est mort en moi. Mon corps est mort du bas, le bassin, les
jambes.’ Elle formula aussi cette expression énigmatique : ‘Je suis une morte vivante, un être
posthume’. » Elle souffrait de solitude et d’abandon.
Madame B. se sentait exclue par ses parents qui formaient un couple très uni, et elle
éprouvait de l’aversion envers eux : « Elle dit avoir vécu dès lors [le décès de sa grand-mère]
dans la haine de ses parents jusqu’à son mariage. Haine qui l’habite encore aujourd’hui de
manière puissante et qui se déchaîne lorsqu’elle rencontre ses parents à domicile. » Elle
ajoutait : « Je hais les gens dont j’ai besoin. »
Madame B. désirait rejoindre sa belle-sœur dans la mort : « La patiente passe son temps
alitée […], ‘ça me rapproche d’elle, je pense à elle’. » Elle se jugeait criminelle et réclamait
une sentence de mort : « Mme B. se décrit comme un déchet, une criminelle ayant fait il y a
bien longtemps quelque chose d’horrible. Ce crime bien ancien, c’est une interruption
volontaire de grossesse. Elle ne mérite désormais que la mort à laquelle elle aspire. » Elle
désirait mourir et avait fait plusieurs tentatives de suicide : « Elle évoque néanmoins son
suicide de manière crue à chaque entretien depuis des années. On l’a retrouvée à plusieurs
reprises avec des objets de strangulation autour du cou. » De plus, elle se sentait envahie,
habitée et hantée par sa belle-sœur : « Elle la voit qui l’appelle à la rejoindre. » Elle avait son
cadavre en elle : « […] la patiente dit qu’il est là, en elle, Mme B. se dit pourrie de
l’intérieur. » Elle se considérait comme une ordure : « On l’a sans doute trouvée dans une
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poubelle à la naissance, elle n’est de toute façon qu’un déchet et ne peut donc occuper
aucune place pour l’autre. »
Selon l’auteur, Madame B. définissait l’union de ses parents telle qu’une « […] entité
singulière, une bulle, une vacuole ». Elle avait vécu heureuse durant les premières années de
son mariage voulant et formant un couple fusionnel avec son mari. Puis en raison du
comportement de ce dernier, elle se tournait vers sa belle-sœur : « L’éloignement, le décollage
du lien au mari, entraîne une aventure que l’on peut qualifier rétrospectivement d’amoureuse
avec cette belle-sœur. » Elle souffrait de mélancolie délirante chronique décelée après le
suicide de celle-ci : « […] l’aspiration mélancolique, la chute inexorable […] aboutit à l’état
catastrophique de la cristallisation. »
En effet, Madame B. manifestait un syndrome de Cotard comme le montraient ses idées
délirantes : Elle se trouvait dans un état de l’entre-deux-morts : « La croyance délirante et
fréquente d’être déjà mort en représente un autre aspect. » Elle évoquait sa non-appartenance
au monde et la transformation de ses organes sur le thème de la pourriture : « Il y a le monde,
un bloc, bloc comme celui que forment ses parents, et elle, face à ce monde mais ne
participant en rien à lui, sauf à en être le déchet. » Elle témoignait ainsi d’une pulsion de
mort, d’une haine existant depuis l’enfance et se traduisant jusqu’en des idées suicidaires :
« On a l’impression que ce qui évite à Mme B. de passer pour l’instant à l’acte suicidaire,
c’est qu’une partie de cette haine arrive encore à se déverser à l’extérieur envers ses proches
et l’équipe de soin. » Elle avait des idées de damnation liées à des crimes imaginaires, lié es à
« […] l’autoaccusation criminelle en rapport avec l’IVG […] ».
Madame B. vivait un processus d’incorporation du corps de sa belle-sœur à l’intérieur
de son corps, « incorporation permettant de justesse d’éviter, non le manque, mais le vide, la
disparition de l’autre risquant d’entrainer sa propre disparition ». Elle avait ce désir de
fusionner avec elle : « Comme ses parents ne faisaient qu’un, toujours agrippés l’un à l’autre,
et comme elle ne souhaitait faire qu’un avec le mari, ainsi elle ne souhaite faire qu’un avec
cette morte. » Par cette incorporation, elle se définissait comme un être posthume, « […]
nouvel être de l’entre-deux, entre la mort biologique et la mort psychique ». Elle restait alors
dans un deuil impossible, elle avait une anorexie sévère et elle régressait : « Sous l’effet de
l’incorporation et de l’identification massive du moi à l’objet, la régression, chez Mme B., est
profonde et ne lui permet plus d’investir le monde. »
Par son identification à sa belle-sœur morte, Madame B. montrait sa difficulté à se
séparer de l’objet « […] qui la représente dans le désir de l’Autre ». Elle reproduisait alors un
80
vécu d’abandon : « Objet a chez Lacan, dont elle n’arrive pas à se séparer et qui la fixe
durablement dans cette répétition de vécu de lâchage abandonnique. »
Selon l’auteur, Madame B. faisait peut-être un lien entre le thème de l’auto-accusation
de crime et celui de l’ordure et de la pourriture : « Bien que je n’aie jamais repéré de lien
associatif entre ces deux thématiques, il n’est pas impossible qu’il existe un rapport entre
l’autoaccusation criminelle en rapport avec l’IVG et cette thématique de poubelle, de
déchet. »
Commentaire du vécu de Madame B
« Réminiscence de l’IVG à travers les symptômes d’une mélancolie délirante
chronique »
Madame B. a le sentiment délirant non pas d’appartenir au monde mais d’en être son
déchet, trouvée dans une poubelle à la naissance. Elle a des idées de damnation liées à l’autoaccusation de crimes imaginaires en rapport avec son IVG réalisée il y a bien longtemps. Elle
souffre d’une mélancolie délirante chronique avec un syndrome de Cotard et un phénomène
d’incorporation.
Elle a une difficulté à se séparer de l’objet qui la représente dans le désir de l’Autre, ce
qui entretient un vécu d’abandon existant depuis son enfance. Par ailleurs, il existe peut-être
un lien entre le thème de crime d’IVG et celui de déchet.
81
3.4.20 Synthèse du document n° 20 : une jeune femme (34)
« Désaccord »
Le document concernait une jeune femme de 30 ans, vivant en France avec son conjoint
qu’elle connaissait depuis un an. Elle n’avait pas d’enfant et ses parents étaient croyants
catholiques. Elle avait fait de bonnes études et travaillait comme cadre dans une banque. Elle
débutait une psychanalyse en raison de malaises à répétition et d’une dépression. Elle avait
raconté son choix de se séparer du compagnon qu’elle connaissait depuis onze ans, et
« qu’elle aimait aussi, mais ‘comme un frère’ », pour son conjoint actuel. Avec celui-ci, elle
avait réalisé une IVG neuf mois auparavant, « un avortement voulu, choisi, en total accord
avec son partenaire », car « c’était une évidence, c’était trop tôt : ‘on ne pouvait pas prendre
le risque de mettre au monde un enfant dont les parents ne seraient pas restés ensemble’ ».
La jeune femme souhaitait poursuivre un traitement antidépresseur pourtant inefficace.
Elle ressentait en effet un mal-être caractérisé par une tristesse, des idées suicidaires, une
anhédonie, une perte de libido et des malaises répétés : « Elle continue de perdre
connaissance dans les transports et d’être triste, sans force, sans appétit, sans goût. » Elle
évoquait sa mère et son travail : « Sa mère, dit-elle, pense qu’elle devrait changer de travail :
elle parle donc de sa mère et de son travail où elle s’ennuie. »
« Si elle va mal, curieusement dans sa vie tout va bien, tout réussit. » En effet, elle
racontait ses études, « […] de bonnes études selon son choix […] », les nombreux avantages
latéraux de son travail, l’accès facile à sa province par le TGV depuis Paris où elle avait
choisi d’habiter, l’amour envers son nouveau compagnon avec qui elle choisissait une vie
sexuelle différente, plus érotique, leur achat d’un appartement « qu’ils ont choisi ensemble ».
« J’ai choisi, disait notre patiente […]. » Par ailleurs, elle considérait l’achat immobilier
comme une confirmation de leur engagement réciproque.
De plus, la jeune femme ne regrettait pas d’avoir quitté son ancien ami pour un autre,
mais elle est se sentait coupable : « Elle ne le regrette pas, mais se sent coupable de trahison
car elle a choisi avec son partenaire actuel une vie sexuelle, une emprise érotique qu’elle
n’avait jamais connues auparavant et qui semblent aujourd’hui disparues. » Elle évoquait sa
tristesse d’avoir perdu son ancienne belle-famille et prenait conscience de cette perte : « Elle
découvre avec tristesse et étonnement une perte à laquelle elle n’avait pas pensé. » Elle
manifestait aussi le besoin de voir sa famille et sa région natale : « Sa famille, ses frères, sa
province lui manquent aussi, bien que ce soit elle qui ait choisi de venir vivre à Paris […]. »
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La jeune femme précisait qu’elle désirait un enfant comme son conjoint : « […] elle
sait, depuis qu’elle a 3 ans, qu’elle a le fantasme d‘avoir un bébé’ et elle évoque avec plaisir
son petit frère qui fut son ‘premier bébé’. » Elle constatait une similitude entre ses malaises et
ceux de sa mère : « ‘tomber dans les pommes’ est aussi un symptôme de sa mère, remarque-telle très vite. » Elle notait aussi qu’elle buvait un peu trop de vin le soir avec son ami au
retour du travail : « Cette pente d’alcoolisation l’inquiète sans qu’elle puisse associer
d’aucune façon. » Elle cherchait à développer sa réflexion grâce à la psychanalyse : « […] de
chaque séance, elle dit repartir avec un mot qui lui permet de penser et c’est pourquoi elle
revient ».
Elle datait ensuite le début de ses symptômes sans pouvoir les relier à un évènement :
« Elle remarque que l’apparition de ses symptômes est précisément datée : en septembre, au
neuvième mois de l’année. » Elle insistait sur la possibilité d’avoir, par son travail, sept mois
et demi de congé maternité à plein salaire, considérant aussi que sa santé actuelle était
incompatible avec une grossesse. « La semaine suivante, elle rapporte que le mot maternité
lui a rappelé qu’elle avait oublié de dire qu’en janvier passé, elle a fait un avortement. » Elle
avait gardé l’IVG secrète pour son entourage, « […] non pas parce qu’elle considérait que
c’était son affaire intime, mais parce qu’ils en auraient été choqués. »
Selon l’auteur, cette jeune femme racontait ses choix, décisions raisonnables et sans
échec : « Le mot choix revient souvent dans son discours. Ce sont toujours des choix qu’elle
endosse en son nom propre, et qui ne peuvent pas être discutés, tant ils lui paraissent
évidents. » Ainsi, elle décrivait ses biens (travail, copain, appartement…) tout en réalisant
soudain l’éventualité de perdre quelque chose en choisissant : « En parlant, elle découvre
avec surprise la perte qui accompagne ses choix, perte qu’elle n’avait pas soupçonnée ou
imaginée, comme si elle émergeait d’un monde ignorant la possibilité de la perte. »
La jeune femme avait des propos non pas tant ordinaires que dépressifs, bien que
marqués par l’absence d’évènements douloureux : « Dans son histoire, on cherche vainement
des événements traumatiques, des chagrins ou des ratages : il n’y a pas eu de situations
douloureuses ou traumatisantes à première vue. Je dis bien à première vue. » En effet, la
patiente avait une difficulté à exprimer son vécu et demandait des mots pour penser, élaborer,
associer : « […] son discours […] se caractérise […] par la difficulté à nommer, à
reconnaître les contradictions, les oppositions, les tensions qui sous-tendent ses choix. »
D’après l’auteur, la jeune femme avait donné un conscient accord pour son IVG par
conformité à l’évidence commune et à la loi sociale du droit à l’avortement : « Elle fut
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d’accord, pleinement d’accord, pour avorter au nom du ‘trop tôt’ et au nom du bien de
l’enfant imaginaire. » Elle était très surprise de découvrir la concordance des dates entre le
début de ses symptômes et la date de naissance présumée de l’enfant non advenu. Par cette
coïncidence, elle prenait conscience du lien entre ses symptômes, son opposition à son choix
d’IVG et sa méconnaissance de la perte engendrée par ce choix : « Elle ne savait pas qu’elle
était à ce point en ‘désaccord’ (c’est son mot) avec son acte, ni qu’elle avait choisi une perte
douloureuse. » Elle ne reconnaissait pas sa loi morale interne enfouie jusqu’alors sous la loi
sociale : « Notre hypothèse […] est que la méconnaissance porte sur sa loi propre, sur la loi
morale interne qui est la sienne […] qui pourrait s’énoncer ainsi : dans ma famille, on
n’avorte pas ; on ne quitte pas un homme pour jouir sexuellement avec un autre », mais aussi
« […] ‘ne pas se servir d’un enfant pour forcer le mariage ou la conjugalité’ relève aussi
pour elle d’une loi morale. »
Par le travail analytique, elle prenait donc conscience de sa loi interne, et elle
problématisait son choix passé d’IVG : « L’énonciation juste aurait précédé un choix qui, de
toute façon, impliquait une perte : renoncer à la grossesse (le désir d’enfant restant toujours
aussi vif) ou renoncer à une part de jouissance avec son partenaire en devenant effectivement
mère, comme sa mère. » Elle prenait alors conscience de la perte engendrée par la
transgression de l’interdit d’IVG, du renoncement au désir d’enfant, prix à payer pour accéder
à la jouissance : « En effet, que vaut alors une vie qui privilégie les biens immédiats, les
jouissances directes, qui ne prend plus, ni le risque de l’engagement symbolique, ni celui de
trouver de l’intérêt dans le travail […] ? Quelles jouissances désarticulées du désir viennent
alors s’imposer ? […] Jouissance de l’ennui, de l’immobilité, de la tristesse ? » Elle prenait
conscience de son désaccord avec cette perte.
Par la dépression, la patiente manifestait donc le non accomplissement de son désir
d’enfant, mais aussi son désaccord secondaire à un choix et à une perte n’ayant pas été
problématisés : « Le désaccord, dont je fais l’hypothèse, porte, lui, sur les renoncements au
désir […] au nom de l’évidence commune : la dépression étant alors à lire comme l’écran qui
masque un questionnement implicite, en attente d’élaboration et de complexification. »
L’auteur faisait l’hypothèse que la patiente déprimait aussi en raison du non accomplissement
de son désir inconscient de mariage, et cela malgré son choix de transgresser l’interdit d’IVG
pour accéder au désir d’être la femme d’un homme. « Pourquoi devrait-elle alors payer le
prix d’une dépression ? Peut-être parce qu’il n’y a pas eu de reconnaissance symbolique de
ce passage et que la seule validation de son engagement amoureux érotique a été un acte de
propriété. »
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La jeune femme se trouvait prise dans un antagonisme entre désir et jouissance, entre loi
interne et doxa : « La dépression, avec ‘les pertes de connaissance’, met en scène une sorte
d’abandon de l’existence, d’évanouissement du sujet, au profit d’une jouissance délivrée des
embarras et de l’incertitude du désir. » Son état psychique trouvait son origine dans la
disparition des interdits, l’influence de la doxa et la croyance au libre-arbitre : « J’ai choisi,
disait notre patiente, posant la question de la croyance […] en l’autonomie de ses choix et
c’est sur cette croyance que la dépression se fonde et se déploie. » Finalement, la patiente
exprimait ses affects et guérissait : « Elle sortit de son état dépressif en passant par deux
affects, la colère et le chagrin, et en abordant la question : ‘Qu’est-ce qu’une femme pour un
homme ?’ »
Commentaire du vécu d’une jeune femme
« Lorsque l’accompagnement psychologique permet de faire le lien entre IVG choisie,
dépression et désaccord avec ce choix »
Cette jeune femme a un syndrome dépressif, des malaises répétés dans les transports,
une tendance à l’alcoolisation qui l’inquiète, et elle décrit son désir d’enfant commun à son
conjoint mais incompatible avec son état de santé actuel. Progressivement, elle prend
conscience des pertes qui ont accompagné ses choix, elle date le début de l’apparition de ses
symptômes, puis révèle son IVG gardée secrète pour ne pas choquer son entourage. Elle est
surprise de découvrir la coïncidence entre la date de naissance présumée de l’enfant non
advenu et le début de ses symptômes.
La dépression de la jeune femme révèle le non accomplissement de son désir conscient
d’enfant et de son désir inconscient de mariage, et manifeste son désaccord avec son choix
d’IVG et la perte qui s’y associe. Ce désaccord est secondaire à un manque de
problématisation du choix, c’est-à-dire à l’absence de prise de conscience de sa loi morale
interne, de la perte qui accompagne chaque choix, d’une mise en tension entre loi interne et
doxa, désir et jouissance, jouissance convenable et pas convenable.
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3.4.21 Synthèse du document n° 21 : une jeune femme (35)
« Pourquoi une femme se met-elle à boire ? »
Le document concernait une jeune femme, vivant en France, étudiante en fin de cursus,
qui avait un suivi psychiatrique ou psychanalytique. Elle avait réalisé une IVG à l’âge de 18
ans car « il fallait bien ! Nous étions trop jeunes et lui n’en voulait pas. »
La patiente avait des alcoolisations massives et ponctuelles : « Savez-vous ce que j’ai
fait hier soir ? […] Voilà ! J’ai acheté une bouteille de vin et je l’ai bue cul sec. J’étais ivre
morte. Ça m’arrive de temps en temps. » Elle demandait l’avis du psychiatre : « Qu’en
pensez-vous ? » Elle s’emportait parce que celui-ci supposait un lien entre son comportement
et un éventuel avortement : « Mais quel rapport ? Vous êtes complètement idiot ! » Puis elle
révélait son IVG, son motif, et son souvenir constant : « Seulement au bout de quelques
minutes, j’obtins la réponse : ‘Oui, j’ai avorté. J’avais 18 ans. Il fallait bien ! Nous étions
trop jeunes et lui n’en voulait pas. Ça ne m’empêche pas d’y penser’. »
Pour l’auteur, la patiente avouait ses alcoolisations avec ironie : « À l’une des séances,
elle me regarda avec un sourire narquois […] Pendant quelques instants, elle joua au petit
jeu ‘dira, dira pas’ avant de me mettre dans la confidence, dans une sorte de défi. » Elle se
fâchait à l’hypothèse d’un possible antécédent d’IVG : « ‘Quand a eu lieu votre avortement ?’
Ma question, cette fois, provoqua un bel orage. » La jeune femme manifestait ainsi sa
difficulté à parler d’une souffrance secondaire à l’avortement, que la société n’acceptait pas,
qu’elle ne reconnaissait pas elle-même et qu’elle tentait d’oublier dans l’alcool :
« L’avortement avait laissé une douloureuse cicatrice qu’il n’était pas ‘politiquement correct’
d’avouer, qui n’était même pas reconnue par le sujet, mais qu’il fallait noyer dans le vin. »
D’après l’auteur, la patiente s’alcoolisait à cause d’une IVG ayant été forcée par son
conjoint, celui qu’elle se figurait comme père : « Cet alcoolisme féminin apparaît donc lié aux
avatars du désir de maternité, essentiellement à l’avortement, avortement non désiré, imposé
moralement ou concrètement par un homme en qui sa compagne avait placé sa foi, c’est-àdire occupant une place symbolique de père. » Et l’auteur se référait à Lacan : « La fonction
féminine […] la procréation, la maternité, porte en elle, au-delà de la biologie, une ‘fonction
symbolique essentielle’. » Finalement, la patiente buvait en raison d’une atteinte portée à sa
féminité : « Pour aller vite, je soutiens que c’est la profanation de cette fonction symbolique
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essentielle qui fait basculer une femme dans ce qui apparaît comme un suicide
alcoolique. Cette profanation est un meurtre du désir, un meurtre du sujet féminin. »
La jeune femme buvait en raison de l’atteinte du pacte sacré qui lie homme et femme :
« Si ce pacte sacré est bafoué, et il l’est généralement par le partenaire masculin, cela
produit des ravages dont l’alcoolisme est une des formes. Le progrès des techniques
médicales, l’évolution des mœurs sociales, ont introduit un fort relativisme dans la valeur de
ce pacte. » L’auteur émettait l’hypothèse d’une autre conséquence de cette atteinte de la
féminité : « enfin, la débâcle de la ‘fonction symbolique essentielle de la maternité’ ne
débouche pas nécessairement sur l’alcool. Tout autre toxique peut faire l’affaire. Mais il
s’agit là d’une hypothèse pour laquelle le matériau clinique dont je dispose est très limité. »
Commentaire du vécu d’une jeune femme
« Lorsque l’accompagnement psychologique révèle le lien entre IVG non désirée,
alcoolisations et atteinte d’une fonction symbolique essentielle »
La jeune femme avoue dans l’ironie ses alcoolisations massives et ponctuelles.
Demandant l’avis de son psychiatre, elle se met en colère à l’idée d’un lien possible avec un
avortement passé. Puis elle révèle une IVG, son motif, et le souvenir constant qu’elle en
garde.
La jeune femme s’alcoolise pour oublier une souffrance non reconnue et ni exprimée
par la patiente elle-même, c’est-à-dire le souvenir douloureux de son IVG non désirée,
imposée moralement par son conjoint qu’elle se figurait comme père. Elle veut oublier
l’atteinte du pacte sacré qui lie homme et femme, l’atteinte qui a été faite à son désir de
maternité, à sa féminité, à sa fonction symbolique essentielle portée par sa capacité biologique
d’être femme et mère.
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3.4.22 Synthèse du document n° 22 : Michèle (36)
« Destin de naissance…destin de mort : Quand naissance et mort se superposent »
Michèle avait 30 ans et vivait en France avec son mari qui partait souvent en
déplacement professionnel de plusieurs mois. Elle n’avait pas d’enfant. Enceinte de 5 mois,
elle acceptait un accompagnement psychologique suite à la proposition des médecins
d’interrompre médicalement sa grossesse en raison d’une anomalie cérébrale sévère du fœtus,
d’origine virale. Elle avait réalisé une IVG dix ans auparavant.
Michèle se sentait anéantie par l’annonce diagnostic et voulait fuir. Elle était apeurée
lors du premier entretien avec la psychologue, « […] marqué par un long silence […] ». Puis,
elle exprimait prendre conscience que, malgré son handicap, c’était bien un enfant qu’elle
portait. « Parallèlement, elle évoque un sentiment d’étrangeté : son enfant est porteur de
quelque chose de différent. » Elle racontait deux rêves, le premier où elle était seule montant
dans un escalator, et croisant un enfant sur le bord qui la regardait, le deuxième où elle
montait aussi un escalier, tombait et était relevée par un enfant : « Elle s’interroge : laisse-telle l’enfant sur le bord ou bien est-ce lui qui la laisse poursuivre sa route ? » Elle mettait
alors en relation ses deux rêves avec son IVG passée et l’anomalie actuelle du fœtus : « La
succession de ces deux rêves lui fait évoquer […] une interruption volontaire de grossesse
réalisée dix ans auparavant : l’atteinte fœtale en serait alors la punition. »
A l’évocation de sa mère par l’auteur, Michèle était peu loquace : « […] j’apprends que
sa mère est décédée il y a quelques années [après l’IVG], d’un cancer du sein qui s’est
généralisé. Elle n’en parlera pas davantage. » Par ailleurs, elle remarquait avec
mécontentement la contradiction des propositions relatives à l’éventuelle IMG ; autopsie,
obsèques…: « Toutes ces propositions lui semblent ‘totalement paradoxales’». Elle évoquait
ensuite le poids du diagnostic prénatal et sa solitude, liée à l’absence actuelle et à venir de son
mari : « Le sens initial de leur projet conjugal – avoir un enfant– ne peut évoluer en projet
individuel d’accueillir un enfant handicapé. » Elle décidait alors d’interrompre sa grossesse.
Après l’IMG, elle souhaitait voir l’enfant : « Michèle accouche d’un petit garçon
qu’elle a finalement souhaité voir, mais a refusé l’autopsie, invoquant des motifs religieux. »
Puis elle se repliait sur elle-même et s’isolait socialement : « Elle est restée claustrée, volets
fermés, ne souhaitant voir personne, ni même la lumière du jour perçue comme agressive.
Elle attendait de rejoindre son mari pour essayer de parler avec lui _ sans succès_ de cette
IMG. Plus tard, elle réussissait à échanger avec lui sur le bébé, leurs affects et leurs projets :
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« […] ils pourront regarder ensemble les photos du bébé, évoquer l’absence, le manque, la
tristesse ainsi que le projet d’un autre enfant dans l’avenir. »
Michèle se sentait prête pour un autre projet d’enfant. Elle disait son désir d’écriture et
celui de faire un lien entre l’avant et l’après IMG : « […] elle souhaite tisser un pont entre
l’avant et l’après, elle avant et elle après, pour elle-même, pour son couple… et aussi pour ce
bébé. » Puis, elle évoquait d’elle-même la mort de sa mère et les non-dits qui l’entouraient,
« […] excusant son père qui voulait protéger ses filles », incapable de verbaliser sa douleur.
Elle constatait ensuite avoir pu dire ses émotions grâce aux entretiens. « Michèle exprime
aussi son sentiment de réunification, de réconciliation entre elle et son bébé, tout comme celui
de retrouvailles avec sa mère morte. »
Pour
l’auteur, Michèle était bouleversée physiquement et psychologiquement par
l’annonce du diagnostic anténatal. « Au bout d’un moment, elle relève la tête et me regarde ;
son regard semble dire qu’elle m’est reconnaissante de ce silence, silence qui lui permet de se
rassembler et de se restaurer. » Elle remerciait les médecins de dire la vérité sur l’anomalie
fœtale, mais leur en voulait de leur vision représentant le fœtus plutôt objet d’investigation
qu’enfant, déplaçant peut-être son hostilité envers le fœtus sur les soignants : « La haine
primitive entre la mère et son bébé décrite par Winnicott, est inentendable et source de
grande culpabilité lorsque ‘His Magesty the Baby’ n’est pas conforme aux promesses. » Elle
avait un sentiment d’étrangeté en raison du paradoxe entre anomalie fœtale visible à
l’échographie et invisible à l’œil nu. Elle était seule face à un choix de mort : « […] elle se
retrouve seule à choisir l’issue de la grossesse et quelle que soit sa décision, c’est de mort
dont il s’agit : mort d’un bébé, mort d’un projet et atteinte narcissique majeure dans sa
capacité à faire un bébé bien portant. »
D’après l’interprétation de ses rêves par l’auteur, Michèle désirait fuir la décision
d’interrompre ou non sa grossesse, n’en contrôlait pas le processus et se sentait effondrée. De
plus, « nous voyons l’émergence de la représentation de son fœtus comme d’un futur enfant. »
Elle évoquait ensuite son IVG avec culpabilité. L’auteur abordait alors le sujet du lien avec sa
mère se référant à la psychanalyste « M. Bydlowski [qui] fait un lien entre IVG et dette de vie
où l’avortement permettrait de tuer sa mère à l’intérieur de soi, autorisant la fille à devenir
femme ; mes associations me conduisent alors vers sa mère […]. » Elle restait silencieuse sur
le souvenir laissé par cet avortement, et semblait avoir une difficulté à faire le deuil du décès
maternel : « […] son silence, lourd, m’interroge à la fois sur l’élaboration de ce deuil [de sa
mère], comme si cette perte, très douloureuse, était encore difficilement pensable, mais aussi
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sur les traces laissées par son IVG. » Elle revivait ainsi des pertes antérieures : « Nous voyons
combien le traumatisme actuel et la blessure narcissique qui en découle, réactualisent des
fantasmes archaïques et des pertes antérieures. »
Selon l’auteur, Michèle jugeait inconcevable d’interrompre sa grossesse si elle
considérait le fœtus comme un être à part entière. Mais elle restait confuse sur le statut de son
fœtus : « Sa colère illustre la question du statut de ce fœtus, problématique centrale dans le
deuil périnatal : être par la chair ou par la parole ? Fœtus authentique ou fœtus tumoral ? »
Ayant pris sa décision, elle redoutait cette IMG nécessitant un accouchement normal, puis elle
refusait l’autopsie : « […] on peut […] imaginer que ce serait peut-être le tuer une deuxième
fois ? » Après l’interruption, elle souffrait d’une dépression, secondaire à un travail de deuil
difficile : « Je reçois sa souffrance dépressive comme la conséquence du travail de deuil et de
désinvestissement de son bébé en devenir. » Elle vivait une régression intense : « […]
exprimant une nostalgie du retour à l’état de fusion avec la mère des premières relations ;
[…] cette régression narcissique s’inscrit également dans un mouvement identificatoire au
fœtus, contribuant à lui donner réalité pour pouvoir s’en détacher ensuite. »
Michèle désirait atténuer sa souffrance en la partageant avec son mari, mais se heurtait à
un ressentiment et une incompréhension réciproques marquant un déni mutuel de la réalité de
la mort du bébé. « Mais cette colère et cette douleur ne lui permettent-elles pas de rester en
lien avec ce bébé disparu ? » Par l’écriture, processus de sublimation, elle intégrait l’IMG
dans sa vie, elle réalisait un travail de deuil : « Ce bébé doit trouver sa juste place dans son
histoire tout comme elle doit trouver un juste lien avec lui. »
Par ailleurs, elle réabordait la mort de sa mère : « Me revient en écho son silence
consécutif à l’évocation du rêve […]. » Elle rationalisait le comportement qu’avait eu son
père à cette période, masquant ainsi un sentiment de colère. « Puis peu à peu, s’exprime de
façon sourde, toute la colère contenue à propos des non-dits entourant la maladie et le départ
brutal de sa mère. » Elle souffrait d’une sidération familiale sur le thème de la mort : « Les
mots ont été pour elle le lien entre la vie et la mort, alors que jusque là, la mort était entourée
de silence, de vide, de rien. »
Puis Michèle sortait de cet état de sidération face à la mort et exprimait ses émotions :
« Elle a dépassé l’anéantissement initial en acceptant de se confronter à ses affects. Elle a
toléré l’envahissement de la pulsion de mort, l’a dépassée et métabolisée en pulsion de vie. »
Elle réalisait alors le deuil de sa mère : « Dans l’après-coup, changée par ce bébé qui n’est
plus, elle exprime une prise de distance par rapport à ces modèles familiaux intériorisés, un
réaménagement de ses repères identificatoires. » Elle inscrivait l’enfant dans sa filiation et
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réalisait son deuil : « Il me semble que prendre le temps de sortir de l’état de sidération et
amorcer la perspective d’un sens à donner à l’issue de la grossesse, que ce soit dans celui de
sa poursuite ou de son interruption, est fondamental : il permet en effet de favoriser
l’émergence d’une représentation objectalisée du fœtus, favorable à la résolution du deuil. »
Elle élaborait la perte et évitait le deuil compliqué : « L’interruption de la grossesse, qu’elle
soit décidée pour motif médical ou spontanée, implique un arrêt du processus de
parentalisation et nécessite un travail psychique de désinvestissement du fœtus […] temps
d’élaboration nécessaire à la perte. Car à la fois objet-non objet, ce fœtus fait courir le risque
d’un deuil mélancolique puisque encore incorporé au Moi. »
Par le soutien psychologique, Michèle faisait plusieurs deuils : « L’espace de narrativité
ainsi créé conduira, progressivement, à l’élaboration de la perte et des pertes antérieures
ravivées, comme dans le cas de Michèle. »
Commentaire du vécu de Michèle
« Questionnement et confusion sur le statut du fœtus, réminiscence et culpabilité de
l’IVG, décision d’IMG et deuil difficile »
Suite à l’annonce du diagnostic anténatal, et comme l’interprétation de ses rêves le
montre, Michèle se représente le fœtus comme un enfant malgré son handicap, et s’interroge
sur le positionnement de celui-ci ; soit abandonné, soit consentant pour cette IMG. Ces rêves
lui font évoquer dans la culpabilité son IVG passée dont elle voit l’anomalie fœtale comme sa
punition. Elle reste silencieuse sur les traces laissées par cette IVG comme sur celles laissées
par le décès de sa mère dont elle semble avoir des difficultés à faire le deuil. Elle accuse les
soignants de considérer le fœtus plus comme un objet que comme un être, tout en les
remerciant d’avoir dit la vérité sur la pathologie.
Elle revit des pertes antérieures ; l’IVG, tentative de passer du statut de fille à celui de
femme, et le décès de sa mère. Son ressentiment envers les soignants traduit sa confusion sur
le statut du fœtus, problématique centrale dans le deuil périnatal.
Michèle décide de réaliser l’IMG après laquelle elle exprime avec difficultés son
sentiment de tristesse, d’absence, de manque, la blessure de la perte, et souffre de dépression.
Elle opère une régression narcissique vers un état de fusion avec sa mère et une
identification au fœtus. Elle dénie la réalité de la mort de ce bébé. Son travail de deuil est
difficile, comme si la douleur lui permet de rester en lien avec le bébé disparu.
91
3.4.23 Synthèse du document n° 23 (37)
« Quel est le vécu des femmes, hospitalisées pour subir une interruption volontaire de
grossesse médicamenteuse, par rapport à la prise en charge infirmière ? »
Première femme
La première jeune femme de cette étude avait une trentaine d’années ans et vivait en
Suisse. Elle avait étudié le tourisme et n’avait pas d’enfant. Recrutée par le biais de
l’association AGAPA Suisse Romande12 où elle avait été suivie, elle acceptait de participer à
un entretien semi-directif avec une étudiante infirmière pour une étude portant sur le vécu de
l’IVG médicamenteuse. Elle avait réalisée deux IVG dans un contexte similaire. La seconde
IVG était survenue deux ans auparavant sur sa décision, car « c’est arrivé par accident » ; elle
devait partir en stage à l’étranger et « n’était pas prête pour avoir un enfant ».
La jeune femme racontait qu’après sa première IVG, elle avait refusé de rencontrer un
psychologue, disant ne pas en avoir besoin et ne devant pas montrer ses failles : « On m’avait
demandé si je souhaitais un suivi psychologique, j’avais dit non, je n’en ai pas besoin,
j’assure mon choix, je n’ai pas le droit d’être faible. »
Durant l’hospitalisation pour sa seconde IVG, elle rapportait avoir ressenti un sentiment
de culpabilité et de honte : « C’était la deuxième fois, c’était honteux. » Elle n’avait pas voulu
se confier aux soignants : « Je n’avais pas envie de parler de ma vie privée, je voulais juste
que ce soit liquidé et qu’on n’en parle plus. » Pourtant, elle avait eu le sentiment de ne pas
avoir été écoutée et d’avoir eu besoin que l’infirmière soit plus présente : « Je trouvais qu’elle
aurait pu être un peu plus là (…) pas spécialement qu’on me parle, qu’on parle de moi, mais
de mon état. » Elle avait aussi eu besoin d’être appuyée dans sa décision : « […] il aurait fallu
qu’on me soutienne à fond (sur sa décision) parce que je doutais (…) j’étais mal dans mes
baskets. » Elle évoquait sa solitude : « […] on arrive dans un service de gynécologie, c’est
plutôt des mamans, des femmes enceintes, qui sont là, dans la salle d’attente il y a des trucs
pour bébé, c’est spécial, on se sent vachement à part, seule. » Elle aurait eu besoin de
connaître le ressenti de l’infirmière sur cet acte d’IVG : « (suite au sentiment que l’infirmière
12
Association AGAPA Suisse Romande : Association des Groupes d’Accompagnement-Perte de
grossesse-Abus-Maltraitance-Négligence
92
était mal à l’aise) ‘je pense que j’aurais apprécié qu’elle me dise franchement la vérité,
qu’elle me dise ouais franchement, je suis gênée, j’aime pas faire ça (…)’. »
Après cette deuxième IVG, la jeune femme avait alors fait comme s’il ne s’était rien
passé : « Il faut s’imaginer tout le processus qu’il y a pour quelqu’un qui avorte, on met une
carapace pour faire après comme si ça n’avait jamais existé. » Elle aurait eu besoin d’être
rapidement suivie par une psychologue : « Il faudrait que les professionnelles connaissent
vraiment l’aspect psychologique qu’il y a derrière l’avortement et diriger les gens vers des
associations comme le planning ou AGAPA12. » Elle était devenue déprimée et voulait
mourir : « J’avais vraiment un mal-être constant mais je n’aurais pas pensé que c’était dû à
mon avortement, je pensais plutôt que c’était l’âge […] c’est venu assez vite, tout de suite
après (l’IVG). » Par la suite, au sein de l’association, elle avait réalisé un travail de deuil dans
le non-jugement et le respect : « J’ai fait 6 mois d’AGAPA12 (…) le travail qu’on fait c’est
‘pardonne toi à toi-même’ (…) à la fin on enterre son gamin et ça permet vraiment de faire un
processus de deuil. »
Selon les auteurs de l’étude, la jeune femme avait vécu cette deuxième IVG dans la
culpabilité et dans une solitude favorisée par le cadre des soins d’IVG, le service de
gynécologie-obstétrique : « Elles expriment une grande déstabilisation d’être dans ce lieu. »
Elle avait demandé à être physiquement mieux entourée par l’infirmière : « La personne A
décrit des soins ayant un support relationnel tels que les soins techniques. » Elle n’avait pas
cherché à exprimer son vécu pendant l’hospitalisation mais avait paradoxalement eu besoin
d’entendre celui de l’infirmière, souhaitant « […] que les infirmières soient plus
authentiques. » En fait, elle avait eu besoin d’être comprise : « Nous interprétons cette
demande d’authenticité comme la demande d’empathie qui leur permettrait de se sentir
écoutées, accueillies et rassurées. » Elle avait eu besoin d’être apaisée : « La demande d’être
rassuré se porte sur deux éléments : le non-jugement de l’infirmière et le protocole d’IVG qui
leur est inconnu. » « Ce besoin de sécurité est provoqué par le sentiment de culpabilité, de
manque d’estime de soi et d’anxiété [...]. »
Après cette deuxième IVG, la jeune femme avait souffert d’un mal-être. « Ainsi pour la
personne A nous avons relevé ‘l’expression d’un sentiment de tristesse, d’anxiété, de
découragement’ lorsqu’elle mentionne son état psychologique après l’IVG, […] ce
comportement se manifeste par la volonté de mourir […]. » Par son désir de mourir, elle avait
exprimé une colère envers les autres et elle-même : « Pour Freud […] cité par Townsend
[…], ‘le suicide était une réaction à une haine profonde de soi, la colère ayant pris sa source
93
dans la perte d’un objet d’attachement pour finalement se retourner contre soi’ […]. » En
effet, elle avait vécu un conflit d’évitement entre deux issues négatives quelque soit son
choix, conflit responsable d’une crise : « […] cette femme a traversé des moments très
difficiles suite à l’IVG. Nous supposons qu’elle n’a pas trouvé l’aide nécessaire pour sortir de
cette crise de manière constructive. »
Pour les auteurs, cette femme avait répété le cycle grossesse due au hasard-IVG,
notamment à cause d’une ambivalence face à ses désirs inconscients de grossesse : « Selon le
même auteur [Kunégel], ‘l’ambivalence est le facteur dominant dans les demande répétées
d’IVG. Les répétitions viennent s’inscrire hors de l’ordre du conscient’. Une grossesse
survenue par hasard, peut se lire comme une modalité dans laquelle se manifeste le désir
inconscient. » Peut-être avait-elle cherché, par sa grossesse, à vérifier sa fertilité : « Selon
Tamian-Kunégel la grossesse peut avoir une fonction de maturation de la femme par ‘la
réassurance narcissique de l’intégrité de ses possibilités reproductrices’. Ou bien avait-elle
voulu être enceinte sans être mère : « Cette répétition peut se comprendre sous l’aspect d’un
acte inconscient qui traduit des désirs inavouables : désirer un enfant sans vouloir
nécessairement enfanter. » Elle avait pu également exprimer une carence : « La succession de
grossesse non désirées peut exprimer un manque que la personne ne parvient pas à
combler. »
94
Commentaire du vécu de la première femme
« Lorsque la répétition et l’ambivalence de la décision d’IVG provoque un mal-être et
révèle une ambivalence face à des désirs inconscients de grossesse »
Après sa première IVG, la jeune femme refuse de rencontrer un psychologue car elle
n’en a pas besoin et que ce serait un signe d’une faiblesse, celle de ne pas assurer son choix.
Pendant la deuxième IVG, décidée seule, elle se sent coupable car c’est la deuxième fois
qu’elle avorte. Elle se sent seule en raison du cadre des soins ; le service d’obstétrique. Elle
refuse de se confier aux soignants et veut que tout se passe le plus rapidement possible. Elle a
besoin d’être soutenue dans sa décision. Elle souhaite connaître le vécu de l’infirmière, être
plus entourée de ses soins, d’écoute, d’empathie, et de réassurance sur son non-jugement et
sur le protocole.
Après cette deuxième IVG, la jeune femme met une carapace comme si l’IVG n’avait
jamais existé. Elle a un mal-être caractérisé par une culpabilité, une tristesse, un
découragement, une anxiété. Elle ressentait de la colère et le désir de mourir. Elle ne fait pas
le lien entre ce mal-être et l’IVG. La jeune femme aurait besoin d’être rapidement dirigée vers
une psychologue. Elle ne trouve pas l’aide nécessaire pour sortir rapidement de cette crise de
manière constructive.
Les besoins exprimés pendant la seconde IVG s’expliquent par son sentiment de
culpabilité, de manque d’estime de soi et d’anxiété. Sa colère est causée par la perte d’un
objet d’attachement, puis se retourne contre elle-même à travers le désir de mourir. Son malêtre est lié au doute de son choix d’IVG, au conflit d’évitement entre deux issues négatives
quelque soit sa décision. Et la répétition du cycle grossesse due au hasard-IVG est notamment
causée par une ambivalence face à ses désirs inconscients de grossesse ; vérifier sa fertilité,
vouloir un enfant sans être mère ou combler un manque.
95
Deuxième femme
La deuxième jeune femme de cette étude avait une quarantaine d’années et vivait en
Suisse. Elle avait une fille de trois et demi environ et était divorcée depuis la naissance de
celle-ci. Elle ne travaillait pas. Recrutée par le biais de l’association AGAPA Suisse
Romande12 où elle avait été suivie, elle acceptait un entretien semi-directif avec une étudiante
infirmière pour un mémoire portant sur le vécu de l’IVG médicamenteuse. Elle avait réalisée
une IVG trois ans auparavant avec son nouveau conjoint, lui ne souhaitant pas garder l’enfant
et elle « ne supportant pas l’idée d’avoir un enfant ‘sans père’ ». Elle avait essayé de le faire
changer d’avis sans y réussir. Elle avait raconté que l’IVG s’était compliquée d’une
septicémie, ayant nécessité une hospitalisation de 7 mois, puis d’une stérilité.
La jeune femme avait elle-même demandé une aide psychologique : « L’année après
l’IVG, j’ai demandé s’il n’y avait pas un organisme qui traitait des cas comme moi […]. »
Elle disait avoir enduré son IVG et son ambivalence selon un mode précis : « J’étais
ambivalente, je voulais garder cet enfant mais la situation ne le permettait pas. » « Je me suis
mise en refoulement pour supporter ça. »
Selon les auteurs, cette jeune femme ne s’était pas sentie coupable de cette IVG : « La
personne B n’exprime pas le sentiment de culpabilité mais a souffert d’un important conflit de
valeurs dans cette expérience. » Elle avait d’autant plus souffert à cause de son divorce et de
son vécu traumatique de l’IVG lié à de graves complications organiques : « En effet, le
chevauchement de plusieurs crises peut rendre plus difficile leur résolution. »
D’après les auteurs, en critiquant vivement son compagnon de l’époque, la jeune femme
s’était défendue contre sa décision d’IVG : « Nous interprétons ce procédé comme un
mécanisme de défense, ‘la projection’ […] Par ce mécanisme, elle place la responsabilité de
la décision sur son compagnon, ce qui lui évite d’assumer d’éventuelles conséquences de la
décision et de se remettre en question. » Elle s’était ainsi défendue contre son anxiété et sa
conscience : « Notre analyse nous a permis de comprendre que les mécanismes de défense lui
permettent de prendre ses distances avec son compagnon […], son vécu émotionnel et sa
conscience. »
Elle n’avait alors pas pu manifester ses affects : « Dans cette perspective, la personne
ne pourra évacuer de manière constructive, les émotions qui l’habitent. Celles-ci
s’exprimeront alors sous diverses formes plus destructrices, par exemple : un cancer, une
96
infection. » Sans se remettre en question, elle s’était défendue contre son peu d’estime d’ellemême : « Il apparaît que madame se protège car elle souffre d’un important manque d’estime
de soi. » Et elle n’avait donc pas pu percevoir ses besoins : « Nous pensons que cette femme
ne peut exprimer un besoin particulier car sa distance ne lui permet pas d’identifier un
besoin. » Elle vivait un processus de deuil non résolu « encore à l’heure actuelle ».
Commentaire du vécu de la deuxième femme
« Le refus de porter la responsabilité de la décision d’IVG : témoin d’une souffrance de
l’ambivalence de cette décision »
Un an après l’IVG et ses complications organiques, la jeune femme demande une aide
psychologique. Elle souffre toujours de l’ambivalence consciente de sa décision d’IVG, prise
parce qu’elle ne supportait pas l’idée d’avoir un enfant sans père. Elle la refoule en faisant
porter la responsabilité de sa décision d’IVG sur son compagnon de l’époque. Elle n’a pas de
culpabilité.
Son ambivalence est secondaire à un conflit de valeurs refoulé selon le mécanisme de
défense de projection, pour se protéger de son anxiété et de son peu d’estime de soi. Elle
prend ainsi une distance entre son compagnon, son vécu émotionnel et sa conscience, ce qui
lui évite de se remettre en question. Par ces mécanismes, elle ne peut pas exprimer ses affects
de manière constructive mais sous une forme somatique telle que le sepsis. Elle ne peut
identifier ses besoins.
97
Troisième femme
La troisième jeune femme de cette étude avait environ 29 ans et vivait en Suisse. Elle
était enseignante et n’avait pas d’enfant. Recrutée par le biais de l’association AGAPA Suisse
Romande12 où elle avait été suivie, elle acceptait un entretien semi-directif avec une étudiante
infirmière dans le cadre d’un mémoire portant sur le vécu de l’IVG médicamenteuse. Elle
avait réalisée une IVG deux ans auparavant sur sa décision à elle car « le couple ne s’était pas
protégé lors des premiers rapports sexuels ». Elle racontait que « ça n’a pas été un choix
évident mais je n’aurais pas voulu avoir cette personne dans ma vie toute ma vie ».
La jeune femme racontait avoir été en colère quelques jours après l’IVG : « J’ai vu une
psychologue quelques jours après, j’étais encore fâchée de tout ce qui s’était passé […]. »
Elle évoquait aussi avoir rencontré cette psychologue trop tard : « […] je la regardais et je
me disais que c’est un peu tard quoi, je pense qu’à la rigueur quelqu’un comme ça devrait
passer au moment de l’hospitalisation. »
Selon les auteurs, cette jeune femme ne semblait pas avoir eu de culpabilité ni mobilisé
de mécanisme de défense suite à cette IVG : « La personne C est celle qui semble n’avoir eu
aucune conséquence particulière, c’est elle aussi qui a paru avoir le moins de sentiment de
culpabilité. » Elle n’avait pas été ambivalente par rapport à son choix d’IVG : « Elle exprime
clairement sa décision d’avorter et assume son choix. Elle ne semble pas vivre un conflit
particulier. » Elle n’avait pas manifesté de manque d’estime d’elle-même et n’avait pas été
déstabilisée par cette expérience : « Nous pouvons en conclure que la qualité de son estime
de soi lui permet de vivre l’expérience plus sereinement. »
Commentaire du vécu de la troisième femme
« Colère, acceptation du choix d’IVG et sérénité : témoin d’une bonne estime de soi »
Quelques jours après l’IVG qu’elle a décidée seule, la jeune femme ressent de la colère
vis-à-vis de son avortement, elle rencontre aussi la psychologue…trop tard selon elle. Elle
aurait préféré la voir pendant l’hospitalisation. Elle n’exprime pas de culpabilité, assume son
choix d’IVG et vit cette expérience sereinement.
Elle ne mobilise pas de mécanisme de défense contre un conflit particulier. Elle n’est
pas troublée par son IVG parce qu’elle a une bonne estime de soi.
98
3.4.24 Synthèse du document n° 24 : Anna (38)
« Un conte pour soigner. Accompagnement d’une personne ayant subi un avortement
dans un contexte de chantage affectif »
Anna avait 25 ans et vivait en France. Elle était célibataire, n’avait pas d’enfant et
travaillait comme secrétaire. Elle acceptait un entretien avec l’infirmière de psychiatrie,
service dans lequel elle avait été hospitalisée à la demande de son médecin traitant pour un
état dépressif réactionnel à une rupture sentimentale. Elle avait réalisé un avortement quelques
semaines auparavant, dans le contexte suivant : « un jour, elle apprend qu’elle est enceinte.
Elle a l’espoir, à ce moment-là, que le comportement de son amant va changer et qu’il va
clarifier enfin la situation. » Celui-ci l’avait alors accusée de vouloir utiliser cet enfant pour
faire pression sur lui, semblant « projeter sur elle sa propre manière de se comporter ». Il lui
avait fait subir un chantage affectif : « […] qu’elle avorte, ‘sinon il se chargera bien de faire
savoir à son enfant qu’il n’est qu’un bâtard et il saura le détruire à petit feu’ ».
Elle avait raconté comment, deux auparavant, elle avait été l’objet des assiduités de son
patron, qui était devenu par la suite son amant en lui promettant de divorcer pour elle. Elle
avait évoqué l’isolement social, la souffrance et la baisse de sa créativité artistique qui
s’étaient ensuivis à cause cette relation et de la personnalité de cet homme : « Il a manifesté
un comportement manipulateur et destructeur très caractéristique, exerçant sur elle un
contrôle, l’amenant à se couper de ses amis ainsi que de sa famille. » « Une autre
caractéristique du comportement pervers et manipulateur est qu’il manie sans cesse le chaud
et le froid. […] ‘Tu n’as aucune valeur à mes yeux, mais je ferai tout pour te garder.’ »
Durant son hospitalisation, Anna recherchait un dialogue avec l’infirmière : « […] elle
entre dans le bureau infirmier et s’assoit près de moi. » Elle lui exprimait alors son sentiment
d’imperfection : « Je me suis toujours sentie nulle… Ma sœur aînée était la perfection
incarnée pour mes parents, alors que moi… Il y avait toujours quelque chose à redire quoi
que je fasse… »
Anna racontait avoir pris conscience de la dureté de son amant et de la nécessité de s’en
séparer dans les suites de son avortement : « À ce moment-là, j’ai réalisé l’étendue de sa
cruauté, je me suis rendue compte que le quitter était une question de survie pour moi. » Elle
l’avait alors abandonné : « Son amant essaye de reprendre contact avec elle, mais elle ne
répond pas à ses appels. » Elle retraçait ensuite l’isolement qui avait suivi son IVG : « Elle a
99
trois semaines de congés avant de déménager vers son nouveau travail. Elle reste enfermée
chez elle, seule, […] ».
Anna était très émue en exposant son histoire : « Tout en me racontant les circonstances
de cet avortement, elle pleure sans discontinuer. » Par ailleurs, elle refusait de prolonger
l’hospitalisation : « Le problème est qu’elle ne souhaite pas rester à l’hôpital […]. » Elle
acceptait alors l’idée de l’infirmière de lui écrire un conte thérapeutique : « Je parle à Anna
Martin du conte que je souhaite écrire pour l’aider et elle l’accepte. »
Plusieurs mois plus tard, Anna remerciait l’auteur pour ce conte : « Ce conte que vous
avez écrit pour moi m’a beaucoup aidée. » Grâce à celui-ci, la jeune femme changeait son
regard sur sa vie qu’elle qualifiait jusqu’alors de terrifiante : « Ma vie n’était qu’un
cauchemar noir, rempli de sentiments de culpabilité et de désespoir, et soudain j’ai vu ma
propre histoire avec un autre sens. Elle devenait belle, pleine de couleurs et d’amour. Et j’ai
réalisé qu’elle était vraie. » Elle extériorisait sa souffrance au moyen de cette histoire : « Ce
conte a été comme une main douce qui est venue toucher la douleur de mon cœur et lui a
permis de sortir. » Elle se sentait alors libérée et en paix avec elle-même : « J’ai beaucoup
pleuré, mais c’étaient des larmes de délivrance, comme des larmes de réconciliation avec
moi-même. »
Anna ressentait désormais un bien-être dans sa vie privée et professionnelle :
« Aujourd’hui, je vais bien dans ma nouvelle vie. J’ai de nouveaux collègues. Dans ce boulotci l’ambiance n’a rien à voir avec l’ancien, c’est sympa. Et puis surtout, j’ai rencontré
quelqu’un, un garçon de mon âge très gentil qui me respecte et qui m’aime. J’ai droit à une
nouvelle chance. »
Selon l’auteur, Anna se dérobait face aux soignants : « À son arrivée, elle se montre très
secrète. […] Nous faisons des tentatives d’approche, mais elle fuit le contact. » Elle avait
besoin d’un certain temps avant de pouvoir s’exprimer : « Les quelques jours
d’hospitalisation lui ont probablement permis d’évaluer notre capacité d’accueil. Ils l’ont
amenée à se sentir suffisamment en confiance pour commencer à parler de son vécu
intérieur. » De plus, Anna avait une faible estime d’elle-même et peu de confiance en elle
comme l’auteur le décrivait dans son conte thérapeutique intitulé ‘Gaïa, la petite libellule qui
s’ignorait elle-même’ : « Qui donc pourrait l’aimer, elle qui était si imparfaite ? »
A travers le conte thérapeutique, l’auteur montrait chez Anna son désespoir et sa
culpabilité d’avoir choisi un tel père pour son enfant, son désir de le protéger en avortant, et la
souffrance de cette IVG : « […] Gaïa, qui dès sa conception avait ressenti un amour immense
100
pour cet œuf, sentit son cœur se briser. » A travers cette douleur, elle prenait conscience de sa
relation destructrice : « […] l’épreuve qu’elle a vécue lui ouvre les yeux et engendre un
nouveau comportement chez elle : la capacité de prendre de la distance par rapport à la
situation et de la regarder avec lucidité. » D’après l’auteur, elle se rendait compte de la
nécessité de rompre cette relation, ce qu’elle fit et « aussitôt, elle ressentit un grand manque
douloureux, comme si elle s’amputait d’une partie d’elle-même. Elle avait vécu avec ces liens
depuis si longtemps… Mais en accomplissant cet acte, elle savait qu’elle se sauvait ellemême… »
Anna culpabilisait d’avoir avorté : « Au fur et à mesure qu’Anna Martin me raconte son
histoire, un élément m’apparaît évident : elle ne se pardonne absolument pas d’avoir
avorté. » Et elle se dépréciait encore plus : « La culpabilité est quasiment toujours présente
[…]. Le regard que l’on porte sur soi peut devenir très sévère, portant atteinte à l’estime de
soi. Il y a pourtant là un deuil qui revendique son expression. » En effet, elle avait besoin de
faire le deuil de son avortement et de l’enfant avorté : « Il est non seulement légitime, mais
surtout nécessaire pour permettre à la jeune femme d’intégrer cet avortement dans son
histoire, sans qu’il devienne une zone d’ombre dont elle n’osera jamais parler. Sa blessure a
besoin d’être reconnue afin qu’elle puisse se cicatriser. » Elle nécessitait un accompagnement
pour ce processus rendu difficile : « Régulièrement, du fait de la culpabilité ressentie, le
secret entoure un tel deuil et gêne son expression. » Anna manifestait alors un syndrome
dépressif caractéristique. Elle était traumatisée par son histoire : « C’est une douloureuse
histoire d’amour impossible… impossible à vivre entre cet homme incapable d’amour et une
jeune fille sans amour pour elle-même… impossible à exprimer pour une mère égarée envers
son enfant non advenu… »
A l’aide d’un entretien unique, sans jugement et avec empathie du soignant, puis par la
lecture autonome du conte thérapeutique, Anna réussissait à exprimer des émotions
refoulées : « L’entretien lui a permis de mettre au jour sa blessure profonde, d’ouvrir la porte
à des émotions verrouillées liées à un deuil compliqué. C’est grâce à cet entretien que, en
écho à son vécu émotionnel, j’ai pu écrire un conte répondant à ses besoins. » Elle intégrait
l’épreuve vécue dans son histoire et lui donnait un sens : « […] en contribuant à clarifier son
vécu pour lui donner un sens, le conte a été un moyen pour elle de parvenir à se
déculpabiliser et ainsi à restaurer son estime d’elle-même. » Ainsi, Anna réussissait à mieux
se connaître et se respecter : « Dans son cœur, il y a, à jamais, une place particulière et pleine
d’un amour incommensurable, pour ce premier œuf qui, dans l’épreuve vécue, lui permit de
naître à elle-même… »
101
Commentaire du vécu d’Anna
« Souffrance et prise de décision, culpabilité et deuil difficile »
Anna fuit d’abord le contact avec les soignants, elle a besoin de plusieurs jours pour se
sentir en confiance. Puis elle recherche le dialogue avec l’infirmière et exprime son vécu.
Depuis son IVG secondaire à un chantage affectif, elle vit dans un cauchemar, dans la
culpabilité de cet avortement, dans la douleur.
Cette épreuve lui fait prendre conscience de sa relation destructrice avec son amant et de
la nécessité vitale de rompre le lien avec lui. Elle le quitte, elle ressent un grand manque
douloureux, s’isole et souffre d’une dépression.
Sa culpabilité de l’IVG aggrave un manque d’estime de soi qu’elle a toujours eu. Elle
rend difficile la réalisation du deuil de l’avortement et de l’enfant avorté, l’intégration dans sa
vie de ce traumatisme d’une histoire d’amour impossible entre elle et son amant, entre elle et
son enfant.
102
3.4.25 Synthèse du document n° 25 (39)(40)
« L’avortement : une déviance légale »
Barbara
Barbara avait 34 ans. Elle vivait en France avec son mari et ses deux enfants. Elle était
comptable. En raison de sa demande d’interruption de grossesse de 6 semaines, elle réalisait
l’entretien psycho-social pré-IVG obligatoire avec une conseillère conjugale. Celle-ci
retranscrivait cet entretien ouvert dès la fin de la rencontre et de mémoire, dans le but de
réaliser une étude qualitative sur le rapport des femmes à la déviance, selon l’hypothèse que
décider d’une IVG est moralement critiquable et/ou critiqué. Barbara n’était pas informée de
cette étude. Par ailleurs, elle avait réalisé une première IVG quinze ans auparavant, suite à son
premier rapport sexuel sans contraception.
Barbara vivait cette deuxième IVG différemment de la précédente, c’est-à-dire sans
culpabilité : « Je ne vis pas du tout cette IVG comme la première ! Je ne culpabilise pas du
tout !» dit-elle.
Selon l’auteur, Barbara changeait son regard sur cette décision de seconde IVG :
« Aujourd’hui, elle donne un sens différent à une même décision […]. » Elle ne culpabilisait
pas, contrairement à la première fois : « A l’époque, les conséquences de son insouciance ont
entraîné une grande culpabilité. »
Commentaire du vécu de Barbara
« Répétition de la décision d’IVG sans répétition de la culpabilité »
Barbara vit son second choix d’IVG différemment du premier, sans culpabilité. Elle lui
donne un autre sens.
103
Michèle
Michèle avait 20 ans. Elle vivait en France, en couple, et elle n’avait pas d’enfant. Elle
était étudiante en DEUG 2 de lettres. En raison de sa demande d’interruption de grossesse de
3 semaines, elle réalisait l’entretien psycho-social pré-IVG obligatoire avec une conseillère
conjugale. Celle-ci retranscrivait cet entretien ouvert dès la fin de la rencontre et de mémoire,
dans le but de réaliser une étude qualitative sur le rapport des femmes à la déviance, selon
l’hypothèse que la décision d’IVG est moralement critiquable et/ou critiqué. Michèle n’était
pas informée de cette étude. Elle avait auparavant réalisé deux IVG.
Michèle regrettait que l’IVG ne soit pas considérée comme un acte moral : « Pour elle,
l’IVG n’est pas encore entrée ‘dans les mœurs légales’ ». Elle ne ressentait rien à l’égard de
son IVG : « Elle souhaiterait que les femmes qui ont avorté sortent du silence et ‘témoignent
pour expliquer que ce n’est rien’. » Néanmoins, elle exprimait son malaise lié au regard des
autres sur elle : « […] certains interlocuteurs se préoccupent parfois de savoir si elle ne
souffre pas trop moralement. Si sa réponse est positive, elle sait que la conversation repose
sur un quiproquo. Si elle ressent un malaise, c’est uniquement à cause du regard des autres. »
Et elle culpabilisait de son propre vécu : « Ces questions et attitudes l’amènent à se demander
si son insensibilité par rapport à l’IVG est normale et elle en arrive à ‘culpabiliser de ne pas
culpabiliser’. »
D’après l’auteur, Michèle représentait un cas inhabituel car elle était la seule femme de
l’étude à décider d’une troisième IVG : « Un cas de figure atypique est, en effet, repérable
parmi les quatre-vingt neuf entretiens analysés. » Par cette répétition d’avortement, elle
pouvait prendre de la distance vis-à-vis du comportement de ses proches : « Cette exposition
répétée […] l’amène à considérer avec recul les réactions de son entourage, ainsi que celles
de certains membres du corps médical. »
Michèle constatait la condamnation morale de l’IVG, faisant de cet acte légal une
déviance morale :
« Elle
souligne […] la stigmatisation morale qui accompagne souvent
l’application du droit à avorter. » Elle combattait les attitudes des autres : « Elle a dû lutter
aussi bien contre la réprobation que contre la compassion d’autrui. » Selon l’hypothèse de
l’auteur, Michèle vivait l’IVG de manière différente au fur et à mesure de ses avortements :
« On peut émettre l’hypothèse que l’expérience de plusieurs avortements entraîne une
évolution des positions des femmes concernées par rapport à ce type de déviance. »
104
Commentaire du vécu de Michèle
« Insensibilité, absence de culpabilité et recul sur le regard stigmatisant de l’autre :
témoin d’un vécu de répétition »
Seule femme de l’étude à demander une troisième IVG, Michèle est insensible vis-à-vis
de ses IVG et n’en culpabilise pas. Elle regrette la stigmatisation morale de l’IVG et le regard
de l’autre qui ne la met pas à l’aise, et qui l’amènent à culpabiliser de ne pas culpabiliser. Elle
combat ces regards de réprobation ou de compassion.
