Le Conférencier entre en scène et se dirige vers son poste
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Le Conférencier entre en scène et se dirige vers son poste
Le Conférencier entre en scène et se dirige vers son poste (guéridon et siège haut) Conférencier : Mesdames et messieurs, chers amis de la roue libre et de la littérature en pente douce, bonjour ! Tout d’abord un grand merci aux cyclistes intrépides qui nous ont fait l’honneur de pédaler jusqu’à nos portes. Saluons cette noble entreprise qui mêle dans une heureuse harmonie, la cervelle et le mollet. Un grand merci aussi à nos musiciens qui font à peu près la même chose, mais seulement avec les doigts et en courant moins vite. Merci, merci à tous... (Il s’installe au guéridon) Bienvenue donc, dans notre vélothèque pour une petite conférence sur les mérites respectifs et conjoints du pignon à engrenage et du format inoctavo. Deux découvertes de la plus haute importance qui, comme chacun sait, ont abondamment contribué à l’émancipation de l’espèce humaine et... Sauterelle : (le coupant) Hé disdonc, dis donc ! C’est de quoi que c’esty qu’on cause par ici ? Conférencier : Excusezmoi, chère mademoiselle, mais heu... Il s’agit d’une conférence sportivolittéraire et... Sauterelle : Bin je veux, mon neveux ! C’est même pour ça que j’ai fait le voyage. Du Bordelais, que j’arrive en direct... Alors d’abord, je me présente. C’est Olga, mon petit nom. Conférencier : Heu... Bonjour, chère Olga... Sauterelle : Bonjour vousmême !... ( Désarroi du conférencier) Bon alors on y va ? Conférencier : Je n’ai pas très bien saisi où vous vouliez que nous allions... Sauterelle : C’te blague ! On a dit qu’on allait conférencer. Alors vous voulez que c’esty moi que j’embraye ou c’esty que vous préférez démarrer direct ? 1 Conférencier : Ecoutez, ma chère Olga, c’est très aimable à vous d’apporter votre contribution à notre petite rencontre, mais nous allons aborder des sujets sur lesquels je ne suis pas sûr qu’une sauterelle soit parfaitement documentée. Sauterelle : Documentée, documentée ? Estce que j’ai une gueule de documentaire ? Conférencier : Eh bien, voyezvous, justement... Sauterelle : Faut d’abord que je vous dise qui je suis ! Après on causera documentation si y a que ça pour vous plaire... Alors pour commencer, je vous ferai dire que je suis une authentique sauterelle de bascôté. J’irai pas jusqu’à prétendre que je suis une sauterelle de souche, parce que des souches, maintenant qu’ils nous ont bousillé les platanes, y en a de moins en moins. Pour faire simple on dira que je suis plutôt de l’espèce sauterelle de gazon. D’où la couleur, voyezvous ? Conférencier : Et bien, c’est très bien. Il en faut ! Sauterelle : C’est pour dire que le cyclisme, figurezvous que j’en connais un rayon. Et même toute une roue. Parce qu’y faut pas croire, mais dans les bascôtés, c’est fou ce qu’on en ramasse, du cyclisme. Et puis faut voir dans quel état ! C’est pas toujours jolijoli. Et vasy que j’t’éclate un pneu ! Et vasy que je te déraille ! Encore heureux quand c’est pas du râpage de roudoudous sur le goudron ! Je vous dis pas le carnage ! Conférencier : Bon, hm, hm... Voici en effet un témoignage pétillant de véracité. Un grand merci à vous, chère Olga pour cette belle tranche de vécu sur le vif. Et maintenant, si vous voulez bien... Sauterelle : (l’interrompant) 2 Ah, mais attendez ! Oh la la !... Vous êtes speedé, vous ! Faut pas se précipiter comme ça. Vous allez vous exploser