Pratique de groupes à la crèche des Avanchets, de Vernier, à Genève

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Pratique de groupes à la crèche des Avanchets, de Vernier, à Genève
Pratique de groupes à la crèche des Avanchets,
de Vernier, à Genève
Par Josiane Baeriswyl
et Danielle Merle
Ce texte est tiré d’une présentation sur la verticalité1, effectuée lors du colloque organisé par
la Formation Continue Petite Enfance, les 25 et 26 mars l997 à Genève.
Il est paru dans Grandir en multiâge, le journal de l’Association québécoise pour le multiâge
(AQM), décembre 2006, vol 2, n° 3, p 5-8. www.multiage.ca
Pourquoi cette pratique ?
Les membres de l'association pour la création d'une crèche dans le quartier ont fait le choix
d’ouvrir un lieu avec des groupes verticaux. La Crèche a été construite pour accueillir
prioritairement des bébés, car aucune structure dans la commune ne répondait à ce besoin.
Le projet pédagogique s’est imprégné de ce que les parents de l’association souhaitaient pour
leurs enfants: le respect de leur personnalité, de leur rythme biologique et de développement,
afin de répondre au besoin de sécurité. Ils étaient persuadés que les bébés pourraient ainsi
vivre en tant qu’individu dans une collectivité. Ils souhaitaient également ne pas séparer les
fratries.
Le projet de la crèche des Avanchets s'inscrivait dans une période d'évolution des idées
concernant l'accueil des petits enfants. De nouvelles pratiquent naissaient, plus à l'écoute des
besoins des enfants. La Protection de la Jeunesse éditait à ce moment une brochure conseil
préconisant la création de petits groupes. La verticalité est apparue comme un moyen adéquat
pour répondre aux nouvelles exigences pédagogiques.
Le petit groupe et la verticalité, semblaient offrir de bonnes conditions d’accueil.
C'est en avril 1983 que la crèche a ouvert ses portes.
Nous allons maintenant partager des exemples du quotidien, sans entrer dans le projet interne
de la crèche, ni développer des pratiques professionnelles communes à toutes les collectivités.
Notre objectif n’est pas de vous parler de la crèche des Avanchets, mais de la vie d’un groupe
vertical avec la présence des bébés.
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La verticalité est un projet de vie qui permet de concilier individu et collectivité. Toute
l’organisation est pensée et pratiquée avec ce mouvement de balancier: construction de soi et
ouverture au monde environnant.
Composition et vie du groupe
Dans chaque appartement, six, sept enfants, d’âges différents dont un écolier sont rassemblés.
Chacun parcourt toutes les étapes de son développement dans le même groupe. En général, un
bébé prend la place laissée vacante par un écolier. Ainsi, les enfants évoluent en occupant
successivement chaque rang hiérarchique du groupe. Ils prennent conscience qu’ils occupent
une place bien définie, en unique héritier, puisqu’ils sont les seuls de cet âge. Ils grandissent
en ayant des modèles et des repères. Ils se situent par rapport à ce qu’ils étaient avant et seront
après.
Exemples :
- En voyant le nourrisson mettre la cuillère à côté de la bouche, l’enfant dit« moi aussi,
quand j’étais petit, je mettais des légumes sur ma joue! » et il part chercher l’album pour
montrer sa photo de bébé.
- Lorsque le groupe se rend dans le préau de l’école pour accueillir le grand qui va sortir, les
enfants se projettent dans l’avenir et affirment que eux aussi, pendant la récréation, ils
descendront sur le toboggan.
La vie d’un groupe vertical se vit bien dans la mesure où les enfants ont un écart d’âge
d’environ six mois qui leur permet à la fois d’être liés entre eux et de rester uniques.
Ils sont réunis et tous différents dans leur développement et leurs besoins. La différence
pacifie, évite les conflits de pouvoir au profit de relations solidaires ou de complémentarité.
Ils vivent le respect de façon naturelle. La différence fait partie des habitudes du groupe.
