Les communautés virtuelles des jeux massivement multi
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Les communautés virtuelles des jeux massivement multi
Zoé FUGER Maîtrise de Communication 17 Octobre 2003 [email protected] Directeur : Eric Maigret Rapporteur : Eric Macé Les communautés virtuelles des jeux massivement multi-joueurs Université Paris III Sorbonne Nouvelle 13, rue de Santeuil 75231 Paris Table des matières Table des matières...................................................................................................................... 1 Introduction ................................................................................................................................ 3 Partie I – Etude bibliographique................................................................................................. 8 Life on the Screen, Sherry Turkle ................................................................................... 10 Communities in Cyberspace, Dir. Marc A. Smith et Peter Kollock ............................... 21 Cybersociety 2.0, Revisiting Computer-Mediated Communication and Community, Dir. Steven G. Jones ............................................................................................................... 33 Partie II – Les communautés des MMORPG........................................................................... 45 Le statut social................................................................................................................. 48 Les Relations Interpersonnelles ...................................................................................... 56 Les Guildes...................................................................................................................... 65 Coutumes, normes et jugements...................................................................................... 69 Partie III – Aspects réels des communautés virtuelles............................................................. 79 Le joueur ......................................................................................................................... 81 Les buts des joueurs ............................................................................................... 81 Investissement personnel........................................................................................ 83 Ce qui importe aux joueurs .................................................................................... 85 Les événements virtuels peuvent toucher les participants ..................................... 87 Représentation........................................................................................................ 88 Le jeu peut-il être une aide psychologique ?.......................................................... 90 Genre et homosexualité.......................................................................................... 92 Expressions............................................................................................................. 94 Les relations entre joueurs...................................................................................... 95 Immersion...................................................................................................................... 100 Actes communautaires .................................................................................................. 104 Le système de jeu .......................................................................................................... 108 Conclusion.............................................................................................................................. 114 Annexe ........................................................................................................................................ i Annexe I : illustrations ....................................................................................................... i 1 Annexe II : questionnaire ................................................................................................. ix Annexe III : résultats du questionnaire ........................................................................... xii Bibliographie..........................................................................................................................xvii Bibliographie utilisée ....................................................................................................xvii Bibliographie de référence ............................................................................................ xvii Glossaire.................................................................................................................................. xix Index...................................................................................................................................... xxvi Marques déposées ................................................................................................................ xxxii Remerciements ....................................................................................................................xxxiii 2 Introduction Le développement et l’amélioration des nouvelles technologies informatiques sont très perceptibles dans le monde du jeu vidéo. En effet, ce secteur est en pleine expansion et connaît un renouveau depuis quelques années. Après les jeux d’action, d’aventure et de stratégie classiques, Internet a permis la réalisation de jeux multi-joueurs. Ces derniers permettaient tout d’abord à plusieurs personnes de jouer ensemble en effectif réduit, (une trentaine de joueurs maximum) à un jeu qui pouvait aussi se jouer seul. L’intérêt de ces parties était principalement la possibilité d’affronter ou de coopérer avec des humains, et non des machines. Ce nouveau concept plaisant beaucoup aux joueurs, et Internet devenant de plus en plus facilement accessible, des jeux massivement multi-joueurs ont été développés. Ces jeux ont plusieurs caractéristiques : ils ne sont utilisables que via Internet, ils ont un minimum d’une centaine de joueurs, leur interface est graphique (sauf le système de communication qui est textuel) et leur environnement est en temps réel et persistant. Le joueur n’y est jamais seul, et il partage son univers avec les autres participants. Meridian 59 (1996) et Ultima Online (1997) sont les premiers MMORPG1 (Massively Multiplayers Online Role Playing Game) et, depuis leur grand succès et la demande croissante de nouveaux jeux massivement multi-joueurs, cette catégorie ne cesse de se développer. Le système de jeu des premiers titres consistait en grande partie à construire un personnage et à le faire évoluer en combattant des ennemis et en effectuant des quêtes. Néanmoins, les joueurs se sont peu à peu rassemblés en communautés, ce qui n’était en rien l’argument de vente principal de ces jeux, qui communiquaient bien plus sur les nombreuses catégories d’ennemis et d’objets magiques disponibles. Pourtant, il s’avère aujourd’hui qu’elles en sont l’axe central, et il me semble intéressant de les étudier. Comment fonctionnent ces communautés sans une présence physique des participants ? Comment sontelles maintenues ? Il est possible de poser plusieurs hypothèses de départ afin de répondre à ces questions : - les joueurs participent au maintien des communautés virtuelles, 1 Pour les termes spécifiques, se référer au glossaire. 3 - la majorité des participants des MMORPG cumulent plus d’heures de jeu que les joueurs d’autres jeux, - certains éléments des communautés virtuelles préexistent dans celles dont sont généralement issus les joueurs, - l’aspect graphique est important, - les MMORPG sont des jeux monotones, - les développeurs de jeu aident au maintien des communautés virtuelles, - les MMORPG offrent l’anonymat aux participants, - les MMORPG peuvent représenter un danger pour les participants, - les joueurs interagissent entre eux, - les guildes de personnages sont importantes. Afin de vérifier ces hypothèses et d’étudier le fonctionnement des communautés virtuelles, j’ai procédé à une observation participante interne et complète par opportunité. J’étais en effet déjà membre d’une communauté avant de commencer mes recherches, et j’ai donc profité de cette occasion pour en observer les différents aspects. J’ai informé les autres participants de mon étude, sans toujours signaler mon rôle d’observateur afin de ne pas les effrayer. Je me suis en effet rendue compte que certains joueurs détenant cette information se montraient parfois plus distants envers moi, et ils m’ont avoué qu’ils n’appréciaient guère être « analysés ». Je n’ai donc pas révélé à tous que je notais certains éléments qui me paraissaient intéressants lorsque, comme eux, je jouais. D’autre part, il m’a aussi paru important de rencontrer personnellement certains joueurs, lors de diverses occasions. Néanmoins, je n’ai pas procédé à des entretiens, car il m’a semblé que je recueillerais plus d’informations en les laissant parler librement, sans la pression d’une telle situation, tout en leur signalant que je réalisais une étude sur les communautés virtuelles. De plus, je n’ai rencontré que des groupes de joueurs qui se connaissaient déjà, soit dans le jeu, soit personnellement, ce qui, à mon sens, a participé au bon déroulement de ces entrevues. Tout en étant déjà membre d’une communauté virtuelle, il m’a ainsi été donné de faire partie d’un groupe de joueurs. Cette observation fut néanmoins périphérique, car je ne participais pas à toutes leurs rencontres et n’étais donc pas au centre de leurs activités. D’autre part, j’ai publié un questionnaire (voir annexe II) sur plusieurs forums francophones. Bien que les résultats ne soient pas très significatifs, les utilisateurs des forums appartenant à une catégorie particulière de joueurs, ils pourront néanmoins nous donner des indications sur les opinions des participants. 4 J’ai effectué mes recherches sur trois jeux différents, Anarchy Online, Dark Age of Camelot et Star Wars Galaxies, afin de rendre mon étude un peu plus générale que si je ne m’étais concentrée que sur un seul MMORPG. Je me suis néanmoins particulièrement penchée sur Anarchy Online, dont la communauté est, selon moi, la plus développée. Les jeux massivement multi-joueurs sont, comme nous l’avons déjà vu, exclusivement jouables via Internet, et demandent un abonnement mensuel allant de 10 à 15 euro. Ils n’ont pas tous le même système de jeu, ni le même univers, et sont donc suffisamment spécifiques pour permettre aux joueurs de les choisir sur certains critères. Certains principes restent toutefois similaires d’un programme à un autre. Il s’agit toujours de créer un ou plusieurs personnages, de les faire évoluer en gagnant des points d’expérience de différentes façons, soit en tuant des ennemis, soit en accomplissant certains actes comme celui de construire un objet. Un système monétaire est toujours présent et est toujours important. Les personnages peuvent vendre des objets trouvés ou construits, et en acheter d’autres qui sont parfois essentiels pour leur survie. D’autre part, les jeux massivement multi-joueurs incitent toujours les joueurs à coopérer, en intégrant des ennemis trop puissants pour un seul personnage. Ils doivent donc constituer des équipes, et cette association est souvent récompensée par un gain de points d’expérience plus important. Il est aussi toujours possible de récupérer un butin sur les corps des ennemis tués, que le joueur peut soit vendre, soit utiliser sur son personnage. Etant donné que les avatars évoluent au fil du temps, la puissance des objets du jeu varie elle aussi. Enfin, tous les MMORPG offrent à leurs participants un ou plusieurs moyens de communication, appelés chats. Les aspects qui diffèrent selon les jeux sont pour la plupart liés à leurs univers. Ils sont généralement issus de la science-fiction ou du médiéval fantastique, et offrent donc différents paysages, différents types de personnages et d’objets, et différents aménagements. Par exemple, lorsque l’un proposera aux joueurs des navettes spatiales pour se déplacer, l’autre offrira un cheval ou autre monture. Le système de gain de points d’expérience diffère aussi selon les jeux, car il est souvent transformé d’un programme à un autre, les joueurs appréciant les innovations sur ce point. Un système de PvP (Player versus Player) est, de plus, généralement intégré, et incite les joueurs à s’affronter. Bien qu’étant toujours basé sur le principe d’affrontement entre participants, les règles peuvent être différentes, et leurs spécificités constituent un élément important dans les jeux massivement multi-joueurs. Les éléments immersifs, qui permettent aux joueurs de se sentir plus proches de ces mondes virtuels, peuvent aussi être présents sous différentes formes. Certains jeux, comme Anarchy Online et Star Wars Galaxies, mettent par exemple à la disposition des participants des lieux 5 communautaires dans lesquels ils peuvent rassembler leurs personnages afin de les inciter à interagir, comme nous le verrons plus tard. Les communautés virtuelles se forment donc dans différents environnements. Certaines coutumes, normes et valeurs peuvent varier selon les jeux et leurs univers. Notons aussi que, même si le principe de créer un personnage et de le faire évoluer est présent dans chaque MMORPG, et en constitue un des buts importants, les objectifs que désire atteindre un joueur sont variés et lui sont spécifiques, ce qui rend les communautés virtuelles plus hétérogènes. Il me paraît donc intéressant d’étudier le fonctionnement de ces communautés, et de voir comment les joueurs réussissent à les entretenir sans être physiquement présents. Dans un premier temps, j’exposerais certaines recherches antérieures sur les communautés virtuelles, et nous verrons tout d’abord une analyse des MUD (Multi-User Domains) de Sherry Turkle2. Puis, une étude de Jodi O’Brien3 montrera que le genre des participants est une donnée qui garde son importance lors des interactions virtuelles. Nous verrons par la suite une analyse d’Elisabeth Reid4 sur le problème du contrôle social que posent les MUD, ainsi qu’un article de Barry Wellman et Milena Gulia5, dans lequel les auteurs se posent la question de savoir si les communautés virtuelles sont de vraies communautés. Enfin, nous étudierons l’émergence de celles-ci au travers d’une étude de Nancy K. Baym6, ainsi que les problèmes qui peuvent y survenir selon Beth Kolko et Elizabeth Reid7. Dans un deuxième temps, nous étudierons les communautés des jeux massivement multi-joueurs en particulier. Nous verrons tout d’abord l’importance du statut social des personnages, dont l’élaboration et le maintien peut, pour certains participants, représenter un des buts premiers dans un MMORPG. Puis, nous nous pencherons sur les relations interpersonnelles qui peuvent s’élaborer entre les personnages ou les joueurs à l’intérieur 2 Turkle, Sherry. Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet, New York, Simon & Schuster, 1995. O’Brien, Jodi. « Writing in the Body: Gender (Re)production in Online Interaction », in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. 4 Reid, Elizabeth. « Hierarchy and Power: Social Control in Cyberspace », in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. 5 Wellman, Barry, Gulia, Milena. « Virtual Communities as Communities: Net Surfers Don’t Ride Alone », in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. 6 Baym, Nancy. « The Emergence of On-Line Community » in Jones, Steven, (dir), Cybersociety 2.0. Revisiting Computer-Mediated Communication and Community, Londres, Sage, 1998. 7 Kolko, Beth, Reid, Elizabeth. « Dissolution and Fragmentation: Problems in On-Line Communities », in Jones, Steven, (dir), Cybersociety 2.0. Revisiting Computer-Mediated Communication and Community, Londres, Sage, 1998. 3 6 même du jeu. En effet, qu’un participant tisse des liens d’amitié et parfois même d’amour, ou interagisse simplement avec les autres joueurs pour rendre son jeu agréable ou trouver de l’aide, communiquer avec son entourage fait partie intégrante des jeux massivement multijoueurs. Par la suite, nous évaluerons l’importance des guildes, organisations rassemblant plusieurs personnages sous un même nom, pour le statut, les relations interpersonnelles et l’intégration de leurs membres dans la communauté. Pour conclure cette partie, nous verrons enfin les coutumes, les normes et les jugements qu’émettent, selon certaines valeurs acquises soit par expérience personnelle réelle, soit par expérience du jeu, les membres de ces communautés. Dans un troisième temps, nous examinerons l’influence de la « réalité » sur les mondes virtuels des MMORPG. Nous étudierons tout d’abord le joueur, et nous verrons les différents buts qu’il peut chercher à atteindre, ce qui est important à ses yeux et la représentation qu’il peut se faire de lui-même et des autres participants. Nous évaluerons aussi l’aide psychologique que peuvent parfois apporter les jeux massivement multi-joueurs, puis nous verrons les raisons qui amènent certains participants à choisir un personnage du sexe opposé. Enfin, nous nous pencherons sur les nouvelles formes d’expression qui se créent au sein des jeux et sur les relations interpersonnelles qui peuvent parfois s’élaborer entre les joueurs au travers du jeu, et évoluer en dehors de son univers. Par la suite, nous étudierons les efforts fournis par les développeurs de MMORPG pour rendre leurs mondes plus réalistes, afin que les joueurs puissent se sentir plus immergés dans l’univers de ces jeux. Puis, nous verrons pourquoi les participants peuvent être amenés à accomplir des actes communautaires, qui sont des actions visant à améliorer les jeux, et parfois à les rendre plus faciles d’utilisation, pour eux et pour d’autres joueurs. Pour conclure, nous réfléchirons sur les éléments des systèmes de jeux qui peuvent inciter les joueurs à interagir, ce qui participe souvent au maintien des communautés virtuelles. 7 Partie I Etude bibliographique Une étude préliminaire de certaines recherches antérieures sur les communautés virtuelles est nécessaire afin de voir les éléments qui peuvent, ou non, s’appliquer aux communautés des MMORPG. Nous verrons premièrement l’analyse que fait Sherry Turkle dans Life on the screen sur l’univers des MUD (Multi-User Domains), les problèmes identitaires qu’ils peuvent engendrer chez les participants mais aussi l’aide psychologique qu’ils peuvent leur apporter. Nous nous attarderons ensuite sur certains articles du recueil intitulé Communities in Cyberspace, édité par Marc A. Smith et Peter Kollock. Les recherches de Jodi O’brien montrerons que le genre des utilisateurs des CMC (Computer-Mediated Communication) continue d’affecter les interactions dans les environnements virtuels. Nous étudierons aussi l’article d’Elizabeth Reid, qui traite du problème du contrôle social qu’il est possible d’effectuer dans les communautés virtuelles en général, et celles des MUD en particulier. Les recherches de Barry Wellman et Milena Gulia répondront ensuite à la question de savoir si les communautés virtuelles sont de vraies communautés. Deux des articles de Cybersociety 2.0 pourront aussi être intéressants à étudier. La recherche de Nancy K. Baym sur l’émergence des communautés en ligne et de leurs spécificités sera une bonne base de connaissances qu’il nous sera nécessaire de posséder afin de pouvoir effectuer une étude plus approfondie de celles-ci. Enfin, un article de Beth Kolko et Elizabeth Reid nous montrera les problèmes qui peuvent survenir à l’intérieur d’une communauté, ou compromettre sa formation. 9 Life on the Screen, Sherry Turkle1 La dernière partie de cet ouvrage, intitulée On the Internet, est particulièrement intéressante à étudier dans l’optique d’une recherche future sur les communautés virtuelles des jeux massivement multi-joueurs. L’auteur y expose sa recherche sur les MUD (MultiUser Domains) et leurs utilisateurs. Elle y explique les attraits, les conséquences et les dangers de ces jeux en ligne pour les participants, en particulier pour leur identité. L’auteur expose tout d’abord en quoi le contexte social est aujourd’hui favorable à une plus grande utilisation d’Internet et de ses communautés. En effet, les lieux communautaires ne fonctionnent plus comme avant, on passe aujourd’hui beaucoup plus de temps seul devant un écran, que ce soit la télévision ou l’ordinateur, tout en essayant de se stabiliser en communiquant par le biais des CMC (Computer-Mediated Communication). Sherry Turkle se penche sur les problèmes d’identité que peuvent provoquer une trop grande utilisation de ces nouveaux moyens de communication et se demande si cela peut entraîner le développement d’une personnalité multiple. L’auteur prend ici l’exemple d’une femme désirant être dans le réel ce qu’elle devient dans le virtuel. Il est vrai que l’un des principaux attraits d’Internet est de pouvoir endosser n’importe quelle identité, sans se soucier du regard des autres, et qu’il y est aisé de changer de personnalité et de personnage afin de tout recommencer si une interaction s’est mal déroulée. C’est aussi l’un de ses dangers les plus importants puisque cette possibilité décentre et multiplie le Moi sans aucune limite. Enfin, l’auteur nous explique pourquoi les joueurs de MUD peuvent passer des journées entières dans ce monde virtuel : « For many game participant(s), playing one’s character(s) and living in the MUD(s) becomes an important part of daily life. Since much of the excitement of the game depends on having personal relationships and being part of the MUD community’s developing politics and projects, it is hard to participate just a little ». (p. 183). Les MUD peuvent conduire certains participants à développer des vies parallèles. Ils présentent bien plus de risques qu’un simple jeu de rôle papier ou grandeur nature car ils n’ont pas réellement de fin, qu’ils sont accessibles à n’importe quelle heure et que les joueurs y construisent entièrement la personnalité de leur personnage. Jouer aux MUD devient souvent une routine et fait parfois partie intégrante de la vie quotidienne des joueurs, ceux-ci 1 Turkle, Sherry. Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet New York, Simon & Schuster, 1995. 10 allant même jusqu’à rester connectés lorsqu’ils travaillent, en laissant le programme tourner en tâche de fond. Ces jeux offrent de plus aux participants la possibilité de se construire une seconde vie et parfois même plusieurs, puisqu’il est toujours possible de recommencer un personnage. Selon Sherry Turkle, « MUDs blur the boundaries between self and game, self and role, self and simulation. One player says, “You are what you pretend to be… you are what you play”. But people didn’t just become who they play, they play who they are or who they want to be or who they don’t want to be. Players sometimes talk about their real selves as a composite of their character and sometimes talk about their screen personae as means for working on their RL [real life] lives. » (p. 192). L’auteur prend alors l’exemple de Stewart, un jeune homme de 23 ans, timide, impopulaire et malade qui explique ce qu’il trouve dans les MUD « I do it so I can talk to people ». Son manque de relations intimes est son principal problème. Selon lui, ce n’est pas un rôle qu’il joue mais une version améliorée de lui-même. Son personnage s’appelle Achille mais il demande à ses amis de l’appeler Stewart, pour se donner l’impression que sa vie dans le MUD est une partie de sa vie réelle. Dans le jeu, Stewart est un homme sûr de lui, populaire et ayant une relation amoureuse avec une jeune fille (qui en est réellement une, ce qui est rare) qu’il épousera. Sherry Turkle espère que la phrase « you are what you pretend to be » puisse aussi s’appliquer à Stewart car il joue son identité, sa personnalité idéale. Ce n’est alors pas tant une double personnalité qui apparaît dans le cyberespace mais plutôt un développement de certains traits d’une personnalité normalement sous développés, généralement à cause de stigmates. Il se pose alors la question de savoir si les MUD peuvent être vus comme une psychothérapie ou, au contraire, une addiction. Stewart avoue par exemple que son expérience des MUD n’a été que « an addicting waste of time » (p. 196), ce qui montre que le jeu n’est parfois pas suffisant pour opérer un réel changement personnel. Il ne se sent pas mieux dans la vie réelle aujourd’hui, il se sent même plus vulnérable, plus malade. Il reproduit dans le jeu les traits de sa personnalité qui l’éloignent généralement des autres, en particulier sa propension à trop s’immiscer dans la vie des gens, alors qu’il pourrait en profiter pour s’améliorer. Pour l’auteur, rejouer ses problèmes ne fera pas avancer le joueur, il doit au contraire se pencher sur ses difficultés et les retravailler pour qu’un MUD soit thérapeutique. Le danger réside dans le fait que, contrairement à un psychothérapeute, les participants ne rappellent pas au joueur qu’il est entrain de refaire les mêmes erreurs qu’il commet dans la réalité. La fonction thérapeutique du jeu dépend alors des problèmes auxquels l’utilisateur doit faire face et des ressources émotionnelles qu’il met en jeu, ainsi que des circonstances. 11 Robert, par exemple, a joué plus que Stewart, mais il avait des responsabilités dans le jeu car il était développeur et administrateur d’un MUD, ce qui, selon lui, lui a appris un plus grand respect de l’autorité. Il s’est arrêté de jouer brusquement, sans même s’en rendre compte, le MUD ayant alors rempli son rôle thérapeutique. Contrairement à Stewart, Robert a décidé de tester dans la réalité les qualités qu’il s’est découvert dans le jeu. Sherry Turkle pense que les MUD peuvent se rapprocher du moratoire d’Erikson2, période de l’adolescence où l’on expérimente certaines choses telles que la drogue, la boisson ou le sexe, et qui sont tolérées pour une certaine tranche d’âge. Cette période moratoire aide au développement de l’identité mais, cette constatation datant des années 50 n’est plus actuelle. Aujourd’hui, l’expérimentation est beaucoup plus dangereuse car de nouveaux problèmes sont apparus : le SIDA, les drogues plus fortes, et les rues moins sûres. Notre culture n’offre plus la possibilité de ce moratoire, mais la réalité virtuelle le fait. Pourtant, bien qu’elle offre de nouvelles possibilités, comme pour Robert, elle offre aussi de nouveaux dangers, comme pour Stewart. Le MUD offre aussi un moratoire pour l’adulte, car, contrairement aux vacances qui sont périodiques et limitées dans le temps, le jeu est toujours accessible. En définitive, les MUD peuvent apporter une aide psychologique si notre Moi est suffisamment sain pour grandir des relations avec les autres. Puisque toutes les interactions qui s’y déroulent sont sauvegardées dans les ordinateurs des participants, ils ont enfin la possibilité de revivre un moment de leur vie en le relisant, et d’essayer de comprendre ce qui ne va pas. Le virtuel offrant la possibilité de créer n’importe quel personnage, Sherry Turkle estime nécessaire de s’intéresser au problème du genre. En effet, le choix du sexe du personnage créé est important car il influe sur ce qu’on appelle le RP (roleplaying), c'est-àdire le rôle qu’interprète le joueur au travers de son avatar, et offre de nouvelles possibilités de comportements. En jouant le rôle d’un homme, Sherry Turkle avoue s’être sentie libre. Pour la plupart des joueurs, il est important de connaître le genre réel des autres participants car ceci aussi influence leurs réactions. Les MUD donnent la possibilité de jouer des personnages neutres, mais il s’avère que le joueur essaye toujours, malgré lui, d’être un homme ou une femme dans son comportement. Le nom du personnage donnera parfois un 2 Erikson, Erik Homburger. Young Man Luther: A Study in Psychoanalysis and History, New York, Norton, 1958. 12 indice important sur le sexe du joueur. Si celui ci ressemble à Hotbabe ou Bigboobs, il y a de fortes chances pour que ce soit un homme, ou plutôt un garçon. Il en est de même si la description du personnage est celle d’une femme parfaite, bien que dans ce cas il puisse aussi s’agir d’une femme n’étant pas très belle dans la réalité. Il est plus facile de changer de sexe dans le virtuel, en particulier pour les hommes, et beaucoup d’entre eux s’essayent aux personnages féminins. Ils s’aperçoivent généralement vite que jouer le rôle d’un personnage d’un autre genre, socialement si différent d’eux, n’est pas simple. De plus, le changement de sexe dans un jeu comporte lui aussi des dangers, aussi bien psychologiques qu’émotionnels. Selon l’auteur, une femme jouant le rôle d’un homme, par exemple, détruira petit à petit sa féminité, l’identité qu’elle aura construite par rapport à son genre, et c’est en partie ceci qui peut causer des problèmes psychologiques. Le changement de genre peut aussi amener le joueur à posséder un double genre, lorsqu’une femme jouera un homme qui prétend être une femme en réalité, ou le contraire. L’auteur fait ici le rapprochement entre cette situation et la pièce de Shakespeare, As You Like It, où Rosalind se déguise en homme, est amoureuse d’un homme en tant que femme et est aimée d’une femme en tant qu’homme. Pour Sherry Turkle, cette pièce met en scène le fait que nous jouons des rôles dans notre vie quotidienne, ce qui n’est pas sans rappeler l’approche d’Erving Goffman3. Le genre du personnage influe sur les interactions qu’il entretient avec les autres participants du monde virtuel auquel il appartient. Garett, en jouant un personnage féminin, a enfin pu aider les autres joueurs sans que cet acte soit pris pour de la séduction et sans se sentir en compétition avec les personnages masculins. Selon lui, cette expérience lui a aussi permis de comprendre ce que c’était d’être une femme. Lorsqu’il a décidé de recréer un personnage masculin, sans pour autant changer sa façon de jouer et en continuant donc d’aider les débutants, il a pu constater que les autres joueurs pensaient qu’il était une femme essayant de jouer le rôle d’un homme. L’auteur se demande alors si les autres joueurs interprètent le comportement de Garett différemment à travers le filtre du genre, ou si celui-ci avait été transformé par son expérience. Selon Sherry Turkle, différentes raisons peuvent pousser les joueurs à changer de genre dans les MUD. Case, par exemple, a choisi d’être une femme pour pouvoir être plus agressif, plus direct. Selon lui, ce comportement est plus acceptable venant d’une femme, car 3 Goffman, Erving. La mise en scène de la vie quotidienne, tome I : La présentation de soi, Paris, Les Editions de Minuit, 1973. 13 un homme serait tout de suite catégorisé par les autres joueurs comme stéréotypé. Jouer une femme est pour lui un moyen d’exprimer un trait de sa personnalité qu’il n’ose montrer dans le réel, celui d’une personne sûre d’elle et franche. Zoe, au contraire, élevée dans le respect de la tradition, a appris à ne jamais discuter l’avis d’un homme. Elle a alors choisi de jouer un personnage masculin pour pouvoir être ferme sans que cela ne soit mal perçu. Ces deux joueurs ont donc une représentation du genre totalement différente. De plus, les personnages féminins se voient plus souvent offrir de l’aide que les personnages masculins, et ceci est une autre explication au choix du genre. Pourtant, Ellen a aussi trouvé de l’aide en se faisant passer pour un homme et c’est, selon elle, grâce à la description de son personnage qui n’était pas du tout virile, les autres hommes ne voyant pas alors en lui une menace. Selon elle, tout est une question de présentation. Pour l’auteur, quelles que soient les raisons qui poussent un joueur à changer de sexe, l’expérience lui apprendra toujours que le genre n’est pas seulement génétique mais aussi socialement construit. Sherry Turkle se penche aussi particulièrement sur le concept d’amour virtuel, tant du côté émotif que sexuel. Par exemple, pour les joueurs de sexe masculin, avoir une relation dans le jeu avec un personnage joué par une vraie femme est quelque chose que les autres participants envient. Il s’avère aussi que les joueurs ne s’entendent pas forcément bien émotionnellement lorsqu’ils en viennent à se rencontrer face-à-face. Un attrait important des relations amoureuses virtuelles est qu’elles n’impliquent aucunement un fort investissement personnel, comme c’est le cas des amours d’adolescents. Ceci, ainsi que l’isolement dans lequel se trouvent souvent les joueurs avant de commencer un MUD, explique que ces relations deviennent très rapidement sérieuses et intimes. Ce que l’on appelle Virtual Sex ou netsex est le fait de décrire les gestes et les réactions d’un acte sexuel lors d’une communication médiatisée par ordinateur. Pour certaines personnes, cette pratique représente l’élément le plus important du cyberespace. Il est vrai que le virtuel est le lieu qui comporte le moins de dangers physiques pour les expériences sexuelles originales. Pour Martin, le netsex lui permet de combler son expérience sexuelle sans pour autant mettre en danger son mariage, fait accepté par sa femme. Janet, au contraire, n’accepte pas ceci de son mari et avoue qu’elle comprendrait mieux un adultère réel. Le netsex pose alors la question de savoir ce qui est au cœur de l’acte sexuel et de la fidélité : l’acte physique ou l’intimité émotionnelle ? L’infidélité est-elle dans la tête ou dans le corps et l’identité réelle du partenaire virtuel est-elle importante ? De plus, il est important de noter 14 que la situation du MUD n’est pas claire, car bien que le monde soit virtuel, que l’espace n’existe pas car non physique, les autres joueurs sont bien réels. Cette pratique est très utilisée et populaire parmi les adolescents. Il est en effet plus facile de flirter par Internet car il n’y a pas de contacts, pas de regards. Les jeunes hommes sont souvent séduits par le fait que leurs érections ne peuvent pas choquer leurs partenaires, et qu’ils se sentent moins gênés et maladroits. De plus, les adolescents sont souvent plus à leur aise à l’abri du regard de l’autre. Internet permettant l’anonymat, il est normal que le risque d’être trompé par l’autre soit présent, en particulier pour les couples virtuels. Une légende du réseau raconte par exemple l’histoire d’un psychologue, Alex, ayant décidé de créer dans une salle de discussion un personnage féminin, Joan, handicapée et défigurée. Grâce à cette identité, Alex a réussi à gagner la confiance des autres femmes et à devenir leur confident. Lorsque sa véritable identité fut découverte, les participantes se sont non seulement senties profondément déçues, mais aussi trahies. Après avoir mené des entretiens au sujet de la romance sur Internet, Sherry Turkle a relevé une typologie complexe des relations virtuelles : soit elles se déroulent dans le monde réel, soit elles sont virtuelles avec une personne réelle, soit elles sont virtuelles avec un partenaire virtuel. Il faut aussi préciser que les règles de conduites ne sont pas encore bien établies sur Internet. Certains actes peuvent alors êtres choquants pour une personne et paraître normaux pour une autre. Selon l’auteur, à partir du moment où le virtuel devient une façon de vivre, il faut inventer un nouveau langage pour parler de tout, même des choses les plus simples. « Each individual must ask: What is the nature of my relationships? What are the limits of my responsability? And even more basic: Who and what am I? What is the connection between my physical and virtual bodies? And is it different in different cyberspaces? […] What kind of society or societies are we creating, both on and off the screen? » (p. 231). Nous avons déjà vu que les lieux communautaires avaient changé. L’anthropologue Ray Oldenberg4 a mené des recherches sur les great good places, lieux où les membres d’une communauté se retrouvent pour discuter, se tenir compagnie et avoir un sentiment d’appartenance (bars, cafés, …). Elles sont au cœur de l’intégration sociale et de la vitalité de 4 Oldenberg, Ray. The Great Good Place: Cafes, Coffee Shops, Community Centers, Beauty Parlors, General Stores, Bars, Hangouts, and How They Get You Through the Day, New York, Paragon House, 1989. 15 la communauté. Ces lieux sont, selon Turkle, de plus en plus désertés aujourd’hui et nous essayons de combler ce vide dans le cyberespace. Il existe en effet des bars, des discothèques, des restaurants dans les MUD. Bien que certains idéalistes pensent qu’Internet va inverser le processus de retraite chez soi et ré-inciter les gens à sortir, Sherry Turkle n’est pas si optimiste car l’effet de la simulation peut être très dangereux Lorsqu’une expérience tout à fait dénaturée semble réelle, l’auteur parle d’effet Disneyland. Par exemple, après avoir pris un brunch dans un restaurant imitant le style mexicain dans un parc d’attractions tel que Disneyland, prendre un café dans une chaîne de restaurants réputée pour son imitation du style peut nous sembler naturel en comparaison. Dès lors, il est compréhensible qu’après avoir joué à un jeu vidéo où l’adversaire est une machine, il soit aisé de considérer le MUD comme une réalité puisque les adversaires deviennent humains. Après avoir connu le « trop faux », le reste nous semble vrai, « we build our ideas about what is real and what is natural with the cultural materials available » (p. 237). Un deuxième effet de la simulation est ce que Turkle appelle l’effet crocodile, en relation avec les crocodiles mécaniques que l’on voit parfois dans les parcs d’attractions. Ces machines font ce que les visiteurs attendent d’elles : elles roulent des yeux, ouvrent la mâchoire, plongent, et sont alors effrayantes comme un crocodile se doit de l’être. L’effet crocodile apparaît lorsqu’une situation artificielle parait plus attrayante qu’une même situation naturelle, lorsque l’on ne peut plus se passer du virtuel. Stephen Talbott5, dans The Future Does Not Compute: Warning from the Internet, relève par exemple des remarques d’éducateurs, selon lesquels les enfants sont aujourd’hui moins attirés par la vie sauvage, car les animaux ne sont pas ce qu’ils ont l’habitude de voir à la télévision. Les expériences directes sont alors dévaluées par les expériences médiatisées. De plus, la bonne organisation de l’information par les médias est un attrait important, puisque le désordre règne dans les expériences personnelles directes. Le dernier effet de simulation que l’auteur remarque est observable lorsque l’expérience virtuelle est si irrésistible que les participants ont l’impression d’y avoir plus accompli que ce qu’ils y ont vraiment fait. Lorsqu’un homme prétend que le fait d’avoir joué une femme dans un MUD l’a aidé à comprendre leur condition, ceci n’est pas totalement vrai. En effet, il ne saura jamais ce que c’est que d’être physiquement une femme. Par exemple, il 5 Talbott, Stephen. The Future Does Not Compute: Warnings from the Internet, Sebastopol, O’Reilly & Associates, 1995. 16 ne connaîtra jamais la peur d’une grossesse ou les douleurs périodiques. L’expérience corporelle est, elle aussi, importante pour la construction du genre. Lorsque l’on parle de communautés virtuelles, il est normal de se questionner sur la politique de ces mondes parallèles. En effet, lorsque Internet est devenu accessible par un plus grand nombre de personnes en 1993, un nouveau thème s’est développé dans les MUD, jusque là peu peuplés. Ces jeux en ligne étaient à dès lors perçus comme un véhicule pour atteindre une mobilité virtuelle. Thomas, par exemple, travaille dans un hôtel et considère faire aujourd’hui partie d’une classe socioprofessionnelle plus basse que celle de ses parents. Dans les MUD, Thomas a l’impression de participer à l’American dream en créant des lieux, des habitations, des objets de luxe, et avoue jouer aussi pour avoir une reconnaissance sociale virtuelle. Pour Sherry Turkle, lorsque qu’un joueur ne fait plus partie de la classe moyenne dans la vie réelle, le monde virtuel lui offre la possibilité de s’élever socialement. Thomas évoque aussi le fait que, dans la réalité, les jeunes personnes n’ont aucun pouvoir politique ni économique, ce qui expliquerait aussi leur évasion dans la virtualité. Il ne fait aucun doute que si tant de personnes ressentent le besoin de s’échapper, c’est qu’elles ne trouvent plus ce qu’elles recherchent dans leurs communautés. Sherry Turkle pense qu’il est possible de voir les MUD non seulement comme des lieux de compensation, mais aussi comme des lieux de résistance, ce qui induit un engagement politique. Internet porte déjà en lui un message politique sur l’importance d’une action directe et d’un groupe de mobilisation. Pourtant, comment changer le monde en restant assis devant un écran ? Au lieu de régler certains problèmes sociaux, les internautes ne se contentent-ils pas de vivre dans le virtuel ? Sans avoir une action directe sur la réalité, les activités politiques observables dans les MUD peuvent tout de même nous renseigner sur ce qui est insatisfaisant in real life. « And yet, it is sobering that the personal computer revolution, once conceptualized as a tool to rebuild community, now tends to concentrate on building community inside a machine » (p.244). Les entreprises et les corporations ont même créé des MUD internes afin de faciliter la communication entre les employés. La frontière entre réalité et virtualité est alors de plus en plus floue, perméable. Howard Rheingold6, dans The Virtual Community, prétend d’ailleurs que cette perméabilité est essentielle pour que le mot communauté puisse être appliqué à un monde virtuel, « At 6 Rheingold, Howard. The Virtual Community: Homesteading on the Electronic Frontier, Reading, AddisonWesley, 1993. 