COMPTE-RENDU - Concertation des Centres Culturels Bruxellois

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COMPTE-RENDU - Concertation des Centres Culturels Bruxellois
COMPTE-RENDU
”Musique, chanson et jeune public :
comment se rencontrer ? ”
Centre culturel de Forest - BRASS | 19 mars 2013 | de 12h à 14h
La musique et la chanson jeune public trouvent un succès croissant auprès des publics, des
programmateurs et des enfants, incitant ainsi les artistes à se renouveler et à produire le
meilleur d’eux-mêmes. Pourtant, ce travail artistique n’est pas toujours reconnu à la hauteur
des énergies déployées par de nombreux opérateurs. Dans le cadre du festival Kidzik et de
la journée FaMiZik des Centres culturels bruxellois, la Concertation a organisé un Déjeuner
Thématique pour tenter de mieux appréhender la réalité de ces professionnels de la
musique.
Voici quelques questions qui ont été l’objet d’échanges entre les intervenants et le public :
Quels contours apporter à la création en chanson et musique « jeune public » pour qu’elle
réponde aux besoins des publics et aux aspirations des artistes ? Quels moyens mettre en
œuvre pour accompagner le processus de création et de diffusion afin de rencontrer les
publics concernés et d’éveiller leur curiosité ? Quelles sont les perspectives de la musique
et chanson jeune public pour demain ?
Au programme:
12h00 - 12h30
12h30 - 12h35
12h35 - 12h45
12h45 - 12h55
12h55 - 13h05
13h05 - 13h15
13h20 - 13h55
13h55 - 14h00
14h00
Accueil des participants et déjeuner
Introduction par Frédéric Fournes, Animateur-Directeur | CC Forest
Intervention de Samir Barris et Geneviève Laloy | artistes
Intervention de Augustin de Bellefroid, Directeur artistique | Collectif
« Matters »
Sophie Mulkers, Responsable pédagogique | Fédération des Jeunesses
Musicales W-B.
Gabriel Alloing | Kidzik LLN et Bruxelles et Olivier Battesti | Autre chose pour
rêver
Débat avec la salle
Conclusions par Frédéric Fournes
Clôture de la session
Modérateur : Frédéric Fournes, Directeur du CC Forest.
1 Frédéric Fournes, Directeur du Centre culturel de Forest, soulève d’emblée les questions
suivantes qui ont constitué le fil rouge de ce Déjeuner Thématique : quelle est réellement la
prise en considération du contexte bruxellois dans la création jeune public ? Comment les
projets prennent-ils en compte ces préoccupations liées au territoire et à la population ?
Quelles sont les perspectives pour demain, sachant que le budget consacré à la musique
jeune public représente seulement 1% des budgets de la musique non classique ?
Ø Samir Barris
Samir Barris est un jeune artiste qui a eu l’occasion de travailler en étroite collaboration avec
les Jeunesses Musicales dans le cadre de l’accompagnement de projets artistiques. Son
dernier spectacle, « Ici Baba », a rapidement connu le succès. En effet, sa structure légère et
simple à monter lui a par exemple permis de le faire tourner dans les écoles. Néanmoins,
souligne Samir Barris, la rencontre avec les programmateurs jeune public est principalement
due à sa notoriété en tant que chanteur tout public.
Samir note également que le secteur du jeune public est moins engorgé que le « tout
public » ; il est donc plus facile de trouver une place en tant que musicien. Il s’agit sans
doute d’un « créneau » pour certains, mais Samir estime que la vocation d’être chanteur
et/ou musicien jeune public doit avant tout découler d’une envie de professionnalisation qui
soit intègre et sincère. Pourtant, est-ce vraiment plus simple d’être chanteur jeune public ?
Samir confie que le secteur de la musique adulte est tout de même contraignant car il
dépend davantage des médias - et donc d’un entourage professionnel qui impose des
règles. Le manque d’intérêt des médias pour la musique jeune public lui a permis
paradoxalement de conduire son projet sur le long terme sans trop de contraintes.
Ø Geneviève Laloy
Pour Geneviève Laloy, artiste jeune public également, la démarche artistique dans laquelle
on se sent musicien détermine le public auquel on s’adresse. La carrière de Geneviève se
concentre sur le jeune public, avec néanmoins une évolution vers le tout public.
Cependant, pour assurer le succès d’un artiste, il y a plusieurs éléments à prendre en
compte : le besoin de temps et d’espace, les ressources humaines et financières, etc. Outre
ces éléments indispensables, les lieux et les structures, c’est-à-dire les opérateurs culturels,
ont également leur rôle à jouer car ce sont ces derniers qui font un pari sur l’artiste en
recherche de soutien. Les relais médiatiques sont donc nécessaires, car ils permettent
d’accorder une certaine visibilité à l‘artiste et dans le meilleur des cas, de jouer le rôle de
tremplin.