dans le virage ! Tiens, tant qu’on parle de speed ; hé bien les vélos c’est pas vrai que c’est tous des drogués. Non, non, faut pas croire. Y en a, ils sont alcooliques aussi. Conférencier : Je vous en prie, chère Olga, vous dépassez les bornes du kilométriquement correct. Sauterelle : Ah non mais, c’te blague ! Ça se voit qu’y vous ont pas fait pipi sur la tête, à vous même ! Chez les sauterelles de bascôté, c’est très connu. Dès qu’un vélo s’arrête, on fonce dans les branchages, nous autres. Sinon c’est l’overdose. Conférencier : Ecoutez, chère amie, je veux bien que vous participiez. Mais je vous demanderai de m’aider à élever un peu le débat. Je vous rappelle que nous sommes dans un lieu culturel. Sauterelle : Ah bon ? On va passer sur Arte ? Conférencier : Je n’irais pas jusque là, mais... tenez, par exemple, si je vous parle d’une chanson intitulée « A bicyclette », estce que cela vous dit quelque chose ? Sauterelle : A bicyclette, à bicyclette... Attendezvoir... La bicyclette, c’est bien la femelle du vélo, comme qui dirait ? Conférencier : Ce n’est pas une question zoologique. C’est une question musicale. Dans cette chanson il s’agit d’une certaine Paulette. Je ne sais pas si vous en souvenez... Sauterelle : Paulette ! Ah bin j’veux bien que ça me dit kekchose ! Pensez comme je l’ai connue la p’tite Paulette. Même que je peux vous dire qu’elle faisait rien qu’à 3 partir de bon matin sur les chemins. Fallait voir ! Ah, pour ça, elle y mettait du cœur ! Conférencier On dit que... enfin, ce ne sont que des rumeurs, mais il paraîtrait que ça serait la fille du facteur... Sauterelle : Oh, alors là, moi, mon bon monsieur, je vous arrête tout de suite. Les ragots, c’est pas ma tasse de verveine. Vous savez comment ça se passe dans les provinces ! Les gens y font qu’à rapporter des mauvaises langues. La vérité, c’est que Paulette... bin, Paulette, facteur ou pas, c’était la fille de sa mère. Voilà ! Ça, on en est sûr ! Conférencier : Enfin, tout de même, cette petite Paulette, elle était drôlement délurée, pour son âge. Je me suis laissé dire qu’y avait pas mal de monde qui lui tournait autour. Y avait Vincent, y avait Firmin... Sauterelle : Ceuxlà, j’sais pas. Mais je me souviens qu’y avait Francis et Sébastien. De sacrés loustics, ces deuxlà ! Pensez, ils étaient tous amoureux d’elle ! Même qu’ils se sentaient pousser des ailes ! Mais ça, c’est rien que de la craque, parce que des ailes, ça pousse jamais chez les vélos. Conférencier : Une bien jolie chanson, toute de même ! Les vertes prairies des amours enfantines sillonnées par une envolée folâtre de bicyclettes endiablées... C’était le bon temps, n’estce pas ? Tous nos spectateurs s’en souviennent avec émotion. La grande époque de la chanson française. Sauterelle : Faut reconnaître qu’elle était pas mal, la goualante à Paulette. Mais moi, y un truc qui me chiffonne dans cette complainte... Conférencier : Vous n’aimez pas la musique ? Sauterelle : 4 S’agit pas ça, mon bon monsieur. La zizique elle est au top ! Mais j’sais pas si vous vous en souvenez, y a un moment où c’est que ça cause « d’un bouquet changeant de sauterelles, de papillons et de rainettes... » Conférencier : Oui, oui, en effet, il me semble me souvenir de ce passage très poétique... Sauterelle : Poétique, poétique, vous y allez fastoche, vous ! Bon, je dis pas pour les papillons et les rainettes, après tout, ça me regarde pas. Mais un « bouquet changeant de sauterelles » ! Non mais ça va pas la