Selon l’auteur, chacune de ses IVG est vécue différemment et cette répétition lui donne
du recul sur les réactions de son entourage.
105
4. Discussion
4.1 Type de l’étude
L’exploration du vécu psychique après l’IVG a initialement été envisagée sous forme
d’une recherche primaire supposant la réalisation d’entretiens avec des femmes ayant eu une
IVG dans les centres d’Angers ou de Tours. Les démarches auprès des soignants ont révélées
des obstacles éthiques et méthodologiques. Le thésard s’est alors tourné vers la recherche
secondaire pour réaliser une synthèse en recherche qualitative (9).
Cette recherche se rapproche de la méta-ethnographie selon le terme de Frappé, de la
métasynthèse descriptive selon celui de Beaucher qui la définit comme « une synthèse de
résultats de recherches qualitatives, mais dont l’objectif consiste en une analyse
compréhensive d’un phénomène donné » (9)(10). Elle suit une méthode rigoureuse :
échantillonnage des études qualitatives, recueil des données brutes de chacune d’entre elle,
codage et analyse thématique de ces données pour ensuite tenter de comprendre le vécu étudié
(10). Cette recherche se différencie néanmoins de la métasynthèse par son échantillon qui ne
se constitue pas seulement d’études standardisées5 (10). [Annexe II]
4.2 Critique des résultats de la méthode
4.2.1 Identification et sélection du matériel
Identification et inclusion
4.3% du matériel identifié a été inclus.
L’échantillon de documents est de petite taille par rapport à la quantité initiale de
matériel au risque de paraître insuffisant. Pourtant, l’ensemble des bases de données et des
mots-clefs est exhaustif. Le large critère d’inclusion a nécessité le choix de nombreux critères
de non-inclusion impliquant une lecture du texte intégral des documents pour être repérés. Le
résultat de cet échantillonnage démontre le faible nombre de publications sur le thème du
vécu psychique de la femme après l’IVG.
106
Exclusion
Près de la moitié des documents ont été exclus de l’étude parce que leurs auteurs
n’avaient pas eu d’entretien avec la femme ou n’avaient pas rapporté leur discours. 25
documents ont finalement été conservés.
L’échantillon déjà petit est réduit par ces critères d’exclusion. Néanmoins, ceux-ci
permettent de s’assurer de la réalité des échanges verbaux. Cette démarche d’exclusion suit
les recommandations de Beaucher pour les métasynthèses sur la nécessité d’étudier le
discours de la population : « Il est important que les résultats des études primaires soient
explicitement supportés par du contenu manifeste, par exemple des citations des
participants. » (10)
4.2.2 Evaluation de la qualité du matériel
Critère de qualité : la méthodologie du document
La qualité des documents a d’abord été évaluée selon leur méthodologie. Le matériel est
constitué de 15 études de cas6, 10 entretiens cliniques7, et 2 études standardisées5.
Ce résultat montre que peu de documents suivent une méthodologie pré-établie et qu’ils
n’ont pas une qualité scientifique authentifiée. L’étude ne répond pas à une des conditions
requises pour être une métasynthèse (10).
Cela ne signifie pas pour autant que les études de cas et les entretiens cliniques sont de
mauvaise qualité. Pour l’estimer, un autre critère a été recherché et trouvé dans la forme de
discours utilisée par les auteurs pour rapporter les propos de la femme.
Critère de qualité : la forme du discours
La majorité des documents contenait du discours indirect libre10 associé à du
verbatim/discours direct8.
L’utilisation de verbatim dans les documents empêche la confusion entre l’expression
de la femme sur son vécu et l’interprétation qu’en a faite l’auteur. L’existence de discours
indirect libre peut en revanche provoquer ce biais d’interprétation.
Cependant, la prise en compte de ce risque conduit à un repérage attentif du discours
indirect libre à la lecture du document pour mieux en extraire l’expression des femmes sur
leur vécu.
107
4.2.3 Recueil des caractéristiques des documents
Revue de publication et profession de l’auteur
La plupart des documents sont des articles qui ont été publiés dans des revues
spécialisées en psychanalyse ou des revues de sciences humaines multidisciplinaires. Leurs
auteurs étaient surtout psychanalystes ou psychologues, mais également conseillers
conjugaux, pédopsychiatres, infirmières ou gynécologue-obstétricien.
Ceux-ci ont recueilli des informations lors de leur travail puis les ont choisies dans un
deuxième temps comme données de recherche présentées sous forme d’études de cas6 ou
d’entretiens cliniques7. Cette démarche explique l’absence de protocole de recherche (41).
Elle indique également l’existence d’un biais de sélection parce que les femmes étudiées ne
sont pas représentatives de la population générale qui a vécu une IVG.
Néanmoins, la nature même de ces entretiens permet une relation de confiance et une
connaissance de la femme plus solides que ne le permettrait une recherche standardisée. Le
psychothérapeute est capable de mieux décrire l’élaboration de la pensée de la femme, de
l’analyser à partir de son expérience professionnelle, et d’ouvrir à une compréhension plus
fine de son vécu psychique.
Celui-ci est d’autant mieux exploré qu’il est appréhendé par différentes disciplines.
Titre des documents
Les titres des documents sélectionnés sont pour la plupart sans rapport avec le thème du
vécu psychique de la femme après l’IVG.
Le repérage des éléments de ce vécu comporte des difficultés avec un risque de biais
d’interprétation lors du recueil de données.
La prise en compte de ce risque conduit à une lecture attentive de la chronologie de
l’histoire de la femme pour mieux en distinguer et en extraire le vécu avant et celui après
l’IVG.
108
4.2.4 Analyse des données
Codage, analyse et synthèse thématiques
L’analyse des données consiste en un codage et un repérage thématique du vécu
psychique après l’IVG de chaque femme.
L’analyse expose au risque d’interpréter la partie « expression de la femme sur son vécu
psychique », et celui de mal comprendre la partie « interprétation de l’auteur sur cette
expression ». Afin d’éviter ce biais, elle nécessite un double codage du recueil de données et
une compréhension du langage spécifique souvent employé par l’auteur pour dégager des
thématiques. Celles-ci sont ensuite réunies en une synthèse qui intègre l’histoire de la femme
et respecte la chronologie du récit de l’auteur.
Pour répondre à la question de recherche, chaque synthèse est suivie d’une analyse
compréhensive ciblée sur le vécu post-IVG de la femme. Comme l’indique Denans, « l’étude
de cas relève comme toute démarche clinique de l’expérience personnelle, ce qui implique
une forme de limitation quant à la généralisation de l’étude à partir d’un cas » (12).
4.3 Critique des résultats de l’analyse
Le regroupement des analyses compréhensives individuelles tente de dégager des
thématiques du vécu psychique post-IVG. Il faut noter que celui-ci ne concerne que des
femmes ayant eu des entretiens psychothérapiques ce qui constitue une population à plus haut
risque de souffrance psychique.
4.3.1 Conflit relationnel intrafamilial
Chez plusieurs femmes, l’IVG est le point de départ d’un conflit relationnel. Les
tensions familiales de Léa avec son père, qui accepte mal la sexualité de sa fille, se
compliquent d’une anorexie mentale. L’opposition de Fatia avec ses parents, qui l’ont
culpabilisée de sa grossesse, ont décidé de son IVG et ont forcé la séparation avec son ami, se
complique de conduites sexuelles à risque et d’alcoolisations fréquentes. Luna se sent
incomprise et souffre d’être persécutée par ses parents dont la culpabilité de la grossesse et de
l’IVG de leur fille amène à exprimer le secret de son inceste.
109
Le conflit relationnel montre la fragilité du sentiment d’identité de ces adolescentes et
révèle un malaise des parents face à la sexualité de leur fille pouvant aller jusqu’à nier sa
subjectivité.
L’étude rétrospective de Cougle montre une prévalence de difficultés relationnelles plus
importante après l’IVG qu’après l’accouchement (42).
Mytnik écrit que « la survenue impromptue d’une grossesse, suivie de la décision
d’interruption, peuvent venir s’inscrire dans les rouages de configurations psychiques
individuelles et familiales » (43). On peut supposer que l’IVG soulève un questionnement de
l’adolescente et de ses parents sur la sexualité, la fécondité et l’identité mis en évidence sous
forme de tensions familiales post-IVG.
La prise en compte par le praticien de l’histoire et des relations familiales de la jeune
fille ayant ou allant réalisé une IVG pourrait aider celle-ci à énoncer ses interrogations et ses
difficultés propres à son adolescence.
4.3.2 Mal-être et culpabilité
Mal-être
Un certain nombre de femmes ressentent un mal-être après leur IVG. Il se manifeste par
une boulimie chez Julie, une dépression ou une souffrance chez Fatia, Sarah et une autre jeune
femme. Il se caractérise également par une douleur et une vie de cauchemar chez Anna, une
tristesse, un découragement, une anxiété chez une autre jeune femme, de la colère chez une
autre encore. L’évocation d’une IVG ancienne peut provoquer un ressentiment : Geneviève
garde une rancœur envers son mari et Madame T. exprime honte et haine à son souvenir.
Culpabilité
Un certain nombre de femmes expriment une culpabilité après leur IVG. Julie se sent
coupable d’avoir tué un enfant à cause du fantasme d’infanticide. Une femme pense avoir
enlevé un enfant à Dieu. Nouria culpabilise d’avoir commis une faute morale interdite par sa
religion. Michèle ressent une culpabilité à la réminiscence de son IVG. Anna se sent coupable
de son IVG et une autre femme culpabilise parce qu’elle avorte pour la deuxième fois.
Certaines femmes comme Michèle n’ont pas de culpabilité. Celle-ci est insensible à ses
IVG passées et combat le regard de son entourage sur son acte. Barbara ne se sent pas
coupable en décidant de sa deuxième IVG, à la différence de la première fois. Une autre
d’entre elles vit sereinement après l’IVG.
110
Le mal-être et le vécu de culpabilité de l’IVG révèlent une ambivalence ou un désaccord
conscients ou inconscients avec la décision d’IVG. Ils témoignent aussi d’une fragilité
identitaire par l’existence d’un lien fusionnel avec la mère, d’une blessure narcissique depuis
l’enfance, d’un manque d’estime de soi ou d’une absence du sentiment maternel. La sérénité
et l’absence de culpabilité après l’IVG montrent un choix assumé, une bonne estime de soi ou
un recul sur les réactions de l’entourage qui serait permis par l’expérience de plusieurs
avortements.
Ces constatations peuvent être mises en rapport avec l’étude prospective de Cougle
montrant un taux d’anxiété généralisée plus élevée après une IVG qu’après l’accouchement
d’une grossesse non désirée (44). L’étude prospective de Broen montre une prévalence de
culpabilité plus élevée après l’IVG qu’après la fausse-couche (45). Bianchi-Demicheli
souligne que les sentiments des femmes après l’IG peuvent être positifs et négatifs (46) et
l’étude longitudinale de Major précise que l’estime de soi après l’IVG augmente avec les
années (47).
Melo écrit : « Ce qui centre mon attention est la dérive pathologique de l’ambivalence,
masquée parfois par des rationalisations de surface. J’ai dû apprendre à anticiper les risques
dépressifs et d’effondrement narcissique […] il m’a fallu apprendre à être très attentif aux
conséquences psychiques de la décision qui était officiellement écartée. » (22) On peut
supposer que le moment de décision de l’IVG soulève un conflit psychique qui serait mis en
évidence après l’IVG sous forme de mal-être et culpabilité.
En pratique, le soignant pourrait essayer de prévenir l’apparition de ce vécu lors de
consultations de demande d’IVG où il aiderait la femme à problématiser son choix, à
envisager les pertes qui l’accompagnent quel qu’il soit.
4.3.3 Troubles du comportement et troubles psychiatriques
Violence
Depuis son IVG forcée, Julie souffre de passages à l’acte violent où elle maltraite ses
patients et détruit ses propres œuvres d’art.
Troubles de la conduite alimentaire
Plusieurs femmes souffrent de troubles du comportement alimentaire dans les suites de
leur IVG. Léa développe une anorexie mentale, Julie voit réapparaître les troubles
111
boulimiques de son enfance, Cécilia, aux antécédents d’anorexie pendant l’adolescence,
consulte pour l’apparition de boulimie et de vomissements.
Mélancolie et psychose
Madame B. souffre d’une mélancolie délirante chronique dont les auto-accusations de
crimes imaginaires et peut-être la négation d’organe sur la thématique du déchet sont en lien
avec l’IVG réalisée il y a bien longtemps.
Deux femmes souffrent d’une psychose survenue plusieurs mois après leur IVG. Esther
a un vécu d’angoisses et d’idées obsédantes sur la sexualité avec des accès de déréalisation.
Nouria développe une psychose puerpérale autour de son troisième accouchement.
Les passages à l’acte violent et l’IVG qui les précède témoignent d’une violence
intérieure liée à un déséquilibre œdipien. Les troubles de la conduite alimentaire et l’IVG qui
les précèdent témoignent d’un conflit psychique entre le besoin et le rejet de devenir femme et
mère et révèlent une difficulté de séparation avec la mère. La mélancolie délirante chronique
et l’IVG qui la précède témoignent de celle de se séparer de l’objet qui la représente dans le
désir de l’Autre. Le processus psychotique et l’IVG qui la précède soulignent l’existence
d’une angoisse de la maternité ou d’une absence du sentiment maternel issues l’une et l’autre
d’une fragilité de l’identité sexuée.
L’étude rétrospective de Coleman calcule une prévalence de troubles psychotiques plus
importante après l’IVG qu’après l’accouchement (48).
« Ces
grossesses
que
j’ai
nommé
grossesses-symptôme
tentent
au
moins
momentanément de faire une sorte d’économie de la perte (au sens large) par le lien à la
chair qu’elles permettent (pas seulement lors de difficultés du deuil mais aussi bien lors de
problématiques liées à la séparation etc.)[…] la grossesse-symptôme suivie de son
interruption, vient en réponse à un trauma non résolu. » (43) A l’instar de ces troubles et du
sentiment de mal-être et de culpabilité décrit dans le paragraphe précédent, le passage à l’acte
de l’IVG serait le témoin d’une fragilité identitaire, d’un manque d’estime de soi. Il
semblerait aussi favoriser l’apparition des troubles comportementaux ou psychiatriques.
Avant ou après l’IVG, le soignant pourrait tenter d’appréhender ce qu’elle vient
questionner sur son sens, sur l’identité de la femme et sur l’existence d’un passé traumatique.
112
4.3.4 Choix d’un nouveau projet de vie
Pour deux femmes, le choix de l’IVG est suivi d’une seconde prise de décision. Il
provoque chez Madame M. le soulagement, le secret de cet avortement et le choix angoissé
d’interrompre sa vie conjugale. Il entraîne chez Anna une douleur qui l’amène à prendre
conscience de sa relation destructrice avec son amant et la décide à rompre avec lui.
Cette prise de décision révèle une problématique du choix pouvant être lié à un conflit
relationnel phobique avec autrui.
On peut supposer que l’épreuve du choix ou du vécu de l’IVG réactive celle d’une
souffrance dans le couple qui semblerait trouver une issue après l’IVG dans la décision de
rupture conjugale
En pratique, le soignant pourrait rechercher chez la femme ayant ou allant réaliser une
IVG l’existence d’une souffrance personnelle en attente d’énonciation et réactivée par la
situation.
4.3.5 Vécu de perte
Plusieurs femmes ressentent une perte après l’IVG. Madame A. manifeste le syndrome
de l’enfant de remplacement lié à son IVG forcée il y a 28 ans. Michèle exprime une
culpabilité à la réminiscence de son IVG d’il y a 10 ans alors qu’elle se questionne sur le
statut de son fœtus malade. Anna vit son avortement non désiré puis sa séparation conjugale
dans la douleur, la culpabilité et la dépression.
Ce vécu de perte témoigne de l’existence d’un deuil périnatal non résolu où la perte est
difficile à intégrer dans l’histoire personnelle. Il peut durer de nombreuses années au point
d’être responsable de deuils transgénérationnels.
Melo écrit qu’une « IG, même volontaire, nécessite un travail d’élaboration d’un deuil
complexe […] le deuil de cet enfant qui ne naîtra jamais ; le deuil de la grossesse qui a été
interrompue ; le deuil de soi comme mère de cet enfant-là ; et aussi le deuil de soi comme
enfant réincarné, dans une sorte de projet d’auto-engendrement. » (22)
113
On peut supposer que le vécu de perte est d’autant plus intense que le désir d’enfant13
est grand.
En essayant d’évaluer ce désir d’enfant13 de la femme, le soignant se rendrait mieux
compte de l’intensité du deuil périnatal et pourrait proposer un accompagnement plus ciblé.
Ce deuil pourrait aussi être repéré à l’occasion d’un autre évènement de fécondité où « il n’est
pas rare de retrouver une ancienne IVG […] qui n’aura jamais été évoquée par la femme et
se sera cristallisée comme un élément traumatique au sein de sa fécondité globale et de son
expérience de maternité. » (43)
4.3.2 Besoin d’accompagnement psychologique
Demande d’accompagnement psychologique
Chez plusieurs femmes, l’IVG est suivie d’une demande d’accompagnement
psychologique. Ainsi, pour Léa, Julie, Sarah et une autre jeune femme, cette demande est
motivée par l’IVG qu’elles ont réalisée. Madame M. et Clémentine souhaitent continuer le
suivi débuté en consultation pré-IVG. Cécilia consulte pour une boulimie, une autre jeune
femme pour une dépression, des malaises répétés et une tendance à l’alcoolisation.
Ambivalence à accepter un suivi psychologique
Plusieurs femmes expriment une hésitation avant d’accepter un accompagnement
psychologique. Fatia interrompt brutalement le suivi. Justine est indécise à accepter un
entretien pour sa demande de troisième IVG. Une jeune femme refuse de rencontrer une
psychologue après sa première IVG puis pendant sa deuxième IVG.
Une femme refuse sans ambivalence le suivi précisant que la psychologue n’était utile
que pendant l’hospitalisation.
L’ambivalence d’accepter un suivi psychologique peut témoigner en cas de refus, d’une
autopunition, d’un déni ou d’une obéissance à l’interdiction parentale. Elle peut révéler
13
« Le désir d’enfant peut se décliner comme une combinaison variable de trois composantes : 1) Narcissique :
l’enfant est la réincarnation d’un soi-même vierge, une renaissance. 2) Objet narcissique : l’enfant remédie au
manque ou au sentiment d’incomplétude. C’est un autre pour Soi, un objet subjectif. 3) Objet objectal : l’enfant
de la mère, du père, de l’Autre. (22)
114
l’existence d’un conflit psychique, d’un désir en attente d’élaboration, d’un besoin de soutien
lié à l’IVG.
En pratique, le soignant devrait être vigilant sur le besoin de la femme d’être écoutée
après l’IVG. On suppose qu’il pourrait plus facilement le repérer et le prendre en charge au
sein d’une relation de confiance préalablement établie telle qu’une relation médecin traitantpatient.
4.3.7 Psychosomatisation
Symptômes
Les symptômes sont une boulimie chez Julie, un syndrome de l’enfant de remplacement
chez Madame A., des alcoolisations massives et ponctuelles chez une jeune femme, une
dépression et des malaises chez une autre femme. Leur lien avec l’IVG peut être révélé par
leur manifestation à une date symbolique de la vie de ces femmes : Julie consulte pour sa
boulimie neuf mois après son IVG, une jeune femme constate avec surprise la coïncidence
entre l’apparition de sa dépression et des malaises et la date de naissance présumée de l’enfant
non advenu. Fatia tombe dans un coma éthylique et apprend sa deuxième grossesse issue
d’une relation passagère et alcoolisée autour de la date anniversaire de son IVG.
Difficultés à parler et secret de l’IVG
Plusieurs femmes ont des difficultés à parler de leur IVG. Julie et une autre jeune
femme n’expriment verbalement aucune émotion à propos de leur IVG mais souffrent d’un
mal-être. Nouria, deux jeunes femmes et Fatia abordent difficilement le sujet de leur
avortement survenu il y a un an ainsi que Madame T. à propos de son IVG réalisée il y a huit
ans, Madame A. sur son IVG datant de vingt-huit ans, Anna et une autre femme sur leur IVG
faite il y a plusieurs mois. Cette difficulté à parler de l’IVG peut s’expliquer chez certaines
d’entre elles, comme Nouria, par leur décision de la garder secrète.
D’autres femmes comme Antoinette et Michèle n’ont pas de difficulté pour aborder le
sujet de leurs deux IVG passées.
La difficulté à parler de l’IVG peut entraîner l’apparition de symptômes
psychosomatiques tels que les alcoolisations qui sont ici des tentatives pour remplacer le
manque du bébé ou pour oublier le souvenir douloureux d’une IVG non désirée ayant porté
115
atteinte à la féminité. Ce silence de la femme peut s’expliquer par le sentiment de culpabilité
d’avoir transgressé un interdit.
Dans l’étude rétrospective de Coleman, cette addiction a une prévalence plus élevée
chez les parturientes ayant un antécédent d’IVG que les autres femmes enceintes (49).
Pour Mytnik, ce silence serait aussi lié à la banalisation de l’IVG et la notion d’une
évidence de droit : « La souffrance de la femme qui a choisi l’IVG serait comme indécente,
honteuse, elle semble frappée d’un interdit qui ressemble à un prix à payer. C’est une partie
de cet envers du ‘droit à l’IVG’.» (43)
La solution pour lever ce silence consisterait donc à créer des espaces de parole et
d’accompagnement dans l’après-IVG : « Enfouissement et banalisation sont devenus des
formes plus affirmées du système défensif inconscient. L’IVG de non droit est devenue l’IVG
de non lieu, je m’explique : il n’y a pas de lieu psychique collectif pour l’IVG. » (43)
4.3.8 Ambivalence de la demande répétée d’IVG
Certaines femmes vivent une autre grossesse après leur IVG. Fatia tombe enceinte au
cours d’une relation passagère et alcoolisée et a le sentiment d’en être responsable tout en y
étant indifférente. Elle se sent ensuite coupable de sa décision secrète de seconde IVG, ne
l’assume pas et la fait valider par sa mère par le biais d’un acte manqué. Michèle est enceinte
dix ans après son IVG et est confrontée à une proposition d’IMG qui provoque un
questionnement sur le statut enfant ou objet du fœtus, une réminiscence de son IVG et de sa
culpabilité, puis une décision d’IMG. Plusieurs femmes sont indécises quant-à la réalisation
de leur deuxième ou troisième IVG.
L’ambivalence face à la demande répétée d’IVG et donc à la grossesse répétée révèle
l’existence d’un conflit psychique notamment lié à un questionnement identitaire ou à un
sentiment de manque, et tenté d’être résolu par une grossesse.
Selon Mytnik, ce conflit psychique conduit la femme à répéter le cycle grossesse-IVG :
« les tentatives de réparations magiques, de déni de la mort […] emmènent parfois la femme
vers des dérives psychopathologiques où elle finit par s’engluer dans une souffrance qui ne
trouve pas d’issue, sinon celle du symptôme qui se répète en boucle. » (43) Selon Melo, la
répétition d’IVG est secondaire à un manque d’historicisation de la grossesse : « Il y a danger
de construction d’un non évènement psychique, d’un secteur clivé du reste de l’histoire de la
jeune fille, avec le risque d’une répétition automatique de ce comportement. » (22) On peut
116
donc supposer que la répétition d’IVG est liée à la mauvaise intégration de celle-ci dans
l’histoire de la femme et à un manque d’élaboration du conflit psychique.
En pratique, l’entretien pré-IVG, qui n’est plus obligatoire, trouverait particulièrement
sa place dans le cadre des demandes d’IVG répétées. Il permettrait d’élaborer les désirs
inconscients de grossesse et d’enfant13. La difficulté réside dans l’acceptation de la femme à
participer à cet entretien mais aussi dans le manque de temps : « […] la temporalité de
l’avortement n’est pas uniquement celle de l’urgence de la décision à prendre. La temporalité
de l’avortement est aussi celle d’une mémoire particulière -l’inconscient- dont les données ne
sont pas directement accessibles à la conscience mais font pourtant les agissements de nos
vies. » (50)
117
5. Conclusion
Cette étude explore le vécu psychique de la femme après l’IVG par une synthèse de la
littérature qualitative francophone en psychologie dont la méthodologie se rapproche d’une
métasynthèse descriptive.
Parmi les documents identifiés, 4.3% ont été inclus dans l’étude montrant le peu de
publications scientifiques sur ce thème. Les critères d’exclusion ont permis de sélectionner les
articles dont l’auteur avait rencontré la femme et rapporté les propos.
Le vécu post-IVG a été appréhendé à travers le regard de vingt-cinq professionnels par
l’analyse de leurs entretiens cliniques et études de cas concernant trente femmes. Celles-ci ont
un risque de souffrance psychique plus important que la population générale ce qui entraîne
un biais de recrutement pour cette recherche.
Le regroupement des analyses compréhensives individuelles a permis de dégager des
thématiques pour décrire ce vécu.
La femme peut vivre un sentiment de mal-être ou de culpabilité, un besoin
d’accompagnement psychologique, une ambivalence de la demande répétée d’IVG, un conflit
relationnel intrafamilial, une violence, des troubles de la conduite alimentaire ou des troubles
psychiatriques qui révèlent l’existence d’un conflit psychique. Celui-ci peut être notamment
lié à une ambivalence de la décision d’IVG ou bien à un questionnement identitaire, un
sentiment de manque tentés d’être résolus par une grossesse. Le vécu témoignerait d’un
manque d’élaboration de ce conflit.
La femme peut aussi vivre son IVG sans culpabilité ni besoin d’accompagnement
psychologique.
Elle peut connaître un vécu de perte dont le deuil périnatal est parfois transgénérationnel
et serait d’autant plus difficile que le désir d’enfant est intense.
La femme peut décider d’un nouveau projet de vie à l’issue de l’IVG où celle-ci aurait
ainsi réactivé et permis l’élaboration d’une problématique ancienne.
Enfin, elle peut manifester un silence sur son IVG et, parfois à des dates symboliques,
des signes psychosomatiques tels qu’une dépression, des alcoolisations, un syndrome de
l’enfant de remplacement. Cette difficulté à parler de l’IVG serait liée à sa culpabilité ou à la
banalisation de l’acte.
118
Cette recherche montre l’existence chez certaines femmes d’un vécu post-IVG plutôt
négatif qui fait prendre conscience au soignant de l’intérêt d’en repérer les signes et d’évaluer
le besoin d’écoute de ces femmes.
Un accompagnement psychologique après l’IVG pourrait alors être mis en place pour
permettre à ces femmes d’élaborer leur demande d’IVG, leur désir de grossesse et d’enfant en
écoutant le récit de leur histoire, de leurs relations familiales, de leurs éventuels traumatismes
passés, en les aidant à problématiser leur choix et les pertes qui l’accompagnent. L’entretien
psycho-social avant l’IVG pourrait en être le préambule.
119
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37. Grancho G, Kanapathy T. Quel est le vécu des femmes, hospitalisées pour subir une
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infirmière? Lausanne; 2008.
38. Langenfeld S. Un conte pour soigner. Accompagnement d’une personne ayant subi un
avortement dans un contexte de chantage affectif. VST - Vie sociale et traitements. 30
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39. Divay S. L’avortement : une déviance légale. Déviance et Société. 2004;Vol. 28(2):195
122
40. Divay S. L’ivg : un droit concédé encore à conquérir. Travail, genre et sociétés.
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recherche qualitative ? C@hiers de Psychologie Politique [en ligne]. juin 2006;(9).
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childbirth: a long-term analysis of the NLSY cohort. Medical science monitor. avr
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pregnancies resolved through childbirth and abortion: a cohort study of the 1995 National
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miscarriage and induced abortion: a longitudinal, five-year follow-up study. BMC
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responses of women after first-trimester abortion. Archives of general psychiatry. août
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comparison of outpatient mental health claims over 4 years. The American journal of
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to substance use during subsequent pregnancies carried to term. American journal of
obstetrics and gynecology. déc 2002;187(6):1673‑1678.
50. Bailly M. Aux marges du féminin Accueillir et accompagner l’avortement. 2008.
123
7. Annexes
Annexe I : Précision des équations de recherche………………………………………....p 125
Annexe II : Positionnement de l’étude dans le champ de la recherche…………………..p 125
Annexe III : Evaluation de la qualité du matériel …………………………………..........p 126
Annexe IV : Recueil de données sur les caractéristiques des documents…………...........p 127
Annexe V : Recueil de données sur les caractéristiques des femmes et de
l’entretien, sur l’épisode de l’IVG et les évènements l’ayant précédé ……........................p 129
Annexe VI : Analyse thématique …………………………………………………….......p 138
Annexe VII : Retranscription et codage du vécu psychique après l’IVG …………..........p 169
124
Annexe I : Précision des équations de recherche
Les mots-clefs de l’équation de recherche avancée répondaient aux critères suivants : « titre
de l’article » puis « texte intégral » en discipline de « psychologie » dans Cairn.info, « titre de
l’article » dans Google Scholar, dans « tous les champs » et par « revue scientifique de
psychologie » dans Persée, dans « tous les champs » dans Francis et DOAJ, dans « tous les
champs » et dans « toutes les collections » dans RERO DOC, dans les disciplines de « santé »,
« médecine », « sciences de la vie et de la santé », « psychologie », « psychopathologie »,
« psychanalyse », « psychologie du travail », « psychologie cognitive », ou « psychologie
clinique et pathologique » dans theses.fr, dans le « texte intégral » avec pour type de ressource
des « articles » ou des « mémoires » ou des « thèses » dans SantéPsy, dans le « résumé » et
dans « tout le dépôt » dans le dépôt institutionnel numérique Papyrus, dans « tous les mots »
et dans « le catalogue des thèses disponibles en ligne » dans BIU Santé médecine, avec pour
type de ressource « des articles de périodique » dans Doc’CiSMeF.
Les bases de données étaient fournies par les sites internet des universités
francophones d’Angers en France, de Genève et Neuchâtel en Suisse, de Louvain en
Belgique, de Montréal au Canada.
Annexe II : Positionnement de l’étude dans le champ de la recherche (9)(10)
Etapes
Echantillonnage
Recueil des données
Analyse des données et discussion
Etude qualitative
Personnes
Recueil du verbatim de
Codage et analyse thématique de chaque
primaire standardisée
« participants »
chaque personne
verbatim, regroupement et hypothèses
Revue systématique
Etudes quantitatives
Résultats des études
Synthèse des résultats et hypothèses
Méta-analyse
Etudes
Recueil des données
Analyse statistique et résultats statistiques bruts
quantitative
quantitatives
brutes de chaque étude
Méta-analyse
Etudes qualitatives
Résultats des études
qualitative
standardisées
Métasynthèse
Etudes qualitatives
Recueil des données
Codage et analyse thématique de chaque étude,
descriptive
standardisées
brutes de chaque étude
regroupement des thèmes, analyse
Type d’étude
de la littérature
Synthèse des résultats pour une vue d’ensemble
du phénomène étudié
compréhensive du phénomène étudié
Synthèse qualitative
Documents
Recueil des données
Codage et analyse thématique de chaque
sur le vécu psychique
qualitatifs de bases
brutes de chaque
document, analyse compréhensive du vécu de
de la femme après
sciences humaines
document
chaque femme, regroupement thématique,
l’IVG
et pluridisciplinaires
analyse compréhensive global du vécu étudié
125
Annexe III : Evaluation de la qualité du matériel
Critère d’évaluation :
(++ très présent
N°
+ présent)
du document
Méthodologie
étude
étude
qualitative de cas
primaire
Forme du discours utilisé
entretiens
cliniques
discours discours discours
direct
indirect
indirect
libre
1 Léa
×
+
2 Geneviève
×
+
++
+
++
3 Julie
×
++
++
4 une femme
×
+
++
+
++
+
++
5 Esther
×
6 Antoinette
×
7 Julie
×
+
8 Madame M.
×
+
++
9 Fatia
×
++
++
9bis Clémentine
+
++
×
10 Cécilia
×
++
++
11 Nadège
×
+
++
12 Madame T.
×
++
++
++
13 Sarah
×
+
++
14 Yasmina
×
+
++
14bis Justine
×
15 Luna
×
16 Nouria
×
17 Madame P.
×
18 Madame A.
×
++
++
+
++
++
++
+
++
+
++
+
19 Madame B.
×
++
20 Jeune femme
×
++
21 Jeune femme
×
22 Michèle
23. 3 Jeunes femmes
×
24 Anna
25. 2 Jeunes femmes
++
++
++
×
×
++
+
×
++
++
++
++
+
++
126
Annexe IV : Recueil de données sur les caractéristiques des documents
1
caractéristiques
n° du document
Pays
Profession de
&
Nature
Nom de la revue
l’auteur
ville
du
scientifique
(profession du 1er
exercice
docu-
paru
auteur si l’ouvrage
de
ment
tion
est collectif)
l’auteur
Neuropsychiatrie de l’enfance
et de l’adolescence
Date
de
Lorsque l’expérience
France,
Pédopsychiatre
Amiens
Titre du document
Article
2002
traumatique dépasse les
fantasmes
2
Revue française de
Psychanalyste
psychanalyse
3
4
France,
Article
2009
Lyon
Cahiers de psychologie
Psychologue &
Paris &
clinique
psychanalyste
Bruxelles
Le Coq-héron
Psychanalyste
France
Reconstruire pour ne
pas se détruire
Article
2011
« J’ai tué mon enfant… »
Pour penser la clinique de l’IVG
Article
2004
Exil, migration et
confusion généalogique
5
Revue française de
Psychanalyste
psychanalyse
6
Dialogue
France,
Article
2002
Paris
Thérapeute de
France
« médiquer » un peu
Article
2005
Revue française de
Psychanalyste
psychanalyse
8
9
10
Dialogue
Adolescence
Cliniques méditerranéennes
Conseillère conjugale,
Le féminin et le maternel,
l’angoisse face à la différence
couple
7
Il faudrait la
France,
Article
2005
Sublimation de la violence et
Saint-
violence de la sublimation, une
Etienne
orientation sans fin ?
France
Article
2007
Cadre(s), transfert et contre-
thérapeute, psychana-
transfert dans la pratique
lytique de couple
clinique
Psychiatre &
Suisse,
psychanalyste
Genève
Psychologue
France,
Article
2006
Adolescentes enceintes
Article
2009
Des corps en acte,
Lyon
désymbolisation/symbolisation à
l’adolescence
11
12
Enfance & Psy
Le journal des psychologues
Psychiatre &
France,
psychanalyste
Paris
Psychologue
France
Article
2009
Crime en solitude ? Un cas
clinique
Article
2011
Violences conjugales et
souffrance de l’enfant
13
Adolescence
Psychologue
France,
Article
2006
Le fantasme de magmamatrice
Article
2006
Le moment adolescent comme
Saint Ouen
sur Morin
14
Adolescence
Psychologue
France,
Tours
moteur de la cure d’adulte
127
caractéristiques
n° du document
15
Pays
Nature
Date
&
du
de
ville
docu-
paru
exercice
ment
tion
Titre du document
Article
2006
Sexe, mensonge et trahison.
Profession de
l’auteur
Nom de la revue
scientifique
(profession du 1
er
auteur si l’ouvrage
de
est collectif)
l’auteur
Cahiers de psychologie
Psychologue &
Belgique,
clinique
psychothérapeute
Bruxelles
De l’emprise familiale au lien
fraternel effracté
16
Figures de la psychanalyse
Docteur en linguisti-
France
Article
2011
que & psychanalyste
17
La psychiatrie de l’enfant
La persécution maternelle
primaire
Pédopsychiatre &
France,
thérapeute familiale
Paris
Article
2004
Psychothérapie d’une maman
trop attentionnée : un syndrome
de Münchhausen par procuration
18
Etudes sur la mort
Gynécologue-
Belgique,
Article
obstétricien
La
& annexe
2001
Deuil périnatal : transmission
intergénérationnelle
Louvière
19
20
Savoirs et clinique
La clinique lacanienne
Psychiatre &
France,
psychanalyste
Lille
Psychanalyste
France,
Article
2008
La mélancolie résiste bien à
l’épreuve du temps
Article
2010
Désaccord
Article
2010
Pourquoi une femme se met-elle
Paris
21
22
Savoirs et clinique
Champ psychosomatique
Psychiatre &
France,
psychanalyste
Paris
Psychologue
France,
à boire ?
Article
2009
Paris
Destin de naissance…destin de
mort : quand naissance et mort
se superposent
23
Document non publié
Etudiante infirmière
Suisse,
Mémoire
2008
Quel est le vécu des femmes,
Lausanne
de fin
hospitalisées pour subir une in-
d’étude
terruption volontaire de grossesse médicamenteuse, par rapport
à la prise en charge infirmière ?
24
Vie sociale et traitements
Infirmière de secteur
France
Article
2008
Un conte pour soigner ;
Accompagnement d’une person-
psychiatrique
ne ayant subi un avortement dans
un contexte de chantage affectif
25
Déviance et Société
Docteur en sociologie,
France,
Article & 2004
L’avortement : une déviance
conseillère conjugale
Rouen
annexe
légale
128
Annexe V : Recueil de données sur les caractéristiques des femmes et de l’entretien, sur l’épisode de l’IVG et les évènements l’ayant
précédé
n° du document
Prénom Situation familiale et
Age
1
Léa,
A un petit ami, pas
16 ans,
d’enfant
culture religieuse
Statut
social
Nature, motif et initiateur de Evènement de l’IVG :
la rencontre
date, circonstances, motif
Evènements de vie avant l’IVG exprimés par la
femme
Pays
d’habi-
Antécédents d’IVG
tation
NP
Suivi pédopsychiatrique demandé
par le service de rééducation pour
France
Une IVG quelques mois avant
l’accident, avec le même petit ami
Fracture du fémur avec longue immobilisation à 9 ans lors
d’un 1er accident de la voie publique
Une IVG il y a plusieurs années, alors
qu’elle était mariée et avait déjà des
enfants, « elle était très déprimée et ne
se sentait plus capable de s’occuper
convenablement de ses enfants »
Terreurs nocturnes suite à un déménagement et la
naissance de la petite sœur alors que Geneviève a 3 ans
anorexie mentale, service où elle
vient d’être hospitalisée pour
paraplégie et gastrectomie
secondaires à un accident de la
voie publique dans lequel son père
est décédé
2
3
Geneviève,
40 ans,
France
Julie,
23 ans,
Belgique
Vit avec son mari et deux A fait des
de ses enfants
études
adolescents
supérieures
A un poste à
lourdes responsabilités
Suivi psychanalytique de plusieurs
A un petit ami, pas
d’enfant, vit chez ses
parents
Suivi psychologique demandé par
Etudiante
Ses parents
fleuristes
années, initialement demandé par
son mari et un thérapeute conjugal
pour de nombreux conflits
conjugaux
le médecin généraliste pour malêtre
Jeux sexuels de la part des frères où elle a été culpabilisée
par sa tante,
Solitude dans l’enfance
Une IVG il y a neuf mois avec le
Troubles boulimiques dans l’enfance
même petit ami, à 5 mois de grossesse,
en Angleterre, sur décision de sa mère
« Julie a laissé sa mère décider »
129
Prénom Situation familiale et
n° document
Age
culture religieuse
Statut
social
Nature, motif et initiateur de Evènement de l’IVG :
la rencontre
date, circonstances, motif
Evènements de vie avant l’IVG exprimés par la
femme
Pays
d’habi-
Antécédents d’IVG
tation
4
Une
Vit avec son mari et ses
femme
enfants, musulmane
immigrée pratiquante
en France
5
Esther,
28 ans,
France
Ouvrière
Vit avec son ami, pas
A une vie
d’enfant, religion
professiondifférente de celle de son nelle
ami
Une IVG il y a plusieurs mois, d’abord NP
sur insistance de son mari, puis avec
psychiatre qui suit son
sur sa propre décision pour ne pas
fils aîné pour un épisode délirant
perdre son nouvel emploi, et peu avant
survenu dans son pays d’origine
le premier épisode délirant aigu de son
après avoir transgressé un interdit : fils aîné qui n’est pas au courant de
l’IVG
fumer un joint
Entretiens à la demande du
Double suivi psychiatrique
Une IVG, avec le même petit ami,
demandé par sa psychanalyste pour réalisée quelques mois avant
l’apparition du trouble psychotique
co-thérapie d’un trouble
psychotique évoluant depuis
Enfance « trop » sage au sein d’une famille accaparée par
sa sœur cadette atteinte de cardiopathie congénitale
Multiples expériences affectives et sexuelles à
l’adolescence et décès de sa sœur alors qu’Esther a 24 ans
quelques mois
6
Thérapie individuelle puis de
Deux IVG il y a 10 ans, alors qu’elle
était mariée, car « pour elle, il n’était
pas question d’être mère »
Fille unique d’un père adoré qui avait de nombreuses
maîtresses, sa mère le vivait très mal, mais pas Antoinette
Deux IVG avant la prise en charge
psychanalytique
La deuxième IVG était « exigée par
son conjoint mais non voulue par elle »
-Pression de ses grands-parents paternels pour faire avorter
sa mère enceinte d’elle
-Maltraitance dans l’enfance par sa mère et sa grand-mère
maternelle, avec passivité du père trompé par sa femme
Antoinet- Vit avec son mari depuis
te,
15 ans, sans enfant
France
NP
7
Julie,
France
Vit avec son petit ami,
pas d’enfant
Soignante en
maison de
retraite,
sculptrice
amatrice
Psychanalyse
8
Madame
M,
35 ans,
France
Vit avec son mari et ses
3 enfants de 8, 5 et 2 ans
Secrétaire, en
congé parental, aide à
l’exploitation
viticole
Suivi par la conseillère conjugale à Une IVG à sa demande, en « pleine
crise conjugale, sans contraception
la demande de la patiente, écoute
pour marquer son souhait d’arrêter les
débutée avant une IVG, poursuivie
rapports sexuels »
après
Son mari n’est pas au courant
couple en raison d’une vie
affective et sexuelle inexistante
-Timidité, pas de prise d’initiative depuis l’enfance,
à l’école, au travail
-Goût pour la solitude
-Mésentente du couple
130
Prénom Situation familiale et
n° document
Age
9
9
10
culture religieuse
Statut
social
Nature, motif et initiateur de Evènement de l’IVG :
la rencontre
date, circonstances, motif
Evènements de vie avant l’IVG exprimés par la
femme
Pays
d’habi-
Antécédents d’IVG
tation
Fatia,
Vit chez ses parents,
17ans,
célibataire, musulmane
Suisse,
moins pratiquante qu’eux
famille
réfugiée
politique
à Genève
depuis 15
ans
Lycéenne
aux
excellents
résultats,
père
médecin,
mère
infirmière
Clémentine,
18 ans,
Suisse
En colocation, avait eu le A un emploi
projet d’un appartement
avec son petit ami
qu’elle vient de quitter
Cécilia,
24 ans,
France
Célibataire, sans enfant
Une IVG à l’âge de 15 ans, il y a un
NP
peu
plus
d’un
an,
en
clinique
privée,
une 2 demande d’IVG à 9
sur décision de sa mère, sans son avis à
semaines de grossesse
elle ni celui de son petit ami de
(consultation systématiquement
l’époque qui avait 23 ans & était
proposée aux 16-18 ans demandant demandeur d’asile : ils voulaient un
enfant qui « viendrait sceller leur
l’IVG dans cette maternité)
amour et le rendrait public »
Consultation psychiatrique avant
ème
Suivi psychiatrique débutée avant
Une IVG quelques jours avant
l’expiration du délai légal, à sa
et poursuivie après l’IVG
demande, après en avoir informé son
(consultation systématiquement
ex-petit ami
proposée aux 16-18 ans demandant Grossesse suite à l’abandon brutal, de
sa pilule « qu’elle prenait
l’IVG dans cette maternité)
scrupuleusement jusque-là », dans la
semaine qui suit un accident de voiture
Arrêt des
Suivi psychologique à sa demande
études à l’âge pour un mal de vivre et crises de
de 21 ans
boulimie survenant environ deux
En recherche
d’emploi
fois par jour, depuis un an
Une IVG il y a 1 an, quelques mois
après le départ de sa mère, à la
demande de Cécilia, en raison de sa
« grossesse, imprévue, impossible à
mener à son terme dans le contexte de
la relation insatisfaisante entretenue
avec son ami du moment, ‘un garçon
volage’ »
Décès de 3 amis et seule survivante d’un accident de
voiture lors de sa soirée d’anniversaire
Séparation volontaire de sa part avec son ami après s’être
aperçue de sa grossesse
-Séparation de ses parents à 14 ans, départ de sa sœur dans
les ordres restant seule avec sa mère
- Probable anorexie entre 14 et 19 ans, puis prise de poids
de 12 kg entre 19 et 22 ans
-Divorce de ses parents à 21 ans, querelles parentales
-Départ de sa mère à 400 km la laissant seule dans la
maison alors qu’elle recherchait travail et appartement, et
constat de sa prise de poids entraînant l’arrêt du sport
131
n° document
Prénom Situation familiale et
11
Age
culture religieuse
Statut
social
Nature, motif et initiateur de Evènement de l’IVG :
la rencontre
date, circonstances, motif
Evènements de vie avant l’IVG exprimés par la
femme
Pays
d’habi-
Antécédents d’IVG
tation
Nadège,
24 ans,
France
Vit en couple sans enfant A abandonné
ses études
pour un job
de serveuse,
issue d’une
famille aux
grosses
difficultés
financières et
sociales
Entretiens psychiatriques dans le
cadre d’une enquête judiciaire :
inculpée d’homicide involontaire
suite à l’accouchement dans la
cuvette de ses WC d’un bébé à
terme, vivant, viable puis mort
d’une inondation bronchique,
grossesse seulement connue du
Une IVG il y a 2 ans, à plus de 11
semaines de grossesse, en Hollande,
sur décision mutuelle avec le même
petit ami, après persistance de nausées
et de dégoût d’odeur malgré une
contraception du lendemain prescrite
par son médecin alors qu’un test
urinaire de grossesse effectué en
pharmacie était déjà positif, sa mère ne
le sait pas
-Enfance et adolescence heureuses par l’harmonie
familiale, la présence constante de sa mère au foyer, et
dissimulation à ses amies de sa pauvreté
-Divorce de ses parents vers l’âge de 16 ans suite à la
découverte par sa mère de l’infidélité du père, entraînant
une séparation avec son père et sa grand-mère
-Décision de rompre la relation avec son père qui a refait
sa vie et a eu 2 enfants
-Rôle de mère de remplacement de ses deux jeunes frères
en raison de la dépression maternelle
couple et non suivie
12
13
Madame
T,
29 ans
au moins,
France,
a vécu de
6 à 21
ans au
Maghreb
Vit avec son mari et ses
3 enfants, deux filles de
8 ans et 18 mois, un fils
de 3 ans, culture
musulmane : toutes ses
sœurs sont voilées sauf
elle,
Sarah,
18 ans,
France
NP
A quitté son
emploi pour
harcèlement
sexuel
Suivi proposée à Madame T. par la Une IVG il y a plus de 8 ans, mariée,
psychologue de la PMI prenant en sans enfant, suite à un viol avec un
inconnu
charge son fils, à la demande
urgente de l’école, car il est
« incontrôlable, très agité et
perturbant considérablement la
classe »
NP
Suivi psychologique à la demande
de la patiente à cause de son IVG
Une IVG il a quelques mois
-Témoin de son père battant sa mère
-Victime d’inceste par un grand-frère de 6 à 12 ans
-Mère qui ne la protégeait pas, « prise dans la violence
subie du père »
-Mariée vers 21 ans dans le but de s’enfuir de chez elle,
immigrée à 21 ans, battue, violentée par son mari depuis le
début de son mariage
-Violée à cause d’une tante ; elle était déjà mariée, elle
n’avait pas encore d’enfant, « sa tante l’aurait fait boire, et
contre de l’argent, l’aurait laissée à un homme dans un
hôtel »
Enfance vécue auprès de sa mère dépressive depuis la
mort de son bébé à 8 mois de grossesse, peu de temps
avant la naissance de Sarah
132
n° document
Prénom Situation familiale et
14
14
Age
culture religieuse
Statut
social
Nature, motif et initiateur de Evènement de l’IVG :
la rencontre
date, circonstances, motif
Evènements de vie avant l’IVG exprimés par la
femme
Pays
d’habi-
Antécédents d’IVG
tation
Yasmina,
35 ans,
France,
père
algérien
immigré
en France
Vit seule depuis qu’elle a A perdu son
quitté le père de ses
emploi
enfants il y a 10 ans,
celui-ci ayant obtenu leur
garde, enfants
actuellement en période
d’adolescence
Entretien psychologique à la
Justine,
32 ans,
France
Vit avec son petit ami,
pas d’enfant
Entretien psychologique sur
Stripteaseuse
demande de la patiente dans un
contexte de démarche médicale
pour prise de contraception dans
un centre d’orthogénie
insistance du médecin du centre
d’orthogénie où elle demande une
3ème IVG
Une IVG à l’adolescence, suite à une
relation avec « le premier venu »,
« tout s’est déroulé sans trop
réfléchir », « plus soumise à la
décision de sa mère qu’à son désir », et
puis parce que « c’était la honte »
Séparation de ses parents alors qu’elle a 14 ans suivie du
retour en Algérie de son père « qu’elle vénérait », et des
nombreux séjours de sa mère chez la sœur de celle-ci
Deux IVG avec le même petit ami, sur
décision mutuelle, mais surtout à sa
demande à lui qui, séparé de la mère
de son 1er enfant à la naissance, ne
veut pas « se risquer dans une autre
paternité »
Pendant l’enfance, « cachée » par ses parents à ses grandsparents
« Livrée à elle-même » à partir de cette séparation :
souvenir d’une coupure d’électricité dans « l’appartement
familial déserté par sa mère », arrêt de sa scolarité après
des absences répétées
Révélation à ses 18 ans par une tante, de sa naissance par
procréation médicalement assisté
Révélation suivie de l’abandon de son cursus scolaire
brillant, de sorties nombreuses, d’un travail de
stripteaseuse
15
Luna,
14 ans,
Belgique
Vit chez ses parents,
célibataire, sans enfant, 2
frères étudiants, Joël 20
ans et Fabian 22 ans,
famille très catholique
Collégienne,
mère sagefemme, père
commissaire
de police
Psychothérapie familiale à la
demande de ses parents à cause de
son IVG
Une IVG très récente sur décision
mutuelle des parents et de Luna,
décision « pesée et réfléchie » et sans
regret des parents selon sa mère « bien
qu’ils soient tous deux
philosophiquement et éthiquement
contre », et dont les grands-parents,
qui ne vivent pas en Belgique, ne sont
pas informés
Notion d’une tante maternelle et d’une tante paternelle
ayant fait la honte de leur famille respective et devenues
leurs « victimes sacrificielles »
Violence sexuelle par son frère Fabian à l’âge de 6 ans
Deux tentatives d’en parler à ses parents, à l’âge de 6 ans
puis au moment de sa grossesse, avec incrédulité des
parents
133
n° document
Prénom Situation familiale et
Age
culture religieuse
Statut
social
Nature, motif et initiateur de Evènement de l’IVG :
la rencontre
date, circonstances, motif
Evènements de vie avant l’IVG exprimés par la
femme
Pays
d’habi-
Antécédents d’IVG
tation
16
Nouria,
France,
d’origine
algérienne
Vit avec son mari, a 3
filles dont la dernière,
Sarah, a 1 mois, a 2
sœurs aînées, musulmane
Assistante
dentaire, son
mari est
technicien
Entretien psychanalytique en
Deux IVG depuis la naissance de sa
ème
présence de son mari et de Sarah, à 2 fille : « elle ne pouvait supporter
aucune contraception » et n’avait
la demande de son psychiatre, pour
jamais voulu d’enfant. Attendant à
elle et pour Sarah « qui ne dort
chaque grossesse que son mari lui dise
d’avorter, il lui laisse à chaque fois
pas, pleure tout le temps et refuse
prendre seule la décision
aussi bien le sein que le biberon »
-Refus de son père d’avoir des filles : scandale à la
naissance de la 1ère, disparition pendant plusieurs mois à la
naissance de la 2ème, abandon de sa famille et immigration
en France à la naissance de Nouria
-Echec de sa mère à se faire avorter de Nouria par tous les
moyens, puis maltraitance par sa mère qui la frappe et
refuse de la laver, de l’habiller, de la bercer,
-Immigration en France à l’âge de 7 ans avec ses sœurs et
sa mère qui s’était prostituée et était rejetée par toute sa
famille, puis décès de sa mère d’un cancer à l’âge de 36
ans et prise progressive d’indépendance à 16 ans
-Naissance de Sarah en état de mort apparente nécessitant
une hospitalisation de 17 jours en réanimation néonatale
17
Madame
P.,
France
Vit avec son mari, 2 fils,
Antoine et Adrien
Secrétaire,
mère au
foyer, mari
militaire
Suite à ses révélations d’inceste
-Violences physiques, verbales, vols d’objets, de
nourriture, et multiples examens génitaux imposés par sa
mère dans son enfance, ces derniers pour vérifier l’absence
de signes de masturbation, interdit maternel que Madame
P. transgressait
-Inceste par son grand-père maternel durant une grande
partie de son enfance
-Relations conflictuelles de ses parents, automutilations
génitales, mariage avec l’ancien petit ami de sa sœur, idées
obsessionnelles à thème sexuel
-Fausse-couche de sa sœur dont elle se réjouit ; elle réussit
enfin « là où sa sœur échoue »
-2ème grossesse non désirée et réalisée pour sa mère et son
mari qui veulent une fille, vécue dans la solitude, avec des
tentatives d’avortement par masturbations traumatiques
-Maltraitance envers ses 2 enfants
dans l’enfance, psychothérapie de
plusieurs années, initialement
demandée et prise en charge par la
pédopsychiatre d’Adrien, 5 ans et
demi, qu’elle suit pour encoprésie
Quelques mois avant le début de la
psychothérapie, suite à un « oubli » de
contraception, une IVG sur décision
mutuelle avec son mari, pour pouvoir
accompagner sa sœur malade dont ils
viennent d’apprendre qu’elle est
mourante
Quatre IVG environ 3 ans après la
première, à la suite de conceptions
volontairement provoquées
134
n° document
Prénom Situation familiale et
Age
culture religieuse
Statut
social
Nature, motif et initiateur de Evènement de l’IVG :
la rencontre
date, circonstances, motif
Evènements de vie avant l’IVG exprimés par la
femme
Pays
d’habi-
Antécédents d’IVG
tation
18& Madame
An- A.,
55 ans,
nexe
Belgique
Vit avec son mari, 1 fille, NP
plusieurs petits-enfants
19
Vit avec son mari, 4
enfants
Madame
B.,
France
Suivi gynécologique à la demande
de la patiente pour des bouffées de
chaleur
NP
Suivi et hospitalisations
Une IVG il y a 28 ans, sur décision de
son mari qui ne voulait pas d’un
second enfant
NP
Une IVG « il y a bien longtemps »
Fille unique élevée par sa grand-mère maternelle décédée
à ses 5 ans
psychiatriques depuis cinq années
pour mélancolie suite au suicide de
sa belle-sœur
20
21
22
Une
jeune
femme,
30 ans,
France
Vit avec son ami depuis
un an, pas d’enfant,
parents croyants
catholiques
A fait de
bonnes
études, est
cadre dans
une banque
Suivi psychanalytique pour
Une
jeune
femme
France
NP
Etudiante en
fin de cursus
Suivi psychiatrique ou
Michèle
30 ans
environ
France
Mariée, pas d’enfant,
enceinte de 5 mois, son
mari part souvent en
déplacement professionnel de plusieurs mois
NP
Suivi psychologique suite à la
malaises à répétition et dépression
psychanalytique
Une IVG il y a 9 mois avec son
A quitté son ancien ami qu’elle connaissait depuis 11
conjoint actuel, « un avortement voulu, années et « qu’elle aimait aussi, mais ‘comme un frère’ »
choisi, en total accord avec son
pour choisir son conjoint actuel
partenaire », car « c’était une évidence,
c’était trop tôt : ‘on ne pouvait pas
prendre le risque de mettre au monde
un enfant dont les parents ne seraient
pas restés ensemble’ »
Une IVG à l’âge de 18 ans car « il
fallait bien ! Nous étions trop jeunes et
lui n’en voulait pas. »
NP
Une IVG il y a 10 ans
NP
proposition d’IMG par les
médecins en raison d’une anomalie
cérébrale sévère d’origine virale du
fœtus
135
n° document
Prénom Situation familiale et
23
Age
culture religieuse
Statut
social
Nature, motif et initiateur de Evènement de l’IVG :
la rencontre
date, circonstances, motif
Evènements de vie avant l’IVG exprimés par la
femme
Pays
d’habi-
Antécédents d’IVG
tation
1ère jeune Pas d’enfant
femme
Une
trentaine
d’années
Suisse
A étudié
« dans le
tourisme »
Entretien semi-directif par une
étudiante infirmière, dans le cadre
d’une étude qualitative sur le vécu
de l’IVG médicamenteuse chez
une femme recrutée par le biais
Deux IVG, la première il y a quelques
années dans le même contexte que la
deuxième il y a environ 2 ans, sur sa
décision car « c’est arrivé par
accident », elle devait partir en stage à
l’étranger et « n’était pas prête pour
avoir un enfant »
NP
14
d’une association
23
23
2ème
jeune
femme
Une
quarantaine
d’années
Suisse
Divorcée il y a trois ans
Ne travaille
et demi environ, une fille pas
de trois ans et demi
3ème
jeune
femme
environ
29 ans
Suisse
Pas d’enfant
Entretien semi-directif par une
étudiante infirmière, dans le cadre
d’une étude qualitative sur le vécu
de l’IVG médicamenteuse chez
une femme recrutée par le biais
d’une association13
Enseignante
Entretien semi-directif par une
étudiante infirmière, dans le cadre
d’une étude qualitative sur le vécu
de l’IVG médicamenteuse chez
une femme recrutée par le biais
Une IVG il y a environ 3 ans avec son NP
nouveau conjoint qui ne souhaitait pas
garder l’enfant et qu’elle a essayé de
faire changer d’avis sans y réussir :
elle a alors pris la décision d’avorter
« ne supportant pas l’idée d’avoir un
enfant ‘sans père’ »
IVG compliquée d’une septicémie,
d’une hospitalisation de 7 mois, puis
d’une stérilité
Une IVG il y a environ 2 ans sur sa
NP
décision à elle : « le couple ne s’est pas
protégé lors des premiers rapports
sexuels », « ça n’a pas été un choix
évident mais je n’aurais pas voulu
avoir cette personne dans ma vie toute
ma vie »
d’une association13
14
Association AGAPA Suisse Romande : Association des Groupes d’Accompagnement-Perte de grossesse-Abus-Maltraitance-Négligence
136
n° document
Prénom Situation familiale et
24
Age
culture religieuse
Statut
social
Nature, motif et initiateur de Evènement de l’IVG :
la rencontre
date, circonstances, motif
Evènements de vie avant l’IVG exprimés par la
femme
Pays
d’habi-
Antécédents d’IVG
tation
Anna
25 ans
France
Célibataire, sans enfant
Secrétaire
Entretien unique durant une
hospitalisation en psychiatrie
demandée par son médecin traitant
pour état dépressif réactionnel à
une rupture sentimentale
25& Barbara
An- 34 ans
France
nexe
Mariée, 2 enfants
Comptable
Entretien pré-IVG pour une
demande de 2
ème
IVG à 8SA, avec
Une IVG il y a quelques semaines,
dans le contexte suivant : « un jour,
elle apprend qu’elle est enceinte. Elle a
l’espoir, à ce moment-là, que le
comportement de son amant va
changer et qu’il va clarifier enfin la
situation. »
Celui-ci l’accusait alors de vouloir
utiliser cet enfant pour faire pression
sur lui, semblant « projeter sur elle sa
propre manière de se comporter ». Il
lui fait subir un chantage affectif :
« qu’elle avorte, ‘sinon il se chargera
bien de faire savoir à son enfant qu’il
n’est qu’un bâtard et il saura le détruire
à petit feu’ ».
