dossier ui 2007.indd - Théâtre Marie
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farce bouffonne d’après La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht Sistite, bouffonne, brandissant le symbole de la convoitise adaptation et mise en scène mise en sons masques, perruques, marionnettes et costumes Patrick Rabier Sébastien Smither Cédric Pera décors Caroline Selig, Daniel Garcia création lumière Vincent Guibal Les cinq bouffons sont Sylvain Mouly, Isabelle Pan, Cédric Pera, Caroline Puyet et Frédérique Souloumiac. Création saison 2004/2005 réalisée en auto-financement. 02 farce bouffonne d’après La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht . Témoignages : il y a eu des précédents ! . Signalements : l’équipe de Sam Harkand & cie . Enquête sur le passé de Sam Harkand & cie . Investigation : profil d’une mise-en-scène . .. .. .. Filature : la taupe, leur QG . Témoignages : ils l’ont vu ! . Témoignages : ils sont repérés ! (presse) . . Mise en examen : Arturo Ui Le bouffon Que demeure-t-il de tout cela dans leur forme théâtrale actuelle ? Pourquoi des bouffons pour jouer du Brecht ? Pourquoi monter arturo Ui ? Préméditations À quoi ça ressemble ? Reconstitution Fiche technique photos 04 05 10 14 15 17 18 20 21 22 23 24 Scorbüt, bouffon, interprétant Arturo Ui en plein meeting sommaire 02,03,04,13,14,15,16,17,18,19,20,21,22 03 On me demande régulièrement «pourquoi : Sam Harkand & Compagnie ?». Lorsque j’étais enfant, j’ai longtemps cru que la ville de Samarkand était une ville imaginaire puisqu’une histoire extraordinaire que l’on m’avait racontée s’y déroulait. J’ai appris au collège qu’elle existait et qu’elle se trouvait en Uzbekistan; mais elle est restée pour moi un symbole du monde imaginaire. «Et Compagnie» parce que j’ai toujours pensé que l’on ne fait rien de durable tout seul, et qu’une création théâtrale ne peut exister que grâce à une équipe; qu’elle ne peut s’enrichir que grâce aux rencontres avec le public et avec d’autres artistes, grâce à l’échange. De plus, j’ai appris récemment que le nom «Samarkand» tenait son origine du sanskrit qui signifie «ville de la rencontre». Il n’y a finalement pas de hasard ! La compagnie est née en septembre 1990 sous l’impulsion de Patrick Rabier qui est toujours aux commandes artistiques et à la mise en scène. Elle a grandi entre spectacles jeune public et spectacle pour public adulte, avec une spécificité qui s’est affirmée très vite : le jeu masqué. Au fil du temps un univers singulier s’est dessiné de plus en plus précisément : le grotesque, incarnation parfaite de la tragicomédie chère au metteur en scène, puisqu’il est la rencontre entre le rire et le morbide. Avec l’aide de Cédric Pera, des masques grotesques ont été créés spécialement pour les spectacles de la compagnie, conjugaison du masque de Commedia dell’Arte et maquillage du cinéma muet expressionniste. Puis les marionnettes sont venues compléter la galerie de personnages de Sam Harkand & Cie, toujours fidèles à l’univers visuel de la compagnie. Enfin le retour aux sources de ce type de jeu et de mise en scène : le clown et le bouffon. Javelle, bouffonne, dans le rôle de l’inspecteur Ducas inquiétant le Trust du chou-fleur sur le passé de Sam Harkand & cie Ces dernières années vous avez peut-être vu : • 2000/2004 Le Misanthrope, Comédie Masquée d’après Molière (masques grotesques et un clown) • 2001/2003 Dweedom, la Petite Sorcière (jeune public avec masques et marionnettes) • 2002/2004 Pataquès et Baraques de Clowns (trio de clowns) • 2003/2006 La Légende du Grand Imaginateur (jeune public, clown, masque et marionnettes) • 2005 Clown Celebrity (quintet de clowns, pièce courte) • 2004/2007 Arturo Ui, Farce Bouffonne (bouffons, masques et marionnettes) En 2000, Sam Harkand & Cie ouvre le théâtre Marie-Jeanne, programmation pour clowns, masques, marionnettes et cabarets. 04 il y a eu des précédents ! 