17 least, some of the people [must] reach out through that screen and affect each other’s lives. » (p. 246) Selon Sherry Turkle, Internet pourrait aussi s’apparenter au Panopticon de Jeremy Bentham7, conception d’une prison où l’on ne peut jamais voir les gardiens, mais où eux peuvent voir les prisonniers à tout moment. Dans un MUD, par exemple, les wizards (les administrateurs du jeu) peuvent se déplacer sans être vus et peuvent donc intervenir à n’importe quel moment, dans n’importe quelle situation. Cette présence fantomatique est dissuasive car les joueurs ne savent jamais si un wizard ne se tient pas à côté d’eux, ce qui peut les inciter à respecter le règlement. De plus, tout ce qui se passe dans un MUD, chaque action, chaque mot, est enregistré puis archivé, ce qui peut constituer des preuves. Michel Foucault8 a d’ailleurs développé l’idée que le pouvoir ne nous serait plus aujourd’hui imposé par la force, mais par notre capacité à apprendre à nous surveiller nous-même. Toutefois, des actes de violence sont parfois accomplis. Ceci pose un problème éthique à partir du moment où les MUD ne sont que des jeux, les actes que des mots, et qu’aucune blessure physique n’est infligée. Le viol est, par exemple, interdit dans la plupart des MUD mais certains joueurs arguent qu’un tel acte ne devrait pas être proscrit dans un environnement virtuel. Pourtant, d’autres pensent que, dans un MUD, l’esprit est le corps. Par conséquent, un acte de violence perpétré par texte et touchant l’esprit du joueur, touche le joueur lui-même. Pour Catherine MacKinnon, professeur de droit et féministe, une phrase décrivant un acte de violence envers une femme est une action sociale. Internet offrant la possibilité de changer d’identité très facilement, il serait possible de penser que le risque d’une crise identitaire est, lui aussi, très présent. Pourtant, l’auteur pense que chaque ère construit sa définition de la normalité et qu’elle est aujourd’hui définie comme la capacité de s’adapter et de changer. Ceci vaut aussi bien pour les individus que pour les Entreprises et les Gouvernements. Selon l’anthropologue Emily Martin9, notre système immunitaire est flexible et perméable et ne peut être sain qu’en étant adaptable. Sherry Turkle note ici qu’Internet serait alors un bon moyen d’apprendre cette flexibilité, puisqu’il y est possible d’apprendre à changer d’identité. 7 Concept développé dans une étude de Michel Foucault, Surveiller et punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975. 8 Foucault, Michel. Discipline and Punish: The Birth of the Prison, trad. Alan Sheridan, New York, Pantheon, 1977 (Surveiller et punir : Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975) 18 L’auteur précise de plus que les multiples personnalités qu’il est possible d’avoir dans le virtuel sont intègres. Dans The Protean Self, Robert Lifton10 explique qu’il est possible de changer d’identité tout en restant cohérent et moral. Internet met alors cette théorie en pratique. Il est aujourd’hui possible de se faire une expérience de l’identité comme multiplicité grâce aux communautés virtuelles. Les nombreuses manifestations de la multiplicité dans notre culture contribuent d’ailleurs, pour Sherry Turkle, à une reconsidération de la notion unitaire de l’identité. Aujourd’hui, « we do not feel compelled to rank or judge the elements of our multiplicity. We do not feel compelled to exclude what does not fit. » (p. 262). Le virtuel peut tout autant être une prison qu’un espace de transition. L’auteur prend ici l’exemple d’Ava, une étudiante unijambiste, qui a découvert les MUD peu après l’accident dans lequel elle perdit sa jambe. Son personnage était lui aussi unijambiste et, malgré son stigmate, n’a eu que peu de problèmes relationnels et a réussi à trouver l’amour. Lorsque Ava pratiquait le netsex, son partenaire prenait en compte son infirmité. Selon elle, ceci l’a aidé à redevenir sûre d’elle et à aimer de nouveau. La virtualité peut donc aussi être un lieu d’apprentissage, de compréhension et d’acceptation de nous-même. La vie irréelle du cyberespace ne doit alors pas être rejetée, mais ne doit pas non plus être considérée comme une deuxième vie. « We can use it as a space for growth. […] Like the anthropologist returning home from a foreign culture, the voyager in virtuality can return to a real world better equipped to understand its artifices. » (p. 263). Cette virtualité nous rapproche de plus en plus du mythe postmoderne du cyborg, fusion entre l’homme et la machine. Elle offre aussi à l’être humain la possibilité de passer plus de temps dans ses rêves qui sont, comme le dit Ralph Waldo Emerson11, une des clefs nous permettant de trouver les secrets de notre nature. Il reste néanmoins le risque d’être trop absorbé par ces rêves et de ne plus vouloir de la réalité. Selon Sherry Turkle, l’expérience de la virtualité ne pourra pas être bénéfique tant que nous n’aurons pas compris les multiples Moi que nous y exprimons. Se connaître a toujours était au centre de la pensée philosophique 9 Martin, Emily. Flexible Bodies, Boston, Beacon Press, 1994. Lifton, Robert Jay. The Protean Self: Human Resilience in an Age of Fragmentation, New York, Basic Books, 1993. 11 Porte, Joel, (dir). Emerson and His Journals, Cambridge, Belknap Press, 1982. 10 19 afin d’améliorer nos vies et celles de nos proches. Tout individu devra alors parfaire cette connaissance s’il désire voyager dans le virtuel sans risques. 20 Communities in Cyberspace, Dir. Marc A. Smith et Peter Kollock12 Communities in Cyberspace est un recueil d’articles sur les communautés virtuelles. En exposant l’introduction de Peter Kollock et Marc A. Smith, qui résument les articles de cet ouvrage, nous développerons certains points en particulier. Il existe aujourd’hui deux visions prédominantes en ce qui concerne le réseau Internet, l’une très optimiste et l’autre plus sombre, plus critique. Citons, par exemple, Al Gore13 pour qui « Our new ways of communicating will entertain as well as inform. More importantly, they will educate, promote democracy, and save lives. And in the process they will also create new jobs. In fact, they’re already doing it. » (p. 4). L’approche de Theodore Roszak14 se concentre au contraire sur le nouveau contrôle social que les nouvelles technologies de l’information pourraient exercer : « Information technology has the obvious capacity to concentrate political power, to create new forms of social obfuscation and domination » (p. 4). Pourtant, Internet n’est ni totalement bon, ni totalement mauvais. Le problème de l’identité est, bien entendu, une question centrale des études traitant de la virtualité. Les vêtements, la voix, le corps et les gestes sont des signes qui nous permettent d’évaluer le statut social et le pouvoir de nos interlocuteurs, ainsi que de reconnaître leur groupe d’appartenance. La pauvreté des signaux identitaires disponibles sur Internet peut être une limitation mais aussi une ressource. Certains chercheurs pensent que, puisque l’utilisateur n’est plus jugé sur son apparence (genre, classe, âge, ethnie,…), le jugement se portera désormais sur ses idées et leur mérite. D’autres, au contraire, soutiennent le fait que la hiérarchie et l’inégalité sont reproduites dans les relations en ligne, et sont parfois même accrues. Internet offre visiblement la possibilité de cacher et de changer d’identité facilement. Pourtant, il est parfois difficile de la contrefaire car ses signes sont très spécifiques. Judith Donath15 note, par exemple, que lorsque des programmeurs utilisent les groupes de 12 Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir). Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. Gore, Al. Discours prononcé au Superhighway Summit Royce Hall, 11 janvier 1993, UCLA, Los Angeles (http://www.eff.org/pub/GII_NII/Govt_docs/gore_ shs.speech). 14 Roszak, Theodore. The Cult of Information: The Folklore of Computers and The True Art of Thinking, New York, Pantheon, 1986. 15 Donath, Judith. « Identity and Deception in the Virtual Community » in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. 13 21 discussions (Usenet), il arrive souvent qu’ils attachent à leur message un extrait de code, prouvant leur savoir faire et par la même leur identité de programmeurs. De plus, le nom du compte d’un utilisateur d’un groupe de discussion peut être un indice de son identité réelle. Il en est de même du contenu de ses messages, de la forme, du style, du vocabulaire, de l’orthographe et de la grammaire qu’il utilise. Il est aussi possible d’attacher une carte professionnelle comme signature aux messages, ce qui peut être un indice du statut social du participant. Il existe pourtant le risque d’être trompé par une personne qui aura réussi à cacher son identité. Pour Judith Donath, cette duperie n’est utile que si d’autres personnes exposent leur véritable identité. Deux questions se posent alors : comment les interactions en ligne peuventelles être structurées de façon à encourager la présentation d’une identité réelle, honnête et persistante ? Une identité stable peut-elle être désirable pour l’utilisateur et la communauté ? Selon Byron Burkhalter16, l’identité raciale affecte les interactions face-à-face au même titre que l’âge et le genre, ce qui est toujours le cas dans les relations en ligne. Néanmoins, la dynamique de cette identité change sur le réseau, l’identification est accomplie différemment et le stéréotype ne s’opère plus de la même manière. Les croyances et les attitudes d’un individu remplacent désormais les signes raciaux physiques pour déduire l’ethnie. Jodi O’Brien17 pense elle aussi qu’il est faux de dire que l’absence physique de la personne dans une interaction en ligne gomme l’importance de son apparence et de ses caractéristiques sociales. Elle se penche particulièrement sur la question du genre. Selon elle, « Sex attributes provide basic information about how to conduct interactions with others and how to organize social reality » (p. 77) et ceci est toujours le cas dans la virtualité. Internet est d’ailleurs le terrain idéal pour observer comment s’opère la catégorisation de soi et des autres en l’absence de caractéristiques physiques. Jodi O’Brien observe en particulier la relation entre la technologie et la culture dans la (re)construction de la présentation de soi, lorsque le corps n’est plus disponible comme une source d’information. 16 Burkhalter, Byron. « Reading Race Online: Discovering Racial Identity in Usenet Discussions » in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. 17 O’Brien, Jodi. « Writing in the Body: Gender (Re)production in Online Interaction », in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. 22 Les psychologues sociaux suggèrent qu’on ne peut interagir avec quelqu’un sans l’avoir auparavant catégorisé. Lorsque nous rencontrons une personne et que nous ne pouvons pas immédiatement reconnaître son genre, il est vrai que nous cherchons toujours d’autres signes distinctifs. Nous ne pouvons pas faire comme si le genre ne nous importait pas, nous devons pouvoir « nommer » une personne avant chaque interaction. Les chercheurs pensent aussi que, lorsque le mode conventionnel des interactions symboliques n’est pas disponible, les participants peuvent devenir véritablement obsédés par la détermination des informations manquantes. Ceci pourrait peut-être expliquer pourquoi la question la plus fréquemment posée sur Internet reste « Are you Male or Female? ». Lorsque cette question reste sans réponse, il n’est pas rare que les participants essayent d’obtenir l’information de la part d’une personne qui serait susceptible de la posséder. Les internautes essayent souvent de faire en sorte que leur genre soit l’un des premiers éléments présenté à leur entourage. Par exemple, l’adresse du courrier électronique donne souvent un indice sur le genre de l’utilisateur et, si le nom est ambigu, il rajoute souvent des informations complémentaires pour le mettre en avant. Pour Jodi O’Brien, le genre est alors la caractéristique principale de l’identité dans les interactions en ligne. Le fait de toujours devoir choisir un genre sur Internet montre l’importance de cette forme de catégorisation sociale : nous ne savons pas comment nous comporter dans un environnement sans genres. La présentation de soi, sur Internet, se fait généralement textuellement. En examinant les descriptions des personnages d’un MUD, rédigées par les participants, l’auteur remarque que la plupart d’entres elles sont stéréotypées, que les joueurs n’ont finalement pas d’imagination, et que ceci mène à une plus grande homogénéité. La complexité des signaux corporels du genre est réduite et non pas augmentée, comme il aurait été possible de l’espérer. Selon Lori Kendall18, même si Internet offre la possibilité d’être neutre, sans genre, la vision binaire de celui-ci persiste, et le fait de présenter des stéréotypes de beauté et de désir la perpétue. Changer de genre est une pratique courante sur Internet. En 1993, Stone19 a relevé, à partir du MUD Habitat, qu’il y avait une utilisatrice pour quatre utilisateurs (4:1). Pourtant, 18 Kendall, Lori. « Are You Male or Female? », in O’Brien, Jodi, Howard, Judith, Everyday Inequalities: Critical Inquiries, Londres, Basil Blackwell, 1998. 19 Stone, Allucquère Rosanne. « What Vampires Know: Transsubjection and Transgender in Cyberspace », Retranscrit d’un discours donné au symposium, « In Control: Mensch-Interface-Maschine », Graz, Autriche, 1993. 23 dans le jeu, le ratio était désormais de 3:1, un nombre conséquent de participants créant donc des personnages de sexe opposé. Jodi O’Brien précise qu’il existe sur Internet un accord tacite selon lequel il est acceptable de changer de genre pour expérimenter de nouvelles formes d’interactions, mais aucunement dans le but de tromper les autres. Elle note aussi que certains utilisateurs de MUD n’arrivent pas (ou plus) à faire la différence entre réel et virtuel et préfèrent donc l’authenticité. Les autres joueurs savent qu’ils jouent un rôle. Internet est un des lieux, comme le théâtre, où le changement de genre est autorisé et accepté, et les utilisateurs en profitent. Pour Amy Bruckman20, les participants des MUD peuvent enfin faire l’expérience du genre opposé au lieu de se contenter de l’observer. Outre la question de l’identité, se pose aussi celle du contrôle social. Il serait aujourd’hui possible de considérer Internet comme une arène pour le discours public mais il s’avère que la plupart des groupes sont soit anarchiques, soit dictatoriaux. Internet est souvent le domaine, le lieu du déséquilibre du pouvoir. Elizabeth Reid21 a étudié l’exercice du pouvoir dans les MUD sociaux et d’aventures. Les MUD d’aventure sont organisés en une hiérarchie stricte où les plus hauts placés (mis à part les créateurs du jeu) sont ceux qui marquent le plus de points et qui atteignent ainsi le rang de wizard. Les créateurs ont tous pouvoirs car ils ont en leur possession l’intégralité des fichiers du jeu. Ils peuvent décider de détruire une ville ou de protéger un joueur, de créer des objets, d’être invisible, et peuvent ainsi être apparentés à des « Dieux ». Ils délèguent souvent certains de leurs pouvoirs aux joueurs qui ont joué assez longtemps et assez assidûment pour obtenir ce rang. Dans un MUD d’aventure, on ne peut créer des objets qu’à du partir rang de wizard, ce qui n’est pas le cas des MUD sociaux Le jeu force parfois la coopération entre plusieurs joueurs pour, par exemple, venir à bout d’un ennemi (appelé communément mob, contraction de mobile) très puissant. Les créateurs du jeu incorporent ce type d’ennemis, en s’assurant qu’un seul joueur ne pourra pas le tuer, pour obliger les personnages à former des groupes solidaires. Ils recommandent de plus aux joueurs expérimentés d’aider les débutants en leur offrant des objets et de l’argent. 20 Bruckman, Amy. « Gender Swapping on the Internet », ftp://media.mit.edu/pub/asb/papers/genderswapping.txt, 1993. 21 Reid, Elizabeth. « Hierarchy and Power: Social Control in Cyberspace », in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. 24 Le joueur est souvent désinhibé dans le monde du MUD, il peut rapidement entretenir une relation intime très forte avec un autre joueur, mais aussi exprimer facilement beaucoup d’hostilité et de violence sans avoir peur de la punition. Un acte de violence fréquent est ce que les joueurs appellent le PK (abréviation utilisée pour Player Killing et Player Killer), qui consiste à tuer les personnages des autres participants, généralement de façon déloyale. Pour certains, avoir des ennemis humains augmente l’intérêt du jeu. La possibilité de voir son personnage se faire tuer par un autre joueur renforce de plus le lien entre lui et son personnage. Ceci rend aussi le jeu plus réaliste car ce sont des humains qui agissent et non des programmes informatiques. Certes, les jeunes joueurs abusent très souvent du player killing, en tuant des personnages de niveau inférieur et donc sans aucune difficulté, mais il existe aussi de vrais player killers, respectant certaines règles tacites, ne s’attaquant qu’aux personnages de niveau égal ou supérieur. Lorsque les créateurs d’un MUD décident d’incorporer le player killing, ils balisent généralement cette possibilité de différentes manières : le PK peut n’être autorisé que dans certaines zones de la carte du monde du MUD ; attaquer un personnage de niveau inférieur peut être impossible ; les joueurs peuvent avoir la possibilité de déclarer leur personnage ouvert, ou non, au PvP (Player versus Player). Ces balises évitent la victimisation car, si un joueur se fait tuer dans ces conditions, il ne pourra nier qu’il était au courant des risques et qu’il aurait pu éviter la mort de son avatar. Pour réguler cette violence, on fait souvent appel aux wizards. De plus, il n’est pas rare de voir les joueurs se rassembler et se soulever contre un de leurs pairs. Reid dénombre neuf types de régulations : - éliminer les commandes qui peuvent encourager les comportements hostiles, comme celle, par exemple, qui permet de crier (/yell, /shout, …), - donner la possibilité aux joueurs de filtrer ces comportements. Il est possible d’ignorer les paroles d’un joueur et de ne plus les voir s’afficher sur l’écran ou encore de filtrer les insultes, - bannir temporairement l’auteur d’un comportement hostile du serveur du jeu, - humilier l’auteur sur la place publique. Les créateurs du jeu ou les wizards peuvent, par exemple, prendre les commandes du personnage au comportement violent et l’obliger à se dévêtir dans un lieu de regroupement communautaire, - bannir définitivement le fautif du jeu qui perd alors son personnage, son nom et ses acquisitions, 25 - instituer des critères stricts pour entrer dans la communauté du jeu. Certains MUD requièrent que les nouveaux joueurs soient parrainés par deux membres actifs du jeu, - accroître la responsabilité des joueurs en exigeant d’eux, à l’inscription dans le jeu, des renseignements sur leur identité réelle (adresse, numéro de téléphone, …), - organiser des comités réguliers entre membres d’un MUD, afin de faire le point sur l’ambiance du jeu, - instituer des entrepreneurs moraux et des groupes vigilants. Il arrive par exemple que les utilisateurs se regroupent pour traquer un player killer. Selon Elizabeth Reid, la punition publique, l’humiliation et l’ostracisme marquent un retour à l’époque médiévale : le corps du personnage de l’utilisateur, bien que virtuel, est de nouveau un lieu de punition. Anna Duval Smith22 est, quant à elle, persuadée qu’une forme de médiation est possible dans les MUD. Une troisième question qu’il est important de soulever lorsque l’on étudie les communautés virtuelles est de savoir si il s’agit de vraies communautés. Il existe bien entendu des différences entre les communautés réelles et virtuelles, mais les critiques se basent, la plupart du temps, sur un idéal de communauté réelle. Barry Wellman et Milena Gulia23 ayant étudié ces deux types de communautés, leurs observations semblent pertinentes. Les auteurs précisent tout d’abord que les communautés réelles ne sont plus perçues aujourd’hui en termes de proximité, mais en termes de réseaux sociaux. Avec les téléphones, les voitures et les avions, il n’est plus nécessaire de ne connaître que son proche voisinage. Afin de démontrer que les communautés virtuelles peuvent être considérées comme de vraies communautés, Barry Wellman et Milena Gulia posent sept questions essentielles, que nous allons maintenant détailler. 22 DuVal Smith, Anna. « Problems of Conflict Management in Virtual Communities », in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. 23 Wellman, Barry, Gulia, Milena. « Virtual Communities as Communities: Net Surfers Don’t Ride Alone », in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. 26 Are online relationship narrowly specialized or broadly supported? Dans la réalité, il faut, la plupart du temps, s’adresser à différentes personnes selon le type de soutien que nous recherchons. Par exemple, une personne pouvant fournir un soutien émotionnel ne peut pas forcement fournir une aide financière. Sur Internet, chaque soutien disponible est lui aussi spécialisé. On se rend compte que les internautes veulent apporter de l’aide aux autres en offrant, par exemple, des conseils sur divers sujets. On voit aussi que ce soutien est parfois apporté même si ce n’est pas l’objet premier du site, du forum ou de la salle de discussion. Les informations que véhicule le réseau ne sont pas celles que l’on se transmet dans la réalité, la rapidité de leur transmission augmentant le risque d’une mauvaise information diffusée en masse. In what way are the many weak ties on the net useful? Les informations que l’on peut trouver sur Internet sont souvent offertes par des inconnus et pourtant nous leur faisons confiance. Les liens qui relient ces inconnus sont faibles, ce qui est plus adapté à l’élaboration de relations entre des personnes ayant des caractéristiques sociales différentes. La faiblesse de ce lien est importante car le type de personne que l’on connaît prévaut sur le nombre. Il est préférable d’obtenir trois informations de personnes ayant des caractéristiques sociales différentes que dix provenant de nos pairs, qui risquent fort d’être très semblables. Is there reciprocity online and attachment to virtual communities? On peut se demander ce qui motive les utilisateurs d’Internet à offrir aide et soutien à des inconnus. En effet, ils peuvent chercher de l’aide mais rien ne les oblige à aider en retour. Pourtant, il existe bien une réciprocité et deux explications sont possibles : aider est un moyen d’exprimer son identité, d’augmenter l’estime que l’on a de nous-même et de se faire respecter des autres. Les hackers, par exemple, refusent généralement de changer de pseudonyme pour échapper aux autorités car ils ne veulent pas reconstruire l’identité liée au surnom. La deuxième explication est que les personnes se sentant attachées à un groupe en ligne se sentent plus à même d’aider les membres de cette organisation. De plus, il est fréquent que les participants d’une liste de diffusion par courrier électronique répondent à toute la liste à propos d’une question posée par un seul individu, ce qui pourrait aider d’autres utilisateurs. Il s’avère alors que, même si un participant ne reçoit pas forcément de l’aide de la personne qu’il a aidée, il pourra en trouver auprès des autres membres du réseau, puisque les informations sont partagées et accessibles à tous. 27 Are strong, intimate ties possible online? Selon Perlman et Fehr24, les relations personnelles les plus intenses dans la réalité ont neuf caractéristiques : - la sensation que la relation devient intime et particulière, (1) - un investissement volontaire dans la relation, (2) - un désir de camaraderie avec l’autre, (3) - un intérêt à être ensemble le plus souvent possible, (4) - un désir d’être ensemble dans de multiples contextes sociaux, (5) - la relation doit se dérouler sur une longue période, (6) - il doit y avoir le sentiment que la relation est mutuelle, (7) - les besoins de l’autre doivent être connus et pris en compte, (8) - l’intimité de la relation est souvent soutenue par des caractéristiques sociales partagées : genre, statut économique et social, âge, style de vie. (9) Selon Barry Wellman et Milena Gulia, même si ces caractéristiques sont rarement toutes présentes, elles permettent d’évaluer les relations en ligne car celles-ci possèdent, le plus souvent, la plupart ces propriétés. « They encourage (4) frequent, (3) companionable contact and are (2) voluntary except in work situations. One or two keystrokes are all that is necessary to begin replying, faciliting (7) reciprocal mutual (8) support of tie partner’s needs. Moreover, the placelessness of email contact facilitates (6) long-term contact, without the loss of the tie that often accompanies geographical mobility. » (p. 179). Pourtant, sont-elles assez intimes et particulières pour être considérées comme des relations fortes, et s’appliquent-elles dans de multiples contextes sociaux ? Pour Sara Kiesler et Lee Sproull25, par exemple, sans contacts physiques, sans signaux sociaux, le courrier électronique peut encourager le langage extrême, une difficulté de coordination et, comme pourraient le dire les Neo-MacLuhanites, le medium ne soutiendrait plus le message26. Pour Clifford Stoll27, la communication médiatisée par ordinateur est un contact instantané et illusoire, créant un sens de l’intimité sans 24 Perlman, Daniel, Fehr, Beverly. « The Development of Intimate Relationships », in Perlman, Daniel, Duck, Steve, (dir), Intimate Relationships, Newbury Park, Sage, 1987. 25 Kiesler, Sara, Sproull, Lee. « Group Decision Making and Communication Technology », Organizational Behavior and Human Decision Process, 52, 1992. 26 McLuhan, Marshall. Understanding Media, New York, McGraw-Hill, 1965. 27 Stoll, Clifford. Silicon Snake Oil: Second Thoughts on the Information Highway, New York, Doubleday, 1995. 28 l’investissement émotionnel menant à une relation amicale intense. Walther28, au contraire, soutient que rien n’empêche ces relations d’exister en ligne, mais que l’outil de communication ralentit le processus. Notons aussi qu’elles ne durent que très rarement plus de dix ans, et celles qui atteignent ce nombre d’années sont déjà rares. La plus grande menace qui pèse sur ces relations est la rapidité avec laquelle elles peuvent être perturbées. Il est facile de mal comprendre un message textuel et, lorsque l’outil est asynchrone, nous n’avons pas toujours la possibilité de corriger le quiproquo. En conclusion, Wellman et Gulia pensent que ces relations sont ce que Wireman29 appelle des « intimate secondary relationship » : informelles, fréquentes et qui apportent un soutien, mais qui opèrent seulement dans des domaines très spécialisés. How does virtual community affect « real-life » community? Bon nombre de chercheurs ont exprimé leur peur de voir les gens se détourner des communautés réelles à cause de leur addiction à la virtualité. Cette crainte n’est pas vraiment fondée pour Wellman et Gulia, car passer plus de temps sur Internet ne suppose pas forcément un amoindrissement des interactions dans la réalité. Ceci démontrerait en plus la force des relations en ligne et non leur faiblesse. Les auteurs pensent que le courrier électronique est aujourd’hui de plus en plus accepté et ne fascine plus autant. Ils notent que le téléphone, dans les années 40, était lui aussi considéré comme un moyen de communication pouvant dégrader et dépersonnaliser les relations face-à-face. En 1994, King30 note, de plus, que 58% de personnes qui se disent profondément investies dans la virtualité finissent par rencontrer certains membres de leur groupe dans la réalité. Il est donc possible de faire évoluer une relation virtuelle en relation réelle. Finalement, les relations en ligne sont souvent faibles mais utiles car nombreuses. Elles sont une importante source d’informations, de soutien, de camaraderie et apportent un sentiment d’appartenance. Does the Net increase community diversity Internet incite à la participation à de multiples communautés et facilite la demande de conseils à des personnes distantes, et à des inconnus en particulier. Il encourage aussi 28 Walther, Joseph. « Relational Aspects of Computer-Mediated Communication: Experimental Observations Over Time », Organization Science, 6, 1995. 29 Wireman, Peggy. Urban Neighborhoods, Networks, and Families, Lexington, Lexington Books, 1984. 29 l’expansion de notre réseau relationnel car, par exemple, lorsque l’on transfère un courrier électronique sans effacer les adresses, la personne nous l’ayant premièrement envoyé et celle à qui nous le transmettons peuvent désormais se contacter. Pour Barry Wellman et Milena Gulia, le fait que les utilisateurs ne puissent pas voir la personne avec qui ils interagissent et donc en évaluer le statut, permet à la relation de se développer sur des intérêts partagés sans que les caractéristiques sociales ne fassent obstacle. Une communauté basée sur des intérêts partagés pourrait d’ailleurs, selon eux, favoriser une nouvelle forme d’homogénéité. Pourtant, la possibilité d’une communauté diversifiée sur Internet dépend aussi de la population du réseau et de ses caractéristiques sociales. Une étude de Gupta et al.31 montre, par exemple, que le nombre d’utilisatrices a doublé en six mois, que les deux tiers des utilisateurs ont un niveau d’étude universitaire, un revenu d’approximativement 59600 dollars, et que les trois quarts des utilisateurs vivent en Amérique du Nord. Are virtual communities « real » communities ? « [Communities] are not just pale imitations of « real life ». The Net is the Net ». Les témoignages sur les relations qu’entretiennent en ligne les utilisateurs, suggèrent qu’elles sont proches de celles qu’ils développent dans la réalité : intermittentes, spécialisées et variables en force. Cependant, la camaraderie, le soutien émotionnel, les services et le sentiment d’appartenance, sont plus abondants dans le virtuel que dans le réel. Les communautés virtuelles diffèrent des communautés réelles de par la perception de l’intimité des relations qu’ont les participants. En ligne, le sentiment d’intimité se base essentiellement sur les intérêts partagés et, dans la réalité, sur les caractéristiques sociales similaires. L’architecture d’Internet peut encourager une altération signifiante dans la taille, la composition et la structure des communautés : le réseau soutient la maintenance d’un grand nombre de liens communautaires, surtout si ceux-ci ne sont pas intimes, et ne souffre pas des limites spatiales. 30 King, Storm. « Analysis of Electronic Support Groups for Recovering Addicts », Interpersonal Computing and Technology, 2, 1994. 31 Gupta, Sumit, Pitkow, Jim, Recker, Mimi. « Consumer Survey of WWW Users », http://www.umich.edu/sgupta/hermes.html, 10 août 1995. 30 Les communautés en ligne sont à la fois plus globales et plus locales que les communautés réelles. Plus globales car il n’y a pas de limites d’espace, mais aussi plus locales car l’utilisateur est souvent physiquement seul lorsqu’il interagit en ligne. Aujourd’hui, les lieux communautaires semi-publics, comme les cafés, sont de moins en moins fréquentés. Les gens préfèrent se retrouver chez eux, dans des lieux privés. Nous sommes obligés de rester étroitement en contact avec nos connaissances pour maintenir les liens sociaux, et il en résulte un amoindrissement du nombre de contacts entre les membres d’une communauté. Selon William Mitchell32, Internet pourrait renverser cette tendance car il est aisé d’envoyer un même message à un grand nombre de personnes, ou de dialoguer en direct avec quelqu’un dans une salle de discussion, où tous les autres participants peuvent « entendre » la conversation, comme ce serait le cas dans un café. Grâce aux listes de diffusions, les personnes peuvent même être amenées à connaître les amis de leurs amis. Wellman et Gulia avouent que leur discours se rapproche plus de celui de « diseurs d’avenir » que de celui de chercheurs, car ils argumentent sur des anecdotes. Selon Robert Lucky33, « [when] scientists talk about the evolution of the information infrastructure,… [we don’t] talk about…The technology. We talk about ethics, law, policy and sociology…It is a social invention. » (p. 188). La coopération dans le monde virtuel est un autre sujet intéressant à étudier. C’est d’ailleurs, selon Peter Kollock34, l’aspect primordial d’Internet sur lequel les chercheurs devraient se pencher, au lieu de toujours se focaliser sur l’hostilité qui y règne. En effet, nous voyons sur le réseau beaucoup d’offre de biens publics comme, par exemple, un logiciel gratuit pour aider les néophytes en informatique à créer des objets dans un MUD. Sur Internet, un seul individu peut offrir des biens publics à une importante quantité de personnes en même temps. Leur développement demande généralement un budget relativement bas et un nombre restreint de personnes. Peter Kollock prend l’exemple de Linux, système d’exploitation pour ordinateurs personnels, bien souvent considéré comme étant meilleur que Windows, mais ne disposant pas des ressources nécessaires pour concurrencer le géant de l’informatique. Ce système a été développé par des programmeurs provenant de lieux géographiques très différents, ne se connaissant pas, et coopérant grâce à 32 Mitchell, William. City of Bits: Space, Time and the Infobahn, Cambridge, MIT Press, 1995. Lucky, Robert. « What Technology Alone Cannot Do », Scientific American, 273, 1995. 34 Kollock, Peter. « The Economies of Online Cooperation: Gifts and Public Goods in Cyberspace », in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. 33 31 Internet. Linux existe toujours aujourd’hui, est libre35, gratuit, et est utilisé par un grand nombre de personnes. Pour Peter Kollock, cet exemple illustre bien le potentiel des interactions en ligne pour faciliter la production de biens publics, car la réalisation de ce projet n’aurait probablement jamais été possible sans cette coopération. Il note tout de même des limites à ce système car la production de biens n’est pas forcément la préoccupation de tout les internautes. L’évolution de ce système d’interaction dépendra donc des utilisateurs et de leurs motivations. Marc A. Smith et Peter Kollock36 s’accordent à dire que le contrôle social est important sur Internet. De plus, les communautés réelles et virtuelles ne sont pas identiques puisque, par exemple, l’économie de la coopération et des actions collectives est très différente. Internet peut, certes, servir à la protestation sociale mais certaines caractéristiques de cet outil peuvent aussi encourager la propagation de mauvaises informations. La rapidité de la communication est telle qu’une information erronée peut rapidement atteindre un gros groupe de personnes et la vitesse supplantera donc la précision. Les auteurs précisent alors que les nouvelles technologies (radio, téléphone, cinéma,…) ont toujours crées des révolutions mais jamais celles qui étaient attendues. Selon eux, il est maintenant temps d’arrêter de faire des prédictions sur l’avenir d’Internet et il faut commencer à se pencher sur des analyses sérieuses et des descriptions des groupes en ligne. 35 L'expression « Logiciel libre » fait référence à la liberté pour les utilisateurs d'exécuter, de copier, de distribuer, d'étudier, de modifier et d'améliorer le logiciel (http://www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html). 36 Smith, Marc, Kollock, Peter. « Communities in Cyberspace », in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. 32 Cybersociety 2.0, Revisiting Computer-Mediated Communication and Community, Dir. Steven G. Jones37 Cybersociety 2.0 est un recueil d’études sur les communications médiatisées par ordinateur. Nous nous pencherons particulièrement sur deux d’entre elles, l’une traitant de l’émergence des communautés virtuelles, et l’autre des problèmes qu’elles peuvent rencontrer. The Emergence of On-line Community, Nancy K. Baym. L’auteur explique tout d’abord pourquoi les communautés virtuelles effraient : elles ne sont pas localisées géographiquement, elles sont homogènes (en 1997, on notait que seul 1% de la population adulte mondiale avait accès à Internet) et ne demandent pas d’engagement moral. De plus, on peut noter que les communautés virtuelles peuvent avoir un effet néfaste sur la moralité et l’éthique. Selon Stratton38 (1997), « the American mytholigization of the Internet as a community represents a nostalgic dream for a mythical early modern community which reasserts the dominance of the white, middle-class male and his cultural assumptions ». Lockard39 ajoute « if the offline/black streets have turned mean, go plug into on-line/white optic fiber ». Nancy K. Baym suggère que le « style » d’une communauté virtuelle est façonné par une gamme de structures préexistantes : les contextes externes, une structure temporelle, l’infrastructure du système de communication, les buts du groupe et les caractéristiques des participants. Dans les interactions en ligne, les utilisateurs s’approprient stratégiquement ces structures et les exploitent. Il en résulte une série dynamique de significations sociales qui permettent aux participants de s’imaginer eux-mêmes comme étant membres d’une communauté. Détaillons à présent ces structures: Les contextes externes : sur Internet, il est important de préciser qu’il y a un grand nombre d’américains blancs, bien éduqués, diplômés d’universités et ayant de bon revenus. 37 Jones, Steven, (dir). Cybersociety 2.0. Revisiting Computer-Mediated Communication and Community, Londres, Sage, 1998. 38 Stratton, Jon. « Cyberspace and the Globalization of Culture » in Porter, David, (dir), Internet Culture, New York, Routledge, 1997. 39 Lockard, Joe. « Progressive Politics, Electronics Individualism and the Myth of Virtual Community » in Porter, David, (dir), Internet Culture, New York, Routledge, 1997. 33 Selon l’auteur, les conditions dans lesquelles les participants vont acquérir leur accès à Internet sont importantes pour les relations qu’ils vont y entretenir. Elles seront aussi influencées par les raisons qui poussent une personne à intégrer une communauté virtuelle : un conseil d’ami, une inspiration ou le hasard. La structure temporelle : il existe deux types de communication possible sur Internet, l’une est synchrone et requiert donc la présence des participants au moment de la discussion (chat, MUD, …) et l’autre est asynchrone, les utilisateurs ayant à leur disposition un plus long laps de temps pour y participer. Hollingshead et McGrath40 étendent cette dichotomie pour inclure trois autres structurations temporelles possibles : le groupe peut ne se rencontrer qu’une seule fois, dans un laps de temps limité et dans une discussion synchrone ; le groupe peut entretenir des discussions lors de réunions ponctuelles, en utilisant un outil synchrone ou non ; le groupe peut poursuivre une réunion asynchrone continuelle pendant une longue période. La différence entre les structures temporelles influence la disponibilité d’une réponse immédiate, la capacité de pouvoir écrire et réécrire un message avant de l’envoyer, le nombre de participants dans une même discussion, le sens des phénomènes verbaux et non verbaux (les pauses dans une conversation synchrone, par exemple), ainsi que d’autres variables qui affectent directement le modèle de communication du groupe. L’infrastructure du système : elle façonne les interactions de plusieurs manières. Selon Seibold et al.41, l’infrastructure diffère généralement sur trois points : la configuration physique (nombre d’ordinateurs présents, leur disposition géographique, la vitesse du système), l’adaptabilité du système (capacité des utilisateurs à être anonymes ou non, capacité du système à être programmé et reprogrammé) et l’attitude amicale du système envers ses utilisateurs (la possibilité du système d’effectuer plusieurs tâches en même temps, sa flexibilité, la facilité avec laquelle il est possible d’apprendre à l’utiliser). Chaque différence dans une de ces caractéristiques modifie les possibilités offertes aux utilisateurs lorsqu’ils développent des systèmes de communications organisés. 