Il y a 2 ans, elle a été l’objet des assiduités de son patron
qui devint son amant en lui promettant de divorcer de sa
femme actuelle
Une IVG il y a 15 ans suite à son 1er
rapport sexuel, sans contraception
NP
Deux IVG
NP
Isolement social, souffrance mentale et baisse de sa
créativité artistique secondaires à cette relation et à la
personnalité de cet homme : « Il a manifesté un
comportement manipulateur et destructeur très
caractéristique, exerçant sur elle un contrôle, l’amenant à
se couper de ses amis ainsi que de sa famille. » « Une
autre caractéristique du comportement pervers
manipulateur est qu’il manie sans cesse le chaud et le froid
[…] ‘Tu n’as aucune valeur à mes yeux, mais je ferai tout
pour te garder.’ »
une conseillère conjugale, dans le
cadre d’une étude qualitative sur le
rapport des femmes à la déviance
de l’IVG, selon l’hypothèse que
l’IVG est moralement critiquable
25& Michèle
An- 20 ans
France
nexe
En couple, sans enfant
Etudiante en
DEUG 2 en
lettres
Entretien pré-IVG pour une
demande de 3
ème
IVG à 5SA, avec
une conseillère conjugale, dans le
cadre de la même étude qualitative
(voir ci-dessus)
137
Annexe VI : Analyse thématique
Expression de la femme sur son vécu après l’IVG
1
Plaintes abdominales importantes5
Léa
Difficultés à réaliser le décès de son père5 9
Interprétation cette expression par l’auteur
Défaut de représentation, absence d’effraction psychique, sidération de la pensée43 21 10 15 4 16
11
30 42
secondaire aux facteurs* antérieurs à l’accident13 14 1 2, au traumatisme de l’AVP15, aux mécanismes de
Tension avec ses parents secondaire à l’IVG1 1BIS 2
défense4 9
Anorexie mentale secondaire à l’IVG3 3BIS
Fragilité du sentiment d’autonomie et d’identité secondaire au traumatisme de l’AVP43 17 18 20, aux
Projet de rendez-vous avec le psychiatre pour ces problèmes (IVG et
facteurs* antérieurs à l’accident52
anorexie mentale) juste avant l’accident
4
Blocage de l’élaboration du conflit affectif par sa culpabilité d’avoir eu des relations sexuelles trop
Souvenir d’un flou sentiment de joie d’être en famille le jour de
tôt44 1 36 & fantasmes d’agressivité envers son père non élaborés44 1 suite au décès du père44 1 36
l’accident6 7 8
Plaintes abdominales disproportionnées / aux conséquences de l’AVP 53BIS
Souvenir qu’elle a réalisé ne plus sentir ses jambes8
Sexualité refusée par son père50 / Conflit avec ses parents secondaire à l’IVG3 1
Pressentiment qu’elle finirait en fauteuil roulant10
Rêve de réparation présageant un long travail de reconstruction 11 12
Angoisse inexplicable12 14
Confrontation à une série de deuils et de problèmes intriqués les uns aux autres47
Un rêve que sa famille la reconstruisait13
Angoisses d’abandon44BIS 24BIS 32
Perturbation à cause de sa sonde d’alimentation15
Problématique anorexique = image du corps défaillant52 5 51
15
34 2 7
secondaire au conflit affectif2, à
4 24BIS 6BIS 8
(facteurs* antérieurs à l’accident)
Espoir de retrouver une autonomie en se nourrissant elle-même
l’expression d’un mécanisme de défense : déni, clivage
Maltraitante de la partie paralysée de son corps16 17 18 38
Clivage physique et psychique de son corps4 46 5 11BIS 11TER 38 6BIS
Repli sur soi20
Mécanismes de défense renforcée par la sidération de la pensée de l’AVP 4 24BIS 34 6BIS 8 (déni, clivage)
22
Conscience de son corps21BIS
22BIS
Fantasme d’un esprit sans corps5
Critique de son auto-agressivité21BIS
Prise d’autonomie rapidement retrouvée par le contrôle des sondes19 31 33
Distanciation avec sa mère21BIS
Récidive des conduites anorexiques51 et seconde hospitalisation à la date anniversaire de l’accident26
Volonté de guérison21BIS
Complications physiques56 amorçant un mouvement dépressif56 22 / un sentiment d’unité corporelle44 23
Son père ne la voyait pas grandir2
24 53 39 45 40 41 42
via le corset27 40 / un changement22 24=expression des affects dépressifs25
Effraction psychique45 40 42 / Mise à distance de son entourage lui permettant de repérer son espace
psychique et son désir propre44 35 / Désir de guérison24
Angoisses secondaires à la perte de contrôle sur son alimentation 24BIS 31
Autonomie précède la séparation33 37 / Problématique anorexique secondaire au conflit affectif2
138
2
Plainte d’être démolie en permanence par son mari1BIS
Etat de grande détresse1BIS
Geneviève
Manque d’affection et de soutien parental1
Etat de rage contre son mari et le thérapeute1BIS
Anxiété, terreurs nocturnes3 2 35
Tristesse, dépression1BIS 1 14 27 30 31 / Rage, colère1BIS 14 30 31 43
Sentiment d’oppression et de colère en position allongée sur le divan 4 29
Acceptation de se remettre en question2BIS
Sentiment d’oppression aux marques d’affection de son mari5
Considération que son mari devrait aussi se remettre en question 2BIS
Blocage au niveau sexuel6 / Refus de séduire7 8
Dépression essentielle, phobie lié à des blessures de l’enfance (abandon, jeux sexuels) 1 28 29
Sentiment d’injustice11 9
Attentive à ce que peuvent vivre ses enfants, identification 2
Coupable12 ou victime12 14 18 23 24
Souffrance au sein de ce travail analytique3
9
Sentiment de colère
Dénégation de son vécu douloureux des séparations4
Sentiment d’humiliation9 23 / Sentiment d’incompréhension9
Représentation de la séduction méprisable, honteuse5 7 9, à éviter à tout prix13, dangereuse5 8 12
Souffrance10 17 20 32 28
Comportements marqués par la répétition11
Expérience de tester ses limites physiques34 36source d’angoisse15 16 17
Manifestations d’angoisses déstructurées36, angoisses, phobies11
Tristesse19
Violence impliquée par cette lutte contre ce manque de reconnaissance de sa souffrance 13 32 44
Besoin et manque de reconnaissance de sa souffrance21 32 22
Recherche d’une validation ou non de sa vie lié à un sentiment d’abandon dans son enfance 13 33 34
Tendance à la maîtrise et la manipulation29 40 39
Refus d’être soumise au désir de l’autre26
Liens conflictuels, passionnels, destructeurs avec ses collègues31 27
39
Pratiques masturbatoires30
Sentiment de vide qui disparaît au cours de la psychanalyse
Son lien à l’autre est fait de violence32 22 44 c’est un mécanisme de défense48
Expression par l’IVG d’un désir de meurtre23
31BIS
Expression par la tristesse d’une angoisse d’abandon dans son choix d’IVG24
Sentiment d’être plus pleine qu’au début de la psychanalyse31BIS
Prise de conscience d’un conflit psychique entre son besoin de reconnaissance et sa violence25
Besoin de lutter contre sa souffrance, ce manque de reconnaissance de
Conflits avec son mari36
sa souffrance33
Angoisse du contact physique35
Sentiment de rancœur envers son mari qui n’est pas intervenu dans la
-Cela renvoit à de probables jeux sexuels subis dans l’enfance10 11 35 et d’autres épisodes de l’enfance12
décision d’IVG25
Elaboration et diminution de sa tendance à tester les limites au long du travail psychanalytique37
Sentiment de tristesse à l’idée d’avoir pris la décision seule26
Difficultés de lier la mémoire du corps et sa représentation, entre affect et traumatisme38 43
Souffrance, sentiment de culpabilité de sa violence dans la relation27 28
Expression corporelle d’un traumatisme39 43
Difficultés à faire le lien entre son vécu physique (terreurs nocturnes,
Clivage entre vide et trop plein40
risque sportif, risque chirurgical, répulsion physique de son mari, IVG)
Lent travail de deuil, de renoncement à un idéal41 47
et son vécu psychique37
Densification, construction du Moi 42 46
Blessures dans l’enfance liées à la sexualité et l’injustice38
Reconnaissance de son vécu douloureux des séparations45 qui a pris beaucoup de temps45
139
3
Explication que la date de la première consultation chez la psychologue
Désir d’enfant et fantasme d’infanticide, caractéristiques du maternel1
Julie
a un lien symbolique avec l’IVG1
Saturation du psychisme des femmes3 6 8 par :
Sentiment d’avoir commis un crime1
-culpabilité n’est pas causée par une faute, un péché, une culpabilisation 5
Réaction comme si rien n’était arrivé après l’IVG7
-culpabilité s’exprime par une difficulté à parler de la décision d’IVG7 6, par le secret de l’IVG6,
Réapparition d’un trouble du comportement alimentaire à type de
par la douleur6
boulimie2 3
Obstacle au deuil de l’enfant, empêche les femmes de vivre2
Réalisation d’un projet peu investi d’emménager dans une maison
-
Pas de nomination de l’enfant, enfant fantôme, mort qui n’est pas enterré9
offerte, aménagée par ses parents à 50 mètres de chez eux8
Douleur, tristesse profonde4 6 exprimant une culpabilité6
Pas d’émotion lorsque que son petit ami Thomas la quitte brutalement
Culpabilité consciente5 21
après leur déménagement4
Révélation du fantasme d’infanticide5 7 22 21 = Transgression d’un interdit psychique22 dans l’IVG
Julie recommence à sortir4
-
objet de l’infanticide = enfant10
-
existence psychique de l’enfant2
Long travail d’élaboration avec la psychanalyste va être réalisé sur le lien fusionnel avec sa mère et
sur le sens de son IVG7 23 25 26 :
-qui ne consiste pas à la préserver de la culpabilité8 25
-qui consiste à comprendre l’IVG comme un traitement du réel par un passage à l’acte26 28, à
comprendre le sens de ce passage à l’acte26 30 34 34BIS
Difficulté d’élaboration14 15 16
Difficulté à être autonome, à se séparer, à énoncer son désir propre19 12
Recherche inconsciente et ambivalente d’un ami qui l’aide à se séparer de sa mère12 13
Prise d’indépendance17
Echec d’une tentative (l’IVG) de séparation, de différenciation avec sa mère 27 29 30 35, tentative par
manque d’appui symbolique suffisant26, une défaillance du père29, opération oedipienne incomplète34
Risque de non-élaboration = garder une culpabilité à vie24 32 ou provoquer des IVG répétées33 en
l’absence de parole34BIS = un passage à l’acte ne suffit pas à traiter le réel, la parole est nécessaire34BIS
140
4
Reproches à son mari de ne pas prendre ses responsabilité10 11 12
Discréditation de l’autorité de son mari7
une femme
Conflit conjugal existant depuis la naissance de ce fils délirant12
Absence du traditionnel respect du père5
Complicité importante avec son père resté au pays6 7 8
Deuil impossible par la mère de son exil et de son émigration11 8 12 13
Difficultés à exprimer son trouble1
Deuil impossible9 responsable du délire aïgu du fils9 10 1 13
Forte culpabilité religieuse de cette IVG2 4 5
Ferveur religieuse1
Obsession de cette IVG3
Dissimulation par l’argument religieux1 2
Amélioration de l’entente avec son mari
13
4
de son attachement oedipien à son père impossible à
2
entendre
Justification par la religion de la discréditation du mari6
Dissimulation par la discréditation de son mari de sa non-acceptation de son rôle social occidental,
dont l’IVG4
*****
*****
1 15
*****
qui s’améliore avec le traitement
16
Lien entre les idées obsédantes d’homosexualité, l’IVG et la mort de sa soeur1 3 5
5
Sentiment d’angoisse terrifiante
Esther
Sentiment de déréalisation1 4BIS 4 qui diminue avec le traitement16 7 10
La mère empêche sa fille Esther de faire le deuil de sa soeur4 5
Idées obsédantes sur son orientation sexuelle1 2 1BIS 18
Instabilité, difficulté à contrôler son impulsivité2BIS 18
9 10
de plus en
plus importantes malgré le traitement9 10
Perte de contrôle ressentie comme une blessure narcissique2BIS
Amour impossible avec son ami à cause de sa religion 23
Réassurance par la solidité du cadre, relation de confiance avec le psychiatre17
Excentricité3
Désir de maîtriser elle-même sa propre psyché19 8
Etat d’excitation permanente
3
Ces (trois) symptômes correspondent à un processus psychotique13 14 15 18
Forte volonté de maîtrise d’elle-même et des autres3 17
Peut-être autopunition secondaire à un sentiment de culpabilité lié à la mort de sa soeur8 9
Non joyeuse dans ces folles soirées3BIS
Culpabilité familiale autour du décès de la sœur d’Esther9
Sentiment d’une perte de contrôle1BIS
Prise de conscience de cette culpabilité pendant l’entretien familial9
Malaise lié au deuil non fait de sa mère pour la sœur d’Esther22 12
Amélioration de l’observance médicamenteuse d’Esther suite à cet entretien familial9
Affirmation qu’elle va bien5
Humeur dépressive témoignant d’un remaniement psychique7 11 12 marqué par :
Angoisse à l’idée d’être mère8 9
Amélioration progressive de l’observance14
Réticence et mauvaise observance du traitement
6 17 23BIS 11
-
Renoncement à la tentative de maîtrise d’elle-même et du monde12
-
Possible identification à sa mère10
Dénégation de son humeur dépressive10
Changement de psychanalyste21
Fragilité de son identité sexuée révélée par la crise psychotique15 16 2BIS
Soutenue par ses parents11
Guérison par la reconnaissance des sexes, de l’acceptation de la scène primitive à l’aide
de l’entretien familial16
141
6
Evocation sans difficulté apparente de ses IVG1
Antoinette
Certitude qu’elle n’aurait pas été une bonne mère1
Blocage des mouvements de remaniement psychique au sein du couple renforcé par les IVG3 4
-Des remaniements psychiques sont inhérents à toute naissance, sont normaux, profonds et
Représentation d’elle comme mère-imaginaire néfaste et possessive
Accord avec son mari pour qu’il tienne la place de l’enfant
1
2
permettent la maturation psychique de l’un et l’autre du couple ainsi que de leur mode
relationnel3
Sentiment d’angoisse causée par fugues et alcoolisme de son mari4 7
Réaménagement profond de leur relation11
Vie affective et sexuelle inexistante3 7
Angoisse canalisée par les crises de jalousie9
Satisfaction et angoisse au changement de son mari = à l’arrêt de
Ressemblance avec sa mère d’où une souffrance1
l’addiction et des fugues de son mari 5
Homosexualité latente masquée par le refus des manifestations du sentiment maternel10
Jalousie intense envers les nouvelles connaissances féminines de son
Remaniement psychique sous forme de passages à l’acte et comportements aberrants5 7
mari faites via le sport5
Déroute conjugale justifiant une prise en charge thérapeutique5
Questionnement sur une éventuelle homosexualité6
Installation du couple sur un mode mère/enfant8
142
7
Pensée que sa naissance est due à la résistance de ses parents dans leur
Altération des processus de liaison : le travail analytique n’a pas de direction4
Julie
combat contre la pression des grands-parents paternels pour faire
Passages à l’acte violent4
avorter cette grossesse1
Persistance de cette relation dans le temps8
Désorientation psychique apparue au moment de la 2ème IVG1
Remise en cause permanente de la confiance dans la relation avec le psychanalyste7
Révélation de sa maltraitance1BIS
Ne peut « faire confiance » depuis le début de sa vie9 qu’illustrent ses IVG et le refus de
Prise de conscience des effets de sa violence dans ses limites
confiance sans rupture dans la relation avec le psychanalyste9
personnelles et professionnelles4 21BIS 17
Prise de conscience des processus de déliaison10
Violence dans la sculpture et maltraitance par négligence au travail2 3
Sentiment de manque de reconnaissance et de gratification au travail
3
Pas de culpabilité de cette maltraitance3 / Violence justifiée sa fatigue3
5
6
Sauvegarde psychique par la maltraitance11BIS
-
fragmentation de la vie psychique à visée désobjectalisante14 13
Violence par indifférence à la détresse d’autrui en lien avec l’indifférence de son père aux
Demande d’un statut d’invalidité / Apathie
maltraitances de son enfance11 22
Mauvaise observance des séances de psychanalyse6
Prise de conscience progressive de sa violence11 15 22
Sentiment de culpabilité secondaire envers l’analyste6
Vécu de souffrance12
Refus de rendre visite à son père en fin de vie7
Lien fait entre sa violence dans l’analyse et hors de l’analyse15
Culpabilité suite à son refus de lui rendre visite et à sa responsabilité
Vengeance16 = Indifférence face à la détresse d’autrui ; son père17
dans les réactions de son père8 21BIS
Fantasme de parricide17
Réussite à surmonter l’opposition de sa mère pour voir son père9
Expression d’une culpabilité jusqu’alors refoulée18
Découverte de la possibilité d’une relation avec son père : échanges
Mise en place de processus de liaison19
avec son père sur le passé (maltraitance, IVG), sur le présent9BIS 10
Compréhension de blessures insupportables, nouvel équilibre de la relation avec son père21 26 28 27 29 30
13
Entrepreneuse dans sa créativité 11 13 16
Diminution de la violence envers ses œuvres
11 13
entre l’introjection de la fonction paternelle et le transfert maternel, c’est-à-dire par
l’élaboration de la bisexualité psychique5 1 26 28 27 29 30
Compréhension du comportement de son père lié à son histoire à lui12
-
entre narcissisme et objectalité26
Présente à la mort de son père, arrive à la symboliser14 16
Prise de conscience de sa violence intérieure, sa tentative de la refouler22 28
Panne de créativité16
Prise de conscience de la nécessité des liaisons à l’aide de la sublimation de la violence dans la
15
Reproches et sentiment de violence envers sa mère
Refus inconscient de créer
17
création 23 28
Profond mouvement dépressif16BIS
Parallèle entre sa violence et son refus de créer, entre vie et création17
Tentative d’éliminer le tiers entre elle et l’analyste25
Difficultés à évaluer ses oeuvres18 / Réussite à évaluer ses œuvres19
Sublimation de la violence fondamentale par le nouvel équilibre trouvé cf ci dessus26 27 28 29 30
Renoncement à son invalidité19 20
143
8
Soulagement après l’IVG1
Conflit profond conjugal1 5 15 30 Souffrance conjugale5 8 renvoyant à une :
madame M
Sentiment de ne pas avoir eu le choix2
Souffrance personnelle sur son manque d’estime de soi, de confiance en elle, son tempérament passif,
Souffrance, angoisse d’une prise de décision (divorce) inhabituelle
3BIS 7
sur une angoisse de la séparation, de la perte30, sur des peurs anciennes8 10 11 13 18 20 21 22 23 31
Crainte, sentiment d’être victime de son mari qui ne lui fait
sur un conflit relationnel et phobique35
généralement pas confiance3 3BIS sauf pour l’éducation des enfants3
Paradoxe du soulagement d’avoir fait un acte non choisi2
Besoin de se séparer de son mari4 5 7 14
Besoin de ne pas être jugée pour s’exprimer4
Demande de divorce refusée par son mari4
Soulagement d’être écoutée dans ses craintes6 7 15
Plainte de son manque de confiance en elle5 6 8 9
Expression et reconnaissance de son malaise a pris du temps10
Besoin d’être en sécurité chez ses parents avec les enfants
5
Mécanisme de défense contre ses peurs, angoisses, souffrance = la fuite11 20 21 23 32 31 34
Crainte de reprendre le travail, d’affronter le directeur5 9
-
Le congé parental était une protection34
Remise en question des accusations sur son mari : il avait parfois
= ce qui gêne la relation et favorise un silence protecteur5 11 20 22 23 25 30 31
raison8 22 25
= empêchant de prendre en compte l’autre, sa différence (son mari 31, autrui23)
Négociation d’une fin de contrat avec son directeur10
= lien avec l’autre est narcissique40
Expression de ses peurs10
Négociation d’une fin de contrat avec son directeur10
Refus d’une séance commune avec son mari et la thérapeute
11
Crainte d’une répercussion psychologique de cette crise conjugale sur
ses enfants
12
-
Avec idéalisation d’elle-même, protection et rejet de l’autre22 23 24
-
L’autre n’est pas intériorisé, le lien avec l’autre est narcissique et entraîne des difficultés de
communication dans le couple5 15 30 40 39
Sortie progressive de sa position de victime13
Inquiétude pour son mari14
Culpabilité de ses accusations envers son mari13 22
Prise de distance avec ses parents16 24
Recherche un logement et un travail15
Confrontation à l’agressivité de ses enfants en posant des questions17 26
Reproche envers ses parents de leur prise de position15 2021 15
La thérapeute prend le rôle de mère protectrice et de mari décideur19
Agressivité devant la difficulté relationnelle avec ses enfants16
Diminution de son besoin de protection24 27 32
Demande de reconduire un suivi thérapeutique pour elle qui avait été
Dialogue avec son mari sur ses difficultés à elle28 entraînant :
arrêté17
-Création d’une distance avec son mari
Critique de l’hyper protection de sa mère
Reprise d’une relation avec son mari
18
-Remobilisation de leur attachement mutuel29
19
-Sécurité dans la place que lui fait son mari29
Tristesse dans sa difficulté à affronter le regard de ses parents19-20
Modification de son mécanisme de défense32 (cf ci-dessus)
Distance avec sa mère23
Protection contre une part d’elle-même (qu’elle reconnaît) dans l’inobservance des séances, dans
23
Confrontation à l’agressivité de son mari dans le dialogue
le parti pris contre son mari25BIS
144
8
Conflit avec son mari sur l’intérêt de ses séances : ne parle plus, plus de
Acte de la grossesse et IVG comme issue à un conflit relationnel avec le père, le directeur, le mari33
madame M
communication24
Secret36 :
Culpabilité de venir aux séances et inobservance dans le suivi des
-Exclusion du mari36
rendez-vous à cause de la réticence de son mari24 25
-Fuite36
Inobservance des séances25
Angoisses archaïques et fusionnelles expliquant le mécanisme de défense utilisé37
Décision d’arrêter la thérapie26
-
travail thérapeutique permet de modifier le mécanisme de défense37
Secret de l’IVG: son mari ne sait pas27
Décision de parler de l’IVG à son mari28
*****
9
*****
Explication de son IVG :
Clémentine Recherche d’une réplication exacte de ses amis morts à laquelle
l’enfant ne répondait pas1
*****
Tentative de remplacement par l’enfant des trois vies détruites par l’accident5 9
-
enfant différent de l’enfant projeté avec son ami, d’où sa séparation 8
Culpabilité de la mort de ses amis6 10
Deuil impossible de ses amis morts dans l’accident causé par sa culpabilité de leur mort6
Autopunition par sa séparation amoureuse10
Tentative de l’ordre de l’hallucinatoire avec une vision délirante de l’embryon1
Crise nécessitant avant et après l’IVG un travail de deuil de l’embryon 2 3
Difficultés du travail de deuil car double deuil : départ de l’ami et de l’enfant4
145
9
Après la 1ère IVG :
Fermée1 / Décidée à réaliser cette IVG1 21 26BIS
Fatia
Accusée par sa mère de plusieurs fautes10 11 12 13
Révélation de sa 1ère IVG d’il y a 15 mois2 3 4
Séparation de son couple sous la menace de sa mère13
Culpabilité de sa grossesse et de son IVG6BIS 5 29
Désespoir15
Lassitude6
Pendant l’année qui suit la 1ère IVG :
Humeur dépressive7
Alcoolisations et difficultés familiales depuis un an1 2 5 6 16 17
Mémoire du projet d’enfant avorté=seul intérêt de cette 2 ème grossesse9 :
Nécessité d’un placement en foyer d’urgence puis famille d’accueil2
Réparation de sa maternalité18 19
Pas de modification du comportement d’alcoolisation au retour dans sa
Projet narcissique détruit10 12 38
famille
6
Blessure narcissique entraînant une 2ème grossesse12 11 = Comblement d’un manque par la grossesse20 :
-
Un an après la 1ère IVG :
Le moment de fécondation correspond à la date anniversaire de la 1 ère IVG5BIS 8
Coma éthylique un an après la 1 ère IVG1 5 6
Tentative de remplacement du bébé par les alcoolisations15 14
Suivi médical familial rapidement interrompu3 4
Manque du bébé, vide16 17 29
Négligence de sa relation amoureuse (conduites sexuelles à risque sous
Tentative illusoire21 22 24 25 de réparation du bébé car :
l’emprise de l’alcool) et grossesse8 20 21 22
-
le bébé est l’ombre de l’autre ET qu’il n’a pas le droit d’exister22 26
Demande d’une (2ème) IVG7
Rage23
Acceptation de la consultation psychiatrique7
Culpabilité de sa décision d’IVG26bis entraînant :
Souhait que ses parents et surtout sa mère ne soient pas au courant9 19 25
Négligence en apparence du secret de sa grossesse envers sa mère, instance punitive 27 28
Responsable de cette grossesse
23
Expression difficile de son histoire = ambivalence dans sa prise en charge psychiatrique29 39 40
Indifférence de l’enfant à naître24
Arrêt du suivi à cause : Autopunition ou déni familial ou interdiction par sa mère31
Découverte de la grossesse par sa mère27
Répétition du cycle grossesse-IVG30 32
Réalisation de l’IVG en présence de sa mère26
Attaque au corps par ce deuxième cycle32 33
Mauvaise observance du suivi psychiatrique = interruption brutale du
Démarche mortifère de cette 2ème grossesse33 36 37 / Automutilation41
suivi pourtant accepté à deux reprises3 4 28 29 30
Attaque au corps dans ses conduites sexuelles à risques aggravées par son alcoolisme34 35
Tentative de rétablir le projet narcissique de la 1ère grossesse en s’appuyant sur la potentialité de vie de
la 2ème grossesse 36 37 38 et non la scène mortifère
Prise en charge nécessaire :
-
pour élaborer le deuil secondaire à la 1ère IVG41 Deuil destructeur41
-
pour que la répétition du cycle ne soit pas la répétition d’une auto-mutilation41
146
10
Après l’IVG :
Régression du stade génital au stade oral signifiée par la boulimie et l’avortement1
Cécilia
Sentiment de mal-être1
Problématique narcissique du vide interne s’opposant au plein 2
Troubles alimentaires boulimie-vomissements depuis l‘IVG2 3 4 5
Tentative de garder l’enfant et la mère potentiels, l’enfant qu’elle a été, sa mère par la boulimie 3
Besoin de se sentir pleine4
Tentative d’accéder à un changement d’état4
Souci de sa silhouette6
Echec de ces tentatives symbolisé par les vomissements1 5
Connaissance d’elle-même par le sport20
Expression de conflits psychiques présents et passés symbolisées par les vomissements6
Refus d’une certaine image de la femme existant dans sa famille7
Déni de son désir ambivalent d’enfant9
Relations maternelles :
Besoin d’indépendance
11
Sentiment d’injustice, de colère, de tristesse suite au départ de sa
11
Questionnement sur son devenir identitaire sexué et adulte favorisé par le contexte familial9
Déséquilibre psychique et identitaire en l’absence du soutien maternel nécessaire pour terminer sa
mère
construction psychique/identitaire12 13
20 41 42 43
>départ trop précoce de la mère12 42
Sentiment d’abandon au départ de sa mère10 12
Blocage de sa prise d’autonomie = frustration et dépression 14 15 41BIS 45
Sentiment d’incapacité de tenir la maison maternelle
Prisonnière d’une imago maternelle de toute puissance16 19
laissée à sa charge13
Différenciation incomplète – confusion/fusion – difficulté de séparation avec sa mère17 18 23 44 27 28 29
Sentiment d’être prisonnière de la maison17
Mise en acte du corps par la boulimie19
Sentiment de passivité dans l’action d’être tombée enceinte16
= Expression du désir de différenciation d’avec la mère dans le comportement boulimique19 31
Mise en acte de son corps, conduites psychopathologiques et psychosomatiques = moyen d’exprimer
Demandeuse d’un suivi psychologique régulier14
et de transformer des conflits psychiques/identitaires, des angoisses22 40 26 40BIS
Espacement progressif après un mois de vacances15
Mise en acte du corps = moyen principal d’expression22 = de se connaître, de grandir40 = moyen de
Arrêt du suivi, à sa demande après neuf mois de suivi14 15
construire son identité22 40 26 40BIS
Disparition des troubles alimentaires, reprise du sport, emménagement
Mise en acte de son corps (exemple : sport) 40 24 40BIS / Ces conduites ont un sens26
dans un appartement15
Rejet des objets maternels41
Perturbation du processus de subjectivation par l’arrêt du soutien maternel41 42 :
-
angoisse, choc spéculaire de son corps de femme43 20
-
confusion avec le corps de sa mère44
-
arrêt du sport45
-
grossesse = acte manqué = désir de inconscient de grossesse et de construire son identité de
femme et et de mère46 47 24 rejeté dans l’acte de l’avortement24 28 29
-
boulimie-vomissements traduisant besoin et rejet de sa mère23 27 28 29
147
Prise en charge médico-psychologique régulière suite à ces troubles alimentaires30
10
Cécilia
-
régularité pour éviter les angoisses d’intrusion32
Mise en acte dans la reproduction de la séparation par le congé d’été35 33
-
La séparation estivale a reproduit, réactivé, répété la séparation maternelle33
Mise en acte dans la diminution des conduites boulimiques34
Prise d’autonomie, équilibre psychosomatique34 35BIS
Décharge et projection de la conflictualité de sa vie psychique sur son corps par des mises en acte du
corps37 permettant :
-
*****
11
Nadège
Travail d’intériorisation, de subjectivation38 39 6 40 22 26 40BIS
*****
*****
Ressemblance avec le caractère fier, affectueux, dominateur de son
5
Culpabilité liée à l’homicide
1
père
Douleur causée par la perte de sa vie de famille avant le divorce2 4 14
Rupture volontaire de contact avec lui depuis plusieurs années6
Epreuve immense6 douleur causée par la perte de sa vie de famille avant le divorce2 4 14
Blessure causée par cette rupture6
Liens affectifs très forts avec ses frères3
Rancœur envers le comportement de son père7
Ralentissement intellectuel secondaire5
Conséquences psychologiques du comportement de son père sur elle8
Description sans hésitation de sa mère comme une personne faible
9
Absence de trouble psychotique, de l’humeur, de la personnalité7 8 9
Difficultés à faire le deuil de sa vie de famille avant le divorce 10 11 12
Attention maternelle envers ses frères11 12
Immaturité sous forme de sentimentalisme10 15
Confiance envers son ami13
Relation de dépendance avec la mère13 : sa première action le jour de l’accouchement a été d’aller
Tristesse à l’évocation de l’homicide14
chercher la mère22 23 41
Pas de force pour sortir le bébé des toilettes16
Sentimentalisme non refoulé par un manque de défenses névrotiques17
Utilise le terme « bébé »16
Déni de situation18 19
Doute sur cette deuxième grossesse à 6 mois15
Investissement de son ami comme remplaçant du père20 21
Silence sur son doute au médecin généraliste, à sa mère, refus de voir
Non investissement de son ami comme un futur père20 21
un gynécologue
17 19 20 21 26
L’IVG tardive annonçait le déni de grossesse26
Décalage du couple entre la prise de conscience de la grossesse et celle
Secret de l’IVG envers sa mère27
de son terme18 23 24 25
Dans les 2 cas, Nadège recule le moment de conscience de la grossesse27
N’en a pas parlé à sa mère car elle veut rester la petite fille22
148
11
IVG :
Nadège
Secret de l’IVG envers sa mère27
Atmosphère familiale lourde et silencieuse28
Traumatisme lié à la prise de conscience du déni (déflagration) 35
Culpabilité liée à la prise de conscience du déni35
Cauchemar de la grossesse mis immédiatement hors circuit par un acte réel, l’avortement 39
Acte réel39
L’IVG tardive annonçait le déni de grossesse26
-
Dans les 2 cas, Nadège recule le moment de conscience de la grossesse27
Etat entre conscience de grossesse et déni de grossesse à 2 reprises36 37 38 46
Infanticide : (Infanticide volontaire non classique car appel à l’aide41 43)
Sentiment de trahir sa famille comme son père l’a fait, en cas de maternité29 34
Cause du silence : veut garder le statut de petite fille30
Absence du plaisir d’égaler sa mère et de la crainte de ne pas y parvenir31 30
Refus de transmission31
Avortement du processus psychique d’élaboration de l’enfant imaginaire33 32
Conséquence : infanticide33
Cauchemar de la grossesse mis immédiatement hors circuit par un acte magique39
Acte magique = n’est pas enceinte 39 40 = Déni de grossesse40 42 44
Panique lors de cet accouchement (infanticide) 25 24
Traumatisme lié à la prise de conscience du déni (déflagration) 35
Culpabilité liée à la prise de conscience du déni35
149
Besoin d’être écoutée dans la confiance par une femme1 19 24
Pas d’affect en racontant son histoire sauf un sentiment de honte, de gêne1 4 2 45 49 15
Révélation de la violence de son mari1BIS 2 3 5
Histoire constituée de violence, notamment sexuelle3 5 20 21 51
Pas d’allusion à ses filles lors des premiers entretiens2BIS
Traits dépressifs6 8 11
Habillée de noire3BIS
Passivité (face à son fils, face à la violence de son mari, face aux relations sexuelles subies, face à
Malaise depuis les retrouvailles avec un frère l’ayant abusé
sa souffrance) 7 12 20 27 31 51
sexuellement plusieurs années dans l’enfance4
Besoin d’aide9 10 22 42
Aveu d’avoir porté plainte une fois contre son mari pour violence
Méfiance vis-à-vis des femmes14 48
physique sans suite5
Sentiment de trahir en allant parler à une psychologue16 17 18
67
Courage d’avoir parlé à sa mère de ces agressions du frère
Peur et colère18 19
Sentiment d’être abandonnée par sa mère8
Trahison par sa mère19 49
Espoir d’avoir la confiance de sa mère9
Solitude19 23 41 42
Surprise par la réaction de sa mère10
Répétition ininterrompue de violence : répétitions de relations avec des hommes maltraitants20 21 29 31 51
Sentiment d’être blessée par la 1ère IVG11
Culpabilité33 36 45 49
Sentiment de honte à la pensée de cette 1ère IVG12
Silence issu de sa culpabilité17 25 30 34 36 37
Sentiment de haine à la pensée de cette 1ère IVG12
Satisfaction de parler26 52
Sentiment d’avoir été harcelée sexuellement par son patron (elle quitte
Transfert de sa souffrance sur le mode d’identification à l’agresseur par l’expression 28 53 54
l’emploi) 13
Répétition de situations permettant de rejouer le traumatisme non élaboré pour se libérer de l’angoisse
Sentiment de culpabilité générale et d’être coupable de refuser des
qu’il provoque à long terme29 31
rapports sexuels avec son mari 14 20 15 14BIS 21 22
Justification de la violence de son mari30
Pas de désir d’enfant16
Volonté d’avoir une 2ème IVG après une 5ème grossesse forcée32
Certitude qu’elle quittera son mari pour sa violence physique17
Dépression post-partum (après la naissance du 3ème enfant, après 1ère IVG, 2 ans avant la 2ème)
Peur que ses filles soient victimes de la violence sexuelle des hommes18
Traumatisme de Mme T 38 39 43 44 51 55 :
Peur de se confier à des hommes19 1
Secret provoquée par sa culpabilité
21 1
35
-
inceste par son frère pendant plusieurs années
-
absence de soutien familial ; tante, sœur, mère : figure maternelle passive et absente19 43 49 50
Risque de punition en levant le secret22
Réactualisation de son identité de femme et de mère par les évènements de sa vie (comportement de
Besoin qu’on lui fasse confiance23
son fils, violence de son mari, naissance de sa fille, fille de 6 ans) 39
Besoin d’un suivi psychologique24
Manque d’estime de soi58BIS
Besoin de se libérer par la parole pour y voir plus clair24
Difficultés majorées par sa culture/histoire : liens de consanguinité, thème tabou de la sexualité40 47 46
Souffrance intense25
La répétition peut s’arrêter à partir d’un début de distanciation, d’élaboration du traumatisme51 58
150
12
Seul plaisir lui est procuré par ses enfants26
Plaisir masochiste de ne pas parler52
Madame T
Difficultés à évoquer les soucis provoqués par son fils27
Blessure narcissique causée par ces traumatismes57 38 39:
-son identité de femme39 basée sur une représentation terrifiante des hommes, sur sa crainte de ne pas
pouvoir protéger ses filles des hommes18 38 47 58BIS
-son identité de mère39 basée sur une figure maternelle passive et absente, sur une méfiance envers les
femmes14 19 43 44 48 49 50
Atteinte supplémentaire à son narcissisme provoquée par le trouble du comportement de son fils57
*****
13
Sarah
*****
*****
1
Sentiment de ne pas récupérer de son IVG
2
Dépression
Sentiment d’être déprimée depuis l’IVG
Dépression13
Sentiment d’accablement depuis l’IVG2 4
Réactivation secondaire de la culpabilité ancienne de ne pas combler la détresse maternelle13 12
Besoin de parler3
Sentiment d’être bloquée, face à un obstacle3
Confusion entre son histoire et celle de sa mère, entre 2 femmes, 2 bébés, 2 fécondités13 18 19 15 14 6
Certitude que l’IVG est liée à son mal-être5
Différenciation de l’histoire de sa mère et la sienne, à travers la parole, l’expression du rêve24 20 21 25
Incompréhension du lien entre IVG et mal-être6
Culpabilité secondaire à l’IVG16
Evocation de son rêve datant de quelques jours après l’IVG
Réappropriation de l’histoire de son IVG : Singularisation de sa décision d’IVG dans son contexte22 23
(elle perd un bébé à la naissance)
/ Non-intégration de l’IVG à cause de cette culpabilité17
7
Tristesse de ce rêve7
Clinique de la grossesse et de l’IVG qui sont symptômes de souffrance du lien mère-fille1 2 3 4
Ressenti très important du sentiment de perte de sa mère par rapport à
Tentative de réparer par la grossesse d’un trauma maternel lié à : fécondité / deuil pathologique5 8 27 28
son bébé mort à 8 mois de grossesse8
Culpabilité de vouloir se différencier de leur mère à cause de cette grossesse7
Sentiment d’avoir un peu tué, par l’IVG, le bébé que sa mère a perdu à
Ambivalence à décider ou non de se différencier de leur mère à travers l’IVG11
8 mois de grossesse9
Tentatives basées sur le fantasme de la « magmamatrice », fantasme d’une matrice commune à
l’origine d’un vivant collectif via la fécondité26 33 34 3539
40 41 42 43
, pouvant avoir comme conséquences :
-Reproduction de la détresse maternelle, du deuil maternel compliqué/pathologique29 30 31 45
-Toute puissance pouvant entraîner l’IVG36 37 38
-Réussite de la tentative de réparation32 44
Utilisation de ce fantasme dépend du psychisme du sujet et des évènements traumatiques de son
histoire46 / Tentatives de réparation imaginaires transgénérationnelles44
151
14
Isolement11BIS 11 / Volonté de sortir de son isolement à travers sa
Crise d’adolescence survenant pendant l’adolescence de ses enfants11 2 14 18 15
Yasmina
rencontre médicale pour une prise de contraception11BIS 11
Rupture dans sa vie comme l’IVG1BIS
Sentiment d’être abandonnée par ses enfants depuis l’obtention de leur
Malaise, souffrance causée par :
garde par le père
136
Accablement par cet abandon et par la procédure judiciaire lancée par
-
Séparation des parents3 4
-
Vol de son adolescence5 13 7 6 8 9
le père1 2
Maternité manquée comme conséquence10
Constat de relations quasi-inexistantes avec ses enfants3 6
Questionnement sur son identité de femme17
Constat du temps perdu de leur enfance4 6 8
Nouveau sens donné à l’adolescence et à la maternité manqués16
Souhait de rattraper le temps non passé avec ses enfants
4
Accusation du père d’être responsable de ce temps perdu5
Sentiment de ne pas être reconnue comme mère7 10
Accablement par la vie depuis la séparation de ses parents9
Fin de l’insouciance depuis la séparation de ses parents9BIS
14
Pas de souhait et refus de rencontrer un psychologue1
Entretien permettant l’association entre son changement brutal de vie et son enfance1TER 1BIS
Justine
Indécision à réaliser une 3ème IVG2
Exposition d’elle-même1
Vie désordonnée depuis le secret levé sur son origine4 3
Prise de décision d’IVG différente des précédentes, probablement par le travail psychologique 2
Interprétation du striptease comme le besoin de transgresser l’interdit
Probable arrêt de la répétition des IVG par ce travail psychologique3
parental de se montrer5
Première énonciation de son désir d’enfant7
Décision de réaliser la 3
ème
8
IVG
Décision différente des fois précédentes=pour elle8
(numérotation commune à Justine et Yasmina)
IVG=problématique adolescente à choisir ou non de rendre réel sa potentialité d’être mère4BIS
5BIS 7BIS
Adolescence = questionnement et revendication de son identité de femme à sa mère, reconnaissance
de sa mère comme femme6B 9B 7B, questionnement sur la maternité7B par les moyens de la fécondité9B
IVG et fécondité = moyen pour accéder à une identité de femme et de mère9B
Age adulte = re-questionnement de son identité de femme après une maternité réelle8B
Le malaise de l’adulte est causé par un moment de sa vie adolescente10B
L’adolescence rend compte des constructions infantiles11B 12B
Le moment adulte est un test de la solidité de la construction adolescente afin de tenter une nouvelle
construction s’il y a des ratages11B 13B
152
15
Habillée en style gothique2BIS
Provocante et plutôt extravertie1BIS
Luna
Besoin de voir ses amis2
Exclusion de Luna = Comportement des parents déclenché par la transgression grossesse+IVG1 7
Envie de profiter de la vie4
Rejet de la différence de Luna5 6 9 15 qui cause :
Sentiment d’avoir vécu une épreuve par la grossesse et l’IVG3 5
Exclusion par un mécanisme de persécution de Luna2 3 4 5 17 9 12 10 14
Souffrance toujours actuelle6
Entretien de cette différence par Luna13 19
Refus d’entretien en présence de ses parents8
Souffrance, désespoir16 18 21 32
Description de son père comme une personne très dure8BIS
Victime sacrificielle20
Sentiment d’être incomprise de ses parents et d’un de ses frères1 7 9 11 19
Vécu calme de l’entretien en présence de sa mère22
Sentiment d’être comprise de ses amis
2 11
Vécu libérateur de l’entretien individuel par l’expression du cauchemar23
Proximité avec un de ses frères10
Rêve de caractère incestueux24
Sentiment qu’elle perd ses parents12 13
Rêve manifestant sa culpabilisation de l’IVG par ses parents, et la culpabilité de ceux-ci25 26 26BIS
Refus d’être vue avec sa mère dans la rue14
Violence et culpabilité de l’entretien en présence de ses deux parents26 15 26BIS
Cauchemar=homme ressemblant à son père, mais qui n’est pas son
Diabolisation de Luna par ses parents26BIS
père, qui essaie de lui donner un fœtus ensanglanté15 16
Soutenue par l’un de ses frères27 42
Répétition d’un cauchemar15 18
Victime des modèles réparateurs de ses parents face à leurs blessures d’enfance29 30
Arrêt des cauchemars17
Victime de la double trahison de ses parents dans un jeu aliénant et déstructurant 32 33
Sentiment de solitude1 19
Victime du comportement de ses parents à cause de ce déni34 35
Sentiment d’exclusion
1 19
Révélation que le garçon qui l’a mise en enceinte s’appelle comme son
18
frère aîné
34 36
Réapparition d’une solidarité familiale dans la fratrie puis toute la famille, d’un dialogue 37 42 43
Vraie discussion familiale et levée du secret sur l’agression sexuelle par son frère Fabian du même
prénom que celui dont elle a été enceinte38 38BIS 39
Trahison fraternelle et déni parental de l’inceste responsable de sa solitude39
Réactivation de la souffrance, culpabilité et blessure narcissique familiale par la grossesse et l’IVG40 28
Surcharge émotionnelle = de culpabilité faisant consulter41
153
16
Pas de désir d’enfant3 8 9BIS 9TER
Attente d’une décision de son mari en faveur de l’IVG49
Nouria
Aucune contraception supportée3 9BIS
Faute morale de la mère d’avoir réalisé les IVG1
Inquiétude du devenir de chaque grossesse4
Déchargement de cette faute morale en se débarrassant du dossier qui en porte la trace 1
Attente à chaque grossesse d’une décision de son mari5
Isolement familial = mécanisme de défense contre ses carences environnementales & période de
Solitude dans le choix d’avorter ou non
6
gélation de son individuation et de l’accès à la différence des sexes 1BIS 25 37 37BIS 38 1TER
Dissimulation de ses 2 IVG sous le prétexte de sa religion7 7BIS
Psychose puerpérale passée inaperçue2
Identification au troisième enfant8
Non considération des besoins du bébé3 4 5 6 42
Seul bonheur connu : la période où elle vivait seule sans famille9
Non acceptation du bébé7
Sentiment d’horreur lors de la 3
ème
grossesse, de l’accouchement, de
Mauvaise élaboration du conflit oedipien8 9 = Grave trouble identitaire13 14
l’hosptalisation10 11
-
Absence ou dévalorisation de son père9 29
Sentiment que tout avait un sens, tout lui parlait13
-
Insécurité26 27 par la discordance entre les parents de Nouria22 23 24 30
Sentiment de culpabilité de son non-désir d’enfant à cause de l’Islam12
=>Considération de son bébé comme insuffisant10 11
Troubles du sommeil14
=>Agression par son bébé12
Peur de tous ces signes15
Honte de l’état féminin31 32
Sentiment d’être en un état étrange avec le traitement médicamenteux17
=>Accusation que son bébé est responsable de ses malheurs35 21
Bénéfice du traitement médicamenteux supérieur à son inconvénient17
=>Agression par son bébé33 34
Pas d’accès à la différence des sexes37 d’où :
Comportement envers le bébé :
Réactivation de sa passivité agressive de l’enfance à la naissance des enfants18 19 20
37BIS 46
Agacement et agressivité envers son bébé1
Réactivation de sa passivité = attente désespérée de l’amour de sa mère39
Malaise par rapport aux pleurs importants de sa fille2
Réactivation de son agressivité = souffrance infligée par la mère toute puissante 40 41 42
Désarroi causé par son bébé (qui est malade) 18 19
=>Haine envers son bébé20 21 36 44 45
Envie de voir son bébé mort19
=>Pas d’accès aux sentiments maternels36 48
Charge des soins médicaux nécessaires pour son bébé (malade) 20
=>Persécution maternelle primaire inconsciemment répétée de génération en génération15 16 17 20 42 43 48
48BIS
154
17
Culpabilité envers sa sœur mourante1
Syndrome de Münchhusen :
Syndrome de Münchhausen par procuration (par son fils) ou simple (IVG) 1BIS 3 10 37 40 44 56 81 149 156
Madame P
Troubles du comportement profondément mêlés à ceux de son fils2
Soumission au fils :
Soumission aux désirs de son fils2 3 67 68
Passages à l’acte maltraitants son fils (lavements rectaux injustifiés, masturbation, empoisonnement,
67
Menacée d’un couteau par son fils
comportements ordaliques avec son fils, mensonges sur sa santé) 4 10 13 39 49 50 138 139
Commandée de se déshabiller en même temps que son fils, de rester
Culpabilité de maltraiter son fils4 16 / Culpabilité de masturber son fils129
dans le lit avec lui68
Utilisation de son fils/fœtus pour attirer l’attention des médecins/du juge/sa mère sur elle11 44 46 48 77
Sentiment d’avoir un fils gentil ou méchant69
Aveu systématique de ses passages à l’acte aux soignants12 15 19 20 23 31 121 139
Volonté de protéger la vie de son fils 16 19 20 120 123 128 130 166 167
Révélation d’inceste dans l’enfance5
Clivage psychique entre la mère en détresse et la mère dangereuse21 58 131
Pleurs sur le récit de son enfance5BIS
Volonté qu’on sache ce qu’elle a subi enfant30 40
Sensation de mains dans la culotte37
Signification de la maternité comme seulement équivalent à des soins physiques d’un bébé 110 142
151
Acceptation d’un suivi avec la pédopsychiatre6 7
Initiation d’une thérapie familiale et de couple6
Relation à son corps :
Richesse des élaborations, des rêves, des fantasmes7 61 62 évoquant rétrospectivement de futurs
passages à l’acte8
Maltraitances sur son fils :
Besoin de faire des lavements à son fils8 4
Sentiment d’être comblée par la prescription des lavements
Obsessions sexuelles9 41 152 Prise d’un antidépresseur9 / Culpabilité de ses fantasmes24 42
60
Provocation de conceptions pour avoir des IVG45
-provoquant la soumission61
Idées morbides et suicidaires51 91 92 118
-faisant intervenir des tiers pour soulager sa culpabilité62
Relation à son corps marquée par des abus précoces53
-provoquant une souffrance semblable à ce qu’elle a vécu63 65
Phobie des mots évoquant le corps, la sexualité56 69 70 71 126 127 / Flash-back traumatiques de l’inceste57
Révélation du mensonge de la constipation de son fils9
Considération de son fils cadet comme une partie de son corps54 55 72 74 75 109 114 116 133
Disparition de ce besoin de faire des lavements à son fils10
Haine contre son fils73 79 107 108 113
Maltraitance directe avec son fils11 :
Identification de son fils à sa mère et à son grand-père abuseur114 115
-Provocation d’une entorse de cheville suite à une chute20, et d’une déshydratation sévère suite à une gastro-entérite justifiant une hospitalisation
21
Demande que son fils soit soumis à ses désirs75 79 122 136 137
Identification à l’agresseur112
-Marche avec son fils sur la balustrade du balcon au 10ème étage70
Identification projective de son fils à elle-même comme enfant-victime et protection122
-Administration d’un antidépresseur à son fils pour le protéger de son
Désir de réparer son enfance à travers son fils132
désir de le masturber27 & avertissement du pédopsychiatre de son acte28
155
17
Madame P
Relation à sa sœur, à sa mère, à son mari :
Sexualité :
Masturbations compulsives
12
Deuil de sa sœur mourante1
Idées suicidaires13
Culpabilité de son enfance5BIS
Expression de fantasmes et de rêves14 40
Jalousie envers sa sœur84 85 86 88
-sa mort suite à un viol, une IVG puis un cancer utérin 15
Culpabilité envers sa sœur87 89
-mort de son fils suite à une chute par la fenêtre17
Utilisation de son fils/de ses fœtus en sacrifice pour se faire pardonner de sa sœur décédée90
-masturbation de son fils par elle18
Loyauté inébranlable envers sa mère93 97 98 106 169 170 178 179
-maladie grave de son fils qu’elle soigne avec dévouement19
Culpabilité de ses fréquents fantasmes sexuels
22
Désillusion croissante de l’amour de sa mère65 94 95 140
Culpabilité à tout prix envers sa mère96
Ne prenait jamais sa pilule contraceptive28BIS
Doute sur l’amour de son mari65
Désir d’une conception dans le but de faire une IVG23 29
Diminution de ses troubles quand son mari s’intéresse à elle102
Désir de masturber son fils à cause de l’échec de cette conception pour
Utilisation de son fils/de ses fœtus pour éprouver l’amour de son mari=attirer son attention99-105
faire une IVG23 et du sentiment de vide intérieur laissé par
l’autonomisation de son fils24 38 58 & désir de le protéger de cet acte26
Personnalité :
Tentative de maintien d’un équilibre psychique par une mise en tension permanente 23 25 26 27 83
Affirmation et démonstration qu’elle est dangereuse pour Adrien30 31
par sa mère65, son fils14 49 50 109, son mari65 66 67 68, les thérapeutes et le juge145, des conflits33 34 36, des
Hospitalisation HDT de 1 mois31BIS
orgasmes de peur65 146 147 148
Demande de reprendre le suivi psychothérapeutique
32 33
Non-acceptation de son corps35
Désir de maîtriser son corps34
Comportement masochiste = plaisir d’avoir peur = érotisation de la peur41 152 153 155
Perversion narcissique52 60 63 64 69 135 136 137 160
-Utilisation de fils, mère, mari, psychiatres comme objet-fétiche119 157 158 164 165 168/171
Acceptation de son corps par l’intermédiaire d’un bébé36
Diminution des tensions par de profonds changements dans son entourage82 109 141 142 143 144
Sentiment de terreur et de rage face à un vide intérieur39
(autonomisation du fils, retour de son mari vers elle, détachement de sa mère, respect du psychiatre)
Sentiment de vide intérieur notamment laissé par l’autonomisation de
Absence d’angoisse entraînant un vide, un danger de mort psychique et physique, une aggravation
24 38 58
son fils
de son déséquilibre psychique117 143 144 162 163
Sentiment que la présence de son fils ordonne l’intérieur de son corps43
Sentiment d’être habitée par sa mère41 42
Espoir de recevoir de l’amour maternel après le décès de sa sœur44 45
Disparition de ce grand espoir46
Sentiment de payer chaque instant de bonheur depuis ce décès47
156
17
Sentiment de devoir mourir pour exister48
Disparition des passages à l’acte32
Madame P
Sentiment de culpabilité envers sa mère si son mal-être s’améliore49
Fascination pour la méthode de soins des psychiatres159
Besoin de culpabilité pour aider sa mère50
Absence de modification de son comportement pendant le suivi161
Refus de relations sexuelles avec son mari50 :
Apaisement de ses relations avec sa mère après le décès de son père174
-Sentiment de honte envers sa mère en acceptant des relations sexuelles
Reconnaissance de l’importance de son père pour sa mère 175
avec son mari51 53
Séparation d’avec l’idée de rivalité avec sa sœur176 et diminution de culpabilité envers son couple177
-Volonté de punir son mari en les refusant52
Réinvestissement de son couple180
-Crainte de faire croire à son mari qu’elle va bien en les acceptant54
-Crainte de ne plus avoir d’attention de son mari en les acceptant
Appui trouvé dans la relation avec sa psychiatre pour sortir de la relation perverse avec son fils 181
54
Prise de conscience que son mari est devenu sa seule famille55
Sentiment de rage à cette prise de conscience56
Volonté de ne plus prendre de risque de conflit direct avec lui 57
Sentiment de solitude58
Sentiment d’échec de son rôle de mère59 66
Sentiment que son fils est responsable de ce qu’elle est devenue64
Désir de pardonner à son fils64
Désir que son fils ne vive pas ce qu’elle a vécu66
*****
18
Madame A
*****
*****
1 2 10
Sentiment d’être rejetée par son gendre
Hésitations pour raconter l’origine de ce rejet
IVG = perte
3
2
Syndrome de l’enfant de remplacement=mode de transmission10 9 6 13
Transmission transgénérationnelle d’un deuil périnatal prolongé7 9
Récit sur la naissance du petit-fils :
Deuil périnatal non fait8 1 3 11
Empressement pour visiter sa fille à la maternité4
Forte projection des représentations imaginaires de l’enfant disparu sur le petit-fils4 5 12
Appropriation du nouveau-né dans la chambre de sa fille5 6 7 8
Pleurs à la séparation avec le nouveau-né dans la chambre de sa fille
Rupture des relations affectives intergénérationnelles14
9
Appropriation secrète de la grossesse de sa fille11 12 13
Confidence de l’IVG14
157
19
Objectif que son couple ressemble à celui de ses parents1BIS
Union très forte de ses parents4 5 45BIS
Madame B
Suspicion et découverte que son mari la trompe31 32
Bonheur du début de son mariage5BIS
Sentiment d’abandon33 34 35 3 7 15 16 17 27 28 29
Objectif de former un couple uni5BIS
Sentiment d’être exclue par ses parents1
Décollage du lien à son mari par l’éloignement8 et aventure amoureuse avec sa belle-sœur7
Sentiment de haine envers ses parents2 14
Cristallisation suite au suicide de sa belle-sœur11
Confiance envers sa belle-sœur4
Mélancolie délirante chronique3 9
Affection envers sa belle-sœur
56
:
Syndrome de Cotard :
7
Sentiment de rancœur envers sa belle-sœur décédée
Sentiment d’être morte
11 74 80 81
8 11 12 13 22 26 28 31BIS
Syndrome de Cotard22 26 28 77
-délire25 avec tendance mégalomaniaque du délire40 41 45
Désir de se rapprocher de sa belle-sœur dans la mort9 40 41 43 18 19 20 21 22
-idées de damnation, auto-accusations de crimes imaginaires60 23 61 67 75 78 79
Sentiment d’être criminelle36 37
-négation ou transformation d’organe sur le thème de la pourriture24 59, négation de son
Sentiment de mériter une punition38
appartenance au monde24 29 30-36 65 66, haine30 62 64 68 69 70 71 72 73 et risque suicidaire majeur1 63
Désir de mourir39 30
-croyance d’être déjà morte12 22 25 46 77
Sentiment d’être hantée par sa belle-sœur40 41 42 26 24
Sentiment d’étouffer son mari
10
Incorporation :
Processus d’incorporation pour éviter le vide, la disparition de l’autre et de soi13-19 51 53 54 57 76
Sentiment d’avoir besoin de certaines personnes14
- Désir de ne faire qu’un avec son mari, sa belle-sœur morte45BIS 47 48
Sentiment de pourriture24 25 26
- Sentiment de naître après la mort de sa belle-sœur22 26 27 28
- Deuil impossible provoqué par l’objet incorporé19 20
- Régression provoqué par l’objet incorporé52
- Anorexie sévère provoqué par l’objet incorporé2 55 56
- Ambivalence dans la relation à l’objet incorporé21
Difficulté de séparation :
Difficulté de séparation avec l’objet qui la représente dans le désir de l’Autre39 6
- Identification au cadeau abandonné par son mari6 35
- Identification à sa belle-sœur morte49 50 51 58
- Répétition d’un vécu d’abandon37 38
Lien possible entre thème d’ordure et pourriture avec celui d’auto-accusation criminelle de l’IVG60
158
20
Mal-être1 8 36
Réalisation de choix évidents et raisonnables19 20 21
une jeune
Triste2 35
Surprise des pertes accompagnant ses choix22
femme
Idées suicidaires3
Ignorance de la possibilité de la perte23 24
Anhédonie4 10 15 37 38 40 43
Possession de plusieurs choses25
Pertes de connaissance répétées dans les transports en commun5 29 34
Banalité de ses propos26
Souhait de poursuivre un traitement antidépresseur inefficace6 7
Dépression de ses propos26
Absence de situations douloureuses dans sa vie à première vue27 28
Difficulté à reconnaître les tensions qui appuient ses choix29
Réussite de sa vie :
Sentiment de réussite de sa vie
9 9BIS 11 13 16 24 26 44
Pas d’insatisfaction hystérique30 31
Choix de bonnes études9BIS 55
Difficultés à exprimer son vécu32 33 34
Amour envers son ami12 13
Nécessité que les mots passent par la bouche de l’analyste35
Choix d’une vie sexuelle érotique23 55
Accord conscient pour réaliser un avortement36 40 par conformité à la loi sociale, la doxa/évidence
Choix de vivre à Paris24 55
commune37 38 39 40 41 69 70
Choix d’acheter un appartement ensemble26 55
Sentiment d’avoir validé son engagement avec son ami par le nouvel
28
Désaccord :
Choix forcé car : implicite, non formulé, non reconnu, non conscient5 6 11 12 13 43, absence de
acte de propriété
problématisation42, de reconnaissance, d’énonciation de son désir15-18, absence de conflit, de mise en
Absence de regret d’avoir quitté son ancien ami
14
tension45 44, absence de reconnaissance d’une perte quelque soit le choix43
Sentiment de trahison envers lui16
Surprise de la coïncidence exacte entre l’apparition des symptômes et la date de naissance présumée46
Sentiment de culpabilité envers lui16
Prise de conscience :
Tristesse d’avoir perdu la famille de son ancien ami
17 18
Prise de conscience de cette perte19 20 21
-
du lien entre symptômes et son opposition à son choix d’avortement47
-
du lien entre symptômes et la méconnaissance de la perte secondaire à l’IVG1 2 3 10 43 48
Besoin de sa famille et de sa région en province22 25 26 39
Prise de conscience reliée à un mécanisme de49 déni ? dénégation ? refoulement avec retour du refoulé
Désir d’enfant27 46 50 52 54
sous forme de dépression ? récusation ? autre processus ?49 Plutôt à une non-reconnaissance de la
Constat d’une similitude des pertes de connaissance avec sa mère30
Constat d’une alcoolisation un peu excessive
31
loi interne propre51 53 54 55 69BIS 103
Reconnaissance de sa loi morale interne permise par un travail analytique56 55 80 81
Inquiétude de cette alcoolisation32
=>Reconnaissance d’un désaccord avec sa loi interne d’interdiction de jouissance sexuelle57
Intérêt pour la réflexion développée par la psychanalyse33 41 42 48
Problématisation de la décision qu’elle a prise60-66 à partir du thème des biens matériels, de la
Incapacité à relier ses symptômes à un évènement32 35BIS
jouissance sexuelle71-73 75-79, en inscrivant la possibilité d’une perte, en engageant sa subjectivité60-68 74
159
20
Constat du lien entre l’apparition des symptômes et le mois de
ème
mois de l’année
Reconnaissance d’une perte secondaire à son choix d’IVG, d’un renoncement au désir d’enfant suite à
34BIS
la transgression de l’interdit de l’avortement, prix à payer pour accéder à la jouissance directe69BIS 77 78
une jeune
septembre, 9
femme
Discussion sur sa mère et son travail40
79 87
Insistance sur l’avantage de son travail sur les 71/2 mois de congés
=>Reconnaissance d’un désaccord sur ce renoncement, sur cette perte qui n’a pas été élaborée81 82 83 84
maternité avec plein salaire45
Manque de problématisation de sa décision, de son choix et de la perte qu’il provoque = Manifestation
Sentiment que son état actuel est incompatible avec une grossesse
47
de ces désaccords par la dépression58 59 85 100
Oubli de parler de son avortement au mois de janvier48 49
Désir conscient d’enfant non accompli = Dépression50 58
Secret de son avortement envers son entourage50BIS
Distension entre désir et jouissance88
Désir de ne pas choquer son entourage
Choix d’un avortement53 55
51
Confusion entre désir et volonté89
Le renoncement au désir est différent d’une restriction nécessaire de jouissance14
Position féminine :
Problématisation de la décision qu’elle a prise à partir du thème de la position féminine90
= Décision d’accéder à la position de femme et de cesser d’être la fille de ses parents par le
renoncement à sa grossesse en transgressant l’interdit de l’avortement91
= Attente en vain d’une reconnaissance symbolique de ce passage par le mariage et non par un acte de
propriété93 94 95
= Dépression92
Désaccord et dépression liés à :
-
Antagonismes entre loi interne et doxa, entre désir et jouissance, entre jouissances
convenables et pas convenables96-99 101-103
-
Disparition des interdits et des passages104
-
D’où une influence de la doxa105
-
Et une croyance en l’autonomie de ses choix, libre-arbitre106 107
Guérison de la dépression par :
Expression de chagrin et de colère108 / Réflexion sur la position de la femme par rapport à l’homme108
Joie d’être de nouveau enceinte56/Arrêt du suivi suite à l’annonce de sa seconde grossesse56/Mariage108
160
21
Alcoolisations massives et ponctuelles2 3
Ironie1 2 4
une jeune
Demande de l’avis du psychiatre sur son comportement3
Confidence de ses alcoolisations3
femme
Emportement à l’évocation d’un lien entre ses alcoolisations et un
Colère à l’idée de ce lien5
éventuel avortement4
Aveu d’une souffrance secondaire à l’avortement6 7
Révélation d’un avortement5
Difficulté à exprimer cette souffrance7 car :
Nécessité de cet avortement6
-
non acceptable socialement8
Souvenir présent de cet avortement6
-
non reconnue par le sujet elle-même9 11
Oubli de cette souffrance dans l’alcool10
Suicide alcoolique12 causée par :
-
profanation de la fonction symbolique essentielle de la femme14
13 25
-
profanation de la procréation, de la maternité14 13
-
meurtre du sujet féminin15
-
meurtre du désir de maternité16 17 19 20
-
avortement non désiré, forcé par l’homme qui avait la place symbolique de père18
-
profanation du pacte sacré qui lie les hommes et les femmes21 22 23
Différence avec les déterminants de l’alcoolisme masculin24
Autre conséquence supposée de la profanation de cette fonction symbolique : la toxicomanie25 26
161
22
Anéantissement :
Bouleversement physique et psychique de l’annonce 1 2 3 4 6
Michèle
Long silence1BIS 1
Reconnaissance de ce silence restaurateur5
Sentiment d’anéantissement30
Etonnement de voir les enfants handicapés jouer7
Volonté de fuir30
Reconnaissance envers les médecins de dire la vérité sur l’anomalie8
Rancœur envers les médecins voyant le fœtus plus objet de soin qu’enfant9
Constat que ce qu’elle porte est un enfant malgré son handicap2
Sentiment d’hostilité déplacé du fœtus aux soignants10 11
Sentiment d’étrangeté du contenu utérin3
Paradoxe entre l’intérieur du bébé visible à l’échographie, et l’extérieur normal à l’œil nu12 13 14
2 rêves4 :
Solitude dans ce choix dans tous les cas mortel : fœtus, projet, narcissisme15 76
Rêve 1 : seule en montée dans un escalator, elle croise un enfant qui est
Désir de fuir la décision d’interrompre ou non sa grossesse16
sur le bord et qui la regarde
Pas de contrôle de la situation17
Rêve 2 : elle monte un escalier, tombe, est relevée par un enfant
Effondrement18
Interrogation sur la situation de l’enfant dans ses rêves : laissé ou
Représentation du fœtus comme un futur enfant19
consentant pour l’IMG7
Culpabilité de l’IVG20
Relation entre ses rêves, son IVG et l’anomalie foetale5