05 06 07 08 09 l’équipe de Sam Harkand & cie On les a obligés à répondre à une seule question : “Qu’avez-vous fait pour en arriver là ?” patrick Rabier chef d’accusation : endoctrineur de bouffons pour l’opération “Brecht“ “J’ai commencé par faire des études littéraires d’abord en Lettres Supérieures au lycée Thiers de Marseille puis en Licence d’anglo-américain à Aix-en-Provence. Mais c’est le théâtre, que je pratiquais depuis le lycée, qui a pris le dessus. J’ai donc quitté l’université pour suivre une formation de comédien dans des ateliers et des stages professionnels dont les plus marquants ont été ceux menés par Françoise Merle (pratique du masque neutre, du demi-masque et du clown), Ludwik Flazsen, Franck Dinet (élève de Jacques Lecoq), Christophe Galland, Claude-Alice Peyrot- tes... Mais en parrallèle j’ai également pratiqué assidûment la danse (avec William Petit, Suzon Holzer, Philippe Chevalier, Odile Cazes...) et le chant lyrique (avec Jean-Louis Devèze-Casado). Après plusieurs expériences en tant que comédien, je désirais passer également à la mise-enscène. C’est pour cela que j’ai créé Sam Harkand & cie en 1990 avec une équipe d’artistes et de techniciens du spectacle rencontrés lors de diverses aventures. Pour savoir ce que j’ai fait ensuite, il suffit de lire le rapport d’enquête fait sur Sam Harkand & Cie à la page “04” puisque c’est principalement là que je sévis en mettant en scène des spectacles de clowns, de masques ou de marionnettes, que j’enseigne ces formes à ceux qui veulent s’y convertir et que j’écris, à l’occasion, des spectacles pour le jeune public.” sébastien Smither chef d’accusation : veut tous les faire chanter “J’étudie au conservatoire d’Avignon le violon puis le saxophone pendant six ans. Jusqu’en 1997 je fréquente diverses écoles de jazz, comme l’A.J.M.I. à Avignon ou l’I.M.F.P. à Salon-de-Provence. En 1991 je suis le chanteur des Bishops, groupe de rock 70’s, où je constitue avec Simon Fayolle et Quentin Leroux le noyau de base du futur “Güs Weg Watergang”. Installé à Marseille depuis 1998, j’accompagne le chanteur David Lafore le temps d’une saison, puis me joins au groupe tzigano-russe “Na Zdarovie” (avec qui je suis lauréat en 2000 du “Tremplin du Moulin et de la Busserine”) et au groupe Trio Mitcho (notamment pour un cabaret russe pour le Festival d’Avignon 2001) en plus du «Güs Weg Watergang». La rencontre avec Sam Harkand & Cie se fait par l’intermédiaire de Charlotte Malmanche, comédienne chez Sam Harkand & Cie à partir de 1999. Associé à Richard Rozenbaum et au Güs Weg Watergang, je compose et joue la musique originale du “Misanthrope - comédie masquée” et du jeune public “La Légende du Grand Imaginateur”.” 10 sylvain Mouly bouffon chef d’accusation : éradication en tous genres “Mon parcours artistique a débuté par l’intermédiaire de la musique (guitare et djumbé). Puis, en 1997, je me suis orienté vers le théâtre. C’est là que j’ai croisé la route de Sam Harkand & Cie en suivant un stage puis un atelier de jeu masqué. Pendant les quatre années qui suivent, j’aborde la pratique du clown et participe à diverses animations de la compagnie ainsi qu’à diverses création d’atelier. En 2001, me reconnaisant un réel talent dans cette expression théâtrale, Patrick Rabier isabelle Pan bouffonne chef d’accusation : émule de Bonnie Parker “C’est en 1997 que je fais mes premiers pas sur scène grâce à Catherine Carpentier (Cie Idalo-Marseille). Deux ans plus tard je croise la route de Sam Harkand & cie qui me permet d’aborder les pratiques du clown et du masque grotesque. En 2001, Patrick Rabier m’engage pour la création masquée “Le Misanthrope”. Je décide alors d’enrichir ma pratique du masque : initiation au masque balinais avec Lionel Briand (2002) et à la Commedia dell’Arte avec Roméo de Baggis (2003). Ce dernier me propose d’intégrer sa création “Zanni e Lazzi” pour caroline Puyet bouffonne chef d’accusation : usurpation d’identités “C’est en 1990 que je fréquente mon 