Le petit d’un an, un an et demi va et vient dans la pièce. Il explore et se heurte aux jeux de
construction de celui de trois ans. Il entend un « non » de sa part et poursuit ses découvertes
ailleurs. Le non prononcé par le grand est facilement accepté. Le plus jeune est ainsi amené à
découvrir le territoire de l’autre. Certaines fois, il en sera éloigné et d’autres fois il y sera
invité.
Pour le premier jour du bébé, les enfants ont aménagé son espace avec l’éducatrice. Cet
endroit lui est réservé. Progressivement, l’éducatrice met le bébé parmi les autres enfants. Il
profite ainsi des stimulations du groupe. Il est captivé par les activités des autres et manifeste
parfois fortement son envie d’être parmi eux. Il prend sa place. Les autres enfants le
considèrent maintenant comme compagnon de jeu. Ils le mêlent à leurs jeux symboliques et
lui donnent un rôle. Il arrive fréquemment que les grands installent un matériau pour que le
bébé puisse en profiter.
Exemple : lors d’une activité autour de bassines d’eau, l’éducatrice est assise avec le bébé sur
les genoux. Elle n’a rien prévu pour lui, pensant juste lancer l’activité pour les grands. Un
enfant va chercher une cuvette et la remplit, pour que le bébé puisse toucher l’eau; une
relation s’établit autour d’un clapotis.
Les capacités des uns et des autres sont différentes, il n’y a pas d’activités de groupe et
l’enfant qui présente un handicap ne se trouve pas en situation d’échec.
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Le cadet d’une famille peut aussi faire l’expérience d’être l’aîné du groupe, se sentir valorisé
par ses connaissances. Sa joie de montrer son savoir faire aux plus petits est évidente.
Parents et verticalité
C’est au cours de l’adaptation que les parents comprennent ce que signifie le mélange des
âges. Ils découvrent des étapes de croissance et ont une approche sur l’évolution de la vie
d’un enfant.
En fréquentant la crèche au quotidien, ils connaissent l’organisation du groupe. Ils savent que
l’éducatrice va prendre en considération le moment de la journée dans lequel se trouve leur
enfant. Ils peuvent avoir des horaires irréguliers. Si le groupe est en promenade ils le
rejoignent dehors. La diversité des rythmes permet des accueils échelonnés.
Travail d’une éducatrice en verticalité
L’accompagnement de l’éducatrice se fait en référence aux valeurs du projet, à ses
connaissances professionnelles et à ses qualités humaines. L’éducatrice découvre une
nouvelle manière de pratique son métier. Elle utilise ses connaissances du développement de
l’enfant de 0 à 5 ans. C’est au travers des situations quotidiennes qu’elle va permettre la
construction de chacun et du groupe. Elle s’adapte aux demandes des grands pour les bébés.
Repensons à l’exemple du jeu d’eau. Le travail des éducatrices en verticalité est exigeant. Sa
particularité est de vivre avec un groupe, en adaptant son attitude en fonction de l’enfant et du
stade qu’il traverse. Elle ne peut pas s’adresser au groupe, les capacités des enfants étant
différentes. Pour une sortie, elle discute avec les grands pendant le goûter du but de la
promenade. Elle évalue leur envie avec les possibilités de ceux qui marchent à peine et les
objectifs qu’elle s’est fixés pour chacun pendant cette promenade. Mais, en principe, les
grands organisent très bien leur sortie: le matin, ils ont pu parcourir le quartier à vélo parce
que le « trotteur » dormait. L’éducatrice les suivait avec la poussette du bébé. Ils demandent
maintenant une course sur la piste afin de concilier leur envie de pédaler à toute vitesse et le
besoin du petit de marcher avec son chariot. Pendant la course, ce petit sera stimulé par les
grands pour courir à côté d’eux. Ils utilisent les capacités des petits pour les intégrer à leurs
jeux.
L’éducatrice donne une place à chacun sans jamais mettre les enfants en rivalité. Elle n’utilise
pas leur état de petit ou grand comme argument pédagogique: Par exemple: «laisse-lui ce
jouet il est petit, tu es assez grand maintenant ». C’est ainsi qu’ils trouveront leur place, une
place unique, nécessaire pour se sentir en sécurité.