Interrogation de l’auteur sur avortement et dette de vie envers sa mère20BIS
Interprétation de l’anomalie fœtale actuelle comme une punition de
Difficultés d’élaboration du deuil de sa mère21
l’IVG6
Silence sur les traces laissées par son IVG22
Peu bavarde au sujet du décès de sa mère8
Réactualisation de fantasmes archaïques et de pertes antérieures secondaire à la blessure narcissique liée
Colère à cause du paradoxe des propositions administratives de prises en
au traumatisme actuel23 29
charge du fœtus9
Inconcevabilité de l’IMG si le fœtus est considéré comme un être à part entière25 26
Prise de décision de l’IMG10
Confusion sur le statut du fœtus pouvant être inscrit à l’état civil ou autopsié24 27
Lourdeur du diagnostic pour elle11
Colère en lien avec la problématique du statut du fœtus27 causée par la précocité de ces propositions
Solitude12
administratives28
Impossibilité de transformer un projet parental en un projet individuel 13
Peur de cette IMG nécessitant un accouchement normal30
Souhait de voir l’enfant14
Refus de le tuer une 2ème fois31
Refus de l’autopsie14
Repli sur soi, isolement social
Dépression secondaire à un difficile travail de deuil32 33 34 39
33 15
Régression consécutive à l’effondrement32 33 36
Attente des retrouvailles avec son mari16
Désir de retour à l’état de fusion avec sa mère et identification au fœtus37 38
Impossibilité de parler de l’IMG lors de ces retrouvailles17 18
Peur mutuelle de la mort40
Evocation avec son mari du bébé, de leurs affects, de leurs projets19
Déni mutuel de la réalité de la mort du bébé40 47
162
22
Sentiment d’être prête à avoir un autre projet d’enfant20
Désir de partager et d’atténuer sa souffrance avec son mari42 43 44 45
Michèle
Sentiment d’accepter d’attendre son mari21
Lien avec le bébé disparu possible par la colère et la douleur46
Désir d’écriture22
Incompréhension réciproque du couple48
Besoin de faire un lien entre avant l’IMG et après l’IMG23
Animosité réciproque du couple50
Evocation de la mort de sa mère et des non-dits familiaux24
Réinstauration progressive d’un dialogue mutuel49
Excuse du comportement de son père au moment de ce décès27 26
Acceptation de laisser le temps de la cicatrisation de cette blessure chez son mari 53
Expression de ses émotions possibles grâce aux entretiens29
Travail de deuil53 par :
Sentiment de réconciliation entre elle et son bébé31
Sentiment de retrouvailles avec sa mère décédée
32
-
processus de sublimation de l’objet perdu54 55
-
intégration de l’IMG et du bébé dans son histoire55
Rationalisation masquant une colère sur ces non-dits56 57
Sidération familiale liée au thème de la mort58 66 40
Confrontation nécessaire avec ses affects60 61 67 68
Autorisation progressive à exprimer ses affects62
Nécessité de ce temps de parole entre annonce et décision pour remettre en circulation sa pensée63 64 65 66
Travail de deuil de sa mère et réaménagement de ses repères identificatoires70 84
Travail de deuil périnatal72 73 74 75 77 78 81 83 :
-sortir de la sidération77
-donner un sens à la grossesse quelque soit l’issue77
-interrogation et représentation du fœtus77 74 75
-inscription du bébé dans sa filiation69
-arrêt du processus de parentalisation80
-nécessité du désinvestissement psychique du fœtus80
Risque de deuil mélancolique après l’IMG82 83
Elaboration de la perte et des pertes antérieures ravivées, dans l’accompagnement proposé par le
thérapeute59 71 79 81 84BIS
163
23
Court terme après la 1ère IVG :
Expérience horrible1 (pendant la 2ème IVG)
Femme A
Refus d’un suivi psychologique15
Sentiment de solitude2 4
Sentiment de ne pas en avoir besoin15
-
Sentiment de ne pas assumer son choix/aveu de faiblesse si elle
l’acceptait15
A travers les actes infirmiers3
Sentiment de culpabilité5 15 23
-
37 42
A travers les actes infirmiers6
Perturbation d’être dans le service de gynécologie-obstétrique7
Pendant la 2ème IVG :
Besoin d’être physiquement mieux entourée9 10
Expérience horrible, pas géniale1
Demande d’empathie22 11
Sentiment de honte
2
Souhait que les infirmières soient plus authentiques22
Sentiment de culpabilité3 13
Paradoxe entre le refus de parler de son vécu et du besoin d’entendre celui de l’infirmière 12 13
Pas de désir de parler de sa vie privée4 24 44 28
Besoin de sécurité secondaire14 18 à un manque d’estime de soi16 39 40 42, de culpabilité5 15 23 37 42,
Désir que ce soit « liquidée »5
d’anxiété14 17 36
Besoin que l’infirmière soit plus présente6 11 18 19 20 21 22 23 27 28 29 31 33
Besoin d’être rassurée sur le non-jugement de l’infirmière et le protocole de l’IVG19 20
Besoin d’être soutenue sur sa décision7
Doute sur sa décision8
9 12
Mal-être
/ Sentiment de solitude
Mal-être :
16 17
Difficultés à supporter ce mal-être21 29
Besoin de savoir si l’infirmière est en désaccord avec l’IVG25
Pas besoin de savoir si le médecin est en désaccord avec l’IVG
Tristesse36
26
Découragement36
Colère contre soi-même et autrui exprimée le désir de mourir38 39 40
-Après l’IVG :
Mise d’une carapace pour faire comme si l’IVG n’avait jamais existé30
Crise secondaire au conflit d’évitement entre 2 solutions négatives quelque soit la décision 24 25
Nécessité de pouvoir être dirigée vers un psychologue après l’IVG34
nécessitant beaucoup d’énergie et une aide professionnelle pour sortir du conflit 27
Mal-être35
Pas correctement aidée pour sortir de cette crise de manière constructive27 28 29
Inconscience du lien de son mal-être avec l’avortement36 38
Désirs inconscients dans la répétition de grossesses et d’IVG30 31 34 :
Déprime37
Désir de mourir
39
Pardon donné à elle-même41
Réalisation d’un travail de deuil42
-
Réassurance narcissique de l’intégrité des possibilités reproductrices32
-
Désirer un enfant sans vouloir accoucher31
-
Manque impossible à combler dans les grossesses non désirées répétées33
Ambivalence importante dans les demandes répétées d’IVG35
Besoin de ne pas se juger les uns les autres43
164
23
Femme B
Demande d’aide psychologique1
Nécessité de supporter l’IVG et l’ambivalence de la décision
Vécu traumatique avec chevauchement de plusieurs crises (divorce, sepsis, stérilité) rendant leur
1BIS 2
résolution plus difficile1 4 4BIS 6 5 7 10
Nécessité de refouler pour supporter l’IVG et l’ambivalence de la
Pas d’expression de sentiment de culpabilité2
décision1BIS 2
Souffrance3 secondaire au conflit de valeurs dans cette expérience d’IVG3
Mécanisme de défense de non prise de responsabilité ; projection8BIS 8 22 15 24
Prise de distance avec son compagnon, son vécu émotionnel et sa conscience 22 21
Blocage de l’expression des émotions9
Processus de deuil non encore résolu11
Souffrance secondaire à un important manque d’estime de soi à travers des mécanismes de défense 14 15 16
Peu de remise en question personnelle19
Prise de distance empêchant l’identification et l’expression d’un besoin particulier23
23
Sentiment de colère quelques jours après l’IVG5
Pas de conséquence particulière après l’IVG4 5 3BIS
Femme C
Sentiment de voir la psychologue trop tard6
Faible sentiment de culpabilité3 6 7
Choix assumé3BIS
Pas d’utilisation de mécanisme de défense8
Faible expression de manque d’estime de soi9
Vécu moins perturbée que les femmes A et B pour cette crise (décision d’IVG) 12 13
Bonne estime de soi lui permettant de mieux vivre cette expérience14
165
24
Anna
Recherche d’un dialogue avec le soignant1
Sentiment de nullité depuis l’enfance
Contact avec le personnel soignant :
2
Etat de tristesse intense15 24
Sentiment d’être imparfaite depuis l’enfance3
Attitude secrète16 6
Prise de conscience de la cruauté de son amant après l’IVG4
Evitement du contact avec les soignants16
Prise de conscience de la nécessité de quitter son amant après l’IVG5
Evaluation des capacités d’accueil des soignants17
Séparation avec son amant après l’IVG6 7 8 9
Besoin d’un certain temps avant de s’exprimer18
Isolement chez elle dans les jours qui suivent l’IVG10
Pleurs continus en racontant son histoire11
Récit de son histoire depuis avant l’IVG
Souhait de quitter l’hôpital12
Basse estime de soi depuis l’enfance19 28
Acceptation de l’idée du conte thérapeutique par l’infirmière13
Peu de confiance en elle depuis l’enfance20
Très aidée par le conte14 22 26
Epreuve de l’avortement21 29 29BIS 31 33
Cauchemar de sa vie15
Prise de conscience et rupture, par cette épreuve, de sa relation destructrice22 23 28 29 32
Grande culpabilité16
Désespoir17
Changement de regard sur le sens de son histoire
Récit de la rupture après l’IVG
19 18 20 21
19 22
par le conte
Nécessité de réaliser un deuil d’un avortement, d’un enfant avorté1 2 6 26 29BIS 30 30BIS
Extériorisation de sa douleur possible par le conte22 23
Culpabilité de l’avortement3 4 6 26 27 30
Réconciliation avec elle-même23
Aggravation du manque d’estime de soi par cette culpabilité5 13 30
Libération
23
Bien-être dans sa vie privée et professionnelle24 25
42
Difficulté de faire ce deuil7 34
Perte d’espoir24
Inhibition psychomotrice24
Syndrome dépressif sévère25
Douleur et traumatisme de son histoire28 33
Amour impossible entre elle et son amant28, entre une mère et son enfant29
Conte intitulé « Gaïa, la petite libellule qui s’ignorait elle-même » :
Ignorance de sa capacité à aimer et à être aimée60 61 62 63 64 65
Peu habituée aux compliments64 67
Difficultés à accepter les compliments66
Désir de vivre une histoire d’aimer et d’être aimée68 69 70 84
166
24
Sentiment d’imperfection qui l’empêche de croire en la réalisation de ce désir 71
Anna
Soumission à un homme qui ne l’aime pas72 73 74 75 76 77 78 81 84
Manque de confiance en elle76 84
Souffrance de cette relation79 82 83 / Frustration de cette relation80
Incapacité à quitter son amant malgré des moments de lucidité81
Persistance du désir d’être aimée par son amant en corrigeant ses imperfections83
Manipulation par son amant84
Joie et crainte à la nouvelle de sa grossesse85 86 87
Solitude à la réaction de son amant87 88
Désespoir à la réaction de son amant87 88 89
Culpabilité d’avoir choisi un tel père pour son enfant90
Désir de protéger l’enfant des menaces de son père par l’avorterment91 92 93 94
Souffrance à cause de cet avortement95 96 108
Prise de conscience de la manipulation de son amant sur elle97 98 99 100
Décision de rompre avec lui101 102 103 104 106
Prise de conscience de la nécessité de rompre avec son amant pour devenir elle-même105 106 107
Douleur de cette rupture105
Amour persistant pour l’enfant avorté108
Connaissance et respect d’elle-même permis par cet avortement106 107 108
Contact et expression d’émotions verrouillées43 44 46 47 53
Réalisation d’un deuil compliqué44 47 1
Sens donné à son vécu37
48
Déculpabilisation49 / Restauration de l’estime d’elle-même50 13 / Réconciliation avec elle-même51 36
Intégration de l’épreuve vécue dans son histoire de vie52
à l’aide :
-du conte thérapeutique et de l’entretien unique35 39 40 53
-d’un accueil sans jugement12 41
-d’une mise en confiance, d’une écoute lors de l’entretien8 9 10 11 40
167
25
Vécu de la 2ème IVG différent de la 1ère IVG1
Sens différent donné à une même décision2 4
Barbara
Pas de culpabilité à la décision de la 2ème IVG2
Absence de culpabilité avant la 2ème IVG contrairement à avant la 1ère IVG (il y a 15 ans) 3
25
Regret que l’IVG ne soit pas rentrée dans les moeurs1
Atypie du cas de figure de Michèle1
Michèle
Souhait que les femmes ayant avorté sortent de leur silence2
Répétition d’une exposition à la déviance2 3
Pas de ressenti particulier, pas de culpabilité3 4 5
Prise de recul sur les réactions de l’entourage et des soignants à cause de cette répétition d’une
Malaise à cause du regard des autres et non de l’IVG
Culpabilité de ne pas culpabiliser de l’IVG5
678
exposition à la déviance2 3
Considération de la stigmatisation morale de l’IVG4
Lutte contre la réprobation et la compassion d’autrui11
Hypothèse que la répétition d’une déviance/d’IVG modifie le positionnement des femmes par rapport à
l’IVG8 9
168
Annexe VII : Retranscription et codage du vécu psychique après l’IVG
Document 1 Expression de Léa sur son vécu psychique après l’IVG
1Après 8 j de coma, nous rencontrons Léa à la demande d’une équipe soignante
désarmée par cette patiente dont les plaintes focalisées autour de la sphère
abdominale, lui semblent disproportionnées en comparaison de sa paraplégie et du
décès de son père dont elle ne parle pas. 5
Cette enfance contraste avec les conflits qui existaient depuis peu1BIS ; en effet
quelques mois avant l’accident récent Léa avait subi une interruption volontaire de
grossesse (IVG), ce qui avait engendré des tensions importantes avec ses parents et
notamment avec son père […] 1
Cette IVG avait été le point de départ d’une anorexie mentale. 3
Léa s’était décidée à rencontrer un psychiatre pour ces problèmes au moment de
l’accident.4
Ses souvenirs de cette journée sont pauvres.6 Pour elle, il lui reste un vague sentiment
de la joie qu’elle se faisait de partager une journée avec ses parents. 7
Ensuite, vient l’accident dont elle se souvient à peine, seuls persistent quelques
souvenirs des 1rs secours, de l’ambiance confuse, mais elle se rappelle avoir réalisé
qu’elle ne sentait plus ses jambes.8
Lorsque nous abordons avec elle les conséquences de cet accident elle élude les
problèmes les uns après les autres9 ; ainsi elle dit avoir toujours eu le pressentiment
qu’elle finirait ses jours en fauteuil roulant.10
De même, elle dit avoir beaucoup de mal à réaliser le décès de son père car son coma
l’a préservée pendant quelques jours de la réalité.11
En revanche, elle se dit gênée par une angoisse, présente depuis le réveil, qu’elle ne
peut expliquer et surtout un sentiment de pesanteur sur l’estomac. 12
Ce premier entretien se termine par le récit d’un rêve de réparation qu’elle avait eu la
veille : les membres de sa famille lui rapportaient une à une des cellules pour la
reconstruire.13
2 De son côté, Léa se plaint avant tout d’angoisses […] 14
Elle se dit également très perturbée par sa sonde d’alimentation ; elle espère pouvoir
se nourrir d’elle-même le plus tôt possible pour retrouver son autonomie. 15
Il convient de préciser qu’elle est installée dans un fonctionnement anorexique
depuis 6 mois, […] 3BIS
Ainsi, Léa maltraite-t-elle la partie inerte de son corps qu’elle considère
comme ne lui appartenant plus : « mes jambes sont là » dira-t-elle un jour en nous
montrant son fauteuil roulant. Et lorsqu’elle circule, elle ne fait pas plus attention à
ses jambes et multiplie les ecchymoses.16
De même, Léa ne prend plus de précaution d’asepsie lors de ses autosondages ce qui
entraîne des infections urinaires à répétition.17 Elle ira jusqu’à détourner l’usage des
sondes en retardant ses sondages pour avoir le plaisir de voir son ventre se gonfler
puis s’aplatir au rythme de la vidange, […] 18
Après un séjour en centre de rééducation, Léa reprend sa scolarité mais son état de
santé s’aggrave ; elle perd du poids, multiplie les complications (ecchymose,
pyélonéphrite) jusqu’à la constitution d’une escarre en regard du matériel
d’ostéosynthèse sur le rachis.21
Le premier sentiment a été celui de honte et de déchéance.22
Si Léa mettait toujours une certaine coquetterie dans sa présentation, depuis la pose
du corset elle se soigne moins et refuse toute visite (excepté celle de sa mère). 20
Elle évoque ce qui se passe « en dessous » en nommant ses jambes, son corps. Elle
critique ses conduites agressives envers cette partie du corps […], prend de la
distance par rapport à sa mère. Elle exprime la volonté de « s’en sortir » et prend
conscience du temps écoulé depuis l’accident.21BIS
« Ils doivent m’ouvrir en deux », par cette phrase 22BIS
[…] son père qui […] qui, dit-elle, « ne la voyait pas grandir ».2
Interprétation de cette expression par l’auteur
1 Le caractère d’effraction inhérent à un traumatisme s’envisage aisément tant sur le
plan physique que psychique. En effet, le retentissement somatique amène à des
modifications, des perceptions et du vécu corporel tout en nécessitant un travail
d’élaboration psychique pour intégrer le traumatisme dans une trame chargée de
sens.43
Elle se trouve alors confrontée dans la réalité à des fantasmes agressifs non élaborés
et à une perte de contrôle sur son corps dont elle ne paraît plus éprouver la
contenance. Il faudra de longs mois pour qu’elle puisse établir un espace psychique
propre et réinvestir un corps vécu comme unifié. 44
[…] plaintes focalisées autour de la sphère abdominale, lui semblent
disproportionnées en comparaison de sa paraplégie et du décès de son père dont elle
ne parle pas. 53BIS […] père qui […] vraisemblablement acceptait mal la sexualité de
sa fille.50
Cette tragédie survenait donc à une période assez conflictuelle pour elle. 3
[…] récit d’un rêve de réparation […] Avec le recul, ce rêve présageait de l’ampleur
du travail qu’il y aurait à accomplir.11
Léa se trouve ainsi confrontée à toute une série de deuils et de problèmes intriqués
les uns aux autres.47
La complexité de cette situation clinique pourrait ouvrir sur de nombreuses
discussions, toutefois nous avons choisi de centrer notre propos sur le thème de
l’effraction.21
En effet, le séjour en réanimation, les multiples interventions chirurgicales et les
soins renforcent l’impression d’effraction, mais sur le plan psychique elle ne semble
être efficiente qu’au sein de l’équipe médicale.10 […] angoisses de type
abandonnique massives, […] 44BIS
[…] 6 mois, ce qui explique en partie la fragilité du sentiment d’autonomie et
d’identité. Dans cette logique, on assiste aussi au maintien d’une relation de
dépendance et d’attachement aux objets d’investissement telle que l’a décrit Ph.
Jammet [6].52
2 Léa reste de ce fait dans un « impensable », inélaborable pour elle. […] Or ce
défaut de représentation est intervenu sur une image du corps déjà défaillante et a
renforcé les mécanismes de défense préexistant à l’accident.4
On souligne en effet l’importance de ces facteurs antérieurs (personnalité,
psychobiographie) qui sont susceptibles d’accentuer l’impact du traumatisme. 14
De ce fait, pour ce qui se passe « en dessous », comme elle le nomme, le clivage est
physique et psychique.46
Il semble que Léa veuille s’affranchir d’un corps devenu inutile tout comme elle le
faisait dans ses conduites anorectiques illustrant de cette manière le fantasme d’être
un esprit sans corps. Le corps est d’une part surinvesti comme expression volontaire
de soi, d’autre part contre-investi comme lieu du désir et ignoré comme réalité. »5
[…] nous renvoyant à une vision très désaffectivée et mécanique de son corps. 11BIS
En définitive, l’effraction physique dans le cas de Léa s’avère évidente ; elle ne
paraît cependant faire effraction sur le plan psychique qu’à l’équipe soignante qui
manifeste empathie et compassion chaleureuse à son égard.16
Il nous est apparu qu’au terme de cette 1re phase de la prise en charge, le tableau
traumatique avec la perte de l’intégrité corporelle et l’intrusion par les multiples
sondes ne permettaient pas d’établir distinctivement les limites internes/externes. 17
Le sentiment d’une identité corporelle paraît précaire et semble menacer le sentiment
de soi dans une confrontation Moi corporel–Moi psychique. Cette indifférenciation
des enveloppes décrite par D. Anzieu [1] a eu pour conséquence une régression à un
niveau très archaïque.18
Le seul moyen pour Léa de retrouver un semblant d’autonomie s’est alors institué par
le biais de manoeuvres pour contrôler les sondes urinaires et l’alimentation. 19
3À cette période, la sollicitude de ses proches et les encouragements très fusionnels
de sa mère « On s’en sortira, On sera forte » lui sont insupportables ; le désir de soins
ainsi porté par l’équipe médicale et soutenu par sa mère ne peut donc trouver de
résonance chez Léa dont le sentiment d’identité est altéré.20
Par la suite, une intervention dite de rétablissement de la continuité permet une
reprise de l’alimentation ce qui amène à une reprise des conduites anorexiques. 51
À la problématique anorexique s’est ajouté l’effet traumatique de l’accident.13 34
Événement imprévu ayant mis en péril son existence, confrontation à « l’idée de la
mort», le traumatisme a fait effraction au-delà du représentable, aboutissant à une
sidération de la pensée.15
4 Léa ne fait pas de commentaire sur les interventions, le handicap, mises à part des
angoisses massives dont elle ne peut rien dire. Léa dénie le décès de son père. 24BIS
Ces angoisses massives, présentes au début, semblaient en relation avec la perte du
pouvoir de contrôle qu’elle exerçait sur son alimentation.31
Elle les ressentait aussi lorsque les infirmières s’éloignaient de son chevet. Nous
émettons l’hypothèse que la présence d’autrui lui assurait un étayage humain
indispensable.32
Très rapidement cependant, elle s’approprie le fonctionnement de ses sondes et
retrouve au niveau de certaines la maîtrise qu’elle pouvait exercer sur son corps. 33
Nous avons associé cette saillie à une effraction provenant de l’intérieur. 27
Cette hospitalisation survient le jour de la date anniversaire de son accident. 26
Ces événements sont pour Léa l’amorce d’un mouvement dépressif.56
S’il y a le sentiment d’une répétition (même époque, même endroit) et d’avoir atteint
le point de non-retour, c’est surtout le corset qui a amené chez elle à un véritable
changement.22
Cependant, ce corset semble avoir l’effet d’un squelette externe qui lui permet
d’accéder de nouveau à une certaine unité du corps.23 […] cette partie du corps
qu’elle avait édictée comme non-soi […] 11TER
Le désir de guérison n’est plus porté par l’extérieur mais par elle-même. Il semble
exister de nouveau un dedans et un dehors.24
Léa commente le caractère intrusif de cette opération de cette nouvelle... effraction.
[…] elle montre qu’elle prend conscience d’elle comme contenante. 53
Par la suite l’évolution sera positive, associant une reprise de poids et psychiquement
elle pourra faire part d’affects dépressifs et commencer un travail d’élaboration
authentique.25
On remarque, dans l’histoire de Léa, l’absence d’effraction psychique représentable
pour elle alors même que l’accident, la mort de son père tout comme les multiples
effractions subies par son corps font irruption dans sa vie. 30
A la problématique anorexique s’est ajouté l’effet traumatique de l’accident ;
l’accident, en tant qu’imprévu ayant mis en péril son existence, a eu un effet
d’effraction dans le réel et atteint son intégrité avec une violence qui va au-delà du
représentable ; ce qui aboutit à une sidération de la pensée. Le défaut de
représentation intervenait sur une image du corps déjà défaillante et a renforcé les
mécanismes de défense préexistants à l’accident.34
D’autre part dans le cas particulier de Léa le conflit affectif dans lequel elle se
trouvait jusqu’à l’accident ne pouvait plus s’élaborer. En particulier les fantasmes
agressifs ressentis à l’égard de son père étaient refreinés par une trop grande
culpabilité ; culpabilité d’avoir eu des relations sexuelles trop tôt, […] 1
Le décès du père surpassera ses fantasmes agressifs non encore élaborés. Ainsi Léa
s’est retrouvée seule face à sa mère ; une mère très désirante pour elle (tout comme
pouvaient l’être les soignants).36
La mise à distance de ces personnes lui a permis de repérer un espace psychique
propre où pouvait s’inscrire son propre désir. 35
Enfin, à un niveau très archaïque, le problème de l’autonomie amène le sujet à
trouver le lieu (espace – temps) substantiel qu’il occupe, avant même de débuter le
travail de séparation. 37
5 L’anorexique, dans ses agirs, avance qu’elle n’est pas elle-même un être existant en
substance ; son objectif physique étant la maigreur extrême comme pour afficher sa
non-contenance. Léa se trouvait dans un état où ceci pouvait s’illustrer : en premier
lieu, les propos qu’elle tenait, prouvaient qu’elle était suspendue sur le plan temporel.
Sur le plan corporel, nous avons assisté tout d’abord à un clivage de la partie du
corps atteinte et anesthésiée. Elle disait faire « comme si » la partie basse de son
corps ne lui appartenait plus.
Elle pouvait néanmoins la haïr et la maltraiter, sans un instant penser au
retentissement que pourraient entraîner ses actes sur son état général.38
Le corps n’a pu être réunifié qu’après la pose du corset, qui, comme nous l’avons
expliqué, a pu fonctionner comme un squelette externe unifiant les parties hautes et
basses de son corps et redonnant ainsi à Léa le sentiment de verticalité.39
Il y a eu, dans le cas très particulier de Léa, effraction physique mais pas d’effraction
psychique représentable d’emblée. Outre le vécu du traumatisme, ceci s’explique
pour nous, par la problématique anorexique dans laquelle elle évoluait et par la
nature des conflits affectifs sous-tendant cette problématique.2
Nous avons constaté que plusieurs facteurs ont permis dans ce cas l’avènement de
l’effraction psychique. Ces facteurs que nous ne redécrirons pas, ont concouru à faire
prendre conscience à Léa qu’elle était un être contenant, tenant une place « en
substance » dans l’espace et le temps et pouvant être traversé.45
La valeur de l’impact du corset nous a rappelé les étapes de la naissance du sentiment
du corps unifié, décrites par G. Haag [5], passant par deux axes (vertical et
horizontal). Ceci étant, la condition sine qua non où le sujet peut construire ensuite
les enveloppes psychiques à partir des enveloppes corporelles faisant de lui un être
pensant. Le corset comme d’autres évènements a contribué à une nouvelle
représentation du corps, la laissant de ce fait plus accessible au vécu d’effraction. 40
6Il nous semble que dans le cas de Léa il a fallu que ces étapes soient franchies pour
que l’effraction puisse être perçue, l’amenant à se concevoir comme contenante et
pouvant effectivement subir une effraction.41
Les moyens défensifs très particuliers de cette anorexique7 (clivage6BIS, déni8) ont
fait que l’effraction n’était pas représentable alors même qu’elle apparaissait très
nettement pour les soignants qui l’ont rencontrée.9
Cette situation est sans doute très singulière par son caractère extrême, elle souligne
que la corrélation entre effraction physique et effraction psychique n’est pas nette. Il
apparaît alors que l’effraction n’est possible que s’il existe un dedans et un dehors. 42
Document 2 Expression de Geneviève sur son vécu psychique après l’IVG
1De fait le couple va mal, les paroles qu’ils échangent sont cinglantes : […] elle lui
reproche de le démolir en permanence.1BIS
Un tableau clinique concernant sa famille peut être identifié en termes de groupe
chaotique comme elle le dit, où règne la cacophonie des relations affectives. 1
Face à un père qu’elle qualifie de cinglant et d’une mère haineuse, elle remarque
qu’elle ne peut s’appuyer ni sur l’un ni sur l’autre.
Très rapidement sont évoquées des terreurs nocturnes qui la plongent dans un état de
détresse sans nom devant un trou noir qui la réveille encore actuellement lors de
cauchemars très angoissants.3Elle pense à quelqu’un qui rôde, dans le noir, la nuit.
La phase d’endormissement est toujours chargée d’angoisse. 2
Nous serons conduites à faire le lien entre ces situations qui se sont répétées et le fait
qu’elle a éprouvé un sentiment de rage et de colère du fait d’être allongée sur le
divan. Elle se sent coincée, étouffée.4
Elle a ressenti la même pression lorsque son mari lui a témoigné de son amour lors
d’un voyage pendant l’été. Elle s’est sentie décalée. Cela lui rappelle à quel point lui
est insupportable et pénible le geste de son mari qui lui passe le bras autour du cou,
ou lui pose le bras sur l’épaule. Elle reconnaît qu’il a toujours été amoureux d’elle,
mais pour autant elle s’est mariée contre le gré de ses parents.5
Le problème majeur qui est source de grande souffrance pour l’un et l’autre, c’est ce
qu’elle appelle son blocage, sur le plan de la sexualité. Elle l’exprime en disant
qu’elle « se referme comme une plante » dès que son mari la touche.6
Elle se souvient que, étant jeune, c’était elle qui fixait les limites du flirt avec les
garçons.
Cela l’amène à développer toute une thématique concernant la question de la
séduction. Elle se laisse grossir pour ne pas séduire, […] Il lui semble que son refus
de séduire est lié à la question du mépris. En effet, étudiante, elle s’est fait traiter
d’allumeuse.7
Cela se rejoue dans la situation contemporaine lorsqu’elle rencontre un chef
d’entreprise séduisant, intelligent et agréable, dans son travail. Il a voulu la
rencontrer seule, le temps d’un repas, sans qu’elle sache s’il s’adressait à la femme
ou à la professionnelle. Elle sent qu’ils se sont séduits mutuellement, mais elle est
restée raisonnable, car elle craint d’être utilisée par l’autre. 8
2De ce mensonge qui l’incriminait, elle garde le sentiment constant d’une totale
injustice, à son égard, du fait d’avoir été incomprise. Elle vit en permanence un
profond décalage entre ce qu’elle ressent au-dedans et ce qui lui est renvoyé en
miroir, du dehors comme une « pestiférée ». Elle se sent en suspens, ni écoutée, ni
entendue, ni comprise, confrontée au verdict11 tranchant de l’autre, qui tombe
inexorablement. Si elle est active, cela provoque les situations de rupture ; si elle est
passive, elle subit une souffrance insupportable et a le sentiment de se faire avoir,
d’être utilisée aux fins de l’autre.12
Elle repense souvent, dans la colère et la rage, à cette tante qui a toujours défendu les
garçons, en particulier, lors de l’épisode de la mobilisation familiale suscitée par le
prêtre et poursuivie par le psychologue. Cette femme, sa tante, vécue comme une
mauvaise femme, à la langue de vipère, l’a traitée ouvertement de « petite vicieuse
»,comme si la petite fille qu’elle était pouvait être seule à l’origine des jeux sexuels
des trois enfants, faisant fi de sa détresse de bébé hurlant la nuit, perdue dans le noir
de la grande maison. Comment sa mère a-t-elle pu laisser cette tante s’exprimer ainsi,
sans la sommer de ne plus se mêler de ce qui ne la regardait pas ? Les garçons ont
menti, l’alliance entre eux est manifeste et, de ce fait, c’est elle qui a été humiliée. 9
Elle en a voulu à tout son entourage, à tous, grands et petits. De ce fait, elle
s’explique qu’elle va jusqu’au « sabotage », elle se saborde, elle dit aussi qu’elle «
savonne la planche » ; par voie de conséquence, elle ne sait plus à quoi se
raccrocher.10
Cela se manifeste dans la préparation physique qu’elle met en oeuvre pour parvenir à
participer à des raids en montagne de haut niveau. Chaque année à Pâques, elle part,
dans les Alpes françaises, suisses et autrichiennes, réaliser pendant plusieurs jours
des randonnées extrêmement éprouvantes physiquement.
La première fois, elle se demande ce qu’elle vient y chercher, sinon l’expérience de
tester ses limites. Elle pleure, 15en arrivant au refuge le premier soir, à la vue du
dénivelé qui est à faire le lendemain pour franchir le col au pied duquel ils se
trouvent. Le lendemain, elle va souffrir17 d’être la dernière, de risquer de ne pas y
arriver, et de s’épuiser au-delà de ses forces. Pourquoi faut-il à ce point mettre son
corps à mal ? Elle s’interroge : faudrait-il se punir plutôt que de profiter d’une
expédition qui ferait finalement plaisir ? Que recherche-t-elle dans cette mise à
l’épreuve de ses éprouvés corporels, de ses sensations physiques ? C’est l’année
suivante, lorsqu’elle y retourne, que la réponse nous est donnée. Elle se sent toujours
à part du groupe. Au CP déjà elle l’a vécu, ainsi que lors d’un stage d’équitation, mais
cette fois, comme à l’accoutumée, elle cherche au refuge d’altitude un autre dortoir
que celui où se rassemble le groupe14
3Elle est si épuisée et angoissée pour la suite du parcours qu’elle ne parvient pas à
dormir. 16 Elle perçoit à travers deux planches de bois, sur le châlit où elle est
allongée, un rai de lumière, aux premières lueurs de l’aube. 13
Elle pleure […] 19 Cela lui rappelle qu’elle se vit toujours comme bouc émissaire de
tous les groupes auxquels elle a appartenu. Au travail, comme dans sa fratrie, elle est
prise entre deux groupes, et elle reconnaît bien volontiers, lorsque je le lui fais
remarquer qu’il s’agit d’être bien malmenée par deux hommes également. Elle dit : «
J’ai choisi un lieu de travail avec deux garçons sadiques qui m’ont persécutée.» 18
Elle a toujours été confrontée à des choix, ou des tâches trop difficiles pour elle, elle
sent l’excès d’excitation et la retombée décevante, autant que la recherche d’une
gratification narcissique, qui ne vient pas.20 21
Au retour des vacances, cette question revient, devant son refus de s’allonger, en
début de séance.29
Lorsque je l’invite à le faire pour en parler, elle exprime son besoin d’un
affrontement avec moi.31 Un bras de fer s’engage : qui va détruire qui ? […] elle se
souvient de la contrainte à faire la sieste. Cette évocation s’accompagnera de celle
des pratiques masturbatoires répétitives, qui n’ont jamais cessé depuis l’enfance.30
Ce constat la désole et la déprime, […] Cependant, après plusieurs années, elle
déclare : « Après le sentiment de vide et de trous noirs, désormais j’ai l’impression
d’avoir un centre de gravité qui fait que je me sens pleine maintenant. » 31BIS
Ce qui est le plus dur pour elle, c’est que sa souffrance ne soit pas reconnue,
recueillie par l’autre. 32
Il est important pour moi de tenir, ne pas me décourager et ne pas me laisser
détruire33 […]son besoin de toujours en faire plus.34
Elle a toujours cherché à aider les plus faibles, reconnaissant bien qu’il s’agit là de ce
qu’elle aimerait qu’on lui fasse.22 Mais c’est sa soeur qui est vicieuse et qui sait faire
du mal aux autres. Elle cherche toujours vainement à trouver sa place, en particulier
dans son travail, où elle a l’impression de subir et d’être méprisée. 23 Comme à la
maison où elle était entre le groupe des grands, ses frères aînés, et la petite soeur, au
travail elle est également prise entre deux groupes. Lors d’une réunion récente, les
autres se sont tous assis ensemble, elle est toujours seule, à l’écart du groupe. 24
4Son mari l’a laissée prendre seule la décision, ce qui lui a beaucoup pesé25, et a fait
qu’elle lui en a énormément voulu. Elle pleure en le racontant […] 26 Les conflits
avec les collègues étant incessants, elle exprime des liens très passionnés, impulsifs,
dans lesquels elle souffre de se sentir destructrice et très négative27 sachant que le
groupe lui en veut de la façon dont elle réagit. En somme, elle ressent le vide, la
contrainte, la culpabilité et la disqualification.28 Elle essaie de
manipuler et de maîtriser tout le monde.29
Son corps se manifeste encore lorsque, la nuit, elle se réveille en sursaut, se retrouve
debout, perdue dans la pièce et dans le noir, ne se souvenant pas du lieu où elle se
trouve, ni de l’heure, ni des personnes qui l’entourent. Il lui arrive d’être aux prises
avec des terreurs nocturnes, pendant très longtemps avant que ne viennent les
premiers récits de rêve. 35
Elle sait écouter son corps, mais me fait craindre une prise de décision trop hâtive
lorsqu’il s’agit à un moment de lui faire subir une intervention chirurgicale d’une
certaine importance à la colonne vertébrale. Le chirurgien est prêt à intervenir, mais
finalement elle préfère la voie d’un traitement kinésithérapique et évite l’intervention
programmée. 36
.
Elle l’exprime très clairement lorsqu’elle affirme ne pas parvenir à faire de liens
entre son corps et ses pensées abstraites. Elle interroge l’événement à l’origine de sa
souffrance tout en se demandant si ce n’est pas son hypersensibilité qui explique sa
souffrance et la répétition de celle-ci. 37 [ …] Elle le formule ainsi finalement : «
Derrière la façade lisse de mon enfance, quelque chose m’a blessée qui a trait à la
sexualité, et dont j’ai été injustement accusée. » 38
Le travail est rendu difficile pour deux raisons essentielles : d’une part, l’absence de
remémoration et de souvenirs ; d’autre part, l’omniprésence de la réaction
thérapeutique négative. Jusqu’au bout de son parcours analytique, elle va
soigneusement dénigrer la nature du processus – disant qu’il lui échappe tellement
qu’elle ne peut concevoir d’où viennent les changements. 40
Le métaregard sur le contenu du processus lui échappe et cela lui est insupportable,
alors qu’elle voit se déployer les processus de changement. Chaque fois qu’elle
annonce à son mari ou son analyste qu’elle va mieux, elle s’empresse dans les jours
qui suivent de rester silencieuse, violemment opposante ou profondément déprimée,
découragée et foncièrement négative envers moi. Elle est gratifiée le jour où je
reconnais le courage qu’elle déploie pour faire ce travail sur elle-même […] 39
Interprétation de cette expression par l’auteur
1Elle arrive en état de grande détresse mais aussi de rage contre le mari et le
thérapeute qui lui ont fait comprendre qu’il fallait se soigner car le problème venait
d’elle.1BIS Or si elle accepte de se remettre en cause, elle considère que son mari
ferait bien d’en faire autant.2BIS […] Pourtant, très vite, il apparaît que, dans sa
grande dépression, elle parvient tout de même à maintenir un îlot de relations de
bonne qualité avec ses enfants. 1[…] elle est très attentive à ce qu’ils peuvent vivre et
éprouver du fait qu’elle s’identifie aisément à tout ce qui peut les faire souffrir .2
Le travail s’installe progressivement non sans difficulté, car, très vite, elle témoigne
d’une très forte demande d’aide et de soutien mais en même temps elle ne peut me
faire confiance, doute de la nature du travail engagé, et se défend soigneusement de
tout ce que le lien transférentiel peut lui faire vivre. 3
Elle oppose un mouvement dénégatoire systématique à toutes mes tentatives de lui
montrer que les vacances et les séparations sont pour elle des ruptures douloureuses,
qui en rappelle d’autres. Au fil des années se dégagent les principaux axes que nous
avons à explorer et à travailler ensemble4 […] vivant la séduction comme une
démarche honteuse et coupable, marquée par la dangerosité.5
Elle est à l’origine de ces rejets des hommes qui font de la sexualité un jeu dont elle
est l’objet. En somme, lorsqu’elle séduit activement, elle attire Le mépris7, et
lorsqu’elle subit la séduction elle provoque le rejet de l’autre. 8
L’image de la scène de séduction est liée à l’idée de l’humiliation9, par son mari dans
la vie actuelle, par son frère à l’adolescence, ainsi que par son professeur de maths en
classe de 3e qui l’aurait méchamment malmenée devant le groupe des élèves. Toutes
ces scènes sont mises en perspective, de telle sorte qu’elle cache, comme des
souvenirs-écrans, la scène des jeux sexuels avec ses frères, la nuit dans le même lit.10
La méthode que je mets en oeuvre avec elle consiste à rassembler tous les indices
pour les organiser en faisceau et ainsi pouvoir lui proposer une hypothèse de travail
fondée sur une conviction. C’est un travail de construction.
L’hypothèse que ces jeux sexuels ont eu lieu, hors souvenir, est une démarche
fructueuse qui va donner sens à ses angoisses, ses phobies et ses comportements
actuels d’adulte, marqués du sceau de la répétition. 11 […]L’idée qu’un garçon ou un
homme la poursuit de ses avances s’articule à bien d’autres évocations, associées à la
dangerosité12 des conséquences de la séduction et l’idée de se dépasser au risque de
se détruire, physiquement, pour tenter de sauver les situations. 13
2[…] lorsque nous étoffons de nos associations cette perception sensorielle qui sert
de point de départ et d’attracteur à toute une ambiance et un climat affectif fait à la
fois de rage, de détresse et de désespoir.14 […] Lorsque j’évoque le fait d’être «
passivement soumise au désir de l’autre, en position allongée»26 […] sachant que
l’ambiance dépressive traverse tout le parcours analytique. 27
L’image d’un effondrement central, primordial ou d’une dépression essentielle ou
encore d’une phobie centrale, liée à une détresse sans nom du bébé subissant un
brutal changement de lieu, d’ambiance affective du fait de la naissance de sa petite
soeur, ont accompagné le déménagement.28 Cette agonie primitive se double chez
elle du traumatisme lié aux jeux sexuels avec les frères qui ne manquent pas de
perversité.29 […] Deux ambiances très contrastées traversent les séances : la tristesse
et la dépression30 qui alternent avec les séances où c’est la rage et la colère qui
l’emportent, une forme de violence à caractère vital, qui donne au champ transférocontre-transférentiel une tonalité de « bras de fer ». 31 […] mais pour cela il lui faut
attaquer l’autre d’une façon qui la rend tout particulièrement pénible et agaçante,
aussi bien pour son entourage familial que pour son entourage professionnel, et moi
également.32
La tonalité de ses sentiments de rivalité a des accents de violence radicale et
davantage de l’ordre de l’élimination de l’autre en vue de se sentir exister et de se
sauvegarder. Les accents violents, radicaux et absolus vont marquer pendant
longtemps la nature de son lien à l’autre. Le désir de meurtre se cristallise autour
d’une IVG 22 23[…] laissant venir l’angoisse d’être abandonnée par l’autre. 24 […] Elle
a désormais conscience du conflit intérieur entre sa part consciente, son souhait et
son désir de bien faire et d’être reconnue et aimée, et la part inconsciente
pulsionnelle qui l’emporte et l’entraîne dans ce qu’elle appelle « le cercle vicieux au
lieu du cercle vertueux ». 25
Un autre niveau de conflit se fait jour entre ce qu’elle ressent au-dedans d’elle et les
images que les autres lui renvoient en miroir.Un dernier axe a retenu mon attention, il
s’agit de son rapport à son propre corps. Elle a une écoute particulière des messages
qui lui sont adressés par son corps. Cela se manifeste à plusieurs reprises. On l’a vu à
propos des efforts physiques qui la conduisent au bout de ses forces et de ses
réserves, lorsqu’elle fait lesgrands raids à ski, chaque année. Bien qu’elle soit très
sportive et très entraînée, elle va chercher à tester ses limites, jusqu’au bout de la
souffrance physique supportable. Cette mise à l’épreuve a des aspects qui rappelle les
épreuves ordaliques.33
3 Le jeu entre vie et mort, livré au hasard, lui donne à penser qu’elle va y chercher
quelque chose d’important pour elle, une démarche qui s’impose sans qu’elle en
comprenne tous les tenants et aboutissants. C’est pourtant l’année où elle se
remémore l’enfermement dans la cabane, grâce à une perception sensorielle qui est
en réseau avec beaucoup d’images et d’affects, qu’elle pense avoir trouvé la clef de
ce qu’elle recherchait inconsciemment dans ces expéditions qu’elle réalise toujours
seule au milieu d’un groupe de personnes inconnues accompagnées d’un guide de
haute montagne.34
Le corps nous parle également de sa répulsion à être tenu par le cou ou les épaules
par le mari qui, faisant ce geste tout naturellement et spontanément, se voit
brutalement arrêté dans son élan, ce qui ne manque pas d’alimenter les conflits et
tensions entre eux.36 Cette angoisse qui se réveille, au contact physique, la renvoie
petit à petit, par le biais des hypothèses qui nous permettent de reconstruire une
réalité acceptable, a un sens donné à ses réactions pleines d’impulsivité. 35
C’est à l’idée d’avoir été tenue et coincée dans le lit des frères que nous nous
arrêterons. Bien évidemment, elle n’évoquera jamais de véritables souvenirs, car
nous ne pourrons parler ni de refoulement ni de retour de refoulé.
Au début, ceux-ci sont très impressionnants par les angoisses terrifiantes dont ils sont
porteurs. Au fil du temps, ils vont s’organiser en scénarios plus structurés, et plus
animés.36
L’élaboration qu’elle va mener en séances à cette période de son travail psychique
jouera un rôle prépondérant dans sa prise de décision et l’évitement de la voie la plus
éprouvante pour son organisme. 37
Elle témoigne de ce que l’on pourrait appeler une mémoire du corps, qu’elle sait
prendre en compte sans savoir où les traces inscrites sur le lieu du corps peuvent la
conduire. Les propositions de l’analyste sont entendues par elle comme des idées
abstraites, qui ne lient pas encore l’affect et le trauma, d’une part, mais aussi le corps
et la représentation, d’autre part.38
Le corps ouvre la voie en direction du traumatisme qui a précocement désorganisé la
vie familiale, l’espace de la maison ayant un équivalent psychique pour chacun des
membres du groupe familial, l’espace psychique de la mère, et celui de cette petite
fille d’à peine 3 ans.39
4 […] car, de fait, je pense qu’il lui faut beaucoup de persévérance et de motivation.
Elle est confrontée à un clivage qui sépare l’espace du vide des trous noirs, de
l’espace du trop-plein d’excitations sexuelles en particulier, développant chez elle
une sexualité soit insatisfaisante, soit bloquée ou bien alors débordante et déroutante
pour son mari.40
Son travail analytique n’a été qu’un long, lent et coûteux travail de deuil .41
Elle a dit, au début du travail, à quel point elle était vide au-dedans, de façon
centrale, un risque de folie privée. Un jour, elle parle d’un centre devenu consistant,
comme si elle avait retrouvé son centre de gravité, un Moi qui se densifie, se
construit et se constitue à partir d’un centre. Elle s’est recentrée sur elle-même, elle
s’est retrouvée, mais à quel prix ? Il lui a fallu renoncer au mari qu’elle aurait aimé
avoir, plus compréhensif et plus tendre, moins à la recherche d’une
relation sexuelle génitalisée, renoncer aux parents qu’elle aurait aimé avoir, plus
présents, attentifs et capables de prévenir les traumatismes, à tout le moins capables
de les consoler. Sans doute, c’est auprès de ses enfants qu’elle trouvait le maximum
de satisfaction.42
Les effractions de l’appareil psychique lors de la petite enfance passent par
l’effraction du corps de la petite fille qui se sent inexorablement et indéfiniment
abusée, utilisée, malmenée par les autres, à la fois triste et en rage, narcissiquement
blessée de la vie.43 Son transfert est défensif, le plus souvent négatif ; le contretransfert s’inscrit dans une sorte de capacité à supporter une femme inlassablement
pénible, décevante, déprimante et destructrice.48 Il m’a fallu tenir, tenir bon, pour ne
pas la lâcher, d’ailleurs elle-même venait à ses séances avec régularité, même si elle
enrageait de ne pas parvenir à parler la première. L’enjeu était permanent : se
détruire ou me détruire.44 Elle ne pouvait s’empêcher d’en vouloir à une mère qui
décidément s’obstinait à ne pas lui venir en aide. Au fil des années, elle a pu
reconnaître le lien, l’attachement, l’affect, en particulier ses ressentiments lors des
séparations, mais il a fallu beaucoup d’années pour y parvenir. 45
Elle est repartie, sans que nous sachions si la construction que nous avions partagée
faisait partie de la réalité de son histoire. Ce qui est sûr, c’est que cela lui a permis de
retrouver une certaine consistance, une force intérieure –on pourrait dire : une
philosophie de la vie.46 Elle a fait son deuil de beaucoup d’idéal, idéal d’elle-même,
idéal des objets qu’elle investit. Elle a esquissé, parfois, de façon ténue l’idée qu’elle
pouvait se satisfaire d’une vie ainsi faite, ni belle ni heureuse, ni catastrophique ni
trop douloureuse, une vie entre deux, en demi-teinte, faite d’ambivalence, de
renoncement, la vie tout simplement.47
Document 3 Expression de Julie sur son vécu psychique après l’IVG
1« Ce n’est pas par hasard que ça fait 9 mois. Je viens chez vous justement 9 mois
après que ça s’est passé, et ce qui s’est passé, c’est que j’ai tué mon enfant. » 1
Elle revient en Belgique. Tout recommence ou semble continuer comme si rien
n’était arrivé.7
Dans les 9 mois qui suivent, Julie grossit de 15 kilos et va de plus en plus mal. 2
Julie entame sa cure et poursuit sa relation avec son ami, Thomas. Elle a des projets
d’aménagement dans une maison proche de celle de ses parents, à 50 mètres à peine,
dans la même rue. Ses parents lui offrent cette maison et s’occupent quotidiennement
de son aménagement intérieur. […] Julie dans son discours, évoque son peu
d’investissement dans le projet, si ce n’est […] pour faire plaisir aux parents qui sont
heureux de la voir s’installer, se fiancer et qui pensent déjà au mariage. 8
Julie maigrit progressivement mais revit de nombreuses crises de boulimie éprouvées
déjà au moment de la période de latence et disparues ensuite. Elle cache de la
nourriture, dévore, vomit tout en continuant à attendre que la maison soit prête.3
Cela va durer des mois. Dans cette demeure, il manque toujours quelque chose pour
que l’emménagement puisse enfin arriver. Finalement, Julie et son ami s’installent
dans cette maison parfaitement équipée. Il ne manque rien. Ils y restent deux
semaines. Après deux semaines, son ami la quitte […] Julie elle, au lieu de
s’approprier cette maison seule, continue sa vie en réintégrant sa chambre de jeune
fille sans trop de soucis. Elle ne pleure pas et recommence à sortir. La maison est
revendue.4
Interprétation de cette expression par l’auteur
1Ce que Julie m’a forcée à entendre, ou m’a permis d’entendre, c’est selon, au sens
d’une prise en compte irréversible, c’est que le fantasme d’infanticide est au coeur du
maternel. C’est même ce qui le caractérise le plus dans la névrose, avec le désir
d’enfant.1
Ce sont ces femmes (du centre du planning), croisées dans un moment de fracture de
leur vie, qui déjà m’avaient donné à entendre répétitivement la phrase « J’ai tué mon
enfant… », complainte et compagne inlassable, phrase obsédante qui saturait leur
psychisme3, qui les empêchait de vivre et d’enterrer enfin cet enfant-là, celui qui
n’avait pas de nom […] pourtant une existence psychique indéniable.2
C’est pourtant Julie qui m’a poussée à l’entendre comme une analyste. Au-delà d’une
écoute de la douleur indéniable, il y avait un appel à la prise en compte, au sens d’un
appel qui serait censé solder des comptes… toujours à préciser !4
[…] des femmes qui reprennent et tentent d’élaborer bien des années plus tard, ce
qu’on peut nommer une affliction, une peine vive, une douleur profonde, une
tristesse insolvable.4
[…] de l’entendre (cette phrase) comme l’expression consciente d’un fantasme
inconscient, le fantasme d’infanticide. Nous pouvons alors entendre le sentiment de
culpabilité consciente qui surgit après l’intervention, comme trace du fait même que
ce fantasme a été mis en acte et non comme une question morale, qui aurait trait à
une quelconque faute, péché, crime, ou à une culpabilisation. Et cette culpabilité
consciente […] ses ancrages sont inconscients.5
Pour les femmes comme Julie, qui choisiront à un moment ou a un autre l’IVG, la
confrontation sera frontale. Plus moyen de l’éviter (le fantasme), il faudra au mieux
tenter de l’élaborer, au pire l’affronter. Comment dire qu’on a pris la décision […] de
ne pas le garder celui-là ?7
Parole impossible à soutenir, secret inavouable et douleur infinie pour les mères qui
restent aux prises avec cette phrase qui les hante.6
2 C’est un enfant essentiellement imaginaire, tout réel de cellules et de chairs fut-il,
potentiellement symbolisable mais qui, pour toutes ces raisons de non- nomination,
reste candidat pour devenir un fantôme […] un mort vivant, un mort qui, de ne pas
avoir été enterré au sens symbolique de l’adieu des humains, reste présent parmi les
vivants […] 9 C’est ce fantôme qui est au coeur de la pensée obsédante du crime10
Elles m’avaient permis d’entendre les lames de fond puissantes, qui voulant
préserver ces femmes de leur culpabilité, ne faisaient que les traiter mal
psychiquement un peu plus, en ne voulant prendre en compte ce qui saturait leur
psychisme…8
C’est en tout cas certainement le voeu conscient qui accompagne la fin du périple. 11
Pourtant quelque chose s’est passé qui va venir forcer l’élaboration. 14
Un long travail d’élaboration va s’installer dès ce moment-là. Il prendra plusieurs
années. Il va surtout mettre en évidence l’intensité du lien fusionnel avec sa mère, et
ses différentes tentatives, tout aussi ambivalentes que soutenues, de le mettre à
distance, de s’en extraire. Ce lien intense, permanent,
et maintenu continu grâce à la technologie des téléphones mobiles, se révélera au fur
et à mesure tout-puissant.19
[…] si ce n’est une fois encore […]
C’est bien sûr ici aussi la question de la séparation, de l’envol, de l’être sujet au
monde autonome qui est en jeu. Entrer dans ce projet de vie dans une maison
préparée par les parents, avec un compagnon qui n’a pas pris position par rapport à la
décision d’IVG, c’est à coup sûr ne pas se séparer des parents. Julie le sait sans le
savoir.12
Elle n’arrive pas à dire non, à énoncer que son désir propre passe par un autre
chemin, qu’elle doit être au monde seule avant de pouvoir, peut-être, les retrouver
ensuite.12
[…] Il fallut encore quelques mois d’élaboration pour que Julie puisse commencer à
penser qu’elle y avait été elle aussi pour quelque chose, dans ce qui ressemblait à un
passage à l’acte unilatéral de son compagnon.15
3Thomas avait été mis par Julie et sa mère à la place de celui qui accompagne, qui
évite qu’elle soit seule, qui conduit, qui ramène et surtout qui ne s’interpose pas dans
la relation privilégiée avec « La Mère ». […]
Pourtant, sans le savoir, et dans une ambivalence totale, ce que Julie recherchait
désespérément c’était quelqu’un qui l’aide à se séparer de sa mère, que pourtant elle
ne voulait lâcher à aucun prix.13 C’est ce qu’elle mit comme sens après quelques
mois de travail supplémentaires.16
Elle put s’autoriser à quitter la maison familiale et à « tomber amoureuse ». 17
Dans la clinique ordinaire de l’IVG par contre, on est régulièrement confronté à des
femmes parfaitement névrosées et qui donnent à entendre les effets psychiques de la
réalisation de ce fantasme, à savoir principalement une culpabilité immense et
difficilement épuisable.21
Ce qui est particulier dans le cas de l’IVG, c’est qu’il s’agit d’un fantasme originaire
qui, dans sa mise en acte, est partiellement « dépénalisé de la loi des hommes », dans
nos contrées bien sûr. […] Et pourtant, si l’interdit est levé partiellement du point de
vue juridique, il ne l’est pas du point de vue psychique. Les femmes ayant eu recours
à l’IVG, nous disent que même si, et heureusement, la morale et le social ne les
condamnent plus pour cet acte, il garde dans leur psychisme la valeur d’une
transgression majeure.22 Il faut entendre cette dernière et la mettre au travail au
risque sinon pour ces femmes, de passer toute une vie à entretenir un dialogue secret
avec un fantôme, comme dans le roman Le journal d’Hannah.23 24
Soutenir le travail d’élaboration, de mentalisation de l’acte avec ces femmes ne
consiste pas à les déculpabiliser, bien au contraire.25 Il s’agira de penser avec elles
pourquoi, dans une époque et une région du monde où la contraception est libre,
l’information diffusée largement, et où la pilule du lendemain est accessible, elles ont
dû pour une raison ou une autre, véritablement inconsciente, en passer par un acte ?26
Il s’agit bien d’un passage à l’acte […] comme une lente descente vers un acte qui est
un passage dans le réel, faute d’appui symbolique suffisant. Ici il s’agit du réel du
corps.26
[…] la séparation du sujet avec l’objet cause du désir de la mère n’est pas complète,
pour le dire en lacanien. Ce qui signifie en freudien que l’opération oedipienne n’est
pas totalement accomplie. Julie nous en offre un exemple à son corps défendant. 34
4Il n’empêche qu’il y a à penser la différence entre avoir un enfant avec/pour la mère
et en passer par une IVG pour tenter de se séparer d’elle. 27
Des ponts peuvent être faits me semble-t-il, avec la phobie […] Un signifiant-objet
dans la phobie dit Morin, comme traitement du réel par l’évitement, un traitement
dans le réel qui en passe par un acte dans l’IVG.28
L’un et l’autre n’ont pas le même statut, ni le même destin. C’est néanmoins dans les
deux cas, de la question de « l’impossible séparation » entre une fille et une mère
dont il est question, comme pour Julie.28
Là où nous pouvons faire des ponts avec la phobie, c’est qu’il s’agit dans les deux
cas de la défaillance du père réel (et non de la réalité) au sens de ce qui viendrait
soutenir […] (Julie doit se séparer des attentes de sa mère pour naître à son désir
propre).29
[…] à la voie de la différenciation, de séparation d’avec l’Autre premier. Certaines
IVG comme dans l’histoire de Julie sont des tentatives du même ordre. Pourtant, le
recours à l’acte ne pourra qu’échouer dans cette voie de la séparation, s’il n’est pas
ensuite repris dans le tissage du langage, dans l’élaboration du sens de l’acte30, et
dans l’épuisement de la culpabilité consciente associée, y compris dans ses ancrages
inconscients.31 Et ce n’est pas toujours le cas comme on le sait. On comprend dès
lors pourquoi, dans un nombre important de cas, de candidats, les fantômes
deviendront agissants dans la psyché de celle qui a vécu l’IVG ou de différents
membres de sa famille.32
On saisit aussi pourquoi chez certaines femmes ou jeunes filles, des IVG pourront se
répéter malgré les conseils, les informations et les suivis.33
Dans le recours à l’IVG, en même temps elles y sont, ces filles, au point précis
d’énonciation de ce qu’il s’agirait de faire mourir, – l’enfant du narcissisme primaire
– et en même temps ça rate. Et si l’objet principal d’amour des femmes c’était leur
mère […], aimée infiniment, idéalisée, attendue, rejetée, haïe, décevante. Cette mère
qu’elles veulent rejoindre, dépasser, mettre au défi par leurs propres grossesses, mais
dont surtout, encore et toujours, elles tentent tout autant de se séparer que de ne
surtout pas les quitter.35
Elle ne suffira pourtant pas à tempérer les passions et seule la parole pourra dégager
les fantômes de l’errance.34BIS
Document 4 Expression de la femme sur son vécu psychique après l’IVG
Interprétation de cette expression par l’auteur
Elle lui reproche de ne pas prendre ses responsabilités, de boire, de sortir dans les
cafés, de ne pas s’occuper des enfants (les devoirs, l’école, etc.). 10
Elle dit : « Je suis le chef à la maison et mon mari me le reproche : tu as pris les
manières des français, chez nous c’est l’homme qui commande ! » 11
[…] mais elle discrédite constamment le père et son autorité[…] 7
[…] (attitude peu en accord avec le traditionnel « respect du père ») .5
La mésentente parentale existe depuis la naissance de ce fils.12
Exil et émigration imposent au contraire des modifications, des bouleversements
subjectifs inévitables.Ils comportent toujours une dimension de deuil et de sacrifice
(Hassoun,1994), qui une fois franchie, ouvrira à de nouveaux possibles. 12
Il existe en outre une très grande complicité entre cette mère et son propre père 7 resté
au pays, de laquelle le mari est évincé. 6
Au mépris des traditions là encore, puisque des affaires importantes se décident
entre la fille et son père, sans que le mari-gendre ne soit mis au courant.8
La vraie question est là : que se passe-t-il lorsque, pour des raisons qui tiennent à
l’histoire des sujets, ces sacrifices et ces deuils sont impossibles ? 11
Au bout de plusieurs entretiens, elle finit par exprimer ce qui la travaille. 1
Le traumatisme déclencheur de l’affolement des fils provient de là : d’un deuil
impossible 9 chez les parents – et notamment la mère –, mais dont l’impossibilité est
recouuverte par le mensonge.8
Elle est persuadée d’être à l’origine de ce qui arrive à son fils. Elle a avorté peu avant
le départ du fils en vacances.2
Le cas du jeune N. est particulièrement illustratif à cet égard 10
Elle est obsédée par cette IVG3, et la transgression qu’elle représente au regard de sa
religion.4
La religiosité de la mère (quelle que soit sa ferveur consciente, dont il n’y a pas lieu
de douter) est mise au service d’un mensonge affolant pour le fils. 1
Elle émet l’idée d’une punition divine : « Tu m’as enlevé un enfant, je t’enlève le
grand ! » 5
L’argument religieux recouvre pour la mère un attachement oedipien à son propre
père impossible à entendre. 2
Le père est à nouveau à la maison. L’entente est bonne entre les parents : […] 13
Il justifie (comme discours de vérité) 6la disqualification du mari,3 qui à son tour
camoufle une adhésion non assumée à un rôle social de type occidental (travail en
usine, IVG, etc.). 4
Mensonges, non-dits et refus d’assumer deuils et désirs propres sont les véritables
éléments pathogènes.13
Document 5 Expression d’Esther sur son vécu psychique après l’IVG
1Elle raconte alors l’angoisse terrifiante qui peut l’envahir pendant plusieurs heures
et la couper du monde. Elle raconte ses idées obsédantes incoercibles et pourtant si
stupides. Son langage est précis, riche, imagé.1 […] Elle raconte son sentiment de
déréalisation. « Je suis là et pas là. Je suis avec vous, mais ailleurs. C’est comme s’il
y avait un voile, une sorte de brume entre le monde et moi. Je suis une étrangère, je
ne me reconnais plus. »1 […] Tout a commencé quelques mois auparavant. Elle était
dans une soirée et en regardant une amie homosexuelle, elle a pensé qu’elle était ellemême homosexuelle. […] C’est pourtant impossible, dit-elle, puisqu’elle n’a aucune
attirance pour les femmes. […] Pourtant, c’est plus fort qu’elle, cette idée revient,
s’impose à elle, la harcèle, la questionne sur son orientation sexuelle. 2
Elle vit avec un homme dont la religion différente de la sienne rend son amour
impossible….23 […] Elle a commencé à consulter une collègue psychanalyste il y a
trois mois […] 3 Au cours du premier entretien, elle évoquera sa vie faite
d’excentricité, de relations passionnelles, d’expériences en tout genre, d’amours
fulgurantes et surtout sa formidable volonté de maîtrise d’elle-même et des autres.3
[…] L’état d’excitation permanente dans lequel elle était, surtout au cours de ses
soirées folles ne la rendait pas franchement joyeuse.3BIS
Ce qui lui arrive, ses pensées compulsives, cette perte de contrôle est ressentie
comme une profonde blessure narcissique.1BIS
Bien que la prise de psychotrope serait à même de contenir l’angoisse terrorisante et
de réduire le sentiment de déréalisation qui lui est lié […] 4BIS La mère ne peut pas
faire le deuil. Sa fille est toujours là, dans son cœur, c’est-à-dire dans le monde.