1er cours de théâtre. Au lycée Molière, à Paris, je vis deux années intenses. Dirigée par Yves Steinmetz, la classe théâtre est jumelée avec la Comédie Française. En 1995, naissance de mon clown, à Lille en atelier avec Philippe Despature (formé par Mario Gonzales). Ma première et unique année de deug théâtre à Nanterre met sur ma route Jean-Louis Besson, Grégoire Ingold et surtout, Nicole Félix, qui paufine mon clown et m’apprend les rudiments de la Commedia dell’Arte. me propose alors d’être un des trois clowns de «Pataquès et Baraques de Clowns» et d’interpréter le rôle d’Alceste dans la création masquée «Le Misanthrope» de Molière. En parrallèle j’ai poursuivi ma formation grâce à diverses expérience au sein d’autres compagnie : stages de chants, stages de marionnettes avec Coatimundi (Avignon), un atelier “théâtre pour sourds et entendants” dirigé par Joël Chalude. Depuis quelques mois je participe également en tant que comédien à la création jeune public de la compagnie Point à la Ligne “Le Secret de l’Impasse”.” la compagnie L’Atelier Carbonnel (Avignon). Je continue mon travail d’expression par le jeu corporel grâce au metteur-en-scène et comédien Joël Chalude dans un atelier théâtre visant à faciliter la communication entre sourds-muets et entendants. Puis d’autres créations s’offrent à moi : à nouveau avec Sam Harkand & cie, où je me forme à l’art de la marionnette, pour la création “La Légende du Grand Imaginateur” (création 2003) puis avec la compagnie Point à la Ligne pour le spectacle “Le Secret de l’Impasse” sous la direction de Lydie Bernard. Parrallèlement à mon parcours théâtral j’ai obtenu une licence d’Histoire de l’Art. J’anime également, au sein de différentes structures, des ateliers d’expression théâtrale pour les enfants et adolescents en milieu scolaire et péri-scolaire.” Je rentre à l’Ecole Florent en 1998, jusqu’en 2000. J’y croise Jean-Damien Barbin, Benoît Guibert, Daniel Martin, François-Xavier Hoffmann et Françoise Merle. C’est avec elle, que durant un stage à la Cartoucherie de Vincennes, mon clown se révèle. Puis, je découvre les Arts de la Rue... En 2001, Marseille et la compagnie Générik Vapeur m’acceuillent à bras ouverts. Deux années de Théâtre de Rue sont, pour moi, une expérience exceptionnelle. Malgré ma soif d’expériences diverses, je continue à vouloir travailler mon propre clown. Ce qui, par l’intermédiaire de Françoise Merle, me porte jusqu’au Théâtre Marie-Jeanne, chez Sam Harkand & cie, où je rencontre Patrick Rabier. Un univers semblable, et des envies artistiques communes nous poussent désormais à travailler ensemble...” 11 frédérique Souloumiac bouffonne chef d’accusation : mangeuse d’hommes “Tout a commencé en 1995. À cette époque, je travaillais dans la pub et je sortais de cinq années d’études en arts graphiques. Un ami me décide à le suivre dans des cours de théâtre. D’abord, ce fut l’initiation à l’Athanor Théâtre. Ensuite, les formations de Sam Harkand & Cie (le conteur-acteur, le masque neutre, le demi-masque, le clown...). En 1997, je suis engagée dans deux compagnies de théâtre jeune public sur Marseille : le Petit Théâtre et la Compagnie du Funambule. J’ai ajouté à cette activité d’autres formations : le clown avec la Compagnie du Grain (Brice de Charentenay) et Monique Cappeau, le théâtre gestuel avec Philippe Phénieux et Stéphane Lefranc, la marionnette avec la Compagnie Coatimundi (Jean-claude Leportier), le masque balinais avec Lionel Briand... Alors décidé à m’affirmer en tant que professionnelle, j’ai participé à des impromptus de clowns pour Sam Harkand & Cie, j’ai créé ma propre compagnie (la Compagnie du Yak : cabaret-théâtre), j’ai intégré la Compagnie Alien Australopithèque le temps d’une performance pour Le Printemps des Musées, j’ai pratiqué l’aïkido, le chant, le violon... C’est en 1999 que j’ai intégré Sam Harkand & Cie pour interpréter les rôles de Philinte et Acaste dans “Le Misanthrope” de Molière