562 Fiscalité et fêtes de fin d`année

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562 Fiscalité et fêtes de fin d`année
Étude
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Fiscalité et fêtes de fin d’année
Franck Le Mentec,
avocat associé, Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral
Victoria Alvarez,
docteur en droit,
avocat à la cour, LightHouse LHLF
Renaud Roquebert,
avocat à la cour,
associé gérant, LightHouse LHLF
Maxime Buchet,
avocat associé, Melot & Buchet Avocats
Nicolas Melot,
maître de conférences,
avocat associé, Melot & Buchet Avocats
Introduction
1 - Après de longs mois de dur labeur, le fiscaliste a, lui aussi, droit
en cette fin d’année à quelques moments de détente. Le repos du
fiscaliste est cependant connu pour être singulier. Toujours aux
aguets,généralement peu sportif,le fiscaliste ne trouvera pas,en principe, meilleure relaxation que la lecture au coin du feu de ses revues
fiscales favorites, foisonnantes, reflets du dynamisme perpétuel –
mais quelque peu éprouvant – de sa matière.
C’est pourquoi, en cette seconde quinzaine de décembre, nous
avons souhaité dresser un bref panorama des questions fiscales qui
vous seront nécessairement posées. À titre d’exemple, même si vous
êtes reconnu comme éminent spécialiste des prix de transfert, il est
très probable que, comme chaque année, une tante éloignée ou un
cousin proche, vous interroge sur le traitement fiscal des cadeaux
d’entreprises (1) ou des présents de fin d’année (2). Quelle déception
pourrait alors être perçue chez votre interlocuteur, si vous, le fiscaliste
de la lignée, restiez sans voix. Cette saison offre également l’opportunité de mêler TVA et chocolat (3).
Cet article est enfin l’occasion de pouvoir aborder un thème important, et pourtant à ce jour délaissé par la doctrine fiscale internationale, qui est celui du statut fiscal du Père Noël (4).
Nous remercions nos camarades de « jeu » qui ont bien voulu
nous prêter leur concours, et M. Thomas Jacquemont qui a accepté
de nous ouvrir les colonnes de la Revue de droit fiscal.
Franck Le Mentec
1. Les cadeaux d’entreprise
2 - S’instituer Père Noel n’est pas chose aisée et notre chère administration fiscale a bien compris qu’il y avait là un domaine protégé,
voire un monopole, qu’elle s’attache par quelques règles draconiennes à faire respecter.
Si les cadeaux ne sont pas étrangers aux entreprises, encore faut-il
qu’elles démontrent qu’ils n’en sont pas réellement ou, en tout cas,
que l’intérêt pointe son nez là où le désintérêt existe en principe. Le
désintérêt n’intéresse en effet pas l’actionnaire minoritaire de toute
entreprise qu’est l’État collecteur d’impôt.
Vis-à-vis de ses salariés, l’entreprise peut se substituer au Père
Noël en leur octroyant primes et avantages de toutes sortes. De tels
présents seront déductibles des résultats de l’entreprise si ces largesses
ne présentent pas un caractère excessif au regard de la rémunération
des heureux bénéficiaires. Ces derniers n’échapperont cependant pas
à toute imposition dans la mesure où ces cadeaux seront analysés
comme un avantage en nature. Tel est le principe rappelé par le ministre à M. Joël Le Theule, éminent député UNR, qui avait souhaité
savoir si une entreprise pouvait offrir une 2 CV à l’un ses cadres pour
récompenser ses quinze ans de services. La réponse fut explicite : c’est
un revenu imposable 1. Gageons qu’aujourd’hui la réponse serait
identique compte tenu de la difficulté qu’il y a à trouver une 2 CV en
bon état.
Seule limite à cette règle, la modicité d’un cadeau qui ne dépasserait pas 152 € pour 2012. Mais c’est déjà une très belle boite de
chocolat !
Vis-à-vis des tiers, le cadeau d’affaires, s’il est une pratique habituelle et appréciée par leurs bénéficiaires, n’est pas moins strictement
apprécié par l’Administration au plan fiscal.