L’enfant morte est là, participe pleinement à la vie de famille ; on en parle sans
cesse.22 […] Je lui propose un traitement médicamenteux. Elle est réticente. Elle
craint de ne plus être elle-même.17 C’est bien là le paradoxe qui signe que la folie est
folie du sujet[…] Esther se sent étrangère à elle-même, possédée par des idées qui ne
sont pas les siennes habituellement.18 […] elle est momentanément retournée habiter
chez ses parents qui la soutiennent efficacement20 […] « J’ai un très bon moral. Bien
meilleur que quelqu’un de déprimé, je suis forte, je vais m’en sortir. »5
Au cours d’un entretien récent, elle a évoqué son angoissante inquiétude à l’idée
qu’elle pourrait être mère, femme installée dans une vie affective. Elle n’arrive pas à
se figurer ce genre de scène. « Pourtant, ajoute t-elle, je n’ai pas le look de la vieille
fille s’occupant de ses neveux et nièces. » Ce questionnement est actuellement dans
ses séances « au coeur », dit-elle, de son travail psychothérapique. 8
2 Esther accepte mieux le traitement médicamenteux et plus largement le traitement
psychiatrique comme étant seulement l’un des éléments du traitement avec un effet
moins stigmatisant.14
Au début, elle encensera le traitement médicamenteux. Il la soulage, elle n’a plus, ou
en tout cas beaucoup moins, de crises de déréalisation ; l’angoisse est moindre. […]
16
Esther se laisse aller à exprimer sa souffrance. « Je ressens comme une décharge
électrique qui part de la nuque et qui remonte le long du crâne. J’ai un trou derrière la
nuque (sic) d’où mon cerveau s’échappe, emportant avec lui toute mon âme. C’est
pour cela que je me retourne souvent dans la rue. J’ai peur qu’on me regarde et qu’on
s’en aperçoive. »15
Au bout de quelques semaines, elle se plaint de nouveau de crises de déréalisation.4
Elle me fait comprendre à demi-mots qu’elle ne prend pas régulièrement son
traitement […] 6 Esther reste méfiante.[…] Elle se plaindra de sa psychanalyste qui
ne fait pas le poids. Elle rompt avec sa psychothérapeute […] elle est rassurée par son
nouveau thérapeute. 21 […] Son ambivalence par rapport au traitement
médicamenteux persiste.23BIS
Les accès de déréalisation se font moins violents7, peut-être plus brefs et moins
fréquents. Mais les idées obsédantes deviennent plus harcelantes. Le moindre contact
avec un homme oblige Esther à penser qu’elle a « attrapé » le sida ou qu’elle est
enceinte. À chaque fois, elle se précipite pour faire test HIV et test de grossesse.9
Après quelques mois de stabilité du tableau clinique où les obsessions deviennent
prévalentes par rapport aux moments de déréalisation10, survient une crise
particulièrement violente pendant un week-end. On ne retrouvera pas de cause
déclenchante.
Esther refuse d’augmenter la posologie des psychotropes malgré l’injonction de ses
parents, ce qui entraîne une crise familiale.11 […] Au cours de cet entretien familial,
la souffrance de sa mère éclate au grand jour. Elle ne parlera que de sa fille décédée,
qui est toujours là, vivante, dans son cœur, dans le monde. […] Esther et son père
échangent des regards gênés. Ils sont consternés par cette scène, par les propos de la
mère qui sont manifestement un leitmotiv familial.12
Elle parle de ses crises de déréalisation comme de « pannes de vision ». Le monde,
dit-elle, devient en noir et blanc. « Ça s’arrête et moi je reste suspendue. Mais je sais,
ajoute-t-elle que ça va s’arrêter. » 13
Interprétation de cette expression par l’auteur
1Le lien entre ces différents événements, la mort de la soeur, l’IVG, l’idée de
l’homosexualité est évident ; nous n’en dirons rien ni l’un ni l’autre. L’entretien se
maintiendra dans le registre des processus primaires.1
La fantasmatique homosexuelle qui la trouble tant reprend-elle la passion de la mère
pour la jeune soeur ? 3
Pour elle, le deuil semble interdit par la mère.
Le père se replie, incapable de contenir la folie de sa femme, se mêlant peu au
gynécée.4
Cette instabilité signe l’échec du moi à contrôler son instabilité. [ …] Ce qui lui
arrive, ses pensées compulsives, cette perte de contrôle est ressentie comme une
profonde blessure narcissique.2BIS
2Pendant cette phase d’installation du processus psychotique[…] 13
Derrière cette ambivalence on perçoit, certes son désir de maîtrise de sa propre
psyché, mais aussi peut-être un attachement masochiste à la douleur des crises. Ces
accès de « mort psychique » qu’elle s’inflige en ne prenant pas son traitement
médicamenteux qui sans nul doute la soulagerait, sont-ils l’expression d’une
autopunition en réponse à son sentiment de culpabilité lié à la mort de sa soeur ? Il
n’y eut pas la place pour lui proposer ce type de construction à travailler dans le
cadre de sa psychothérapie.8
Ce qui amène à penser qu’il s’agissait d’une reprise du processus psychotique.
Depuis cette scène – qui a peut-être permis l’exposition de la culpabilité familiale
autour du décès de la fille –, Esther prend plus facilement, sinon plus volontiers, son
traitement.9
Est-ce là le signe de l’amorce d’un remaniement psychique ?11
Que comprend-elle de l’association d’idée qui vient de façon répétée à propos de la
mort de sa soeur, de son IVG et de son interrogation sur son orientation sexuelle qui la
terrifie ?5
Il serait bon qu’elle en reparle dans ses séances et qu’elle tente de donner du sens à
ces idées qui la hantent.5
Quelques éléments dépressifs apparaissent depuis quelques semaines, sous la forme
de dénégation10
Est-elle en train de s’identifier à sa mère ?
Ces éléments dépressifs qui signent un certain renoncement à la tentative de maîtrise
mégalomaniaque d’elle-même et du monde,[…] 12
Peu à peu, la confiance s’installe entre Esther et moi dans un climat d’amitié et de
sympathie. Le respect mutuel et réciproque est constant. Esther est plus rassurée
quant à la qualité du cadre et à sa solidité.17
Pour Esther, la crise psychotique a permis de révéler la fragilité de son identité
sexuée15
Dans le cas d’Esther, la prescription a donc pour ambition de réduire la violence des
mouvements pulsionnels, de ralentir le flot de la pensée, de contenir l’angoisse et
peut-être d’endiguer (un peu) le processus dissociatif. […] 18Pourtant, l’idée qu’il
faut qu’elle fasse appel à une aide extérieure pour maîtriser ce qui lui arrive est
difficile à accepter.
De surcroît, le fait que cette aide passe par l’absorption d’un médicament réputé
avoir une influence sur son psychique hors de son contrôle lui est insupportable.
Après tout, pour elle, mieux vaut penser que ces idées, même si elles lui sont
inconnues, viennent d’elle-même et qu’elle aura donc la force, comme d’habitude, de
les maîtriser et de les vaincre.19
Cette sensation de fuite irrépressible de son âme annonce-t-elle un mouvement
dépressif ?7
La guérison de la crise passera par la reconnaissance de la différence des sexes et par
là même, par l’acceptation de l’existence de la scène primitive. L’entretien familial a
pu mobiliser ses défenses et permettre la reprise de cette problématique dans le cadre
de sa psychothérapie.16
Document 6 Expression d’Antoinette sur son vécu psychique après l’IVG
[…] Antoinette, fille unique d’un père adoré, évoque rapidement ses deux IVG,[…]
Interprétation de cette expression par l’auteur
1
« Pour moi, il n’était pas question de devenir mère car je savais que j’aurais été une
mère excessive, possessive, envahissante, capable d’étouffer son enfant de sollicitude
au point de l’empêcher de grandir. » 1
Regardant tendrement son mari elle souligne : « C’est lui mon enfant, il le sait et il
aime cette place. 2
Mais il y a une ombre au tableau. Fabrice de temps en temps fugue au volant de leur
voiture et rentre ivre ou parfois ne rentre pas, et atterrit aux urgences de l’hôpital où
on commence à le connaître, ce qui met Antoinette au comble du désespoir et de
l’angoisse.4
Leur vie sexuelle est très pauvre, même inexistante depuis quelque temps. 3
[NDR : thérapie individuelle et de couple]
Antoinette le regarde changer, avec un mélange de satisfaction et de détresse, et
canalise son angoisse dans de violentes crises de jalousie. N’aimant pas le sport, elle
ne le suit pas dans ces nouveaux choix, mais imagine mille et une jolies femmes
tournant autour de son mari.5
La violence de ces scènes de jalousie la font s’interroger sur son désir à elle pour ces
jolies jeunes femmes.6
[…] consultent parce que Fabrice fugue, s’alcoolise et que leur vie affective et
sexuelle est inexistante.7
[…] il est indéniable que toute naissance a une potentialité traumatique, du fait des
multiples remaniements psychiques inhérents à cet événement. Ces remaniements
sont profonds, normaux et, si parfois ils déstabilisent de façon durable, c’est qu’ils
opèrent à notre insu. Ils n’en constituent pas moins un véritable levain à la
maturation psychique de l’un et l’autre du couple ainsi que de leur mode relationnel. 3
[NDR : thérapie individuelle et de couple]
Une thérapie individuelle, suivie d’une thérapie de couple, permet un lent et profond
réaménagement de leur relation. Fabrice sort peu à peu de sa dépendance infantile
[…] 11
Antoinette […] canalise son angoisse dans de violentes crises de jalousie. 9
Son père avait de nombreuses maîtresses, ce que sa mère vivait très mal mais,
personnellement convaincue d’avoir la première place dans le coeur de son père, elle
ne s’en inquiétait pas plus que ça. Aujourd’hui elle se retrouve dans la peau de sa
mère et c’est intolérable pour elle.1
Le refus des manifestations du sentiment maternel peut-il voiler une homosexualité
latente ?10
On est en droit de se demander si les IVG n’ont pas, dans un premier temps, stoppé
tous les mouvements de remaniement psychique4 qui, néanmoins, ont continué à
travailler le couple sous forme de passages à l’acte et de comportements aberrants,
pour finalement donner lieu à une déroute conjugale justifiant une démarche
thérapeutique.5
Ce sont aussi Fabrice et Antoinette qui, après avoir laissé leur couple s’organiser sur
un mode mère/enfant […] 8
Document 7 Expression de Julie sur son vécu psychique
1 L’analyse de Julie est longue et difficile parce que les processus de liaison sont
constamment attaqués22. Le travail analytique est ainsi impitoyablement privé de la
perspective orientée que lui donnerait en après-coup un déroulement processuel, et de
la mémorisation des séances. À cette attaque des liens
(W. R. Bion, 1970) s’ajoute une propension active au passage à l’acte violent sur les
autres et sur elle-même hors séance […] 21 En effet, elle pense devoir sa naissance à
la résistance de ses parents dans leur combat contre la pression des grands parents
paternels pour faire avorter cette grossesse. J’apprends que Julie […] situe le début
de sa désorientation psychique au moment de sa deuxième IVG […] 1 Elle révèle avoir
été une enfant maltraitée activement par sa mère et sa grand-mère paternelle, mais
aussi passivement par un père resté indifférent à ces sévices. 1bis […] elle perçoit
l’ombre de sa propre action inconsciente : c’est elle qui fait échouer tous ses projets,
sa vie relationnelle, son analyse et sa créativité.4
En effet, depuis longtemps elle travaille « la terre » mais elle réduit la durée de vie de
ses oeuvres en les cassant lors de la cuisson ou en les fracassant contre le mur lors
d’accès de rage.2
Sa violence fait irruption dans la maison de retraite où elle travaille dans un contexte
qu’elle vit comme la privant de reconnaissance et de gratification. 3
[…] car elle pense que sa violence est engendrée par la fatigue et, comme elle
travaille de nuit, elle revendique le droit au repos.3
Elle est reconnue « invalide » par la Sécurité Sociale5 et, pendant deux ans, elle se
bat contre une torpeur irréductible qui accentue son sentiment de culpabilité
transférentiel vis-à-vis de l’analyste et du travail analytique6 : elle n’arrive pas à
mettre à profit le temps dont elle dispose pour orienter son activité vers la « terre »,
elle manque ses séances pour ne s’être pas réveillée et met en panne le travail
psychique.
La maladie de son père s’aggrave notoirement. À travers les dires de Julie, je
comprends qu’il entre dans un processus de fin de vie. Elle refuse de lui rendre visite
à l’hôpital, toute braquée qu’elle est dans une attitude de refus vengeur.7
Elle réussit à surmonter l’opposition de sa mère à ce qu’elle passe du temps au
chevet de son père et peut parler avec lui des choses douloureuses du passé9 et du
présent : les maltraitances subies, les avortements et la proximité de la mort .10
2 Julie découvre une relation au père qu’elle avait crue impossible.9BIS Elle lui parle
de sa créativité et de ses difficultés à garder ses oeuvres. Il se montre intéressé. 10
[…] Elle entreprend sa première exposition et vend pour la première fois des « pièces
». Elle comprend que la brutalité de celui-ci est aussi une violence pour la vie quand
il lui parle de ses difficultés avec ses propres parents12
Le sentiment de culpabilité exacerbé […] 21BIS
Elle retourne voir son père pour lui parler, lui parler encore de sa créativité qui
s’organise et s’enrichit en technique alors que les « pièces » résistent mieux à la
cuisson. Elle est maintenant capable de garder ses œuvres en vie, ce qui lui permet
d’envisager de réorienter sa vie professionnelle vers le métier de céramiste. Elle
reçoit l’approbation et la fierté de son père qui a vu sa photo et un article élogieux sur
elle dans le journal. À cette occasion, il lui dit la trouver « douce »... Julie éclate alors
en sanglots sur le divan. Son père lui fait une avance sur héritage afin qu’elle « se
monte ».13
Quand il meurt, elle est là, seule avec l’infirmière, parce qu’elle est la seule de la
famille à vouloir voir la fin du père. Dans les semaines suivantes, elle façonne une
figurine en terre noire, sorte de totem à la mémoire de son père et qu’elle garde pour
elle[…] Lors d’une autre exposition qui la fera « connaître », elle utilise les
fragments d’une pièce cassée au four pour composer, par collage au mur, un tableau
dont elle étudie en séance la forme et le sens : « une spirale centrifuge, le chemin de
la vie »16
La violence se déplace dans la relation à sa mère à qui elle reproche sa double vie
dans le dos du père pendant son enfance. Julie se sent constamment sur le point de «
déraper » avec elle […] 15 Julie oriente sa création vers l’inscription d’empreintes du
passé dans la texture de la terre : des traces voilées par l’émaillage. Elle s’interroge
sur son « refus inconscient de créer » et hasarde une auto-interprétation : si sa vie «
prend des allures de catastrophe », c’est peut-être qu’elle « ne joue pas le jeu de la
création ». Elle ajoute : « Créer, c’est le seul moyen d’aller dans la vie car une pièce
allie une autre pièce et c’est la vie qui se crée à ce moment ; en créant, je réaliserai
ma vie. »17
Cette demande d’évaluer ses oeuvres dans notre relation paraît insurmontable à
Julie.18 […] Au fil des expositions, elle convertit ses oeuvres en argent et peut
racheter la part troquée. Maintenant, elle me paie à la fin de chaque mois en oeuvres
qu’elle expose devant moi en valeur de paiement, et les rachète aussitôt […] 19
Julie envisage de renoncer à l’invalidité.20
Interprétation de cette expression par l’auteur
1C’est alors l’introjection de la fonction paternelle assistée de la fonction maternelle
qui assigne la pulsion de déplacement des conditions de la satisfaction : l’élaboration
sur la scène transférentielle de la conflictualité dans la bisexualité psychique 5 […] Je
voudrais illustrer cette orientation à double polarité avec la cure de Julie où la
transformation de la violence fondamentale (J. Bergeret, 1964) 2vers sa sublimation
suit la voie de l’introjection de la fonction paternelle en prenant appui sur le transfert
de base (C. Parat, 1995) maternel qui accueille et tient en vie la psyché à l’encontre
de l’effet destructeur de sa violence. On y verra l’importance de l’aménagement du
cadre3
Le travail laisse l’impression d’une « écriture dans l’eau » […] 4 Toutefois, cette
impression de non-sens dans l’analyse n’empêche pas Julie de venir, comme si la
cure était tout de même porteuse implicite d’une promesse, et comme si le plus
important était de faire l’épreuve partagée du non-sens. Une cure sans orientation
hormis celle que maintient le cadre dans la direction de l’irréversibilité du temps qui
passe, dans le contexte d’un transfert de base suffisamment solide 8pour garantir la
continuité de la relation à travers une confiance qui résiste à sa permanente remise en
cause7 […] Ce refus de confiance sans rupture constitue le support nécessaire à
l’épreuve de l’avortement sous les traits d’un avortement de la confiance. S’inscrit
ainsi un destin de la cure qui répète le destin d’une vie avortée dès la conception de
Julie9
Dans ce paysage en voie de désertification par l’entreprise d’une fragmentation de la
vie psychique à visée désobjectalisante […]14 Que le non-sens s’attaque au
mouvement introjectif accroît maintenant l’inquiétude de Julie sur ses processus de
déliaison […]10 Ses maltraitances par négligence sont probantes tout autant
qu’exemptes de sentiment de culpabilité : c’est pour sauvegarder son économie
psychique qu’elle se défausse de sa tâche de soignante11BIS
Ce n’est que très progressivement qu’elle prend conscience de sa violence11 par
indifférence à la détresse d’autrui mais, malgré les liens que je lui propose avec
l’indifférence de son père devant les maltraitances subies par elle, et les
interprétations de transfert sur mon indifférence supposée, Julie ne parvient
pas à l’intégrer et encore moins à la transformer 11 […] son vécu de souffrance […] 12
À l’abri de cette mesure de protection, Julie peut comprendre le lien existant entre sa
violence meurtrière hors analyse et sa violence meurtrière dans l’analyse 15
2 Malgré l’activation du processus de fragmentation […] 13 J’interprète son refus
comme une façon qu’elle trouve de me faire vivre une complicité d’indifférence face
à la détresse d’autrui17 […] Comme elle comprend comment elle engage ainsi
l’analyste et son analyse dans un fantasme de parricide […]17 Les processus de
liaison prennent peu à peu le pas sur la déliaison, un processus analytique commence
à se dessiner et une certaine rythmicité dans son discours s’amorce19
Elle reconnaît avec émotion la dimension œdipienne sur fond de violence de la
relation à son père21
Le mouvement d’introjection pulsionnelle lui permet d’analyser sa responsabilité
dans certaines réactions de son père qu’elle vivait jusque-là comme des blessures
insupportables20 Le sentiment de culpabilité exacerbé met en danger le traitement du
conflit d’ambivalence mais Julie s’appuie sur le transfert de base20 […] Julie façonne
et se forme.21BIS […] elle comprend que sa tentation par le détachement affectif actif,
l’indifférence, est une mesure de protection par répression de sa violence mais
qu’elle en est aussi la plus violente expression22 […] elle saisit l’impératif de liaison
dans la sublimation23 C’est alors qu’elle se trouve confrontée à une panne de sa
créativité et qu’elle entre dans un profond mouvement dépressif16BIS
Le travail analytique lui permet toutefois de comprendre que cette inhibition
recouvre une tentative d’éliminer le tiers entre nous et de s’accrocher à un clivage
de la constellation oedipienne en une double relation incestueuse.
Ayant trouvé un tiers apte à cette évaluation, elle peut maintenir le cours de son
analyse25 […] tout cela dans le même mouvement centrifuge-centripète de
séparation-réappropriation alors qu’elle dépose en échange les espèces.
À la suite de ce nouvel équilibre trouvé/créé dans la répartition entre l’intérêt du
narcissisme et celui de l’objectalité par la voie désignée par l’introjection paternelle
en appui sur la fonction maternelle26
J’ai tenté de montrer que la sublimation de la violence obéit à une orientation
ascendante à double polarité dans la répartition de la libido 28 L’introjection
des fonctions tutélaires en dérive est corrélée à la condition de leur résistance à
l’épreuve de la violence du sujet dont rend compte le corps à corps avec la
matière résistante du support de médiation de l’activité artistique 27L’alliance de
l’introjection de la fonction paternelle avec une fonction maternelle attentive
aux conditions du développement des processus introjectifs en assure la fécondité 29
L’unification des processus psychiques autour de l’introjection de la fonction
paternelle prend alors valeur de garant pour la réussite de la sublimation30
Document 8 Expression de Madame M. sur son vécu
1Quinze jours après l’IVG, MmeM. demande à me rencontrer, le soulagement1
est là, cette quatrième grossesse est arrivée en pleine crise conjugale, sans
contraception pour marquer son souhait d’arrêter les rapports sexuels (!).
Une fois le soulagement exprimé : « Je n’avais pas le choix » […]2 parler de son
mari, tyran face auquel elle n’a pas son mot à dire, qui lui impose son point de vue «
sauf en ce qui concerne l’éducation des enfants, où il lui fait confiance »3
Pointant mon étonnement sur l’absence de dialogue entre eux concernant l’éducation
des enfants, elle semble en saisir la portée mais l’angoisse est trop forte et
elle parle de ses craintes face au mari tyran3BIS […] sa demande de parler de ce
qu’elle va devoir affronter des réactions de son mari pendant cette période de divorce
qu’il refuse4
Son besoin vital de se dégager physiquement de son mari, son besoin sécuritaire de
s’installer avec ses enfants chez ses parents « qui n’attendaient que ça » et sa crainte
à la perspective de reprendre son travail… l’amènent à en parler 5
Ces trois aspects la renvoyant à ce qu’elle nomme sous forme de plainte « son
manque de confiance en elle ». […] toujours à l’heure, réglo, se lançant dans le récit
des faits quotidiens actuels et anciens qui m’assaillent et qui laissent peu de place à
un questionnement6 […] je lui demande ce qu’elle quitte d’insupportable en quittant
son mari. « Il décide de tout, je n’ai jamais mon mot à dire », j’entends
sa souffrance et celle du mari par la décision qu’elle a prise de le quitter,
elle, qui n’en prenait pas… et lui, qui décide de tout. «… Et en plus, il me force à
prendre des initiatives dans le travail agricole… »7
Alors que je lui demande dans quel but elle croit qu’il la force, elle répond : « Il n’a
pas tout à fait tort, car je suis quelqu’un de timide, j’ai toujours été peureuse, lui c’est
un fonceur, c’est quelqu’un d’entreprenant, c’est un décideur, je suis quelqu’un qu’il
faut pousser… Petite pour quitter les jupes de ma mère et aller à l’école, c’est mon
père qui me poussait dehors et dans mon travail de secrétaire il faut que mon patron
me pousse pour que je prenne des responsabilités»8
La « panique » à l’idée de reprendre son travail, fin du congé parental pour le
troisième enfant, l’amène à envisager la rupture de son contrat plutôt que d’affronter
le directeur, […]9 Dans un premier temps, elle va pouvoir les exprimer, les
repérer10et au niveau de sa réalité professionnelle elle va pouvoir négocier avec son
directeur une fin de contrat […]
2 […] elle ne souhaite pas pour autant une séance commune, je lui indique l’adresse
d’un psychologue11 […] Madame M. craignant une perturbation psychologique pour
les enfants12 […] la psychologue va entendre la souffrance de son mari ce qui a un
effet culpabilisant pour Madame M […]13 multipliant aussi les démarches auprès
d’amis communs afin d’obtenir des attestations, recherches mutuelles
d’attestations… vides de sens pour chacun et qui viennent attiser le conflit14 […]
Pour Madame M. les entretiens lui ont permis de ne plus tout raconter à ses parents,
[…], elle trouve à présent « excessif et pesant le jugement qu’ils ont sur mon mari ».
Elle trouvera un logement et un nouveau travail15
Un an après, elle me téléphone pour un rendez-vous mais en cabinet libéral. Elle
vient pour parler de sa difficulté relationnelle avec ses enfants. « Quand ils rentrent
de chez leur père, ils sont agressifs contre moi, le père fait pression sur eux et du
coup ils me traitent de méchante maman et disent qu’ils veulent vivre
avec papa et maman ». […] « Oui, mais moi aussi je panique et moi aussi je suis
agressive et ça, ce n’est pas moi »16[…] Nous convenons d’une séance par semaine
[…] 17 « c’est son divorce ou le mien ? » […] elle ne la supporte plus 18
Après la période des vacances d’été, Madame M. dit avoir repris la relation 19avec son
mari et se met à pleurer à cause de sa souffrance à ne pouvoir affronter le regard et
l’incompréhension de ses parents20Elle leur en veut d’avoir pris position contre lui,
contre son couple, ce qui ne l’a pas aidée, […]21 Elle s’en veut d’avoir dit tant de mal
de lui « à cause de la façon qu’il a de me parler »22 Sa façon de s’exprimer est
agressive, ce qu’elle fuit, « avant j’aurais été le dire à ma mère, maintenant j’ai pu le
lui dire et lui donner mon point de vue, mon avis sur nos désaccords »23
Elle manque certains rendez-vous, un jour où j’étais en entretien, elle appelle et je lui
demande brièvement de me rappelez dans l’heure, ce qui lui semble possible, mais
elle ne le fait pas. Je lui adresse un petit mot l’invitant à appeler. Elle dira
dans l’entretien qui a suivi que son mari fait plus ou moins la tête, qu’il se demande
ce qu’elle peut bien venir dire puisque ça va mieux entre eux… Alors pourquoi
continuer à venir. C’est lui qui pense ça et du coup elle entend : mais pourquoi tu y
retournes ? Ce qui la plonge dans un silence mortifère et elle manque les séances24
[ …] « Vous voyez me dit-elle, je vais rentrer, là, et il va y avoir une tension entre
nous parce que je suis ici ». Se sent-il exclu ? Je lui demande alors si elle se sent
culpabilisée de venir ici : « Oui, parce qu’il pense que je dis du mal de lui, ce qui
n’est plus le cas »25 […] Elle décide de mettre fin à la thérapie… 26« Pour d’autres
entretiens dans ma vie, et je lui dirai à mon mari pour l’IVG pour pas que ça reste un
secret »27(ou une fuite et une exclusion pour lui)28
Interprétation de cette expression par l’auteur
1 llustrer l’importance du cadre pour qu’une plainte s’exprime, qu’elle devienne
parole, parole à l’autre et changement. Dans la pratique clinique, il arrive parfois que
l’on soit amené à changer de cadre en fonction du sens de la demande. C’est ce qui
s’est passé pour ce cas clinique concernant Mme M. Tout d’abord besoin
ponctuel de parler de l’interruption de sa grossesse, puis besoin d’entretiens
suivis pour parler de la crise conjugale et thérapie par l’élargissement du champ
d’investigation du lien conjugal et le travail du transfert 3
2[…] ce qui du coup ne la met pas à l’aise sur le plan de la relation,
trop préoccupée à se protéger, à se défendre de ses peurs par la fuite11Sa « panique »
à propos de ses peurs anciennes me fait penser à un désarroi qu’aucune parole n’est
venue contenir. Ses « peurs anciennes » seront des objets de transfert dans le
processus thérapeutique qui suivra12
D’interrompre cette grossesse lui permet d’interrompre la vie conjugale 1
[…] je lui rappelle sa propre inquiétude à son sujet, « lui qui n’a personne… » à qui
parler14
Besoin d’en parler pour elle, afin de dissocier ce qu’il en est de la procédure et ce
qu’il en est de leur conflit profond15
[…] reste toutefois le « je » en question2
. Madame M. va ainsi commencer petit à petit à sortir des positions extrêmes
victime/tyran13
[…] l’absence de jugement extérieur auquel elle est sensible […]4
[…] une distance s’est créée […]16
Je lui demande ce qu’elle craint, ce renvoi à ses craintes a un premier effet
mobilisateur qui ouvre une parole sur la « réalité » conjugale et vient soulager une
tension émotionnelle6
Le cadre des entretiens venant contenir psychiquement ce que la décision de
rupture a laissé vacant7 Sa souffrance conjugale vient exprimer une souffrance
personnelle ancienne8Comment contenir sa plainte relative à une confiance en elle
qu’elle n’a jamais eue ? J’entrevois le gouffre des profondeurs abyssales par ce
qu’elle dit en si peu de mots et ce qu’elle montre d’elle : […]
Madame M. est paniquée par sa propre agressivité, pas conforme avec la conquête de
son autonomie17
[…] j’entends sa souffrance, son désarroi, son conflit18 en rapport à l’image idéalisée
de bonne mère qui est menacée. Très vite, je me trouvais être intervenante du fait de
la spontanéité de mes interventions et également du fait de son attente à recevoir mes
paroles, en fait j’étais « entreprenante » comme l’avait été son mari19
Je lui en fais part, ce qui a un effet soulageant. Malaise du coup exprimé et reconnu,
défaut de contenant, avec une demande sur le cadre pour contenir son besoin de
dire, et l’entendre. Transfert sur le cadre, ce qui me ramène, moi aussi,
à trouver un appui à mon écoute. C’est par la crise conjugale que je
vais entendre le fonctionnement de son couple9
Analysant cet éprouvé contre-transférentiel, j’en viens à penser qu’il y a quelque
chose en elle qui me met dans un double rôle : l’un est maternant, protecteur, en
réponse à ses demandes – « Il faut qu’on me dise » – et un autre qui n’est plus
maternel, face à ses silences, où je relance19
Je décide de supporter ses silences et de garder en mémoire ce qu’elle dit de ses
plaintes, de ses réflexions, de ses souvenirs… pour une écoute associative du
transfert… et attendre pour une interprétation.
Madame M., au fil des entretiens, est rentrée dans son histoire, la venue des faits par
la parole, positionnant les uns et les autres, a pris effectivement du temps, ce qui
n’était pas l’habitude du mari décideur et entreprenant ni son habitude à elle prise
dans la passivité des jupes d’une mère10
La souffrance exprimée porte sur l’estime d’elle qui se trouve menacée dans la
relation à l’autre, à son mari, à ses parents, à ses enfants, et qui la met en demande
afin de trouver une autre issue, autre que la fuite20
3 Fuite qui a été jusque là son mode de défense y compris dans le choix du partenaire
qui au départ était vécu comme rassurant. Elle a quitté les jupes de sa mère pour un
mari entreprenant. Son manque de confiance en elle la rattrape et quand ce n’est pas
élaborable, il n’y a plus qu’à partir, quitter son emploi précédent, partir de sa vie de
couple21
4 C’est une tension imaginaire qui tourne à vide par la fermeture à l’autre. Ni l’un ni
l’autre ne sont à l’aise avec la parole, alors restent les mots sans parole 30 la peur est
trop grande face à l’angoisse de la séparation, de la perte, pour imaginer ce que
vit l’autre. Elle est trop préoccupée à se protéger et lui fonce pour vaincre sa
souffrance31 Leur attachement mutuel renforce leur lien narcissique et en même
temps leur difficulté au niveau des échanges vient menacer ce lien40
Les enfants viennent ébranler son unité idéalisée d’elle-même22Son mode relationnel
est bien un aspect de sa problématique induisant à la fois protection et rejet avec
difficulté de la prise en compte de la position de l’autre, de la différence, des
contraintes23
Il y a toutefois quelque chose de dynamique chez Madame M., elle peut apprivoiser
l’extérieur autrement que par la fuite et la stupeur, comme elle l’apprivoise dans la
cure. Ce n’était pas irrémédiable, ces rendez-vous manqués32
L’hyperprotection qu’elle est venue chercher en retournant chez sa mère fonctionne
comme une barrière, un garde-fou que sa panique vient bousculer, cette protection de
sa mère,: […] Garde-fou contre l’extérieur, contre l’inconnu, contre l’étranger,
l’altérité fait peur24
Le contact est repris avec ses parents, elle a tenu à rectifier que tout n’était pas du
côté du mari, comme elle a pu leur faire croire en mettant à l’écart une part d’elle,
comme en reportant les séances alors que c’est elle qui se protégeait à défaut de
trouver une autre distance25BIS
Quelque chose là se dit de son fonctionnement : un clivage entre l’extérieur et
l’intérieur de ses quatre murs qui la rassurait. Le silence qui a suivi n’était plus le
même que celui qui venait ponctuer un récit, là, ce qu’elle disait s’adressait à
quelqu’un. Entre les quatre murs de sa chambre il n’y avait personne, elle ne
bougeait pas pour se rassurer, là dans ce cadre équivalant à sa chambre elle
commençait à faire bouger son silence protecteur25
Arrivés à cette étape, on peut se demander si cette quatrième grossesse suivie d’IVG
n’est pas venue pour que Madame M. trouve une issue à son conflit relationnel avec
son père, son directeur, son mari33tout comme elle avait décidé d’un congé parental
comme protection (maternelle)34
Chemin faisant, l’agressivité de ses enfants l’amènera à se poser des questions plutôt
qu’à se protéger26
[…] je représente celle qui n’a pas donné son avis face à la fragilité de ses choix qui
ne sont pas bien assurés par la régression orale de besoin de protection 27
Le travail thérapeutique permet à Madame M. une prise de parole avec lui pour
parler d’elle, de ses difficultés qui datent, ce qui créé une certaine distance entre eux
et vient remobiliser leur attachement mutuel. Elle est touchée par la place qu’il lui
fait, qui la touche aussi sur le plan libidinal mais c’est une place par rapport à elle,
place qui la sécurise28 29
Il existe bien en elle quelque chose de dynamique au coeur du conflit relationnel et
phobique35
Dans le travail d’élaboration contre-transférentiel face au transfert du patient, le
thérapeute a à repérer les angoisses archaïques et fusionnelles dans ce qui se dit, qui
lui est adressé et qui va permettre la levée du clivage par le travail du pré-conscient,
favorisant la mise en place d’une nouvelle protection moins rigide. C’est tout le
travail thérapeutique37
Pour Mme M., l’autre intériorisé (objet interne primaire) est absence, mais il existe
comme lien et c’est ce qui se passe entre eux par l’ouverture et la fermeture à l’autre
où chacun sollicite le partenaire pour s’assurer de sa présence et de son manque 39
Document 9 Expression de Fatia sur son vécu
1Elle a été admise pour un coma éthylique, et a raconté au médecin qu’elle
s’alcoolise avec fréquence au cours des derniers mois1 L’épisode aigu résolu, Fatia
accepte un suivi et lors de la première consultation, ses parents l’accompagnent 2
2Son partenaire n’est pas investi et semble surtout avoir profité de son état. Elle ne
luien veut pas de l’avoir mise enceinte, car il lui appartenait à elle de lui dire non ou
d’exiger qu’il prenne des précautions23En fait, elle ne lui a même pas demandé
d’utiliser un préservatif22
[…] Les parents disent aussi que les difficultés avec leur fille remontent à une année
à peu près, mais leur gravité a conduit le Service de Protection de la Jeunesse à
placer Fatia dans un foyer d’urgence, pour une période de quatre mois, puis dans une
famille d’accueil pour trois mois encore2
Cet enfant ne compte pas24et le seul souci qu’elle se fait est d’éviter que sa mère
s’aperçoive qu’elle est enceinte de nouveau25
Si la jeune fille se sentait bien traitée par cette famille, son comportement devenait
difficilement contrôlable. Elle sortait pratiquement toutes les nuits et revenait
imbibée d’alcool5Ce comportement ne s’est pas modifié avec le retour dans sa
famille6
Il y aura en tout trois entretiens des parents et de la jeune fille. Et, sans explication,
ils ne vont plus donner suite aux propositions thérapeutiques faites par le médecin3 4
Début octobre 2005, Fatia se présente à la Maternité avec une demande d’IG […] fait
état d’une relation amoureuse sans grande importance8et demande que ses parents ne
sachent rien, ce qui est un droit que la loi suisse accorde à toutes les adolescentes
mineures, quel que soit leur âge9
Par ailleurs, elle accuse sa fille d’avoir sali l’honneur de la famille 10 d’attirer la
malédiction de Dieu11 et d’avoir failli à la règle qui voudrait qu’elle reste vierge
jusqu’au mariage.
L’adolescente est désespérée15et entre en opposition violente avec sa famille16 ce qui
aboutit aux placements successifs de Fatia17À l’approche du mois de juillet 2005 les
alcoolisations de la jeune fille se font de plus en plus fréquentes et graves, jusqu’à
culminer avec le coma éthylique relaté plus haut.18
Son souhait est de refaire une interruption, mais à l’insu de ses parents et plus
particulièrement de sa mère19
Cette possible grossesse, elle n’y avait pas pris gare20 Elle était tellement alcoolisée21
me raconte-t-elle, qu’elle n’a pas eu l’énergie physique ou psychique de prendre une
quelconque décision21
Au cours de la semaine qui suit cet entretien, Fatia fait pratiquer l’IG 26À la grande
surprise de l’équipe, elle se présente accompagnée de sa mère qui, n’étant pas dupe,
avait fouillé dans le sac de sa fille la veille au soir, trouvé la carte de rendez-vous de
la Maternité et ainsi vu ses craintes confirmées27
Ne pouvant être à son chevet, je l’appelle sur son portable, qu’elle boucle28sans me
dire un mot. Le lendemain c’est elle qui me téléphone et nous convenons29d’un
rendez-vous auquel elle ne viendra pas30
Interprétation de cette expression par l’auteur
1Je vois une jeune fille fermée, qui semble bien décidée à réaliser
l’intervention […]1Au cours d’un entretien long, difficile au début, elle va me confier
son histoire2
Cette culpabilisation de la jeune fille se double de menaces sur son ami. La mère le
menace de dénonciation s’il ne quitte pas le territoire helvétique, prenant appui sur le
fait que leurs relations constituent un délit puisque le jeune homme est majeur, alors
que Fatia n’a pas atteint la majorité sexuelle, fixée à seize ans en Suisse. 6BIS[…] Rien
de cette version de l’histoire ne transparaît dans le cours des trois entretiens faits à la
consultation de secteur de l’Unité des adolescents3Non seulement Fatia se tait, mais,
de plus, sa mère fait l’impasse sur ces événements et laisse croire à ma collègue que
la jeune fille est vierge et qu’elle s’inquiète de ce qui pourrait lui arriver en état de
semi conscience4
Au moment où je la vois à la Maternité, elle est enceinte de 9 semaines. Le moment
de la fécondation se situe aux alentours de l’anniversaire de sa première IG5BIS[…]
Ce qu’elle raconte prend la valeur d’une expiation5mais dans le contexte d’une
grande lassitude6 L’humeur est franchement dépressive7[…] Je voudrais faire quatre
observations rapides.
Fatia devient enceinte lors du premier anniversaire de l’IG de 20048Le seul intérêt de
cette grossesse est de marquer une trace de l’enfant9qui avait été porté comme valeur
constitutive du couple13
Projet narcissique certes10que les parents de Fatia ont saccagé pour des motifs
religieux et identitaires sans le moindre égard pour la subjectivité de la jeune fille12
Ce trou dans le tissu narcissique de l’adolescente appelle la deuxième grossesse 11
Les alcoolisations ne suffisent pas car il n’y a pas interchangeabilité des contenus
dans le ventre de l’adolescente. Nourriture, toxiques ou bébé ne sont pas équivalents,
même si des glissements symboliques peuvent donner sens au discours d’une
analysante15 Ici, les lieux du corps ne sont pas les mêmes, et l’alcool ne remplace pas
un bébé14
De plus, le manque16s’apparente ici davantage à un vide qu’à une absence17dont elle
pourrait différer la résolution. Combler ce manque en sachant que la grossesse n’ira
pas à son terme peut paraître un contresens pour la raison20En fait, la signification de
cet acte fait sens à plusieurs niveaux.
2Il s’agit de la reconstitution active d’un traumatisme subi, qui l’avait laissée dans la
plus grande passivité18 La conception répare tout aussi bien celui qui n’a pas pu
exister que la maternalité de l’adolescente19
L’interruption de la grossesse montre bien que la réparation est illusoire 21 que ce
bébé n’est que l’ombre de l’autre22et que, pas plus que lui, il n’a le droit d’exister26Ce
n’est pas un simple constat. C’est une rage qui anime Fatia23 Contre le faux
enfant,24contre la fausse mère25qu’elle a été contrainte de jouer25BISLe vécu de
meurtre s’installe. Et la culpabilité la saisit de nouveau26BIS l’obligeant à négliger, en
apparence, le secret de sa grossesse27 Sa mère, instance punitive, est sollicitée par le
biais d’une étourderie28
Quatrième observation, la projection joue pleinement pendant un court laps de temps.
En présence de sa mère elle ne répond pas à mon appel, mais se dépêche de le faire
sitôt qu’elle a le dos tourné. Elle sait, parce que nous avons amorcé cette discussion
lors du premier rendez-vous, qu’il sera question de ce bébé qui lui manque29et qui ne
peut exister dans le champ intersubjectif qu’en l’absence de celle qui l’a fait
disparaître : sa mère bien sûr, mais aussi la partie d’elle-même complice
de cette mère.
J’aimerais que Fatia cesse de se faire du mal. Je voudrais qu’elle cesse de répéter le
cycle grossesse-IG.30Mais elle ne vient pas à notre rendez-vous. Interdite par la mère
extérieure ? Rattrapée par une communauté de déni intériorisée ? Obligée de
continuer à se punir par une autodestruction dont la mouture actuelle serait le refus
des soins que je lui propose ? Je ne le saurai pas. Tout au moins je ne le saurai pas de
suite31
Cette deuxième grossesse est-elle une attaque au corps ? La mise en
acte de 2005 rejoue le scénario de 200432mais en transformant complètement le sens
de la démarche, qui devient une entreprise mortifère dans le lieu même qui avait été
choisi pour abriter le narcissisme de vie33
À mon sens, l’attaque au corps se situe dans son activité sexuelle désordonnée,
infiltrée par le sado-masochisme de ses relations, et aggravée par l’anesthésie
provoquée par l’alcool34
Fatia découvre qu’un de ces rapports est devenu fécondant Or, il me semble
indispensable de maintenir une différence et une tension entre deux scènes : des
relations sexuelles mortifères avec un partenaire ravalé au rang d’objet partiel35et un
rapport fécondant où la potentialité d’un enfant est tout d’abord rappelée, pour
ensuite être effacée36
3 C’est en passant par cette deuxième scène qu’il sera possible de récupérer la
grossesse de 2004, son côté idéalisant, un balcon sur la vie amoureuse, et de la mettre
en perspective avec le rappel caricatural et destructeur de la grossesse 200537
L’IVG de cette année n’ouvre-t-elle pas alors sur la virtualité d’un véritable
enfantement à travers la récupération d’un projet narcissique ? 38[…] Sans
nécessairement parler d’appel au secours, n’y a-t-il pas une ouverture lorsque Fatia
me dit son histoire ?39Et dans son hésitation à accepter de me revoir ? 40Il aurait fallu
poursuivre la prise en soins de la jeune fille pour permettre une évolution dans
laquelle la grossesse ne serait pas la réplication d’une automutilation, mais une
virtualité d’élaboration corporelle et psychique du deuil destructeur de 2004 41
Document 9 Expression de Clémentine sur son vécu
Elle me l’a expliqué : l’enfant à venir ne pouvait que représenter ses amis morts,
alors qu’elle recherchait une réplication exacte1
Interprétation de cette expression par l’auteur
L’enfant de Clémentine devait remplacer les trois vies détruites par l’accident de
voiture, parce que sa culpabilité rendait le deuil impossible 5 6
Il ne devait pas être celui qu’elle avait projeté de faire avec son ami, dans la
continuité de leur installation en commun. Le quitter, même si elle se disait toujours
amoureuse de lui, signifiait l’utiliser pour son sperme, dans une activité mécanique
de fécondation8
Après, elle se serait consacrée à la tâche de faire revivre ses amis à travers le bébé.
Elle s’y serait employée une vie durant9L’arrêt de son histoire d’amour participait à
la punition10
Je me suis demandé quel grain de sable avait pu interrompre un processus qui
paraissait si inéluctable.
Nous étions, à ce moment, dans une économie propre à l’hallucinatoire1Le travail de
crise a consisté2avant et après l’IG, à déplacer cet embryon de l’espace purement
subjectif de Clémentine, pour l’extérioriser et le replacer au sein du couple qui l’avait
créé, pour lui permettre une entrée dans l’ordre du symbolique et en faire le deuil 3
Cela n’a pas été facile ; il y a eu rupture de la relation amoureuse, comme si l’ami et
l’enfant étaient partis ensemble4
Document 10 Expression de Cécilia sur son vécu
1Elle consulte pour un mal de vivre1associé à des crises boulimiques (survenant en
moyenne deux fois par jour) et apparues un an auparavant, à vrai dire juste après un
avortement2
Elle vomissait. C’est d’ailleurs comme ça, à ces vomissements, qu’elle s’était rendu
compte de sa grossesse, imprévue, et impossible à mener à son terme […] Dans le
contexte post-IVG surgissent les conduites boulimiques3toujours actuelles : « Je ne
peux pas m’empêcher de manger, manger, et manger encore, dit Cécilia, manger, ça
me permet d’être pleine, de me sentir pleine.»4
[…] car après chacune de ces incontrôlables frénésies alimentaires surviennent les
vomissements, eux aussi incoercibles5
En lien à ces premiers éléments, Cécilia associe et précise combien elle est soucieuse
de sa ligne ou plutôt des formes de son corps, les formes féminines. « Vous savez,
dit-elle, je suis d’origine sicilienne par ma mère, et les femmes de ma famille, ma
grand-mère, ma mère, ma soeur ont toutes tendance à avoir des hanches plutôt
prononcées. »6
C’était pas juste, c’est pas normal, crie, pleure aujourd’hui encore Cécilia, elle avait
pas le droit de me faire ça, c’était pas à elle de partir, c’était à moi, elle m’a pas laissé
le temps, il m’aurait fallu juste un peu de temps, je sais pas moi, une semaine, deux
mois 11
Interprétation de cette expression par l’auteur
1Discours on ne peut plus signifiant que livre Cécilia : tout comme elle n’a pu
antérieurement garder en elle cet enfant, pas plus elle ne peut aujourd’hui garder en
elle, en son sein, la nourriture (trop fécondante…) ingérée. On
pense certes tout de suite ici à une régression libidinale, de la génitalité à l’oralité1À
certains égards. On pense aussi à une problématique narcissique où le plein s’oppose
au vide interne et cherche justement à pallier ce dernier 2
Mais les ingestions boulimiques ne constituent-elles pas, plus encore, des tentatives,
pour parvenir enfin à garder en soi l’objet 3 (l’enfant, la mère) 3
3. L’enfant à venir, la mère à être, mais aussi Cécilia-enfant et la mère qu’elle eut. et peut-être aussi
pour accéder à une nouvelle modalité d’être et de relation à l’objet ? 4
Tentatives réitérées mais alors à chaque fois avortées, semblerait-il,[ …]5 Ce
symptôme persistant, le vomissement, semble à tout le moins être le lien sinon le
symbole existant entre les difficultés présentes et passées de Cécilia, symptôme
commémoratif en quelque sorte, et peut-être alors aussi élaboratif des différents
conflits psychiques ici en jeu6
2 Et c’est précisément à ce moment que « ce garçon l’a mise enceinte », selon ses
propres termes.16
Or, dit Cécilia, « ma mère m’a abandonnée »10
Elle se sent littéralement perdue, dans cette maison qu’elle n’affectionne pas. Cette
maison est vécue « comme trop grande » pour elle.
Plus encore, Cécilia se trouve démunie, et même « complètement
étrangère » en terre maternelle. […] 12
« Vous comprenez, dit-elle, moi, je ne suis pas une femme d’intérieur ni une
maîtresse de maison »13
Elle se sent en effet « prisonnière » de cette maison17
« Courir c’est, dit-elle, aller de l’avant, savoir se tenir et se servir de ses jambes,
connaître ses propres limites mais aussi ses possibilités. » 20
Les séances avaient initialement et d’un commun accord été fixées au rythme d’un
entretien tous les quinze jours Puis à la suite d’une suspension provisoire des
séances en raison de la période estivale, Cécilia se ravise : elle préfère venir tous les
mois seulement. La séparation qui vient d’avoir lieu a justement duré un mois ! 14
Neuf mois (!) plus tard, Cécilia fait part de sa décision de suspendre complètement
les entretiens ; […] elle n’a plus ni boulimie ni vomissement, a repris l’aérobic et a
entretemps emménagé dans son propre appartement15
2Sous-entendu : « Je ne veux pas devenir ainsi, comme elles, une femme. » Quelle
image de la féminité s’avère ici difficilement intégrable pour Cécilia, et sous laquelle
se profile aussi le spectre de la « mamma » italienne tout autant ingérable 7
Si aujourd’hui encore Cécilia bute à reconnaître son (ambivalent) désir
d’enfant, elle se débat plus encore avec les questionnements et les enjeux
de l’adolescence, c’est-à-dire avec les incertitudes liées à son devenir sexué
de femme, d’amante et de mère potentielle, mais plus fondamentalement
aussi à son devenir d’adulte, de sujet mature et autonome. Il faut dire que
le contexte, familial en l’occurrence, vient quelque peu entraver pour ne pas
dire empiéter sur son évolution9 10 [ …] bref le temps nécessaire pour que Cécilia
parvienne enfin à intégrer psychiquement les turbulences et changements induits tant
par la crise pubertaire que par celle de l’adolescence (séparation d’avec les objets
parentaux, autonomie, etc.), le temps qu’elle puisse trouver et stabiliser son nouvel
équilibre identitaire, bref le temps psychique qu’elle puisse s’aménager et aménager
son intérieur (au double sens du terme)12
3 La défaillance pour ne pas dire la perte de l’étayage maternel, à ce moment-là
critique et crucial pour elle de sa construction psychique, prend ici une dimension
véritablement déstabilisatrice pour Cécilia. Sur le terrain instable ou mouvant sur
lequel elle se trouve vient d’apparaître une nouvelle fissure13
[…] charge alors à Cécilia de résider et de rester dans la demeure maternelle, d’une
part, et de veiller sur les biens et objets maternels, d’autre part. Plus question donc de
partir et de créer son propre nid ! 14
4 Le départ de la mère coïncide avec le choc spéculaire de Cécilia, le
Loin de représenter pour elle l’accomplissement de ses aspirations à l’indépendance,
cette conjoncture active chez Cécilia frustration et dépression 8. […] Le terreau, voire
terroir, maternel loin de contribuer à la poursuite de son développement la paralyse,
brime ses élans15 […] entendons, qu’elle ne parvient pas encore à l’être, ou à se
l’autoriser, qui plus est au sein de cet habitacle maternel. En somme, elle détient les
objets 9 de la mère mais ne sait pas ou pas encore les apprécier (sinon pour l’instant
dans le seul et massif rejet) ni en jouir41BIS
Tout – la succession d’agirs – se précipite, s’enchaîne, s’intrique. En effet, c’est la
voie corporelle et comportementale qui est préférentiellement investie et utilisée par
Cécilia 11 pour simultanément traduire conflits (identitaires) et angoisses et parvenir à
aménager sa personnalité comme son équilibre psychique22 : à travers l’activité
physique et sportive d’abord, puis « l’acte manqué »40que représente sa grossesse
inopinée, l’agir abortif qui lui fait aussitôt suite et qui constitue la toile de fond 24 sur
laquelle viennent s’inscrire ses récents comportements boulimiques et pratiques
vomitives23
Certes il s’agit bien souvent de conduites (les dernières surtout) à caractère
psychopathologique25qui peuvent donc interroger sur leurs sens et valeur évolutifs au
sein de l’organisation psychosomatique de Cécilia 26
La mise en acte du corps, sous sa forme ici sportive et intensive, constituerait donc
pour Cécilia le moyen, trouvé/crée par elle, d’exprimer et de transformer conflits,
angoisses et fantasmes, mais plus encore le moyen de s’approprier son corps propre
et son identité sexuée, le moyen de s’autonomiser aussi […] autrement dit, cette
mobilisation du corps en acte participe du processus de subjectivation40bis
Le problème pour Cécilia réside certes dans le fait qu’il s’agit des objets
d’une autre femme – et non des moindres, la rivale oedipienne – et non siens
propres, mais pas seulement. En effet, demeure et objets maternels encombrent
Cécilia et la maintiennent captive. [ …] C’est dire cette fois la force de cette imago16
maternelle, une imago de toute-puissance sous l’emprise de laquelle se trouve
Cécilia, qui laisse alors entr’apercevoir l’infans qui subsiste en elle et tente de
s’extraire du ventre, ou gouffre, maternel17
Telles sont donc les angoisses orales qui s’emmêlent chez Cécilia aux angoisses
génitales plus récemment activées. Autrement dit, la situation de réalité qu’elle vit à
l’aube de sa naissance comme femme adulte et mature sur un plan libidinal se
complique de la résurgence de son advenue comme sujet peu différencié du corps
maternel18
Selon J. André, « le refus du féminin » (1995) à l’oeuvre dans la boulimie, loin d’être
achoppement du sujet sexué devant la réalité pénétrante de l’objet génital et
génitalisé, a bien plus à voir avec le vécu originaire de passivité dans lequel se trouve
le bébé face à l’objet maternel, lequel est donc susceptible d’intrusion et
d’empiétement sur l’espace subjectif propre.
Dans ces conditions, la conduite boulimique apparaît comme un mouvement de
dégagement de l’étreinte maternelle, effort et mise en acte du sujet pour se déprendre
de la fusion primitive, de la dépendance à l’objet vital (la mère-nourriture) fantasmé
destructeur19
moment où elle se découvre, avec stupeur, musclée, c’est-à-dire ici pour
elle grosse, soit encore femme, devant la glace 20
[…] elle recourt donc à une interruption volontaire de grossesse. S’ensuivent
alors les ingestions et réjections alimentaires 10. 10. Précédées toutefois par des conduites
d’allure anorexique à l’adolescence
.20
Si Cécilia y parvient c’est aussi parce qu’elle est, à cette date, lovée dans le giron
maternel dont elle a encore bien besoin.41
Parce qu’elle bénéficie de l’étayage maternel elle peut croître à ses côtés, mais le
départ, brutal, de sa mère équivaut à la perte de son tuteur. L’autonomie alors exigée
d’elle dans la réalité la fait chavirer ; les processus d’autonomisation psychique, de
construction et d’assomption de sa personnalité sont alors mis en déroute. Cela va en
effet trop vite pour Cécilia à qui il est demandé d’être une femme adulte autonome et
responsable d’elle42
Angoisses d’abandon et de castration sont simultanément activées et, dans le miroir,
soudain, Cécilia prend peur. Elle vit une sorte de choc spéculaire : le féminin en
passe d’être apprivoisé fait une entrée fracassante avec arrêt sur image ; le miroir
renvoie soudainement à Cécilia l’image de la femme qu’elle est devenue sans le
savoir (ça voir)43
5 Mais ce corps de femme c’est aussi celui de la mère, autrement dit, c’est le corps
de sa mère que la fille (re)trouve ici, une mère qui, ainsi que le formule M. SelviniPalazzoli (1974), a pris possession du corps de sa fille. Celle-ci est sa mère et
réciproquement, c’est alors (le risque de) la fusion/confusion 44
C’est alors l’effondrement interne de Cécilia, lequel s’objective notamment à
l’abandon de ses investissements sportifs45
Puis survient un nouvel essai, une autre mise en acte, sous une nouvelle forme, et
valant modalité de gestion de la problématique identitaire dans ses aspects primaires
autant que secondaires : la grossesse46
Une grossesse manifestement non désirée mais pourtant tombée à point nommé pour
agir et consacrer la séparation d’avec l’objet primitif (F. Ferraro A. NunzianteCesaro, 1985). Cette grossesse non préméditée, véritable « acte manqué », révèle audelà de la force du désir inconscient de Cécilia l’essai, certes encore délicat,
d’appropriation subjective de son corps sinon du maternel féminin en elle 47
La boulimie et les vomissements prennent alors le relais. Les perturbations
alimentaires de Cécilia disent simultanément sa faim de l’objet oral, vital (sous la
nourriture, la mère) et sa satiété de celui-ci, rassasiement allant jusqu’à
l’écoeurement, d’où son rejet. Elles disent encore tout à la fois son envie et son rejet
de l’objet génital, perçu comme insatisfaisant27
Si l’agir alimentaire, au même titre que l’agir abortif d’ailleurs, 28 29pourrait à
première vue paraître une voie régressive, c’est-à-dire entravant le sujet dans son
évolution,c’est pourtant lui qui conduit Cécilia à l’hôpital et l’amène à demander
consultations médicale et psychologique30soit une assistance pour son corps et pour
sa psyché, tous deux en souffrance d’appropriation subjective 31
Après et par l’agir boulimique symptomatique, ses pas la conduisent donc maintenant
à l’action thérapeutique30 [ …] Sur le plan psychologique, celle-ci (l’action
thérapeutique) est de courte durée : une année au total. En fait, et comme on pouvait
s’y attendre, Cécilia a reproduit à l’intérieur même du cadre psychologique ses
tendances à l’agir35 (cela de manière à éviter les angoisses d’intrusions très vite
activées chez Cécilia, angoisses qui auraient pu être propices à l’arrêt des
entretiens)32
6 Autrement dit, Cécilia – une fois encore – agit, elle reproduit activement la
séparation précédemment imposée par les congés, lesquels viennent aussi
symboliquement de réactiver – répéter et resignifier – « l’abandon maternel ».33
Chez Cécilia, cet agir-là, ou plutôt cette (ré)action transférentielle signe surtout sa
prise d’autonomie ; Cécilia exprime en effet par là qu’elle est maintenant en mesure
de gérer le manque de l’objet, une plus grande séparation d’avec lui ; la rémission de
ses conduites boulimiques à l’occasion de la séparation estivale en atteste
d’ailleurs34[…] ce que la psychologue accepte, entendant certes les résistances à
poursuivre un travail plus en profondeur mais Cécilia ne présente pas cette demande,
elle a aussi et surtout recouvré un équilibre psychique et psychosomatique
satisfaisant de son point de vue comme du mien : […]35BIS
Cécilia sait cependant qu’elle peut à tout moment revenir consulter. L’objet que la
psychologue représente demeure présent à distance. Elle le sait mais elle n’a plus
besoin…de consommer ce type d’objet
Pourtant ces agissements ou mises en acte du corps apparaissent sous-tendus par la
conflictualité de la vie psychique de leurs auteurs qu’ils actualisent, tout en la
réfléchissant – au sens du miroir. On pourrait dire qu’ils la projettent. À ce titre le
corps est bien surface de projection comme le soutient, après S. Freud (1923), M.