Etre artiste jeune public nécessite un travail rigoureux, minutieux et créatif qui réponde à un
questionnement continu par rapport à la démarche voulue (d’où l’importance du retour du
public et des opérateurs). Selon Geneviève Laloy, il est en effet recommandé d’aller voir
d’autres spectacles jeune public pour avoir un aperçu de l’offre dans ce secteur, et ce afin
de pouvoir assumer ses propre choix artistiques. Ce qui doit être la première source
d’inspiration pour la création est la volonté de participer à une proposition globale qui
respecte la diversité et permette aux enfants de faire leurs propres choix.
2 En réponse à la remarque de Samir Barris concernant le jeune public face au tout public,
Geneviève Laloy concède qu’il y a en effet moins d’offre jeune public que tout public, mais
cette offre est cependant déjà très importante. L’ouverture à l’éclectisme musical doit
toucher les écoles, les parents, etc. Il est donc plus que nécessaire de coopérer afin de
créer des synergies entre les écoles, les parents et les opérateurs culturels pour une
meilleure dynamique de projet qui intègre les jeunes dans la création artistique, tel que les
projets culture et enseignement1. La création artistique doit être une source de plaisir avant
tout.
Ø Augustin de Bellefroid
Augustin de Bellefroid est le directeur artistique du collectif « Matters », un ensemble
multidisciplinaire regroupant musiciens, danseurs et comédiens. Matters expérimente avec
succès le langage gestuel comme outil de communication et de création. Toutes les
réalisations du collectif sont toujours élaborées en temps réel, ce qui fait son unique
singularité. Ils n’utilisent ni partition, ni scénario ; la création est spontanée mais pas dénuée
de recherche artistique et esthétique car l’élaboration est structurée.
La diversité artistique du collectif permet au travail de création d’avoir une portée
pédagogique qui peut être dirigée vers un ensemble artistique. En effet, dans leur
démarche scolaire, le collectif est souvent confronté aux interrogations des enfants qui ne
sont pas sûrs du rôle qu’ils auront à jouer sur scène ; il faut donc réaliser tout un travail sur la
présence et la force de l’intention plutôt que sur un scénario prédéfini afin d’élaborer une
communication particulière avec le public.
Selon Augustin de Bellefroid, il y a toujours de l’intérêt pour ces nouveaux outils de
création, mais il faut du temps ; l’aspect diffusion en particulier n’est pas évident, surtout
compte tenu de la qualité « non scénarisée » des spectacles, ce qui laisse une part
d’incertitude constante quant au spectacle lui-même. Un exemple pourtant prometteur s’est
mis en place avec le projet « La culture a de la classe » (ex Anim’Action)2 qui rassemble des
écoles et trois Centres culturels bruxellois – La Villa, Escale du Nord et L’Entrela’ - autour
d’un spectacle dans le cadre du festival Kidzik.
1
2
Voir: http://www.culture-enseignement.cfwb.be/
Voir: http://www.cocof.irisnet.be/nos-competences/la-culture-a-de-la-classe-1
3 Ø Sophie Mulkers
Sophie Mulkers est responsable pédagogique aux Jeunesses Musicales de la Fédération
Wallonie-Bruxelles. Elle évoque l’accompagnement des artistes jeune public dans le cadre
des activités des JM.
L’enjeu principal se situe au cœur de la participation créative. En effet, le souhait des JM est
de faire en sorte que les projets répondent aux missions d’éducation permanente (telles que
définies par les JM) et que les concerts soient une réelle rencontre plutôt qu’une simple
consommation passive d’un produit artistique.
Pour les artistes, cela veut dire trouver un ton juste et centré sur le public, c’est-à-dire
adapté à la tranche d’âge et leurs réactions et préoccupations afin de laisser une trace.
Fonctionnement des Jeunesses Musicales de la FWB :
- Processus de sélection : examen détaillé d’une candidature écrite et des extraits, puis série
de visionnements ; l’artiste doit être en accord avec les valeurs des JM et son spectacle doit
être adapté au jeune public, tout en respectant un éclectisme musical (diversité et pas de
discrimination) ;
- Journée de présentation de saison (la prochaine aura lieu le 23 avril à Flagey) pour mettre
en contact les artistes avec de potentiels collaborateurs (programmateurs, directeurs
d’école, etc.) ;
- Elaboration d’un dossier pédagogique pour encourager les enseignants à préparer leurs
classes en amont (informations sur la philosophie du projet, le parcours des artistes, et
proposition d’activités concrètes à faire avec les enfants) ;
- Préparation des séances avec les artistes (pédagogie, médiation culturelle) suivant une
démarche générale éducative pour stimuler de nouveaux types d’apprentissage, contribuer
à développer des valeurs citoyennes.