en comédie masquée.” cédric Pera bouffon chef d’accusation : traficant d’identités et tailleur de costards “Je débarque en 93 au sein de Sam Harkand & cie ne connaissant le théâtre que d’un point de vue de spectateur non averti. Je suis alors encore étudiant en arts appliqués, lorsque Patrick RABIER me confie la communication de la compagnie, créant dès lors les prémices de son identité visuelle. Ayant une envie incessante de «toucher à tout», je saisis toutes les opportunités qui s’offrent à moi, commençant par la création des costumes et des décors. S’en suivent la création de masques et de marionnettes, répondant aux désirs scénographiques de Patrick Rabier. En parallèle, je suis les ateliers amateurs clown et masque de la compagnie pour approfondir mon approche et découvre un univers qui, depuis, me colle à la peau, celui du clown lors d’une formation avec Françoise MERLE. Après ces années de formation, je rejoins l’équipe de comédiens sur plusieurs spectacles : “De l’Autre Côté de l’Histoire” et “Dweedom”, pour les créations jeune public masquées, et “Le Misanthrope” et “Pataquès” où mon clown prend vie.” caroline Selig chef d’accusation : faussaire, maniaque du pinceau “J’habitais Grasse, ville des parfums, dans les Alpes-Maritimes. Après le baccalauréat, je me suis présentée au concours d’entrée des beaux-arts d’Aix en Provence. Je l’ai réussi et j’ai signé pour cinq ans. J’ai donc obtenu en 1991 le DNSEP. En 1992, Alain Beauchet et moi même avons crée Artonik, compagnie de théâtre de rue. Ca fait dix ans à peu près maintenant que nous sommes installés à la Friche belle de mai. Parallèlement aux créations de la compagnie (L’homme en Friche, Caliente, Candy-Candy, AliceStation 2...) je remets de temps en temps mon tablier de plasticienne pour des décors de cinéma, de publicité, ou d’événements artistiques. Puis j’ai rencontré Patrick Rabier. Il cherchait quelqu’un pour réaliser le décor d’Arturo Ui. Je n’avais jamais eu l’occasion de travailler pour une autre compagnie de théâtre. Bien que nous ayons des démarches artistiques et des univers différents, il me semblait intéressant de servir au mieux les désirs d’un metteur en scène et d’être au service d’une création autre que la mienne.” 12 daniel Garcia bouffonne chef d’accusation : maniaque de la scie électrique, du marteau et de la visseuse “Dès l’âge de quatorze ans, j’entre dans une école de ferronnerie d’art. J’en pars deux ans plus tard : besoin d’autres expériences. Je passe alors de manutentionnaire dans une usine de boîtes de conserve, à boulanger-pâtissier chez De Stefani, à pompier, ambulancier, secouriste... Puis je me remets à travailler le métal : je travaille comme métallurgiste pour une société de réparation navale (la Société Provençale des Ateliers Terrains) et y reste pendant dix ans. Avec une complice, Estelle Ventoura, qui me fera plus tard connaître Sam Harkand & Cie et le théâtre Marie-Jeanne, je mets sur pied un réseau international de snacks et le gère pendant quatre ans. Puis, victime du succès, je décide de vendre l’affaire et j’entre chez La Vigilante, société de protection, en tant qu’agent de sécurité ; j’y resterai treize ans. Puis le chômage survenant, Estelle Ventoura me fait rencontrer l’équipe de Sam Harkand & Cie qui décide de faire appel à mes talents de ferronnier pour construire les structures du décor de son nouveau spectacle, Arturo Ui, Farce Bouffonne.” vincent Guibal chef d’accusation : dit Lucifer, se prend pour une lumière “J’ai commencé ma formation à la lumière avant d’obtenir le Baccalauréat Lettres et Mathématiques en 1994, en secondant l’éclairagiste Françoise Rouan dans ses travaux. Mes premières expériences autonomes avec des compagnies amateurs puis professionnelles datent de 1995, période pendant laquelle je suis les cours du DEUST formation de base aux métiers du spectacle, jusqu’en 1998. J’ai depuis collaboré en tant qu’éclairagiste, régisseur lumière, régisseur