Sami-Ali (1986, 1987). Ce qui pourrait passer pour une modalité de décharge des
conflits semble donc aussi réflexion, c’est-à-dire reflet, retour et renvoi au sujet de ce
qu’il a extériorisé, incarné, inscrit et transcrit dans une réalité matérielle, ici
charnelle, avant de pouvoir s’en ressaisir de l’intérieur (Dumet, 2000, 2005) 37
De plus, et ainsi que S. Freud (1920) puis bien d’autres depuis (M. de M’Uzan, 1969,
par exemple) l’ont signalé, la répétition contient toujours en puissance les germes de
l’élaboration38
Plus encore, ces expressions révèlent et signent l’exigence du travail
d’intériorisation, de symbolisation et d’appropriation subjective, et cette exigence se
révèle et se déploie justement au travers de la mise en corps ou plutôt du corps en
acte39
Document 11 Expression du vécu de Nadège
1Elle décrit son père comme particulièrement proche et aimant, un peu dominateur,
mais elle déclare surtout qu’elle a exactement le même caractère que lui. […] 5
Sa fierté lui a fait rompre totalement avec lui […] 5 Elle ne le voit plus et ne lui parle
plus depuis quatre ans, mais cette attitude volontaire et absolue la laisse meurtrie.6 Ce
n’est pas un éloignement dans l’indifférence mais, au contraire, la rancoeur d’avoir
été trompée7Elle ne lui pardonne ni son infidélité, ni les conséquences
psychologiques que le divorce a entraînées sur sa mère et, par contrecoup, sur elle8
Sa mère est décrite de manière univoque : trop gentille, trop douce, se laissant trop
faire. […] Nadège décrit un ralentissement, une fatigue, une perte d’envie, une
tristesse, et même un certain degré d’incurie chez sa mère si bien qu’il a fallu qu’elle
la remplace et qu’elle s’occupe de ses deux frères plus jeunes.9 10
Elle les voit souvent et les réflexions qu’elle fait à leur endroit sont très maternelles.11
Elle est déçue que le cadet n’ait pas poursuivi ses études et elle considère que ses
frères ont encore plus durement qu’elle subi l’éclatement de la famille.12
« C’est mon pilier, il est plus mûr que moi, il est stable, il est plus sûr de lui pour moi
c’est lui, c’est mon canard. » 13
Elle se fait dans les pleurs tout du long.14« Le 12 février 2001, j’ai mis au monde
mon bébé dans les toilettes, et j’ai pas eu la force de me soulever pour m’extirper des
toilettes et je l’ai noyé16
2 Ils ont calculé qu’il était quasiment à terme et que je serais tombé enceinte en juin.
Je n’ai eu des doutes qu’en novembre ou décembre, car j’avais mal dans le
dos.15J’avais des règles irrégulières avant. Je suis allée voir mon médecin pour ces
problèmes de dos, mais ce n’est pas un vrai médecin uniquement pour les maladies
bénignes, il me consulte très vite. »17Ainsi, Nadège reste dans le soupçon de sa
grossesse18
Les fêtes se passent. Elle en parle à Kevin qui l’engage à voir un gynécologue. Elle
n’y va pas.19
Il l’engage à parler à sa mère Elle ne le fait pas20
Interrogée sur ce point, elle répond que, si elle l’avait fait : « Je n’aurais plus été sa
petite fille. »22Les propos échangés avec la mère restent donc allusifs et obscurs21
Du jour de l’an jusqu’au 12 février, le temps s’écoule passivement et pour le couple
commence à germer la réalité de cette grossesse, mais « on ne plaçait pas la grossesse
au même niveau »24
Pourtant ils évoquent déjà les prénoms possibles de l’enfant. L’un et l’autre se
croyaient au cinquième ou sixième mois.25La mère, celle à qui il fallait le dire23n’en
savait toujours rien. Le 12 février, pressée par son envie impérieuse, Nadège va aux
toilettes ; on connaît la suite26
Interprétation de cette expression par l’auteur
1Nadège va livrer une longue litanie douloureuse2 non pas concernant les faits dont
elle se sent pourtant coupable1 mais concernant sa vie familiale dans l’enfance et
l’adolescence, éden dont elle ne s’est pas remise de la perte […] suite à la séparation
et au divorce des parents2
Ces conditions ont favorisé la puissance du lien et les sentiments qu’elle nourrit à
l’égard de ses frères3
Notons au passage que cela correspond à une certaine limite de son efficience
intellectuelle5 Ses capacités sont bonnes, mais elles sont barrées par la pesanteur
affective rivée aux souvenirs malheureux4et au sentiment d’être dans une ruine
insurmontable5 6
2 L’intéressée ne signale pas non plus de troubles de l’humeur ayant précédé les
faits. Elle a, certes, connu des moments dépressifs réactionnels à des situations
familiales douloureuses, mais jamais dans la dimension d’une pathologie prononcée
qui aurait dû être traitée9
Les traits de caractère dont elle témoigne doivent être nuancés. Il y a chez elle un
fond d’immaturité10dans le sens où elle reste appendue à son histoire familiale, sans
pouvoir s’en détacher et sans pouvoir faire le deuil d’une famille qui a éclaté quand
elle avait 16 ou 17 ans11 Mais cette immaturité n’est pas un trait de caractère
définitivement fixé comme le serait un infantilisme avec une apparence de
superficialité.[…] Chez elle, au contraire, c’est le retour constant au souvenir d’une
chaleur familiale12détruite qui la laisse dépendante de la relation à sa mère et qui
alimente ses à-coups de tristesse. Il s’agit donc d’une immaturité qui n’est pas sans
profondeur13et qui revêt la forme d’un sentimentalisme14qui n’a pas été refoulé par
des défenses névrotiques suffisamment actives15 17
Le défaut de refoulement et le maintien d’une crudité fantasmatique trop intolérable
ne peuvent que favoriser l’autre mode de défense de l’inconscient18: le déni. Un déni
qui n’est pas celui de la perversion, qui n’est pas tout à fait celui de la psychose, qui
n’est pas structural mais de situation19
La structure et la tonalité de son discours excluent toute trace de pathologie mentale
aliénante. La pensée est fluide, les associations se font librement, le contact est
confiant malgré les circonstances de l’examen. En bref, il n’y a pas trace de
psychose, ni même d’anomalie structurelle de la personnalité qui viendrait favoriser
la singularité de l’acte commis et les circonstances de celui-ci7 8
3L’oasis apparente de Nadège fut la rencontre avec Kevin, il y a trois ans et demi
[…] Certes, Kevin est un soutien social et amoureux non négligeable. Il y a chez cet
homme jeune une apparence physique de solidité. Néanmoins, il n’était pas à même
de percevoir toutes les finesses d’une situation psychologique – ce qu’on ne peut lui
reprocher. Il est venu comme un emplâtre, pour non pas cicatriser la perte du père,
mais la masquer20 C’est pour ça qu’il n’a pas réellement été investi comme un futur
père rassurant21
Celle-ci est exemplaire. Non pas tant de l’affolement de Kevin24qui est naturel, mais
de sa manière d’agir : il ne reste pas auprès de sa compagne, il ne téléphone pas, mais
court dans tous les sens, prend sa voiture et va d’abord chercher la mère de Nadège22
Il fallait enfin lui dire23C’est après qu’il peut prévenir les pompiers. Quand ceux-ci
arrivent, ils constatent que Nadine comme Kevin sont restés si désemparés qu’ils
n’ont pas soulevé Nadège de la cuvette des toilettes.25
Le drame a été préfacé au printemps précédent par un avortement tardif26Là encore,
Nadège a reculé le moment de conscience de sa grossesse jusqu’à la onzième
semaine, ce qui l’a obligée à se rendre aux Pays-Bas. Là encore, sa mère n’en savait
rien27
L’infanticide à répétition des femmes célibataires appartient aujourd’hui à des temps
révolus. Lorsque le cas survient, il se présente dans une atmosphère familiale bien
particulière, lourde, pesante et silencieuse 28
Pourquoi Nadège n’a-t-elle pas plus précocement confié ses doutes sur sa grossesse à
Nadine ? Elle répond ingénument qu’elle ne voulait pas déchoir auprès d’elle de son
statut de petite fille30Plus profondément, il faut noter que Nadège avait déjà vécu une
maternité sous l’aile protectrice de sa mère : celle de ses deux frères. Ainsi, ayant
déjà vécu une maternité chez sa mère, elle ne pouvait pas en vivre une nouvelle hors
sa mère. Fonder une nouvelle famille eût été pour elle trahir et abandonner la
précédente. Son père n’a pas hésité à avoir deux nouveaux enfants29
L’infanticide est en quelque sorte un refus de transmission31Chez toute future mère
se mêlent le plaisir d’égaler sa mère et la crainte de ne pas y parvenir. C’est le statut
fait au futur enfant qui permet de dépasser cet enjeu, qui donne sa consistance à
l’enfant imaginaire32et qui dessine la place qui lui sera assignée. L’avortement de ce
processus psychique entraîne une rétention mentale qui peut durer neuf mois et qui
finit, un jour ou l’autre, là où finit toute rétention33
Nous ne sommes pas dans le processus de la grossesse d’une femme seule, mais dans
celui d’une femme seule dans sa grossesse face aux tiers qu’elle imagine et dont elle
anticipe le jugement négatif34
4 De manière irréfragable, Nadège a été en proie à cette tenaille inconsciente, par
deux fois. Par deux fois, elle est restée à mi-chemin entre le déni total et le sursaut de
conscience36 qui lui a fait reconnaître, trop tard, son état de grossesse. Il n’y aura pas
de troisième fois. Il faut souligner la déflagration que constituent pour l’intéressée le
constat de ce qui s’est passé et le sentiment de culpabilité que cela entraîne.
Sentiment de culpabilité, conscient maintenant, qu’elle devra traverser pour prendre
conscience des enjeux sous-jacents35
Il faut ajouter, dans le cas qui nous occupe, ce qui en fait toute la singularité. Nous ne
sommes ni dans un contexte de grossesse béatement reconnue, ni dans un contexte de
grossesse totalement déniée.46
Le couple formé par Nadège et Kevin est resté dans un flou, un retard, une entrave,
dans l’accueil de cette grossesse. Ils l’avaient déjà partagée entre eux puisqu’ils
avaient évoqué les prénoms possibles d’un enfant. Mais ils tardaient à se rendre chez
le gynécologue, premier pas d’une vraie reconnaissance37 Le dernier pas à franchir,
celui de l’annonce à la mère, ne l’a pas été non plus38
À l’annonce de la grossesse, chez la mère infanticide, un cauchemar commence.
Mais un cauchemar d’une extrême fugacité, qu’elle va immédiatement mettre hors
circuit non par un acte réel comme l’avortement, mais par un acte magique 39 Un
déterminisme va se mettre en place, un enchaînement logique. Ce premier temps de
l’annonce bloqué, cette inscription de l’événement ratée, elle n’arrive plus à parler de
sa grossesse. En parlerait-elle qu’elle aurait la solution. Elle serait enceinte40
La singularité des circonstances de l’acte commis ne sont pas les circonstances d’un
infanticide. Nadège ne s’est pas rendue aux toilettes dans le secret. Au contraire, elle
a fait appel : à son compagnon présent et, par son biais, à sa mère. C’est donc
d’abord elle qu’il va chercher41
Les attitudes défensives inconscientes communes, la discommunication entre les
partenaires qui avaient précédé durant plusieurs mois se traduisent par leur panique,
leur paralysie, leur empêchement à porter secours et à simplement aider Nadège à se
soulever42
Tous les observateurs sont en tout cas d’accord sur un point : l’entrave au contrôle
des actes de Nadège fut renforcée par l’entrave, de même nature, des deux témoins
chargés de la secourir. Son appel au secours la fait sortir, cliniquement, du cadre
classique des infanticides volontaires43
L’acte très singulier, dans cette affaire, a été l’expression fidèle des processus
inconscients qui en ont fait le lit : les investissements imaginaires et leurs
représentants ont également été les acteurs du mode d’accomplissement. On peut
parler d’un passage à l’acte à trois. Le foetus fut encerclé par trois dénis dégradés,
vrai guet apens à la naissance, avec une actrice principale, un spectateur ignorant et
une complice indéferrable44
Document 12 Expression du vécu de Madame T
1 « Tout reste ici, n’est-ce pas, vous ne parlez pas dehors de ce que je vous dis ? »1
La maman évoque alors, à « mots couverts », la violence du père
dirigée physiquement sur elle, et ce, en présence de Mehdi et de ses deux
autres filles (« mais ils n’entendent pas, ils sont dans leur chambre »
me précise-t-elle, croyant me rassurer)2
Elle décrit son mari comme peu présent, très impatient et colérique vis-à-vis de
Mehdi, mais sans qu’il y ait de violence physique à son égard 1BIS
Lors des premiers entretiens elle ne parlera pas du tout de ses filles 2BIS
Madame T. viendra bien au rendez-vous fixé pour elle seule. Habillée de noir,[…]3BIS
Elle m’avait dit précédemment que son mari « était contre les psychologues, qu’elle
ne lui avait pas dit qu’elle venait ici », en dépit de l’orientation pressante de l’école
vis-à-vis de Mehdi. Elle évoque alors sa situation conjugale avec un mari qu’elle ne
supporte plus. Elle est victime de sa violence, et ce, depuis le début de leur relation 3
2 […] (IVG), qu’elle vit encore comme une « plaie ouverte »11ajoutant : « Quand
j’y pense, j’ai la haine, j’ai la honte ».12Plus récemment, elle quittera son emploi se
sentant harcelée par son patron qui, selon ses dires, souhaitait avoir des relations
sexuelles avec elle. Une de ses soeurs, à qui elle s’était confiée13au sujet des
agressions du grand-frère et des problèmes avec son employeur, lui aurait répondu
que c’est elle « qui provoquait » ce type de situations par son comportement et autres
signaux, dont sa tenue vestimentaire (ses soeurs sont toutes, contrairement à elle,
voilées) 14BIS
[…] en expliquant sa violence comme la seule réponse possible face à son refus
d’avoir des relations sexuelles avec lui.
« Je me dis que c’est de ma faute, je dois mériter ça » avait-elle répété à plusieurs
reprises lors des premiers entretiens.16« Moi, je ne voulais pas d’enfants, à chaque
fois, il m’a forcée et je suis tombée enceinte » 14 15
[…] en affirmant être certaine qu’« un jour, elle le quitterait. »17
elle pourra évoquer par la suite […] la peur que ses filles soient à leur tour victimes
de violence sexuelle des hommes, oncles de la famille notamment 18
Elle me précise cependant « se sentir particulièrement mal » depuis quelque temps,
car elle a revu un de ses frères aînés qui l’aurait agressée sexuellement dès ses six ans
– il en avait alors peut-être seize ou dix-sept – et aurait, en toute impunité, continué à
le faire jusqu’à ses douze ans4
Madame T. me dira d’ailleurs n’avoir pu parler des violences dont elle était l’objet
dans un hôpital où un médecin qui la suivait avait constaté des traces de coups sur
son corps, au motif qu’il s’agissait d’un homme et qu’elle avait peur de lui révéler la
réalité19
Elle m’avoue avoir rencontré cinq ans plus tôt « une conseillère » au dispensaire de
santé, lorsque son mari l’avait brûlée au visage et qu’elle avait porté plainte 1 5Elle
(« Je suis fautive »20 « Je n’ai pas le droit d’en parler21car on va encore me le faire
payer »)22
rétractera sa plainte sous la pression d’un de ses frères lui demandant de laisser « une seconde chance » à
5
son mari
[…] lorsqu’elle me rapporte que cet été elle avait décidé de raconter à sa mère les
violences sexuelles dont elle avait été l’objet étant enfant de la part de son frère.
Cette dernière ne l’aurait pas crue et, dans une inconsciente tentative de « couvrir »
son fils, lui aurait rétorqué : « Si c’était vrai, pourquoi tu ne nous l’as
pas dit avant ? »6
Madame T. s’est sentie violemment rejetée8Alors qu’après tant d’années de silence,
elle avait décidé courageusement de révéler la vérité à sa mère7elle espérait tant
qu’elle soit, cette fois-ci, enfin entendue.9Bien que mère à son tour, elle ne pouvait
alors imaginer le « conflit de loyauté »que ses révélations allaient susciter 10
Au moment de se quitter à l’issue de cette consultation éprouvante, elle me lancera,
le regard planté droit et profond dans le mien : « J’espère que vous m’avez crue ? »,
parole qui me laissera désarçonnée et interrogative.23 […] Puis, Madame T. viendra
régulièrement me voir à la PMI pour, disait-elle, « faire le ménage dans sa tête »24
Quelques mois plus tard, elle m’expliquera que, dans sa situation de souffrance25
psychique intense, ses enfants représentaient sa seule source de plaisir et que, par
conséquent, elle supportait mal de venir me voir pour évoquer les soucis de son fils à
l’école26 27
Interprétation de cette expression par l’auteur
1Madame T. « connaît » la violence depuis longtemps, depuis toujours3 pourrait-on
même penser. Lorsqu’elle m’expose son parcours de vie depuis l’enfance, c’est un
récit cru qui me parvient, sans affects correspondant aux événements relatés 1 « Le
film » qui se déroule semble encore d’actualité et Madame T. me fait l’effet d’un
automate répétant une histoire déjà maintes fois racontée 2Seule la honte énoncée
laisse transparaître une capacité de qualifier les événements rapportés, dont la
violence caractérisée suffirait à anesthésier la capacité de penser de l’interlocuteur5
2 Démunie22ne trouvant d’appuis23 c’est avec un très fort sentiment de culpabilité 33
qu’elle était venue déposer ces éléments douloureux de son histoire de vie.
Madame T. m’apparaît alors éteinte6et triste8comme démunie9vis-à-vis de son fils,
débordée par le spectacle qu’il mettait en scène, nous regardant alternativement, avec
une grande passivité7espérant vraisemblablement que je vienne à sa rescousse10
Il semble intéressant ici de se référer à Sigmund Freud au sujet de la « compulsion de
répétition » comme moyen de dominer « l’effroi » traumatique et ses résidus qui ne
manquent pas de se représenter à la conscience du sujet, longtemps après
l’événement, avec une recherche systématique, bien qu’inconsciente, de situations
permettant à la victime de « rejouer » et de tenter de se dégager, dans le réel, de ce
qui engendre une angoisse insurmontable, en lien avec un traumatisme ancien mais
non « digéré » psychiquement (1920)29
[…] l’état de Madame, dont la tonalité dépressive11transparaît dans ses « nonéchanges » avec son enfant.
Madame T. m’évoque tout cela sans que je sente une réelle volonté (capacité ?) de
mettre fin à cette situation qu’elle semble subir, comme avec son fils, passivement12
[…] elle paraît à la fois gênée14et méfiante15Je lis dans son regard une pointe qui me
met assez mal à l’aise, comme si elle m’en voulait d’avoir accepté de s’accorder ce
temps de parole et d’échange pour elle-même, en tant que femme cette fois, et non
plus seulement en tant que mère. Je suppose alors que cette démarche ne lui est pas
familière et qu’elle vit ce rendez-vous comme une sorte de « trahison » à l’égard de
ceux dont elle va me parler17
Je sens toute la colère et la peur qui saisit Madame T. lorsqu’elle me relate ces
évènements. Aussi, je ressens à nouveau sa haine avec une mimique de dégoût
parcourant son visage […]18
Le déni de la mère venait donc comme une seconde trahison, une « nonreconnaissance » qui la laissait à nouveau face à sa cruelle solitude, avec une colère «
sans nom », sans fond19
La suite de l’existence de Madame T. se présente dès lors comme la répétition
ininterrompue de violence subie sans avoir jamais pu ni s’en défendre ni s’y
soustraire,20violence marquée par le sceau de la relation à des hommes maltraitants,
dans des circonstances où la sexualité est mêlée à la contrainte et à la peur 21
Sentiment de culpabilité24à l’origine de l’inhibition de la parole25 redevenue, au fil de
l’entretien, lieu de jouissance26: celui d’exposer à la vue d’autrui sa souffrance et de
constater combien elle peut affecter l’autre à son tour. Faire ainsi subir à autrui, par
le truchement non des actes mais de la seule parole, la violence et la douleur 28
jusqu’alors passivement subies27
C’est ainsi que Madame T. « protègera » dans un premier temps son mari 30[…] trois
enfants issus de relations sexuelles forcées et passivement subies. Ultime répétition,
elle retombera enceinte à la suite (là encore)31 d’un rapport forcé un mois après cette
consultation. Mais, cette fois-ci elle dira vouloir avorter-ce qu’elle ferad’ailleurs32
dans le secret absolu-34en affirmant […] établissant le lien avec son histoire
infantile58[…] Rappelons que c’est à l’occasion de la naissance de sa dernière fille
que la puéricultrice de la PMI lui avait proposée d’aller consulter, Madame T. se
présentant en postpartum sur un versant particulièrement dépressif35Compte tenu de
la dimension traumatique sous-jacente et du poids de la culpabilité non élaborée36 il
nous est désormais aisé de comprendre combien l’entreprise de venir porter parole
sur de tels faits pouvait être difficile et angoissante pour Madame T 37
Blessée très précocement dans son narcissisme avant même d’avoir pu consolider
son Moi en référence à une identité sexuée, c’est son identité de femme et de mère
que les événements de sa réalité venaient réactualiser39: son fils, réfractaire à toute
autorité et agité, la renvoyait à son impuissance de petite fille violée par son grandfrère ; son mari, en la battant, paraissait la confirmer dans son absence totale de
valeur58BIS la rabaissant au niveau de « pur objet sexuel » et « objet de reproduction
» lors de rapports forcés ; la naissance de sa fille, ainsi que l’advenue concomitante
de sa grande fille à l’âge de six ans, âge qu’elle avait lorsqu’elle subit sa première
agression sexuelle, venaient chacun leur tour réactiver les représentations masculines
terrifiantes du passé et les craintes de ne pouvoir, à son tour, protéger ses filles de la
violence prédatrice des hommes38
3 Rappelons que chez l’enfant, le viol doublé de l’inceste conduit à une « démolition
» de son narcissisme par défaut de protection de l’enveloppe corporelle et psychique
qui a été brutalement effractée à cette occasion. C’est donc le Moi tout entier qui est
assimilé à ce corps blessé et « intrusé »38
[…] à la décharge de ces femmes, que les liens de consanguinités retrouvés très
souvent dans la constitution des familles, notamment en Afrique du Nord,
amoindrissent encore leurs capacités de dénoncer la violence conjugale. En
l’occurrence dans notre cas, la mère de Monsieur T. se trouvait être la tante de la
mère de Madame T40
N’ayant trouvé ni secours ni écoute auprès de sa mère étant enfant, ni à l’âge
adulte41lorsqu’elle lui révéla les viols commis par son frère, Madame T. ne pouvait
espérer trouver un quelconque appui auprès d’elle pour la protéger de son mari
violent42 « Le comportement de l’adulte à l’égard de l’enfant qui subit le
traumatisme fait partie du mode d’action psychique du traumatisme » (Ferenczi S.,
1932, p. 138)44
Le défaut de contenance de la part de l’entourage participerait ainsi de l’effraction
traumatique au même titre que l’évènement lui-même43
Compte tenu de la culpabilité et de la honte ressenties 45par les femmes victimes de
telles violences, la difficulté est encore accrue dès lors qu’elle se manifeste sur un
plan sexuel, dans une culture où la femme ne se sent pas d’emblée autorisée à
dénoncer ce genre de pratique46
Le fait même de devoir faire constater par un médecin – qui peut se trouver être un
homme de surcroît – les violences subies, pour ensuite pouvoir porter plainte,
constitue bien souvent un frein dans le processus permettant aux femmes de dénoncer
ce type de maltraitances47
4Peur des hommes qui peuvent anéantir le sentiment d’existence à la fois sur le plan
identitaire et physique en attaquant le corps et les organes génitaux d’un
côté47Méfiance vis-à-vis des femmes de l’autre, avec une figure maternelle passive48
absente car non-protectrice (vraisemblablement faute d’avoir été elle-même
soutenue)50voire qui trahit en n’examinant pas la vérité d’une parole délivrée dans la
souffrance et la honte.49
La vie de Madame T. me paraît receler à elle seule l’ensemble des ferments de la
violence subie passivement, après l’avoir été de façon traumatique (viol du
frère)51prise dans les chaînes de la répétition infinie jusqu’à ce qu’un début
d’élaboration, et donc de distanciation, puisse enfin s’amorcer.
Au plaisir masochiste52de la rétention se substituent peu à peu au fil de notre échange
singulier le plaisir « du dire » et celui, plus sadique, du « faire subir à autrui ce que
l’on a subi sans pouvoir s’en défendre » : la violence crue, l’effroi à l’état brut 53
Référons- nous à la notion « d’identification à l’agresseur » développée par Sandor
Ferenczi (1932, p. 130) et de renversement de position comme issue à un évènement
traumatique (Freud A., 1946). Le traumatisme infantile non élaboré ne peut se «
dissoudre » autrement que par la répétition agie : plaisir pour le violeur de voir « sa
victime » subir une situation vécue auparavant et passivement par lui, idem pour
l’enfant battu qui devient un parent maltraitant, ou l’enfant abandonné qui, à son
tour, abandonne toute personne susceptible d’avoir de l’emprise sur lui 54
De victime, le sujet devient agresseur, dans un mouvement d’identification convoitée
lors de la situation traumatique passée54
Je compris ensuite qu’elle voulait vérifier si moi, contrairement à sa mère, j’étais
capable de l’entendre et de la comprendre55
Son fils allait venir à deux occasions avant que je ne l’oriente vers un CMP ; c’est
son père qui me l’amenait – de mauvaise grâce d’ailleurs –, ce que j’interprétai
comme une volonté de la part de Madame de lui faire prendre sa responsabilité de
père et de réserver l’espace de mon cabinet pour sa personne (la « femme » et non «
la mère de »)56
Ce qui est déjà valable pour toute mère constituait une atteinte narcissique d’autant
plus grave pour cette mère qu’elle n’avait pas d’assises personnelles solides sur
lesquelles s ‘appuyer57
Document 13 Expression de Sarah sur son vécu
Sarah, dix-huit ans, vient me voir parce qu’elle a subi une IVG il y a
quelques mois. « Je ne peux pas m’en remettre » dit-elle1
Depuis l’interruption de cette grossesse, elle est déprimée et a le sentiment de «
s’enfoncer lentement »2
Elle me parle longtemps d’elle-même, de son sentiment d’être dans une impasse3
Elle ne voit pas, ne comprend pas, pourquoi cette IVG a introduit chez elle 6cette
cassure4; pourtant elle en est sûre, ça vient de là5
Sarah revient à un second entretien avec un rêve qu’elle a fait dans les
jours qui ont suivi son IVG. Elle perd un bébé à la naissance, ça la rend très, très
triste7 […] Sarah connaît bien cette histoire et a le sentiment d’avoir toujours grandi
avec l’impression de cette perte chez sa mère8
Elle revient alors sur son rêve, disant que ça n’est pas le bébé de sa mère qu’elle a tué
en faisant l’IVG mais que, quand même, « ça y ressemblait drôlement »9
Interprétation de cette expression par l’auteur
1La fécondité adolescente peut être un témoignage muet, une mise en corps
suspendue entre le créer et l’anéantir stigmatisant la profondeur et l’intensité d’un
indicible1
La clinique de l’IVG2a parfois quelque chose à voir avec ce que l’on pourrait appeler
une forme d’agir de cette « hainamoration ». La fécondité féminine est alors ce par
quoi le dialogue mère/fille se poursuit, prenant la chair comme support3
La survenue d’une grossesse peut être le symptôme d’une souffrance au coeur de ce
lien.4
Lorsqu’il y a eu quelque chose d’impensé pour une mère autour de ces grossesses et
de ces maternités, les filles adolescentes s’enlisent parfois dans des tentatives
désespérées de réparation maternelle à travers leur propre grossesse5
Il y a parfois un sentiment très vif et intense, lors de l’entretien mère/fille autour de la
fécondité, de fusion/confusion6dont les filles ont d’autant plus de mal à se dégager
qu’elles gardent parfois le sentiment intérieur d’avoir volé la fécondité de leur mère,
une culpabilité intense7devant leur volonté intérieure de différenciation mais aussi un
désir/besoin de réparer ces mères à travers leur propre fécondité 8
2D’où la revendication maternelle qui se présente comme un dû. La question de
l’IVG chez une adolescente, confronte alors les filles à une ambivalence insondable.
Elle les situe à nouveau devant la nécessité vitale et douloureuse de symboliser une
différenciation entre elles-mêmes et leur mère11
Sarah a repris à son compte la dépression maternelle13qui, semble-t-il, vient réveiller
une culpabilité ancienne liée à la perception de la détresse maternelle et au sentiment
de ne pas réussir à la colmater, à la combler12
Sarah connaît l’histoire de sa mère et c’est ce qui va lui permettre de « remettre les
bébés à leur place »24
À travers la parole qu’elle m’adresse, elle va différencier les choses20
Pour avoir « tué un bébé » qui était à la fois le sien et celui de sa mère,19 elle est
devenue cette mère déprimée qu’elle a connue dans l’enfance18
Au fond, il n’y avait dans cette histoire qu’un seul bébé, qu’une seule femme et
qu’une seule fécondité possible, celle qui fusionne Sarah15et sa mère à partir d’un
acte dans le réel si emprunt de culpabilité qu’il devient inintégrable17et ouvre une
faille dans laquelle Sarah s’engouffre. « Je suis cette mère déprimée, je suis ce ventre
en deuil perpétuel d’un bébé trop tôt disparu » pourrait être l’énoncé inconscient14
3Le rêve de Sarah et sa parole, restituant à sa mère son passé, nous auront permis de
séparer les deux histoires21 afin que Sarah puisse vivre et penser son IVG de façon
singulière22afin qu’elle puisse penser au mieux le sens qu’avait pour elle la mise en
place de cette grossesse et la nécessité de son interruption au cœur même du lien à sa
mère23 Les entretiens lui auront permis d’accéder à une parole propre mais ce n’est
pas toujours le cas25
Ces tentatives de réparation maternelle ne sont possibles que parce qu’elles sont
sous-tendues par le fantasme d’une matrice originaire commune, la « Magmamatrice
» en deçà de toute différenciation somatique26
C’est à ce niveau que les traumas maternels liés à la fécondité et/ou aux pathologies
du deuil, peuvent être vécus par les filles comme « rejouables », réparables. 27C’est ici
que les besoins de restauration, d’apaisement des cassures maternelles peuvent être
assouvis28
À ce niveau psychique d’indifférenciation matricielle, le danger peut être grand, de
plonger dans l’abîme de la détresse d’une mère29La recherche autour de la clinique
du deuil (et notamment des deuils compliqués et/ou pathologiques) dans le rapport à
la fécondité féminine découvre alors un fantasme de Magmamatrice beaucoup plus
violent et mortifère230 31
Néanmoins, ce fantasme peut être le moyen par lequel des réparations fantasmatiques
peuvent avoir lieu, être intégrées et opérantes332
Or, il existe dans l’inconscient une sorte d’adéquation entre le « magma originaire
fécondant » et la matrice utérine. Ce que nous supposons concernant l’histoire de
l’espèce structure nos fantasmes inconscients33
La Magmamatrice est ainsi le fantasme originaire d’un matriciel collectif
indifférencié.34Il permet des réparations imaginaires transgénérationnelles en utilisant
la fécondité comme support35
Utilisé de façon pathologique, ce fantasme nous place devant des tentatives toutes
puissantes parfois si réussies qu’elles ne laissent pas de place à l’être qui en est
issu.36 Dans ce cas, l’embryon destiné à l’IVG (« précipité embryonnaire ») n’est que
la concrétisation charnelle de ce désir de toute puissance qui voudrait fourvoyer la
mort elle-même36
Àl’extrême de ce fantasme, ce qui est conçu dans la Magmamatrice de façon totale et
unique est coupé des différences générationnelles, des différences sexuelles, de
l’espace et du temps37
4Ces produits de l’inconscient qui ont pris corps dans les espaces utérins sont
souvent voués à l’IVG. Lorsqu’il n’en est pas ainsi, on peut s’acheminer vers des
difficultés pour des êtres conçus comme solution aux angoisses/traumas, comme don
ou monnaie d’échange, comme tentative d’initialisation des pertes (pour un autre ou
soi-même) et parfois comme partie intégrante de l’objet d’un rituel occulte collectif38
Le fantasme de Magmamatrice peut être pensé comme un fantasme originaire
organisateur. Il est un scénario mettant en scène une préforme non sexuée qui vient
court-circuiter les questions sur la mort ou sur la vie en donnant une « solution »
autour de l’origine de la mort dans la vie39
La Magmamatrice met en scène l’origine d’un vivant collectif, elle ignore la mort
individuelle (tout est « remplaçable », interchangeable et sans limite) 40
En clinique périnatale, le corps maternel contient a lui seul le magma originaire et
peut transcender les individualités pour des réparations transgénérationnelles parfois
morbides et pathologiques, mais pas nécessairement41
La liste est longue et les « rejetons » de ce fantasme collectif sont nombreux, autour
d’une fécondité commune qui ne disjoint pas les corps, se moque de l’espace et du
temps. Au coeur du lien de parentalité, il y a cette mise en rapport des originaires
humains fantasmés, à la fois individuels multiples et collectifs communs42
L’originaire « magmamatriciel » est cette partie commune donnée et partagée que le
fantasme collectif maintient vivante par-delà les sujets, l’espace et le temps43Des
réparations transgénérationnelles44« suffisamment bonnes » sont ainsi rendues
possibles, mais le fantasme d’un magma matriciel commun peut aussi être
l’instrument par lequel s’arriment au pathologique et à la souffrance des individus ou
des familles45
Bien tempérées ou exacerbées, toute une palette d’utilisations possibles existe. Elles
dépendront bien sûr de la dynamique psychique du sujet, de son histoire et des
moments clefs autour des événements traumatiques ou des traumas passés, réactivés
à l’occasion46
Document 14 Expression du vécu de Yasmina
Elle vit recluse dans son appartement depuis des mois et a perdu son travail 11BIS
Elle se présente aussi comme « accablée par l’abandon de ses enfants »1
« Étrangement » dit-elle, elle ne s’est pas battue mais s’est sentie « accablée » par le
résultat de la procédure2Le père des enfants a obtenu la garde et la relation avec ses
enfants s’est rapidement dégradée.3Elle les a vus de loin en loin. Ils ont alors
déménagé avec leur père à une trentaine de kilomètres de son domicile et,
brusquement, elle ne les a plus accueillis chez elle.
[…] « Comment rattraper le temps perdu de leur enfance ? »4
Si d’ailleurs leur père est tenu responsable de ce rapt de temps5, le temps des
retrouvailles au moment de l’adolescence de ses enfants est marqué dans son
discours par ce constat : « Ils m’ont abandonnée, je ne suis pas leur mère 7il n’y a
aucune complicité ! »6
[…] c’est d’ailleurs depuis [la séparation de ses parents] qu’elle se sent « accablée
par la vie »9
Si le moment de la séparation de ses parents vient indiquer chez elle la fin de
« l’insouciance », selon ses propos […] 9BIS
D’autre part, c’est bien dans ce même temps de la plainte formulée ainsi :
« Je ne suis pas reconnue comme une mère » […] 10
Elle évoque alors cette rencontre médicale pour une prise de contraception qui
constituait pour elle la première démarche lui ayant permis de s’extraire de chez
elle11
Interprétation de cette expression par l’auteur
La clinique m’a conduite à constater que les sujets rencontrés, supposés adultes,
mettent immédiatement en avant comme conséquence logique de leur malaise, un
moment de leur vie situé autour de leur adolescence où les constructions élaborées
précédemment ne tiennent plus10BIS
Il est communément évoqué que le moteur de la cure d’adulte est l’infantile. Je
postulerai que la cure d’adulte suppose tout d’abord de traverser ce temps du
pubertaire afin de retrouver les coordonnées de l’infantile13BIS
L’adolescence serait alors le moment de la mise à l’épreuve de la construction
fantasmatique élaborée dans l’infantile et mise à mal par le réel de la sexualité et
l’émergence de la jouissance. Le moment adulte pourrait alors s’appréhender dans la
validation ou l’invalidation de cette refonte. Il s’agirait alors de tester la solidité de
cette construction adolescente ou au contraire d’en mesurer les ratages afin de tenter
une nouvelle construction qui puisse tenir un temps à défaut d’être infaillible 11BIS
C’est au moment de leur adolescence qu’elle s’est en quelque sorte « réveillée de sa
torpeur » […] 11
Elle évoque dans une même logique de rupture en chaîne […] (coupure électricité,
arrêt scolarité, IVG)1BIS
[…] les images suivantes s’embrouillent comme une bobine de film qui s’emballerait
et ne respecterait plus le temps psychique du sujet.3
La séparation des parents, le départ du père en Algérie, père qu’elle
vénérait… voici donc l’origine de son malaise et de tous les maux à venir 4 « On
lui a volé son adolescence. »5
Nous voyons chez elle le souci d’un repérage du moment adolescent dans sa
difficulté de constitution puisque justement chez cette patiente13 l’adolescence est
introduite par son ratage. C’est là où le sujet s’indiquerait justement, par son absence,
là où la responsabilité du sujet ne peut s’énoncer encore que sous celle d’un Autre
tout-puissant, que le malaise prend son origine6
On lui a volé son adolescence8; rapt de l’adolescence9redoublé de celui de ses enfants
mais qui prend un autre sens pour ce sujet17 quand elle décide de se mettre au
travail12 soit précisément, ce qu’elle repère bien, dans le temps de l’adolescence14de
ceux-ci. Ainsi Yasmina pourrait-elle faire partie de ces « […] futurs adultes en crise
de maturité virtuelle, quand leurs enfants devenus adolescents18 réveilleront ces
incertitudes masquées »15 […] qu’elle s’interroge sur sa vie de femme, femme qui
serait susceptible de désirer un homme16
Document 14 Expression du vécu de Justine
Elle n’a jusqu’alors jamais souhaité rencontrer « un psy », s’est même opposée à
l’insistance du médecin à me rencontrer1
L’indécision quant à cet acte d’interruption se poursuit 2jusqu’au moment où la
patiente évoque les « quatre cents coups »3dont sa vie a été animée après la
révélation faite par sa tante4
Elle notera la nécessité de transgresser ce qu’elle percevait comme un interdit
parental à connotation incestueuse, puisqu’on la cachait… aux grands-parents5
Elle pourra alors énoncer son désir d’avoir un enfant de son ami, ce qu’elle n’avait
pu faire jusqu’alors7
Après l’énoncé de son désir, elle décidera cependant, mais « pour elle, cette fois-ci »,
d’interrompre la grossesse8
Interprétation de cette expression par l’auteur
Son histoire infantile est évoquée, reconstruite à partir de ce coup de tonnerre du réel
[…] dont elle ne peut se déprendre.1TER
Cet énoncé est suivi d’un temps d’arrêt, comme pour en mesurer son effet
transférentiel. Je lui dis : « Vous vous êtes montrée » et arrête là la séance 1 Au
rendez-vous suivant elle associera à partir de mon interprétation1BIS
Peut-être pouvons-nous émettre l’hypothèse que cette mise au travail chez cette
femme lui aura permis de mettre différemment un terme à cette grossesse voire
d’arrêter 2 la répétition d’IVG dans laquelle elle s’était engagée3
L’adolescente est souvent confrontée à ce double mouvement ; devenir femme,
devenir mère. Les demandes d’interruption de grossesse dans ce moment-là en
rendent compte4BIS
La problématique adolescente y est alors souvent marquée par cette potentialité à
devenir mère sans pourtant choisir de s’y confronter dans la réalité5BIS
Il y a une revendication à se faire reconnaître comme femme par les parents, par la
mère surtout, cette dernière percevant toujours sa fille comme sa petite fille. Mais
c’est aussi dans ce même temps que l’adolescente aura à appréhender la mère comme
femme6BIS
« Pour l’adolescente, l’assomption de sa féminité en passera, semble-t-il, par le
repérage et la reconnaissance des voies qu’emprunte la mère afin de se débrouiller
pour être à la fois femme et mère » Chez l’adulte femme2BISen devenir s’opère donc
un mouvement de retour sur ce temps adolescent où s’étaient posées les questions
suivantes : qu’est-ce qu’être femme7BIS comment devenir mère ? Après s’être
confrontée à une maternité, comment être encore femme, comment faire jouer cet
écart sans que s’opère « […] ce rabattement de la femme sur la mère […] »? 8BIS
Cette surface sans envers et sans endroit peut traduire, comme l’auteur nous le
propose, cet enchevêtrement de la névrose infantile et de la névrose adulte. […] Cette
représentation möbienne proposée par cet auteur et que je complète par le moment
adolescent peut alors rendre compte de cette construction jamais linéaire du sujet
mais bien topologique où peut être mis en exergue soit les constructions infantiles,
soit les constructions adultes. 12BIS
Document 15 Expression du vécu de Luna
1La fille est une adolescente […] elle est habillée comme certains ados de son âge,
style gothique, vêtements noirs sur une peau très blanche2BIS
Elle répète que ses parents ne la comprennent pas, qu’elle ne peut plus ni sortir, ni
voir ses amis, ni s’amuser1
Elle dit qu’elle a vécu des moments très durs et qu’elle a besoin de voir les amis et
amies qui l’ont le mieux aidée à traverser cette épreuve ; […] 2 3 elle clame son envie
de vivre et de s’amuser4et dit qu’elle a souffert et souffre 6 encore, mais que ça, ses
parents ne veulent pas le voir, qu’ils ne voient que leur souffrance à eux.
Luna est très opposée à ma proposition de la voir avec son père et sa mère 8; elle veut
bien que je les rencontre mais ne souhaite pas être là ; son père […] est
décrit comme « encore plus dur que sa mère »8BIS
Luna se dit proche du plus jeune10et décrit l’aîné comme très éloigné
d’elle, et « pensant comme ses parents », c’est-à-dire incapable
de la comprendre9
Interprétation de cette expression par l’auteur
1[…] provocante et plutôt extravertie […] 1BIS Le mythe de l’irréprochabilité […] le
mythe familial1devenant omnipotent puisqu’il fonctionne en bloquant les rituels de
passage et supprime les possibilités d’évolution devant permettre à l’adolescente de
s’autonomiser7
Ce qui va se jouer dans cette famille est un mécanisme de persécution2de Luna qui
est prise malgré elle et malgré ses parents dans une espèce de processus de rejet 3et
d’exclusion4 parce qu’elle est de moins en moins identifiée par ses parents comme
étant « des leurs »5
De son côté, elle renforce cette différence13 […] La règle familiale pourrait se
traduire par « qui n’est pas comme nous est contre nous »6
Bien qu’ayant souvent travaillé avec des situations violentes, j’ai rarement vécu dans
une famille ce moment précis où s’installe et s’amplifie cette perception de la
différence chez un patient désigné15et où le sentiment d’ostracisme17et de rejet9de la
différence par les parents les pousse à essayer d’anéantir, d’écraser, 12d’exclure10par
des moyens parfois très subtiles et pervers ces aspects de leur enfant qu’ils ne
peuvent accepter.
2[…] en parlant tout le temps de sa « deuxième famille »13 terme par lequel elle
qualifie sa bande d’amis et d’amies qui elle, au moins, contrairement à la première «
la comprend »11Elle répète souvent qu’elle sent qu’elle est en train de perdre ses
parents12Elle refuse de sortir aux côtés de sa mère et marche 50 m derrière elle pour
éviter qu’on les voie ensemble 14[…] un cauchemar qui se répétait toutes les nuits et
qui l’angoissait. « Un homme entrait dans sa chambre. Il était grand, portait une
grande cape noire et avait des cheveux gominés et coiffés un peu à la manière de son
père. Il se dirigeait vers elle, ouvrait sa cape... on pouvait alors entrevoir un foetus
ensanglanté que l’homme essayait ensuite de donner à Luna. »15
Elle m’a seulement répondu16que ce n’était pas son père qui rentrait dans sa chambre.
Peu après, les cauchemars ont cessé17
[…] ce sentiment d’incompréhension19 de solitude et d’exclusion dont elle disait faire
l’objet.
Un cauchemar se mit à la hanter dont je fus un jour la dépositaire naïve : j’appris plus
tard que le garçon dont elle avait été enceinte s’appelait … 18
2Luna se sent comme une étrangère14et crie sa douleur16; […] Luna qui me lance des
appels désespérés18en même temps qu’elle me met au défi de pouvoir changer quoi
que ce soit, surtout si je m’obstine à vouloir rassembler la famille19
Elle me semble en train d’endosser une position de « victime sacrificielle »20dont elle
essaye pourtant par tous les moyens de se débarrasser et dont je n’arrive pas à
comprendre le sens. […] il s’agit pour moi de les aider à reprendre un chemin
malgré la déchirure21
Les entretiens mère-Luna étaient calmes et confortables pour moi comme pour elles 22
L’entretien individuel (avec Luna) […] a été une espèce de séance cathartique où elle
est comme venue me « déposer » un cauchemar […] 23
J’ai fait peu de commentaires. Bien que surprise par le caractère incestueux du rêve, 24
je n’en ai rien fait. Je lui ai dit que je n’étais pas une spécialiste de l’interprétation
des rêves et que je pensais néanmoins qu’il y avait sans doute encore de la culpabilité
chez ses parents face à l’avortement et que, peut-être, ce rêve montrait qu’elle pensait
que ses parents voulaient qu’elle porte elle-même cette culpabilité. 25
3Les entretiens avec les deux parents et Luna furent, comme prédits par Luna, une
véritable catastrophe où violence, haine, culpabilisation et messages paradoxaux
fusèrent26Je ne pus que donner raison à Luna après m’être retrouvée dans un flux
émotionnel tellement confusionnant que je me suis mise à appeler Luna, « Irina »
pendant toute une séance. Irina était le prénom de son amie qui représentait pour les
parents « la putain », « la traînée », sorte de double diabolique de Luna représentant
le « mal absolu ».26BIS
Ils eurent pour objectif d’activer une solidarité autour de Luna au sein de la fratrie 27
Au travers le regard de la fratrie porté sur la génération des parents et celle des
grands-parents, je commençais à comprendre l’ampleur de la blessure narcissique
réveillée par Luna, qui les frappait tous dans la fierté de leur filiation28
Chez les deux parents, l’obligation d’une revanche par rapport à ce qu’ils ont subi de
violent dans le passé prenait la forme d’une « revendication destructive » à l’égard de
Luna29; la soumission à ces modèles réparateurs devenant pour elle le prix à payer
pour conserver une appartenance familiale30 31
[…] En effet, la triangulation P-M-Luna est source de souffrance pour tous et a un
effet gravement déstructurant et destructeur pour Luna32
Le père […] soutient officiellement sa femme qui met des limites et essaye de faire
respecter les règles, mais en même temps il soutient Luna quand sa femme n’est pas
là et la pousse à se rebeller. Plus la mère est dure avec Luna, plus le père l’encourage
à transgresser, ce qui pousse la mère à être encore plus dure 33 Officiellement, le père
soutient sa femme et Luna se sent doublement trahie et abandonnée34 Luna est prise
au piège d’un jeu relationnel qui l’entraîne dans une spirale totalitaire, violente,
intolérante et qui pousse à l’exclure36
D’une part, cette histoire montre comment à partir du lien effracté par une violence
sexuelle fraternelle déniée, une famille devient capable, pour se protéger de
l’indicible, de projeter sa pathologie sur la victime elle-même34Celle-ci devient alors
chargée des souffrances et d’un poids qui n’est pas le sien mais qu’elle prend sur
elle35
4Si l’on revient à la situation de Luna, les effets furent inattendus. Alors que la
solidarité familiale fut réintroduite dans le respect des différences37d’abord entre
Luna et Joël, puis entre les parents et que le dialogue se renoua, un secret jusqu’alors
bien enfoui refit surface.38
Cette trahison fraternelle et le déni de ses parents nourrirent vraisemblablement ce
sentiment d’incompréhension, de solitude et d’exclusion dont elle disait faire
l’objet39
Fabian, comme son frère !38BIS
On peut faire l’hypothèse que la grossesse ait ravivé les émotions négatives associées
à l’abus sexuel fraternel non seulement chez Luna mais aussi chez tous les membres
de sa famille40
Lorsque la grossesse et son interruption apportèrent leur lot de souffrance et de
culpabilité, les émotions devinrent trop intenses pour être contenues. Cette charge
émotionnelle vint questionner, avec insistance, ce secret bien verrouillé 41et amena la
famille à consulter un thérapeute. Les entretiens de fratrie permirent à Joël et Luna de
se mettre à coopérer, ce qui témoignait déjà, me semble-t-il d’une réelle capacité du
système à se mobiliser42
C’est le père qui eut la force de mettre la question des violences sexuelles du frère,
comme il disait, « sur la table ». 43
Document 16 Expression du vécu de Nouria
1En séance, elle (sa 3ème fille) pleure sans arrêt, sous l’oeil agacé de la mère – qui lui
dit de temps à autre d’un air agressif : « Tais-toi ! » ou « Arrête ! 1
La mère me dit d’un air soupçonneux : « C’est bizarre : quand c’est moi qui lui parle,
elle pleure encore plus. »2
La mère me raconte qu’elle ne voulait pas d’enfant3 mais qu’elle ne pouvait
supporter aucune contraception. Chaque fois qu’elle est tombée enceinte, elle s’est
Tourmentée4et a harcelé son mari dans l’attente d’une décision de sa part […] , mais
le mari – comme il le dit lui-même – « respecte son choix », il la laisse donc prendre
seule la décision6
Je demande pourquoi elle n’a pas eu recours à une IVG et la mère me répond d’un air
incertain : « C’est défendu par le Coran. »7BISEn fait, comme ils me laissent le
compte-rendu d’hospitalisation (du bébé), je vois une trace d’effaceur blanc sur une
ligne qui commence par 3e pare – et sous le blanc on lit « 5e geste » : elle a eu donc
recours à deux IVG depuis la naissance de sa deuxième fille 7
La mère me raconte qu’elle ne voulait surtout pas de troisième enfant parce
qu’elle est elle-même la troisième de trois filles8
Ces années-là furent « le paradis », disait-elle. Sans famille, sans cris, sans disputes,
sans insultes, sans soucis9
Interprétation de cette expression par l’auteur
1Ce qui est à l’oeuvre ici, ce sont plutôt des forces ou conditions qui se trouvent audelà du principe de plaisir et plus originaires que celui-ci – je veux parler de la
répétition, de ce daimon interne qui empêche une femme de devenir mère, dans
certaines circonstances que nous allons examiner48
(« Fais-toi avorter ! ») 49
Les parents étaient venus me voir en fait, pour se débarrasser du compte-rendu
d’hospitalisation et plus particulièrement de ce qui était recouvert par le blanc : la
faute morale de la mère. En effet, ils ne viendront pas au rendez-vous suivant et je ne
les reverrai plus jamais par la suite1
Devant une telle défaillance maternelle, Winnicott aurait parlé non pas d’une mère
qui ne sait pas tenir son nouveau-né, mais de carence de l’environnement qui entraîne
des déficiences et des distorsions graves dans la maturation du moi et dans ses
relations avec le monde extérieur. Dans ce cas, il n’y a plus un moi-plaisir et un
monde extérieur haï, mais de la haine partout, à l’intérieur comme à l’extérieur, dans
le fantasme comme dans la réalité1TER
2Ensuite, elle a rencontré celui qui allait devenir son mari, à qui elle a dit qu’elle ne
voulait pas d’enfant. Sa réponse a été : « Comme tu veux », comme d’habitude9TER
Puis tous les ennuis de contraception sont arrivés, les bébés avec, et la naissance de
Sarah qui a été l’acmé de sa vie de mère9BIS: pendant la grossesse, elle avait
l’impression d’avoir un gros caillou dans le ventre, l’accouchement fut une horreur 10
et l’hospitalisation de Sarah l’obligea à venir tous les jours dans cet hôpital qui la
rendait folle11
Lorsqu’elle arrivait et qu’elle trouvait une place libre sur le parking, elle savait que
c’était pour elle. Tout lui parlait. Tout avait un sens bizarre, les feux passaient au
rouge13pour l’empêcher d’y aller et, s’ils passaient au vert, c’est pour lui rappeler
qu’elle ne voulait pas d’enfant, ce qui était « péché » (le vert, la couleur de l’islam,
qui la culpabilise)12
Ce n’est qu’après avoir été chez son médecin généraliste, parce qu’elle ne pouvait
pas dormir14qu’elle a été orientée vers un psychiatre. […] Depuis, elle prend des
médicaments qui la mettent dans un état étrange 16mais au moins17elle ne voit plus
tous ces signes partout, ce qui la terrifiait15
Et maintenant « Que faire de Sarah ? », me demande-t-elle18 […] « De toute façon,
dit-elle, ç’aurait été mieux si elle était morte »19 elle lui donne trop de travail trop de
soucis, trop d’examens à faire encore : neurologiques, ophtalmiques, infectieux 20
2Elle a vécu ainsi, comme si elle était « gelée », dit-elle, pendant dix ans. C’est le
terme qu’emploie Winnicott en parlant d’un mécanisme de défense archaïque contre
les carences de l’environnement. Et plus nous approchons de l’origine, plus c’est
l’environnement qui est défaillant. Le processus de maturation de la psyché ne suffit
pas à lui seul, pour que l’infans parvienne à devenir un individu. Encore faut-il un
environnement qui facilite cette individuation. Ce gel ne le permet pas1BIS
En fait, elle a fait une psychose puerpérale, dont personne ne s’est aperçu, tout le
monde s’occupant de Sarah, qui a longtemps hésité entre la vie et la mort, et non
d’elle2 […] comme si Sarah était un objet quelconque qu’il fallait remiser quelque
part3J’essaie d’orienter l’entretien vers « Comment faire avec Sarah ? » mais cela «
ne lui parle pas ».6Elle est psychiquement sourde aux besoins de sa fille5et elle ne
peut même pas accepter qu’elle puisse avoir des besoins4[…] Sarah est de trop7
À travers ces histoires imbriquées comme des poupées gigognes, apparaissent un
certain nombre de constantes.47La première est l’absence de père9: qu’il soit
réellement absent, qu’il soit dévalorisé ou qu’il soit inconsistant comme le mari
de Nouria.
3 Cela rend la triangulation oedipienne difficile, sinon impossible.
Lorsque le conflit oedipien est mal élaboré chez la mère8s’installe dans la famille un
mode de relations fait d’exigences maternelles surmoïques auxquelles l’enfant ne
peut répondre10: il est de toute façon récusé comme insuffisant11
Ces mères sont gravement agressées par leur bébé qui ne peut être investi que comme
une terrible catastrophe12 La mauvaise qualité des relations objectales chez la mère
ainsi que ses problèmes d’élaboration psychique13entraînent chez l’enfant une
désorganisation – avec des difficultés d’introjection et d’identification stables, des
difficultés d’incorporation et une désintrication pulsionnelle qui le mettent en danger
de mort.14
Ces mères, qui ont eu de mauvaises relations avec leur propre mère15ne peuvent
dispenser des contacts tendres ou intimes16dont elles ont manqué elles-mêmes17
Elles ont appris à vivre séparées, comme Nouria dans son « paradis »25d’où elle s’est
sentie « délogée » par l’arrivée des enfants18et « expulsée» par la naissance de celui
qui occupe la même place qu’elle dans la fratrie19
Cela réveille en elle la passivité agressive dont elle a fait preuve enfant20et la
dédouane de toute culpabilité vis-à-vis de son propre enfant, qui n’est là – en quelque
sorte – que pour payer « les pots cassés » des générations précédentes21
La deuxième constante concerne le couple parental qui, lorsqu’il existe, est souvent
discordant22Il semble que les parents soient fermés à l’univers émotionnel l’un de
l’autre, et qu’ils ignorent totalement celui de l’enfant23
Il n’y pas de place pour quelqu’un d’un autre sexe que la mère archaïque et haineuse.
Comme la tête de Méduse sur le bouclier d’Athéna, elle pétrifie les hommes qui la
regar- dent. Ici, pétrifié, c’est être changé en objet, un objet dévalorisé, chosifié,
ramené au statut d’un morceau de viande. Les hommes qui défilent sont
interchangeables, manipulables, instrumentalisés. Ils ont un rôle purement utilitaire 24
Il en résulte, dans ces familles – que l’on appelle aujourd’hui « monoparentales » –,
un sentiment d’insécurité26que l’on peut compter parmi les facteurs déterminant l’état
pathologique de l’enfant27
La troisième constante a trait à la place du féminin : si le masculin est rabaissé, le
féminin ne bénéficie pas d’un meilleur statut31
L’être féminin est déjà une tare dès la naissance, une « faute »32que l’enfant doit
expier à travers les propos et gestes agressifs dont il est l’objet. Il est l’« objet » de la
honte33transmise d’une génération à l’autre, le morceau de chair immonde, dont il
faut se débarrasser au plus vite34
4 Il est tenu pour responsable de ce qui arrive à sa mère. Dans un curieux
retournement de situation, ce n’est pas la mère qui se sent responsable du bienêtre de
son enfant, c’est celui-ci qui est la cause de tous les malheurs de la mère35
C’est peu dire que ces femmes n’ont pas accès aux sentiments maternels. Elles ont
une haine tenace pour celui qui les a éjectées du paradis de leur « gélation », qui rend
possible le dégel et, avec lui, toute la souffrance qu’elles avaient pensé pouvoir fuir 36
La quatrième constante touche justement ce gel qui est aussi celui de l’accès
à la différence des sexes, que ces mères n’ont jamais réussi à atteindre de façon
stable et définitive37 Elles en sont restées à la différence passive, masochiste/ active,
sadique37BIS La passivité est assimilée au « devoir » de l’enfant envers sa propre
mère, dette morale par la reconnaissance de laquelle il espère toujours se faire «
aimer », espoir perpétuellement déçu39
Le sadisme à tous les niveaux est, lui, l’apanage exclusif et constitutif de la maternité
toute-puissante qui ne connaît pas de limites. Il implique un défaut d’investissement
libidinal et, plus particulièrement, un défaut d’investissement du
bébé.40L’investissement de l’enfant est remplacé par le surinvestissement de la
jouissance qu’a la mère de pouvoir, enfin, faire souffrir l’autre, l’infans, celui qui ne
parle pas et ne peut rien en dire41qui n’a même pas la possibilité de la trahir,
autrement que par des pleurs ou des symptômes corporels qui, pour elle, sont
dépourvus de sens, et dont elle n’imagine même pas qu’ils puissent en avoir un aux
yeux d’autrui42 Ces mères ne voient d’autre continuité avec l’enfant que celle de
l’expiation, de la répétition qu’elles infligent sans même faire la relation avec leur
propre vécu d’enfant43
Il y a une parenté avec la mélancolie dans la conduite de ces femmes, à cette
exception près qu’il ne s’agit pas d’auto-reproches mais de reproches adressés à
l’enfant qui est leur « ombre », la part maudite d’elles-mêmes, cette part
démoniaque44d’une force irrépressible qui leur enlève toute faculté de penser leur
conduite, d’empathie vis-à-vis de leur bébé45
Elles portent plainte – comme disait Freud – contre eux, contre l’angoisse qu’ils
réactualisent, d’être annihilées, « vidées » d’elles-mêmes, désintégrées par leur passé
et par la présence de l’enfant46 Dans leur fonctionnement, ces mères expriment de
façon privilégiée ce principe plus radical que le principe de plaisir, qui lie de façon
inextricable tout désir au désir de mort.
La clinique nous fait rencontrer des mères qui, au lieu d’un sentiment de sollicitude primaire à
l’égard de leur enfant, manifestent, au contraire, un sentiment de persécution primaire envers
lui. Cette situation est en relation avec l’absence du père22un couple parental discordant30une
dévalorisation du statut du masculin et l’accès difficile, pour ces mères, à la différence des
sexes38
Document 17 Expression du vécu de Mme P.