40 Hollingshead, Andrea, McGrath, Joseph Edward. « The Whole is Less Than the Sum of its Parts: A Critical review of Research on Computer-Assissted Groups », in Guzzo, Richard, Salas, Eduardo, (dir), Team Effectiveness and decision Making in Organization, San Francisco, Jossey-Bass, 1995. 41 Seibold, David, Heller, Mark, Contractor, Noshir. « Group Discussion Support Systems (GDSS): Review, Taxonomy, and Research Agenda » in Kovacic, Branislav, (dir), Organizational Communication: New Perspectives, Albanie, SUNY Press, 1994. 34 Les buts du groupe : selon Hollingshead et McGrath42, les types de tâches effectuées par le groupe ont des structures prioritaires qui affectent le processus de communication. Elles diffèrent de par la transmission qu’elles requièrent, ou non, parmi les membres du groupe, d’informations, de valeurs, d’intérêts personnels et de goûts. Pour Nancy K. Baym, les buts d’un groupe sont différents dans chaque communication médiatisée par ordinateur et diffèrent aussi des buts explicites des outils. Par exemple, dans un groupe de discussion portant sur un sujet particulier, les membres du groupe peuvent aussi exposer des problèmes personnels en public. Selon l’auteur, une liste complète des buts demande une analyse empirique de chaque outil car, sinon, seuls les buts explicites sont apparents. Caractéristiques des participants : la taille du groupe (de trois à plusieurs milliers) est importante ainsi que sa composition, l’histoire commune des membres et son organisation (hiérarchique ou non). Les membres diffèrent de par leurs aptitudes à manipuler le medium, leurs expériences avec les nouvelles technologies et leur attitude envers elles. Selon Steinfield43, la perception du medium par les participants détermine si ils l’utiliseront socialement ou non. Par exemple, les utilisateurs des groupes de discussion sont généralement des personnes qui travaillent avec des ordinateurs et qui ont donc l’habitude de s’en servir comme moyen de communication. D’autres caractéristiques, comme les intérêts partagés et le genre, peuvent aussi affecter les interactions. Pour Contractor et Seibold44, les participants des groupes en ligne s’approprient les règles et les ressources préexistantes dans leurs interactions sociales. Certaines théories suggèrent qu’en s’appropriant ces règles et ces ressources, les groupes créent des structures allant au delà de ce qui existe déjà. On parle d’appropriation car le terme suggère que les participants choisissent les règles et ressources qu’ils désirent, et qui ne leur sont pas imposées. 42 Hollingshead, Andrea, McGrath, Joseph Edward. « The Whole is Less Than the Sum of its Parts: A Critical review of Research on Computer-Assissted Groups », in Guzzo, Richard, Salas, Eduardo, (dir), Team Effectiveness and decision Making in Organization, San Francisco, Jossey-Bass, 1995. 43 Steinfield, Charles. « Computer-Mediated Communication in an Organizational Setting: Explaining TaskRelated and Socioemotional Uses » in McLaughlin, Margaret, (dir), Communication Yearbook, Vol.9, Beverly Hills, Sage, 1986. 44 Contractor, Noshir, Seibold, Dave. « Theoretical Frameworks for the Study of Structuring Processes in Group Decision Support Systems: Adaptive Structuration Theory and Self-Organizing Systems Theory », Human Communication Research, 19, 1993. 35 Les sciences sociales s’intéressent de plus en plus à l’approche de la culture comme étant un système dynamique recréé par le jeu réciproque entre les structures préexistantes et les expériences de la vie quotidienne. Nancy K. Baym veut reprendre cette approche pour l’appliquer au virtuel. Elle précise que l’application de cette théorie suggère que les chercheurs désirant s’intéresser aux processus d’appropriation des ressources dans le virtuel doivent considérer la création d’un sens social comme son centre. Selon Goodwin et Duranti45, chaque interaction transporte un sens social et crée ainsi un contexte social. Le sens créé dans les communications médiatisées par ordinateur a été le centre de beaucoup d’études sur les MUD, les listes, groupes et salles de discussion. Elles ont montré que les membres des groupes exploitent d’une manière créative les caractéristiques des systèmes pour jouer avec les nouvelles formes de communication expressives, pour explorer les identités publiques possibles, pour entretenir des relations improbables dans la réalité et pour créer des normes de comportement. Nous allons aborder maintenant quels rapports entretiennent ces facettes avec les cinq caractéristiques que nous avons observées précédemment. L’auteur précise que ces quatre facettes ne sont pas les seules à produire un sens social, mais sont les plus importantes. Les formes d’expression : le medium ordinateur est souvent utilisé pour diffuser des formes de communication expressives généralement associées aux communications face-àface, et en crée parfois des nouvelles, les smileys (« :-) » « :-( » « :-p » « :-/ ») et les icônes graphiques ( ☺ , ) étant les plus fameux. Le fait que ces smileys soient répertoriés dans des catalogues circulant librement entre les utilisateurs pour s’informer entre eux des codes à utiliser, montre qu’ils sont conscients que leurs communautés ont des formes d’expressions spécifiques et qu’ils prennent un rôle actif dans leur codification. Certaines contractions sont aussi utilisées pour exprimer un état. Par exemple, « lol » signifie laughing out loud et « rofl », rolling on the floor laughing. Chaque groupe peut ensuite créer ses codes spécifiques, le groupe de discussion portant sur les séries télévisées qu’étudiait Nancy K. Baym utilisait, par exemple, le terme « IOAS » pour signifier it’s only a soap. Ces formes d’expression innovantes sont liées aux cinq facteurs détaillés précédemment. Le contexte externe, être sur Internet, offre la possibilité de se familiariser 45 Goodwin, Charles, Duranti, Alessandro. « Rethinking Context: An Introduction », in Goodwin, Charles, Duranti, Alessandro, (dir), Rethinking Context : Language as an Interactive Phenomenon, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. 36 avec un lot de formes d’expressions alternatives. La structure temporelle donne le temps aux besoins de nouvelles formes de se développer et à celles-ci d’être codifiées. Les buts du groupe influencent ces besoins. L’infrastructure du système offre les outils pour développer de nouvelles formes d’expression. Enfin, les caractéristiques des participants fournissent la créativité qui génère les codes et choisissent les formes de communication expressive qui émergent. L’identité : bien que le virtuel offre souvent l’anonymat, les utilisateurs se construisent des identités en ligne. Beaucoup de recherches à ce sujet ont montré de quelle façon les participants changent de genre, d’apparence, d’orientation sexuelle, d’ethnie, de classe, etc. (Stone46 en 1995, Turkle47 en 1995, Reid48 en 1991, par exemple). Pour créer une identité virtuelle, il faut tout d’abord commencer par choisir un nom. Même lorsqu’il n’y a pas d’anonymat, on note que les utilisateurs signent souvent avec un pseudonyme. David Myers49 montre que les participants tiennent beaucoup à leur anonymat et le protégent en veillant à ce qu’aucune information personnelle ne soit communiquée sans leur assentiment. On pourrait alors penser que les participants n’interagissent jamais en tant qu’eux-mêmes, mais on s’aperçoit que les identités virtuelles créées par les utilisateurs sont souvent cohérentes avec leurs identités réelles. Par les pseudonymes et les signatures, les participants arrivent à créer des personnalités identifiables dans un environnement potentiellement anonyme. Ici encore, on peut noter les liens qui existent entre l’identité et les cinq facteurs précédemment étudiés. Tout d’abord les contextes externes et les buts du groupe, car, par exemple, certaines organisations refusent l’anonymat pour diverses raisons. La structure temporelle a aussi de l’influence, puisque la construction d’une identité prend du temps. Walther50 note, de plus, que dans les communications médiatisées par ordinateur synchrones, les participants ont un meilleur contrôle stratégique sur leur représentation. Il faut aussi être souvent présent dans les discussions pour avoir une identité reconnue. L’infrastructure du système détermine les possibilités offertes aux utilisateurs pour se créer une identité, les 46 Stone, Allucquère Rosanne. The War of Desire and Technology at the Close of the Mechanical Age, Cambridge, MIT Press, 1995. 47 Turkle, Sherry. Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet, New York, Simon & Schuster, 1995. 48 Reid, Elizabeth. Electropolis: Communication and Community on Internet Relay Chat, Thèse non publiée, Université de Melbourne, Australie, 1991. 49 Myers, David. « Anonymity is Part of the Magic: Individual Manipulation of Computer-Mediated Communication Contexts », Qualitative Sociology, 19, 1987. 50 Walther, Joseph. « Computer-Mediated Communication: Impersonal, Interpersonal and Hyperpersonal Interaction », Communication Research, 23, 1996. 37 systèmes anonymes offrant, par exemple, plus de possibilités. Enfin, les identités virtuelles proviennent des qualités idiosyncrasiques des participants. Les relations : les participants peuvent non seulement avoir une identité virtuelle mais aussi entretenir des relations avec d’autres participants. Ils se connaissent parfois dans la réalité, parfois non, et il arrive qu’ils se croisent sur différents terrains (MUD, liste, groupe, salle de discussion,…). Parks et Floyd51, en 1996, notent que 60.7% des utilisateurs ont établis des relations personnelles via l’Usenet (groupes de discussion). Les sujets ne considèrent pas la plupart des relations comme intimes et exposent des niveaux modérés d’investissement dans ces amitiés, mesurés par rapport à l’échelle utilisée pour évaluer l’engagement dans les relations face-à-face. Les personnes qui entretiennent des relations en ligne les amènent généralement sur au moins un autre terrain, Parks et Floyd observent alors que 35.3% utilisent aussi le téléphone pour se contacter, 25.4% utilisent le courrier postal et 33.3% se rencontrent dans la réalité. De plus, il n’est pas rare que les participants d’un groupe se rencontrent ponctuellement lorsqu’ils habitent dans la même ville. Selon Myers52, le flame (pratique consistant à insulter, critiquer ou rabaisser une personne) peut être vu comme un jeu. Baym ajoute qu’il est ici possible de comparer le flame aux formes d’insultes rituelles populaires chez les enfants en groupe, servant à les définir comme membres de ce groupe. Les relations sont elles aussi liées aux cinq facteurs étudiés précédemment. Les contextes externes, car la localisation géographique des participants limite leur possibilité à se rencontrer dans la réalité. La structure temporelle, puisque les relations en ligne mettent du temps à se construire, comme c’est le cas dans la réalité. Entretenir des relations amicales avec les participants peut, de plus, être un des buts du groupe. L’infrastructure du système fournit le lien à travers lequel les relations peuvent se former. Enfin, les caractéristiques des participants déterminent si ils perçoivent le medium comme un lieu où des relations peuvent se développer. La façon dont les groupes s’approprient le medium comme un forum relationnel est importante dans la construction sociale des sociétés médiatisées par ordinateurs. 51 Parks, Malcolm, Floyd, Kory. « Making Friends in Cyberspace », Journal of Communication, 46, 1996. Myers, David. « A New Environment for Communication Play: On-Line Play » in Fine, Gary Alan, (dir), Meaningful Play, Playful Meaning, Champaign, Human Kinetics, 1987. 52 38 Normes de comportement : sur Internet, les groupes ont tendance à créer des normes de comportement, et certaines d’entre elles embrassent un large ensemble d’organisations. Elles concernent surtout l’utilisation de la technologie, la violation de l’éthique, le langage inapproprié, les erreurs factuelles et l’encombrement du réseau. Des normes spécifiques à un groupe peuvent aussi se développer. Par exemple, dans un groupe de discussion sur les séries télévisées, il est recommandé de spécifier spoiler dans le sujet des messages révélant la suite ou la fin de l’histoire. Les manières de punir ceux qui ne respectent pas les normes varient selon les groupes, et la punition renforce la norme. Il existe ici aussi des liens entre ces normes et les cinq facteurs précédents. Les contextes externes influencent les normes car ils fournissent les standards qui préexistent dans la réalité ainsi que les inquiétudes autour desquelles le système normatif se développe. La structure temporelle donne le temps aux normes de se développer et peut elle-même en faire partie. Par exemple, dans un groupe de discussion, il est déconseillé d’envoyer une réponse à un message plus de cinq jours après sa publication. Les normes de comportement sont directement reliées aux buts du groupe car c’est lui qui détermine celles qui doivent être instaurées en son sein. L’infrastructure du système joue un rôle important car elle offre différentes possibilités, selon le système, pour instaurer des normes et punir ceux qui ne les respectent pas. Les caractéristiques des participants déterminent enfin le ou les types de comportement qui ne seront pas tolérés. Nous venons donc de voir que les utilisateurs développent des formes d’expressions qui leur permettent de communiquer de l’information sociale, de négocier socialement des identités, d’élaborer des relations et de créer des normes afin d’organiser les interactions et maintenir le climat social désiré. Les ressources et les règles que s’approprient les participants proviennent d’une variété de sources externes. Certains groupes ne génèreront pourtant jamais un ensemble de significations sociales et n’offriront pas un sentiment de communauté à leurs membres. Selon Baym, certains groupes virtuels sont dangereux pour les interactions réelles, mais ceci ne veut aucunement dire qu’ils le sont tous car ils ne sont pas, la plupart du temps, construits en opposition avec la réalité. 39 Dissolution and Fragmentation : Problems in On-Line Communities, Beth Kolko, Elizabeth Reid Après avoir vu l’émergence des communautés virtuelles, nous allons maintenant nous intéresser aux problèmes qui peuvent compromettre leur formation. Beth Kolko et Elizabeth Reid ont étudié les effets néfastes de la multiplicité de la personnalité dans le virtuel, et se sont concentrées sur les relations entre la construction d’une identité virtuelle et la formation de communautés en ligne. Tout d’abord, les auteurs remarquent que la tension entre le langage écrit et le langage parlé peut être un problème dans les communauté virtuelles, car les mots y ont la spontanéité et l’immédiateté du langage parlé mais aussi la permanence du langage écrit. Les MUD sont des environnements textuels et le discours a le plein pouvoir, la négociation linguistique est la seule véritable arme. Après avoir observé, dans un MUD, une tentative de gouvernement avec un Conseil qui a échouée, les auteurs déduisent que les communautés virtuelles ne sont pas l’Agora, qu’elles ne sont pas une place libre et ouverte au discours public. On ne doit pas penser qu’Internet est une institution démocratique d’une manière inhérente, ni que son existence développera la liberté personnelle et conduira à une meilleure compréhension entre les participants. Les utilisateurs ont construit de nouvelles catégories avec de nouveaux symboles de statut et un nouveau langage de domination sociale et de subordination, ne pouvant pas utiliser les catégories réelles en l’absence physique de l’autre. Ainsi, la présence des wizards et autres administrateurs crée une hiérarchie sociale qui peut être très restrictive et oppressive, comme c’est parfois le cas dans la réalité. Selon les auteurs, les personnalités multiples et fragmentées qui se créent dans les communautés virtuelles sont un problème important. La liberté qu’ont les utilisateurs d’obscurcir ou de recréer certains aspects de leur personnalité permet l’exploration et l’expression de multiples aspects de l’existence humaine. Les différentes recherches sur les communautés virtuelles sont pleines de contes et d’anecdotes sur les changements de genre, d’identité, d’âge, d’ethnie, et de statut. Les participants témoignent souvent du degré de déstabilisation de leur vision du monde et de leur personnalité causée par ces expériences, ébranlés au-delà du pensable et les laissant émotionnellement et socialement à la dérive. Dans cet état qui n’est plus ancré nulle part, les 40 bases des contrats sociaux sont déracinées, les participants ont l’impression qu’ils ne peuvent plus faire confiance à qui que ce soit, que tout ce qui est virtuel peut être un mensonge et qu’aucun utilisateur ne révèle jamais sa personnalité réelle. Etant donné que l’identité créée dans le virtuel n’est absolument pas fixe, on l’appelle identité fluide. Les expériences d’identité en ligne sont souvent très focalisées et éphémères. Il n’est pas rare de voir des utilisateurs avec plusieurs personnages dans un MUD, ou plusieurs pseudonymes dans une salle de discussion, un pour chaque humeur et pour chaque jour de la semaine. Cela permet effectivement aux joueurs d’expérimenter une meilleure diversité de la personnalité mais, finalement, les personnages agissent dans des secteurs psychologiques et sociaux très limités, car ils sont souvent focalisés sur un trait particulier de l’identité des participants. Selon les auteurs, la fragmentation de l’individu retarde la formation d’une personnalité flexible et résiliente, or les problèmes interpersonnels requièrent de la flexibilité pour être résolus (compromis, empathie, négociation). Sans ces qualités, chaque relation en ligne présente un risque. Il est vrai que l’on peut observer des personnalités différentes en chacun de nous dans la réalité, entre l’environnement de travail et domestique par exemple, mais elles sont toutes unifiées dans un seul corps, reconnaissable et identifiable visuellement par les autres. Les personnalités en ligne, au contraire, ne sont pas intégrées spatialement et, du point de vue de l’individu, il peut y avoir une disjonction psychologique manifeste entre l’expérience d’être une personnalité et celle d’être une autre. Cette disjonction est permise par le caractère particulier du cyberespace : les personnalités ne peuvent pas être vues ni unifiées par les autres comme étant dirigées par un seul et même individu physique. Les communautés virtuelles encouragent la multiplicité et non la flexibilité, chaque personnalité a un rayon d’action sociale limité et non diversifié. Cette schizophrénie culturelle rend les communautés virtuelles fragiles et ne les équipe pas de façon à ce qu’elles puissent évoluer avec les demandes des situations. Les participants ne réalisent que rarement que de multiples aspects de la personnalité et de multiples connexions sociales entre les personnalités sont nécessaires pour que la communauté virtuelle survive. Les utilisateurs sont trop engagés dans la particularité de leur personnalité en ligne du moment, et ne le sont pas assez dans la continuité de cette identité. Par exemple, le premier réflexe de la plupart des utilisateurs des salles de discussion est de changer de pseudonyme dès qu’une interaction se déroule mal. Les auteurs notent aussi que, sur Internet, les participants se polarisent très rapidement sur leurs idées, qu’ils se sentent inexorablement liés au fait de défendre leurs opinions. Lorsqu’il arrive qu’ils abandonnent 41 leur position sur un sujet, le réflexe le plus fréquent est, encore une fois, de changer de pseudonyme. Il est trop simple de changer d’identité, ce qui permet aux utilisateurs de ne pas assumer leurs idées, et la communauté en souffre. Pourtant, dans le virtuel, les utilisateurs sont ce qu’ils écrivent, d’une manière bien plus intime que ce qu’ils montrent d’eux dans les relations face-à-face, puisque les écrits sont permanents. La fixité des mots remplit le gouffre formé par l’implacable fragmentation de la personnalité, qui retarde et gêne la formation des communautés. La dispersion de l’espace, dans le monde virtuel, est aussi un problème important dans la formation des communautés. L’assertion de Soja53, en 1989, «spatiality cannot be completely separated from physical and psychological spaces » (p. 220) se rapporte spécifiquement à la connexion entre la personnalité multiple et non fixée et la géographie dispersée du cyberespace. Trop de dispersion fait que le Moi ne devient pas un agent mais un sujet. Selon Marc Lajoie54, les communautés virtuelles résultent dans l’élimination de l’espace public. Les interactions virtuelles réduisent les citoyens au statut d’identités atomisées, mal équipées pour une vie publique ou une politique collective. Beth Kolko et Elizabeth Reid sont d’accord avec cette constatation, et pensent que les personnalités devraient être localisées géographiquement pour être fermement ancrées dans une relation de cause à effet. Comme un touriste qui ne se sent pas concerné par les responsabilités et les contraintes sociales du pays qu’il visite, la personnalité virtuelle ne se sent pas responsable socialement, puisqu’elle se trouve dans un lieu délocalisé. Selon Dan Nguyen et Jon Alexander55, le fait de ne pas être géographiquement enraciné détruit la conception d’une organisation politique dans les communautés virtuelles. L’activité politique en ligne n’a aucun effet, et son argumentation réduit l’intérêt des participants pour la politique dans la réalité. La possibilité qu’ont les utilisateurs à changer de personnage à volonté est pour eux une raison de ne pas s’impliquer dans différents types d’actions et de réactions liées à la personnalité du moment. Les participants sont donc incapables de contribuer d’une façon significative à la santé et au maintien d’une communauté virtuelle. 53 Soja, Edward. Postmodern Geographies: The Reassertion of Space in Critical Theory, Londres, Verso, 1989. Lajoie, Marc. « Psychoanalysis and Cyberspace » in Shields, Rob, (dir), Cultures of the Internet: Virtual Spaces, Real Histories, Living Bodies, Londres, Sage, 1996. 54 42 Beth Kolko et Elizabeth Reid suggèrent que les notions d’identités fragmentées et d’identités unifiées ne doivent pas forcement être en compétition. Elles peuvent coopérer pour produire une conception du Moi consistant en des interactions entre des personnalités discrètes, chacune d’elles contribuant à un tout et aucune ne dominant perpétuellement. Les ruptures qui surviennent dans les communautés virtuelles sont liées au Moi et à l’espace. Le corps politique du cyberespace est aussi fragmenté que les personnalités. Ce sont nos humeurs multiples, nos opinions changeantes et notre pluralité qui permettent la création d’une culture vibrante et vivante dans la réalité. Le fait que le joueur puisse changer de personnage lorsqu’il change d’humeur implique que chaque personnage aura finalement une humeur et des opinions fixes. De plus, les communautés virtuelles encouragent la diversité et non la cohérence, chaque personnalité individuelle ayant un champ d’action sociale limité et non diversifié. Les auteurs font ici une comparaison intéressante : le corps humain ne peut pas supporter la croissance de cellules non diversifiées, cela s’appelle le cancer. Le corps culturel demande lui aussi de la diversité et de l’adaptabilité. Avoir de multiples facettes fait partie du genre humain mais si les communautés virtuelles doivent être des communautés, elles doivent autoriser et encourager une projection holistique du Moi dans le paysage virtuel. 55 Nguyen, Dan Thu, Alexander, Jon. « The Coming of Cyberspacetime and the End of the Polity » in Shields, Rob, (dir), Cultures of the Internet: Virtual Spaces, Real Histories, Living Bodies, Londres, Sage, 1996. 43 Cette étude bibliographique nous offre des axes de recherches et des connaissances nécessaires afin d’effectuer une analyse des communautés virtuelles dans les jeux massivement multi-joueurs. Nous verrons que les sujets traités par Sherry Turkle s’appliquent bien souvent aux MMORPG, même si ceux-ci ajoutent certains éléments importants, ne serait-ce qu’un environnement graphique. En effet, les raisons qui poussent un joueur à changer de genre dans un jeu sont souvent similaires. Il en est de même pour les problèmes identitaires que ces jeux peuvent causer, les participants pouvant être conduits à mener une vie parallèle dans la virtualité. L’étude de Jodi O’Brien nous a montré que le sexe des participants était toujours important lors des interactions en ligne. Ceci nous aidera à comprendre pourquoi les joueurs s’intéressent réellement au genre véritable des autres participants. Les recherches d’Elizabeth Reid sur le contrôle social qu’il est possible d’effectuer dans les communautés virtuelles peuvent, quant à elles, nous donner des pistes sur les « législations » qui pourraient y être instaurées. Nous pourrons constater que, dans un jeu comme Anarchy Online, certains joueurs peuvent demander l’accès au rang d’ARK (Advisors of Rubi-Ka), qui leur confère certains pouvoirs. Ils auront alors la possibilité de demander le bannissement temporaire ou définitif d’un joueur à une autorité supérieure si ils considèrent que ce dernier n’a pas respecté le règlement. D’autre part, l’article de Barry Wellman et Milena Gulia nous a montré, en répondant à certaines questions, que les communautés en ligne pouvaient être considérées comme de vraies communautés. Certaines de ces réponses pourront s’appliquer aux jeux massivement multi-joueurs. Avant de commencer une étude des communautés virtuelles, il peut, de plus, nous être utile de connaître les informations apportées par Nancy K. Baym sur leurs caractéristiques et leurs spécificités, ainsi que sur la relation entre des structures préexistantes et des éléments qui produisent du sens social. Les problèmes qui peuvent y survenir ou compromettre leur formation ne seront pas étudiés dans ce mémoire. Néanmoins, ils constituent un élément important que nous devons garder à l’esprit lors d’une recherche sur les communautés virtuelles. De plus, Beth Kolko et Elizabeth Reid ont montré que les utilisateurs des CMC construisaient de nouveaux symboles de statut, ce qui sera aussi observable dans les MMORPG. Nous pouvons maintenant commencer une étude approfondie des communautés se formant dans les jeux massivement multi-joueurs. 44 Partie II Les communautés des MMORPG Les communautés virtuelles des MMORPG ont des aspects spécifiques qui les démarquent de celles précédemment étudiées. En effet, contrairement aux groupes de discussions, aux courriers électroniques, aux messageries instantanées et même aux MUD, il s’agit de mondes graphiques dans lesquels les personnages sont « physiquement » représentés sous formes d’avatars. Bien que les communautés des MUD puissent se rapprocher de celles des MMORPG, cet aspect graphique ajoute des données et rend l’univers du jeu plus réaliste et plus immersif, ce qui peut aussi parfois aggraver les problèmes identitaires observés par Sherry Turkle1. Nous étudierons tout d’abord l’importance du statut social d’un personnage pour les participants, ce qui pouvait aussi être observé dans les MUD. Cependant, l’univers de ces jeux étant retranscrit uniquement par texte, il était en général impossible de connaître le statut d’un personnage sans l’examiner en exécutant une commande particulière, ce qui demandait donc une intention de le connaître de la part des autres participants. Dans les MMORPG, nous allons voir que la position dans l’échelle sociale de la communauté peut être immédiatement visible sur un personnage, et ceci fait partie des éléments qu’ajoute l’aspect graphique de ces jeux. Nous verrons ensuite les relations interpersonnelles qui peuvent se développer dans cet environnement virtuel entre les personnages ou leurs joueurs. Interagir avec son entourage est en effet essentiel dans un MMORPG et fait partie intégrante du jeu. Ici encore, il est possible de faire un rapprochement avec les MUD mais le fait de pouvoir « voir » son interlocuteur, son statut, son apparence et son genre immédiatement, peut faciliter les interactions. Par la suite, nous étudierons l’importance des guildes, organisations regroupant plusieurs personnages et dont le nom est souvent visible sous leurs pseudonymes. Elles sont une source d’information importante pour les joueurs, peuvent changer le statut de leurs membres et les aider à se constituer un réseau de contacts sociaux. Enfin, nous verrons les coutumes et les normes qui régissent les communautés virtuelles ainsi que les jugements qu’émettent les membres suivant certaines valeurs. Bien que préexistants dans les sociétés dont sont généralement issues les joueurs, certains de ces aspects sont propres à l’univers des MMORPG. De plus, l’environnement graphique peut ici encore ajouter certaines données 1 Turkle, Sherry. Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet, New York, Simon & Schuster, 1995. 46 déjà relevées dans les MUD en les rendant plus réalistes et plus immersifs pour la majorité des participants. 47 Le statut social Il est intéressant de voir à quel point le statut social des personnages est important dans les communautés virtuelles des jeux massivement multi-joueurs, ceci étant le cas dans la plupart des MUD. Nous pourrions même dire que gravir les échelons de l’échelle sociale virtuelle est un des premiers objectifs pour la majorité des participants. Il peut donc être intéressant d’étudier les observations relatives à l’existence, à l’importance et au maintien de ce statut. Nous pouvons d’abord noter le lien existant entre le niveau du personnage et son statut social. En effet, plus le niveau est élevé, plus l’avatar a de chances d’être respecté par les autres, puisque cela montre qu’il est joué depuis assez longtemps pour l’avoir atteint et que le joueur connaît donc probablement mieux le jeu que les personnages de niveaux inférieurs. Par conséquent, ses conseils concernant le jeu et son système auront tendance à être mieux acceptés par son entourage que ceux prodigués par un personnage de bas niveau. Pour expliquer ceci, nous pourrions suggérer que le niveau est en réalité le seul indice mis à notre disposition sur la connaissance du jeu du joueur. De plus, il est toujours important de savoir avec qui l’on communique pour estimer la valeur de ses informations. En effet, si un avocat nous conseille sur un point juridique, nous aurons plus tendance à le croire que si l’information est prodiguée par un étudiant en chimie. Pourtant, dans un jeu, il est impossible de connaître le véritable statut du joueur qui nous conseille lorsque celui-ci est un inconnu. Si l’information reçue provient d’un jeune adolescent, il est possible que nous n’y accordions aucun crédit dans une interaction face-à-face. Pourtant, si son personnage est d’un niveau supérieur au nôtre, cela indique qu’il a plus d’expérience que nous dans ce contexte, et nous sommes alors parfois plus à même d’écouter ses conseils. Notons d’ailleurs que sur plus d’une centaine de joueurs francophones, 36,52% avouent attacher plus d’importance à un conseil provenant d’un personnage dont le niveau est supérieur au leur. Il est de plus intéressant de noter l’existence de termes spécifiques pour désigner les personnages de haut niveau comme GB (« gros bill », terme français tiré des jeux de rôle papier désignant un joueur surpuissant, ayant des objets rares et des compétences élevées) ou encore uber (mot allemand signifiant « au-dessus de », rappelant le concept de surhomme, 48 l’ubermensch, de Nietzsche2). De même, le terme newbie (nouveau) désigne les joueurs de bas niveau et inexpérimentés. La tranche de niveaux dans laquelle il est possible d’être désigné par ces termes diffère selon le jeu, le niveau maximum qu’il est possible d’y atteindre et, parfois, selon les groupes. Les termes eux-mêmes diffèrent selon le jeu et les groupes, en particulier à cause de leur langue (GB, par exemple, est une expression typiquement francophone). Dans Anarchy Online, l’objet principal de notre étude, le joueur peut regarder le niveau des autres personnages en appuyant sur la touche Shift du clavier, et en cliquant sur leurs avatars. Ce n’est donc pas une manipulation faite au hasard, et elle requiert le désir de connaître le niveau d’un avatar pour être effectuée. Il est alors important pour le joueur d’exposer ses capacités liées à son niveau, pour que son entourage prenne conscience de son stade d’avancement dans le jeu, sans avoir besoin d’examiner son personnage. Par exemple, durant la première soirée organisée dans un bar virtuel d’Anarchy Online à laquelle j’ai assistée, j’ai remarqué que beaucoup de participants se transformaient en loups, capacité d’un certain niveau, pour montrer qu’ils en étaient capables et prouver ainsi qu’ils n’étaient pas des débutants. Certains objets montrent aussi le statut d’un personnage, car les joueurs en connaissent généralement le prix, et que plus le niveau est élevé, plus il est facile d’avoir des credits, monnaie d’échange du jeu. De plus, il existe des armes et des armures requérant de hautes compétences pour être portées. Notons enfin que les joueurs très expérimentés d’Anarchy Online n’en sont pas à leurs premiers personnages, et prennent généralement plaisir à créer des avatars possédant des compétences de plus haut niveau que celles normalement détenues par les avatars de leur niveau actuel, en exploitant les ressources du jeu au maximum. Ceci est communément appelé du twinking et il est encore plus important pour les joueurs de préciser leur niveau lorsqu’ils exposent leurs capacités pour se voir conférer un statut social plus élevé. Voyons à présent comment ce lien niveau/statut est observable dans Anarchy Online. J’ai remarqué que lorsque la présidente de ma guilde, Munn, détruisit son personnage d’un niveau élevé (180 sur 200) pour en recréer un, sa dénomination au sein de notre organisation a soudainement changé. En effet, les membres l’appelaient la plupart du temps « cheffe » (notons ici l’orthographe inexacte utilisée pour désigner le genre du personnage) et ont ensuite adopté le terme « cheffette », puisque son personnage était à présent l’un des plus bas 2 Nietzsche, Friedrich. Ainsi parlait Zarathoustra, trad. M. Betz, Gallimard, Paris, 1947. 49 niveaux de la guilde. Nous pouvons donc déjà suggérer que le niveau a de l’importance dans l’évaluation du statut du personnage. Il lui confère aussi des droits particuliers au sein de la communauté qui ne sont pas forcément prévus par le système du jeu. Par exemple, la salle de discussion (appelé chan pour channel dans le jeu) AllianceFR est réservée aux discussions concernant la défense des tours francophones (objet que l’on peut construire pour obtenir des bonus de compétences, et qui est attaquable par les autres factions. Illustration I). Rien n’empêche un joueur de bas niveau de participer à ces discussions, mais la défense de tours est considérée comme une activité nécessitant un haut niveau. Par conséquent, cette salle de discussion est officieusement, elle aussi, réservée à des joueurs de niveau élevé et un débutant intégrant la salle comprendra vite qu’il n’est pas vraiment le bienvenu. Cette remarque d’Arcalee, membre de haut niveau de ma guilde, montre son étonnement après mon incursion dans la salle, alors que je débutais : « tu fais des mt sur le ch alliance toi ? :p » (mt signifie miss tell, c’est-à-dire un message s’affichant dans une salle ou envoyé à quelqu’un alors qu’il aurait dû s’afficher autre part ; ch est ici la contraction de channel). Lors d’une discussion dans une salle de discussion privée, j’ai aussi pu observer l’influence du niveau sur la valeur d’une information. J’incarnais alors un de mes personnages secondaires, Neliaa, de niveau 12, ce qui est vraiment bas dans Anarchy Online et à la portée de tout joueur. Lorsqu’une question sur le jeu fut posée, je me suis empressée de répondre, mais le joueur a reposé la question tout de suite après. Je me suis donc attelée à répondre une seconde fois, plus clairement, mais mon information fut une nouvelle fois ignorée. Lorsque la personne qui m’avait invité dans cette salle répéta mon conseil en précisant que Neliaa était un personnage secondaire et que mon personnage principal était de niveau 120, le joueur l’accepta. Il est aussi possible de constater le sentiment, parfois inconscient, d’appartenir à une élite de la part des personnages ayant atteints un haut niveau. Notons par exemple que lorsque la guilde à laquelle j’appartenais, les Anges Rebelles, a changé de président, (la présidente actuelle, Munn, désirant ne plus avoir de responsabilités dans le jeu) les personnages de haut niveau décidèrent de créer une guilde à part, la Garde de Damoclès, principalement axée sur la défense de tours, et réservée aux joueurs de haut niveau. Le fait de devoir atteindre un certain niveau afin de pouvoir intégrer cette guilde pourrait alors, selon moi, s’apparenter à de l’élitisme. Dans Dark Age of Camelot, j’ai pu observer une autre forme d’élitisme. Sur le forum d’une guilde du jeu, un message appelait tous les joueurs ayant un niveau supérieur à 40, (sur 50) à s’enregistrer sur une liste pour participer à une partie de chasse. La majorité des joueurs ne rentrant pas dans cette catégorie de niveau a alors manifesté son mécontentement, 50 son sentiment d’injustice et d’élitisme. De plus, il n’est pas rare de voir des plaisanteries que seuls les joueurs de haut niveau peuvent comprendre être proférées parmi un ensemble de débutants. Les personnages qui la comprendront seront donc considérés comme faisant parti de « l’élite » des joueurs expérimentés. Précisons aussi qu’Anarchy Online donne la possibilité aux guildes d’instaurer une hiérarchie et des grades. Dans une guilde connue, un grade élevé peut influencer le statut social du personnage. Il lui confère souvent des droits supplémentaires, comme l’accès aux réunions réservées aux hauts gradés, ou à certaines parties du forum de la guilde, elles aussi réservées aux joueurs d’un certain grade. N’oublions pas l’existence d’objets particuliers pouvant, lorsqu’ils sont portés, montrer le statut et le niveau du personnage. Dans Anarchy Online, l’objet démontrant le plus le niveau élevé de son propriétaire s’appelle un yalm, (abbreviation de Yalmaha) véhicule de transport volant (le seul du jeu), stylisé, cher, et demandant un certain niveau de compétence pour être utilisé. Son prix, pouvant aller jusqu’à 8 millions de credits, est son principal intérêt car cette somme est difficile à obtenir avant le niveau 100. Certains joueurs n’en achètent que pour le montrer et non pour s’en servir. D’autres objets comme des lunettes, des armures, ou des chapeaux, peuvent eux aussi montrer le niveau, du moins la richesse d’un personnage, soit parce qu’ils sont très chers, soit parce qu’ils ne sont trouvables que sur des ennemis de haut niveau. Le studio de développement du jeu, Funcom, ajoute régulièrement des objets de valeur afin de varier ces signes de statut. Précisons que ces objets ont parfois la caractéristique d’être nodrop, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être donnés d’un joueur à un autre, la seule façon de se les procurer étant donc de les acheter ou de les récupérer sur le corps des ennemis. De plus, ces objets sont vendus dans les superior stores, magasins vendant des objets pour les personnages de haut niveau et ayant d’ailleurs une décoration plus chic, plus originale que les autres lieux d’achat. Il est néanmoins possible qu’un joueur offre le prix de l’objet à un autre participant, celui-ci pouvant alors l’acheter sans avoir eu besoin de gagner la somme demandée. Ainsi, mon personnage a pu avoir un yalm au niveau 20, ce qui est rare. L’objet ne montrait ici ni mon niveau, ni ma richesse, mais plutôt le fait que j’avais parmi mes connaissances au moins un personnage suffisamment riche pour pouvoir me l’offrir, ou que j’avais moi-même un personnage de haut niveau pouvant se permettre de transférer assez d’argent dans un avatar secondaire, ceci étant aussi une marque de mon statut. Ces objets existent dans tous les MMORPG : Anarchy Online a son yalm, ses armures et ses objets décoratifs, Dark Age of Camelot a ses épées à lames flamboyantes et ses teintures noires pour les armures, Everquest a ses objets véritablement uniques, (il n’en existe qu’un 51 exemplaire dans le jeu). Pourtant, à certaines occasions, le joueur ne ressent plus le besoin de se démarquer des autres par des objets de haut niveau. Lors de soirées organisées dans des boîtes de nuit virtuelles, la coutume veut que tous les joueurs fassent l’effort de