Le travail des JM à Bruxelles concerne des projets divers, car le terrain est un peu plus
diversifié en termes de publics que sur l’ensemble de la Fédération WB.
Ø Gabriel Alloing et Olivier Battesti
Il y a encore quelques années, les spectacles « jeune public » étaient concentrés au centre
d’Ottignies, car la Ferme du Biéreau n’accueillait pas ce type de spectacle. Cependant, la
période estivale n’est pas propice à l’activité culturelle. Comment faire alors pour dynamiser
Louvain-La-Neuve l’été, quand le centre d’Ottignies ne propose rien ? L’engagement de la
Ferme du Biéreau vers le jeune public est donc parti de cette réflexion, mais également de
la sensation de saturation du secteur « tout public » par rapport au jeune public. C’est ainsi
que la première édition de KidZik-LLN a eu lieu il y a 3 ans.
Malgré tout, quelques interrogations subsistent : pourquoi faire de la musique jeune public
s’il est possible de décliner des spectacles tout public en jeune public en les adaptant un
peu ? Pour Gabriel Alloing, le créneau jeune public vaut la peine de s’interroger sur ce que
l’on met en place en termes de spectacles car il conditionne le rapport que les enfants vont
avoir avec la musique en général une fois plus grands. Autre constat, Gabriel Alloing
déplore le peu de répondant de la FWB sur les initiatives telles que Kidzik.
4 Olivier Battesti est l’artiste derrière Mamemo (chanson et dessin animé). Pour lui, beaucoup
d’artistes ne sont pas connus du grand public, d’où les propositions de « Autre Chose pour
Rêver » : créer des outils pour aider les artistes à se faire connaître et les mettre en
confiance vis-à-vis de leur spectacle – axe pédagogique – et des diffuseurs – axe artistique).
Dans cette optique, Olivier nous précise que pour lui, fédérer les forces vives du réseau
bruxellois par des initiatives comme Pierre de lune ou FaMiZik (ex Pâques en Musique)
permet de constituer une vitrine et est donc un élément indispensable pour faire connaître
les artistes de la chanson et musique jeune public.
Il propose également une refonte de la structure de financement de la commission des
musiques non classiques, car selon lui, il serait plus intéressant de confier les enveloppes
budgétaires aux programmateurs. Ces derniers, estime-t-il, sont plus à même de soutenir
les artistes du début à la fin de leur création.
Ø Constats
A la suite de ces interventions, le constat est le suivant: le secteur de la musique jeune
public est encore largement sous-représenté à Bruxelles et par extension sur l’ensemble du
territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La présence d’artistes parmi les intervenants a
permis de dresser un tableau à la fois concret et humain de la vocation d’artiste (musicien
et/ou chanteur) jeune public face aux préoccupations quotidiennes qui les touchent
directement : manque soutien humain, technique et financier, de reconnaissance et parfois
même d’intérêt. Cependant, des structures d’aide, comme les Jeunesses Musicales ou
Autre Chose pour Rêver sont au service des artistes pour les accompagner dans leurs
démarches de professionnalisation tout en encourageant les rencontres entre artistes,
programmateurs, monde de l’enseignement et pouvoirs subsidiants afin de créer des
synergies durables et une confiance propice à l’élaboration de projets communs.
Malheureusement, c’est à ce niveau que le bas blesse le plus souvent, car même si des
initiatives prometteuses telles que Matters ont vu le jour, il reste encore beaucoup à faire
pour aider les artistes à se faire connaître, et leur donner les moyens d’acquérir une réelle
reconnaissance « jeune public ». Le débat qui a suivi avec la salle montre bien les
interrogations de chacun face à ces questions.
5 Ouverture du débat avec la salle : que peut-on faire concrètement pour
améliorer la situation ?
Ø La question de la diffusion
Contrairement à ce qui avait été évoqué par les intervenants, pour certains participants, le
soutien médiatique n’est pas à remettre en cause ici ; la véritable question est de savoir
comment faire connaître les projets au public. Comment améliorer la communication pour
faire venir le public dans les salles ? Où les diffuser si les Centres culturels ne sont pas en
mesure de le faire ? Que faire pour attirer les programmateurs ?
Les Centres culturels n’ont pas la diffusion comme mission exclusive ; en plus des missions
d’éducation permanente et de cohésion sociale par exemple, la programmation ne peut
que rester très limitée (il y a des choix multiples à réaliser et très peu d’opportunités de
diffuser). Ce n’est pas facile de gérer l’offre déjà très généreuse.