1Elle commença à me parler, par petites touches, de ses relations avec sa famille et
de sa grande culpabilité vis-à-vis de sa sœur mourante1
Madame, […], le laissait tout décider : son régime (trois biberons lactés, plus des
sucreries), ses heures de sommeil, ses activités...2Elle ne pouvait lui imposer que la
fréquentation de l’école et les lavements4Il n’obéissait jamais, ne jouait pas seul, ne
la laissait même pas s’éloigner pour aller aux toilettes, demandait qu’elle se
déshabille devant lui3
C’est alors qu’elle évoqua devant moi avoir subi des attouchements de la
part de son grand-père maternel pendant une grande partie de son enfance : c’était la
première fois qu’elle en parlait à quelqu’un5
Je proposai donc à Mme P... une psychothérapie avec un collègue, qu’elle a
absolument refusée6: […] Je lui proposai donc qu’elle fasse une psychothérapie avec
moi, tout en continuant de voir Adrien, mais moins fréquemment, ce qu’elle accepta 7
[…] elle m’avoua qu’elle avait « besoin » qu’Adrien ait des lavements 8Et que, pour
en obtenir la prescription par le médecin, elle ne lui donnait le laxatif
prescrit qu’irrégulièrement […] et qu’elle mentait sur la fréquence des selles et la
gravité de la constipation, en réalité très améliorées9
Mme P... a définitivement renoncé à se préoccuper des selles de son fils, qui ne reçoit
plus de lavement. La maltraitance directe persiste mais « relativement » modérée
(coups, refus alimentaires, interdictions de sortie...). 11
Je me soucie plus pour Mme P..., qui se blesse par des masturbations compulsives
avec des objets divers et commence à exprimer des idées suicidaires.13
12
Production onirique et expression de fantasmes :14
— elle subit un viol, donc doit faire une IVG, puis elle a un cancer utérin. Les
médecins et sa mère se penchent sur elle. Elle meurt15; — Adrien a une maladie
grave, mortelle. Elle le soigne avec un dévouement admirable16; — Adrien (qui
grimpe toujours partout) fait un faux mouvement sur le rebord de la fenêtre, tombe et
meurt17;— Elle masturbe Adrien.18— à la suite d’une provocation de sa mère, il saute
dix marches d’escalier et se fait une entorse de la cheville20;— quelques semaines
plus tard, alors qu’il a une gastro- entérite banale, elle le prive de toute boisson et
aliment, puis le fait hospitaliser avec une déshydratation préoccupante21
Parallèlement, elle a de plus en plus de fantasmes sexuels, terriblement culpabilisés22
2Un échec de la conception qu’elle désirait (pour faire une IVG)23 le vide terrible
laissé par l’autonomisation croissante d’Adrien24 l’amènent à désirer se « rapprocher
» de lui en le masturbant25
Pour le protéger de cet acte, le frapper est insuffisant : elle lui fait prendre sous
l’appellation de « vitamine » un comprimé d’antidépresseur […] Elle me téléphone
immédiatement après28[…] Mme P... pouvait en effet basculer d’un interlocuteur à
un autre en fonction de leur type de réponse, et changer de médicament : psychotrope
prescrit pour elle, ou pour Adrien, et même une fois, un comprimé de pilule
anticonceptionnelle (qu’elle-même ne prenait jamais...)28BIS
Ces passages à l’acte maltraitants […] alternèrent avec quatre IVG, à la suite de
conceptions volontairement provoquées29 […] « laissé aux mains d’une mère si
dangereuse30qui avait déjà tellement dit, écrit et montré qu’elle pouvait le mettre en
danger »31 […] et quand Mme P... arriva pour sa séance avec moi, le lendemain, elle
y trouva son mari et deux infirmiers qui l’emmenèrent à son hôpital psychiatrique de
secteur, en hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT), où elle resta un mois31BIS À
sa sortie, elle demanda, et obtint, malgré mon étonnement et mon peu
d’empressement, de reprendre sa thérapie avec moi32
Elle resta en contact avec moi par fax jusqu’aux 12 ans d’Adrien […] 33
— « mon corps m’appartient, il doit m’obéir » […]34; — « je n’aime pas mon
corps35je ne supporte pas qu’on s’en occupe directement, je veux que ce soit par
l’intermédiaire36d’un bébé » […]
Les sensations de « mains dans la culotte » qu’elle ressentait parfois […] 37 […] ce
que Mme P... appelait « le vide intérieur »38la terrifiait et provoquait « la rage »39
[…] qu’elle m’exprimait par ses fantasmes et ses rêves40
« Les pensées de ma mère sont tellement ancrées en moi, que je ne peux pas faire la
différence entre elle et moi41Je suis habitée par ma mère »,42disait-elle.
( « Quand Adrien est là, tout reprend sa place à l’intérieur de mon corps » ) 43
« J’ai tant espéré recevoir l’amour de ma mère après le décès d’Hélène44Cela me
revenait de droit.45Après trois ans, tout est fini de mes espoirs. » 46
« Depuis son décès, je dois payer chaque instant de bonheur. » 47 « Si je meurs,
j’existerai enfin. » 48
« Si je vais mieux, si je me sens moins coupable, cela l’accuse, je la trahis49Je fais
alors un acte mauvais pour pouvoir m’accuser, me faire accuser, souffrir, et la sauver
» ; […]
3Il se plaint de l’absence de demande sexuelle de sa femme, mais n’ose plus rien lui
imposer sur ce plan. Pour quelles raisons les refusait-elle ?50— par loyauté à sa mère
: elle serait une « salope » de pouvoir désirer un homme;51— elle veut le punir en se
refusant52; — elle se pense indigne de cet hommage53; — il penserait que tout va
bien, et « donc », se détournerait d’elle54
Elle prend conscience à cette époque qu’il est devenu « sa seule famille55». Cette idée
la met en rage56mais elle dit que dès lors, elle ne peut plus risquer de conflit direct
avec lui57: […]
[…] l’avenir, c’était « [...] être encore plus seule 58en voyant Adrien grandir,
s’autonomiser, me rappelant chaque jour qui passe mon échec de mère »59
Interprétation de cette expression par l’auteur
1Le syndrome de Münchhausen par procuration (SMPP) est une forme rare de
maltraitance de l’enfant. […] L’expression « par procuration » m’est restée
longtemps obscure. En fait, cette procuration est double, puisque trois personnes sont
en cause : la mère donne procuration à son enfant pour être malade et « soigné » à sa
place, et donne procuration au médecin pour être maltraitant à sa place envers
l’enfant1BIS
Madame, prise par son deuil1 […]
Mais en même temps, il m’était apparu que les troubles d’Adrien, même s’ils
s’amendaient un peu, étaient si profondément mêlés à ceux de sa mère, que le type de
prise en charge actuel ne pourrait pas les améliorer beaucoup plus2
J’ai reçu cet « aveu » comme un signe de confiance, d’accroche transférentielle entre
elle et moi. J’ai donc interprété son acte comme lié à l’angoisse de perdre la relation
avec le généraliste et moi si Adrien guérissait,3et ai pensé qu’un tel comportement
disparaîtrait, avec les maltraitances plus directes,4tout aussi culpabilisées, si je
maintenais une relation « suffisamment bonne » avec elle, pour « restaurer son
narcissisme »5
Il a fallu plus de 3 ans avant que, pour la première fois, de manière très culpabilisée
et très fugace, elle puisse pleurer sur la petite fille qu’elle avait été5BIS
Pour permettre à la famille d’évoluer dans sa globalité, une thérapie familiale est
initiée – en fait surtout une thérapie de couple6Cependant, la qualité de ses
élaborations lors des séances, la richesse de sa production onirique et de l’expression
de ses fantasmes7me font penser que nous sommes sur la bonne voie.
4 Ces lavements prescrits par les pédiatres la comblaient, me dit-elle60ultérieurement,
pour plusieurs raisons : — pour la première fois, Adrien « pliait »61; — et d’autres
qu’elle le violentait, ce qui soulageait sa culpabilité62— il subissait dans son corps ce
qu’elle avait subi63
« J’espère un jour pardonner à Adrien ce qu’il m’a fait devenir », disait-elle64 […] «
pour qu’il comprenne que je vais mal » ou « ce que j’ai subi »65 […] une « meilleure
enfance », une « meilleure mère »66 […] en la, ou en se menaçant d’un couteau par
exemple,67 en exigeant d’elle qu’ils se déshabillent ensemble et qu’elle passe de
longues minutes dans son lit avec lui,68 ou en refusant de répondre à certaines
questions ou comportements de sa mère, comme leur rite le prescrit. Il peut être «
gentil » ou « méchant »69[…] grimper puis marcher sur la balustrade du balcon de
l’appartement, au dixième étage70
2Malheureusement, ceux-ci, à la relecture, m’apparaissent aujourd’hui
comme un catalogue de tous les passages à l’acte8qu’elle s’appliquera à réaliser
concrètement durant les années suivantes, me mettant au défi de la / de les / de nous
sortir de là : […]
[…] comprimé d’un antidépresseur que je lui avais temporairement prescrit quelques
mois auparavant, pour tenter de réduire l’intensité de ses obsessions9
[…] obtenant ainsi la réalisation simultanée du risque mortel pour son enfant10et
l’attention de son thérapeute et des pédiatres sur elle-même au travers d’Adrien.
Cette scène se renouvellera plusieurs fois dans les mois qui suivirent, avec quelques
variantes, en particulier de « médecin référent »11: […] Ces passages à l’acte
maltraitants13[…]
« Si mon mari apprend ce qui se passe, il va me chasser, et je vais mourir. Adrien ne
peut vivre sans moi, parler serait donc condamner Adrien avec moi. »14
Soutenus par le fait qu’elle « avouait » toujours son acte aussitôt effectué15avec une
angoisse majeure pour Adrien16et une immense culpabilité17nous avons d’abord tenté
de lui laisser un espace, pensant que la respecter lui permettrait d’apprendre à
respecter Adrien.
Les troubles psychiatriques d’Adrien (troubles obsessionnels compulsifs
envahissants, hallucinations auditives), bien que toujours majorés dans les dires de sa
mère18[…]
La tension dans la famille et avec tous ses satellites thérapeutiques était à son comble
quand Mme P... m’a appelée au téléphone pour me tenir un discours de protection de
l’enfance digne de l’assistante sociale le plus passionnée, s’indignant qu’un enfant
vulnérable comme Adrien19 […]
3La véhémence de son appel au secours pour protéger son enfant 20la prise de
conscience de ce clivage absolu qui lui fait oublier que cette mère follement21
dangereuse, c’est elle-même, dessillent enfin mon esprit. Je réussis très difficilement
à convaincre M. P..., et quand Mme P... arriva pour sa séance avec moi, le
lendemain, elle y trouva son mari et deux infirmiers qui l’emmenèrent à son hôpital
psychiatrique de secteur, en hospitalisation à la demande d’un tiers ( HDT), où elle
resta un mois22
Dès que j’apprenais qu’elle recommençait à se signaler comme potentiellement mal
traitante auprès d’un des multiples intervenants médicaux ou judiciaires23: — d’une
part nous recherchions ensemble une baisse de tension, un vide dans sa vie 25(par
exemple, l’annonce par un des pédopsychiatres que le signalement au procureur avait
été classé) et l’émergence concomitante de fantasmes sexuels terriblement
culpabilisés24; — et d’autre part, je réamorçais le circuit judiciaire26: elle n’avait
guère plus peur du procureur que de son mari, mais je brisais ainsi la complicité du
secret27 permettant une nouvelle (relative) hausse de la « tension »28et donc une
protection d’Adrien et d’elle-même... au prix de la publicité de sa « mauvaiseté »29 Si
elle n’avait fait que faire absorber un psychotrope à son enfant, elle aurait été «
banalement » mal traitante31Le problème était qu’elle le clamait, son leitmotiv étant
toujours : « Je veux savoir... Je veux qu’on sache... »30
Il semble que les passages à l’acte majeurs aient disparu32sur Adrien comme sur ellemême, pour laisser place à la tension d’un conflit de couple savamment orchestrée
par les deux époux33
Quant à la relation de Mme P... avec moi, qui avait dépassé sans encombre mes
passages à l’acte « thérapeutiques », elle aboutit à une violente rupture 34 lorsque
Mme P... comprit que je refuserais de reprendre cette thérapie 36si elle se séparait de
son mari et revenait à Paris. Quelques mois après, je reçus une carte postale avec
quelques mots de reconnaissance...35
Je n’ai pu mettre le nom de SMPP sur l’étrange comportement37de Mme P... qu’assez
tardivement, […]38 Mme P... a à la fois allégué la persistance de la constipation
d’Adrien et induit cette constipation, mais aussi provoqué de nombreux «
empoisonnements accidentels » avec des médicaments39
Mme P... aurait pu cacher ces maltraitances, l’essentiel de sa pathologie consistait à
faire en sorte que « les médecins sachent »40
Mme P... a érotisé l’ « aveu », ce qui l’amenait à clamer sa culpabilité 42auprès de
l’intervenant cible du moment. Après l’internement, elle en était venue à évoquer de
faux troubles factices par procuration, puisqu’elle clamait avoir donné des
médicaments à Adrien… alors que c’était faux !43
4En
fait, on pourrait considérer son comportement comme un syndrome de
Münchhausen « simple »44(Amarilli, 1995) : elle provoquait sciemment des
conceptions pour avoir des IVG45et exhibait un comportement de folie pour conserver
des soins de la part d’un psychiatre46;
en marge, elle cherchait à se montrer délinquante pour attirer l’attention du juge 47
(discuté par Schreier, 1996), utilisant dans les trois cas une de ses « productions »,
enfant né ou à naître48
En revanche, le sujet sur lequel elle niait farouchement toute falsification était celui
des troubles psychiatriques d’Adrien50: les contacts que j’ai eus avec son thérapeute,
lorsque j’étais vraiment trop inquiète, m’ont tous (relativement) rassurée : elle me le
décrivait toujours beaucoup plus mal que les psychiatres d’Adrien ne le voyaient (ses
troubles « objectifs » étaient certes déjà assez importants)49
Sur le même modèle, elle m’a de manière récurrente inquiétée par la massivité de ses
idées suicidaires, pour les banaliser lorsque j’en arrivais à vouloir lui imposer une
hospitalisation51
[…] aucun d’entre nous tous, soignants et intervenants judiciaires, n’a pris le risque
de le séparer autoritairement de sa mère pour52
Ses relations à son corps étaient marquées par ces abus précoces53
— « mon corps m’appartient, il doit m’obéir » (et Adrien en était une partie, j’y
reviendrai)54— « je n’aime pas mon corps » je ne supporte pas qu’on s’en occupe
directement, je veux que ce soit par l’intermédiaire d’un bébé »(ou d’Adrien !)55
Elle avait d’importants éléments phobiques, essentiellement sexuels, mais aussi une
phobie des mots évoquant le corps ou la sexualité (très fréquente chez les anciens
enfants abusés, chez qui ces mots sont réifiés). Cependant ses phobies n’étaient pas
du tout du ressort d’une névrose phobique56
Les éléments obsessionnels ont été précoces, massifs et envahissants, mais sans
structure obsessionnelle stable. […] si, dans leur quasi-totalité, les phobiques
d’impulsion ne passent jamais à l’acte, elle, elle accomplissait jusqu’au bout l’acte
redouté56
Elle n’avait pas non plus de réelle structure psychotique, n’a jamais déliré […]étaient
à mon avis des « flash-back » traumatiques, plus que des hallucinations
cénesthésiques57
Lorsque j’ai réellement entendu la massivité du clivage de son psychisme, la
nécessité de l’internement s’est imposée à moi58mais pas au psychiatre hospitalier qui
l’a reçue et qui, avant de m’avoir entendue, voulait la faire sortir dès le lendemain.
5 Pour éviter le fourre-tout des « états limites », la meilleure solution théorique me
semble de faire appel à la notion de perversion narcissique59 elle en avait l’incapacité
affective et l’intelligence dans l’emprise, le déni des différences, des limites et des
lois, l’érotisation de la peur et du secret, la jouissance au détriment de l’autre,
l’alternance de maîtrise et de soumission qui tiennent lieu de tendresse et d’intimité,
impossibles60
L’absence de représentation mentale61[...] Pourtant, un élément majeur qui m’avait
donné un vain espoir, durant toutes ces années, était la « richesse » de sa vie
intérieure […] 62
La perversion narcissique, à la fois fruit et racine de l’inceste63 envahit toute la
famille verticalement et horizontalement. On retrouve dans la famille d’Adrien ses
caractéristiques, avec une transmission immuable des stratégies perverses de
génération en génération : « Être ensemble est vital et dangereux. » 64
6 La période qui va des 3 ans aux 8 ans d’Adrien débute en effet avec de multiples
changements très profonds dans l’entourage de Mme P... 82qui vont la bouleverser et
l’amener à découvrir, utiliser et perfectionner cet étrange comportement 81pour tenter
– à quel prix ! – de maintenir son équilibre psychique et celui des ses différentes
appartenances familiales, avec l’aveugle complicité de son mari et des médecins83
Dans les premières années de sa vie adulte (jusqu’aux 3 ans d’Adrien), Mme P... se «
suffit » de la tension permanente maintenue par sa mère et son mari (doutes
sur leur amour) et « d’orgasmes de peur » qui peuvent ne rester que fantasmatiques
ou ébauchés.65
[…] d’abord il lui impose des relations sexuelles à chaque retour de mission, ce qui
permet à Mme P... une sexualité subie qui n’entre pas en conflit avec les préceptes
maternels.66 […] il a sans doute servi à contrebalancer le pouvoir de sa mère
(dangereux depuis la mort du grand-père) et à maintenir une « tension interne »67chez
Mme P... pour combler « le vide » […] maintenir la « tension intersubjective
perverse » (Hurni) avec sa femme durant toutes ces années68
Le premier, Antoine, n’était en fait que l’enfant qu’elle avait donné à sa mère70et à
son mari. Elle ne l’a pas investi comme un fils et s’en éloigne 69par peur phobique71
encore un peu plus lorsqu’il devient pubère.
Adrien, est lui un objet partiel, un morceau d’elle-même72haï et indispensable73
Les fantasmes devant toujours être réalisés en actes, elle réussit à « monter » sa mère
contre Hélène, qu’elle trouvait outrageusement tyrannique dans sa phase terminale88
Mais elle allait payer très cher ces soirées passées enfin seule avec les parents, la
culpabilité89sera à l’aune de cette violence : […]
D’une manière très archaïque, elle pense qu’Hélène réclame un sacrifice humain.
Pour « payer sa dette », elle va lui offrir des morceaux d’elle-même (Adrien et des
foetus) en holocauste pour l’apaiser90
Par ailleurs, elle restera fascinée par la vue de la dégradation du corps de sa soeur 91et
vérifia pendant des années, souvent avec la complicité d’Adrien, la présence ou
l’absence dans son propre corps de « perdre ses cheveux », « cracher du sang », «
avoir un gros ventre » pour tenter de prévoir sa propre fin92
À partir de son décès, Hélène a été fétichisée par les deux parents. Mme P... a
progressivement perçu la violente inégalité de la lutte, la vanité de ses efforts pour
continuer d’attirer l’attention de sa mère, même par ses enfants. Cela a pris de
nombreux mois : […] 84
Les conséquences vont toutes dans le sens du drame : sa culpabilité87vis-à-vis de sa
soeur était majorée par l’envie qu’elle avait toujours eu de ses réussites et le plaisir 86
qu’elle avait ressenti lors de sa maladie, enfin Hélène allait « rater » quelque chose!85
Souvent malade, il permet d’attirer l’attention de sa grand-mère sur Mme P...77Mais
il représente alors une surcharge de travail d’autant plus insupportable qu’elle vérifie
de nouveau que sa mère ne s’intéresse à elle qu’en tant que mère de ses petits-fils ! 78
Elle lui demande d’être son « complément narcissique »74totalement soumis à ses
désirs,75comme elle l’était à ceux de sa mère76
Sa loyauté vis-à-vis de sa mère restera longtemps inébranlable93Elle n’exprimera
jamais de colère directe contre elle, mais une désillusion croissante 94lui fait
multiplier les comportements d’allégeance95: — confondant cause et conséquence,
sentiments et actes commis, il lui faut maintenir un haut taux de culpabilité réelle96:
[…] — la place laissée par sa mère ne doit être occupée, même temporairement,
même à sa demande, par personne97Quiconque pourrait être « meilleure mère » que
la sienne apporte un maigre et temporaire soulagement, au prix d’une rage
immense98: cela laisse peu d’espace à un thérapeute...
Mais il ne l’est pas souvent... Cette différence avec le bébé parfait souhaité79est une
attaque insupportable pour elle, qui entraîne une rage, une haine contre Adrien qui
conduisent dès les premières semaines à une maltraitance directe. Mais quand on
abîme son fétiche, les conséquences sont graves...80
[…] elle se sent obligée de quitter sa position de domination pour en prendre une de
soumission apparente99qui majore encore sa rancoeur100et les actes secrets de
rétorsion contre les « biens » de son mari (son fils, ses foetus, sa femme ou son
argent)101
7Ces sentiments seront majorés par l’unique décision de M. P... lorsqu’il apprend ce
que sa femme fait à son fils : il la fait rompre brutalement avec ses parents, tenus
pour responsables de son comportement102 Lorsque, ponctuellement, il s’intéresse
réellement à elle (et non en tant que mère de ses fils), elle se sent mieux, rage et vide
intérieur diminuent pour un temps, elle peut alors mettre des limites à Adrien, ou le
frapper « normalement » (!) sans recourir à un acte de maltraitance pervers102
Après que son mari eut appris ce qu’elle fait à Adrien, elle se rend compte qu’il
menace beaucoup et n’exécute pas..104mais jusqu’à quand ? Cela augmente son
mépris103et son désir de jouer avec ses limites à lui, pour vérifier, encore et encore,
s’il tient vraiment à elle105
Mais Mme P... avait suffisamment de loyauté pour sa propre mère 106et de haine108à
l’encontre d’Adrien pour souhaiter s’en débarrasser 107Cependant, l’envoyer à l’école
faisait réapparaître le « vide »... 109
Pour Mme P..., être mère ne signifiait que materner concrètement. Elle n’a jamais pu
jouer avec ses fils à des jeux d’imagination plaisants : ses jeux avec Adrien étaient
des jeux de société ou des jeux de rôle où il la tyrannisait rituellement. À côté des
soins physiques de maternage d’un bébé, il n’y avait rien de faisable, ni de
pensable110 […]
Quel échec ? Le début du SMPP a coïncidé avec l’arrêt des lavements... 111 […] en une
terrible– et classique – identification à l’agresseur112
Par le jeu de l’identification projective114Adrien était la partie haïe d’ellemême113représentant en même temps sa mère et son grand-père abuseur115son
premier persécuteur, en un dramatique déni de son identité 116 […] le rendant
responsable de son propre déséquilibre psychique et de celui de son couple117
Ses idées de mort à son propos étaient très claires, remontant à la grossesse 118
En même temps, elle tenait par-dessus tout à son « enfant-fétiche »119: une des
fonctions de la publicité qu’elle faisait de ses actes121était sans doute de nous inciter à
protéger la vie d’Adrien120
Elle pouvait avoir envers lui de grands élans de « collage »124(le terme de tendresse
me semble vraiment impropre), quand il se soumettait à ses désirs de maîtrise 122Il
représentait alors son identité d’enfant-victime qu’elle devait protéger de tout
et de tout le monde123
À cette période elle est confrontée à l’épouvantable réalité de la puberté d’Antoine,
son fils aîné125
8[…] dressée dès son plus jeune âge à se soumettre au désir de l’autre, pour sa mère
et son mari, elle désirait une fille. Cela lui aurait aussi évité la vision d’un pénis,
même enfantin, qui lorsqu’il s’érigeait amenait l’effroi de l’évocation du pénis et de
la sexualité adultes126
Mais la vision du corps d’une fillette soulevait un autre effroi, celui de la
castration... 127
Ce n’est que tardivement qu’elle prendra conscience du côté abusif des
masturbations parallèles sous les draps dans le lit d’Adrien. Elle a pu le masturber
directement quand il était petit128[…] Avec l’avancée de sa thérapie, elle a développé
une terreur d’en abuser sexuellement129: c’est d’ailleurs un des motifs du premier «
don » médicamenteux, faire un geste suffisamment intense pour éviter un abus
sexuel130
Son utilisation d’Adrien par le SMPP illustre bien les dramatiques clivages de son
esprit131: elle avait à la fois le désir et la rage qu’il ait […] (!) qu’elle, un suivi
psychiatrique, un juge protecteur..., pour pouvoir réparer son enfance à elle132 Il lui
semblait évident, puisqu’Adrien était elle133qu’il devait d’abord être réellement
malade et violenté (et qui d’autre qu’elle, sa mère, pouvait se charger de cette oeuvre
« vitale » ?)134
Dès 6 ans, Adrien coconstruit cette relation perverse avec elle, sur son modèle : il sait
très bien la provoquer135 […] (soumis ou opposant)136 soit comme elle désire qu’il le
soit, soit au contraire de ce qu’elle désire : chacun des deux partenaires a son propre
désir de tension, pour soutenir la relation perverse137
Sa mère et lui recherchent alors des comportements potentiellement mortels138qu’ils
ont ensemble : […] Ces prises de risque ordaliques sont cachées à M. P..., clamées
par Mme P... aux médecins139
Ces changements importants des trois piliers de Mme P...143: — la perte de l’espoir
d’avoir la première place dans le cœur de sa mère140;— l’évolution de son mari vers
la famille141; — puis l’autonomisation de son fils, soutenu par son thérapeute142 la
déséquilibrent gravement, font baisser sa tension intérieure, la laissant face à ce «
vide » épouvantable144
« Heureusement », à ce moment-là, elle rencontre des médecins salvateurs qui vont
lui permettre de retrouver un bon niveau de tension : d’abord le médecin généraliste
qui suit Adrien et lui prescrit les lavements ; puis moi qui l’écoute attentivement et
tente de « restaurer » son narcissisme ; puis le thérapeute d’Adrien, le gynécologue,
les psychiatres hospitaliers, et enfin, sur le même mode bien que non-médecin, le
juge pour enfant et son équipe : seuls les thérapeutes de couple paraîtront préservés
de ses projections clivées, probablement justement car vus... en couple !145
9 C’est donc progressivement qu’elle a pu adapter aux rapports médecin/malade que
nous lui proposions ses vieilles méthodes d’enfant pour combler le « vide »148:
inventer des histoires et les mettre en acte146pour se faire des orgasmes de peur147
Son comportement était en fait, comme nous l’avons vu au chapitre diagnostique, un
syndrome de Münchhausen psychiatrique utilisant un SMPP comme moyen149En effet,
rendre son fils malade est rapidement passé au second plan par rapport
à son objectif premier : « Je veux qu’on SACHE... ... que je suis COUPABLE... de faire
subir à mon enfant... 150 “donc” d’avoir subi, enfant... »151et satisfaire ainsi son
masochisme par l’érotisation de la peur d’être rejetée 152
Son besoin de stimulations croissantes155utilisait donc la révélation156d’un SMPP
comme drogue. « Rendre son fils malade » (SMPP « banal ») apportait comme intérêt,
outre les éléments que nous avons vus précédemment concernant sa
mère, son mari et son fils, de maintenir une position positive, gratifiante, avec les
médecins somaticiens153
Mais aucun n’a été suffisamment « intéressant » pour être durablement investi. Mme
P... a, en revanche, vite compris qu’étant psychiatre, elle devait, pour me garder
comme fétiche à sa disposition, fournir « du » symptôme psychiatrique157
Elle a fait de même avec le psychiatre d’Adrien : ne retrouvait-elle pas en
nous un « couple parental » dont l’accord n’était pas toujours harmonieux, donc
stimulant, comme celui de ses parents ?158
Elle était fascinée par notre logique (majoritairement) névrotique, nos méthodes
(amener le patient à prendre conscience, à verbaliser), nos principes (respect de
l’autre, sans s’y coller, ni le rejeter), notre éthique (respect du cadre, du secret
professionnel), notre but (diminuer la souffrance chez l’autre). 159
Pour elle, au contraire, la relation entre deux êtres ne pouvait être que narcissique,
basée sur l’alternative : dominer ou être dominé. 160Durant toute cette période, la
prise de conscience, la verbalisation des souffrances passées ou présentes, les siennes
comme celles de ses proches, n’amenaient aucune modification de ses pensées ou de
ses actes161
Au contraire, vivre sans angoisse l’exposait à un danger de mort psychique 162(le «
vide ») puis physique. Ainsi interprétait-elle mon respect pour elle, et du secret
professionnel,163comme :B— mensonger (elle a longtemps essayé de me faire lâcher
prise, bon moyen pour se faire des orgasmes de peur de surcroît) ; — un aveu de
faiblesse ; — voire un signe d’accord pour engager une « relation narcissique » avec
elle !
10 En fait, elle m’avait prise comme fétiche164(Racamier, 1995, p. 81-83) et,
fétichisée, j’ai été sans cesse comparée et mise en rivalité avec ses autres fétiches165:
— Adrien, d’abord, pose le problème du changement de cadre dans les thérapies
conjointes (Moggio-Gerstlé). Son éternel doute était : « Ne vous souciez-vous
pas166de moi que pour protéger Adrien ? » Elle ne pouvait concevoir que le
thérapeute d’Adrien et moi puissions nous soucier d’Adrien et d’elle, tant nous
savions qu’ils étaient emmêlés. Pourtant, je me souciais de la petite fille qu’elle avait
été et de la femme qui se débattait avec une telle ténacité dans ce cloaque affectif167
— Sa mère était son autre fétiche168 Sa loyauté envers celle-ci était immense169: plus
je me montrais « bonne », plus elle interprétait mon attitude respectueuse comme une
attaque de sa mère, et plus sa rage montait170— Son mari, enfin171: ce n’est qu’après
plus de huit ans, quand elle fut sûre de son couple, qu’elle put me dire avoir envisagé
de quitter son mari pour moi... 172
Un des éléments important a été sans doute le décès de son père 173C’est juste après
l’enterrement qu’elle a rompu avec moi, probablement car elle avait retrouvé avec sa
mère une relation plus mesurée. Déjà dans les mois qui avaient précédé, leurs
relations avaient pu s’apaiser un peu, avec moins d’emprise et d’exigences
réciproques. Un secret de famille a-t-il été dévoilé entre ces deux femmes ? 174
En tout cas, voir sa mère effondrée, à l’annonce du mauvais pronostic du cancer de
son père, lui avait fait reconnaître que, pour sa mère, 175son couple était
beaucoup plus important que ses enfants. Cela lui avait permis de se déprendre de la
terrible rivalité avec le fantôme de sa soeur Hélène176et, probablement, de se tourner
avec moins de culpabilité vers son couple à elle177
Elle avait pu interpréter le fait qu’il ait signé l’HDT comme une preuve d’intérêt178
pour elle. Elle avait en outre « tant souffert » pendant ce mois d’internement, qu’elle
put enfin désirer moins souffrir et connaître du ressentiment vis-à-vis de sa mère,
sans avoir l’impression de la trahir179
Dans cet investissement de son couple, elle laissa consciemment Adrien de côté, ce
qui fut sans doute très douloureux pour lui180
Dans notre cas, je pense que la solidité de la relation que nous avions nouée pendant
toutes ces années est l’élément clé qui a permis qu’elle supporte ces limites, et
s’appuie dessus pour sortir de sa relation perverse avec son fils181
Document 18 Expression du vécu de Mme A.
Mme A. demande lors d’une consultation de gynécologie : «Est-ce que vous
trouvez normal, Docteur, que je ne puisse pas rendre visite à ma fille et à mes
petits enfants et ce, depuis la naissance de son premier fils ? » 1
Avec beaucoup d’hésitations3 elle raconte que prévenue par un coup de téléphone de
sa fille, elle s’est rendue aussitôt à la maternité4
Dès son entrée dans la chambre, elle se précipite vers le berceau5 s’empare du bébé6
en s’écriant : «Mon enfant ! » 7
Son beau-fils la regarde un moment interloqué puis il se lève pour reprendre l’enfant.
Mme A. lui résiste un moment8 puis finit par s’écrouler en pleurs9
Son beau-fils la jette hors de la chambre10 et interdit à sa femme de revoir à tout
jamais sa mère. Il n’est jamais revenu sur sa décision2
A l’occasion d’une autre consultation, Mme A. raconte qu’elle a vécu chaque
étape de la grossesse de sa fille comme si c’était la sienne11 allant même jusqu’à
préparer en cachette13 des affaires pour son bébé.12
[…] elle confie que son mari l’a obligée à se faire avorter de sa seconde grossesse
parce qu’il ne voulait pas d’un second enfant14
Interprétation de cette expression par l’auteur
Les phénomènes pathologiques observés dans les familles au cours de générations
successives sont multiples. Les sévices à enfants et l’inceste sont maintenant bien
connus depuis qu’ils ont défrayé les chroniques. Les autres pathologies répétitives
sont des névroses, des psychoses, des cas de folie à deux, l’alcoolisme, la
toxicomanie, la délinquance, des maladies psychosomatiques, des troubles du
maternage, le remplacement d’un disparu, d’un enfant notamment, les fantasmes de
destinée, pour ne citer que les mieux connues10
Il ne sera question ici que la transmission aux générations suivantes de deuils
périnataux insuffisamment résolus7 Par deuils périnataux, il faut entendre tous ceux
qui résultent des pertes qui font suite à un diagnostic de grossesse qui a enclenché le
processus du devenir mère ou du devenir père8
La première partie de l’exposé servira à illustrer les deux modes de transmission
transgénérationnelle les plus aisés à observer dans la pratique obstétricale,
le syndrome de l’enfant de remplacement9
Interrogée sur l’éventualité d’une perte1BIS 2 […] Cette observation rappelle un autre
exemple de rémanence d’enfant disparu 1 […] le comportement de Mme A. […]
montrent l’extrême vivacité que les représentations d’une mère endeuillée 3 peuvent
avoir de son enfant4 et la puissance que leur projection peut exercer sur l’enfant
suivant ou un enfant de la troisième génération5
Cela ne veut pas dire que tous les enfants nés après la mort d’un frère ou d’une soeur
sont des enfants de remplacement6
Les observations rapportées dans cet exposé illustrent deux modes de transmission de
composants du deuil périnatal insuffisamment élaborés par des parents ou des
grands-parents, des mères ou des grands-mères le plus souvent11
Ces composants sont d’une part la représentation imaginaire de l’enfant disparu et
d’autre part les émotions qui accompagnent la phase aiguë du deuil et la grossesse
suivante, la peur principalement12
La projection des images mentales peut favoriser la constitution d’enfants de
remplacement. La peur transmise peut engendrer des troubles anxieux parfois très
sévères13
Les deux modes de transmission peuvent jouer un rôle dans des difficultés familiales
comme les troubles du développement des enfants, la mésentente du couple, la
rupture des relations affectives intergénérationnelles14
Document 19 Expression du vécu de Madame B.
1Elle ne parle jamais de sa mere ou de son pere mais de ses parents, […] au cote de
laquelle elle se sentait etrangere ou exclue1
2[…] qui peut dire : ≪ C’est mort en moi.11Mon corps est mort du bas, le bassin, les
jambes. ≫12Elle formula aussi cette expression enigmatique : ≪ Je suis une morte
vivante13un etre posthume ≫,[…]
[…] son objectif étant bien sûr de réaliser avec son mari un couple uni jusque dans la
fusion pour ne faire qu’un, « comme mes parents », dit-elle1BIS
≪ Je hais les gens dont j’ai besoin ≫, dit MmeB14
Elle dit avoir vecu des lors dans la haine de ses parents jusqu’a son mariage. Haine
qui l’habite encore aujourd’hui de maniere puissante et qui se dechaine lorsqu’elle
rencontre ses parents a domicile2
[…] plusieurs reves ou elle se voit morte44
[…] c’est la découverte d’une tromperie conjugale31 qui fait tout basculer. Mme B.
34
32
est délaissée pour une autre33. Un laisser-tomber Soupçonnant la tromperie elle
s’était rendue chez l’amante pour la surprendre avec son mari. Elle les trouve au
lit,[…] ce qu’elle retient de ce moment concerne le chapeau qu’elle avait offert a son
mari quelque temps auparavant. Chapeau qui reste la en plan, abandonne sur le
portemanteau dans le vestibule3
[…] dont elle dit qu’elle fut sa confidente4 une soeur avec qui elle aimait discuter5de
≪ ce qui ne regarde pas les hommes ≫.
≪ Je l’aimais, dit-elle, elle m’a entrainee dans la mort ≫ ; ≪ j’y suis ≫ ; ≪ je
m’enfonce sous terre ≫8; ≪ je lui en ai vraiment voulu de m’avoir abandonnee ≫7
6
8
8
La patiente passe son temps alitée […] ,≪ ca me rapproche d’elle, je pense a elle ≫
35
[…] ≪ immensement seule ≫15 ≪ totalement abandonnee≫16
≪incommensurablement dechet ≫17;[…]
Mme B. racontait, quant a elle, que lors du deces de sa belle-soeur, celle-ci arriva au
domicile dans un sac blanc. Elle se souvenait que, dans sa fascination, elle l’avait
trouvee dans ce moment extremement belle18et elle n’eut de cesse depuis d’esperer la
rejoindre dans la mort19
[…] retrouvailles dont elle parlait avec un grand sourire20
Allongee, elle imaginait lui donner la main21
[…] les visions que la patiente avait d’elle-meme installees dans un tres beau cercueil
au drap blanc22
Elle dit se sentir envahie, habitee interieurement par elle23
9
[…] la patiente dit qu’il est la, en elle24Mme B. se dit ≪ pourrie de l’interieur ≫25
36
Mme B. se decrit comme un dechet une criminelle ayant fait il y a bien longtemps
quelque chose d’horrible. Ce crime bien ancien, c’est une interruption volontaire de
grossesse37 Elle ne merite desormais que la mort a laquelle elle aspire38
Elle veut qu’on l’euthanasie afin de rejoindre cette belle-sœur qui la hante, ≪ qui est
en moi ≫, affirme-t-elle. ≪ Je suis dedoublee, une deuxieme personne est la qui
attend son heure. ≫40
Elle la voit qui l’appelle a la rejoindre. Elle est persuadee qu’elle vivrait dans
l’apaisement41si elle l’avait comme compagne, si elle allait avec elle main dans la
main43
Par exemple, Mme B. pouvait dire qu’elle etouffait son mari […] 10
[…] se sentir ≪ s’enfoncer sous terre ≫26 […]
On l’a sans doute trouvee dans une poubelle a la naissance27elle n’est de toute facon
qu’un dechet28 et ne peut donc occuper aucune place pour l’autre29
Elle evoque neanmoins son suicide de maniere crue a chaque entretien depuis des
annees. On l’a retrouvee a plusieurs reprises avec des objets de strangulation autour
du cou30
[…] ≪ tout est déjà fini, elle est deja morte ≫31BIS […]
Interprétation de cette expression par l’auteur
1Deux cas de melancolie delirante74dans lesquels surgissent des idees de crime75sont
ici examines, qui illustrent egalement le phenomene d’incorporation76et le syndrome
de Cotard77comme clinique de l’entre-deux-morts81
2 Le suicide de la belle-sœur constitue un quatrieme temps, d’ou l’aspiration
melancolique9la chute inexorable10 qui aboutit a l’etat catastrophique de la
cristallisation.11
La patiente passe son temps alitee, figee dans la position d’un gisant 12
Si certaines configurations psychopathologiques sont emaillees de passages a l’acte
criminels, d’autres par contre ont la particularite de laisser apparaitre chez le sujet
des idees par lesquelles il s’accusera lui-meme de crimes imaginaires plus ou moins
innommables78C’est le cas par exemple dans certains episodes melancoliques. A
partir de deux cas suivis dans un hopital de jour, je relaterai le surgissement de ces
auto-accusations dans un moment de rencontre avec la question de l’amour et du
sexe. J’evoquerai egalement a partir de ces deux cas le syndrome de Cotard comme
clinique pouvant se situer entre la mort psychique du sujet et sa mort biologique 79
Comme ses parents ne faisaient qu’un, toujours agrippes l’un a l’autre, et comme elle
ne souhaitait faire qu’un avec le mari, ainsi elle ne souhaite faire qu’un avec cette
morte45BIS
Pour ces deux cas, j’aimerais revenir sur le processus d’incorporation 13Processus par
lequel un sujet sur un mode fantasmatique fait penetrer un objet a l’interieur de son
corps14
Incorporation permettant de justesse d’eviter, non le manque, mais le vide, la
disparition de l’autre risquant d’entrainer sa propre disparition15
Incorporation pouvant laisser chez le sujet cette impression d’etre envahi de
l’interieur.16Un processus que Nicolas Abraham et Maria Torok ont bien distingue de
l’introjection decrite par Ferenczi 1.
Introjection du cote de l’enrichissement et de l’elargissement du moi, alors que
l’incorporation serait peut-etre plutot a situer dans la limitation du moi, les
potentialites et les interets du sujet etant diminues du fait de cette inclusion massive18
Ces deux cas m’intriguaient particulierement car s’ils se rejoignaient, par certains
points, autour de la thematique de ce colloque par exemple, leur evolution m’apparut
diametralement opposee entre une certaine forme de guerison pour l’un et le passage
a une grave chronicite pour l’autre.80 Je me suis donc pose la question de l’evolutivite
de ces episodes qui, dans la litterature psychiatrique classique, etaient souvent censes
guerir spontanement, a moins que le patient ne se suicidat entre-temps.
Le temps manque pour deployer l’ensemble du materiel clinique. Je vais donc
comparer les deux cas au regard de quelques aspects, a savoir l’eclosion du delire
dans son rapport avec l’amour, mais aussi le passage a la chronicite.
[…] l’etat est toujours grave3 […] prise en charge en raison de risques vitaux ;
risques biologiques du fait de l’amaigrissement anorexique massif2; risque suicidaire
majeur qui persiste encore aujourd’hui1
Ses parents tres unis n’ont fait qu’un. Une entite singuliere, une bulle, une vacuole 4
[…] entite homogene […] 5 les premières années de son mariage semblent avoir été
assez heureuses, son objectif étant bien sûr de réaliser avec son mari un couple uni
jusque dans la fusion pour ne faire qu’un, « comme mes parents », dit-elle5BIS
Le chapeau laisse, c’est elle6
Elle se rapproche alors de la sœur de son mari qui semble elle aussi rencontrer des
déboires conjugaux. L’eloignement, le decollage du lien au mari8entraine une
aventure que l’on peut qualifier retrospectivement d’amoureuse avec cette bellesoeur 7
Incorporation pour laquelle, dans la melancolie et selon les circonstances, on a pu
parler a propos du sujet d’un cannibale mélancolique et a propos de l’objet incorpore
de fantôme, de crypte ou meme d’un « cadavre exquis » entrainant un deuil
impossible19
Deuil entrave en raison d’irruptions libidinales honteuses, avant ou apres la mort de
l’objet aime, disent Nicolas Abraham et Maria Torok 20
Fabienne Hulak, dans un article de L’information psychiatrique de mai 2003, situe et
repere le syndrome de Cotard22entre la mort biologique et la mort dans le symbolique
par dissolution du sujet .
Ce syndrome se caracterise par des idees de damnation, de chatiment eternel 23de
negation ou de transformation d’organe24 La croyance delirante et frequente d’être
déjà mort25 en represente un autre aspect 6. Ce syndrome de Cotard dans une version
partielle est ici reperable chez les deux patientes sous des formes differentes 26
Phenomene bien plus present et ouvert chez Mme B. […]26 ce qui pourrait signifier
qu’elle est desormais un etre qui a vu le jour apres la mort de quelqu’un. Sans doute
cet etre posthume est-il, depuis le deces de cette bellesoeur27 et l’incorporation de
l’objet, ce nouvel etre de l’entre-deux, entre la mort biologique et la mort psychique28
3 Seglas, psychiatre contemporain de Cotard dans la deuxieme moitie du XIXe siecle,
avait bien repere ce qu’il appelait les alienes negateurs . Ces patients peuvent nier de
manière extensive et quasi megalomaniaque avoir un nom, des organes, une
existence propre, une famille, voire l’existence du monde 29Dimension de negation et
de refus qui, apres Freud et le remaniement de sa theorie pulsionnelle, sera rattachee
a la pulsion de mort et a la haine30
Cette meme patiente ne nie pas l’existence du monde, elle nie son appartenance au
monde31dont elle est irremediablement separee32≪ par un rideau de larmes34≫. Il y a
le monde, un bloc, bloc comme celui que forment ses parents, 33et elle, face a ce
monde mais ne participant en rien a lui, sauf a en etre le dechet36
Pour Mme D(B)., le chapeau delaisse n’est-il pas une figuration de l’objet qui la
represente dans le desir de l’Autre ?35Objet a chez Lacan, dont elle n’arrive pas a se
separer39et qui la fixe durablement dans cette repetition de vecu de lachage
abandonnique37
Chez les deux patientes apparait une dimension megalomaniaque du delire 40 La
megalomanie apparait aussi chez Mme B., mais ici dans le gigantisme du rien.Elle se
traduit par le fait d’etre, je la cite, […] soit, dans une identification au Christ[…]45
entouree de douze hommes en blanc, condensation d’une representation a la fois
apostolique et soignante.
Dans ses alitements intemporels et permanents46 son monoideisme47tournait autour
de retrouvailles […] un grand sourire de jouissance 48 L’identification a la
morte49apparaissait aussi, par exemple, dans les visions […] C’est ce signifiant blanc,
hommes en blanc du reve, blanc du sac de la morte et blanc du drap du cercueil dans
la fantaisie fantasmatique, qui temoignait de cette identification50
Sous l’effet de l’incorporation et de l’identification massive du moi a l’objet51la
regression, chez Mme B., est profonde et ne lui permet plus d’investir le monde 52 Ne
peut-on alors parler, dans cet exemple clinique de fantasme, d’un ≪ cadavre
exquis53≫ ?
4 Chez Mme B., l’incorporation la hante comme un Reel. Le fantome de la bellesœur est toujours la54
Incorporé massivement, cet objet entraine une anorexie des plus graves55ayant amene
a plusieurs reprises, dans les annees precedentes, la patiente en hospitalisation a
temps plein. Risque biologique vital56
Tout assiegee par ce cadavre57dont […] C’est cette meme identification a l’objet qui
la fait […] ou l’on rejoint le monde des cadavres58
Le theme de la pourriture est omnipresent chez elle.59
Bien que je n’aie jamais repere de lien associatif entre ces deux thematiques, il n’est
pas impossible qu’il existe un rapport entre l’autoaccusation criminelle en rapport
avec l’IVG et cette thematique de poubelle, de dechet.60
Si la question de la faute delirante est moins formalisee chez Mme B 61que chez Mme
D., par contre le dechainement du surmoi et de la haine62est massif chez l’une
comme chez l’autre.
On a l’impression que ce qui evite a Mme B. de passer pour l’instant a l’acte
suicidaire63c’est qu’une partie de cette haine arrive encore a se deverser a l’exterieur
envers ses proches et l’equipe de soin64
La negativite et le refus que cette patiente deployait a l’hopital de jour avaient
d’ailleurs rendu difficile sa prise en charge65
Ces refus generalises, refus de toute activite a l’hopital de jour, de tout moment
groupal, cette negativite en reponse aux tentatives de liens offerts, et la volonte de
ramener toutes les excitations et sollicitations au point zero, temoignent de la pulsion
de mort a l’oeuvre.66
On peut bien sur reconnaitre les idees de damnation et de chatiment
caracteristiques67de la melancolie, ce que la psychiatrie classique, regroupant
plusieurs genres de folie, nommait demonopathie ou possession demoniaque, mais
dans la maniere dont Mme B. deploie les choses, est evoquee une lutte a mort entre
elle et le diable.68Dualite pulsionnelle entre les pulsions de vie et de mort69Ce diable
qui, de toute facon, va tot ou tard l’emporter et plutôt d’ailleurs tot que tard car, ditelle70 […] Cette haine etait deja la dans l’enfance71 Mise en sommeil au moment du
mariage, elle resurgit de maniere massive au moment de la tromperie pour se
dechainer apres le suicide de la belle-soeur72[…] un mouvement de projection,
projetant la haine dans une exteriorite […] Ce que n’arrive pas a faire Mme B 73
Document 20 Expression du jeune femme sur son vécu
1[…] déprimée1 triste2avec des pensées de suicide3; elle n’a plus d’intérêt, ni
intellectuel, ni sexuel, s’ennuie dans son travail4et fait des malaises à répétition : elle
perd connaissance dans les transports5
L’antidépresseur, déjà prescrit lorsqu’elle vient consulter, ne lui sert pas à grandchose6mais elle y tient puisque c’est son médecin de famille, celui de son enfance,
qui le lui a donné7
Si elle va mal,8curieusement dans sa vie tout va bien, tout réussit9:
Elle a fait de bonnes études selon son choix et a très vite trouvé un emploi 9BIS […] le
travail y est ennuyeux10mais les avantages latéraux multiples : outre la promesse d’un
possible retour dans sa province d’origine, mutuelle performante, sept mois de congé
maternité, etc11
Elle vit depuis un an avec un homme qu’elle aime, pour qui elle a quitté son ancien
ami […]13 Elle ne le regrette pas14 mais se sent coupable de trahison car elle a
choisi16 avec son partenaire actuel une vie sexuelle, une emprise érotique23 qu’elle
n’avait jamais connues auparavant et qui semblent aujourd’hui disparues 15 […] elle
réalise qu’elle est très affectée d’avoir perdu la famille17 de cet ancien ami qui lui
avait donné une place et qui était « comme sa famille à elle »18 Elle découvre avec
tristesse19et étonnement20 une perte à laquelle elle n’avait pas pensé21
Sa famille, ses frères, sa province lui manquent aussi 22 bien que ce soit elle qui ait
choisi de venir vivre à Paris ; heureusement, il y a le TGV qui dessert sa ville24 25
Elle et son ami viennent d’acheter un appartement […] qu’ils ont choisi ensemble et
si la localisation géographique lui déplaît (il est situé en banlieue) 26elle n’en a rien dit
[…] ils veulent un enfant… 27
Cette acquisition en a fait les propriétaires d’un bien immobilier et vaut, pour elle,
comme confirmation de leur engagement réciproque.28
Et c’est justement dans les transports qu’elle fait des malaises29 et perd régulièrement
connaissance avec une facilité déroutante (« tomber dans les pommes » est aussi un
symptôme de sa mère, remarque-t-elle très vite).30
Le soir, quand elle rentre dans son joli appartement, avec son nouvel ami, ils boivent
un peu trop de vin et regardent un film31Cette pente d’alcoolisation l’inquiète sans
qu’elle puisse associer d’aucune façon.32 […] elle est intéressée par les pensées
nouvelles qui lui viennent et auxquelles justement elle n’avait pas pensé33
2Elle continue de perdre connaissance dans les transports34et d’être triste35sans
force36 sans appétit37sans goût38
Elle remarque que l’apparition de ses symptômes est précisément datée : en
septembre, au neuvième mois de l’année34BIS
Elle ne peut les relier, ni à un événement, ni à une parole, ni à une situation, aussi
minime soit-elle35BIS
Certes, elle préférait son ancien appartement39mais ils n’étaient pas propriétaires…
Sa mère, dit-elle, pense qu’elle devrait changer de travail : elle parle donc de sa mère
et de son travail où elle s’ennuie40 […] de chaque séance, elle dit repartir avec un mot
qui lui permet de penser41et c’est pourquoi elle revient : par exemple, « Vous avez
parlé de deuil la semaine dernière… il y a ce deuil de ma mère dont le frère est mort
bien avant ma naissance… » Ou encore : « Vous avez repris le mot ennui, ça m’a fait
penser à… »42 […] elle évoque une fois encore son travail ennuyeux43et ses
avantages44 et que, pour m’en convaincre, elle insiste sur les sept mois et demi45de
congé maternité à plein salaire, je reprends avec une interrogation explicite : Congé
maternité ? Non, bien sûr, elle n’est pas enceinte mais elle le voudrait, comme son
ami, comme ses parents46bien qu’une grossesse lui paraisse incompatible avec son
état47
La semaine suivante, elle rapporte que le mot maternité lui a rappelé48qu’elle avait
oublié de dire qu’en janvier passé, elle a fait un avortement49 [ …] un avortement
voulu choisi53[…] Bien sûr, elle désire un enfant et lui aussi50 […]
[…] elle n’en a parlé ni à ses parents croyants catholiques, ni à ses amis50BIS non pas
parce qu’elle considérait que c’était son affaire intime, mais parce qu’ils en auraient
été choqués51
[…] elle sait, depuis qu’elle a 3 ans, qu’elle a le fantasme « avoir un bébé »52 et elle
évoque avec plaisir son petit frère qui fut son « premier bébé »54
J’ai choisi, disait notre patiente55[…]
Interprétation de cette expression
1On se souvient que Lacan, en prenant pour exemple l’adage« La bourse ou la vie »,
illustra la problématique du choix forcé par la figure de la réunion de deux cercles
d’Euler, imageant ainsi la perte propre à chaque alternative 1Le paradoxe de ce « ou »,
que Lacan nomme « aliénant », est de poser le choix d’une perte, à laquelle le sujet
devra consentir, quelle que soit son option2 Il se distingue du « ou » exclusif (avec
lequel on pourrait trop vite le confondre) car ce « ou » de l’aliénation porte sur la
perte et non pas sur un objet ou un gain positif. En effet, si je choisis la bourse,
je perds et la vie et la bourse, mais si je choisis la vie, que vaut la
vie dès lors qu’elle reste écornée de la bourse ? 3
Nous le savons, la dépression se manifeste classiquement par une perte douloureuse
du goût (des choses), de l’envie (de faire, d’agir), c’est-à-dire par une amputation du
désir de vivre4
Comment cette maladie contemporaine, d’abord appelée neurasthénie (Biswanger),
puis aboulie (psychiatrie française), que Freud citait déjà en 1908, se trouve-t-elle
liée à la question du choix forcé ? 5
Ce choix forcé entraînant avec lui la problématique des biens et de la loi morale
interne6
Comment entendre ces patients qui se présentent avec ces formules : je suis déprimé,
je suis dépressif, qui affirment undiagnostic concernant leur être, un être frappé
d’abrasion, amputé de sa force vitale ?7Parmi eux, certains se caractérisent d’avoir
fait dans leur vie « les bons choix » au sens de la vie matérielle, du bon sens
commun, sans avoir jamais écouté une petite voix intérieure qui leur aurait dit autre
chose9 Pour ces patients, la dépression semble répondre à un choix, qui n’aurait été ni
formulé, ni, encore moins, dialectisé8
Avant même que les termes de ce choix hypothétique n’aient été posés, une position
unique, évidente et incontestable s’imposait à eux, obstruant par son évidence même,
non seulement la perte qu’elle impliquait mais aussi toute possibilité de
questionnement10
L’hypothèse est que, dans ces cas, un choix implicite a eu lieu, qui aurait la structure
d’un choix forcé et que l’on pourrait formuler, à la manière de l’exemple canonique :
la matérialité de l’existence (on retrouve la bourse) ou le désir11 Ce choix, non
reconnu en tant que tel, aurait, au nom de l’évidence commune, privilégié les biens
au détriment du désir et de ses incertitudes.12Si je choisis les biens, je perds le désir,
y compris le désir d’avoir des biens, et si je choisis le désir, que vaut celui-ci si je
n’ai plus les moyens d’assurer la matérialité de mon existence?13
2Un autre dicton, d’ailleurs, nous rappelle « qu’on ne vit pas d’amour et d’eau
fraîche ». Comment alors distinguer la part de restriction de jouissance nécessaire au
maintien de la vie et à la relance du désir (c’est ce qu’on appelle la castration), du
renoncement au désir (qui ne va pas sans produire une autre jouissance indissociable
de la dépression elle-même) ? 14
Bien sûr, les deux termes de ce choix, la matérialité de l’existence ou le désir,
relèvent de deux registres différents ; l’un est celui du discours commun, du bon
sens, du bon ordre15 soit une sorte de rationalité pragmatique, tandis que l’autre
relève de l’inconscient et reste en attente de formulation explicite : qu’est-ce que je
sais de mon désir ?16 Il n’y a pas dans ce choix, tel que je l’énonce, de contradiction
formelle, pas de conflit17 au sens freudien, dans la mesure où ce qui concerne le désir
reste en attente d’énonciation, de reconnaissance, voire complètement ignoré 18
Le mot choix revient souvent dans son discours.21Ce sont toujours des choix qu’elle
endosse en son nom propre, et qui ne peuvent pas être discutés, tant ils lui paraissent
évidents20Ce sont des choix raisonnables, sans excès d’ambition et sans échec19[…]
En parlant, elle découvre avec surprise la perte22qui accompagne ses choix, perte
qu’elle n’avait pas soupçonnée24ou imaginée, comme si elle émergeait d’un monde
ignorant la possibilité de la perte23
En revanche, en termes de biens, d’avoirs, elle semble parée : elle a un copain, elle a
un boulot et elle a un appart’ et elle a même le TGV (bien public) pour rentrer chez
elle (c’est-à-dire chez ses parents). C’est comme ça que les choses se disent25
Ces propos, s’ils n’étaient accompagnés d’une dépression persistante, seraient
simplement d’une grande banalité26
Dans son histoire, on cherche vainement des événements traumatiques, des chagrins
ou des ratages28: il n’y a pas eu de situations douloureuses ou traumatisantes à
première vue. Je dis bien à première vue27
Tels sont les chemins qu’elle parcourt lors des entretiens hebdomadaires : une
première lecture pourrait nous entraîner un peu vite à parler d’insatisfaction
hystérique30 Mais son discours n’est pas porté par la revendication ou par
l’affirmation de sa subjectivité31 il se caractérise, au contraire, par la difficulté à
nommer, à reconnaître les contradictions, les oppositions, les tensions qui soustendent ses choix29 Elle fait partie de ces patients qui demandent des mots pour penser
ce qui leur arrive32: […]
3Les ponctuations, les questions ou les hypothèses proposées en séance font surgir
un mot, voire une phrase33dont elle s’empare pour se réveiller, pour sortir du gel de
sa pensée ; mot qui lui permet, dans l’après-coup de la séance, d’élaborer et
d’associer34 comme si elle ne pouvait s’y autoriser qu’à la condition que le mot (par
exemple, la perte, être une femme, la féminité…)soit aussi passé par la bouche de
l’analyste35
De cet avortement raisonnable, […] 36 Si elle fut d’accord (consciemment) 36 pour cet
avortement, c’est parce qu’elle obéissait à une règle juste : « On ne peut pas faire un
enfant sans engagement préalable desparents, sans stabilité du couple. » 37
Ce type de formulation est congruent avec la loi sociale38 : droit des femmes, droit de
l’enfant à venir ; c’est aussi une sorte de doxa incontestable, de prêt-àporter39
Elle fut d’accord, pleinement d’accord, pour avorter au nom du « trop tôt » et au nom
du bien de l’enfant imaginaire40
Et, à son insu, elle participa activement de la doxa de sa génération41 et de son pays,
sans pouvoir problématiser sa décision eninterrogeant son désir personnel ou en
anticipant une souffrance quelconque42
L’absence de tension entre deux propositions contradictoires45c’est-à-dire (en termes
freudiens) l’absence de conflit46qui aurait conduit au choix conscient et à la
reconnaissance d’une perte (quel que fut ce choix) est assez remarquable.
Et quelle ne fut pas sa surprise de découvrir que le début de ses symptômes
coïncidait exactement avec la date de la naissance présumée de l’enfant non advenu.
Ce qui est classique.
Elle ne savait pas qu’elle était à ce point en « désaccord »47 (c’est son mot) avec son
acte, ni qu’elle avait choisi une perte douloureuse48
– Est-ce de l’ordre d’un déni ? Je sais bien que je désirais un enfant, mais quand
même… – Ou de la dénégation ? Vous allez penser que c’est l’avortement qui me
déprime, mais ce n’est pas ça. – Ou encore du refoulement et de son retour sous la
forme d’un symptôme dépressif bien réel ? – Ou encore de la récusation ? Oui j’ai
avorté et alors ? Ça arrive à toutes les femmes ! – Ou d’un autre processus encore ?49
En aucun cas, elle ne méconnaît son désir d’enfant ou le Refuse50 : […]
Elle fut alors enceinte et prit congé avec allégresse56BIS
Notre hypothèse, en suivant Lacan et le séminaire L’éthique, est que la
méconnaissance porte sur sa loi propre, sur la loi morale interne qui est la sienne 51
Loi morale dont la formulation est double et qui pourrait s’énoncer ainsi : dans ma
famille, on n’avorte pas ; on ne quitte pas un homme pour jouir sexuellement avec un
autre52
4Enfouie sous la loi sociale (le droit des femmes à avorter), sous la doxa53 (« C’est
bien trop tôt »), la loi morale interne n’est ni reconnue, ni encore moins admise. 54
Et c’est bien là un des enjeux de tout travail analytique56: que le sujet puisse mettre
au jour sa propre loi, dépouillée des lois secondaires, des prétendues lois qui
l’enserrent et qui l’étouffent55
Mais, en reconnaissant cette loi interne, notre patiente se trouve aussi en désaccord,
dans la mesure où cette loi interne interdit la jouissance sexuelle57
La dépression n’est pas seulement à mettre en relation avec un désir non accompli 58
(désir d’avoir un bébé) – ce qui n’est pas faux – mais avec le fait de n’avoir pas eu
d’énonciation juste59
J’appelle « énonciation juste », celle qui aurait problématisé sa décision60 qui aurait
témoigné d’un questionnement et permis d’inscrire61 la possibilité de la perte, c’est-àdire de l’imaginer62 plutôt que de la vivre exclusivement comme une amputation
réelle63
Il lui fut impossible de dialectiser deux propositions contradictoires telles que : j’ai
envie de jouir de ma nouvelle vie amoureuse64; les femmes de ma famille n’avortent
pas. L’énonciation juste aurait précédé un choix qui, de toute façon65 impliquait une
perte66: renoncer à la grossesse (le désir d’enfant restant toujours aussi vif) ou
renoncer à une part de jouissance avec son partenaire en devenant effectivement
mère, comme sa mère.