général ou régisseur plateau avec diverses compagnies ou formations (Traffic d’Art, La Variante, Bamboo Orchestra, No Quartet, Soupape Oui-Da, Jour de Rêve, 200 Itinéraires, Jubilo Label Bleu, Arts’felus, Kordax...). J’ai également participé à la création ou à la reprise de spectacles de théâtre, de magie, de danse orientale ou contemporaine, spectacles musicaux, choraux, déambulatoires, son et lumières. C’est en 1999 que je croise la route de Sam Harkand & cie pour la reprise de la régie lumière d’un spectacle jeune public. Depuis j’assure la création lumière de tous leurs spectacles.” les marchands de Vilbank et Molville 13 Arturo Ui Malbouk et Gribiche, bouffons, respectivement dans les rôles de Gori et Roma rapport d’enquête : Bertold Brecht (1898/1956) Après consultation détaillée du dossier concernant cette farce bouffonne, voilà ce que l’on peut vous en rapporter, en résumé : Venue d’on ne sait où une troupe de cinq forains, grotesques et peu engageants, a décidé de jouer devant vous avec marionnettes, masques et vieux costumes, l’histoire d’un certain “Arturo UI”. Les personnages principaux de cette histoire sont cinq malfrats. Arturo UI, leur chef, veut être en haut de la pyramide du pouvoir. Avec ses complices, il va alors soudoyer, bafouer, déshonorer, acheter, faire chanter. Petit à petit, par la terreur, il gravira toutes les marches qui mènent au pouvoir absolu. le trésor, G.W. PABST, 1923 14 profil d’une mise-en-scène enquête préliminaire : les bouffons et Brecht. le bouffon On a pu croiser les ancêtres de ce personnage particulier dans un passé plus ou moins lointain. Au Moyen Age principalement. Tout le monde a entendu parler des bouffons de la Cour ou fous du roi. On trouve des personnages similaires dans les mystères des XVe et XVIe siècles : ces spectacles (d’inspiration religieuse) avaient lieu sur le parvis des églises. Lorsque l’ennui s’installait dans la représentation, on envoyait les Diables : à la fois horrifiques et hilarants, ils étaient censés tantôt faire rire, tantôt faire peur. A cette même époque on représentait également une forme de spectacle appelée «théâtre profane». Il s’y développait un esprit de dérision certain qui caricaturait les autorités les plus respectables du moment. Il existait également des «soties». Les «sots» fondaient leur système de satire sur cette hypothèse que la société toute entière est compo- sée de fous. Ajoutant à leur costume quelques éléments significatifs, ils devenaient successivement juge, soldat, moine, noble etc. Esthétiquement, le bouffon doit aussi beaucoup au Carnaval, qui, en milieu rural, est resté jusque tard fidèle au Carnaval des origines (la Fête des Fous ou Fête à l’Envers) où le rituel d’exorcisme des tabous de la société et l’esprit festif prévalaient. Mais dans leur expression scénique, les bouffons sont directement liés au choeur antique et à la tragédie grecque. Que demeure-t-il de tout cela dans leur forme théâtrale actuelle ? “Ceux qui ne croient en rien et se moquent de tout» dit Jacques Lecoq. Ils ont en effet gardé du Carnaval cette abolition des limites sociales, de l’exagération de tout et de l’exubérance. la troupe au complet : Sistite, Javelle, Malbouk, Scorbüt et Gribiche 15 Sistite en actrice Ils ont hérité de leurs ancêtres les fous du roi leur fonction dénonciatrice : le roi acceptait plus facilement quand un «fou» se moquait de lui ou du pouvoir, car cela ne prêtait pas à conséquence. Le fou pouvait donc mettre à jour toutes les contradictions et exprimer toutes les vérités. Il en va ainsi pour les bouffons de théâtre. Leur fonction, dans le théâtre, ne consiste pas à se moquer d’un individu en particulier, mais de nous tous, de la société en général. Les bouffons parlent essentiellement de la dimension sociale des relations humaines, pour en dénoncer l’absurdité. Les bouffons n’arrivent pas d’espaces réalistes. Ils arrivent d’ailleurs : du mystère, de la nuit, du centre