s’habiller avec des vêtements, et non des armures, et que le niveau des personnages ne soit pas ostensiblement exposé. Aujourd’hui, il apparaît que la nouvelle génération des jeux massivement multijoueurs a abandonné la notion de niveau. Dans Star Wars Galaxies, il est impossible de connaître l’avancement d’un personnage dans le jeu autrement qu’en regardant son apparence. Les objets (armures, armes, etc.) sont alors encore plus importants, car ils deviennent un des seuls signes du statut du personnage. Bien qu’il soit possible d’afficher un titre spécifiant la classe et le niveau d’avancement du personnage dans cette profession sous son nom, il est toujours possible d’en choisir un bien en dessous de ses compétences, et seule son apparence peut alors dévoiler son niveau. De plus, l’accroissement de l’importance des objets aux yeux des joueurs peut aussi être démontré par l’action marketing mise en place par la nouvelle génération de jeux. En effet, pour inciter les consommateurs à acheter un jeu avant sa sortie officielle ou dans sa version de collection, il leur est promis un objet unique, que ce soit des lunettes dans Star Wars Galaxies ou un appartement dans la nouvelle version d’Anarchy Online. Outre le niveau et les objets, la réputation d’un personnage est elle aussi importante. En effet, les notions de bonnes et de mauvaises réputations sont présentes, et influent sur le statut accordé aux membres de la communauté qui y attachent une grande importance. Par exemple, Anarchy Online offre la possibilité de créer sept personnages différents sur un même serveur et, pourtant, il arrive que certains joueurs détruisent leurs personnages pour garder leurs pseudonymes. Munn, présidente des Anges Rebelles, (guilde de joueurs, que j’avais choisi d’intégrer) a ainsi détruit son personnage de niveau 180, ce qui représente des mois de jeu, alors que le joueur aurait pu créer un nouveau personnage et l’appeler Munne, par exemple. Lorsque je l’ai questionné sur cette destruction, il m’a simplement répondu « je voulais garder le nom ». En effet, après avoir joué plus d’un an le rôle de Munn, il devait lui apparaître difficile de changer de pseudonyme. Tous ses contacts auraient eu du mal à joindre son personnage en discussion privée, car cette commande nécessite le nom précis du personnage à joindre. On aurait aussi pu penser qu’il s’agissait d’un autre joueur ayant choisi le nom de Munne pour taquiner le joueur original. Le statut accordé au personnage Munn, durement et longuement acquis, aurait pu être amoindri. En effaçant son personnage et en 52 gardant son nom, le joueur a ainsi maintenu son statut social et sa réputation intacts. La bonne réputation d’un joueur peut, de plus, lui obtenir quelques avantages. Après avoir joué un mois le rôle de Driade, je me suis absentée du jeu pendant quatre mois. Lorsque j’ai recommencé à jouer, la guilde à laquelle j’appartenais avait entre-temps choisi d’instaurer des grades en son sein, et je me suis vue conférer le grade de membre permanent, (Unit leader) car les autres membres me connaissaient déjà pour la plupart, et m’appréciaient. La réputation d’un personnage est construite de différentes façons. Il peut, par exemple, être tout simplement quelqu’un d’agréable, prêt à aider son entourage et qui évite d’insulter les autres joueurs. Il peut aussi être un bon joueur doué dans sa profession. Un bon ingénieur sachant construire de bons objets à des prix raisonnables est souvent réputé. Il est aussi possible que le personnage fasse partie d’une guilde, et c’est de la réputation de son groupe que découlera la sienne. Une mauvaise réputation se construit de la même manière : le personnage peut être désagréable, ses prix peuvent être trop élevés et sa guilde peut avoir une très mauvaise réputation. Le statut et la réputation d’une guilde déteignent donc sur ses membres. Par exemple, la guilde Nemesis est réputée pour n’être formée que de joueurs de haut niveau. Par conséquent, lorsque nous croisons un personnage de Nemesis, nous n’avons nul besoin de regarder son niveau ou même son apparence pour savoir qu’il est de niveau élevé. Cette guilde a aussi la réputation d’avoir une mauvaise ambiance et ses membres sont généralement assez mal vus. La guilde Karnage, formée d’anciens membres de Nemesis a, quant à elle, la réputation d’avoir les membres les plus désagréables, les plus insultants et les plus froids de tout le serveur, ce qui implique que le personnage ayant le nom Karnage affiché à côté du sien sera immédiatement catalogué comme étant une personne à éviter. Il est possible d’observer la réputation d’un personnage de différentes façons. Nous pouvons tout d’abord voir la réaction des autres joueurs face à lui. Si, par exemple, beaucoup de joueurs le saluent amicalement en passant à côté de son avatar, il y a de fortes chances pour que ce soit un personnage apprécié et connu. Nous pouvons aussi observer la manière dont le personnage perçoit sa réputation. Après une interaction mouvementée en public avec un autre joueur, le personnage Pousstoa avec qui j’avais déjà tressé des liens d’amitié et qui était assez près de nous pour lire la discussion, m’a dit, en privé, « att (attend), je v (vais) lui parler s’il t’embête ». Il considérait alors avoir une assez grande réputation et être assez connu pour sa bonne repartie pour être capable de faire peur à un autre joueur. De plus, le nombre de joueurs qu’un personnage connaît peut aussi lui conférer un statut élevé et une réputation. J’ai participé à plusieurs mariages virtuels dans Anarchy Online, et le plus impressionnant fut 53 celui des joueurs Nomadspirit et Valaba. (Illustration II). Le nombre incroyable d’invités présents lors de la cérémonie est un indice intéressant de la grande réputation des « mariés », car il est rare que plus d’une dizaine de joueurs assistent aux mariages. Il est aussi intéressant de voir que la réputation d’un joueur peut prévaloir sur le niveau de son personnage. Par exemple, un avatar de niveau 200 dans Anarchy Online ayant la réputation d’avoir atteint ce niveau grâce à l’aide d’autres joueurs et de ne rien connaître au jeu, n’aura pas autant de crédit qu’un joueur dont on sait qu’il connaît le jeu à la perfection, même si celui-ci n’est pas de niveau maximum. En changeant de jeu, un joueur expérimenté passe du statut de joueur de haut niveau au statut de débutant. Il perd de même sa réputation, et tout est à reconstruire. Il est probable que ceci incite le joueur à ne pas vouloir changer de jeu, car il est compréhensible qu’il n’ait pas envie de tout recommencer depuis le début. Beaucoup de joueurs gardent d’ailleurs le nom de leur personnage principal lorsqu’ils changent d’univers ainsi que le nom de leur guilde. Ainsi, nous retrouvons la guilde Millenium dans Dark Age of Camelot, Anarchy Online et Star Wars Galaxies avec les mêmes membres ayant toujours les mêmes pseudonymes. La réputation de la guilde et de ses membres perdurera donc un peu, au moins aux yeux des joueurs qui auront déjà joué à un jeu où ce regroupement existait. De plus, en ne changeant pas de nom lors du changement de jeu, le joueur est reconnaissable par les joueurs de son jeu précédent. Munn, par exemple, a gardé son nom d’Anarchy Online à Star Wars Galaxies et il n’est pas rare que son personnage reçoive des messages privés d’anciens joueurs d’Anarchy Online. Les membres des communautés virtuelles dans les MMORPG ont donc bien un statut social. Il n’est pas rare de voir les joueurs se vanter du niveau, des compétences et des capacités de leur personnage, invitant ainsi leur entourage à avoir une plus grande estime d’eux. Avoir un personnage de haut niveau et une bonne connaissance du jeu demande plusieurs mois. Certains aspects du jeu requièrent de bonnes connaissances en informatique et ne sont pas à la portée de tous, et certaines professions ne peuvent pas être bien jouées par des débutants. Ceci explique aussi le statut social élevé conféré aux personnages de haut niveau et de professions difficiles. Les joueurs attachent beaucoup d’importance à leur statut car ils savent, peut-être inconsciemment, qu’il influencera les relations qu’ils entretiendront avec les autres membres de la communauté et de leur groupe. Ainsi, ils tâcheront d’être d’un niveau 54 acceptable, d’avoir quelques objets rares et, en se construisant une réputation, se construiront aussi une identité. 55 Les Relations Interpersonnelles Comme l’ont déjà montré les études antérieures sur les communautés virtuelles, établir des relations interpersonnelles est un but important pour les participants et constitue souvent l’attrait premier des communautés. Pour Sherry Turkle, ce serait même une explication possible au nombre d’heures impressionnant que les joueurs passent dans la virtualité : « For many game participant(s), playing one’s character(s) and living in the MUD(s) becomes an important part of daily life. Since much of the excitement of the game depends on having personal relationships and being part of the MUD community’s developing politics and projects, it is hard to participate just a little »3. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, sur plus d’une centaine de joueurs francophones, 59,62% ont pour objectif principal l’élaboration de relations interpersonnelles. Dans les MMORPG, même si cela ne constitue pas l’intérêt principal du jeu au premier abord, il est indéniable que l’établissement de relations interpersonnelles en est un aspect important. Que le joueur tisse des liens d’amitié et parfois même d’amour, ou interagisse simplement avec les participants pour rendre le jeu agréable ou trouver de l’aide, communiquer avec son entourage fait partie intégrante des jeux massivement multi-joueurs. Il peut donc être intéressant d’observer ces relations, non seulement pour prouver leur existence mais aussi pour en comprendre les mécanismes. J’exposerais ici des exemples d’amitié entre les participants, de communications vouées à l’établissement de réseaux de contacts sociaux, et je tenterai d’exposer certains mécanismes des interactions virtuelles dans les MMORPG. Certaines caractéristiques des relations interpersonnelles intenses réelles, relevées par Perlman et Fehr en 19874 peuvent s’appliquer aux relations d’amitié qui se construisent dans les MMORPG. En effet, il peut y avoir la sensation d’une relation intime et particulière, les participants s’y investissent volontairement, ils expriment parfois de l’intérêt à être virtuellement proche les uns des autres le plus souvent possible, et expriment aussi parfois le désir d’être ensemble dans de multiples contextes sociaux. Par rapport au temps de jeu, il est aussi possible de dire que les relations peuvent être de longue durée et, enfin, les participants 3 Turkle, Sherry. Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet, New York, Simon & Schuster, 1995, p. 183. 4 Perlman, Daniel, Fehr, Beverly. « The Development of Intimate Relationships », in Perlman, Daniel, Duck, Steve, (dir), Intimate Relationships, Newbury Park, Sage, 1987. 56 peuvent avoir le sentiment d’une relation mutuelle, et connaissent parfois les besoins virtuels ou réels de leurs « amis » et les prennent en compte. Bien entendu, tout comme dans les relations face-à-face, l’intensité des relations varie, et les caractéristiques précédemment citées peuvent être plus ou moins présentes. Au vu des observations, il me parait possible de dire qu’il existe des stades dans les relations virtuelles, les participants passant d’un simple sentiment de camaraderie à une amitié intense, se prolongeant parfois dans la réalité. Une étape importante dans l’évolution de ces relations semble être l’acte de parler à un joueur en privé, seule interaction véritablement intime possible. Envoyer un message privé à quelqu’un, un tell, signifie une certaine complicité. De plus, la coutume veut que les joueurs essayent le plus possible de jouer leur personnage lorsqu’ils parlent en public et de ne pas trop communiquer d’informations personnelles. Les messages privés, quant à eux, sont une opportunité pour les joueurs de parler de joueur à joueur, et non de personnage à personnage. Cette forme de communication offre donc la possibilité d’établir un début de relation amicale, les joueurs ayant une impression d’intimité et de sincérité en se dévoilant, ne serait-ce que partiellement. Il est aussi intéressant de voir que c’est généralement lors de discussions privées que le joueur peut transmettre des informations sur son identité véritable, ce qui peut accroître le sentiment de sincérité. Ces informations sont importantes et permettent de régler les discussions avec l’autre, et d’interpréter les phrases différemment en fonction de son sexe, par exemple. Lorsque la relation devient intense, on peut noter un désir de la part des participants de se retrouver dans un même espace virtuel, que ce soit dans un groupe, afin de faire des missions et de gagner de l’expérience pour augmenter son niveau, ou dans un lieu communautaire (bar, discothèque,…). Lors de soirées organisées, ou même dans le lieu de regroupement de la communauté francophone d’Anarchy Online, la porte sud de Tir, on peut observer ce qu’Edward T. Hall appelle la proxémique5. Plus les joueurs se connaissent, plus leur relation est intime, plus ils se positionnent proches les uns des autres. Il est malvenu de s’asseoir juste en face d’un inconnu, une distance raisonnable est souvent observée. Même entre « amis », les joueurs font en sorte que leurs avatars ne se touchent pas, seuls les personnages étant impliqués dans une relation amoureuse y étant normalement autorisés. (Illustration III). Lors de rassemblements de personnages, il est généralement facile de repérer ceux qui s’entendent bien et ceux qui entretiennent ensemble des relations amoureuses 5 HALL, Edward. La dimension cachée, Paris, Points Seuil, 1971. 57 virtuelles. De plus, lorsque des joueurs ne s’apprécient pas, leurs avatars s’évitent généralement. Les démonstrations d’amitiés entre personnages sont variées. Par exemple, proposer à quelqu’un d’être son témoin de mariage est un gage d’amitié, même dans les communautés virtuelles, ainsi que de lui proposer d’être le parrain ou la marraine de ses enfants, même si ceux-ci sont purement imaginaires. Être salué vivement après un long moment d’absence du jeu est aussi une preuve d’amitié, les joueurs ayant tendance à oublier assez vite les personnages avec qui ils n’entretiennent pas de relations intimes. De plus, il est aussi possible d’obtenir du soutien de ses amis virtuels dans différentes circonstances, que ce soit pour des problèmes personnels ou de jeu. Par exemple, lors de la destruction de la guilde des Anges Rebelles, Munn m’a demandé d’être présente, et deux de ses amis intimes nous ont rejoint. Nous avons passé la soirée à discuter avec elle car il ne fait aucun doute que détruire l’œuvre d’une année entière est un événement difficile, même lorsque rien de physique à proprement parler n’est détruit et que cela se passe dans un jeu. Munn a de plus offert la tour de la guilde (objet qu’une guilde peut construire pour augmenter les compétences de ses membres) en gage d’amitié à Arcalee, présidente de la guilde créée lors du changement de présidence des Anges Rebelles. Il arrive aussi que certains joueurs demandent conseil auprès de leurs amis sur des sujets de jeu qui leur tiennent à cœur, comme, par exemple, la destruction d’une guilde. Les relations d’amitié entre joueurs peuvent aussi se poursuivre dans la réalité, ou du moins en dehors du jeu. Il arrive que les participants communiquent entre eux lorsqu’ils ne jouent pas, que ce soit par courrier électronique ou en utilisant des logiciels de messagerie instantanée tel qu’ICQ, AIM ou MSN. Lorsque ces discussions sont fréquentes, il n’est pas rare que la relation entretenue dans le jeu s’améliore et s’avère encore plus intime, les joueurs ayant désormais l’habitude de se parler personnellement. De plus, les joueurs qui entretiennent des relations virtuelles poussées se retrouvent parfois d’un jeu à l’autre, rencontrent d’autres personnes, créent de nouvelles relations, et ceci peut constituer un réseau social virtuel important et de longue durée. Il arrive aussi que les participants se rencontrent dans la réalité, soit au cours d’une réunion de joueurs, soit à deux, en privé. La relation, ainsi portée hors du monde virtuel, peut parfois se développer vers une amitié réelle. Il existe néanmoins un risque à de telles rencontres, car il est possible que les joueurs ne s’entendent pas après avoir été présentés réellement l’un à l’autre. Il n’est pas rare de voir des relations virtuelles se briser après que les participants se soient rencontrés dans la réalité, car il suffit 58 que l’un des deux soit déçu de l’autre. Lorsqu’une amitié virtuelle subsiste après ce que l’on appelle une rencontre irl (in real life), il est possible d’affirmer qu’elle en sortira grandie. Bien qu’une amitié puisse naître entre des participants, cela met du temps à se construire. Lorsque le joueur commence un jeu, il interagit souvent avec son entourage pour des raisons de nécessité. Les MMORPG sont construits de telle façon aujourd’hui qu’il est impossible de faire évoluer correctement son personnage sans l’aide des autres membres de la communauté. Anarchy Online est un jeu compliqué, et l’aide des autres joueurs est absolument nécessaire, que ce soit pour des conseils sur le système de jeu, pour augmenter ses compétences, ou pour évoluer plus rapidement. Les personnages doivent se constituer des réseaux de contacts sociaux, sans pour autant se lier d’amitié avec tous les joueurs qu’ils seront amenés à rencontrer. Chaque profession étant différente, chaque personnage a des compétences qui lui sont propres et des nanos particulières. Les nanos peuvent être apparentées à des sorts de magiciens et servent soit à augmenter les compétences des personnages (on les appelle des buffs) soit à attaquer les ennemis. Les buffs sont cruciaux lorsque l’on veut jouer correctement, car ils permettent de mettre de meilleures armures et de meilleures armes. Connaître un joueur de haut niveau dans chaque profession et savoir demander un buff est donc important. La majorité des participants avec lesquels les joueurs interagissent ne sont pas des amis mais plutôt ce que l’on pourrait appeler des « relations ». Les membres d’une guilde s’apprécient généralement les uns les autres mais ne passent pas tous l’étape de l’envoi d’un message privé avec chacun des autres membres. Ils s’entraident car ils font partie d’un même groupe, et non parce qu’ils ressentent une quelconque affinité pour tel ou tel joueur. Bien que la guilde soit un lieu opportun pour établir des liens d’amitiés, beaucoup de ses membres resteront pour le joueur de simples « relations ». Peut-être serait-il possible de comparer les relations virtuelles avec des relations de travail dans une grande entreprise : certains collègues deviennent des amis, d’autres des « relations de travail » pouvant ou devant s’entraider sur certains points, et d’autre encore resteront à jamais des inconnus. Le réseau de contacts sociaux fait partie intégrante du jeu. Il est bien entendu possible de demander de l’aide à des inconnus, mais il n’est pas certain que le joueur trouve quelqu’un de disposé à l’aider au moment où il en a besoin. De plus, il est recommandé aux participants de se constituer un groupe fixe de personnages pour effectuer des missions (pour gagner de l’expérience et des niveaux) afin d’éviter de mauvaises surprises. Il n’est pas rare d’entendre 59 des joueurs faire la réflexion qu’un MMORPG serait inintéressant sans le besoin de coopération entre les personnages. Il est intéressant de voir ce que peut apporter ce réseau de contacts sociaux. Par exemple, le soir d’une réunion de guilde, notre tour fut attaquée par des ennemis du camp adverse, des personnages joueurs, et nous n’étions que dix contre trente pour la défendre. Tous les membres ont contacté leurs amis et leurs relations, qui ont eux-mêmes contacté les leurs, et une trentaine de joueurs est venue nous aider, quittant pour cela leurs activités. (Illustration IV).Le réseau relationnel peut donc être une source d’entraide importante. Il permet aussi de rencontrer d’autres joueurs et d’étendre son réseau de contacts, ou encore d’obtenir des avantages et de l’aide supplémentaires. Il n’est pas rare de se voir offrir des objets spécifiques à notre profession par des personnages d’une autre classe. Il est aussi courant d’acheter des objets à un joueur moins cher que le prix tout d’abord annoncé, pour la simple raison que l’on connaît une de ses « relations ». Il est aussi intéressant de noter que le réseau de contacts a besoin d’être entretenu pour perdurer, et que le joueur doit apprendre à manipuler l’information qu’il lui transmet. Il est par exemple malvenu de parler avec un personnage uniquement pour lui demander de l’aide et de ne pas l’aider lorsque il a besoin d’aide. Au bout d’un certain temps, les participants ne lui répondront plus et pourront même conseiller à leurs contacts d’en faire de même, ce qui peut conduire à l’établissement d’une mauvaise réputation pour le personnage. De plus, l’information transmise à son entourage doit être contrôlée, car elle risque d’être diffusée à plus grande échelle. Le joueur doit donc s’efforcer de ne pas faire de remarques sur un autre personnage à des participants qu’il ne connaît pas bien, de peur de voir cette information lui parvenir. Il doit aussi faire en sorte de ne pas diffuser de mauvaises informations ou conseils. Il est intéressant de voir que, même dans un monde virtuel, les joueurs ne sont pas vraiment honnêtes sur leurs sentiments, et flattent souvent leur entourage pour entretenir de bonnes relations. Pourtant, nous pourrions penser que les participants des communautés virtuelles profiteraient de cet univers pour faire preuve de franchise, sans que cela n’ait d’incidence sur leur vie réelle. Enfin, notons que pour certains joueurs, l’aspect relationnel des MMORPG est ou devient leur principal intérêt. Il n’est pas rare de voir des personnages se consacrer uniquement aux relations interpersonnelles, et ne plus gagner de niveaux après avoir joué un certain temps. Dans Anarchy Online, il est même possible de ne se connecter qu’au serveur de discussion et de ne pas pouvoir jouer mais uniquement parler. De plus, le réseau relationnel peut perdurer d’un jeu à l’autre, si les personnages gardent le même pseudonyme. Ainsi, 60 Munn s’est vu proposer de l’aide, des commerces et des guildes dans Star Wars Galaxies par des anciens joueurs d’Anarchy Online. Tentons à présent d’exposer certains mécanismes des interactions interpersonnelles des jeux massivement multi-joueurs. Notons tout d’abord l’importance de la commande /tell, qui permet d’envoyer des messages privés à un personnage. Comme nous l’avons déjà vu, le fait d’envoyer un message privé est une étape importante dans l’établissement de relations amicales, en partie parce que les participants se parlent de joueur à joueur. Il n’est pas rare de voir ainsi des joueurs parler de leur personnage avec quelqu’un d’autre lors d’une discussion privée, en utilisant un pronom de la troisième personne ou même le nom de l’avatar. Les joueurs ont donc la possibilité d’entretenir deux discussions en même temps sur un ton très différent, l’une, publique, de personnage à personnage, et l’autre, privée, de joueurs à joueurs. Ils peuvent ainsi faire des remarques sur ce que viennent de dire leurs avatars ou encore monter de toutes pièces une série de comportements. Par exemple, il m’est arrivé d’organiser un événement qui devait arriver à mon personnage avec l’aide d’un autre joueur. Cette phrase du joueur de l’avatar Hydrogenoid montre aussi à quel point les participants peuvent être détachés de leurs personnages lorsqu’ils parlent en privé : « je t’ai dit, t’as gagné, Hydro est amoureux, tout ca ;) ». Nous pourrions peut-être émettre l’hypothèse que le joueur considère son avatar comme une marionnette à qui il pourrait faire faire ce qu’il veut, comme un enfant mettant ses jouets en scène avec ses amis. Il existe néanmoins un risque aux discussions privées, les joueurs parlant parfois de personnage à personnage. Dès lors, il est possible qu’on ne sache pas à qui est destinée une phrase ambiguë, au joueur ou au personnage. Il est aussi intéressant d’observer à quel point les participants sont polis, la plupart du temps, avec des inconnus. Lorsque l’on arrive dans le jeu, si l’on fait partie d’une guilde, il est normal de saluer les membres dans la salle de discussion de la guilde. Lorsqu’un joueur rejoint un groupe pour faire des missions (et ainsi gagner des niveaux), il en salue les membres, eux aussi, même s’il s’agit d’inconnus. Notons d’ailleurs que, dans Anarchy Online, si le joueur est français, il saluera en français et en anglais puisque le jeu est international, ce qui est aussi une forme de politesse. Nous pourrions penser que le joueur agit ainsi pour étendre son réseau de contacts sociaux en étant agréable, mais il est possible de dire qu’il s’agit aussi d’un réflexe inculqué, soit par sa communauté réelle, soit par les normes de la communauté virtuelle. Le joueur doit aussi savoir demander de l’aide et des buffs poliment s’il veut être entendu et aidé, que ce soit à un ami, une relation, ou un inconnu. 61 Notons, de plus, l’importance de la langue dans un jeu international comme Anarchy Online, où l’anglais est utilisé par défaut. Le jeu est majoritairement composé de joueurs anglophones et francophones et il est rare de voir des joueurs francophones se lier d’amitié avec des joueurs d’une autre langue, ou intégrer une guilde anglophone. Bien entendu, une des raisons à cela est que certains joueurs ne maîtrisent pas suffisamment la langue pour maintenir une discussion. Il est aussi probable que les joueurs sachant parler l’anglais préfèrent ne pas fournir l’effort d’une traduction à chacune de leurs interactions, et se regroupent ainsi entre participants parlant la même langue. De plus, puisque les joueurs francophones parlent français entre eux, les joueurs anglophones pourront se sentir exclus de la discussion. Nous pouvons aussi supposer que les joueurs francophones se sentent plus proches de leurs semblables que des joueurs américains, population majoritaire du jeu. Lors des interactions en public, certains joueurs essayent de jouer le rôle de leurs personnages et c’est ce que l’on appelle faire du roleplaying ou rp. Les interactions rp sont très particulières car elles sont presque un jeu dans le jeu. Les joueurs font semblant d’être leurs personnages, semblant d’avoir une vie à l’intérieur du jeu, semblant d’avoir mal, peur, faim ou soif. Des commandes du jeu, appelées emotes, permettent de faire effectuer graphiquement certaines actions aux avatars. Les joueurs les utilisent pour mimer des actions, pas forcement celles que les emotes sont censées représentées, et rendent ainsi leurs interactions plus « réelles », plus physiques. Il m’a déjà été donné de voir des joueurs interprétant le rôle de médecins, de masseurs ou encore de détectives. Ils s’attribuent même parfois des locaux du jeu pour rendre leurs expériences plus réalistes. Lors de ces interactions, toute remarque sur un quelconque point de la réalité sera ignorée. Certains de ces rôles sont prévus par le système de jeu et les joueurs ont ainsi la possibilité de se marier, d’avoir une cérémonie conduite par un membre bénévole du service client, (appelés ARK dans Anarchy Online, qui signifie advisor of RubiKa, la planète du jeu) et de changer le nom de famille pour en avoir un similaire a celui de leur partenaire. Certains projets de jeux évoquent aujourd’hui la possibilité d’avoir des enfants. À partir du moment où des personnages sont mariés, on qualifie leurs joueurs de rp, et toutes leurs interactions en public seront désormais faites en fonction de leurs rôles d’époux. Notons aussi que lorsque deux joueurs font du rp dans un espace isolé, il peut arriver que la discussion dérive vers des sujets concernant les participants et non les personnages, les joueurs mêlant ainsi une discussion privée à une discussion publique, puisque personne ne les entend. 62 Le système de communication mis à la disposition des joueurs dans les MMORPG peut être avantageux et dangereux pour les interactions. Avantageux, car le joueur a à sa disposition plus de temps pour réfléchir à ses phrases, et qu’il n’est pas obligé de répondre aussi vite que lors des interactions face-à-face. Il a aussi la possibilité d’effacer la phrase qu’il est entrain d’écrire, s’il l’a juge alors inappropriée, ce qui évite parfois de dire des choses « sur le coup », sans réfléchir aux conséquences. Bien entendu, tous les joueurs n’utilisent pas cette opportunité. Le système donne aussi la possibilité d’ignorer les paroles d’un joueur grâce à la commande /ignore, ce qui permet de ne pas être importuné par des insultes ou du harcèlement. Le système comporte néanmoins un énorme risque, pouvant nuire gravement aux interactions et aux relations des joueurs dans la communauté virtuelle. Ce risque s’appelle le misstell ou mt, ce qui signifie qu’un joueur se trompe de destinataires lorsqu’il envoie un message. C’est une erreur très courante, car le système est fait de telle sorte qu’il est facile de faire un mt. Par exemple, si un joueur fait partie de plusieurs salles de discussions, mettons la salle de sa guilde, la salle d’un groupe et la salle de discussion publique, il n’est pas rare qu’un message destiné au public arrive à sa guilde. Dans Anarchy Online, le moyen le plus rapide de changer de salles de discussion est d’inclure une commande avant le texte, /v (vicinity) pour le public, /o pour la guilde (organization), /t pour une discussion privée suivie du nom du personnage à joindre (tell), /r pour répondre au dernier message privé (reply), et /g pour le groupe. Il est très fréquent de se tromper de commande par habitude ou par réflexe, et il est encore plus courant de répondre à un message privé en recevant un message d’un autre joueur entre-temps, la réponse allant alors à la dernière personne nous ayant parlé et non à celle à qui la réponse est destinée. En général, les mt n’ont pas de conséquences graves mais il arrive qu’un commentaire sur un joueur, par exemple, lui parvienne directement pour cette raison. Il est donc facile d’imaginer les conséquences catastrophiques que peuvent avoir les misstells sur les relations interpersonnelles d’un personnage ou de son joueur. Les interactions entre joueurs dépendent donc non seulement des coutumes de la communauté et des buts des participants, mais aussi du système de communication mis en place par l’équipe de développement. Certains joueurs ne jouent que pour communiquer avec d’autres participants, d’autres détestent ça. Parfois, même lorsque nous trouvons qu’interagir avec notre entourage est intéressant, créer un personnage secondaire pour être anonyme peut être un soulagement. Nous pourrions dire que revêtir une personnalité inconnue des autres 63 peut s’apparenter à l’acte d’éteindre son téléphone portable, et de décrocher son téléphone fixe afin d’avoir un moment d’intimité. Certains joueurs se servent malheureusement aussi de cette possibilité pour espionner les autres participants, ce qui amène d’autres joueurs à la regretter. Star Wars Galaxies ne met à la disposition des joueurs qu’un seul personnage par serveur pour pallier à ce genre de problème, au grand désarroi de certains et au soulagement d’autres. Que l’on apprécie ou que l’on déteste interagir avec les membres de la communauté virtuelle, il est indéniable que le fait de pouvoir partager son environnement avec d’autres joueurs et de communiquer reste la plus grande révolution des MUD, et que c’est aujourd’hui un des attraits les plus importants des MMORPG. 64 Les Guildes Dans les MMORPG, les joueurs ont la possibilité de se regrouper en guildes, sorte d’organisations, de sous-groupes, ayant leurs hiérarchies et leurs fonctionnements propres. Dans Anarchy Online, six types de gouvernements sont mis à la disposition des joueurs : la république, le département, la faction, la monarchie, le féodalisme et l’anarchie. Voici quelques exemples de hiérarchies : Department Republic Feudalism 0 = President 0 = President 0 = Lord 1 = General 1 = Advisor 1 = Knight 2 = Squad 2 = Veteran 2 = Vassal Commander 3 = Member 3 = Peasant 3 = Unit Commander 4 = Aplicant 4 = Unit Leader 5 = Unit Member 6 = Applicant. Le nombre de grades et les droits accordés aux joueurs diffèrent selon les formes de gouvernements. Dans tous les cas, mis à part celui de l’anarchie, seul le joueur de rang 0 peut renvoyer un membre à tout moment, changer le nom de la guilde, instaurer des taxes, détruire l’organisation et changer de formes de gouvernement. Dans une république ou une faction, le dirigeant peut accorder le rang 1 à certains membres et les autoriser ainsi à inviter d’autres joueurs ; dans un département ce droit est accordé à tous les personnages de rang 4, et supérieur. Le système anarchique est bien entendu très différent : le rang 0 est l’unique disponible. Seul le créateur de la guilde a le droit de changer de forme de gouvernement. Pour renvoyer un joueur ou instaurer une taxe, par exemple, il faut que trois membres du groupe effectuent la commande pour que celle-ci soit prise en compte. De plus, tous les membres de l’organisation peuvent inviter les autres joueurs. Il est extrêmement rare de voir des guildes anarchiques, et il est encore plus rare de voir de telles guildes subsister plus de quelques semaines si elles sont constituées de nombreux membres. Les taxes sont des prélèvements monétaires automatiques mis en place par le comité décisionnaire, qui en choisit aussi le montant et la fréquence, et peuvent être instaurées dans toutes les formes de gouvernement. Lorsque le joueur reçoit une invitation de la part d’une 65 guilde, l’existence (ou non) d’une taxe interne lui est précisée. Lorsqu’une guilde instaure une taxe, un message est automatiquement envoyé aux membres, pour les en informer et leur demander leur approbation. En cas de refus, le personnage est exclu du groupe. Les guildes sont nombreuses dans Anarchy Online, et il est rare de voir un personnage entre le niveau 20 et 150 sans guilde (sur plus d’une centaine joueurs francophones, 89,83% font partie d’une guilde). Le joueur met généralement le temps de 20 niveaux (pour un joueur moyen) à étendre suffisamment son réseau de contacts sociaux pour trouver une guilde disposée à l’intégrer. À partir du niveau 150, en général, il arrive que le joueur considère ne plus avoir besoin d’un groupe permanent, et décide de continuer seul. Entre ces deux stades, la guilde est primordiale pour la majorité des joueurs. Lorsqu’un personnage intègre une organisation, il n’est pas rare qu’il se voit attribuer le rang le plus bas pendant un certain temps, ce qui signifie qu’il n’est pas encore considéré comme membre par les autres joueurs, et qu’il peut se faire renvoyer rapidement, si ses aspirations ou son caractère ne correspondent pas avec son nouveau groupe. La salle de discussion de la guilde est un « lieu » de socialisation très important, étant donné qu’un groupe permanent de personnes y discute, échange des informations et des conseils. C’est ici que le joueur commencera réellement (ou continuera, s’il n’en est pas à sa première guilde) à établir des liens avec les autres personnages, et qu’il trouvera le plus facilement des avatars d’un niveau équivalent au sien pour faire des missions et ainsi faire évoluer son personnage. C’est aussi ici qu’il pourra se constituer le plus rapidement une réputation, non seulement au sein de la guilde, mais aussi par la réputation même du groupe. Les conseils, l’aide et l’information qu’il transmet aux membres peuvent avoir un effet bénéfique pour sa renommée, car ceux qui en auront bénéficié pourront parler de lui en termes positifs à leurs propres réseaux sociaux. Les actions accomplies pour sa guilde, que ce soit s’occuper de son site Internet, organiser des événements pour les membres (chasse, soirée à thème…), ou encore se charger de trouver différents objets pour aider les débutants peuvent, elles aussi, influencer l’établissement d’une bonne réputation. De même, ne pas aider son groupe ou en ignorer les règles peut lui être défavorable. Notons aussi que le joueur membre d’une guilde subit et doit assumer la réputation de son groupe : si l’organisation a une mauvaise réputation, il en sera généralement de même pour le joueur (la guilde Karnage d’Anarchy Online, réputée pour la méchanceté de ses membres, est un bon exemple). De plus, être le dirigeant, le leader, d’une guilde réputée, est une chose importante et reconnue par les 66 membres de la communauté, et il en est parfois de même avec d’un rang élevé (généralement pour les guildes très connues, qui sont peu nombreuses). Faire partie d’un regroupement de joueurs a donc beaucoup d’avantages mais implique souvent quelques obligations. Par exemple, il est difficile de refuser de faire des missions entre membres quand ceci nous est proposé et il n’est pas rare d’entendre des joueurs s’enquérir de l’identité des personnages de niveaux équivalents aux leurs à cet escient. Il est aussi difficile pour un joueur de ne jamais assister aux réunions de guilde ou aux événements organisés lorsqu’il est connecté au jeu pendant leur déroulement. De plus, certaines guildes ont une charte, et celle-ci exige parfois de réserver un jour précis de jeu par semaine à l’aide aux débutants, à la recherche d’objets, à un événement ou à des groupes de missions. Les joueurs qui intègrent une guilde doivent accepter cette charte, et donc se plier à ce que nous pourrions appeler des « obligations de groupe ». Néanmoins, la plupart des chartes concernent généralement le langage poli à respecter dans la salle de discussion de la guilde et l’ambiance agréable à maintenir, et ne sont donc pas trop contraignantes pour le joueur. Il est aussi intéressant de noter que dans certaines guildes, souvent petites (une quinzaine de membres réguliers) et chaleureuses, le dirigeant n’a pas tous les droits. Même s’il a le pouvoir de renvoyer un joueur de son organisation, il lui est par exemple conseillé d’en avertir les autres membres, au risque de les voir quitter la guilde en prétextant l’injustice ou la nonconcertation. Il doit aussi éviter de changer le nom de la guilde sans demander l’avis des autres joueurs, ou d’imposer des taxes sans raisons valables, et nous pourrions donc dire qu’il existe des normes de guilde. Ces organisations ont souvent des sites Internet et possèdent plus fréquemment encore un forum de discussion. Sur le site, elles peuvent choisir de se présenter, de renseigner les visiteurs sur l’histoire de la guilde et celle du jeu, de donner des conseils en publiant des guides, de proposer aux internautes de petits logiciels ou applications afin de les aider à bien faire évoluer leurs personnages, ou de les diriger vers d’autres sites. Elles peuvent aussi communiquer une liste des membres, la charte de la guilde, présenter les événements organisés, et une galerie d’images, en général des captures d’écran des personnages et du jeu. L’information qu’elles diffusent est donc diverse et n’est pas seulement destinée à ses seuls membres, ni même aux uniques détenteurs du jeu, car elles proposent aussi parfois des liens vers des sites le commercialisant. Néanmoins, la partie la plus importante du site pour les membres de l’organisation est généralement le forum, qui permet de rester en contact avec le monde du jeu et les autres joueurs à partir de n’importe quel ordinateur connecté à Internet. Il n’est donc pas rare de voir des joueurs écrire dans le forum de leurs lieux de travail ou 67 d’études. C’est sur le forum que les joueurs peuvent généralement poser leurs candidatures et lire la charte de la guilde. C’est aussi souvent ici que les événements organisés sont annoncés, que des changements sont proposés, que les joueurs regroupent leurs connaissances et discutent sur des sujets divers et variés, allant du jeu à différents centres d’intérêts personnels. Les forums de guildes sont généralement constitués de plusieurs salles ayant des sujets précis, certaines accessibles par tous les internautes, d’autres réservées aux membres de l’organisation, et enfin, mais moins fréquemment, de salles réservées aux joueurs de haut rang. Ces dernières salles servent généralement à débattre des sujets de recrutement ou d’organisation/réorganisation de la guilde. Les forums sont importants non seulement parce qu’ils prodiguent des informations, mais aussi parce qu’ils relient le monde virtuel du jeu au monde réel des joueurs, leur permettant d’être dans deux univers à la fois. Les guildes sont donc un aspect important des communautés virtuelles dans les MMORPG. Elles offrent aux joueurs un groupe de discussion permanent et sont une vaste source d’informations. Elles peuvent faciliter l’établissement de réseaux de contacts sociaux, et influer sur la réputation d’un personnage. Notons d’ailleurs que sur plus d’une centaine de joueurs francophones, 57,94% déclarent attendre spécifiquement de leur organisation qu’elle soit un lieu de socialisation, et 33,64% recherchent tout d’abord de l’entraide. Les forums mettent à la disposition des joueurs des informations persistantes, et forment une base de connaissances communes. La guilde procure un sentiment d’appartenance à un groupe, et le joueur peut avoir l’impression que son identité est renforcée par celle de son organisation. 