Le choix, s’il avait pu être dialectisé67 aurait alors pris appui sur sa division
subjective plutôt que sur l’évidence imposée par la doxa68
Méfions-nous pourtant d’une telle simplification car, au-delà de la doxa, notre
patiente a aussi pris en compte le pacte amoureux érotique avec son partenaire et la
place de l’enfant imaginé dans ce pacte ; en effet, « ne pas se servir d’un enfant pour
forcer le mariage ou la conjugalité » relève aussi pour elle d’une loi morale69
Peut-être a-t-elle cédé partiellement sur son désir en le reportant69BISà plus tard (on
pourrait y reconnaître la procrastination obsessionnelle) ? Peut-être a-t-elle surtout
cédé aux sirènes sociales de son temps, à une vérité d’époque ? Mais qui peut être
contre et au nom de quoi ? 70
Les biens matériels sont certes placés au premier plan71 et si l’on peut les qualifier de
« faux biens », ils ont malgré tout le mérite d’être quantifiables et objectivables. Des
questions, néanmoins, devraient pouvoir être posées et élaborées, comme par
exemple : la propriété commune de l’appartement peut-elle tenir lieu de mariage ?72
La vie professionnelle ne vaut-elle que par ses avantages latéraux au détriment
d’autres aspects plus stimulants qui engageraient le désir ? 73
5 Il ne s’agit pas de trouver des réponses tranchées et définitives (d’autant qu’au
long de sa vie, elles prendront des couleurs et des inclinaisons différentes), mais de
problématiser ces questions, de leur donner une consistance, d’y engager la
subjectivité de notre patiente.74
Si la prise érotique nouvelle et déterminante avec son nouveau partenaire ne laisse
pas de place à un enfant,75 doit-on dire qu’il s’agit là du prix à payer pour sa
jouissance sexuelle, pour le lien avec cet homme-là ? 76
Si, comme l’affirme Lacan, « tout exercice de la jouissance 77comporte quelque chose
qui s’inscrit dans le livre de la dette », l’avortement fut peut-être pour elle la
transgression nécessaire pour accéder à cette jouissance dont le prix78aura été
l’interdiction portée sur le désir : comme si, d’avoir choisi la jouissance sexuelle
(disjointe de la reproduction), elle se retrouvait en retour privée de désir. 79
Le travail avec un analyste lui permet d’élaborer la complexité80de sa propre loi
interne, qui n’est pas simplement identifiée à celle de l’église catholique et de sa
tradition familiale, mais qui se situe aussi dans le pacte symbolique entre une femme
et un homme81
Le désaccord, dont je fais l’hypothèse, porte, lui, sur les renoncements au désir82
(resté en attente d’élaboration, de formulation83 ) au nom de l’évidence commune84:
la dépression étant alors à lire comme l’écran qui masque un questionnement
implicite, en attente d’élaboration et de complexification85
En effet, que vaut alors une vie qui privilégie les biens immédiats, les jouissances
directes, qui ne prend plus, ni le risque de l’engagement symbolique, ni celui de
trouver de l’intérêt dans le travail (autre que celui des bénéfices comptables)86?
Quelles jouissances désarticulées du désir viennent alors s’imposer ? Jouissance de la
chute, de la disparition de l’aphanisis ? Jouissance de l’ennui, de l’immobilité,
de la tristesse87?
Il ne s’agit pas, en tant qu’analyste, de prôner « la pastorale conjugale et familiale »
ou la tabula rasa du confort matériel, mais de remarquer que, là où les biens
bourgeois ont pris la première place (en devenant des besoins évidents), le rapport du
désir à la jouissance se trouve distendu, défait88
Reste à savoir si le désir est Un, indivisible, monobloc, déterminé une fois pour
toutes, et s’il n’est pas trop vite confondu avec « le vouloir » conscient. Certes, le
désir s’appuie sur le fantasme, qui lui est déterminé, mais il est aussi ce qui court
d’un signifiant à l’autre, insaisissable et innommable89
Pour cette patiente, la complexité de cette question relève aussi de la position
féminine : le désir est aussi celui d’être la femme d’un homme plutôt qu’une mère
comme sa mère. À quel prix une femme cesse-t-elle d’être une fille ?90
6 Il y a peut-être une transgression nécessaire pour consentir au fantasme de son
partenaire, pour être une femme pour cet homme-là, et, du même coup, par
l’opération subjectivante de la jouissance, cesser d’être la fille de ses parents91
Selon cette hypothèse, notre patiente n’aurait reculé ni devant son désir, ni devant la
jouissance. Pourquoi devrait-elle alors payer le prix d’une dépression ?92Peut-être
parce qu’il n’y a pas eu de reconnaissance symbolique de ce passage et que la seule
validation de son engagement amoureux érotique94a été un acte de propriété93
La question du mariage se trouve ainsi posée et renouvelée, l’acte de propriété ne
pouvant seul en tenir lieu95
Remarquons encore que notre patiente est absolument conforme aux exigences
sociales de son temps et qu’elle n’est pas confrontée à une alternative qui opposerait
la raison au désir96– avec, d’un côté, l’exigence sociale à laquelle il faudrait se
soumettre, et, de l’autre, le désir porté par la loi morale interne (comme Antigone)97–,
mais prise dans cet antagonisme entre désir et jouissance, spécifique à notre
époque98antagonisme qui se répète aussi entre jouissance convenable et jouissances
pas convenables 99
La dépression, avec « les pertes de connaissance », met en scène une sorte d’abandon
de l’existence, d’évanouissement du sujet, au profit d’une jouissance délivrée des
embarras et de l’incertitude du désir100
Cette jouissance pas convenable, l’Église aux temps médiévaux en faisait un péché
(le péché d’acédie), notre société en fait une grande cause de santé publique et la
banalisation des antidépresseurs, un nouveau mode d’abrutissement des foules101
Lacan ne craignait pas de parler de « lâcheté morale »102
Remarquons que c’est en se conformant aux lois sociales et à la doxa de son temps
qu’un sujet peut se trouver en désaccord avec une loi interne qu’il ignore et qui est
pourtant la sienne propre103
Ce désaccord témoigne du vide de l’Autre ou d’un brouillage de l’Autre qui ne peut
dire au sujet ce qu’il doit faire comme homme ou comme femme, qui n’indique plus
ni les interdits, ni les passages104; livré à son prétendu « libre arbitre », le sujet ne
peut souvent que se ranger sous la doxa de son temps105 Car non seulement « le libre
arbitre » n’est pas à la portée de tous, mais il n’y a pas de « libre arbitre » et pourtant
nous ne pouvons nous empêcher d’y croire106
J’ai choisi, disait notre patiente, posant la question de la croyance, non plus en un
Dieu détenteur de vérités, mais en l’autonomie de ses choix et c’est sur cette
croyance que la dépression se fonde et se déploie107
Elle sortit de son état dépressif en passant par deux affects, la colère et le chagrin, et
en abordant la question : « Qu’est-ce qu’une femme pour un homme ? » […]
J’appris par la presse l’annonce de son mariage108
Document 21 Expression du vécu d’une jeune femme
1 « Savez-vous ce que j’ai fait hier soir ? » 1
« Voilà ! J’ai acheté une bouteille de vin et je l’ai bue cul sec. J’étais
ivre morte. Ça m’arrive de temps en temps.2Qu’en pensez-vous ? » 3
Interprétation de cette expression par l’auteur
1 J’eus plus tard confirmation de ce curieux aveuglement11
À l’une des séances, elle me regarda avec un sourire narquois : « Savez-vous ce que
j’ai fait hier soir ? » 1
Pendant quelques instants, elle joua au petit jeu « dira, dira pas2» avant de me mettre
dans la confidence, dans une sorte de défi. 3 4
À cette question, je répondis par une autre : « Quand a eu lieu votre avortement ? »
Ma question, cette fois, provoqua un bel orage5: […] L’avortement avait laissé une
douloureuse cicatrice6 qu’il n’était pas « politiquement correct »8 d’avouer7 qui n’était
même pas reconnue9 par le sujet, mais qu’il fallait noyer dans le vin10
« La fonction féminine dans sa signification symbolique essentielle […] que nous ne
pouvons retrouver qu’au niveau de la procréation » Cette phrase mérite d’être
soulignée : la procréation, la maternité porte en elle, au-delà de la biologie « fonction
symbolique essentielle. » 14
Pour aller vite, je soutiens que c’est la profanation de cette fonction symbolique 13
essentielle qui fait basculer une femme dans ce qui apparaît comme un suicide
alcoolique. 12 Cette profanation est un meurtre du désir16 un meurtre du sujet
féminin15
Cet alcoolisme féminin apparaît donc lié aux avatars du désir de
maternité17essentiellement à l’avortement, avortement non désiré, imposé
moralement ou concrètement par un homme en qui sa compagne avait placé sa foi,
c’est-à-dire occupant une place symbolique de père18
Déjà Freud avait pointé que la castration n’est supportable pour une femme qu’en
échange d’une promesse de maternité future. Si cette lettre de créance se trouve
dénoncée, la castration en devient insupportable, c’est-à-dire que la vie ne vaut plus
la peine d’être vécue19
Une femme trouve dans sa maternité une autre jouissance que phallique, une « Autre
» jouissance, comme le théorisera Lacan plus tard, jouissance mystique ou sacrée…20
2 « Mais quel rapport ? Vous êtes complètement idiot !4 » Seulement au bout de
quelques minutes, j’obtins la réponse : « Oui, j’ai avorté. J’avais 18 ans.5Il fallait
bien ! Nous étions trop jeunes et lui n’en voulait pas. Ça ne m’empêche pas d’y
penser. » 6
2 La reproduction de notre espèce, en effet, n’obéit pas seulement
à des déterminismes biologiques, elle s’effectue à travers des structures symboliques
dont la richesse n’exclut pas la rigidité.
On pourrait parler d’un pacte sacré qui lie hommes et femmes dans l’effectuation de
cette fonction. 21
Si ce pacte sacré est bafoué, et il l’est généralement par le partenaire masculin, cela
produit des ravages dont l’alcoolisme est une des formes22 Le progrès des techniques
médicales, l’évolution des moeurs sociales, ont introduit un fort relativisme dans la
valeur de ce pacte23
J’ajouterai, pour conclure, trois remarques :
– il y a lieu de s’interroger sur une dérobade répandue chez les
hommes à répondre au désir féminin de maternité. On la note, en
particulier, chez des sujets ayant traversé les grandes tragédies du
XXe siècle, en particulier la Shoah. C’est d’ailleurs le cas de Serge
Doubrovsky ;
– l’alcoolisme masculin ne me paraît pas répondre aux mêmes déterminants
psychiques que ceux de l’alcoolisme féminin. Ils entretiennent l’un avec l’autre les
mêmes rapports de symétrie que ceux de l’OEdipe masculin avec ceux de l’OEdipe
féminin ;24
– enfin, la débâcle de la « fonction symbolique essentielle de la maternité 25 » ne
débouche pas nécessairement sur l’alcool. Tout autre toxique peut faire l’affaire.
Mais il s’agit là d’une hypothèse pour laquelle le matériau clinique dont je dispose
est très limité. D’autres collègues disposent peut-être, sur ce point, d’informations
plus précises26 À cet égard, ma contribution est à considérer comme une introduction
à un travail collectif sur ces questions de l’alcoolisme et de la toxicomanie, fléaux de
plus en plus ravageurs.
Document 22 Expression de Michèle sur son vécu
1 Elle s’assoit sur le bord de la chaise, silencieuse, tête baissée, presque apeurée 1BIS
Ce premier entretien, marqué par un long silence […] 1
Évoquant son rendez-vous chez le neurologue […] «Ce sont des enfants qui
jouent, normal pour des enfants, comme tous les autres enfants, avec des cris et
des rires… ce que j’ai dans le ventre, c’est un enfant aussi»2
Parallèlement, elle évoque un sentiment d’étrangeté : son enfant est porteur de
quelque chose de différent3
Lors d’un entretien ultérieur, Michèle évoquera deux rêves4:
«elle est dans un escalier roulant, seule ; alors qu’elle monte, elle voit un petit
garçon sur le bord qui la regarde ; elle poursuit son ascension, en se retournant
pour le regarder.
Dans le second rêve, elle monte un escalier et tombe. Un enfant s’approche alors
pour la relever».
Elle s’interroge : laisse-t-elle l’enfant sur le bord ou bien est-ce lui qui la laisse
poursuivre sa route7?
La succession de ces deux rêves lui fait évoquer […] une interruption volontaire
de grossesse5réalisée dix ans auparavant : l’atteinte foetale en serait alors la
punition6
[…] j’apprends que sa mère est décédée il y a quelques années, d’un cancer du
sein qui s’est généralisé. Elle n’en parlera pas davantage8
Lors d’une séance faisant suite à un rendez-vous avec l’obstétricien, Michèle
exprime une vive colère car l’information délivrée sur les possibilités de prise en
charge de son foetus – voir son corps, le prénommer, l’inscrire, pratiquer une
autopsie, organiser des obsèques– suscite en elle de grandes interrogations.
Toutes ces propositions lui semblent «totalement paradoxales»9: […]
Sa décision est prise : elle souhaite interrompre cette grossesse10 Le poids du
diagnostic est très lourd, trop lourd pour elle11 d’autant qu’elle est très souvent
seule12 – comme d’ailleurs en ce moment. Le sens initial de leur projet conjugal –
avoir un enfant– ne peut évoluer en projet individuel d’accueillir un enfant
handicapé.
2 Michèle accouche d’un petit garçon qu’elle a finalement souhaité voir, mais a
refusé l’autopsie, invoquant des motifs religieux14 ; […] Son séjour à l’hôpital est
marqué par un fort repli sur elle33 […]
Elle est restée claustrée, volets fermés, ne souhaitant voir personne, ni même la
lumière du jour perçue comme agressive.15
Une période de vacances va permettre à Michèle d’aller rejoindre son conjoint à
l’étranger ; très attendu par elle16ce temps de retrouvailles sera difficile puisque
son mari fuyait les moments d’intimité de couple17: à aucun moment, ils n’ont pu
se retrouver seuls pour évoquer cette perte18
[…] ils pourront regarder ensemble les photos du bébé, évoquer l’absence, le
manque, la tristesse ainsi que le projet d’un autre enfant dans l’avenir19
Contrairement à lui, elle se sent maintenant prête mais accepte de l’attendre20 21
[…] Au fil des entretiens, émerge le désir de s’investir dans la rédaction
d’articles, activité laissée en suspens depuis son mariage22 : […] Mais avant tout,
Michèle exprime le besoin de mettre du lien : elle souhaite tisser un pont entre
l’avant et l’après, elle avant et elle après, pour elle-même, pour son couple… et
aussi pour ce bébé23
Michèle évoque la mort de sa propre mère, le silence et les non-dits qui ont
entouré son départ24 […] excusant son père qui voulait protéger ses filles27
Selon elle, son père était submergé par la douleur et la violence de la réalité et se
trouvait donc dans l’incapacité totale de verbaliser quoi que ce soit devant ses
enfants, pourtant déjà adultes26
Ces remémorations la renvoient à la situation présente ; les entretiens lui ont
offert un cadre autorisant l’expression des émotions et des affects29 […] alors que
spontanément elle aurait voulu fuir, tant elle se sentait envahie par un sentiment
d’anéantissement30
Michèle exprime aussi son sentiment de réunification, de réconciliation31entre
elle et son bébé, tout comme celui de retrouvailles avec sa mère morte32
Interprétation de cette expression par l’auteur
1 L’interruption de la grossesse, qu’elle soit décidée pour motif médical ou
spontanée, implique un arrêt du processus de parentalisation et nécessite un
travail psychique de désinvestissement du foetus80
De surcroît, elle est bien souvent méconnue socialement même si de récentes
modifications des lois1 entourant la reconnaissance des deuils périnataux tentent
de répondre à la souffrance des parents.
Cette « réponse humaine » aux familles endeuillées ne remplace cependant pas le
temps d’élaboration nécessaire à la perte81Car à la fois objet-non objet, ce foetus
fait courir le risque d’un deuil mélancolique puisque encore incorporé au Moi82
Je vous propose de nous immerger dans la clinique du traumatisme et les
processus psychiques en jeu lors d’une perte périnatale en suivant le chemin de
Michèle84BIS
[…] un long silence que j’« entends », fait suite au bouleversement du temps de
l’échographie et de l’amniocentèse1: temps d’effraction physique2avec le geste
intrusif de l’aiguille associé à l’effraction psychique du diagnostic3
Suite au chaos dans lequel elle vient d’être plongée, le temps paraît figé4 Au bout
d’un moment, elle relève la tête et me regarde ; son regard semble dire qu’elle
m’est reconnaissante de ce silence, silence qui lui permet de se rassembler et de
se restaurer5L’amniocentèse l’a plongée d’emblée dans le diagnostic anténatal ;
dès lors, elle pénètre dans quelque chose de violent, voire de morcelant,
interrogeant cette grossesse, son issue, les représentations du foetus-futur
bébé…6
[…] Michèle est frappée, dès la salle d’attente, par tous ces enfants handicapés
qui jouent aux cubes et aux legos7
À la fois, elle sait gré aux médecins de lui présenter la réalité de l’atteinte
foetale8 mais elle exprime son ressentiment à leur égard : selon elle, le
diagnostic, préoccupation centrale du corps médical, occulte le foetus comme
enfant en devenir pour ne voir que l’objet d’investigations et de soins9
Ne faut-il pas aussi voir là l’hostilité à l’égard de son foetus déplacée sur
l’équipe soignante10? La haine primitive entre la mère et son bébé décrite par
Winnicott4, est inentendable et source de grande culpabilité lorsque « His
Magesty the Baby »5 n’est pas conforme aux promesses11
2 Ce quelque chose d’invisible qui entraîne des répercussions tellement visibles à
l’échographie qui, telle un oeil scrutateur chargé de traquer la moindre anomalie,
permet cette radiographie de l’intérieur14
Du contenu utérin à l’intérieur foetal, cette incursion à l’intérieur d’elle-même
conduit le regard vers l’intérieur de son bébé : il réside alors un paradoxe puisque
qu’extérieurement, rien n’apparaît12
En effet, ce foetus une fois né, ne révèlerait rien extérieurement de son atteinte
cérébrale13
L’inquiétante étrangeté est renforcée par la solitude du choix ; en effet, bien que
l’assurant de son soutien, son mari vient de partir pour l’étranger. Alors que ce
projet de bébé était un projet de couple, elle se retrouve seule à choisir l’issue de
la grossesse et quelle que soit sa décision, c’est de mort dont il s’agit : mort d’un
bébé, mort d’un projet et atteinte narcissique majeure dans sa capacité à faire un
bébé bien portant15
REVIVISCENCE DES PERTES ANTÉRIEURES 29
Escalier roulant, escalator d’aéroport, aurait-elle envie de partir elle aussi, de fuir
cette impossible décision16? L’escalier roulant évoque également quelque chose
d’inexorable, qui avance sans qu’on puisse l’arrêter, comme si elle était aux
prises avec un processus qu’elle ne contrôle pas17; la chute du rêve fait penser à
l’effondrement consécutif au diagnostic18
Nous voyons l’émergence de la représentation de son foetus comme d’un futur
enfant19
La succession de ces deux rêves lui fait évoquer, avec une certaine
culpabilité20[…] une interruption volontaire de grossesse réalisée dix ans
auparavant […] M. Bydlowski6 fait un lien entre IVG et dette de vie où
l’avortement permettrait de tuer sa mère à l’intérieur de soi, autorisant la fille à
devenir femme20BIS; mes associations me conduisent alors vers sa mère : qu’estce que ce rêve vient dire d’elle-enfant sur le bord dans le lien à sa mère ?
[…] son silence, lourd, m’interroge à la fois sur l’élaboration de ce deuil, comme
si cette perte, très douloureuse, était encore difficilement pensable21 mais aussi
sur les traces laissées par son IVG22
Nous voyons combien le traumatisme actuel et la blessure narcissique qui en
découle, réactualisent des fantasmes archaïques et des pertes antérieures23
3 […] en effet, si l’on s’inscrit dans une démarche médicale où le foetus est
considéré comme un objet d’investigations, l’incurabilité de la pathologie rend
l’interruption de grossesse acceptable puisque confrontant la réalité aux limites
de la médecine ; l’autopsie s’inscrit alors dans cette continuité où le corps malade
doit être analysé comme un objet de soin et expertisé à des fins diagnostiques et
pronostiques. Par conséquent, la proposition de prénommer et de l’inscrire à
l’état civil devient caduque puisqu’il s’agit d’un objet de recherche et non pas
d’un sujet humain en devenir.
En revanche, le fait de voir et de prénommer – actes reconnaissant une place de
sujet au produit d’expulsion– correspondent pour elle à l’identification de cet
autre à l’intérieur d’elle et donc à l’individuation du foetus comme être à part
entière25
Dans ce cas, l’interruption lui paraît inconcevable et inacceptable26 Et mettre sur
le même plan ces différentes propositions est pour elle source de grande
confusion24
Sa colère illustre la question du statut de ce foetus, problématique centrale dans
le deuil périnatal : être par la chair ou par la parole7 ? Foetus authentique ou
foetus tumoral8 ? 27
Dans le cas présent, les propositions de voir, prénommer, arrivaient peut-être un
peu tôt dans le temps de la grossesse psychique où Michèle est avec cet autre à
l’intérieur d’elle comme un prolongement d’elle-même28
La réalisation de l’IMG en elle-même est redoutée puisqu’il s’agit d’accoucher «
normalement » ; or l’accouchement, lié à l’acte de donner la vie, semble
incompatible avec celui de donner la mort30
[…] on peut aussi imaginer que ce serait peut-être le tuer une deuxième fois ?31; […]
cet état de régression est consécutif à l’effondrement devant son ventre vide et la
perte de son bébé32: aucune parole n’est possible, comme si l’épreuve physique à
laquelle elle venait d’être confrontée avait mobilisé toute son énergie, comme si son
corps, écartelé, devait d’abord récupérer avant de pouvoir ensuite penser ce qu’il
venait de s’y passer et d’y mettre du sens.33
Le deuil périnatal a ceci de particulier qu’il ne peut être assimilé au travail de
deuil classique, tel que décrit par Freud9, puisque l’objet est perdu avant même
d’être connu83
4 SelonSoubieux, il dépend de nombreux facteurs en lien avec les objets internes et
les relations précoces et le premier temps est celui de la survie psychique 34; ainsi
pour Michèle, la sortie de maternité a été un moment particulièrement difficile,
puisqu’il s’agissait de rentrer le ventre vide sans rien ni personne dans les bras35
Repliée sur elle-même, elle a traversé une phase de régression intense36renforcé par
l’état de transparence psychique propre à la grossesse, exprimant une nostalgie du
retour à l’état de fusion avec la mère des premières relations37; cette régression
narcissique s’inscrit également dans un mouvement identificatoire au foetus,
contribuant à lui donner réalité pour pouvoir s’en détacher ensuite 38
Je reçois sa souffrance dépressive comme la conséquence du travail de deuil et de
désinvestissement de son bébé en devenir39
Peur de se retrouver face à face avec la mort entre eux deux ? 40 Refus de voir la
réalité ?41Elle qui s’est confrontée à cette réalité traumatisante,43elle qui n’a pu la fuir
puisque se passant à l’intérieur de son propre corps, elle aurait aimé pouvoir en
transmettre quelque chose à son conjoint44lui faire partager sa douleur, peut-être
aussi lui faire éprouver quelque chose de l’insupportable45dans l’espoir d’atténuer sa
propre douleur42Mais cette colère et cette douleur ne lui permettent-elles pas de rester
en lien avec ce bébé disparu46?
La façon dont elle présente ce retour me plonge dans une certaine confusion, comme
s’il y avait un déni de la réalité de la mort du bébé. Cette date viendrait signer la fin «
normale » de sa grossesse, date à laquelle elle aurait dû accoucher de son bébé
vivant47
La confusion ressentie semble être le reflet du décalage et du sentiment
d’incompréhension réciproque régnant au sein du couple48
Un certains temps sera nécessaire pour qu’un dialogue s’instaure à nouveau entre
eux49; dépassant leur ressentiment mutuel50[…]
[…] de lui laisser le temps de cicatrisation de la blessure de la perte de ce petit
garçon-là51pour qu’une grossesse ultérieure soit un projet de couple52
[…] son projet d’écriture s’inscrit dans un processus de sublimation offrant une issue
à la pulsion libidinale comme à la pulsion de mort, en lui permettant de retrouver
l’objet perdu sous une autre forme, acceptable et même valorisée 54
Il y a eu le temps d’avant ce bébé, leur projet puis ce drame ; maintenant elle doit se
reconstruire en intégrant ce qui s’est passé. Ce bébé doit trouver sa juste place dans
son histoire tout comme elle doit trouver un juste lien avec lui55
5 RÉUNIFICATION TRANSGÉNÉRATIONNELLE ET FILIATION 84
Me revient en écho son silence consécutif à l’évocation du rêve ; elle rationalise tout
d’abord56 […]
Puis peu à peu, s’exprime de façon sourde, toute la colère contenue à propos des nondits entourant la maladie et le départ brutal de sa mère57[…]
Sa sidération semble avoir atteint l’ensemble même de la cellule familiale 58
La temporalité proposée a favorisé une élaboration possible de la perte puisque
accompagnée59[…]
Or, cette fuite était impossible puisque c’était en elle que cela se passait 60Elle
devait s’y confronter61 pour progressivement autoriser l’émergence de ses sentiments
négatifs tant à l’égard du bébé que d’elle-même62
Ce temps entre l’annonce et la décision aura été un temps nécessaire, fondamental 63
lui permettant de retrouver ses capacités de penser et contribuant à remettre en
circulation la pensée figée64par le traumatisme. Les mots ont été pour elle le lien
entre la vie et la mort65alors que jusque là, la mort était entourée de silence, de vide,
de rien66
Elle a dépassé l’anéantissement initial en acceptant de se confronter à ses affects67
Elle a toléré l’envahissement de la pulsion de mort, l’a dépassée et métabolisée en
pulsion de vie68
Dans l’après-coup, changée par ce bébé qui n’est plus, elle exprime une prise de
distance par rapport à ces modèles familiaux intériorisés, un réaménagement de ses
repères identificatoires70
Ces différents liens permettent alors l’inscription de ce bébé dans sa filiation69
La clinique du deuil périnatal72 illustre les mouvements psychiques inhérents à
l’élaboration de la perte d’un objet-non objet71
La question du travail de deuil dans ce cadre soulève celle du statut du foetus, pas
tant dans sa réalité obstétricale ou juridique73que dans la représentation que peut s’en
faire la mère74
6Objet à multiples facettes, à la fois idéalisé et haï, le fœtus risque de devenir objet
d’horreur lors de la révélation d’une pathologie incurable. Dans le registre de
l’archaïque, il vient interroger les représentations en oeuvre chez tous les acteurs de
la tragédie, tant la mère, le père et le couple que les membres de l’équipe soignante 75
De l’autre, la blessure narcissique ainsi constituée chez les parents, atteints dans leur
capacité de procréation, fait courir le risque d’une demande d’interruption de
grossesse rapide comme si enlever ce bébé monstrueux diminuait alors la souffrance
ressentie76
Il me semble que prendre le temps de sortir de l’état de sidération et amorcer la
perspective d’un sens à donner à l’issue de la grossesse, que ce soit dans celui de sa
poursuite ou de son interruption, est fondamental : il permet en effet de favoriser
l’émergence d’une représentation objectalisée du foetus, favorable à la résolution du
deuil77
L’équipe soignante va assurer la continuité nécessaire et une fonction de contenance
dans ces moments de bouleversement psychique ; elle joue un rôle particulier de
témoin de la maternité, certes blessée, de cette femme endeuillée et de l’existence de
cet enfant en devenir78
Au thérapeute de construire, sur mesure, le cadre qui permettra d’absorber le
débordement traumatique, de contenir les projections et les angoisses mobilisées.
L’espace de narrativité ainsi créé conduira, progressivement, à l’élaboration de la
perte et des pertes antérieures ravivées, comme dans le cas de Michèle 79
Document 23 Expression d’une première femme sur son vécu
1« C’était horrible, enfin pas génial1»
« C’était la deuxième fois, c’était honteux2» « je me culpabilisais3»
« […], je voulais juste que ce soit liquidé et qu’on n’en parle plus5»
« je ne me suis pas sentie écoutée, il aurait fallu qu’on me soutienne à fond (sur sa
décision) parce que je doutais (…) j’étais mal dans mes baskettes 9»
(suite à la prise de médicaments) « ça m’a vraiment fait hypermal10 (…) je ne savais
pas ce que je devais faire, si je devais rester au lit ou bien pas11»
« je ne savais pas quoi faire, je me suis dit je bouge un peu, j’en ai marre d’être dans
ce lit alors je fumais des clopes, et puis je me demandais si j’avais vraiment le droit
de fumer ?11»
(il y a avait une autre femme dans la chambre) « c’était la 3ème ou la 4ème fois (IVG
subie) et le médecin n’était pas très sympa non plus (avec elle) il avait l’air de dire
bon que ce n’était pas un moyen de contraception non plus, bon on pourrait me dire
la même chose13et puis je crois qu’elle (l’autre femme) était autant gênée que moi 12»
2« qu’elle me demande si ça va comme elle l’a dit à la fin mais un peu plus
souvent23»
(suite au sentiment que l’infirmière était mal à l’aise) « je pense que j’aurais apprécié
qu’elle me dise franchement la vérité, qu’elle me dise ouais franchement, je suis
gênée, j’aime pas faire ça25(…) je n’ai pas apprécié que le médecin me le dise dans le
premier hôpital, mais de sa part à elle (l’infirmière) oui, peut-être parce que
justement ce n’est pas un médecin26»
« j’aurais voulu qu’elle soit un peu plus présente27bon je ne voulais pas qu’on parle
de mon IVG, ais juste comme une infirmière normale qui s’occupe d’un patient
normal28»
« il faut s’imaginer tout le processus qu’il y a pour quelqu’un qui avorte, on met une
carapace pour faire après comme si ça n’avait jamais existé30»
« qu’elle soit plus présente comme une infirmière qui vient me prendre la pression 31»
(lors de la première intervention) « on m’avait demandé si je souhaitais un suivi
psychologique, j’avais dit non, je n’en ai pas besoin, j’assure mon choix, je n’ai pas
le droit d’être faible15 »
Quand on arrive à l’hôpital on arrive dans un service de gynécologie, c’est plutôt des
mamans, des femmes enceintes, qui sont là, dans la salle d’attente il y a des trucs
pour bébé, c’est spécial, on se sent vachement à part, seule16»
« ça rassure33quand on a mal32d’avoir quelqu’un, c’est un peu comme les petits on
souffle sur ton bobo et après ça passe »
« dans la salle d’attente ce serait bien de mettre aussi un flyer ou quelque chose pour
les femmes qui avortent parce que ça fait partie de la salle d’attente et puis c’est vrai
qu’à ce moment-là on n’a pas l’impression de faire partie de ce secteur d’intervention
et finalement la gynécologie ne fait pas que des naissances17»
« j’aurais apprécié qu’elle (infirmière) passe pour voir « ça va. Ça vient ?18»
« j’avais vraiment un mal-être constant35mais je n’aurais pas pensé que c’était du a
mon avortement36 je pensais plutôt que c’était l’âge, mais tout le temps déprimée37
presque dépressive (…) c’est venu assez vite, tout de suite après (l’IVG) (…) je
voulais à la limite mourir39mais sans explication aucune38 je pouvais même pas me
dire est-ce que c’était l’avortement40»
« j’aurais apprécié qu’elle passe un peu plus souvent, qu’elle s’intéresse plus à mon
état physique (…) qu’il y ait plus de suivi19»
« je trouvais qu’elle aurait pu être un peu plus là20(…) pas spécialement qu’on me
parle, qu’on parle de moi, mais de mon état24»
« j’aurais voulu qu’elle passe un linge sur la tête ou je ne sais pas comme une
infirmière quoi, comme une maman21»
(lors d’une autre hospitalisation) « j’étais en salle de réveil, l’infirmière était tout le
temps là (…) elle me demandait si j’avais mal au ventre, une petite aspirine et ça
c’était bien, en tout cas je me suis sentie plus entourée22»
« j’ai fait 6 mois d’AGAPA (…) le travail qu’on fait c’est « pardonne toi à toimême41» (…) à la fin on enterre son gamin et ça permet vraiment de faire un
processus de deuil42»
« en commençant un parcours avec AGAPA on prend un engagement, celui de ne
pas juger et donc on devient super ouvert (…) ceci est super important et ça amène à
un grand respect de l’autre43»
« il faudrait que les professionnelles connaissent vraiment l’aspect psychologique
qu’il y a derrière l’avortement et diriger les gens vers des associations comme le
planning ou AGAPA34»
Interprétation de cette expression par l’auteur
1 La personne A avait déjà vécu une IVG et qualifie cette expérience comme
« horrible1»
Il est à noter que peut-être il y a une corrélation entre les soins reçus3et la manière de
vivre cette expérience. Sur cette question les femmes ont un vécu similaire par
rapport au sentiment de solitude2qu’elles mettent en lien avec le fait de rester seules
dans la chambre4 Les personnes A et C expriment également un sentiment de
culpabilité5qu’elles ressentent au travers des actes des infirmières6
Elles expriment une grande déstabilisation d’être dans ce lieu7On voit que les trois
personnes développent clairement un sentiment de colère envers les infirmières voire
le corps médical8
Les 3 femmes expriment ici une de mande que l’infirmière soit plus présente
physiquement ou qu’elle passe plus souvent dans la chambre. La présence physique
semble être un signe d’intérêt9
La personne A décrit des soins ayant un support relationnel tels que les soins
techniques10
Les personnes A et C expriment également le souhait que les infirmières soient plus
authentiques22 Ceci semble paradoxal car la personne A dit qu’elle souhaite que
l’infirmière lui exprime son désaccord avec l’IVG mais madame ne veut pas parler
de son IVG12
Cela peut sembler paradoxal avec la demande formulée précédemment « je ne
voulais pas parler de mon IVG13»
Nous interprétons cette demande d’authenticité comme la demande d’empathie qui
leur permettrait de se sentir écoutées, accueillies et rassurées 11
Ce besoin de sécurité14est provoqué par le sentiment de culpabilité15de manque
d’estime de soi16et d’anxiété17éprouvées par les patientes. Les femmes expriment
clairement qu’elles auraient voulu que l’infirmière les rassure 18 La demande d’être
rassuré se porte sur deux éléments : le non-jugement de l’infirmière19et le protocole
d’IVG qui leur est inconnu20
Il est intéressant de noter que la personne A a eu beaucoup de difficultés à surmonter
son mal-être21
Il est intéressant de noter que c’est également la personne qui reconnaissait avoir le
plus de culpabilité qu’elle portait elle-même23
2 Selon Chalifour (1989) il existe plusieurs types de conflits que peut vivre la
personne. L’un des conflits qui nous semble plus explicite dans cette situation
particulière, c’est le conflit d’évitement24
Ce type de conflit semble n’avoir que des solutions négatives pour la patiente
quelque soit sa décision25On peut envisager que cette femme nécessitera beaucoup
d’énergie pour sortir de cette crise et, sans doute, une aide professionnelle pour
réussir à saisir les aspects positifs de sa décision.27L’aboutissement de la crise est,
dans ce cas, une occasion d’apprentissage pour la personne. 28Cependant, nous
constatons que cette femme a traversé des moments très difficiles suite à l’IVG. Nous
supposons qu’elle n’a pas trouvé l’aide nécessaire pour sortir de cette crise de
manière constructive29
Le concept de maternité apporte un complément intéressant à cette analyse. Selon
Tamian-Kunégel (2002) la grossesse peut avoir une fonction de maturation de la
femme par « la réassurance narcissiquede l’intégrité de ses possibilités
reproductrices » 32
La personne A avait déjà subit une IVG. Cette répétition peut se comprendre sous
l’aspect d’un acte inconscient qui traduit des désirs inavouables30: désirer un enfant
sans vouloir nécessairement enfanter31 Selon le même auteur, « l’ambivalence est le
facteur dominant dans les demande répétées d’IVG. Les répétitions viennent
s’inscrire hors de l’ordre du conscient35
Une grossesse survenue par hasard, peut se lire comme une modalité dans laquelle se
se manifeste le désir inconscient34»
La succession de grossesse non désirées peut exprimer un manque que la personne ne
parvient pas à combler33
[…] Ainsi pour la personne A nous avons relevé « l’expression d’un sentiment de
tristesse, d’anxiété, de découragement » lorsqu’elle mentionne son état
psychologique après l’IVG36« l’autoaccusation » lorsqu’elle se culpabilise37« colère
contre soi et contre autrui, et incapacité à de l’exprimer directement » ce
comportement se manifeste par la volonté de mourir qu’a ressentie la personne suite
à sa deuxième IVG38
Pour Freud, « le suicide était une réaction à une haine profonde de soi, la colère ayant
pris sa source dans la perte d’un objet d’attachement pour finalement se retourner
contre soi » 39
Cette femme semble particulièrement souffrir d’un manque d’estime de soi. 40En
effet, il apparaît qu’elle ait réagit par un stimulus focal et contextuel. Le premier
étant cet évènement particulier (être enceinte sans l’avoir voulu)41mais on peut
également considérer comme un stimulus contextuel, puisqu’il réactive le sentiment
de culpabilité éprouvé lors de la première IVG42
Document 23 Expression de la deuxième femme sur son vécu
1 « 1 année après l’IVG, j’ai demandé s’il n’y avait pas un organisme qui traitait des
cas comme moi, mon gynéco m’a dit « je crois que j’ai quelque chose » et m’a donné
les coordonnées d’AGAPA1»
Interprétation de cette expression par l’auteur
1 vécu traumatique1madame a fait un abcès infectieux, puis une septicémie, a été
hospitalisée 7 mois et est devenue stérile. La personne B n’exprime pas le sentiment
de culpabilité2mais a souffert d’un important conflit de valeurs dans cette expérience 3
On voit également qu’elle a eu d’importants traumatismes suite à l’IVG 4 Nous
notons également que Madame avait divorcé un an et demi auparavant. Cet indice est
important à considérer car il se peut que cette crise ne soit pas résolue. Cela peut
rendre la crise actuelle plus difficile à gérer4BIS
En effet, le chevauchement de plusieurs crises peut rendre plus difficile leur
résolution6Par ailleurs, nous constatons que cette femme a subi de graves
conséquences de santé suite à l’IVG5; nous supposons que cette personne ne
possédait pas les ressources nécessaires pour sortir de cette crise de manière
constructive7 Comme nous l’avons mentionné, il semble que madame ne prenne pas
de responsabilité dans la prise de décision de l’IVG. Nous interprétons ce procédé
comme un mécanisme de défense, la projection […] ce qui lui évite d’assumer
d’éventuelles conséquences de la décision et de se remettre en question8BIS
La citation ci-dessus, nous fait supposer que cette personne se protège d’une situation
qu’elle ressent comme un danger8Le mécanisme de défense met une distance entre sa
conscience et son vécu intérieur22 Dans cette perspective, la personne ne pourra
évacuer de manière constructive, les émotions qui l’habitent. Celles-ci s’exprimeront
alors sous diverses formes plus destructrices, par exemple : un cancer, une infection9
2 J’étais ambivalente, je voulais garder cet enfant mais la situation ne le permettait
pas1BIS Je me suis mis en refoulement pour supporter ça2
Document 23 Expression de la troisième femme sur son vécu
« j’ai vu une psychologue quelques jours après, j’étais encore fâchée de tout ce qui
s’était passé5 je la regardais et je me disais que c’est un peu tard quoi, je pense qu’à
la rigueur quelqu’un comme ça devrait passer au moment de l’hospitalisation6»
Interprétation de cette expression par l’auteur
Elle n’a pas eu d’autres conséquences4 La personne C est celle qui semble n’avoir eu
aucune conséquence particulière4c’est elle aussi qui a paru avoir le moins de
sentiment de culpabilité3 Elle ne semble pas vivre un conflit particulier3BIS
Pour la personne C, il semble que le sentiment de culpabilité soit également présent6
Cependant, il ne semble pas menacer énormément cette personne 7 nous ne
constatons pas l’utilisation d’un mécanisme de défense8 La personne C manifeste peu
ce manque d’estime de soi9 On observe uniquement des « plaintes de fatigue »10qui
par ailleurs peuvent être attribuées à la tension vécue pendant l’hospitalisation11
Cette femme vit l’expérience de manière moins perturbante que les deux autres 12
Nous avons également vu qu’elle était moins déstabilisée par cette crise 13
Nous pouvons en conclure que la qualité de son estime de soi lui permet de vivre
l’expérience plus sereinement14
2 Madame a subi de graves conséquences à la suite de son expérience10 Nous
pensons également que cette femme se trouve probablement dans un processus de
deuil non résolu, encore à l’heure actuelle11
Il apparaît que madame se protège car elle souffre d’un important manque d’estime
de soi14En effet, une des manifestations est « la difficulté à assumer ses
responsabilités » ; ceci nous donne donc une explication pertinente au comportement
de cette patiente15
Nous ajouterons « la rumination de ses problèmes » suite au comportement manifesté
de l’entretien16 Madame a vivement critiqué son compagnon de l’époque25
Cette femme exprime la demande d’avoir plus d’écoute de la part de l’infirmière,
mais dit avoir refusé le réconfort de sa mère après l’hospitalisation25 Le degré
d’affectation de l’estime de soi semble se catégoriser dans les stimuli focaux. En
effet, les manifestations du manque d’estime de soi semblent induites par la situation
actuelle18
Cette femme présente moins de remise en question personnelle19et semble mobiliser
de puissants mécanismes de défense. Notre analyse nous a permis de comprendre que
les mécanismes de défense20lui permettent de prendre ses distances avec son
compagnon, l’infirmière, son vécu émotionnel et sa conscience21 Nous pensons que
cette femme ne peut exprimer un besoin particulier car sa distance ne lui permet pas
d’identifier un besoin23
Document 24 Expression d’Anna sur son vécu
1 Pourtant, un soir, alors que je commence mon poste de nuit, elle entre dans le
bureau infirmier et s’assoit près de moi. Je l’accueille avec douceur 1
[…] « Je me suis toujours sentie nulle…2Ma soeur aînée était la perfection incarnée
pour mes parents, alors que moi… Il y avait toujours quelque chose à redire quoi que
je fasse…3»
Elle me dit : « À ce moment-là, j’ai réalisé l’étendue de sa cruauté4je me suis rendu
compte que le quitter était une question de survie pour moi5»
Et elle se donne les moyens de le faire…6 Quelques semaines plus tard, elle trouve
un nouveau travail à deux cents kilomètres de là7Le soir de son dernier jour de
travail, elle dépose sur le bureau de la femme de son amant une lettre lui expliquant
tout : « C’était un moyen d’être sûre de ne pas être tentée de revenir en arrière », me
dit-elle8 Son amant essaye de reprendre contact avec elle, mais elle ne répond pas à
ses appels9
Elle a trois semaines de congés avant de déménager vers son nouveau travail. Elle
reste enfermée chez elle, seule10[…]
Tout en me racontant les circonstances de cet avortement, elle pleure sans
discontinuer11
Interprétation de cette expression par l’auteur
1 Il est à remarquer que le deuil d’un avortement est dysfonctionnel dans la grande
majorité des cas1
Ce deuil d’enfant2se déroule souvent dans un contexte de très grande culpabilité3et de
honte4générant chez la personne une forte atteinte de l’estime de soi.5
Régulièrement, du fait de la culpabilité ressentie, le secret entoure un tel deuil 6et
gêne son expression7
Face à cette problématique, il s’agira pour l’infirmier de tenter8de rejoindre la
personne dans son vécu pour l’inviter à se dire et lui permettre d’entendre et
d’intégrer ce qui est exprimé9 Le soignant aura à développer une grande qualité de
présence relationnelle 11 afin d’aider la personne à déposer sa souffrance10
Une attitude de non-jugement pleine d’empathie va contribuer à l’aider à restaurer
son estime d’elle-même gravement mise à mal13
À son arrivée, elle se montre très secrète14Elle semble porter un chagrin très
douloureux15 Nous faisons des tentatives d’approche, mais elle fuit le contact16
Les quelques jours d’hospitalisation lui ont probablement permis d’évaluer notre
capacité d’accueil17Ils l’ont amenée à se sentir suffisamment en confiance pour
commencer à parler de son vécu intérieur18
2 Le problème est qu’elle ne souhaite pas rester à l’hôpital12: elle doit déménager la
semaine suivante Je parle à Anna Martin du conte que je souhaite écrire pour
l’aider13et elle l’accepte.
« Chère Madame, Je vous écris ces quelques mots pour vous donner de mes
nouvelles. Ce conte que vous avez écrit pour moi m’a beaucoup aidée 14
Ma vie n’était qu’un cauchemar noir15rempli de sentiments de culpabilité16et de
désespoir17et soudain 19 j’ai vu ma propre histoire avec un autre sens18Elle devenait
belle, pleine de couleurs et d’amour20 Et j’ai réalisé qu’elle était vraie21Ce conte a
été comme une main douce qui est venue toucher la douleur de mon coeur et lui a
permis de sortir.22J’ai beaucoup pleuré, mais c’étaient des larmes de délivrance,
comme des larmes de réconciliation avec moi-même23
Aujourd’hui, je vais bien dans ma nouvelle vie. J’ai de nouveaux collègues. Dans ce
boulot-ci l’ambiance n’a rien à voir avec l’ancien, c’est sympa. Et puis surtout, j’ai
rencontré quelqu’un, un garçon de mon âge très gentil qui me respecte et qui
m’aime. J’ai droit à une nouvelle chance24
Merci encore.26Je n’oublierai jamais. Anna PS : Je me suis remise à la peinture… 25»
2 […] elle a une estime d’elle-même très basse 19 et peu de confiance en elle20 Elle en
fait le constat elle même : […] Toutefois, une prise de conscience majeure a lieu :
l’épreuve qu’elle a vécue lui ouvre les yeux et engendre un nouveau comportement
chez elle : la capacité de prendre de la distance par rapport à la situation et de la
regarder avec lucidité. […] et s’enfonce dans un état de tristesse intense,
s’accompagnant d’une perte d’espoir et d’une inhibition psychomotrice.24
Ce sont ces symptômes caractéristiques d’un syndrome dépressif qui ont conduit son
médecin traitant à la faire hospitaliser25
La culpabilité est toujours présente dans le deuil d’un enfant avorté 26
Au fur et à mesure qu’Anna Martin me raconte son histoire, un élément m’apparaît
évident : elle ne se pardonne absolument pas d’avoir avorté27
C’est une douloureuse histoire d’amour impossible… impossible à vivre entre cet
homme incapable d’amour et une jeune fille sans amour pour elle-même… 28
impossible à exprimer pour une mère égarée envers son enfant non advenu… 29
3 Christophe Fauré parle très justement du désarroi de la jeune femme qui vient
d’avorter : « D’une manière générale, décider d’avorter n’est jamais anodin […] 29BIS
La jeune femme rentre chez elle, bouleversée, triste, fatiguée, en colère et coupable.
Perdue dans le traumatisme des heures précédentes, elle ne réalise pas encore qu’un
véritable deuil vient là de se mettre en route […]29BIS
Qu’on le veuille ou non, il y a un début d’attachement à ce petit être et il a fallu
beaucoup de détermination et de déni de sa tendresse naissante pour aller jusqu’au
bout de la démarche. La culpabilité est quasiment toujours présente […] 30 Le regard
que l’on porte sur soi peut devenir très sévère, portant atteinte à l’estime de soi. Il y a
pourtant là un deuil qui revendique son expression. Il est non seulement légitime,
mais surtout nécessaire pour permettre à la jeune femme d’intégrer cet avortement
dans son histoire, sans qu’il devienne une zone d’ombre dont elle n’osera jamais
parler. Sa blessure a besoin d’être reconnue afin qu’elle puisse se cicatriser30BIS »
En dépit d’un état de désarroi intense31Anna Martin a trouvé la ressource de rompre
cette relation destructrice32
Cette histoire a toutefois laissé un traumatisme important chez cette jeune fille33 et
elle aurait besoin d’être accompagnée dans son processus de deuil34
C’est alors que je pense au conte thérapeutique35 : tout en la laissant cheminer en
autonomie, il pourra lui offrir l’occasion d’une réconciliation intérieure36 […] Un
conte pour l’aider à faire sens de son vécu…37
GAÏA, LA PETITE LIBELLULE QUI S’IGNORAIT ELLE-MÊME
Il était une fois une petite libellule qui s’appelait Gaïa. Elle était d’une jolie couleur
bleue et ses ailes étaient magnifiquement irisées60Elle vivait au bord d’un étang.
Gaïa avait un don particulier : elle faisait partie de cette catégorie de libellules que
l’on appelle « les peintres du ciel »61Elle savait danser dans la lumière du soleil,
faisant naître à travers le prisme de ses ailes, tel un peintre de lumière, de
merveilleux arcs-en-ciel chatoyants62C’était comme une danse du don d’amour…
Elle savait faire naître une grande joie dans le cœur de ceux qui la regardaient 63
Le problème de Gaïa était qu’elle ignorait qu’elle avait ce don64Peut-être avait-on
oublié de le lui dire65?… Et si d’aventure quelqu’un lui faisait un compliment sur ce
qu’elle faisait, Gaïa avait beaucoup de mal à croire qu’il s’adressait à elle 66Peutêtre, dans son existence de libellule, n’avait-elle pas souvent reçu de compliments67?
Gaïa portait dans son cœur une grande soif de partage d’amour 68Elle rêvait de
rencontrer un jour un garçon libellule avec lequel elle vivrait une grande histoire
d’amour et de paix69Elle y aspirait profondément76 Pourtant, au fond d’elle-même,
elle doutait que cela puisse un jour lui arriver. Qui donc pourrait l’aimer, elle qui
était si imparfaite71?
4 […] Gao fit croire à Gaïa que son chant était un chant d’amour dirigé vers elle,
mais en fait, ce n’était qu’une litanie d’asservissement72Les sons qu’il émettait vers
Gaïa étaient comme de longs fils d’araignée invisibles qui l’engluaient peu à peu,
sans qu’elle puisse s’en rendre compte73Ce chant laissait entendre que le cœur de
Gao était plein d’amour pour elle, alors qu’en réalité il n’était qu’une coque vide
incapable d’aimer74
Peu à peu se développa une étrange relation entre Gao et Gaïa.Gao apprit à Gaïa à
se méfier de ses idées, de ses sentiments, de ses intuitions. Il lui expliqua qu’ils
étaient faux, que lui savait ce qui était bon pour elle75
Et la petite Gaïa, qui avait déjà si peu de confiance en elle, ne douta pas un seul
instant qu’il n’ait raison76Gao se moqua de ses danses dans la lumière du soleil,
alors Gaïa se sentit honteuse et resta désormais sur le sol77Gao se moqua de ses
ailes déployées, alors Gaïa les replia dans son dos pour les cacher. Le temps
passa…78
34Gaïa se rendait bien compte que sa relation avec Gao la faisait souffrir79Son cœur
était plein d’attente d’un partage d’amour qui ne venait jamais80Parfois, elle était
tentée de partir, mais aussitôt Gao émettait un nouveau chant de faux amour et Gaïa
se retrouvait plus engluée que jamais81
35À force de ramper aux côtés de Gao, Gaïa devint peu à peu grise de poussière et
elle perdit ses couleurs82La souffrance était son lot quotidien, mais elle espérait
toujours qu’un jour, Gao l’aimerait, quand elle aurait corrigé toutes ses
imperfections83… Ah ! Comme il était puissant le chant de Gao ! Il faussait toutes les
perceptions de Gaïa, s’infiltrant dans son besoin d’amour si fort, et s’appuyant sur
son manque de confiance en elle. Cela dura longtemps84…
38Un jour cependant, il se passa quelque chose qui remplit le cœur de Gaïa de
bonheur et de crainte à la fois 85 : de son union avec Gao fut conçu un œuf
minuscule, fragile, promesse d’un enfant libellule merveilleux86Le cœur de Gaïa fut
immédiatement rempli pour lui d’un amour immense, et, pleine d’espoir, elle
annonça la nouvelle à Gao. Et là ce fut terrible, vraiment terrible87
40Car immédiatement Gao sembla ressentir pour cet être en devenir une haine
intense, comme s’il représentait pour lui un grand danger. Il émit alors un chant
d’une grande puissance vers Gaïa. Un chant qui disait qu’il ne voulait pas de cet
enfant libellule et qu’elle devait s’en débarrasser. Et il jeta sur l’enfant en devenir
une Malédiction de Souffrance Éternelle et s’en alla, laissant Gaïa désespérée et
seule88 …
5Elle était atterrée89Elle ressentit une grande culpabilité envers son enfant œuf de lui
avoir choisi un tel père90et n’eut plus qu’une seule idée : le sauver de la Malédiction
jetée sur lui alors qu’il n’était même pas encore éclos…91Elle choisit alors de faire
quelque chose de terrible, un acte inconcevable pour une libellule bleue capable du
don d’amour : elle décida de faire détruire l’œuf92 …
42Pour elle, cet acte de destruction était un acte désespéré d’amour protecteur 93 Elle
ne voulait pas que son enfant vive la vie de souffrance qui lui avait été promise 92 …
Dans une solitude affreuse, elle appela les crapauds nettoyeurs. Ceux-ci, la
regardant de leur œil froid, détruisirent l’œuf et l’emportèrent. Alors Gaïa, qui dès
sa conception avait ressenti un amour immense pour cet œuf, sentit son cœur se
briser95
43Elle pleura des larmes de douleur qui s’écrasèrent sur le sol, devant elle, et peu à
peu formèrent une petite flaque à ses pieds96Se penchant vers cette eau, Gaïa vit son
reflet97Elle vit pour la première fois combien elle était devenue grise et sale, combien
ses ailes semblaient atrophiées, et surtout elle vit les liens tissés par Gao qui, tels des
fils d’araignée, l’engluaient98Il se passa alors quelque chose de magique : son reflet
se mit à lui parler : « Gaïa, ce que tu vois là n’est pas ton vrai reflet. Regarde-toi
telle que tu es vraiment ! » Et dans la petite flaque de larmes, l’image de la libellule
grise qui se traînait par terre s’effaça et fit place à l’être véritable de Gaïa : une
merveilleuse petite libellule bleue aux ailes resplendissantes qui dansait dans le
soleil la danse du don d’amour99 La voix du reflet résonna alors doucement dans sa
tête : « Voilà celle que tu es, Gaïa, reconnais-toi et ne l’oublie plus jamais. Vis
désormais dans le respect de celle que tu es vraiment.100»
49Gaïa se regarda longuement, puis elle se lava dans la petite flaque, se
débarrassant de la poussière grise qui la recouvrait101Ensuite, elle redéploya ses
ailes irisées, les fit battre doucement, et la brise qu’elles soulevèrent assécha la
petite flaque de larmes102De ces larmes-là, Gao ne pourrait pas se repaître. Gaïa
décida alors que plus jamais cela n’arriverait103Puis elle prit une pierre coupante et
d’un coup sec trancha les fils gluants qui la reliaient à Gao.
51Aussitôt, elle ressentit un grand manque douloureux104comme si elle s’amputait
d’une partie d’elle-même. Elle avait vécu avec ces liens depuis si longtemps… Mais
en accomplissant cet acte, elle savait qu’elle se sauvait elle-même…105
52À la rupture des fils, Gao fut là, aussitôt. Il essaya de lancer de nouveaux liens
vers Gaïa avec son chant trompeur. Mais elle n’y prêta plus attention, car dans son
oreille résonnait désormais une autre voix venue du plus profond d’elle-même :« Vis
désormais dans le respect de celle que tu es vraiment. »… L’histoire de Gaïa n’est
pas terminée106
6 Son éclosion à elle-même est une longue métamorphose qui se poursuit encore
aujourd’hui. Et chaque jour qui passe la rapproche davantage de celle qu’elle est
vraiment107
57Dans son cœur, il y a, à jamais, une place particulière et pleine d’un amour
incommensurable, pour ce premier œuf qui, dans l’épreuve vécue, lui permit de
naître à elle-même…108… Si un jour, vous vous promenez près d’un étang, et que
vous voyez danser une libellule bleue dans le soleil, vous saurez sans hésiter
reconnaître Gaïa à la joie que sa danse d’amour fera naître dans votre cœur…
Le temps a passé et je me suis demandé parfois ce qu’était devenue Anna Martin.
J’espérais que l’entretien et le conte avaient pu lui apporter de l’aide. Puis un jour,
quelques mois après son départ, j’ai reçu cette lettre qui apporte un témoignage très
concret de l’effet du conte38: […]
Il est souvent difficile de réaliser à quel point un entretien unique peut être important
en tant qu’aide apportée au patient39
À cause d’impératifs divers, il arrive parfois que l’on ne dispose que de peu de temps
pour aider une personne. Un entretien unique de relation d’aide pendant lequel on
mettra en œuvre toute notre capacité d’empathie, de congruence et d’accueil
inconditionnel des émotions de l’aidé pourra lui être d’un grand secours40
On voit bien, dans le cas d’Anna Martin, combien aura été profitable l’accueil sans
jugement de son vécu41 étant donné la culpabilité qu’elle ressentait face à son acte42
L’entretien lui a permis de mettre au jour sa blessure profonde43d’ouvrir la porte à
des émotions verrouillées liées à un deuil compliqué44
C’est grâce à cet entretien que, en écho à son vécu émotionnel, j’ai pu écrire un conte
répondant à ses besoins45
Le premier objectif du conte était de permettre à Anna Martin d’entrer en contact
avec des émotions refoulées46
La mise en route de ces émotions bloquées l’a aidée à s’acheminer vers le deuil de
son enfant47
Puis, en contribuant à clarifier son vécu48pour lui donner un sens, le conte a été un
moyen pour elle de parvenir à se déculpabiliser 49 et ainsi à restaurer son estime
d’elle-même50
Le témoignage de la jeune femme sur l’action thérapeutique du conte est très
intéressant Sa lettre exprime comment le conte lui a permis de se réconcilier avec
elle-même51 et d’intégrer l’épreuve vécue dans son histoire de vie52
Elle met en évidence de façon forte combien le conte peut favoriser l’expression
d’émotions difficiles, avec beaucoup de douceur, en parfaite autonomie53
Document 25 Expression de Barbara sur son vécu
Interprétation de cette expression par l’auteur
« Je ne vis pas du tout cette IVG comme la première1! Je ne culpabilise pas du tout !»
dit-elle2
Barbara établit une nette différence entre les deux IVG pratiquées à quinze ans
d’intervalle2
À l’époque, les conséquences de son insouciance ont entraîné une grande culpabilité 3
Aujourd’hui, elle donne un sens différent à une même décision4: […]
Document 25 Expression de Michèle sur son vécu
Pour elle, l’IVG n’est pas encore entrée « dans les mœurs légales 1».
Elle souhaiterait que les femmes qui ont avorté sortent du silence2et « témoignent
pour expliquer que ce n’est rien3».
Par ailleurs, certains interlocuteurs se préoccupent parfois de savoir si elle ne souffre
pas trop moralement6 Si sa réponse est positive, elle sait que la conversation repose
sur un quiproquo.7Si elle ressent un malaise, c’est uniquement à cause du regard des
autres8
Ces questions et attitudes l’amènent à se demander si son insensibilité4par rapport à
l’IVG est normale et elle en arrive à « culpabiliser de ne pas culpabiliser »5
Interprétation de cette expression par l’auteur
Un cas de figure atypique est, en effet, repérable parmi les quatre-vingt neuf
entretiens analysés1
Cette exposition répétée à la déviance 2l’amène à considérer avec recul les réactions
de son entourage, ainsi que celles de certains membres du corps médical3
Elle souligne par cette formulation la stigmatisation morale qui accompagne souvent
l’application du droit à avorter4
Elle a dû lutter aussi bien contre la réprobation que contre la compassion d’autrui 11
Le récit de Michèle ouvre une piste de recherche qui prolongerait cette étude. On
peut émettre l’hypothèse que l’expérience de plusieurs avortements entraîne une
évolution des positions des femmes concernées par rapport à ce type de déviance 7
Le suivi d’une telle évolution permettrait peut-être de découvrir les effets de la
récurrence d’une déviance ponctuelle et, ce faisant, de répondre aux vœux de
Howard S. Becker qui préconise l’étude des carrières déviantes 8
[…] [qui] ne devrait pas conduire uniquement aux individus qui suivent une carrière
débouchant sur une déviance de plus en plus affirmée et qui finissent par adopter une
identité et un genre de vie radicalement déviants. Il faudrait aussi prendre en compte
ceux qui entretiennent avec la déviance des rapports plus éphémères et que leur
carrière éloigne ultérieurement de celle-ci pour les rapprocher d’un genre de vie
conventionnel 9
MAINGUY Albane
SYNTHESE DE LA LITTERATURE QUALITATIVE FRANCOPHONE EN
PSYCHOLOGIE DEPUIS L'ANNEE 2000 SUR LE VECU PSYCHIQUE DE LA FEMME
APRES L'INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE (IVG)
RESUME
INTRODUCTION : Le vécu psychique de la femme après l'IVG a particulièrement été
exploré par des études quantitatives anglo-saxonnes. Leurs résultats sont contradictoires et
montrent l'intérêt d'une recherche qualitative sur ce thème.
METHODE : Une synthèse en recherche qualitative a été réalisée à partir d'un matériel
qualitatif, francophone, publié entre 2000 et 2012, dans des bases de données en sciences
humaines ou pluridisciplinaires, sur le thème du vécu psychique de la femme après l'IVG. Les
deux critères d'exclusion sélectionnaient des documents dont les auteurs avaient rencontré des
femmes et rapporté leurs propos. Les données ont été retranscrites, soumises à un double codage,
à une analyse thématique puis compréhensive.
RESULTATS : 4.3% des documents ont été inclus. A partir d'études de cas et d'entretiens
cliniques de 25 professionnels de santé mentale, le vécu de 30 femmes a été analysé. Parce
qu'elles ont suivi des entretiens psychothérapiques, leur recrutement entraîne une surestimation
probable du vécu psychique post-IVG constaté.
CONCLUSION : Conflit relationnel intrafamilial, mal-être et culpabilité, troubles
comportementaux et psychiatriques, choix d'un nouveau projet de vie, vécu de perte, besoin d'un
accompagnement psychologique, psychosomatisation et ambivalence de la demande répétée
d'IVG sont les thématiques de ce vécu post-IVG pouvant être liées à l'existence d'un conflit
psychique, et dont le repérage pourrait conduire à un accompagnement avant et après l'IVG.
MOTS-CLES
avortement provoqué
après l'IVG.
médecine générale
psychologie
t
conflit
recherche qualitative
crise identitaire
interruption légale de grossesse
deuil
FORMAT
Mémoire
Article1 :
1
à soumettre
statut au moment de la soutenance
soumis
accepté pour publication
publié
suivi par : Indiquer le NOM de la personne qui suit la publication (directeur ou
président, par exemple)