de la terre. Si on devait absolument les rapprocher d’une réalité, ils seraient des le cabinet du docteur Caligari, Robert WIENE,1919 saltimbanques, artistes ambulants qui iraient de scènes en scènes représenter les vices de la nature humaine dont chacun d’entre eux est l’incarnation. Ils vivent en bande. Ils ont des rituels précis qu’eux seuls comprennent. Quand ils jouent, ils se déguisent en personnage de notre société en s’affublant d’un accessoire symbolique appartenant à celui-ci. Ils n’entrent pas dans la psychologie du personnage qu’ils représentent : ils prennent la situation dans laquelle il évolue habituellement et la déforment, la tordent, la mettent en jeu de façon inhabituelle pour que nous puissions reprendre de la distance sur ce que nous prenions pour une situation normale. Esthétiquement les bouffons appartiennent au monde du grotesque, espace où s’entremêlent le rire et le morbide. Leurs traits sont soulignés par un maquillage dont on peut voir des exemples dans le cinéma expressionniste (voir Murnau, Lang...). Plus qu’un simple maquillage, ils ont de véritables masques dessinés sur le visage, dont l’esthétique peut rappeler les masques du carnaval de Bâle (aux immenses yeux cernés, aux traits et attributs exagérés), les masques traditionnels du Valais en Suisse (personnages de la famille de Tschäggätä : masques en bois sculptés grimaçants et effrayants) ou les masques catalans (têtes difformes ou énormes, traits déformés, diaboliques...). Leur corps est difforme, comme si leur psychologie, leur caractère avait influencé complètement leur développement physique. 16 Pourquoi des bouffons pour jouer du Brecht ? Pour répondre très simplement à cette question, il suffit de rapprocher les fondements du théâtre des bouffons avec les points essentiels des théories de Brecht sur le théâtre. Mais pourquoi absolument coller aux idées théoriques de Brecht pour monter une de ses pièces ? Parce que ses pièces ont été écrites d’après ces principes théoriques, et que retourner au réalisme ou tout autre forme traditionnelle, c’est appauvrir- voire trahir- la portée esthétique et politique de son théâtre. La théorie générale de Brecht est connue sous le nom de «Verfremdung» (la distanciation), suite logique des travaux du Russe Meyerhold sur la «biomécanique». Brecht, en raison de ses convictions et de son engagement politiques, veut faire de la scène une tribune. Il cherche à détruire l’illusion réaliste qui endort l’esprit critique et entretient le spectateur dans une totale passivité. Le spectateur ne doit pas s’oublier en s’identifiant au héros ; il ne doit pas vivre ce que vivent les personnages, mais les mettre en question. C’est ce que l’on appelle le théâtre épique : il s’adresse à la raison plus qu’à l’affectif (mais il n’est pas dénué de sentiments !). Ainsi le spectateur n’est pas un simple consommateur de représentation, mais un observateur qui, en se divertissant, déchiffre un message politique. Sans sa participation active, la représentation est incomplète. Pour mettre en forme sa théorie Brecht s’inspire également du théâtre antique (le choeur) et du théâtre chinois. Mais il s’en inspire pour mieux détourner leurs spécificités. Du choeur il prend le principe du récitant (le coryphée) : mais chez lui ce n’est pas un rôle à part entière ; chaque personnage joue tour à tour ce rôle pour raconter l’histoire dans laquelle il joue, faire des raccourcis, et casser ainsi toute continuité réaliste. Du théâtre chinois il cultive le principe d’actes et de présences symboliques pour commenter l’action qui se joue. Dans notre version d’Arturo Ui, les bouffons, grâce à leurs spécificités (développées plus haut), viennent donner vie à cette vision particulière du théâtre avec, en plus, leur univers original. crépuscule, G. Grosz, 1922 «Distancier, c’est transformer la chose qu’on veut faire comprendre, sur laquelle on veut attirer l’attention, de chose banale, connue, immédiatement