68 Coutumes, normes et jugements Les membres des communautés virtuelles ont des coutumes, des normes, et émettent des jugements selon certaines valeurs, acquises soit par expérience personnelle réelle, soit par expérience du jeu. Il est intéressant de noter qu’il y a bien plus de coutumes que de normes, peut être à cause des possibilités restreintes d’action mises à la disposition du joueur. La majorité des joueurs les respectent et ont des valeurs communes, ce qui contribue pour beaucoup au maintien de la communauté. Il me paraît donc intéressant de les observer, et d’essayer d’en comprendre les provenances. Les joueurs les apprennent « sur le tas » et en apportent parfois d’autres, plus faciles à instaurer dans un sous-groupe que dans la communauté entière. Nous allons tout d’abord étudier les coutumes observées par les joueurs, les normes qui régissent les MMORPG, Anarchy Online en particulier, puis les valeurs qui influencent le jugement et la conduite des personnages. Les coutumes que nous allons maintenant exposer ont été observées au sein de la communauté française d’Anarchy Online, et certaines sont donc peut-être spécifiques à celleci. Les coutumes s’apprennent au cours de la « vie » d’un personnage, et font partie de l’expérience du jeu du joueur, bien qu’étant généralement issues de coutumes réelles. Elles dépendent donc de la façon de jouer d’un participant et de ses buts. Si l’expérience communautaire n’intéresse pas un joueur, il est probable que celui-ci n’observera pas beaucoup de coutumes car la majorité d’entre elles est sociale. Nous pouvons tout d’abord noter l’existence de lieux de rassemblement coutumiers. L’univers d’Anarchy Online est très vaste et les joueurs ont pour habitude de se regrouper en des endroits précis, en général aux portes des villes principales de chaque faction (Clan, Omni-tek et Neutre). Tir est la capitale de la faction Clan et les joueurs se retrouvent soit à l’intérieur, soit à l’extérieur de la porte Sud de la ville. Ce choix n’est pas anodin : en effet, ce sont les commodités mises en place à ces deux points qui rendent cette porte si intéressante et attrayante pour les joueurs de moyen et haut niveau (60-200 environ). Afin d’en comprendre les raisons, il est essentiel d’expliquer certains systèmes de jeu d’Anarchy Online. Tout d’abord, penchons-nous sur le moyen de transport rapide nommé grid. Le grid est un lieu permettant aux personnages de se rendre à certains points de la planète, autrement inaccessibles par le moyen de transport habituel (le Whom-Pah). Il est accessible à partir de bornes, nécessitant un certain niveau dans une compétence particulière pour être utilisées, 69 variant en fonction de l’emplacement des bornes, et il en est de même pour les points de sorties. Il est le moyen de transport le plus utilisé par les joueurs de niveaux moyens et hauts, les joueurs débutants ne pouvant pas s’en servir en raison de leurs trop bas niveau de compétence. L’unique borne d’accès au grid de Tir étant située à la sortie de la porte Sud, cela explique déjà en partie, pourquoi ce lieu est si fréquenté. La présence d’une autre commodité augmente un peu plus l’intérêt de ce lieu pour les joueurs voulant faire évoluer leurs personnages : les bornes de missions. Il s’agit d’objets utilisables par tous les participants, servant à trouver des missions, des quêtes où l’on amènera son avatar seul ou en groupe, afin de tuer des ennemis, gagner des points d’expérience, récupérer des objets, gagner de l’argent, et ainsi faire évoluer son personnage. Plus le niveau du personnage est élevé, plus les missions sont difficiles, et plus celles-ci sont situées à des endroits éloignés, généralement accessibles uniquement par le grid (les autres moyens de transport demandant trop de temps pour arriver aux lieux des missions). La proximité de ces deux bornes rend donc la porte Sud attirante pour les joueurs désirants effectuer des missions rapidement. Puisque le système de jeu fait en sorte que les personnages gagnent plus d’expérience lorsqu’ils coopèrent, en formant des groupes pour faire des missions d’une difficulté plus élevée et, puisqu’ils sont nombreux à se rendre à la porte Sud, c’est aussi le lieu le plus propice pour les constituer. Il est donc compréhensible que des dizaines de joueurs de niveaux variés se retrouvent constamment à cet endroit. À l’intérieur de la porte Sud se trouve une banque, dont les joueurs se servent pour entreposer des objets, ainsi qu’une borne d’assurance, d’où les joueurs peuvent sauvegarder leurs points d’expérience acquis et réapparaître en cas de décès. Le toit de la tente abritant ces deux autres commodités est le point de rassemblement des joueurs francophones, choix stratégique puisque proche de tout ce que nous venons d’exposer. Notons, de plus, qu’il est nécessaire d’avoir un certain niveau dans une compétence particulière afin de pouvoir sauter sur cette tente, les personnages y accédant étant alors au minimum d’un niveau moyen. Les joueurs ont coutume de s’y rendre lorsqu’ils désirent se consacrer à l’aspect social d’Anarchy Online, car il y a souvent de grandes chances de trouver d’autres joueurs à qui parler. Notons de plus que le lieu de rassemblement peut changer si les commodités sont déplacées. Il est aussi coutumier que les personnages se rassemblent de temps en temps dans des lieux communautaires tels que les bars ou les discothèques. Les joueurs s’y regroupent généralement à l’occasion d’événements organisés par d’autres participants, (jeux, concours) ou à la suite de l’un d’eux. Il n’est pas rare de s’y retrouver après un mariage ou une réunion, 70 par exemple. Il est intéressant de voir à quel point ces rassemblements ressemblent à leurs homologues réels, les joueurs se basant sur des coutumes et des valeurs préexistantes. En effet, quoi de plus normal que de « faire la fête » après un mariage, ou dîner avec des collègues à la suite d’une réunion de travail ? De plus, lorsque beaucoup de joueurs sont rassemblés, il est possible de voir de petits groupes se former peu à peu, discutant et buvant ensemble (il est possible de faire tenir des verres ou des bouteilles aux avatars). Il m’a même été donné de voir un « bain de minuit » après une soirée francophone organisée par une guilde (Illustration V). Il existe aussi des coutumes spécifiques aux groupes de joueurs effectuant des missions ou des parties de chasse. Notons par exemple qu’il est coutumier de saluer les membres d’un groupe lorsque nous l’intégrons, et les nouveaux venus lorsque nous en faisons déjà partie. (en langue anglaise, dans Anarchy Online, s’il n’est pas précisé qu’il s’agit, par exemple, d’une équipe francophone.) Il est aussi coutumier de féliciter un membre de son groupe qui vient de gagner un niveau mais, puisqu’il est difficile de savoir à quel moment précis cette évolution a eu lieu, le joueur la signale donc la plupart du temps, en écrivant le message « ding » (coutume provenant d’Everquest, MMORPG ancien et célèbre, l’expression rappelant le son de cloche qui était jouée lors d’un passage de niveau). Les autres membres répondent alors généralement le mot « grats » ou « gratz », contraction du mot congratulations (félicitations). Il est rare qu’aucun des participants d’un groupe ne félicite le joueur. Lorsqu’un personnage trouve un objet rare ou intéressant et qu’il le signale à son entourage, il est aussi coutumier de répondre « woot » ou « w00t », contraction de wonderful loot (butin merveilleux) afin de le féliciter ou d’en approuver la valeur. Après une mission, il est aussi presque rituel de discuter un moment avant de passer à la suivante ou de quitter le groupe. Notons de plus l’existence de coutumes spécifiques aux guildes. Il n’est pas rare qu’un personnage intégrant une guilde se voit attribuer un statut de nouveau membre, représenté par le grade hiérarchique le plus bas, avant d’être considéré comme membre permanent. Avant de renvoyer un joueur d’une organisation, il arrive aussi que les joueurs hauts gradés se concertent sur la décision à prendre. Dans certaines guildes, il peut être coutumier d’attribuer un tuteur aux membres venants d’être recrutés, en général un joueur de niveau élevé et de préférence de même profession, ou classe, que les nouveaux venus. Les réunions de guildes, organisées afin de parler de leurs problèmes ou d’une réorganisation à venir, sont, elles aussi, coutumières. Dans Anarchy Online, elles se passent souvent dans des endroits particuliers tels que des salons, des plages ou encore au pied des tours de l’organisation. 71 Il existe d’autres coutumes intéressantes. Il est par exemple rare de voir des personnages décider de se fiancer ou de se marier avant un mois réel de jeu passé ensemble. Ce laps de temps peut paraître court mais, par rapport au temps qu’un joueur passe en moyenne sur un jeu (moins d’un an), il s’agit d’une durée importante. Des coutumes de présentation sont aussi observées dans les forums de discussion consacrés aux jeux, et en particulier dans les forums de guildes. Lorsqu’une personne poste un message pour la première fois, il est fréquent qu’elle introduise son texte par une présentation d’elle-même, de son personnage s’il s’agit d’un joueur, et parfois des deux. Il est aussi courant de voir des signatures personnalisées à la fin de chaque message. Ce sont généralement des citations, des phrases humoristiques ou une liste indiquant les noms, les professions et les niveaux des différents personnages joués par le joueur. Précisons de plus qu’il existe des règles officieuses mises en place par les joueurs. Dans Anarchy Online, les donjons sont généralement des zones dont l’accès est réservé aux avatars d’un niveau compris dans une marge définie et où ils peuvent tuer des ennemis particuliers afin de récupérer des objets intéressants. Les deux donjons situés à Mort sont représentés sous la même forme que les missions, mais sont libres d’accès, et les ennemis réapparaissent toujours après un court laps de temps. Lorsque plus de six joueurs (un groupe complet) sont à l’intérieur, il est impossible de s’organiser convenablement. Les joueurs ont donc mis en place une liste d’attente, généralement détenue par le membre du groupe étant présent depuis le plus longtemps, les personnages voulant participer aux donjons lui donnant leur nom, et recevant un numéro en retour. Les avatars doivent être entre le niveau 50 et 90, et cette règle est respectée par la majorité des joueurs, permettant ainsi une bonne gestion des donjons et évitant les débordements. Un autre donjon, toujours en libre accès mais réservé aux joueurs de haut niveau, consiste à tuer un monstre nommé Tarasque, réputée pour les objets uniques et puissants qu’il est possible d’obtenir comme butin. Les joueurs ont fixé une limite de niveau minimale, (140) qu’il est nécessaire d’avoir afin de participer. Il est toutefois intéressant de noter que les joueurs de la guilde Nemesis, la plus connue des guildes de joueurs de haut niveau, se sont autorisés à élever le niveau minimal à 150, grâce à leur réputation. Les coutumes et les règles observées par les joueurs sont parfois spécifiques à certains jeux et même à certains groupes. Il arrive qu’elles soient créées et développées en leur sein, mais nous pouvons voir qu’elles sont souvent tirées de coutumes préexistantes. Il est ici possible de citer l’exemple de la commande autorisant le joueur à distribuer des pourboires (/tip) à d’autres personnages pour services rendus (soins, par exemple) dans Star Wars 72 Galaxies. Cette coutume existe dans bien des pays et est particulièrement implantée aux EtatsUnis, où nous pourrions presque dire qu’il s’agit d’une norme. Notons d’ailleurs l’existence de normes spécifiques aux MMORPG, répertoriées dans l’ensemble dans des documents rédigés par les développeurs et mis à la disposition des joueurs sur Internet, appelés EULA (End-User Licence Agreement) ou Rules of conduct. Il y est précisé que les personnages ne doivent par exemple pas avoir un comportement proche du harcèlement, ne doivent pas insulter leur entourage ni troquer des objets du jeu contre de l’argent réel, sous peine de voir leurs comptes suspendus ou parfois même détruits. Dans Anarchy Online, il est possible de faire appel à un ARK (Advisors of Rubi-Ka, membres bénévoles du service client) pour dénoncer un non-respect de ces normes. Bien qu’étant spécifiques aux jeux, nous pouvons voir que les normes sont parfois elles aussi basées sur celles qui existent dans les sociétés dont sont généralement issus les joueurs. Quelle que soit leur provenance, il ne fait nul doute que les coutumes et les normes sont importantes dans les communautés virtuelles des jeux massivement multi-joueurs, car elles participent à une bonne entente entre les joueurs et aident ainsi au maintien de ces communautés. De plus, les personnages et les joueurs émettent parfois des jugements personnels ou de groupe sur leur entourage. Il est intéressant de voir que ces jugements sont parfois influencés par des valeurs qui peuvent être préexistantes ou développées au sein même des jeux. Notons aussi qu’ils peuvent être portés par le personnage et non par le joueur, en fonction du rôle que celui-ci a décidé d’interpréter, en fonction de son roleplay. Les jugements émis par les joueurs eux-mêmes concernent généralement les autres joueurs. Il peut donc être intéressant d’en exposer quelques exemples et d’essayer d’en comprendre le fondement. La majorité des jugements observés furent portés par les personnages et non par les joueurs personnellement. Nous pouvons tout d’abord voir que le niveau des avatars influence fréquemment les jugements émis à leur encontre. Par exemple, lorsque la présidente de la guilde d’Anarchy Online à laquelle j’appartenais décida d’effacer son personnage de haut niveau pour en recréer en gardant son nom, sa dénomination au sein de l’organisation a changé. Après l’avoir longtemps appelée « cheffe », certains membres ont adopté le terme « cheffette » pour signifier son bas niveau. Bien que cette appellation ne fut en rien péjorative, nous pouvons quand même suggérer que le niveau de Munn a influencé ce choix, et que ce terme peut constituer un jugement à l’encontre du personnage. Le niveau peut aussi influencer la crédibilité accordée à une information. Etant donné qu’il est la preuve de l’expérience du 73 jeu qu’a le joueur, les conseils donnés par un personnage inconnu de bas niveau ne seront généralement pas écoutés. Ici, ce sont les joueurs qui jugent l’information crédible ou non, en fonction du niveau de l’avatar de celui qui la diffuse. Outre le niveau, le grade et l’ancienneté d’un membre d’une organisation peuvent aussi influencer le jugement des autres joueurs. Citons ici le cas de changement de présidence de la guilde que j’avais intégré. Le personnage choisi, (et non pas élu) fut le plus ancien, le plus haut gradé, et possédant le plus haut niveau. Il s’agissait pourtant d’un personnage assez froid et distant, peu connu des autres membres de l’organisation, et peu actif sur le forum de la guilde. Ce choix ne s’est donc pas effectué sur ses compétences présumées de meneur, mais plutôt sur des caractéristiques propres au personnage et non au joueur. De plus, la réputation d’un avatar peut elle aussi influencer le jugement des autres à son égard. Ainsi, un personnage n’étant pas de très haut niveau mais étant réputé pour se consacrer à l’aspect social du jeu, pourra être autant respecté par son entourage, bien que différemment, qu’un personnage de très haut niveau. Enfin, nous pouvons aussi noter que le niveau d’un personnage peut influencer le comportement des autres face à lui. Lorsque je jouais un de mes personnages secondaires de très bas niveau avec deux « amis », nous avons décidé de jouer le rôle de parfaits débutants. Un des membres de notre groupe demanda de l’aide à un avatar de niveau très moyen (40) et celui-ci, voyant notre niveau si inférieur au sien, nous a gentiment expliqué toutes les règles de bases du jeu, peut être simplement pour se valoriser personnellement. Lorsque nous lui avons avoué la supercherie, il est brusquement devenu très agaçant et nous a demandé des credits (monnaie du jeu), des objets et une aide de la part de nos personnages principaux pour faire évoluer le sien plus rapidement. Bien entendu, il peut ici s’agir d’une simple réaction à un sentiment de trahison, mais le fait de nous demander tant de choses, montre aussi qu’il s’est jugé en droit de nous les demander à cause de nos niveaux réels. Les jugements des personnages sont aussi parfois influencés par certaines caractéristiques propres aux avatars tels que la faction choisie ou la profession. Entre les avatars de deux des trois factions d’Anarchy Online, les Clans et Omni-Tek, règne généralement une haine (feinte) lors de leurs interactions en public. Par exemple, il n’est pas rare de voir des membres du Clan refuser tout bonnement de parler ou d’écouter les partisans de l’Omni-Tek, ou encore de les entendre les insulter, en les appelant « sales omnis ». Plus qu’un jugement, il s’agit ici d’un véritable préjugé, même si celui-ci fait partie du jeu et du rôle des personnages ayant choisi une faction. Il existe aussi une mauvaise entente entre les avatars de certaines professions. Les martial artist et les nano technicians se taquinent souvent pour respecter leurs rôles. Les avatars ayant choisi une profession nécessitant 74 beaucoup d’aide extérieure sont eux aussi souvent taquinés par ceux capables de les aider. Les fixers sont quant à eux, généralement critiqués par toutes les professions, sous prétexte qu’il s’agit d’une classe de personnages trop puissante par rapport aux autres. De plus, la race d’un avatar peut elle aussi, influencer le jugement de la communauté. Dans Anarchy Online, les Atrox sont réputés pour leur stupidité, et il arrive donc qu’il en soit de même pour les personnages appartenant à cette race. Une même idiotie proférée par un personnage de race Solitius et Atrox pourra par exemple être interprétée comme une plaisanterie pour l’un et une marque de stupidité pour l’autre. Il s’agit ici de jugements portés par les personnages sur les personnages, et en aucun cas sur les joueurs eux-mêmes. Notons aussi que certains jugements peuvent faciliter l’intégration à un groupe dans les communautés virtuelles. Dans un jeu international comme Anarchy Online il est assez simple d’intégrer un groupe lorsque l’on est francophone. En effet, les autres joueurs jugeront tout d’abord le nouvel arrivant en fonction de sa langue et non de son caractère. De plus, ils ne peuvent pas juger le joueur sur son aspect physique réel et se fient à la bonne présentation de l’avatar. Nous pourrions peut-être dire que les nouveaux sont mieux acceptés dans la virtualité que dans la réalité. Par exemple, il est souvent difficile pour un enfant d’intégrer une nouvelle classe ou, pour un nouvel employé d’être respecté par ses collègues, alors qu’il est généralement assez aisé d’intégrer un groupe et d’entretenir immédiatement de bonnes relations avec certains membres des communautés virtuelles. Les jugements des joueurs à l’encontre d’autres joueurs sont assez particuliers, et concernent généralement leurs aptitudes de jeu. Il est intéressant de voir que le terme « newbie » (nouveau), tout d’abord utilisé pour désigner les joueurs débutants, est aujourd’hui aussi parfois utilisé comme insulte, lorsqu’il s’adresse à un joueur de haut niveau. Il signifie alors que, malgré son personnage de niveau élévé, le joueur ne sait pas exploiter les ressources du système de jeu et est toujours considéré comme un débutant. Dire qu’un joueur est un « boulet » est aussi une manière de le juger personnellement, et signifie qu’il est assez maladroit pour mettre tout un groupe en danger. Certaines des valeurs qui influencent le jugement des joueurs sont préexistantes aux jeux, et sont parfois propres aux sociétés dont ils sont issus. Il est par exemple intéressant de noter le nombre important de couples homosexuels féminins présents dans Anarchy Online et de la quasi-inexistence de couples masculins. La majorité des joueurs étant des adolescents ou des jeunes hommes, l’homosexualité féminine est bien mieux perçue, et représente souvent un fantasme. Les autres joueurs acceptent très bien ces couples, mais il est probable qu’il n’en serait absolument pas de même d’une union masculine. De plus, des termes péjoratifs comme 75 « pd » ou « gay » sont encore trop utilisés comme insultes pour envisager l’acceptation de couples homosexuels masculins. Il est aussi possible d’observer des valeurs liées à la justice des sociétés dont sont issus les joueurs. Par exemple, lorsqu’un personnage membre d’une organisation depuis un certain temps se fait renvoyer, il doit en connaître les raisons et pouvoir éventuellement se défendre. Si le renvoi est effectué sans qu’il soit prévenu ou sans qu’il soit présent, cela peut déranger les autres membres de la guilde. Ils pourront désapprouver l’injustice de la situation et parfois exprimer symboliquement leur désaccord en quittant l’organisation. Un cas particulier me semble aussi intéressant à étudier. Un forum francophone ayant pour objectif de collecter les informations communautaires d’Anarchy Online, afin d’écrire un journal, fut créé par quelques joueurs. Lorsqu’un message fut censuré (il a été effacé), cela déclencha une vague de protestations, toutes prétextant la liberté de la presse, loi ancrée dans les esprits de ces joueurs. 76 Dans cette partie, nous avons tout d’abord pu constater l’importance du statut social des personnages dans les communautés virtuelles des MMORPG. Son évaluation s’effectue sur différents critères tels que le niveau de l’avatar, les objets qu’il expose, sa réputation ou sa guilde. Il est intéressant de voir que le statut du personnage peut influer sur la valeur accordée à ces informations, sur ses interactions avec les autres participants ainsi que sur l’estime qu’ils pourront avoir de lui, et peut-être même de son joueur. D’autre part, nous avons pu noter que des relations interpersonnelles pouvaient s’élaborer entre les participants ou leurs avatar au sein même du jeu. Les caractéristiques des relations intenses de Perlman et Fehr nous on permis de voir d’importantes ressemblances entre celles qui se développent dans un environnement virtuel, et celles qui se déroulent face-à-face. Il serait donc possible de possible de caractériser certaines des relations virtuelles d’intimes. Par la suite, nous avons pu évaluer l’intérêt que représentent les guildes pour les personnages et les joueurs de MMORPG. Nous avons vu qu’elles étaient pour eux une source d’informations importante et que leur salle de discussion représentait un lieu de socialisation. De plus, nous avons pu constater que leur réputation pouvait transformer celle de leurs membres et qu’elles pouvaient alors renforcer leurs identités. Il serait d’ailleurs possible d’apparenter ces organisations à un groupe d’appartenance révélé. Enfin, nous avons pu étudier les coutumes et les normes qui régissent les communautés virtuelles ainsi que les jugements qu’émettent souvent les personnages, et parfois les joueurs. Nous avons vu que les coutumes étaient bien plus nombreuses que les normes et qu’elles pouvaient parfois être spécifiques à un sous-groupe. Elles s’apprennent pour la plupart en jouant et sont observées par la majorité des joueurs. Nous avons aussi pu constater que les valeurs qui influencent le jugement des personnages sur leur entourage sont souvent propres aux jeux, bien qu’étant pour la plupart calquées sur des valeurs réelles préexistantes. Avoir un bon statut, un réseau de contacts sociaux important, être pleinement intégré dans une guilde et connaître les coutumes et les normes prend du temps. Afin de profiter de l’aspect communautaire et social des MMORPG, il faut aussi que le joueur soit présent suffisamment souvent pour que les autres membres ne l’oublient pas. Cela demande donc une certaine assiduité et explique en partie pourquoi les utilisateurs de ces jeux y restent connectés durant de nombreuses heures par semaine (sur plus d’une centaine de joueurs francophones, 64,10% avouent jouer plus de 21 heures par semaine). Comme le soulignait Sherry Turkle6, 6 Turkle, Sherry. Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet, New York, Simon & Schuster, 1995. 77 un des intérêts principaux des jeux multi-joueurs étant de participer à la vie de la communauté, il est dur de ne jouer qu’un peu. Notons d’ailleurs que les joueurs occasionnels, appelés casual gamers, n’expérimentent que très rarement cet aspect du jeu. 78 Partie III Aspects réels des communautés virtuelles Bien que virtuelles, les communautés des MMORPG dépendent toujours de certains aspects et de certains actes « réels ». Les développeurs de jeux, sans qui leurs univers n’existeraient pas, et les joueurs sont absolument nécessaires afin qu’une communauté puisse se former. Dans un premier temps, nous étudierons les participants, les buts qu’ils cherchent généralement à atteindre et ce qui importe vraiment à leurs yeux. Nous verrons aussi que les MMORPG demandent un important investissement personnel et nous évaluerons l’aide psychologique qu’ils peuvent parfois apporter aux joueurs. Par la suite, nous examinerons la représentation que les joueurs peuvent avoir d’eux-mêmes et des autres participants, et nous essayerons de comprendre pourquoi certains d’entre eux choisissent une identité virtuelle de sexe opposé, en nous inspirant des études de Sherry Turkle1 et de Nicholas Yee2. Enfin, étudierons les nouvelles formes d’expressions qui se créent et se développent dans les jeux massivement multi-joueurs et nous verrons que des relations interpersonnelles peuvent se développer entre les joueurs, et non leurs personnages, au travers du jeu. Nous pourrons de plus constater qu’elles peuvent ensuite évoluer en dehors de son univers. Nous verrons, dans un deuxième temps, que les développeurs de MMORPG fournissent des efforts afin de rendre leurs mondes plus réalistes et pour faciliter l’immersion des joueurs dans cet univers virtuel, en insérant par exemple des lieux communautaires ou des objets pouvant servir à montrer le statut social d’un personnage. Nous étudierons aussi ce qui, dans le programme d’un jeu, peut inciter les participants à accomplir des actes communautaires, qui visent à améliorer les jeux et parfois à les rendre plus faciles d’utilisation, pour eux et les autres joueurs. Il arrive en effet qu’un utilisateur de MMORPG considère qu’un aspect du jeu ne lui convient pas, décide d’y remédier et propose la solution aux autres participants. Nous verrons enfin que certains éléments du système de jeu incitent les participants à interagir et à se constituer des réseaux de contacts sociaux, ce qui contribue souvent au maintien des communautés virtuelles. 1 2 Turkle, Sherry. Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet, New York, Simon & Schuster, 1995. http://www.nickyee.com/daedalus/archives/000551.php?page=1 80 Le joueur Afin d’étudier les communautés virtuelles des jeux massivement multi-joueurs, il peut être aussi intéressant d’en observer les joueurs. À travers mon observation des jeux et des rencontres face-à-face avec certains participants d’Anarchy Online, il m’a été possible de faire quelques suppositions concernant les utilisateurs des MMORPG. Tout d’abord, nous verrons quels sont les objectifs des différentes catégories de joueurs et pourquoi ces buts sont généralement incompatibles. Puis, nous nous pencherons sur l’investissement personnel, aussi bien temporel qu’affectif, que demandent les MMORPG, ainsi que sur certains aspects des jeux qui importent aux joueurs. Nous verrons aussi que ceux-ci sont parfois personnellement touchés par des événements du jeu. Nous étudierons ensuite la manière dont le joueur se représente les autres participants, et lui-même par rapport à eux. Puis nous nous pencherons sur la question de l’aide psychologique que peuvent, ou non, apporter les mondes virtuels. Nous essayerons de voir aussi pourquoi les joueurs décident parfois de changer de genre et nous nous pencherons de plus près sur la question de l’homosexualité. Enfin, nous verrons les nouvelles formes d’expression créées au sein des jeux et nous finirons par étudier les relations interpersonnelles qui peuvent s’élaborer entre les joueurs. Nous verrons dans certaines parties les dangers représentés par les MMORPG pour les participants trop immergés dans cet univers, qui les conduit parfois à devenir conforme au stéréotype du joueur, appelé geek : personne renfermée, ayant remplacé les interactions qu’elle entretenait face-à-face par ses relations virtuelles, vivant au quotidien dans le jeu. Je tiens enfin à préciser que je ne parlerai en aucun cas des joueurs « professionnels », créant sur différents comptes de nombreux personnages évolués avec de bons objets, afin de les revendre (ce qui est normalement interdit) sur des sites Internet, Ebay3 étant le plus utilisé. Les buts des joueurs Les joueurs s’expriment de temps en temps sur leurs objectifs dans un jeu en particulier ou dans les MMORPG en général et il est parfois possible de faire des suppositions sur ce qu’ils recherchent dans la virtualité. Nous voyons par exemple une séparation assez distincte entre les joueurs ayant pour objectif d’atteindre le niveau maximum avec leurs 3 http://www.ebay.com 81 personnages et de posséder les objets les plus rares et les plus puissants du jeu, et ceux qui veulent avant tout se concentrer sur son aspect social et jouer le rôle de leurs avatars. La première catégorie regroupe les joueurs qu’on appelle power gamers, ceux qui passeront des heures à tuer les ennemis leur rapportant des points d’expérience le plus rapidement possible, qui chercheront à exploiter les ressources du jeu au maximum et qui se démèneront pour trouver les meilleurs objets. La seconde catégorie est celle des joueurs roleplay ou rp, ne s’intéressant pas particulièrement à l’évolution de leurs personnages, mais qui cherchent plutôt à construire une identité propre à leur avatar et à élaborer un réseau de contacts sociaux important. Il n’est pas rare de voir ces deux catégories se regrouper en guildes spécifiques, en fonction des buts des joueurs : les guildes uber (mot allemand signifiant « au-dessus de ») et les guildes roleplay. Il est intéressant de noter que ces objectifs sont incompatibles, ou qu’ils ne peuvent du moins pas être atteints en même temps. Jouer le rôle de son personnage, s’impliquer dans la communauté et élaborer un réseau de contacts sociaux, demandent du temps et de l’engagement de la part du joueur. Il en est de même pour faire atteindre à son personnage le niveau maximum et pour entrer en possession de tous les objets intéressants. Le joueur devra donc se concentrer sur l’un ou l’autre de ces objectifs à la fois. Notons aussi que sur Anarchy Online, certains power gamers ont créé le C4RP (CARP), le comité anti roleplay, ce qui montre que ces deux classes de joueurs ne s’entendent pas toujours bien. Entre ces deux catégories, les joueurs sont généralement assez polyvalents : ils font évoluer leurs personnages de façon moins assidue, ils ne recherchent pas particulièrement les objets puissants, et ils ne jouent pas un rôle très différent de leur identité réelle ou, du moins, ne le font pas lors de chacune de leurs interactions. Notons aussi que les power gamers se vantent généralement de leurs niveaux, de leurs objets, de leurs compétences, et de leur bonne connaissance du système de jeu. Prenons l’exemple du personnage Lanurse qui, après avoir fait évoluer son personnage d’une manière impressionnante en une seule journée de jeu, trouva bon de le signifier à tout son réseau de contacts. Il n’est pas rare de voir ces joueurs exposer leurs objets à leur entourage, en spécifiant parfois le temps qu’il a fallu pour les trouver, et en précisant leur puissance. Les guildes dans lesquelles ils se regroupent ont pour objectif d’avoir les meilleurs personnages du serveur, tous puissamment équipés. On peut supposer que pour cette catégorie de participants, l’aspect primordial d’un MMORPG soit sa difficulté et le nombre d’objets puissants qu’il est possible de trouver ou de fabriquer. Au contraire, les joueurs roleplay ne se vantent que rarement du brio avec lequel ils jouent le rôle de leurs personnages. Un bon 82 système de communication, les possibilités d’emotes sociales (commandes que le joueur doit taper afin de faire effectuer des gestes à son avatar) et l’existence de lieux communautaires seront pour eux les qualités que devra posséder un bon jeu. Les joueurs polyvalents, quant à eux, seront généralement attirés par la beauté des graphismes, le nombre de lieux différents qu’il est possible de visiter, et par la nouveauté du système de jeu offert par le MMORPG. Il est parfois possible de faire des suppositions sur ce que recherchent personnellement les joueurs. En observant les forums, j’ai pu remarquer que certains communiquaient leurs adresses de courrier électronique, leurs numéros de messagerie instantanée (ICQ, AIM, MSN…) ou parfois même leurs numéros de téléphone. Le numéro de messagerie instantanée est l’information la plus couramment répandue, elle peut faire partie du profil de l’utilisateur du forum, et est par conséquent visible dans tous ses messages. L’adresse de courrier électronique peut elle aussi être transmise dans le profil d’un utilisateur, mais est moins fréquemment communiquée car elle donne souvent une information sur le nom réel du joueur. Le numéro de téléphone, quant à lui, n’est communiqué que lors d’un message particulier. Le fait que le joueur transmette aux autres utilisateurs un moyen de le joindre en dehors du jeu pourrait peut-être démontrer un certain désir d’établir des relations interpersonnelles, de rencontrer de nouvelles personnes et peut être ainsi construire de nouvelles amitiés. Nous pourrions aussi supposer que les power gamers jouent pour avoir une impression de puissance, d’importance, de richesse et de statut social élevé. Selon Sherry Turkle4, lorsque le joueur ne fait pas (ou plus) partie de la classe moyenne, le monde virtuel offre la possibilité de s’élever socialement. Quant aux joueurs roleplay, il serait possible de dire qu’ils jouent pour se construire une nouvelle identité, pour être des personnes différentes et peut-être pour amplifier des traits de leurs personnalités qu’ils n’arrivent pas à développer dans la réalité. Investissement personnel Les MMORPG demandent un investissement personnel, aussi bien temporel qu’affectif. Afin de participer à la vie de la communauté, d’avoir un statut important et une réputation conséquente, un joueur doit non seulement jouer beaucoup mais aussi de façon régulière. Ceci explique en grande partie le nombre important d’heures que passent les utilisateurs à jouer, et la fréquence presque quotidienne à laquelle il est possible de les voir connectés. En général, nous pouvons voir que les joueurs ne jouent qu’à un seul jeu 83 massivement multi-joueur à la fois, probablement à cause du grand investissement que cela demande (sur plus d’une centaine de joueurs francophones, 82,76% déclarent ne jouer qu’à un seul MMORPG). Selon certains participants, les personnes possédant plusieurs comptes sur plusieurs jeux sont soit des joueurs professionnels, créant des personnages très évolués en un court laps de temps afin de pouvoir les revendre (ce qui est interdit), soit des casual gamer, ne jouant ni beaucoup, ni longtemps. Par conséquent, on peut supposer que les personnages assez évolués d’Anarchy Online sont joués par des joueurs se consacrant uniquement à ce jeu. De plus, j’ai pu observer que les participants ne possédaient en général qu’un seul avatar principal. Ces personnages sont appelés main characters ou simplement main (personnages principaux) et sont ceux que le joueur jouera le plus souvent pendant un laps de temps conséquent. Ils seront aussi fréquemment les avatars les plus évolués que possédera un participant. Un main character peut aussi être le personnage avec lequel le joueur s’est premièrement constitué une réputation. Par la suite, même si un de ses nouveaux avatars est plus évolué que celui auquel est liée sa réputation, on parlera de reroll, terme désignant les personnages secondaires, et faisant référence aux jeux de rôle papiers dans lesquels les participants doivent lancer des dés (to roll, en anglais) pour déterminer leurs compétences, ou d’alt pour alternative. Il est aussi possible que les participants parlent d’un personnage en le désignant par le nom de son main character, même si celui-ci n’est plus joué depuis longtemps. La réputation d’un personnage principal est donc très importante pour le joueur, car elle constitue aussi la sienne dans l’univers du jeu lorsqu’il révèle le nom de son main. Il arrive que l’identité première d’un joueur soit communiquée dans le nom même de ses personnages secondaires, lorsque ses nouveaux pseudonymes rappellent celui de l’avatar principal comme Arcalee et Arcaluna, Hammerkill et Tredarkill ou encore Gots et Gotsuo. Certains participants considèrent qu’il ne devrait être possible de créer qu’un seul avatar par serveur, peut-être pour éviter qu’un joueur puisse se départir de sa réputation et de son identité trop facilement, car créer des personnages secondaires ne demande pas la suppression du personnage principal, et n’est donc pas un acte émotionnellement difficile à accomplir. Bien qu’un avatar soit une identité virtuelle et anonyme, la personnalité du main peut alors aussi être considérée par les autres participants comme la personnalité réelle du joueur. Il peut effectivement arriver qu’elle le devienne lorsque le participant est trop immergé, lorsque les seules interactions qu’il entretient se déroulent dans cet univers virtuel. 4 Turkle, Sherry. Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet, New York, Simon & Schuster, 1995. 84 Ce qui importe aux joueurs Il est tout d’abord probable que le réseau de contacts sociaux qu’élabore un joueur à travers ses personnages ait une réelle importance pour lui. Etant donné qu’il est nécessaire de préciser le pseudonyme précis d’un personnage afin de pouvoir établir avec lui une conversation privée, certains joueurs vont même jusqu’à effacer définitivement leur avatar, qui peut représenter des mois de jeu, afin d’en conserver le nom pour un nouveau personnage, et ainsi ne pas perdre contact avec les autres participants. Cette attitude est compréhensible, car ce que construit le joueur n’est pas uniquement un personnage de haut niveau avec des compétences élevées, mais aussi une réputation et un statut social. J’ai de plus pu remarquer, lors des rencontres irl (in real life), qu’il était important pour les participants de préciser qu’ils trichaient, qu’ils savaient comment exploiter les erreurs du jeu (bogues) sans se faire remarquer. Cela semble leur procurer une réelle fierté, et leur confère un statut particulier qui leur importe réellement. Pour un joueur trop immergé, ayant remplacé les interactions face-à-face qu’il entretenait par des relations virtuelles, son réseau de contacts sociaux et son statut peuvent, de plus, être les aspects du jeu les plus importants à ses yeux. Notons aussi que la vie irl (in real life) des joueurs intéresse les autres participants, bien qu’ils fassent partie d’un jeu de rôle. Par exemple, lors d’une discussion publique avec Nathy à propos de l’identité réelle d’un avatar que nous connaissions tous les deux, d’autres joueurs se sont peu à peu assis avec nous et ont participé à la discussion en transmettant des informations personnelles sur d’autres personnages. De deux joueurs, le groupe est rapidement passé à six, et de plus en plus de participants se sont regroupés autour de nous. Dans les forums, il n’est pas rare de voir des messages ayant pour sujet « qui êtes-vous irl ? » ou « Who is Male IRL and Female in game ? ». Selon Jodi O’Brien, « Sex attributes provide basic information about how to conduct interactions with others and how to organize social reality »5 ce qui pour elle est toujours valable dans la virtualité. Ceci pourrait en effet expliquer la fréquence des questions sur le genre réel des participants, ainsi que l’importance qu’accordent les joueurs aux informations personnelles. 