tête ? Faire un bouquet de sauterelles... Vous imaginez l’horreur ? Tortionnaires, va ! Sadiques ! Conférencier : Il ne faut pas vous mettre dans cet état. Je vous assure qu’il ne s’agit que d’une image, une fantaisie littéraire... Personne ne fait de bouquet de sauterelles, voyons... Sauterelle : Ils ont pas intérêt ! Conférencier : Revenons, si vous le voulez bien à notre sujet : la bicyclette et la littérature. Vous n’ignorez pas, chère amie que dès leur invention, les deux roues ont inspiré les écrivains et certains parmi les plus grands : Zola, Freud, Pérec, Proust ! Tous ont vanté les mérites de ce mode de locomotion à la fois gracieux et non polluant. Sauterelle : C’est marrant, c’que vous dites ! Tous ces noms, là, qui habitent dans les dictionnaires... Ça me fait penser à ma mémé. Conférencier : Votre mémé faisait du vélo ? Sauterelle : Mais non ! On n’a pas besoin de ça nous autres les sauterelles, pour faire dans le gracieux et le non –polluant ! Ma mémé elle habitait dans le jardin d’un écrivain 5 célèbre. Même qu’il s’appelait Freddy. En tout cas c’est ce qu’on raconte dans la famille depuis perpète. Conférencier : Freddy, ditesvous ? Je ne vois pas de qui il s’agit. A ma connaissance il n’y a pas d’écrivain connu qui... Sauterelle : Freddy, c’était son petit blaze pour les intimes. Dans la circulation, il s’appelait Alfred. Même qu’il était gravement déjanté, à ce qu’il paraît. Déjanté pour un cycliste, c’est pas commode ! Conférencier : Sans doute voulezvous parler d’Alfred Jarry ! L’immortel auteur d’Ubu Roi ! Sauterelle : C’est çuilà même ! Oh, par chandelle verte, la cervelle que vous avez, vous ditesdonc ! Conférencier : Et bien permettezmoi de vous épater encore un peu en vous disant que ce cher Alfred Jarry a écrit un texte tout à fait étonnant intitulé : « De la Passion considérée comme une course de côte ». Sauterelle : Oh, mon dieu ! Enfin, je veux dire : oh, son fils ! Conférencier : De mémoire, le texte commence ainsi : « Barrabas déclara forfait. Le starter Pilate donna le départ ! » Ensuite on voit le coureur cycliste Jésus, bien empêché par les deux larrons alors qu’il tente de négocier un virage. Il faut avouer que ce n’est pas un sportif de très haut niveau et qu’il doit essuyer de nombreuses chutes. Heureusement qu’il a pour lui de fervents supporters, dont son ami Simon qui l’aide souvent à se relever et porte luimême son vélo sur plusieurs mètres tandis que sa copine Véronique lui éponge le visage. La course se termine quand même assez mal pour lui. L’auteur finit d’ailleurs par reconnaître qu’allongé sur une poutre, les bras en croix à l’horizontale, ce n’est pas une position idéale pour pédaler ! 6 Sauterelle : Hé ben ditesdonc ! Ma mémé, elle me l’avait dit que son pote Freddy il picolait pas mal. Mais là, ça bat les records ! Conférencier : Vous soulevez ici un point tout à fait intéressant, chère amie. Car en effet, force est de constater qui si le vélo fonctionne mieux à l’eau plate, la littérature, en revanche n’est pas du tout incompatible avec l’abus d’alcool. Demandez par exemple à Apollinaire ou à Bukowski d’arrêter de boire ; et bien non seulement ils n’écriront pas mieux, mais ce n’est pas pour autant qu’ils deviendront champions cyclistes. Sauterelle : A propos de champion, tant qu’on est là, à causer de vélocyclette, vous connaissez le scoop ? Conférencier : Ditesle moi, je vous répondrai ensuite. Sauterelle : Ben y paraît que le Tour de France va étaper à Montauban. Conférencier : Etaper, vous êtes sûre ? Vous m’épatez. Et taper dans quoi ? Sauterelle : Estce que je sais moi ? En tout cas on me l’a dit. Les Toureurs, là, ceux qui font le Tour, et bin y font rien qu’à faire des étapes et alors y vont étaper à Montauban. Moi je dis c’est cool ! C’est cool pour ma collection. Conférencier : Vous collectionnez les étapes ? Sauterelle : Je collectionne les vélos. Les vélos crevés. A chaque fois qu’ils étapent, y a des vélos qui crèvent. Vous avez pas vu en arrivant ? J’ai apporté ma collection de vélos morts. J’en ai tout un tas. Dès qu’y a un vélo qui tombe sur le bascôté, j’attends qu’il soit bien sec et hop, je le collectionne. Je vais me lancer dans l’art 7 contemporain. Je vais faire une installation plastique de vélos crevés. Je vais les écraser au compresseur. J’appellerai ça : « La vengeance des sauterelles » Conférencier : Vous me faites penser à un beau roman : « Les bicyclettes se cachent pour mourir ». Sauterelle : Vous êtes sûr que c’est les bicyclettes ? Ça serait pas plutôt les majorettes ? Conférencier : Ah, vous m’embrouillez... Après tout, bicyclette, majorette, ça se ressemble. Tenez, ce n’est pas moi qui le dis, c’est le grand écrivain français René Fallet. Ecoutez ce qu’il écrit dans ce texte amoureux où il compare la femme et le vélo : «J’aime le vélo. Comme dans pas mal d’histoires d’amour, il ne me le rend pas beaucoup. Ce n’est pas grave. Ce n’est qu’une femme, une jolie femme, ce beau vélo de creux et de bosses. Capricieux et brillant. De soleil et de pluie. De larmes et de joie. Avec lui, s’il y mettait un peu du sien, j’irais jusqu’au bout du monde.» Sauterelle : Bin dites donc ! Lui aussi il devait en fumer de la bonne, votre écrivain ! Prendre un vélo pour une femme, moi je dis, c’est pas net ! Conférencier : Il n’est pourtant pas le seul à avoir fait la comparaison. Un célèbre philosophe a soutenu quant à lui, qu’après la femme, le vélo était la plus noble conquête de l’homme. Sauterelle : Ah bon ? Je croyais que c’était le cheval. Conférencier : Vous plaisantez, chère amie ! Il est beaucoup plus facile de trouver le frein sur un vélo que sur un cheval. Sauterelle : C’est beau ce que vous dites ! Et tellement vrai. Tiens, puisque vous aimez les jolies phrases et pour revenir au Tour de France, j’en connais une qui va vous 8 plaire : « L’amour, c’est comme le Tour de France. On l’attend longtemps. Mais il passe vite. » Conférencier : Et bien si vous le permettez, chers amis de la pompe et du stylo, sans oublier les sacoches et l’encrier, nous allons terminer sur cette belle pensée notre conférence littéropédalière. En remerciant chaleureusement mademoiselle Olga pour sa contribution à ce grand moment d’humanisme. Sauterelle : Ben, merci chez vous aussi, hein ?... Et puis tenez, sans supplément, je vous en glisse une petite dernière pour la route, et même deux pour le prix d’une. C’est encore un copain de ma mémé qui les a faites. Pierre Dac, qu’il s’appelait. Même qu’il paraît que c’était pas un triste. Alors le Pierrot, il disait comme ça : « conseil aux cyclistes ! Si vous voulez avoir de belles jambes, mangez des œufs mollets ! » Et conseil numéro 2 : « Inutile de vous fatiguer, il est idiot de monter une côte à bicyclette, alors qu’il suffit de se retourner pour la descendre ! » Et voilà le travail. Et maintenant si les copains musicos voulaient bien nous envoyer le générique de fin, ça me permettrait de me dégourdir les gambettes. Salut tout le monde ! 9