donnée, en une chose particulière, insolite, inattendue. Pour passer d’une chose connue à la connaissance de cette chose, il faut la tirer hors de sa normalité et rompre avec l’habitude que nous avons de considérer qu’elle se passe de commentaire» Bertolt Brecht. jules Sergi, journaliste bien informé et bien entouré «Pour Brecht, la scène raconte, la salle juge, la scène est épique, la salle est tragique. Or c’est cela la définition même du grand théâtre populaire.» Roland Barthes (Essais critiques) 17 profil d’une mise-en-scène Hindsborough, père et fils enquête complémentaire -1ère pièce apportée au dossier : pourquoi monter arturo Ui ? préméditations la justice en déroute La réponse principale est d’une banalité déconcertante : parce que ce texte est, malheureusement, criant d’actualité. De plus, je ne connais pas de texte de théâtre qui démonte de manière aussi limpide les mécanismes de l’accession au pouvoir d’un tyran (on se rappellera que Brecht écrit ici une parabole à peine maquillée de la montée au pouvoir d’Hitler dans les années 30). En faisant d’une histoire vraie une fable pour la scène, Brecht caricature, transpose et donc simplifie un processus complexe pour en faire sortir une vérité accessible au plus grand nombre. Le processus est le suivant : prenez un égocentrique qui ne supporte pas ses origines modestes, les vit comme une humiliation permanente et qui décide donc de se venger de ce monde en prouvant à tous qu’il peut en devenir le maître absolu. Mettez à proximité des hommes d’affaire lâches et véreux qui veulent passer pour d’honnêtes citoyens et dont la seule préoccupation est d’augmenter par n’importe quel moyen leur influence et leurs gains. Notre homme s’engouffre dans la brèche grâce au chantage. En parallèle, il commandite en secret des attentats auprès de ces hommes d’affaires et de leurs clients. Il ne lui reste plus ensuite qu’à offrir son aide moyennant finance pour qu’il stoppe ces attentats. 18 Non seulement il est perçu comme un sauveur, mais il s’enrichit ; et comme la puissance en ce monde est celle de l’argent, il devient doublement puissant. Créer le besoin pour venir ensuite le combler, nous faire croire à la terreur pour venir ensuite nous en sauver, c’est un système qui a encore eu de beaux jours depuis Hitler et pas seulement dans le domaine politique. Le type de Intrigue, james Ensor M. Dollfoot et sa future veuve société dans lequel nous vivons où la publicité est censée être le miroir de notre réalité, où la télévision est censée être l’endroit où la vérité prend sa source, ce type de société donc, n’est pas là pour arranger les choses. Pour accéder au pouvoir il faut des complices. Certains sont des complices directs : ils aident le tyran grâce à leur sympathie pour lui où à leur activité quotidienne. D’autres sont des complices indirects qui le soutiennent grâce à leur inertie. Ce sont également la lâcheté, la passivité inconsciente et l’indignation tardive qui jouent en sa faveur. J’ai donc voulu montrer à nos contemporains cette fable, sous la forme d’un divertissement où la caricature va bon train, comme le veut Brecht ou comme le jeu des bouffons l’impose. Mais si l’on commence le spectacle en présence évidente d’un miroir déformant, la mise au point va se faire petit à petit pour finir sur une image très nette : notre propre image. Je ne veux pas d’un théâtre pédagogique. Suis-je irréprochable pour donner des leçons ? Cependant je me sentirais vraiment coupable de ne pas partager avec les autres ce que je sais ou ce que j’ai pu comprendre. Je veux le faire de manière ludique et empirique. Par cette forme de spectacle empruntée aux bouffons comme à Brecht, je veux, comme le voulait ce dernier, donner aux spectateurs une piste pour accéder à la réflexion et donc à l’autonomie et à la responsabilité. Brecht se servait du théâtre comme une tribune. A l’heure de la télévision toute puissante, instrument de