L’éducatrice d’un groupe vertical mène de front un objectif de vie pour le groupe et
simultanément des objectifs spécifiques à chacun des partenaires du groupe. La différence ne
bouscule pas, elle stimule et pousse l’éducatrice à trouver avec le groupe les stratégies
nécessaires à la cohabitation. Les prémices du lien social prennent racine. Elle vit parmi les
enfants sans prendre la première place. Le groupe se construit , devient autonome, parce
qu'elle apporte la sécurité.
Les éducatrices travaillent seules dans un groupe, mais sur un projet commun qu’elles
élaborent lors de réunions. Chacune s’organise pour la journée en tenant compte du vécu des
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enfants. Elle transmet ses demandes et ses informations au cuisinier, à l’aide- éducatrice. Elle
s’adapte continuellement aux événements qui surviennent.
Une excellente connaissance de l’enfant, une observation pointue ainsi qu’une capacité à
s’adapter aux événements permettent d’apporter une réponse adéquate à chaque tranche
d’âge. Les grands demandent de l’espace pour jouer, grimper, sauter. Leur soif de
connaissances, leur imaginaire, font appel au savoir culturel de l’éducatrice, à son humour et à
son esprit inventif. Simultanément, elle est en éveil pour garantir la sécurité du bébé;
exemples : bébé régurgiteur, difficulté respiratoire. Le bien-être et l’épanouissement global du
bébé sont à prendre en considération. Il ne s’agit pas de trimbaler le bébé parmi les autres, au
détriment de son besoin de sommeil et de calme. Quant au trotteur, il prend beaucoup de
place. Il vaque à des occupations passionnantes comme: jouer avec l’eau, vider les étagères,
ouvrir et fermer les portes, partir à la découverte. Une attitude pédagogique adéquate va
l’accompagner dans son exploration, lui proposer des expériences nouvelles tout en l’initiant
aux limites du monde environnant.
Avec l’expérience, la pratique du terrain, les éducatrices vivent la verticalité de manière
détendue. Elles peuvent répondre à plusieurs demandes sans sentir le stress et l’on peut
percevoir dans le groupe les bienfaits de la verticalité.
Questionnement
Au départ, nous avons rencontré quelques doutes. Nous ne trouvions pas de personnel qualifié
qui possédait une vision globale de l’enfant.
En verticalité, il n’y a pas de modèle, il faut inventer soi-même sa pratique. C’est ce que
chaque éducatrice nous transmet.
Une difficulté toujours d’actualité : la composition du groupe « idéal » ( écart d’âge de six
mois) ne peut pas toujours être réalisée. Les demandes de placement ne correspondent pas aux
places vacantes. Dans une perspective de verticalité, l’homogénéité d’âge d’un groupe
provoque un manque : les possibilités d’interactions qu’offre chaque stade de développement
sont réduites.
Malgré nos questionnements, nous continuons à découvrir que la vie en verticalité profite tant
aux enfants du groupe qu’aux éducatrices. Nous savons aussi qu’elle est possible si toute
l’équipe est partie prenante du projet et qu’elle se passionne pour le réaliser.
Autres modèles de verticalité
En Suisse Alémanique la verticalité est plus connue.
Nous souhaitions rencontrer d’autres institutions pratiquant ce système afin d’échanger nos
expériences. Nous nous sommes rendues à Zurich où la verticalité se vit dans beaucoup de
crèches. L’institut Meierhoffer a produit diverses études comparatives sur les lieux d’accueil.
Les résultats du système vertical ont convaincu les subventionneurs et ont influencé
l’évolution de la politique en petite enfance.
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A Horgen, une institution compose ses groupes avec des enfants dont l’âge s’étend jusqu’à
l’adolescence.
De nombreux lieux d’accueil existants sur ces bases restent certainement à découvrir.
Notes de l’AQM
1- La « verticalité » est un appellation technique d’une des variantes du multiâge, surtout employée au
Royaume-Uni dans les années 70 à 90. De nos jours, le mot « multiâge » est plus communément
utilisé à travers le monde, notamment aux USA, en Australie et au Québec.
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