Les programmateurs quant à eux sont extrêmement sollicités ; la question se trouve ici
davantage en rapport avec l’économie du spectacle : pourquoi ne fait-on que 4 spectacles
par an ? Il s’agit d’un système de programmation à perte, qui découle de l’effet pervers de
la subvention (Art et Vie) tant pour le public que pour l’artiste.
Il est intéressant de noter pourtant que dans le cadre de FaMiZik, la Concertation sert
justem ent de réseau de diffusion pour le jeune public – il s’agit là d’une véritable
illustration d’un effort réalisé par les centres culturels bruxellois et ce malgré la multitude
des missions qui leur incombent. De plus, il faut également rappeler que ce Déjeuner
Thématique s’inscrit dans une optique de réflexion « jeune public » puisqu’il a été réalisé en
collaboration avec les partenaires du festival Kidzik dans le cadre même de ce festival.
Ø La création de réseaux privilégiés
Outre la question des médias et des réseaux de diffusion, certains participants s’interrogent
sur la possibilité de créer des circuits spécifiques ente les artistes et les réseaux de diffusion
afin de proposer une alternative viable face à la chaîne diffusion-subventions actuellement
en place. Y aurait-il une nouvelle voie à explorer via un partenariat avec les écoles par
exemple ?
Certains artistes s’interrogent sur la possibilité de faire des Centres culturels les véritables
programmateurs/partenaires privilégiés des artistes en leur donnant les enveloppes de
financement pour court-circuiter le système de financement actuel par Conseils. Cependant,
prudence est de mise concernant la rétrocession des fonds aux Centres culturels. En effet,
un cas similaire s’était déjà produit il y a une vingtaine d’années, et a fini par être
abandonné car le système était un peu trop obscur et menait souvent à des situations
douteuses de privilèges trop aisément accordés. Il y a donc là un véritable danger de
monopoles alors que les Conseils sont censés être démocratiques et rassembler aussi bien
les politiques que les experts et les artistes.
Un artiste dans l’assemblée précise que pour être entendu, il faut un label de type « Art et
Vie » 3 ou « Chanson à l’école » 4 ; le problème du label « Chanson à l’école » est qu’il
implique de proposer un spectacle – et donc, avec une trame – et non pas une simple série
3
4
voir: http://www.artscene.cfwb.be/index.php?id=8383
voir: http://www.artscene.cfwb.be/index.php?id=8391
6 de chansons. Ces deux labels mènent donc à deux métiers différents (artiste ou
pédagogue). Samir Barris précise que l’absence de subventions au niveau scolaire est
notoire ; les spectacles Jeunesses Musicales qui tournent dans les écoles ne sont
subventionnés que par les écoles, ce sont donc les élèves qui payent.
Pour d’autres, le problème va au-delà des préoccupations financières : l’existence même de
difficultés pour la chanson jeune public, et plus généralement pour la chanson, vient d’un
problème culturel entre les décideurs et les artistes ; il n’y a de culture que du théâtre, pas
vraiment de la chanson. Selon eux, le débat concerne la question générale du statut de la
chanson et de la musique par rapport au théâtre (chaque année, il y a 40 propositions de
théâtre subventionnées contre 4 en chanson) et plus important encore, la place réelle de la
musique dans la vie de chacun. Bon nombre d’artistes ne peuvent que constater un
contexte de pauvreté pédagogique ; en guise d’exemple, Le Festival de Huy est une vitrine
qui rassemble toutes les formes de spectacles sauf la chanson ; pourtant, la chanson est le
premier acte fondateur de l’être humain (d’où l’importance des berceuses) – et doit de ce
fait être développé avec soin. Certains suggèrent donc d’effectuer un travail au niveau de la
formation des enseignants.
Ainsi, ce Déjeuner Thématique a ouvert la voie à de nombreuses pistes de réflexions autour
de la musique et de la chanson jeune public tant sur le plan de la reconnaissance des
artistes, que des moyens humains et financiers à disposition ou encore de l’équilibre entre
les parties prenantes – artistes, opérateurs et pouvoirs subsidiants. Cette première
rencontre a entre autres permis de dissiper certains malentendus qui s’étaient installés entre
les artistes et les Centres culturels, notamment concernant les attentes et les moyens de
chacun. Dans le cadre du festival Kidzik-LLN de cet été, l’occasion d’une nouvelle rencontre
pourra donc certainement être reconduite, et – espérons-le cette fois - en présence des
pouvoirs publics, malheureusement non représentées lors de notre rencontre, afin de
prolonger la réflexion entamée et d’offrir au secteur de la chanson et musique jeune public
un véritable espace d’échange et de débat.
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