manipulation et d’endormissement des foules, que le théâtre soit le média du réveil des consciences - et quel qu’en soit leur nombre dérisoire ! masque du valais (traditionnel-Tschäggätä) masque de carnaval de Bâle masque de carnaval de Bâle 19 -2ème pièce apportée au dossier : à quoi ça ressemble ? reconstitution Quand le public est là, ils ne peuvent s’empêcher de retrouver leurs vieilles habitudes de jeu. Ils conversent avec le public, se disputent tel ou tel rôle, commentent tout. Aujourd’hui, ils ont décidé de représenter une pièce qui leur tient à cœur : La Résistible Ascension d’Arturo Ui. les ruines ne sont plus sûres Sur le plateau, comme dans le recoin abandonné d’un parc citadin, il y a une estrade aux rideaux et décors en lambeaux, vestiges surannés d’une époque où le spectacle battait son plein. A côté de cette estrade, gisent les restes délabrés d’une roulotte, et puis des planches, un tonneau vide, un brasero, de vieilles malles... C’est au milieu dans cet espace que vit une troupe de cinq bouffons avec leurs habitudes, leurs rituels, leurs affrontements. Cette pièce contient plus de trente personnages. Tour à tour ils vont leur donner vie en se masquant, en prêtant leur voix à des marionnettes. Masques et marionnettes sont également inspirés de l’univers des bouffons, puisque ce sont leurs créations : mêmes silhouettes exubérantes, mêmes traits exagérés, on pourra leur trouver des ressemblances avec les masques de Bâle et du Valais, avec les masques catalans, les personnages des illustrations de John Tenniel (célèbre illustrateur d’Alice aux Pays des Merveilles); ils pourraient sortir d’un tableau de James Ensor, Georges Grosz ou Otto Dix. De tant à autres, les souvenirs de cabarets clandestins remontent à la surface et ils nous chantent une partie de leur histoire, comme les coryphées du choeur antique. N’ayant plus aucun instrument en état, c’est avec des restes de ceux-ci et avec l’aide de tout ce qui peut émettre un son qu’ils accompagnent certaines de leurs actions. Mais ils mettent tout en oeuvre pour que réussisse leur représentation, que leurs propos ne laissent personne indifférent. C’est un choeur qui va conclure le spectacle, en en énonçant l’idée essentielle, histoire que les bouffons soient sûrs d’avoir été compris par le public avant de regagner leur antre. Patrick Rabier 20 fiche technique • Espace scénique minimal : ouverture : 10m profondeur : 9m hauteur : 4m • Temps : montage : 8h spectacle : 2h démontage : 2h • Matériel lumière : (adaptations envisageables) puissance électrique : 380V triphasé, 125A/phase alims : 36x3Kw pupitre : 48 circuits, 2 prépa + mémoires 8 PC 2Kw 18 PC 1Kw 26 PAR64, 1Kw, CP61 7 découpes 1Kw, type 614 2 découpes 1Kw, type 613 2 horiziodes 1Kw prix 5000 € net Arturo Ui après sa leçon de maintien défraiements : tarifs en vigueur 21 Mme Dollfoot au bout du fil la taupe layla Benabid leur Q.G. Sam Harkand & cie Théâtre Marie-Jeanne 56, rue Berlioz 13006 Marseille tel : 04 96 12 62 91 portable : 06 64 36 87 50 fax : 04 96 12 62 94 mail : [email protected] blog : http://mangiafuoco.hautetfort.com 22 ils l’ont vu ! ils l’ont programmé ! L’oeil de Moscou aux aguets Richard Martin Théâtre Axel Toursky (Marseille) Estelle Torrents, Janine Sobrero Théâtre François Mitterrand (Allauch) Sylvia Hernandez Maison du Peuple (Gardanne) Yves Reboul Festival Theâtre “Côté Cour” (Salon de Provence) Henri Moati Théâtre de la Calade (Arles) Anne-Marie Franon Mairie de St Raphaël André Neyton Théâtre Comoedia (Toulon) Les Estivades Festival de Cucuron-Vaugines Benjamin Moutomé Espace Culturel de Taverny (95) Leïla Benhabylès Théâtre Simone Signoret (Conflans-Ste-Honorine 78) Valérie Bournet-Car, Philippe Car Cartoun Sardines Théâtre (Marseille) Jean-François Maurier Cie du Crik (Taverny) Hélène Devaux Cie de l’Arcane (Marseille) Christian Rauth Comédien, Metteur en scène, Scénariste, Producteur (Paris) 23 ils sont repérés ! 24 25 26 27 28 29