5 O’Brien, Jodi. « Writing in the Body: Gender (Re)production in Online Interaction », in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001, p. 77. 85 D’autre part, il est intéressant de noter que les joueurs ont besoin de se localiser dans un jeu, même lorsque son univers est immense. Dans Anarchy Online, nous avons vu que la plupart des joueurs se rassemblaient aux portes des capitales de chaque faction. Dans Star Wars Galaxies, bien que les participants aient à leur disposition pas moins de dix planètes différentes, ils se localisent par petits groupes sur un astre particulier et dans une ville spécifique. Comme dans les communautés réelles, les membres ressentent le besoin d’avoir des points de rassemblement précis pour pouvoir se localiser. Dans les signatures des messages des forums de Star Wars Galaxies, il est d’ailleurs fréquent d’y voir la planète et la ville du joueur en plus du nom et des compétences de son personnage. En observant différents MMORPG, à savoir Dark Age of Camelot, Star Wars Galaxies et Anarchy Online, j’ai aussi pu remarquer que certains joueurs donnaient l’impression d’avoir de réelles responsabilités envers la communauté virtuelle à laquelle ils appartenaient et que cela leur importait réellement. Dans un message d’un forum d’une guilde de Dark Age of Camelot, un joueur s’excuse alors d’avoir dû dîner avec des amis le même soir que celui du déroulement d’un événement organisé, auquel il avait promis de participer. Il est aussi fréquent que des réunions de guildes soient déplacées à la demande d’un joueur ne pouvant pas y assister à la date prévue. Les présidents d’organisations de joueurs se sentent aussi parfois responsables du maintien de ce groupe et de l’ambiance agréable qui doit régner. Maxime, interprétant le rôle de Zephira1 dans Anarchy Online, présidente de la guilde francophone Phoenix, m’a avoué ne se connecter parfois que pour s’assurer qu’il n’y avait pas de problèmes au sein de son organisation. Star Wars Galaxies a choisi de développer ce sentiment de responsabilité, en donnant la possibilité aux joueurs de créer des bâtiments qu’ils doivent entretenir toutes les semaines. Ceci les obligent alors à se connecter, ou à déléguer cette tâche à d’autres participants lorsqu’ils ont un empêchement, ou encore à démonter ces installations lorsqu’ils doivent s’absenter pendant une longue durée. De plus, les joueurs ont aussi la possibilité de tenir un ou plusieurs commerces, et ceci demande un entretien plus assidu de leurs réseaux de contacts sociaux, afin de ne pas perdre leur clientèle. Les participants se sentent ainsi obligés de jouer régulièrement pour ne pas faillir à leurs responsabilités virtuelles. Ici encore, il existe un risque de trop forte immersion, les joueurs pouvant faire passer ces nouvelles responsabilités au-dessus de celles qui leur incombent réellement, les trouvant peut être plus intéressantes et moins contraignantes puisqu’elles font parties d’un jeu. 86 Les événements virtuels peuvent toucher les participants Il est aussi intéressant de noter que certains événements du jeu peuvent toucher personnellement un joueur. Lors des recherches précédentes sur les communautés virtuelles, il fut démontré que les participants pouvaient se sentir trahis, déçus, ou au contraire éprouver des sentiments affectifs à l’encontre des autres membres. Sherry Turkle citent l’exemple de la légende d’Alex et Joan pour montrer à quel point les utilisateurs de ces communautés peuvent être affectés par un mensonge : Alex et Joan étaient la même personne mais ils étaient deux identités différentes sur Internet, lorsque le subterfuge fut découvert, les réactions des utilisateurs qui les avaient côtoyés furent violentes6. Dans un MUD, comme dans un MMORPG, les joueurs peuvent parfois ressentir les sentiments de leurs personnages, peut-être à cause d’une trop forte identification. Il arrive qu’un joueur éprouve une réelle colère envers un autre participant, qu’il soit profondément triste à la suite d’un événement, qu’il considère qu’un épisode de la « vie » de son avatar mérite qu’il en garde un souvenir, une trace, ou encore qu’il tombe amoureux de son partenaire virtuel, ce qui est plus rare. Maxime, qui interprète le rôle de Zephira1 dans Anarchy Online, affirme avoir déjà ressenti une très forte colère envers un autre joueur, à cause d’une action de son avatar. Lorsque Munn, présidente de la guilde Anges Rebelles dans Anarchy Online, annonça son départ du jeu, les réactions furent vives. Arcalee, membre de longue date de l’organisation, montra premièrement sa tristesse dans un message du forum de la guilde, puis sa grande joie lorsque Munn décida de ne pas quitter le jeu. Arcalee m’avoua aussi, en privé : « je sais que c’est bête mais j’ai même pleuré irl quand elle m’a dit ca » (irl signifie in real life). En effet, le joueur Munn n’a pas arrêté de jouer, mais confia la présidence de la guilde à un autre joueur, et ceci provoqua le départ de beaucoup de membres, car, selon eux, les Anges Rebelles sans Munn n’étaient plus la même guilde. Il s’agissait des membres les plus actifs, les plus présents et parmi les plus anciens. Il peut aussi arriver que les joueurs soient très rancuniers lorsqu’ils se sentent trahis, souvent lors d’une relation amoureuse. Il arrive de plus qu’un participant arrête de jouer à cause du départ d’un de ses amis virtuels ou d’une dispute violente. Lors de la destruction de l’organisation dont je faisais partie depuis mes premiers jours de jeu dans Anarchy Online, j’ai moi-même ressenti une légère tristesse et peut-être aussi un peu de déception. Il m’est aussi déjà arrivé de m’emporter 6 Turkle, Sherry. Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet, New York, Simon & Schuster, 1995, p. 228-230. 87 contre un autre joueur que je ne connaissais pas, simplement à cause du comportement maladroit de son avatar. La spécificité des MMORPG, puisqu’ils sont des mondes graphiques et non uniquement textuels comme les MUD, est que le joueur peut sauvegarder un événement de différentes façons. Il peut choisir d’enregistrer toutes les conversations dans un fichier texte comme pour les MUD, mais il peut aussi faire ce qu’on appelle des captures d’écran, c’est-àdire prendre une « photo » de ce qui se passe autour de son personnage au moment présent. Ainsi peut-il garder un souvenir visuel d’un événement qui lui est cher comme l’a fait Guillaume, qui interprète le personnage NomadSpirit dans Anarchy Online, qui utilise une capture d’écran de son mariage avec l’avatar Valaba comme « papier peint » pour son ordinateur. Il peut alors revoir cet épisode à loisir chaque fois qu’il utilise son ordinateur personnel. Grâce aux captures d’écran, le joueur peut aussi fournir des preuves visuelles, plus difficilement falsifiables qu’un fichier texte, lorsqu’il dénonce le comportement d’un autre participant. L’illustration VI est une capture d’écran du harcèlement dont fut victime le personnage Arcalee, et a constitué une preuve auprès d’un ARK (Advisor of Rubi-Ka, membre bénévole du service clients) qui a ainsi pu juger de la bonne foi de la victime. Notons d’ailleurs que cet épisode a lui aussi touché personnellement la joueuse qui interprète Arcalee, probablement en raison de son genre véritable. Il existe, de plus, une autre forme de harcèlement beaucoup plus textuel que graphique. Noé, qui interprète le rôle de Nathy dans Anarchy Online, m’a avoué avoir été réellement choqué par le comportement du personnage Valandra, qui, après avoir réussi à se retrouver seule dans une salle avec Nathy, a commencé une séance de cybersex sans l’autorisation de Noé. Afin de ne pas vexer le joueur de Valandra, il a préféré se déconnecter du jeu plutôt que de lui demander d’arrêter. Les joueurs sont donc diversement affectés par les événements virtuels en fonction de leur personnalité, de leur genre, et de leur sensibilité. Pour un joueur sensible, ceci peut aussi constituer un risque d’immersion trop forte, car il pourrait petit à petit ressentir toutes les émotions de son personnage. Représentation J’ai pu observer que les joueurs projetaient souvent leur image sur les autres participants, lorsqu’ils ne les ont jamais rencontrés face-à-face, et qu’ils supposent 88 généralement, que tous leur ressemblent : même tranche d’âge, même genre (lorsqu’il s’agit de joueur), même classe socioprofessionnelle. Il m’est d’ailleurs souvent arrivé d’être considéré comme un homme par la population masculine de la communauté de différents MMORPG. Les joueurs imaginent aussi parfois le profil des autres participants, leur assignant à chacun une voix et une intonation différente. Ils essayent donc de pallier à l’absence de présence physique en imaginant ce qu’ils veulent que les autres joueurs soient, et cette représentation est souvent assez proche de celle qu’ils ont d’eux-mêmes. Utilisé à outrance, ce mécanisme peut être dangereux car le joueur assigne ainsi à chacun des membres de la communauté qu’il connaît une identité propre, alors qu’il ne s’agit en réalité que de ce que le joueur veut bien montrer de lui. Les participants pourront parfois avoir l’illusion de connaître personnellement les autres joueurs, et cela pourra en amener certains à trop s’immerger dans la réalité virtuelle, car les membres de la communauté ne seront pour eux plus tout à fait irréels mais des personnes à part entière. Il est toutefois intéressant de noter que lorsque l’on rencontre des joueurs face-à-face, ils utilisent des pronoms féminins pour désigner les participants dont les personnages sont des femmes, tout en étant persuadés qu’il s’agit en réalité de joueurs. L’identité du personnage et celle du joueur physique sont donc mêlées pour constituer un tout. Pourtant, il est parfois possible de voir que le joueur transparaît à travers son personnage et ceci de différentes façons. Tout d’abord, l’orthographe, la forme, le style, le vocabulaire et la grammaire qu’il utilise dans ses messages peut être un indice de son niveau d’éducation ou de son âge réel7. Toutefois, notons qu’un joueur peut parfois cacher son ignorance lorsque, par exemple, un personnage utilise un mot qu’il ne comprend pas, en allant chercher sa définition sur Internet. Il est intéressant de voir que les réactions des participants face à une insulte proférée par un joueur, font souvent référence à son âge comme, par exemple, « encore un gamin » ou « laisse tomber, c’est un ado ». On peut également percevoir le genre d’un joueur à travers différents indices. Les joueurs étant majoritairement de sexe masculin, mes observations se sont surtout portées sur des hommes ayant décidé de jouer des personnages féminins. Une mauvaise utilisation des pronoms, des conjugaisons, ou des adjectifs est fréquente et souvent révélatrice. Certaines réflexions ayant un caractère assez cru ou vantant les compétences et 7 Donath, Judith. « Identity and Deception in the Virtual Community » in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001, p. 38-40. 89 caractéristiques érotiques de l’avatar, peuvent aussi nous mettrent sur la voie. De plus, le comportement de l’avatar est parfois un indice du genre du joueur : un jeu de séduction trop osé, ou le port de vêtements mettant exagérément en valeur les formes de l’avatar, sont souvent caractéristique des joueurs masculins. L’anonymat qu’offrent les MMORPG n’est donc pas réellement complet, puisque l’éducation, le genre, et l’âge des joueurs peuvent être perceptibles. Le joueur peut aussi se représenter comme étant différent des autres, supérieur. Lors de mon observation participante de la communauté d’Anarchy Online et de mes rencontres avec les joueurs, j’ai pu constater que certains d’entre eux avaient le sentiment d’être des primus inter pares (premier parmi ses pairs), conformes au groupe, mais toutefois supérieurs. Lorsque des power gamers, joueurs ayant pour objectifs d’atteindre le niveau de personnage le plus élevé du jeu, d’avoir les meilleurs objets sont regroupés, il n’est pas rare qu’ils se comportent tous comme s’ils étaient supérieurs à leur entourage. Ils cherchent aussi le moyen de se démarquer de leur groupe en exposant de meilleurs objets et de meilleures compétences. Lors de plusieurs rencontres irl (in real life) avec un groupe de power gamers, j’ai pu noter qu’ils étaient toujours tous d’accord pour dire qu’ils étaient de meilleurs joueurs que la plupart des participants, pour dire qu’ils faisaient partie de la même « élite », mais une réflexion de la part d’un des participants le plaçait toujours au-dessus des autres. Toutefois, l’effet de PIP n’est pas uniquement observable sur ce groupe particulier de joueurs. Dans une guilde, il peut arriver qu’un membre expose certains de ses objets rares, ou explique ce qui rend son personnage particulier, de ses compétences à sa richesse. De plus, j’ai remarqué que lors des missions de groupes, je voyais toujours mieux mes dégâts sur les ennemis que ceux des autres membres, et que j’avais toujours l’impression d’en faire plus que ce qu’il en était réellement. Ceci est aussi une façon de se placer au-dessus de son groupe, et de se sentir moins anodin que les autres membres. Le jeu peut-il être une aide psychologique ? Les mondes virtuels, en particulier les MMORPG et les MUD, offrent aux participants l’opportunité de développer certains traits de leurs personnalités qu’ils n’arrivent pas à faire évoluer au sein de leur communauté réelle. Le stéréotype du joueur le présente comme une personne extrêmement timide et, ceci étant souvent le cas, c’est sur cela que mes observations 90 se sont focalisées. Il est intéressant de voir à quel point ces joueurs considèrent généralement les jeux massivement multi-joueurs comme un lieu où il est plus facile de parler et d’exprimer ses pensées. Il n’est pas rare d’entendre le discours suivant : « I was never in the in crowd. I was always a dork or a looser, or whatever happened to be the term that week. I was very shy and rarely spoke my mind. I never stood up to anyone, or any of my problems. But on Avatar, I was just the opposite. I bragged and bragged about how good I was. I had an ego and people knew it. I was always speaking my mind. I was a different person on the mud. I was the opposite of who I was in real life »8 (propos de TheBwit). Bien que cela soit le type de cas étudié dans la plupart des précédentes recherches sur les communautés virtuelles, il me semble que les participants n’ont pas toujours une si mauvaise opinion d’eux-mêmes. Pour les joueurs timides, les MMORPG offrent différents avantages. Il n’est pas rare que ces personnes considèrent que leur timidité transparaît à travers leur comportement lors des interactions face-à-face, et il arrive qu’elles aient une mauvaise opinion de leur apparence. Dans le monde virtuel, ils deviennent invisibles et leur apparence réelle ne compte donc plus. Ainsi soulagés de ces contraintes, ils se sentent plus à même d’intervenir lors des discussions de groupes, même lorsqu’ils ne connaissent pas tous les participants. De plus, ces joueurs ne risquent pas de couper malencontreusement la parole à une autre personne, puisque le système de communication mis en place dans les MMORPG affiche les phrase les unes à la suite des autres. Les interactions étant uniquement textuelles, les joueurs timides ne sont plus obligés de fournir un effort psychologique pour élever le ton de leur voix, afin de se faire entendre, ce qui constitue souvent chez eux un obstacle lors des conversations face-à-face. Ils se sentent donc plus à l’aise et peuvent intervenir plus facilement. Notons toutefois que tous les aspects de la timidité ne disparaissent pas toujours dans la virtualité. Certains actes de langage restent parfois difficiles à accomplir, comme celui de crier une phrase en public (placer la commande /shout avant une phrase dans Anarchy Online est retranscrit ainsi : « sheev shouts : bonjour ! » Et sera par défaut écrit dans une autre couleur), ou encore celui de débuter une discussion privée (/tell) avec un inconnu. Les MMORPG et les MUD peuvent parfois aider les joueurs à guérir leur timidité et leur apprendre à parler plus aisément dans les interactions face-à-face. TheBwit déclare à ce propos : « One benefit to playing this game for so long this way, is that I started to make the real life me, more like the character I was playing. As of today, I speak my mind, and I deal with problems that I have. I have a little ego when it comes to certain things, but that is a good 8 http://www.joystick101.org/story/2000/11/29/174243/36. 91 thing. ». Pourtant, Sherry Turkle note qu’un univers virtuel ne peut aider un joueur à évoluer que si son Moi est suffisamment sain pour grandir les relations avec les autres9. Il est possible de supposer qu’un jeu massivement multi-joueur ne serait d’aucun secours pour un jeune adolescent timide. Il se sentira certes plus à l’aise pour communiquer dans le monde virtuel, mais il y a de grands risques pour qu’il n’en conclue pas qu’il pourrait se comporter de la même façon lors de ses interactions face-à-face. Il trouverait dans la virtualité un certain réconfort, un exutoire et non une aide psychologique. Ceci constitue à mon sens un des aspects de ces jeux qui peuvent conduire à une immersion trop poussée, danger réel des MMORPG, le jeune joueur trouvant enfin une communauté prête à l’écouter sans faire attention à son apparence. Genre et homosexualité Comme l’ont montré les études antérieures sur les communautés virtuelles, les participants changent de sexe afin d’expérimenter les avantages qu’ils pensent être spécifiquement attribués à un genre. Sherry Turkle expose, par exemple, le cas de plusieurs joueurs de MUD : Case, qui a choisi d’être une femme afin de pouvoir se montrer plus agressif et plus direct, Zoe qui a choisi le genre masculin afin de pouvoir se montrer plus ferme, ou encore Garett, qui a changé de genre pour pouvoir aider son entourage féminin, sans que cet acte ne soit considéré comme de la séduction10. La conception des avantages liés au genre diffère donc selon les personnes et leur éducation. De plus, les personnages féminins ont tendance à se voir proposer de l’aide plus fréquemment, et ont plus de facilités pour en trouver. Noé, joueur d’Anarchy Online dont le personnage se nomme Nathy, avoue d’ailleurs avoir choisi de jouer une femme pour ces raisons. Cette explication est tout à fait applicable aux MMORPG, mais Nicholas Yee, aujourd’hui employé dans un studio de recherche et développement sur les environnements immersifs sur Internet après une thèse sur le jeu massivement multi-joueur Everquest, en considère deux autres. Selon lui, le fait qu’un homme choisisse d’interpréter le rôle d’un personnage féminin est une autre forme de domination du corps de la femme. De plus, un avatar féminin peut être un avantage psychologique lors des affrontements en PvP, (Player versus Player, système présent dans la 9 Turkle, Sherry. Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet, New York, Simon & Schuster, 1995, p. 205. 10 Turkle, Sherry. Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet, New York, Simon & Schuster, 1995, p. 214-223. 92 majorité des MMORPG et permettant aux joueurs de s’affronter) car il est perçu comme plus faible par certains joueurs chauvins11. Pour les participants trop immergés dans un jeu, ce changement de genre peut devenir dangereux. Il peut arriver qu’ils parlent au féminin lors de discussion privée dans le jeu, de joueur à joueur, mais aussi lors de conversation sur les logiciels de messagerie instantanée, comme ICQ ou MSN. Ceci peut, peut être, démontrer une certaine difficulté à faire une distinction entre le monde réel et le monde virtuel, entre le rôle interprété dans le jeu et celui qu’ils interprètent dans la vie quotidienne. Notons aussi que le joueur peut être assez immergé dans un MMORPG (ou un MUD), pour que sa vie quotidienne se déroule uniquement dans le jeu, ce qui peut expliquer ces erreurs de genre dans les communications médiatisées par ordinateur. Comme nous l’avons déjà vu, un nombre conséquent de couples homosexuels féminins se forment dans les MMORPG, alors que l’homosexualité masculine est quasiinexistante. Etant donné que la majorité des utilisateurs des jeux massivement multi-joueurs sont des jeunes hommes (sur plus d’une centaine de joueurs, 92,31% sont des hommes et 57,27% ont entre 20 et 30 ans), il est compréhensible que cette forme d’homosexualité ne choque pas, car elle représente souvent pour eux un fantasme. Au cours de mes observations, les couples homosexuels qu’il m’a été donné de voir étaient tous constitués de joueurs de genre masculin. Leur formation peut probablement être expliquée par l’anonymat que confèrent ces jeux, leur offrant ainsi l’opportunité de réaliser un fantasme sans être jugé par son entourage. Notons aussi que les personnages engagés dans de telles relations sont en général assez exhibitionnistes, ce qui peut aussi assouvir une partie de leurs fantasmes. L’homosexualité masculine constitue quant à elle un tabou pour cette tranche de la population. L’anonymat des MMORPG pourrait pourtant être l’occasion, pour les joueurs curieux, d’expérimenter un semblant d’homosexualité assumée et dévoilée mais, à ma connaissance, cela n’est jamais arrivé. De plus, comme nous l’avons déjà vu, des termes péjoratifs comme « pd » ou « gay » sont encore trop utilisés comme insultes, pour envisager l’acceptation de couples homosexuels masculins. Néanmoins, en raison de l’importante population masculine des MMORPG, une partie des couples de personnages homme/femme sont jouée par des joueurs, et sont donc, en fin de compte, des couples homosexuels. Ceci n’a pourtant pas l’air de gêner les joueurs eux-mêmes, qui se proclament souvent hétérosexuels, ni leur entourage. Il est d’ailleurs possible qu’ils n’en aient pas conscience. 11 http://www.nickyee.com/daedalus/archives/000551.php?page=2 93 Expressions Il est aussi intéressant de constater que les joueurs utilisent de nouvelles formes d’expressions pour communiquer et tenter de pallier à l’absence de ton, de voix et de comportement physique lors des interactions. Les smileys sont souvent utilisés pour transmettre l’intonation d’une phrase : « :-) » Ou « ^^ » Signifie que le personnage sourit, « :(» Que le personnage est triste, « :-p » Que le personnage tire la langue et « :-/» Que le personnage est contrarié. Lorsqu’ils sont utilisés seuls, ils peuvent aussi servir à montrer, selon le même code, la réaction qu’une phrase provoque sur le personnage ou le joueur. Il existe d’autres moyens d’exprimer des informations non verbales : entourer un mot avec des astérisques pour en souligner l’importance (ex : l’emphase est mise sur ce *mot*), écrire les phrases entre parenthèses pour préciser qu’elles proviennent du joueur et non du personnage, ou encore écrire en majuscules, ce qui signifie que le personnage crie. Certaines contractions sont aussi utilisées pour exprimer un état : « lol » signifie laughing out loud, traduit en français par « mdr » (mort de rire), « rofl » veut dire rolling on the floor laughing, traduit par « ptdr » (pété de rire). Chaque groupe peut ensuite créer ses codes spécifiques. Les joueurs pallient aussi à l’absence d’intonation en utilisant une orthographe particulière pour marquer le ton. Par exemple, « non » et « nan » ne sont pas la même négation, la première est ferme, l’autre est plus ironique. Les MMORPG offrent de plus aux joueurs la possibilité de faire effectuer des gestes à leurs avatars par le biais de commandes appelées emotes. Par exemple, lorsqu’un joueur tape /wave, le personnage effectue un geste de la main pour saluer son entourage, il pouffe de rire avec /giggle, et se prosterne avec la commande /prostrate, qui est d’ailleurs rarement utilisée. D’autre part, les joueurs développent un vocabulaire particulier au sein des jeux massivement multi-joueurs, afin de transmettre rapidement une opinion ou un état. L’expression afk (away from keyboard) signifie que le joueur n’est pas devant son clavier, et ne peut donc plus intervenir sur son personnage. Les termes roxx et suxx sont utilisés pour dire que le personnage ou l’objet visé est bon ou mauvais. Comme le souligné Nancy K. Baym12, le développement de ces nouvelles formes d’expressions et le fait qu’elles soient parfois rassemblées et diffusées sous forme de guides, montre que les joueurs sont conscients que 12 Baym, Nancy. « The Emergence of On-Line Community » in Jones, Steven, (dir), Cybersociety 2.0. Revisiting Computer-Mediated Communication and Community, Londres, Sage, 1998, p. 52. 94 leurs communautés ont des formes d’expressions spécifiques, et qu’ils prennent un rôle actif dans leur codification. Les relations entre joueurs Outre les relations interpersonnelles qui s’établissent entre les personnages d’un jeu massivement multi-joueur, il arrive aussi qu’elles se forment entre certains joueurs. Bien qu’il soit indéniable qu’une rencontre face-à-face change les rapports entre les joueurs et leurs personnages, les interactions entretenues dans le jeu pourront aussi créer des liens entre les participants. Nous allons maintenant voir les relations qui s’établissent entre les utilisateurs des MMORPG, que ce soit à travers le jeu, ou à travers les rencontres irl (in real life). Les rencontres irl changent très clairement les rapports entre les joueurs et leurs personnages. Avant ma première rencontre avec un groupe de joueurs d’Anarchy Online, à Bordeaux, je ne connaissais dans le jeu que l’un d’entre eux. Certaines personnes présentes habitant à Paris et entretenant des relations amicales « réelles » avec d’autres participants, nous avons décidé de nous revoir. Après cette première entrevue, nous avons commencé à discuter dans le jeu de joueur à joueur et de personnage à personnage, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Nous nous sommes revus plusieurs fois et j’ai ainsi pu rencontrer d’autres participants. Ce groupe de joueurs était constitué la plupart du temps de Guillaume (NomadSpirit), Mathieu (Gots), Maxime (Zephira1), Noé (Nathy) et Sébastien (Qualkekh), tous joueurs d’Anarchy Online et tous power gamers. Au fur et à mesure des rencontres, je fus de plus en plus acceptée par ce groupe, alors que mes objectifs de joueuse différaient des leurs. Dans le jeu, ils m’ont précieusement aidé, m’ont offert des objets rares dont ils ne se servaient plus, alors que leur collection et leur richesse comptent beaucoup pour eux, et m’ont aidé à maximiser les compétences de mon personnage. Les relations qu’entretiennent les personnages d’un jeu et la confiance qu’ils s’accordent peuvent différer selon que les joueurs se connaissent ou non personnellement. Par exemple, si Zephira1 taquine Qualkekh, celui-ci en rira probablement alors qu’il pourrait s’énerver s’il s’agissait d’un autre personnage dont il ne connaît pas le joueur. Lors d’une rencontre irl, un des participants s’est d’ailleurs exclamé : « je savais pas que c’était toi ! Sinon je ne me serais pas emporté comme ça ! ». Les personnages sont donc beaucoup plus cléments les uns envers les autres lorsque les joueurs se connaissent personnellement et 95 s’apprécient. Ils s’entraident plus souvent, s’offrent des objets puissants, et font fréquemment des groupes entre eux pour effectuer des missions. De plus, les joueurs qui se sont déjà rencontrés face-à-face se font plus facilement confiance. Lorsque Johann, que je n’ai rencontré qu’une fois à Bordeaux, a appris que j’enregistrais toutes les interactions entre les personnages pour une étude, il m’a confié avoir peur que je n’utilise mes sauvegardes contre lui dans le jeu, contre ses avatars. Je l’ai alors prié de me faire confiance, à moi, et non à mon personnage, ce qui a semblé le rassurer. En effet, puisque je n’avais pas menti sur mon genre, mon âge et mon éducation, pourquoi aurais-je menti à ce sujet ? Il est fort probable qu’il ne m’aurait pas cru si nous ne nous étions pas rencontrés face-à-face auparavant, ignorant à qui il faisait confiance, puisque l’identité apparaissant dans la virtualité pouvait être totalement factice. Précisons aussi que lorsque les joueurs se connaissent personnellement, ils ont le droit de se raconter des plaisanteries qui ne seraient pas forcément prises comme telles de la part d’un inconnu. Les rencontres irl peuvent donc inciter les joueurs à interagir dans le jeu et améliorer les rapports qu’ils y entretiennent. Pourtant, il est important de noter qu’elles peuvent aussi détériorer les relations. En effet, il arrive que la rencontre face-à-face avec un joueur avec qui nous nous entendons particulièrement bien dans le virtuel, soit une réelle déception. Puisque le joueur projette souvent son image sur les autres participants, il peut tout d’abord arriver que le personnage rencontré irl ne soit pas conforme à ce qu’il attendait. Il peut aussi fréquemment arriver que la personne ait un caractère totalement différent de celui de son avatar. De plus, lorsqu’un joueur rencontre celui ou celle avec qui il entretenait une relation amoureuse dans le jeu, il arrive qu’il soit déçu par son apparence physique. Par exemple, Guillaume (NomadSpirit) m’a confié que la décision de créer un personnage secondaire fut en partie incitée par sa rencontre face-à-face avec sa « femme », qui était en réalité un homme de 30 ans au physique peu avantageux. Ces risques expliquent d’ailleurs pourquoi certains joueurs refusent de rencontrer les autres participants face-à-face, ou sont effrayés à l’idée d’une telle entrevue. J’avoue avoir moi-même eu peur de rencontrer Hydrogenoid, avec qui je m’entendais particulièrement bien dans le jeu, car je ne voulais pas que cette relation soit détériorée. Après avoir vu une photographie de lui, Maxime, cela l’a de plus rendu étrangement humain, il n’était plus un être sans visage que je pouvais me représenter comme je le désirais. Par les rencontres irl, les participants peuvent non seulement former des groupes de joueurs dans la réalité, mais aussi constituer une petite communauté de joueurs dans le jeu qui se connaissent personnellement, avec des valeurs et un humour différents. 96 Les relations fortes qui s’établissent parfois entre les joueurs et leurs personnages peuvent aussi conduire à des interactions interpersonnelles plus intimes et plus « réelles » entre les participants. Il arrive par exemple qu’ils se donnent un moyen pour se contacter en dehors de l’univers du jeu, que ce soit en transmettant leur numéro de messagerie instantanée (ICQ, AIM, MSN), leur adresse de courrier électronique, ou leur numéro de téléphone. Bien qu’il soit possible de trouver ces informations sur les forums, le fait de les utiliser fréquemment pour se contacter est significatif de l’élaboration d’une relation plus intime entre les joueurs. De plus, c’est en général après s’être bien entendu dans un jeu que les joueurs choisissent de se rencontrer face-à-face. Il peut arriver qu’ils deviennent réellement amis et que des couples amoureux se forment. Notons aussi qu’il est possible d’entretenir dans le jeu une discussion privée de joueur à joueur avec un inconnu. Cette année, peu avant la guerre en Irak, j’ai ainsi pu discuter de ce sujet avec un joueur américain désirant avoir un point de vue français sur ce cas. Cette conversation s’est révélée très intéressante et le ton est toujours resté aimable. Nous avons d’ailleurs échangé nos adresses de courrier électronique pour poursuivre notre relation. Lorsqu’une relation entre des membres d’une communauté se déroule bien, il arrive qu’elle devienne plus intime et que cette relation soit portée sur un autre terrain que celui sur lequel ils se sont rencontrés. À ce sujet, Parks et Floyd, dans une étude de 1996 aux Etat-Unis, relève que 60.7 % des utilisateurs de l’Usenet (groupe de discussion) établissent des relations personnelles. Ces personnes les amènent généralement sur au moins un autre terrain, et les chercheurs observent que 35.3 % utilisent aussi le téléphone pour se contacter, 25.4 % utilisent le courrier postal, et 33.3 % se rencontrent dans la réalité13. Notons aussi que sur plus d’une centaine de joueurs francophones, 82,20% déclarent entretenir des relations avec d’autres participants en dehors du jeu. Les relations entre joueurs ainsi portées sur un autre terrain deviennent plus personnelles et plus honnêtes, car les participants sont plus enclins à transmettre des informations identitaires réelles. Il arrive d’ailleurs qu’ils parlent entre eux de problèmes personnels et sensibles, dont ils ne peuvent pas discuter avec leur entourage. Il est de plus intéressant de noter que lorsque des personnages entretiennent une relation amoureuse, les autres participants en concluent généralement que les joueurs communiquent aussi en dehors du jeu. Il n’est d’ailleurs pas rare, lorsqu’un membre du couple est absent 13 Parks, Malcolm, Floyd, Kory. « Making Friends in Cyberspace », Journal of Communication, 46, 1996. 97 pendant un long laps de temps, que les autres participants demandent de ses nouvelles au partenaire présent. Lorsqu’une relation forte s’immisce entre deux participants, que ce soit par le biais du jeu ou celui de rencontres irl, ceci peut changer leur comportement de joueurs. Outre la plus grande confiance qu’ils sont enclins à accorder, les valeurs qu’ils modifient, et les relations qui changent entre leurs personnages, il arrive aussi que le simple fait de se connecter et de jouer dépende de la présence de certains participants. Notons aussi que les relations que les joueurs entretiennent dans un jeu à travers leurs avatars, peuvent aussi changer les interactions interpersonnelles qu’ils pourraient élaborer face-à-face. Il arrive que des rencontres irl massives soient organisées, (par les guildes, par exemple) et que des joueurs qui ne s’apprécient pas dans le jeu s’y croisent. Il y a alors de fortes chances pour qu’ils ne s’apprécient pas non plus dans la réalité, ne serait-ce qu’à cause des préjugés créés dans le jeu à l’encontre de ces participants. De plus, il arrive aussi que des couples de personnages deviennent par la suite des couples de joueurs. Les joueurs entretiennent donc entre eux des relations plus ou moins intimes pouvant êtres portées sur un autre terrain. Il serait peut-être possible de dire que ceci rend la virtualité des MMORPG un peu plus réelle, les joueurs ayant véritablement l’impression de connaître leur entourage personnellement. Il est donc intéressant de voir que les joueurs ont des buts différents, qu’ils s’investissent personnellement dans les MMORPG, que certains aspects leur importent plus que d’autres, qu’ils peuvent parfois être réellement touchés par des événements virtuels, et qu’ils se représentent les autres participants par rapport à des caractéristiques qui leur sont propres. De plus, nous avons vu que les jeux massivement multi-joueurs peuvent, dans certains cas, apporter une aide psychologique aux participants, que les joueurs ne changent pas de genre sans raison, qu’ils sont conscients que leurs communautés ont des formes d’expressions spécifiques, et qu’ils entretiennent parfois entre eux des relations interpersonnelles intimes. Notons aussi que le manuel de jeu fourni avec Anarchy Online est d’une grande simplicité, n’expliquant que les bases nécessaires afin de pouvoir se déplacer dans l’univers de Rubi-Ka et accomplir ses premières missions. Anarchy Online est pourtant l’un des MMORPG le plus compliqué existant aujourd’hui. La connaissance de ce jeu n’est pas transmise par ses développeurs mais par ses joueurs, par leur coopération, par les guides diffusés sur Internet et par les forums. Les participants forment ainsi les nouveaux membres de leur communauté, ce qui dénote peut-être le désir de la voir d’agrandir. Nous avons aussi 98 vu les dangers que peuvent représenter les MMORPG pour certains participants, mais il est probable que tant que le Moi est suffisamment sain pour distinguer le virtuel du réel, ou du moins tant qu’il désire faire cette différenciation, participer à un jeu massivement multijoueur ne présente que peu de risques. 99 Immersion Les MMORPG étant des mondes graphiques, il est intéressant de voir l’effort fourni par les développeurs pour les rendre plus réalistes, afin que les joueurs puissent se sentir plus immergés dans l’univers de ces jeux. Les participants ont donc non seulement l’impression d’appartenir à une communauté, mais aussi à un monde, qui est souvent évolutif. En effet, l’univers d’un jeu peut changer au cours de son existence grâce aux patchs, fichiers rajoutant ou transformant certaines données du programme et que les joueurs doivent obligatoirement télécharger lorsqu’ils sont mis en place. Les patchs aident parfois à l’immersion lorsqu’ils ajoutent des aménagements, des décors, des objets dans l’univers du jeu, mais peuvent aussi rappeler aux participants l’aspect fictif des mondes virtuels, lorsqu’ils changent les règles et les caractéristiques des personnages et des objets. Les jeux massivement multi-joueurs ont aussi souvent une histoire, un background, qui explique l’univers du jeu aux joueurs. Il me paraît donc intéressant d’exposer certains éléments immersifs de différents MMORPG, ainsi que ceux qui peuvent parfois poser problème. Dans l’univers d’un jeu, il existe tout d’abord certains aménagements urbains rappelant au joueur des éléments qu’il connaît. Ceci est particulièrement observable dans Anarchy Online : Dans les grandes villes et les zones de départ des personnages, des panneaux d’affichages publicitaires tournants vantent les bien fait des nouveaux yalm (véhicules volants, très chers, très rapides et très prisés), des vêtements de Miir (le « styliste » de la planète Rubi-Ka), ou encore des tours de Notum (objets constructibles par les guildes pour améliorer les compétences de ses membres). (Illustration VII et VIII). Il est aussi possible de voir des affiches rappelant aux personnages et aux joueurs, qu’ils peuvent devenir des ARK, membres bénévoles du service client, (Illustration IX), ou encore des campagnes de propagandes, enjoignant les personnages à intégrer les factions Clans ou Omni-Tek. (Illustration X). Il existe, de plus, des lieux de rassemblement communautaire tels que des bars ou des discothèques (Illustration XI), tous différents, que les joueurs choisissent en fonction de leur taille, de leurs animations, ou encore parce qu’ils autorisent parfois les affrontements entre joueurs. Une ligne de vêtements, Miir, a aussi été instaurée. Chaque magasin propose quelques éléments de la collection vestimentaire d’Anarchy Online, et certains sont réservés à la présentation de tous les produits du styliste et sont dotés de l’enseigne Miir. Bien que les joueurs en soient friands, notons que les personnages ne peuvent 100 porter ces vêtements que lorsqu’ils ne combattent pas, car ils n’offrent aucune protection, et que certains rechignent à se départir de leurs armures qui sont souvent difficiles à revêtir. De plus, une sous-marque de vêtement, Mirr, à elle aussi été intégrée et offre des produits moins coûteux. De plus, il existe plusieurs types de « supermarchés », vendant des objets de différents niveaux, ainsi que des magasins spécialisés. Dans la ville d’Athen, nous pouvons d’ailleurs voir une allée marchande avec un nombre conséquent d’enseignes. Il est aussi intéressant de voir que le donjon réservé aux personnages de bas niveau (de 5 à 20) est une station de métro désaffectée et très réaliste, peut-être pour donner envie aux nouveaux joueurs de s’immerger dans l’univers de Rubi-Ka. Ce donjon fut rajouté dans un patch en décembre 2002, plus d’un an et demi après la sortie du jeu. Des affiches vantant les mérites de deux sites Internet populaires créés par les joueurs y ont été intégrées, signifiant ainsi leur acceptation par l’équipe de développement. (Illustration XII). Il est intéressant de noter que, sur plus d’une centaine de joueurs francophones, 77,12% considèrent que les éléments immersifs sont très importants dans un jeu massivement multi-joueur. D’autre part, certains éléments des jeux les rendent plus réalistes aux yeux des joueurs. Par exemple, dans Anarchy Online, les prix des yalms varient au jour le jour, comme s’il existait un argus, ce qui incite les joueurs à acheter le leur lorsque les prix sont au plus bas. Les taxes que les guildes peuvent imposer à leurs membres rendent aussi le système d’organisation plus réaliste, de même que les différentes formes de gouvernement qu’il est possible de choisir et qui influencent la hiérarchie. Un autre élément intéressant est que les joueurs peuvent se marier officiellement, grâce à la présence d’un ARK, et changer les noms de famille de leurs personnages en conséquence. Il est aussi possible de demander une cérémonie et d’en choisir le thème, en s’inscrivant sur une liste d’attente. De plus, les ARK font aussi office de gardiens de la paix et d’avocats, car ils peuvent surveiller les agissements des joueurs pour vérifier qu’ils ne trichent pas, et condamner certains participants à une suspension de comptes en demandant à une autorité supérieure de les bannir temporairement ou définitivement du jeu. Nous pourrions donc dire que les peines de prison et de mort existent dans Anarchy Online, ce qui rend aussi le jeu plus réaliste car, les punitions étant bien réelles, ceci incite les joueurs à ne pas violer la loi. Lors de la création des personnages, Anarchy Online offre aussi un environnement plus immersif que dans Dark Age of Camelot ou Star Wars Galaxies. Dans les autres jeux, les joueurs choisissent généralement l’apparence de leurs avatars, en changent parfois quelques compétences de départ, et cliquent sur des boutons pour choisir leur faction. Dans Anarchy 101 Online, une courte cinématique amène le joueur dans la salle de création de personnage, en lui expliquant pourquoi il peut choisir son apparence, son nom, et sa profession : avant même le début du jeu, le participant est un nouvel arrivant sur la planète Rubi-Ka, et il doit choisir sa nouvelle identité. Une fois la création de l’avatar terminée, le personnage arrive dans une salle d’embarcation dans laquelle le joueur doit le diriger vers une des trois sorties proposées : Clan, Neutre et Omni-Tek. Il ne clique donc pas sur un simple bouton, il est tout de suite mis dans la peau d’un personnage qui doit choisir son camp. (Illustration XIII). Star Wars Galaxies, quant à lui, offre aux joueurs la possibilité de construire des extracteurs pour les ressources, des usines, des habitations, et des magasins. Bien que les villes principales soient déjà mises en place, ce sont les participants qui les feront grandir et se développer d’une certaine manière. Il est d’ailleurs intéressant de noter une ressemblance avec l’urbanisme de certaines villes occidentales : une proche banlieue est construite autour des capitales préétablies, puis une « zone industrielle » regroupant les usines et extracteurs, et enfin une banlieue plus lointaine. Notons enfin que dans Anarchy Online, et plus encore dans Star Wars Galaxies, il est pratiquement impossible de bien faire évoluer son personnage sans l’aide des autres professions. Star Wars Galaxies oblige d’ailleurs la collaboration entre plusieurs classes d’artisans, pour construire des objets complexes, ce qui est assez réaliste. Néanmoins, certains problèmes d’immersions se posent parfois. Il peut tout d’abord arriver que les règles du jeu changent au court d’un patch, sans explication au niveau de l’histoire du monde (le background). Un joueur peut voir les compétences de son personnage soudain diminuées, sous prétexte que sa profession est trop puissante par rapport aux autres, ou encore voir ses objets perdre de leur valeur à cause d’une baisse de leurs caractéristiques. Certains aménagements peuvent aussi être créés, effacés ou transférés dans un autre endroit sans explications. Ainsi, dans Anarchy Online, les joueurs ont vu le grid de Tir être déplacé à l’extérieur de la porte Sud pour des raisons techniques, avec pour seule explication : « Tir Grid terminal moved to outside the south gate of Tir, and Omni-1 Trade Grid terminal moved to the north side of the playfield ». Ils ont alors dû changer leurs habitudes et déplacer leurs lieux de rassemblement. De plus, il est aussi possible de noter des erreurs de logique dans le système de jeu d’Anarchy Online. Par exemple, un artisan doit combattre pour faire évoluer les compétences de son personnage, ce qui n’est pas normal. Il devrait au contraire s’exercer en construisant des objets. De plus, il est possible de récupérer des armes, des armures et de l’argent sur les monstres non humanoïdes. Il est aussi intéressant de voir que les personnages de race Atrox, censés être de genre neutre, se font attaquer par une classe d’ennemis qui 102 n’attaque que les avatars du genre masculin. Ces erreurs nuisent à l’immersion du joueur dans l’univers du jeu, leur rappelant son aspect fictif, ce qui, pour certains, n’est pas un mal. Bien que des erreurs soient parfois commises, nous pouvons tout de même voir que les développeurs de MMORPG intègrent dans leurs univers des éléments qui aident à l’immersion des joueurs dans la peau de leurs avatars. Il est intéressant de noter que certains d’entre eux sont placés en dehors du jeu. Dans le programme de lancement d’Anarchy Online, afin de proposer aux joueurs de parrainer un autre participant, il est écrit : « Recruit a friend » (recruter un ami), le terme « recruter » rappelant sans mal le champ lexical militaire, signifie alors aussi un recrutement dans une des factions en guerre du jeu. Ces éléments sont immersifs car font appel à des concepts préexistants dans les sociétés dont sont généralement issus les joueurs. Ceux-ci, les retrouvant dans un univers virtuel, peuvent le trouver plus réaliste car il se rapproche de ce qu’ils connaissent déjà. Notons d’ailleurs que certains patchs transforment l’univers d’un jeu pour un laps de temps précis qui concorde parfois avec des événements réels. Par exemple, lors de la période de Noël, les développeurs d’Anarchy Online ont intégré des créatures avec un bonnet de père Noël, que les personnages pouvaient tuer afin de récupérer des paquets cadeaux. Peu avant La Saint Valentin, les joueurs ont aussi eu la possibilité d’acheter des bouquets de fleurs, des cartes de vœux et des boîtes de chocolat, qui furent retirés de la vente peu après. Dans Star Wars Galaxies, il est possible de construire des feux d’artifices et les développeurs ont demandé aux joueurs américains de se regrouper le 4 juillet, en des points précis et à un horaire donné, pour les lancer tous en même temps. 103 Actes communautaires Les systèmes de jeu des MMORPG sont rarement parfaits ce qui amène certains joueurs à essayer d’en combler les failles ou de réparer des erreurs. Nous appellerons « actes communautaires » les actions des participants visant à améliorer le jeu, et parfois à le rendre plus facile. Les joueurs créent des sites Internet rassemblant des guides de jeu, des forums et des utilitaires, et développent des logiciels pour améliorer les jeux. Ils organisent aussi des événements pour animer leur communauté et coopèrent parfois afin de rendre la « vie » de ses membres plus agréable. Selon Peter Kollock, la coopération dans les mondes virtuels est l’aspect que les chercheurs devraient étudier plus en profondeur, au lieu de toujours se concentrer sur l’hostilité qui y règne. Il note néanmoins des limites à ce système, car la production de biens publics ne préoccupe pas toujours tous les membres d’une communauté virtuelle, son évolution dépendant alors des utilisateurs et de leurs motivations14. Il m’a donc paru intéressant d’observer et de relever différents actes communautaires dans les jeux massivement multi-joueurs. Les joueurs créent parfois des sites Internet consacrés à un jeu particulier. Ce sont souvent des créations de guildes, mais il arrive aussi que ce soit l’acte d’un seul joueur. De plus, certains sites concernent plusieurs MMORPG et ont pour seul objectif l’aide aux participants. Le groupe Allakhazam15 traite ainsi aussi bien d’EverQuest, que de Star Wars Galaxies, de Dark Age of Camelot et d’Anarchy Online. Sur ces sites, il est souvent possible de trouver des guides de jeux rédigés par les participants, expliquant par exemple aux débutants comment faire évoluer un avatar d’une certaine classe et d’une certaine race. Le seul fait que les joueurs s’efforcent parfois de créer de tels guides montre déjà leur désir de participer à la vie et au maintien de la communauté. Il est aussi possible de trouver des textes expliquant le déroulement des quêtes et leurs récompenses. Des forums peuvent de plus être intégrés, mais ne sont pas toujours destinés à rassembler les connaissances des joueurs. Néanmoins, certains sites Internet se consacrent uniquement au regroupement de forums, le plus connu de la communauté francophone étant Jol16 (Jeux Online), et les sites officiels des jeux sont aussi une source d’information importante. Il est d’ailleurs intéressant de noter que 14 Kollock, Peter. « The Economies of Online Cooperation: Gifts and Public Goods in Cyberspace », in Smith, Mark, Kollock, Peter, (dir), Communities in Cyberspace, Londres, Routledge, 2001. 15 http://ao.allakhazam.com/ 104 ce sont sur ces forums que les joueurs décident généralement de formuler des plaintes concernant le système de jeu et d’organiser des pétitions17, ou encore d’informer les participants d’accords mis en place et acceptés par un groupe conséquent de joueurs. Il est aussi possible de trouver sur ces sites Internet des utilitaires permettant aux visiteurs de créer un modèle de personnage, pour savoir comment faire évoluer leurs avatars (character builder), ou encore des bases de données regroupant tous les objets du jeu et précisant leurs caractéristiques. D’autre part, certains joueurs peuvent créer des sites afin de transmettre leurs connaissances du jeu. Le site du personnage MiaJong18 est la référence du genre pour la communauté francophone d’Anarchy Online. Il est d’ailleurs intéressant de voir que même les participants qui n’apprécient pas ce joueur reconnaissent l’intérêt de son site. Notons enfin l’effort de certains participants pour réaliser des journaux d’informations, qui rapportent les événements intervenant dans la vie des communautés virtuelles19. Il arrive aussi que des joueurs, remarquant une erreur ou un oubli dans le système de jeu, essayent d’y pallier en développant des logiciels, généralement simples mais très utiles, et décident parfois de les mettre à la disposition de tous. Anarchy Online étant un jeu complexe, une importante panoplie d’utilitaires a ainsi été développée par les participants. Le joueur Dovve, remarquant que les cartes du monde intégrées dans le jeu par les développeurs étaient difficilement lisibles et ne fournissaient que peu d’informations, a alors créé de nouvelles cartes, et les a mises à la disposition des participants. Il est probable que la majorité des joueurs utilise aujourd’hui les cartes de Dovve, reconnues par les développeurs du jeu et qui font l’objet d’un panneau publicitaire dans les donjons réservés aux joueurs de bas niveaux. (Illustration XII) Le joueur Morb a, quant à lui, crée un utilitaire facilitant l’utilisation des bornes de missions. En effet, il est normalement impossible d’en voir la localisation et la récompense rapidement, car il faut sélectionner et lire le contenu de la mission. Click Saver autorise alors les joueurs à voir toutes ces informations très facilement, et leur permettent d’entrer des critères de recherche pour la localisation ou la récompense. Un autre logiciel réputé est Nano Nanny, il est absolument indispensable pour tout joueur désirant faire évoluer son personnage correctement. Anarchy Online permet en effet aux joueurs d’améliorer les compétences de leurs personnages en lui leur greffant des implants qu’ils peuvent construire 16 http://forums.jeuxonline.info/ Exemple : http://forums.station.sony.com/swg/board/message?board. id=bounty_hunter&message.id=171 18 http://perso.wanadoo.fr/fmpthemad/aideing.htm 19 Exemple : http://ao.spiritueux.org/ 17 105 eux-mêmes, en fonction des améliorations voulues. Le système de création d’implant est toutefois incompréhensible, et les joueurs doivent utiliser Nano Nanny pour savoir quels composants utiliser afin d’atteindre leurs objectifs. Il existe aussi des utilitaires internes aux jeux, appelés bots (contraction de robots), que les joueurs peuvent créer à différentes fins. Un bot peut par exemple permettre aux participants de se rassembler dans une salle de discussion afin de converser de sujets divers. Il arrive que certaines guildes invitent ainsi dans leur salle des avatars ne faisant pas partie de l’organisation. Le bot AllianceFr fut mis en place par un groupe de joueurs francophones, pour donner la possibilité aux autres participants de se concerter au sujet des attaques de tours, point central de la guerre régnant dans l’univers du jeu, et d’organiser les défenses. Plusieurs guildes ont coopéré afin de créer ce bot et le sujet fut débattu lors d’une réunion d’organisations francophones. (Illustration XIV). Les bots servent aussi à enregistrer certaines informations du jeu. Certains participants en créèrent un pour comptabiliser, sous forme de points, la fréquence à laquelle les joueurs visitaient les donjons de hauts niveaux, ainsi que le nombre d’heures passées dans ces zones. Les participants peuvent ensuite échanger ces points contre les différentes récompenses disponibles sur le corps des ennemis. Les joueurs étant nombreux à vouloir les mêmes objets et à faire les mêmes donjons, ce bot permet alors de savoir à qui revient le droit d’entrer en possession de la récompense, en fonction du nombre d’heures qu’il aura passé à l’attendre. Les joueurs peuvent, de plus, coopérer afin d’instaurer des règles officieuses dans l’univers du jeu. Dans Anarchy Online, il existe des donjons dans lesquels tous les personnages entrent sans limite de niveaux. Voyant qu’une grande hostilité y régnait souvent, les joueurs s’insultant sous prétexte d’avoir plus le droit que les autres d’y entrer, certains participants ont mis en place un système de liste d’attente pour entrer dans ces zones, ou ont établis une limite de niveau. Ces deux règles officieuses sont communément respectées alors que rien n’empêche les joueurs de les violer, à part, bien sur, le risque de se constituer une mauvaise réputation. Dans Dark Age of Camelot, une charte a aussi été rédigée par plusieurs guildes afin de réglementer les affrontements entre joueurs et entre royaumes (PvP, Player versus Player, et RvR, Realm versus Realm). Les « accords d’Emain Macha »20 furent ensuite mis à la disposition de tous dans les forums les plus populaires du jeu, et ont été respectés. Les joueurs peuvent aussi décider de coopérer pour organiser des événements qui animent la vie de la communauté. Les activités offertes par les MMORPG se résument 20 http://forums.jeuxonline.info/showthread.php?&threadid=138023 106 généralement à faire des missions ou des quêtes, à récupérer des objets et à gagner des points d’expérience en tuant des ennemis pour faire évoluer son personnage. Au bout d’un certain temps, cela peut être lassant pour les joueurs, et certains décident parfois d’organiser des événements en exploitant les ressources et les aménagements offerts par le jeu. Par exemple, il n’est pas rare que les guildes organisent des parties de chasses pour venir à bout de certains ennemis de haut niveau et, bien que cela soit normalement le quotidien du joueur, le fait d’être réunis entre membres d’une même organisation peut rendre l’activité particulière aux yeux des participants. Il est aussi possible que des joueurs organisent des courses de vitesse pour l’accomplissement de quêtes, le premier avatar l’ayant terminé remportant une récompense supplémentaire. Certains agencent aussi des concours ou des jeux, reprenant par exemple le système du Trivial Poursuit pour poser des questions aux participants. Il arrive, de plus, qu’un ou plusieurs joueurs organisent des soirées, dans le but de rassembler un grand nombre de participants dans un même lieu. Anarchy Online mettant à leur disposition des discothèques, c’est généralement là qu’elles sont organisées. Ces soirées ressemblent beaucoup au stéréotype de soirées organisées dans la « réalité ». Il m’a même été donné de voir un joueur s’improviser disc-jockey, grâce à un utilitaire permettant aux participants d’entendre de la musique jouée sur son ordinateur personnel via Internet. Ces événements sont en grande partie organisés par les joueurs, et l’équipe de développement du jeu peut aussi en agencer. Par le biais des ARK (membres bénévoles du service client), les joueurs se voient confier des quêtes uniquement disponibles à un moment précis, ce qui les rend particulières. En accomplissant des actes communautaires, les joueurs participent à la vie et au maintien des communautés virtuelles. Ils facilitent aussi l’utilisation du jeu pour certains participants, régulent certains de ses aspects, comblent les failles, les erreurs et les oublis des développeurs, et rendent ainsi le programme plus agréable. Ces actes peuvent inciter les participants à prolonger leur expérience du jeu. Certains joueurs pourraient en effet décider d’abandonner un MMORPG pour sa difficulté, ses failles ou pour sa monotonie, mais aussi changer d’avis grâce à l’intervention d’autres participants voulant l’améliorer. Il serait donc possible de dire que, par les actes communautaires, les joueurs entretiennent aussi leur communauté en apportant aux autres participants des éléments importants afin qu’ils ne la quittent pas, ou parfois même pour qu’ils l’intègre. 107 Le système de jeu Nous avons vu que les joueurs des MMORPG maintiennent leurs communautés virtuelles en coopérant et en s’entraidant. Il est intéressant de noter qu’ils sont parfois incités à agir de la sorte par le système de jeu mis en place. En effet, certains éléments amènent les participants à interagir, souvent dans leur propre intérêt. Le désir communautaire ne vient donc pas seulement des joueurs, mais aussi des développeurs qui font en sorte que les participants dont l’aspect social importe peu, soient presque forcés d’interagir avec les autres membres. Nous allons donc étudier différents aspects des jeux massivement multi-joueurs qui incitent les participants à entretenir des relations avec les autres joueurs, à coopérer et à s’entraider, mais aussi parfois à violer les règles et à s’affronter. Certains principes mis en place par les développeurs de MMORPG peuvent inciter les participants à communiquer avec leur entourage. Par exemple, dans la majorité des jeux, il s’avère que les personnages ne peuvent pas évoluer sans l’aide d’autres professions. Etant donné que chaque classe a ses caractéristiques, ses compétences, et ses spécificités propres, le jeu est fait de telle sorte que les joueurs aient besoin de compléter les leurs par celles des autres participants. Dans Anarchy Online, il est souvent nécessaire de demander des buffs, sortes de sortilèges améliorant les compétences de l’avatar visé pendant un certain laps de temps, à plusieurs joueurs de différentes professions. Les buffs de certaines classes étant très prisés par les participants, cela incite les joueurs à les demander poliment, et rend les interactions avec les inconnus plus agréables. Les participants peuvent aussi choisir de se constituer un réseau de contacts sociaux ayant la capacité d’améliorer leurs compétences lorsqu’ils en ont besoin. Bien que les joueurs entretiennent ce type de relation à des fins utilitaires, ils doivent généralement fournir une contrepartie à l’aide apportée. De plus, les avatars ont souvent besoin de services que seules certaines professions peuvent leur procurer. Dans Star Wars Galaxies, il n’existe pas de magasins gérés par le programme du jeu, tous les objets sont fabriqués par les joueurs ou obtenus en récompense et vendus par la suite. Bien qu’il existe un moyen de mettre les objets en vente dans une borne prévue à cet effet, les participants sont souvent obligés de proposer leurs marchandises sur la place publique, ou dans des magasins qu’ils entretiennent. En effet, la plupart des objets sont vendus par un nombre important de joueurs, et ceux-ci sont alors parfois amenés à faire de la publicité. Ceci les incite donc à entretenir des relations avec les autres participants afin de se constituer une 108 clientèle. Par conséquent, même si un joueur ne souhaite pas expérimenter l’aspect social du jeu, il y sera amené s’il désire vendre des objets, afin de gagner suffisamment d’argent pour subvenir aux besoins de son personnage. D’autre part, notons que les lieux communautaires peuvent aussi inciter les participants à entretenir des relations. Dans Star Wars Galaxies, il est possible de créer des personnages danseurs ou musiciens, ayant la faculté de guérir certaines blessures dans des endroits précis. Les cantinas en font partie et sont des bars situés dans chaque ville. Les joueurs s’y rassemblent, soit pour exercer leur « profession », soit pour y être soignés. Dans les capitales, il n’est pas rare que ces lieux soient très fréquentés et que des joueurs ne se connaissant pas discutent de sujets divers pendant leur guérison ou leurs performances. Ces lieux de rassemblement incitent donc les participants à communiquer, et sont propices à l’élaboration de relations plus amicales, plus intimes. En obligeant les joueurs à se rendre dans ces endroits précis pour leur intérêt personnel, les développeurs du jeu s’assurent donc que les participants interagissent de temps à autre. Le système de jeu peut aussi inciter les joueurs à coopérer de différentes manières. Tout d’abord, éléments forcent une association entre différentes classes de personnages. Dans Star Wars Galaxies, les différentes professions artisanes doivent coopérer afin de créer des objets complexes. Un armurier devra ainsi travailler de concert avec un tailleur, qui devra lui aussi faire appel à un ingénieur biologique pour confectionner de meilleures pièces et les vendre plus cher à l’armurier. Bien que le personnage puisse exercer ces trois professions en même temps, il ne pourra pas exceller dans toutes. Il est donc totalement impossible pour certaines professions de ne pas s’associer avec d’autres joueurs si les participants désirent créer de bons objets. Il est aussi intéressant de noter que les participants font évoluer leur personnage plus rapidement lorsqu’ils forment des groupes avec les autres membres de la communauté. Afin de gravir l’échelle de niveau, les personnages doivent gagner un certain nombre de points d’expérience, obtenus en tuant des ennemis ou en accomplissant certaines actions. Ils sont accordés en fonction de la difficulté de l’adversaire et, en étant membre d’un groupe, les personnages peuvent s’attaquer à plus fort qu’eux, et gagner ainsi plus de points. Dans Anarchy Online, effectuer des missions en groupe rapporte aussi plus de butin, et plus d’argent. Par conséquent, il est très rare qu’un personnage effectue seul des missions lorsqu’il désire gagner des niveaux. D’autre part, les joueurs s’associent souvent lors des affrontements en PvP (Player versus Player). En effet, il se déroule dans la plupart des MMORPG une guerre de royaumes ou de factions, et les joueurs y prenant part coopèrent en fonction de leurs 109 camps afin de combattre ensemble leurs adversaires. Dans Dark Age of Camelot, cela donne souvent lieu à des tactiques presque militaires élaborées par les participants. Il existe de plus des ennemis gérés par le programme qu’il est impossible de tuer avec un unique groupe (limité en places), et les joueurs doivent donc former plusieurs équipes afin d’en venir à bout. Dans Anarchy Online, cela entraîne pourtant de nombreux problèmes, car le butin n’est récupérable que par les membres du groupe ayant fait le plus de dégâts à l’opposant. Par conséquent, les personnages de plus haut niveau et les mieux équipés devraient toujours recevoir la récompense, mais les joueurs ont pallié ce problème en créant des bots. Dans ces situations, ces petits programmes permettent de comptabiliser les heures passées par les participants à attendre et combattre l’ennemi, sous forme de points, que les joueurs peuvent dépenser pour en « acheter » les récompenses. Les bots rendent donc le système plus équitable, car cette règle est respectée par la majorité des participants. Néanmoins, bien que les développeurs incitent les joueurs à coopérer face aux ennemis puissants, ils laissent au soin des participants la régulation de ces affrontements. Les oublis des développeurs, les erreurs et les failles de leur système, incitent parfois les joueurs à accomplir certains actes. Les joueurs repérant des problèmes de sécurité dans le programme du jeu peuvent, par exemple, en profiter pour le pirater. Il arrive en effet, de temps en temps, que certains d’entre eux réussissent à atteindre les serveurs et à changer des informations telles que le niveau, les compétences, et les objets de leurs personnages. Ces attaques ont à ma connaissance, toujours été détectées dans les trois jeux que j’ai pu observer. Les fautifs sont généralement bannis du jeu et ne peuvent créer un nouveau compte qu’en utilisant des informations bancaires différentes. De plus, les participants peuvent aussi exploiter les erreurs, les bogues du système, afin de faire évoluer leurs avatars plus rapidement. Il arrive qu’un ennemi ait un butin d’un montant bien supérieur à la moyenne, que les participants trouvent une façon de se donner des objets dont ils ne sont pas censés pouvoir se séparer autrement qu’en les détruisant, ou encore qu’ils arrivent à trouver une manière non réglementaire pour gagner beaucoup d’argent très rapidement. On appelle communément ceci un exploit, ce qui signifie qu’un joueur a exploité un bogue, ce qui est fortement interdit et passible de bannissement définitif. D’autre part, le règlement du jeu interdit aux participants de vendre des objets contre de l’argent réel ainsi que leur compte, et donc leurs personnages. Pourtant, à part la punition assez superficielle qu’est le bannissement, rien n’empêche les joueurs de le faire, ce qui en amène certains à violer cette règle. Nous pourrions donc dire qu’en ne réussissant pas à élaborer un système parfait, les développeurs 110 incitent les joueurs à contourner les règles mises en place, ceci représentant de plus un défi pour certains participants. Néanmoins, leurs erreurs et leurs oublis peuvent aussi conduire les participants à accomplir des actes communautaires, ce qui est nettement plus bénéfique pour la communauté. En effet, c’est lorsqu’un participant est gêné par un élément du jeu qu’il décide de pallier à ce problème et de faire profiter les autres joueurs de sa solution. Les erreurs du système ne sont donc pas toujours néfastes pour la communauté virtuelle d’un MMORPG, car elles incitent certains membres à y participer activement. Notons aussi que les développeurs peuvent intervenir lorsqu’il est impossible pour les joueurs de le faire. Par exemple, ils ont la possibilité de rajouter des objets, de changer l’espace, et de poser de nouvelles règles, afin de rendre la « vie » des personnages moins monotone, et d’inciter les joueurs à continuer de jouer, ce qui maintient la communauté. D’autre part, le système de jeu peut aussi amener les participants à s’affronter, généralement au travers de leurs personnages. Il est intéressant de voir à quel point le PvP (Player versus Player) est attrayant pour les joueurs. En s’opposant aux personnages d’un camp adverse, le participant est en effet récompensé de différentes façons. Dans Dark Age of Camelot, il reçoit un certain nombre de points, appelés points de royaumes, en fonction du niveau de son adversaire. Il peut ensuite les dépenser en achetant des compétences particulières, autrement inaccessibles, ainsi que des objets. Son personnage devient donc plus puissant à mesure qu’il combat ceux des autres joueurs. De plus, certains donjons ne sont accessibles qu’aux avatars faisant partie du royaume ayant le plus de victoires. Dans Anarchy Online, les victoires des joueurs d’un camp donnent à ses membres un pourcentage supplémentaire de points d’expérience. D’autre part, c’est en détruisant les tours adverses (bâtiments augmentant les compétences des membres d’une guilde) que les joueurs peuvent en poser à leur tour, ce qui les incite grandement à s’affronter car les bonus sont très intéressants. Le donjon d’Anarchy Online le plus apprécié des joueurs est de plus déclaré « zone politique », ce qui signifie que les personnages des différentes factions peuvent s’y affronter. Il en résulte, que seul le camp le plus présent et le plus puissant se trouvant dans le donjon peut en prendre le contrôle, en retenant les personnages adverses à l’entrée. Star Wars Galaxies reprend quant à lui le système de Dark Age of Camelot en attribuant aux avatars victorieux des points pouvant s’échanger contre des objets autrement introuvables. Néanmoins, notons que les joueurs peuvent choisir d’obtenir ces points en effectuant des missions pour leur faction, sans pour autant combattre des joueurs adverses. D’autre part, certains aspects des jeux peuvent conduire à une autre forme d’affrontement. Une catégorie 111 importante de joueurs désirant acquérir les meilleurs objets pour leurs personnages volent parfois le butin des autres (appelé ninja looting). De plus, un jeu comme Anarchy Online étant très capitaliste, les personnages ne pouvant absolument rien faire sans argent, certains sont amenés à voler non pas pour eux, mais pour revendre les objets. Le système de jeu des MMORPG peut donc inciter les participants à accomplir certains actes et à participer au maintien de leur communauté. La coopération, l’entraide et les affrontements font ainsi partie du jeu. Il ne fait alors nul doute que les développeurs intègrent des éléments afin que la majorité des participants interagisse. 112 En étudiant les joueurs, nous avons tout d’abord vu qu’ils ne poursuivaient pas tous les mêmes buts, ce qui peut rendre les communautés virtuelles plus hétérogènes. D’autre part, il nous a été donné de voir les raisons de l’important investissement personnel que demandent les jeux massivement multi-joueurs et que certains éléments importaient plus que d’autres aux yeux des joueurs. Le fait que certains puissent être touchés personnellement par un événement intervenant dans le jeu montre que les participants sont parfois suffisamment immergés dans un MMORPG pour ressentir les émotions de leurs personnages et parfois même s’y identifier. En l’absence physique des participants, il est de plus normal que le joueur essaye de se les représenter en se basant sur des caractéristiques qui lui sont propres, et qu’il se représente lui aussi par rapport aux autres. Nous avons aussi vu que l’aide que peuvent apporter les jeux massivement multi-joueurs n’est que partielle et dépend grandement de l’état psychologique des participants. De plus, il nous a été donné de voir, grâce aux précédentes études sur les communautés virtuelles, que les joueurs ne choisissent pas des personnages de sexe opposé sans raison et qu’ils sont conscients des nouvelles formes d’expressions spécifiques à leur univers. Nous avons aussi pu étudier les relations interpersonnelles qui peuvent s’élaborer entre les participants et parfois évoluer vers des interactions face-à-face. Une étude des éléments immersifs des MMORPG nous a de plus permis de comprendre un peu mieux le fait qu’un joueur puisse s’identifier excessivement à ses personnages et avoir la sensation de faire partie d’une communauté réelle. Ces éléments font souvent appel à des concepts préexistants dans les sociétés d’où sont généralement issus les joueurs, ce qui participe à rendre l’univers des jeux massivement multi-joueurs plus réaliste. D’autre part, nous avons vu que les actes communautaires qu’accomplissent certains participants ont non seulement pour objectif de rendre le programme plus agréable pour eux et les autres joueurs, mais aussi peut être d’inciter les membres de la communauté à ne pas la quitter. Nous avons enfin pu constater que les systèmes de jeu des MMORPG pouvaient parfois inciter les joueurs à accomplir certains actes et à interagir. L’influence des actes réels sur les mondes virtuels a alors généralement pour objectif d’entretenir ou d’inciter la création et le maintien des communautés. 113 Conclusion Afin de commencer à étudier les communautés virtuelles des jeux massivement multijoueurs, nous avons dans un premier temps mis l’accent sur certaines recherches antérieures. Les observations de Sherry Turkle sur les MUD dans Life on The Screen nous ont montré que les joueurs choisissaient de créer des personnages d’un sexe opposé pour différentes raisons, que ce soit afin d’expérimenter les avantages qu’ils pensent être liés à un genre précis ou, pour les hommes, pouvoir trouver de l’aide plus facilement en se faisant passer une femme. Néanmoins, il est possible de trouver d’autres explications dans les jeux massivement multijoueurs, en partie grâce à l’aspect graphique de ces programmes. Il est alors possible de constater que, pour un homme, jouer une femme peut être une façon de dominer son corps. L’auteur expose de plus les problèmes identitaires que peuvent causer les communautés virtuelles et qui peuvent être aggravés dans les MMORPG, car ceux-ci sont plus immersifs et plus réalistes pour la majorité des joueurs. Bien que les communautés des MUD et des MMORPG soient très proches, ces derniers ajoutent donc quelques éléments environnementaux importants qui peuvent nous amener à prolonger une analyse préexistante. Nous avons aussi pu voir, dans l’étude de Jodi O’Brien, que les informations sur le genre étaient importantes et affectaient les interactions face-à-face, et que c’était toujours le cas dans les relations interpersonnelles virtuelles. L’exercice du pouvoir et du contrôle social observé dans les MUD par Elizabeth Reid peut aussi se rapprocher de celui de certains MMORPG. La crainte des ARK, qui ont la possibilité de se rendre invisible afin de vérifier que le règlement du jeu est bien respecté et pouvant, le cas échéant, prévenir une autorité supérieure qui aura le droit de bannir temporairement ou définitivement un joueur, incite les participants à se plier aux règles et peut être considéré comme une forme de contrôle social. L’étude de Barry Wellman et Milena Gulia nous a aussi montré, au travers de sept questions, que les communautés virtuelles pouvaient être considérées comme de vraies communautés et certaines réponses peuvent parfois être applicables aux MMORPG. En effet, le soutien que peuvent apporter les participants à un joueur est souvent spécialisé et l’aide est généralement réciproque. D’autre part, les neufs caractéristiques des relations intenses relevées par Perlman et Fehr et exposées par Wellman et Gulia nous ont permis de voir que les amitiés se développant au sein des communautés des jeux massivement multi-joueurs pouvaient parfois être qualifiées d’intenses, par rapport à des critères d’évaluations réels. L’article de Nancy K. Baym nous a enfin montré que certains éléments produisant du sens social dans les communautés virtuelles pouvaient être influencés par des structures 114 préexistantes. Ce constat peut aussi être appliqué aux MMORPG puisque bon nombre de leurs aspects trouvent leur source dans les communautés réelles. Les éléments sont soit intégrés par les développeurs, qui désirent rendre leur univers plus réaliste et immersif, soit par les joueurs, qui importent des coutumes, des normes et des valeurs de la société dont ils sont issus. Dans un deuxième temps, nous avons étudié le fonctionnement des communautés virtuelles qui se forment dans les jeux massivement multi-joueurs. Nous avons tout d’abord montré qu’un statut social était conféré aux personnages et que son évaluation dépendait de certains critères, tels que le niveau de l’avatar, sa réputation ou sa guilde. Puis, nous avons vu que des relations interpersonnelles pouvaient s’élaborer entre les joueurs au sein même du jeu, que ce soit dans le but d’établir des relations plus intimes ou simplement un réseau de contacts sociaux utiles aux avatars. Nous avons aussi évalué l’intérêt des guildes pour les personnages, qui leur apportent généralement aide, soutien et statut. Enfin, nous avons étudié les coutumes, les normes et les jugements émis par les joueurs selon certaines valeurs, qu’ils acquièrent soit par expérience personnelle réelle, soit par expérience du jeu. Ces différents aspects des communautés virtuelles des MMORPG prennent souvent leur source dans des éléments préexistants dans les sociétés des joueurs. Ces derniers exploitent les structures communautaires qu’ils connaissent déjà afin de développer leur communauté et de la maintenir. Les critères d’évaluations du statut social sont alors assez proches de ceux préexistants dans la réalité : le niveau, qui peut représenter l’âge et la sagesse d’un personnage, sa réputation, qui constitue souvent son identité, sa guilde qui peut s’apparenter à son groupe d’appartenance, et des biens personnels qu’il juge bon d’exposer à la vue de tous. De plus, il serait malvenu de dire que les interactions qui se déroulent dans les MMORPG diffèrent totalement des interactions face-à-face car elles sont élaborées sur la base d’expériences sociales réelles. Il est aussi possible de remarquer que les coutumes et les normes qui régissent ces communautés peuvent souvent s’apparenter à celles des sociétés occidentales dont proviennent la majorité des joueurs. Dans un troisième temps, nous avons pu voir les aspects et les actes « réels » dont dépendent les communautés virtuelles. En étudiant les joueurs, nous avons tout d’abord pu constater qu’ils ne poursuivaient pas tous les mêmes buts, ce qui rendait les communautés plus hétérogènes. Nous avons aussi vu que les MMORPG demandaient un investissement 115 personnel important, aussi bien temporel qu’affectif, et que certains éléments du jeu importaient plus que d’autres aux yeux du joueur. D’autre part, nous avons pu constater que le virtuel pouvait parfois influer sur les participants, car il arrive qu’ils soient personnellement touchés par des événements survenant dans l’univers du jeu ou qu’ils puissent y trouver une aide psychologique. Il a aussi été possible de voir que les participants ne choisissaient pas de créer des personnages de sexe opposé sans raison, comme l’avait déjà démontré Sherry Turkle dans Life on the screen. De plus, nous avons vu qu’ils essayaient la plupart du temps de se représenter les autres participants et de se positionner par rapport à eux. Ils développent aussi de nouvelles formes d’expressions afin de pallier à l’absence de certaines informations non verbales et sont parfois amenés à entretenir entre eux des relations interpersonnelles en dehors de l’univers du jeu. Les communautés virtuelles dépendant aussi des développeurs des jeux dans lesquels elles se forment, nous avons étudié ce qui peut participer à leur élaboration et à leur maintien. Nous avons tout d’abord vu les éléments qui rendent leurs univers plus réalistes et plus immersifs, incitant les joueurs à se sentir plus proches de cet environnement fictif en leur rappelant des aspects du monde réel. D’autres part, nous avons pu constater que les actes communautaires qu’accomplissent certains joueurs visent à améliorer, pour eux et pour les autres participants, la « vie » de leurs personnages. Ces actes sont souvent accomplis suite aux oublis des développeurs et aux erreurs de leurs programmes et contribuent ainsi au maintien de la communauté, car les joueurs sont plus enclins à faire perdurer leur expérience du jeu si son utilisation est rendue plus agréable. Enfin, nous avons pu voir que le système de jeu mis en place par les développeurs incitait souvent les participants à interagir entre eux, ce qui entretient aussi les communautés en évitant que les joueurs ne soient trop solitaires. Cette étude nous a donc permis de voir que les communautés virtuelles des jeux massivement multi-joueurs étaient non seulement entretenues par les participants à l’intérieur des jeux, mais aussi en dehors. Les joueurs substituent à leurs critères d’évaluation sociale certaines caractéristiques offertes par le jeu : niveau, guildes, réputation, possessions. Ils peuvent aussi entretenir des relations interpersonnelles virtuelles et évaluer leur intimité en fonction de leurs expériences sociales réelles. Afin de pallier à l’absence de certaines informations non verbales telles que le ton et le comportement gestuel des interlocuteurs, les participants ont toutefois dû développer de nouvelles formes d’expression et les diffuser. Ils ont de plus importé certaines de leurs coutumes, normes et valeurs et les ont adaptées à l’univers du jeu. 116 Les joueurs semblent aussi avoir la sensation de toujours faire partie de la communauté virtuelle, même lorsque leurs personnages ne sont pas présents. Les responsabilités qu’ils pensent avoir vis-à-vis de leurs personnages et des autres participants peuvent, par exemple, les préoccuper dans leur vie quotidienne. En accomplissant des actes communautaires, ils contribuent de plus au maintien de leurs communautés sans pour autant y être constamment présents. De plus, les développeurs de jeux incitent et maintiennent généralement ce sentiment communautaire en intégrant des éléments immersifs et un système de jeu forçant presque les interactions entre joueurs. En présentant aux joueurs des aspects qui préexistent dans leurs sociétés, ils peuvent leur donner le sentiment d’appartenir à une communauté complète et « réelle ». En incitant fortement les participants à interagir, nous pourrions dire qu’ils préconstruisent ces communautés et donnent ensuite aux joueurs la possibilité de les développer. Dire que les communautés virtuelles présentent de réelles nouveautés d’organisation, qu’elles font apparaître une nouvelle forme d’interaction, qu’elles développent de nouvelles valeurs, coutumes et normes n’est pas véritablement justifié. Bien que certaines règles soient effectivement nouvelles et spécifiques aux jeux massivement multi-joueurs, la plupart d’entres elles sont tout de même influencées par les règles préexistantes. Bien entendu, les relations interpersonnelles qu’entretiennent les joueurs ne sont pas les mêmes que les relations face-à-face mais leurs diverses ressemblances montrent tout de même qu’elles sont élaborées sur la base d’expériences sociales réelles. Néanmoins, l’anonymat qu’offre les jeux massivement multi-joueurs rend cette expérience sociale peut-être plus attrayante pour certains joueurs et c’est particulièrement cette possibilité d’être jugé sur d’autres caractéristiques que celles qui nous sont propres (apparence physique, genre, classe socioprofessionnelle, âge, ethnie, …) qui fait la nouveauté et l’intérêt de ces communautés. Il serait néanmoins intéressant de voir si, à l’avenir, les jeux massivement multi-joueurs ne pourraient pas développer des règles communautaires qui leur seraient propres et qui pourraient être importées dans nos sociétés par le biais des joueurs. 117 Annexe Annexe I : illustrations Illustration I : une tour de guilde. i Illustration II : le mariage de NomadSpirit et Valaba. Illustration III : un couple. ii Illustration IV : entraide Illustration V. bain de minuit iii Illustration VI : harcèlement Illustration VII : une publicité de Yalmaha iv Illustration VIII : une publicité pour les tours de Notum. Illustration IX : une affiche incitant les joueurs à devenir ARK v Illustration X : propagande de l’Omni-Tek Illustration XI : une discothèque vi Illustration XII : une affiche ventant les mérites du site Internet d’un joueur. Illustration XIII : salle d’embarquement lors de la création d’un personnage vii Illustration XIV : réunion de plusieurs guildes pour le projet AllianceFR viii Annexe II : questionnaire 1. Combien d'heures par semaine jouez-vous à Anarchy Online en moyenne ? moins de 5 heures entre 5 et 10 heures entre 11 et 20 heures entre 21 et 30 heures plus de 30 heures 2. A combien de MMORPG jouez-vous en ce moment ? 1 2 plus de 2 3. Faites-vous partie d'une guilde ? oui non ix 4. Qu'attendez vous principalement de votre guilde ? (Entraide, événements, amis...) entraide relations événements autre 5. Les objets et aménagements immersifs sont-ils importants à vos yeux ? (Miir, appartements, publicités...) oui non 6 Etes-vous plus enclin à écouter un personnage d'un niveau supérieur au votre qu'un personnage de niveau inférieur ? oui non 7 Quel est votre principal objectif à atteindre dans Anarchy Online ? haut niveau et possession d'objets puissants social (contacts, amis, roleplay...) x autre 8 Entretenez-vous des rapports avec des joueurs en dehors du jeu ? (ICQ, mail, téléphone...) oui non 9 Quel âge avez-vous ? moins de 15 ans 15-20 ans 20-25 ans 25-30 ans plus de 30 ans 10 Quel est votre sexe ? M F xi Annexe III : résultats du questionnaire Combien d'heures par semaine jouez-vous à Anarchy Online en moyenne ? 40,00% 35,00% 30,00% 25,00% 20,00% 15,00% 10,00% 5,00% 0,00% Série1 moins de 5 heures entre 5 et 10 heures entre 11 et 20 heures entre 21 et 30 heures plus de 30 heures 2,56% 9,40% 23,93% 35,90% 28,21% A combien de MMORPG jouez-vous en ce moment ? 90,00% 80,00% 70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00% Série1 1 2 plus de 2 82,76% 12,07% 5,17% xii Faites-vous partie d'une guilde ? 100,00% 90,00% 80,00% 70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00% Série1 oui non 89,83% 10,17% Qu'attendez vous principalement de votre guilde ? (Entraide, event, amis...) 70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00% Série1 entraide relations events autre 33,64% 57,94% 3,74% 4,67% xiii Les objets et aménagements immersifs sont-ils importants à vos yeux ? (Miir, appartements, publicités...) 90,00% 80,00% 70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00% Série1 oui non 77,12% 22,88% Etes-vous plus enclin à écouter un personnage d'un niveau supérieur au votre qu'un personnage de niveau inférieur ? 70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00% Série1 oui non 36,52% 63,48% xiv Quel est votre principal objectif à atteindre dans Anarchy Online ? 70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00% Série1 haut niveau et possession d'objets puissants social (contacts, amis, roleplay...) autre 30,77% 59,62% 9,62% Entretenez-vous des rapports avec des joueurs en dehors du jeu ? (icq, mail, téléphone...) 90,00% 80,00% 70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00% Série1 oui non 82,20% 17,80% xv Quel âge avez-vous ? 35,00% 30,00% 25,00% 20,00% 15,00% 10,00% 5,00% 0,00% Série1 moins de 15 ans 15-20 ans 20-25 ans 25-30 ans plus de 30 ans 0,00% 12,82% 26,50% 30,77% 29,91% Quel est votre sexe ? 100,00% 90,00% 80,00% 70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00% Série1 M F 92,31% 7,69% xvi Bibliographie Bibliographie utilisée Baym, Nancy. « The Emergence of On-Line Community » in Jones, Steven, (dir), Cybersociety 2.0. Revisiting Computer-Mediated Communication and Community, Londres, Sage, 1998. Kolko, Beth, Reid, Elizabeth. « Dissolution and Fragmentation: Problems in On-Line Communities », in Jones, Steven, (dir), Cybersociety 2.0. Revisiting Computer-Mediated Communication and Community, Londres, Sage, 1998. 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Bornes de missions : dans Anarchy Online, commodités permettant aux joueurs de choisir les missions qu’ils veulent effectuer. Bornes de grid : dans Anarchy Online, commodités permettant aux joueurs d’accéder au grid Buffs : dans les MMORPG, les buffs sont les sorts que peuvent lancer les personnages afin d’augmenter leurs compétences, ou celles des autres avatars. C4RP ou CARP : (comité anti-roleplay) Dans Anarchy Online, comité créé par un groupe de power gamers. Channel : voir salle de discussion. Chat : terme anglais signifiant « bavardage ». Ce terme désigne les systèmes permettant une communication synchrone sur un réseau comme Internet. CMC : Computer-Mediated Communication. Communications médiatisées par ordinateur. Commande : dans les MMORPG et les MUD, les commandes sont des lignes de textes écrites par les joueurs, généralement précédées d’une barre oblique ( / ). Elles permettent aux utilisateurs d’effectuer différents types d’actions (emotes, établissement d’une communication privée,…) xix Compétences : dans un jeu de rôle et, par extension, dans les MUD et les MMORPG, les personnages ont généralement des compétences qui peuvent, ou non, évoluer en fonction de leur niveau, et qui influent sur leurs diverses aptitudes. Credit : monnaie du jeu Anarchy Online Ding : dans les MMORPG, interjection qu’un joueur émet lorsque son personnage passe un niveau. Donjon : dans les jeux de rôle et, par extension, dans les MUD et les MMORPG les donjons sont généralement des lieux dans lesquels les personnages peuvent affronter des ennemis particuliers pour récupérer des objets puissants. Emotes : dans les MUD et les MMORPG, commandes permettant aux joueurs de faire effectuer des gestes ou de faire exprimer un état à leurs personnages. Forums : système de communication asynchrone. Lieu virtuel dans lequel les utilisateurs peuvent poster des messages et consulter tous les précédents sujets. GB : voir Gros Bill. Gratz : contraction de congratulations (félicitations). Terme utilisé pour féliciter un personnage, généralement après un passage de niveau. Grid : dans Anarchy Online, lieu permettant aux personnages de se rendre en différents points de la planète Rubi-Ka. Les bornes d’entrées et de sorties demandent un niveau de compétence pour être utilisés, qui varie en fonction de leur emplacement. Gros bill ou GB : dans les jeux de rôle et les MUD et MMORPG par extension, terme désignant les personnages évoluant rapidement et possédants des objets puissants. Groupe : dans les MUD et les MMORPG, rassemblement temporaire de personnages. Le nombre de places disponibles dans un groupe est limité et varie en fonction des jeux. Les avatars forment généralement des groupes pour tuer des ennemis puissants, accomplir des missions ou des quêtes. Les groupes offrent de plus une salle de discussion commune. xx Groupe de Discussion ou Newsgroup ou Usenet : système asynchrone permettant aux utilisateurs d’écrire des messages et de répondre à d’autres, via les logiciels de courrier électronique. Ces messages sont visibles par tous les participants d'un groupe de discussion. Guilde : dans un MUD ou un MMORPG, organisations rassemblant plusieurs personnages sous un même nom et leur offrant une salle de discussion commune. ICQ : I Seek You, logiciel de messagerie instantanée de Mirabilis. In real life : expression anglophone signifiant « dans la vie réelle ». Dans les mondes virtuels, elle est souvent utilisée pour spécifier la réalité d’un fait ou d’un sentiment. IRC : Internet Relay Chat, serveur permettant à plusieurs utilisateurs de communiquer dans des salles de discussion thématiques. IRL : abréviation de In real Life. Jeu de rôle grandeur nature : les principes du jeu de rôle grandeur nature sont proches du jeu de rôle papier. Néanmoins, il est beaucoup plus théâtrale puisque les joueurs se costument et jouent réellement leurs personnages. Ces jeux sont en général organisés dans des lieux spacieux. Jeu de rôle papier : généralement joué autour d’une table, le jeu de rôle papier est un jeu de dialogue. Les joueurs (4 ou 5, la plupart du temps) interprètent des personnages en vivant une aventure proposée par un autre joueur, le maître de jeu, qui prépare la trame de l'histoire, puis anime et arbitre la partie. Les parties se déroulent ainsi : le maître de jeu décrit une scène (décors, personnages présents autres que ceux des joueurs), et chaque joueur indique ce que fait ou tente de faire son personnage. Le maître de jeu indique alors le résultat des actions et la suite de la scène, et ainsi de suite. Linux : système d’exploitation pour ordinateurs personnels, développés par un ensemble international d’informaticiens. Linux est un logiciel libre et souvent gratuit. xxi Liste de Diffusion : liste de plusieurs destinataires d’un courrier électronique. Il peut aussi s’agir de listes auxquels les utilisateurs s’inscrivent, afin de dialoguer à plusieurs sur des sujets précis. Messagerie instantanée (logiciel) : logiciel permettant une communication synchrone entre deux utilisateurs ou plus, chacun ayant un numéro ou une adresse d’identification qu’il est nécessaire de préciser avant de pouvoir les contacter. Mission : dans Anarchy Online, les personnages sont chargés d’accomplir des missions en échange d’une récompense (argent et objets). Les avatars y affrontent plusieurs ennemis et récupèrent ainsi plus de butin. Elles sont plus ou moins éloignées des commodités communes de transport, en fonction du niveau de l’avatar à qui elles sont confiées. MMORPG : les MMORPG (Massively Multiplayers Online Role Playing Game) sont des jeux de rôles massivement multi-joueurs, dont l’interface est graphique, le système de communication textuel, et dont l’environnement est en temps réel et persistant. Mob : contraction de mobile. Dans les MUD et les MMORPG, ce terme désigne les ennemis mobiles, générés par le programme du jeu, que les personnages devront affronter pour gagner de l’argent, des points d’expérience et des objets. MUD : les MUD (Multi-User Domains) sont des jeux de rôle multi-utilisateurs originellement créés à l'Université d'Essex, en Angleterre, dont l’interface est entièrement textuelle et dont l’environnement est en temps réel et persistant. MUD d’aventure : MUD dans lesquels les joueurs doivent faire évoluer leurs personnages en tuant des ennemis et en accomplissant des quêtes. A partir d’un certain niveau, ils se voient conférer le rang de wizard et peuvent alors construire des objets et modérer les interactions. MUD sociaux : MUD dont le système de jeu est axé sur les interactions entre les personnages. Les joueurs peuvent tous y construire des objets et des bâtiments. MSN : Microsoft Network, logiciel de messagerie instantanée de Microsoft xxii Nanos : dans Anarchy Online, programmes informatiques que peuvent exécuter les personnages à différentes fins (soins, attaque, défense, …) Newbie : expression anglophone signifiant « débutant ». Dans un MUD ou un MMORPG, ce terme désigne originalement les joueurs débutants. Il est aujourd’hui plus fréquemment utilisé comme insulte envers les joueurs plus expérimentés. Newsgroup : voir groupe de discussion. Niveau : degré d’évolution d’un personnage dans un jeu de rôle et, par extension, dans les MUD et MMORPG. On dit des personnages qu’ils « gagnent » ou qu’ils « passent » des niveaux. Pour se faire, ils doivent posséder un nombre de points d’expérience qui diffère à chaque évolution. Objets : dans un jeu de rôle et, par extension, dans les MUD et les MMORPG, les participants peuvent récupérer divers objets (armures, armes, bijoux,…) possédant, ou non, des caractéristiques particulières et augmentant parfois les compétences des personnages. Patch : en informatique en général, fichier améliorant ou transformant un programme, que les utilisateurs doivent télécharger (obligatoirement ou non). Persistant (monde) : monde virtuel qui perdure et continue à évoluer lorsque l’utilisateur n’y est plus connecté. PK : voir Player killer et Player killing Player killer ou PK : expression anglophone signifiant “tueur de joueur”. Des les MUD et les MMORPG, les player killer sont les personnages qui tuent ceux des autres participants, souvent de façon déloyale. Player killing ou PK : expression anglophone désignant l’acte de tuer les avatars des autres participants. Player versus Player ou PvP : dans un MUD ou un MMORPG, système permettant aux personnages de s’affronter. xxiii Points d’expérience : dans un jeu de rôle et, par extension, dans les MUD et les MMORPG, points que les personnages acquièrent en accomplissant certaines actions (tuer un ennemi, construire un objet). Poster (message) : écrire un message dans un forum. Power gamer : dans un MUD ou un MMORPG, catégorie de joueurs dont les buts sont de faire évoluer un personnage le plus rapidement possible, et de récupérer tous les objets puissants d’un jeu. PvP : voir Player versus Player Quêtes : généralement présentes dans les MUD et MMORPG médiéval fantastique. Les personnages les accomplissent en échange d’une récompense. Realm versus Realm ou RvR : Dans les MMORPG dans lesquels les personnages sont rassemblés en factions ou royaumes, système leur permettant de s’affronter en fonction de leur camp. Rencontre irl : les rencontres irl sont des entrevues face-à-face entre plusieurs membres d’une communauté virtuelle. Roleplay ou RP : terme anglophone signifiant « jouer un rôle ». Dans les jeux de rôle et, par extension, dans les MUD et les MMORPG, ce terme désigne en général le fait qu’un joueur joue le rôle de son personnage. RP : voir roleplay. Rubi-Ka : planète sur laquelle se déroule le jeu Anarchy Online Salle de Discussion ou channel : lieu virtuel dans lequel les utilisateurs se rassemblent pour dialoguer en temps réel. RvR : voir Realm versus Realm xxiv Serveur : ordinateur contenant et gérant toutes les données d’un monde virtuel (MUD et MMORPG). Smileys : formes d’expression codifiées par les membres des communautés virtuelles et utilisées pour spécifier le ton d’une phrase. Utilisés seuls, les smileys peuvent aussi servir à exprimer un état. Exemple : « :-) », « :-( », « :-/ », « ^^ ». Télécharger : action de récupérer des données provenant d’un autre ordinateur via un réseau. Tell : dans la majorité des MUD et des MMORPG, la commande /tell, suivie du nom d’un personnage, permet au joueur de dialoguer en privé avec lui. Temps réel (environnement) : signifie que toutes les actions accomplies par les utilisateurs dans cet environnement s’effectuent en même temps et sans délai perceptible. Uber : terme allemand signifiant « au dessus de ». Dans les MMORPG, il est utilisé pour désigner les personnages qui possèdent de nombreux objets puissants et dont les joueurs savent exploiter les ressources du jeu. Usenet : voir groupe de discussion. Wizard : dans les MUD, rang accordé aux joueurs selon leur compétences. Les wizards n’ont pas tous les mêmes privilèges selon les jeux. Woot : contraction de wonderful loot (butin merveilleux). Terme utilisé pour féliciter un personnage lorsqu’il trouve un objet intéressant ou pour en approuver la valeur. Yalm : voir Yalmaha. Yalmaha ou yalm : dans Anarchy Online, véhicules volants existants sous différentes formes. xxv Index Actes communautaires ..................................................... 7, 80, 104, 107, 111, 113, 116, 117 Action sociale ............................................................................................................. 18, 41, 43 Advisor of Rubi-Ka.................................................... 44, 62, 73, 88, 100, 101, 107, 114, v, xix Aide psychologique ................................................................. 7, 9, 12, 80, 81, 90, 92, 98, 116 AIM..............................................................................................................58, 83, 97, xix, xxxii Alexander, Jon ........................................................................................................42, 43, xviii Anarchy Online..5, 44, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 57, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 69, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 81, 82, 84, 86, 87, 88, 90, 91, 92, 95, 98, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 111, ix, x, xix, xx, xxii, xxiii, xxiv, xxv, xxxii, xxxiii Anonymat................................................................................ 4, 15, 34, 37, 63, 84, 90, 93, 117 AOL......................................................................................................................................... xix Barry Wellman.................................................................. 6, 9, 26, 28, 29, 30, 31, 44, 114, xvii Beth Kolko............................................................................................. 6, 9, 40, 42, 43, 44, xvii Bruckman, Amy.............................................................................................................. 24, xvii Buff...................................................................................................................... 59, 61, 108, xix C4RP ................................................................................................................................ 82, xix chat .........................................................................................................5, 34, 37, xviii, xix, xxi Command ................................................................................................ 25, 62, 83, 94, xix, xx Commande ............................................ 25, 46, 52, 61, 62, 63, 65, 72, 83, 91, 94, xix, xx, xxv Communauté..1, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10, 15, 17, 19, 21, 22, 26, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 48, 50, 52, 54, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 63, 67, 68, 69, 73, 75, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 86, 87, 89, 90, 92, 95, 96, 97, 98, 100, 104, 106, 107, 108, 109, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, xxiv, xxv Communication..3, 5, 10, 14, 17, 28, 29, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 56, 57, 63, 83, 91, 93, xix, xx, xxii Communication médiatisée par ordinateur............................. 14, 28, 33, 35, 36, 37, 93, xix Compétences.. 48, 49, 50, 51, 52, 54, 58, 59, 69, 74, 82, 84, 85, 86, 89, 90, 95, 100, 101, 102, 105, 108, 110, 111, xix, xx, xxiii, xxv Computer-Mediated Communication............. 6, 9, 10, 29, 33, 35, 37, 44, 94, xvii, xviii, xix Contractor, Noshir ..........................................................................................34, 35, xvii, xviii Contrôle social ..................................................................................... 6, 9, 21, 24, 32, 44, 114 Coopération .................................................................................... 24, 31, 32, 60, 98, 104, 112 xxvi Coutume.................................................. 6, 7, 46, 52, 57, 63, 69, 70, 71, 72, 77, 115, 116, 117 Credits ......................................................................................................................... 49, 51, 74 Dark Age of Camelot..................................... 5, 50, 51, 54, 86, 101, 104, 106, 110, 111, xxxii Développeurs ....... 4, 7, 12, 73, 80, 98, 100, 103, 105, 107, 108, 109, 110, 112, 115, 116, 117 Ding.......................................................................................................................................... 71 Donath, Judith .................................................................................................... 21, 22, 89, xvii Duranti, Alessandro....................................................................................................... 36, xvii DuVal Smith, Anna ........................................................................................................ 26, xvii Elizabeth Reid .............................................6, 9, 24, 25, 26, 37, 40, 42, 43, 44, 114, xvii, xviii Emerson, Ralph Waldo................................................................................................19, xviii Emotes ........................................................................................................... 62, 83, 94, xix, xx Erikson, Erik Homburger .............................................................................................. 12, xvii Evaluation ................................................................................................. 50, 77, 114, 115, 116 Everquest.......................................................................................................... 51, 71, 92, xxxii Fehr, Beverly .............................................................................................28, 56, 77, 114, xviii Floyd, Kory...............................................................................................................38, 97, xviii Forum ............. 4, 27, 38, 50, 67, 68, 72, 74, 76, 83, 85, 86, 87, 97, 98, 104, 105, 106, xx, xxiv Foucault, Michel............................................................................................................. 18, xvii Genre..6, 9, 12, 13, 14, 17, 21, 22, 23, 24, 28, 35, 37, 40, 43, 44, 46, 49, 64, 81, 85, 88, 89, 92, 93, 96, 98, 102, 105, 114, 117 Goffman, Erving ............................................................................................................. 13, xvii Goodwin, Charles .......................................................................................................... 36, xvii Gratz ........................................................................................................................................ 71 Grid ........................................................................................................................... 69, 102, xix Gros Bill................................................................................................................................... 48 Groupe..4, 17, 21, 24, 26, 27, 29, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 46, 49, 53, 54, 57, 59, 61, 63, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 77, 85, 86, 90, 91, 94, 95, 96, 97, 104, 106, 109, 115, xix, xx, xxi, xxiii, xxv Groupe d’appartenance.......................................................................................... 21, 77, 115 Groupe de Discussion.......................................................................................................... xxi Guilde..4, 7, 46, 49, 50, 52, 53, 54, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 71, 72, 73, 74, 76, 77, 82, 86, 87, 90, 98, 100, 101, 104, 106, 107, 111, 115, 116, i, viii, ix, x, xxi Gupta, Sumit................................................................................................................... 30, xvii Habitat ..................................................................................................................................... 23 xxvii Hall, Edward ............................................................................................................. 21, 57, xvii Hollingshead, Andrea.............................................................................................. 34, 35, xvii ICQ...................................................................................................58, 83, 93, 97, xi, xxi, xxxii Identité..10, 11, 12, 13, 14, 15, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 26, 27, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 55, 57, 67, 68, 77, 80, 82, 83, 84, 85, 87, 89, 96, 102, 115 Immersif............................................... 5, 46, 47, 92, 100, 101, 103, 113, 114, 115, 116, 117, x Immersion ..................................................................................... 80, 86, 88, 92, 100, 102, 103 In real life................................................................................................................................ xxi In Real Life..........................................................................59, 85, 87, 90, 95, 96, 98, xxi, xxiv Interaction..6, 9, 10, 12, 13, 22, 23, 24, 29, 32, 33, 34, 35, 36, 39, 41, 42, 43, 44, 46, 48, 53, 56, 57, 61, 62, 63, 74, 77, 81, 82, 84, 85, 91, 94, 95, 96, 97, 98, 108, 113, 114, 115, 117, xxii Interagir ................................................................................... 4, 7, 30, 31, 37, 56, 59, 109, 112 Internet..3, 5, 6, 10, 15, 16, 17, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 27, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 37, 39, 40, 41, 42, 43, 46, 56, 66, 67, 73, 77, 80, 81, 84, 87, 89, 92, 98, 101, 104, 107, vii, xvii, xviii, xix, xxi IRC .......................................................................................................................................... xxi Jeux de rôle multi-utilisateurs ............................................................................................ xxii Jones, Steven....................................................................................................... 6, 33, 94, xvii Jugement ................................................................................ 7, 21, 46, 69, 73, 74, 75, 77, 115 Kendall, Lori...................................................................................................................23, xviii Kiesler, Sara ..................................................................................................................28, xviii King, Storm ..............................................................................................................29, 30, xviii Lajoie, Marc ...................................................................................................................42, xviii Lieu communautaire.............................................................. 6, 10, 15, 31, 57, 70, 80, 83, 109 Lifton, Robert Jay..........................................................................................................19, xviii Linux .......................................................................................................................31, xxi, xxxii Liste de Diffusion ................................................................................................................. xxii Lockard, Joe ..................................................................................................................33, xviii Loi..................................................................................................................................... 76, 101 Lucky, Robert ................................................................................................................31, xviii Marc A. Smith..............................................6, 9, 21, 22, 24, 26, 31, 32, 85, 89, 104, xvii, xviii Martin, Emily......................................................................................................14, 18, 19, xviii Massively Multiplayers Online Role Playing Game.................................................... 3, xxii xxviii McGrath, Joseph Edward....................................................................................... 34, 35, xvii Meridian 59 ............................................................................................................................... 3 Messagerie instantanée ...............................................................58, 83, 93, 97, xix, xxi, xxii Milena Gulia...................................................................... 6, 9, 26, 28, 29, 30, 31, 44, 114, xvii Mission ...................57, 59, 61, 66, 67, 70, 71, 72, 90, 96, 98, 105, 107, 109, 111, xix, xx, xxii Mitchell, William ............................................................................................................31, xviii MMORPG..3, 4, 5, 6, 7, 9, 44, 45, 46, 51, 54, 56, 59, 60, 63, 64, 65, 68, 69, 71, 73, 77, 80, 81, 82, 83, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 98, 100, 103, 104, 106, 107, 108, 109, 111, 112, 113, 114, 115, ix, xvii, xix, xx, xxi, xxii, xxiii, xxiv, xxv Mob .......................................................................................................................................... 24 MUD..6, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 23, 24, 25, 26, 31, 34, 36, 38, 40, 41, 46, 47, 48, 56, 64, 87, 88, 90, 91, 92, 114, xix, xx, xxi, xxii, xxiii, xxiv, xxv Myers, David............................................................................................................37, 38, xviii Nancy K. Baym .......................................................... 6, 9, 33, 35, 36, 38, 39, 44, 94, 114, xvii Nanos .......................................................................................................................59, 74, xxiii Newbie............................................................................................................................... 49, 75 Nguyen, Dan Thu....................................................................................................42, 43, xviii Nicholas Yee ............................................................................................................ 80, 92, xvii Nietzsche, Friedrich......................................................................................................49, xviii Niveau..25, 30, 38, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 57, 59, 60, 61, 66, 67, 69, 71, 72, 73, 74, 75, 77, 81, 82, 85, 89, 90, 101, 102, 105, 106, 107, 109, 110, 111, 115, 116, x, xx, xxii, xxiii Norme............................................................ 6, 7, 36, 39, 46, 61, 67, 69, 73, 77, 115, 116, 117 Objets..3, 5, 17, 24, 27, 31, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 55, 58, 60, 66, 67, 70, 71, 72, 73, 74, 77, 80, 81, 82, 90, 94, 95, 96, 100, 102, 105, 107, 108, 109, 110, 111, x, xx, xxii, xxiii, xxiv, xxv Oldenberg, Ray.............................................................................................................15, xviii Parks, Malcolm........................................................................................................38, 97, xviii Patch.............................................................................................................. 100, 101, 102, 103 Perlman, Daniel ........................................................................................28, 56, 77, 114, xviii Peter Kollock ...............................................6, 9, 21, 22, 24, 26, 31, 32, 85, 89, 104, xvii, xviii Player killer ..........................................................................................................................xxiii Player Killing........................................................................................................................... 25 Player versus player..........................................................5, 25, 92, 106, 109, 111, xxiii, xxiv Points d’expérience .................................................. 5, 70, 82, 107, 109, 111, xxii, xxiii, xxiv xxix Power Gamer ................................................................................................ 82, 83, 90, 95, xix Primus inter pares ................................................................................................................. 90 Problèmes identitaires ........................................................................................ 9, 44, 46, 114 Proxémique............................................................................................................................. 57 PvP.......................................................................................5, 25, 92, 106, 109, 111, xxiii, xxiv Rassemblement ..................................................................... 57, 69, 71, 86, 100, 102, 109, xx Realm versus realm ................................................................................................... 106, xxiv Réciprocité.............................................................................................................................. 27 Règle ................................ 5, 15, 25, 35, 39, 66, 72, 74, 100, 102, 106, 108, 110, 114, 117, xix Règlement......................................................................................................... 18, 44, 110, 114 Relation..6, 7, 11, 12, 14, 15, 16, 21, 22, 25, 27, 28, 29, 30, 34, 36, 38, 39, 40, 41, 42, 44, 46, 54, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 63, 75, 77, 80, 81, 83, 85, 87, 92, 93, 95, 96, 97, 98, 108, 109, 113, 114, 115, 116, 117, x interpersonnelle ........... 6, 7, 46, 56, 60, 63, 77, 80, 81, 83, 95, 98, 113, 114, 115, 116, 117 Relation intime ..................................................................................................... 11, 25, 56, 58 Relationnel............................................................................................................ 19, 30, 38, 60 Relations intenses ......................................................................................................... 77, 114 Réputation............................... 52, 53, 54, 55, 60, 66, 68, 72, 74, 77, 83, 84, 85, 106, 115, 116 Réseau..15, 21, 22, 26, 27, 30, 31, 39, 46, 56, 58, 59, 60, 61, 66, 68, 77, 80, 82, 85, 86, 108, 115, xix, xxv Réseau de contacts sociaux...................................... 46, 59, 60, 61, 66, 77, 82, 85, 108, 115 Rheingold, Howard.......................................................................................................17, xviii Roleplay ............................................................................................ 62, 73, 82, 83, x, xix, xxiv Roszak, Theodore ........................................................................................................21, xviii Rubi-Ka ........................................................................... 44, 73, 88, 98, 100, 102, xix, xx, xxiv RvR ............................................................................................................................... 106, xxiv Salle de Discussion ............................................................................................................ xxiv Seibold, Dave ..................................................................................................34, 35, xvii, xviii Sens social ............................................................................................................... 36, 44, 114 Serveur................................................................................. 25, 52, 53, 60, 64, 82, 84, 110, xxi Sexe........................................................ 7, 12, 13, 14, 24, 44, 57, 80, 89, 92, 113, 114, 116, xi Sherry Turkle..6, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 37, 44, 46, 56, 77, 80, 83, 84, 87, 92, 114, 116, xvii Smileys...................................................................................................................... 36, 94, xxv xxx Social..6, 9, 10, 13, 14, 15, 17, 18, 21, 22, 23, 24, 27, 28, 30, 31, 32, 33, 35, 36, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 46, 48, 49, 51, 53, 54, 58, 69, 70, 74, 77, 80, 82, 83, 85, 108, 109, 114, 115, 116, 117, x Socialisation ............................................................................................................... 66, 68, 77 Société............................................................................. 38, 46, 73, 75, 76, 103, 113, 115, 117 Soja, Edward .................................................................................................................42, xviii Sproull, Lee....................................................................................................................28, xviii Star Wars Galaxies ........... 5, 52, 54, 61, 64, 73, 86, 101, 102, 103, 104, 108, 109, 111, xxxii Statut ............... 6, 21, 22, 28, 30, 40, 42, 44, 46, 48, 49, 51, 52, 53, 54, 71, 77, 80, 83, 85, 115 Steinfield, Charles ........................................................................................................35, xviii Stoll, Clifford ..................................................................................................................28, xviii Stone, Allucquère Rosanne ..................................................................................23, 37, xviii Stratton, Jon ..................................................................................................................33, xviii Structure.................................................................. 30, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 44, 114, 115 Structure communautaire ................................................................................................................ 115 Système de jeu..3, 5, 7, 59, 62, 69, 75, 80, 82, 102, 104, 105, 108, 109, 111, 112, 113, 116, 117, xxii Talbott, Stephen............................................................................................................16, xviii Tell ........................................................................................................... 50, 57, 61, 63, 91, xxv Uber ................................................................................................................................... 48, 82 Ultima Online.................................................................................................................. 3, xxxii Usenet ..................................................................................................22, 38, 97, xvii, xxi, xxv Valeurs ...... 6, 7, 35, 46, 48, 50, 51, 69, 71, 73, 75, 76, 77, 90, 96, 98, 102, 115, 116, 117, xxv Walther, Joseph ......................................................................................................29, 37, xviii Wireman, Peggy ...........................................................................................................29, xviii Wizard ...................................................................................................18, 24, 25, 40, xxii, xxv Woot......................................................................................................................................... 71 Yalm.................................................................................................................... 51, 100, iv, xxv xxxi Marques déposées Anarchy Online est une marque déposée par Funcom. Star Wars Galaxies est une marque déposée par Lucasfilm. Merdian 59 est une marque déposée par Near Death Studios, Inc. Ultima Online est une marque déposée par ORIGIN Systems, Inc. Dark Age of Camelot est une marque déposée par Mythic Entertainment. Everquest est une marque déposée par Sony Online Entertainment. Windows est une marque déposée par Microsoft Corporation. Linux est une marque déposée par Linus Torvalds. ICQ est une marque déposée par ICQ Corp. MSN est une marque déposée par Microsoft Corporation. AIM est une marque déposée par America Online, Inc. xxxii Remerciements Je tiens à remercier mon directeur de maîtrise, Eric Maigret, ainsi que Maxime Gosselin, Yvonne Lebrun, Cédric Garnier, Anne-Charlotte Le Bars, Laurent Calmut, Solange Wattecamps, Sophie Manzin, Magalie Dos Santos, Nicolas Mace, Blaise Lebreton, Julien Bonnet, Jean-Pierre Recoules, Guillaume Mirey, et tous les joueurs d’Anarchy Online. xxxiii