En matière de fiscalité indirecte, l’appréciation est rigoureuse. Pas
de cadeau pour les cadeaux, sauf pour ceux dont le montant total
annuel par bénéficiaire n’excède pas 65 € TTC, frais de port et d’emballage compris. Pour ceux-ci, l’entreprise peut bénéficier de la déduction de la TVA sur leur achat. Pour les autres, l’entreprise prendra
à sa charge la TVA sur l’achat,à l’exception néanmoins des présentoirs
publicitaires ou des échantillons commerciaux. En effet, concernant
les présentoirs publicitaires, la TVA est déductible si leur valeur unitaire est inférieure à 110 € TTC, sauf si l’entreprise met simplement
1. Rép. min. n° 1823 à M. Joël Le Theule : JOAN Q 8 juin 1963, p. 3272 n° 1823 ;
BOCD 1963-II-2320.
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les présentoirs en dépôt auprès de ses détaillants en les maintenant à
l’actif de son bilan, auquel cas la TVA est déductible sans limitation.
Concernant les échantillons commerciaux comportant la mention
« vente interdite » ou les spécimens spécifiés « spécimen », la taxe est
déductible quelle que soit leur valeur. Toutefois, en matière de TVA, la
règle d’interdiction de récupération est si bien faite qu’elle ne vise que
les biens meubles corporels et non les prestations de services. Ainsi
offrir une dispendieuse boite de chocolat d’un chocolatier renommé
fera souffrir de la TVA alors qu’un bon d’achat dans une enseigne
rendra la TVA neutre.
En matière de fiscalité directe, il existe plus de subjectivité dans
l’appréciation des cadeaux qui peuvent prendre la forme de repas,
d’invitation à un spectacle ou à un voyage. Pour être déductibles, les
cadeaux doivent être « intéressés ». Le bénéficiaire ne doit pas croire
au Père Noël : l’entreprise attend un retour de sa part et devra le
démontrer. En cas de contrôle, elle doit en effet être en mesure de
prouver l’intérêt du cadeau, son caractère raisonnable et la liste des
heureux bénéficiaires, qui seront contrôlés voire imposés selon la
nature de ce cadeau. La générosité n’est pas de mise s’il n’est pas
possible de prouver sa volonté d’être avide de bénéfices : voilà qui
anéantit toute vocation de développer une « Père Noël attitude ».
Il ne faut enfin pas oublier l’hypothèse où une entreprise qui, suite
à une année au cours de laquelle elle a été scrupuleuse, a respecté
l’ensemble des règles qui s’imposent à elle et a traité correctement ses
salariés, ses clients et ses fournisseurs, reçoit un beau cadeau. Ce cadeau, au pied de son sapin, devra être immanquablement partagé
avec le Trésor puisqu’il lui faudra l’inclure dans son résultat imposable. Ainsi, s’il est vrai que les cadeaux récompensent la gentillesse et
la sagesse, l’administration fiscale, qui profite de ceux reçus par les
contribuables, semble en faire toujours preuve...
Nicolas Melot et Maxime Buchet
2. Les présents d’usage
3 - Les fêtes de fin d’année sont parfois propices à la transmission,
en principe des plus anciens aux plus jeunes. Le plus souvent, il s’agit
de transmissions modestes, ne permettant finalement au plus jeune
que d’obtenir un remboursement des billets de trains préalablement
acquittés pour se rendre au lieu des festivités. De temps à autre, au
rythme des années bissextiles, l’on peut rencontrer des transmissions
plus significatives, vous conduisant, lorsque vous en êtes les bénéficiaires, à considérer que, malgré tout, vous avez vraiment bien fait de
vous déplacer. Quel traitement réserver à ces donations ?
Une distinction est à opérer en la matière entre les dons manuels
taxables et les présents d’usage.
Le présent d’usage, dès lors qu’il respecte certaines conditions,
échappe aux droits de donation. Sur le plan civil, l’opération est irrévocable et ne sera pas prise en compte lors du règlement de la succession du donateur.
Pour qu’un don puisse être qualifié de présent d’usage, il convient
tout d’abord de démontrer l’existence d’un usage consistant à faire
des cadeaux à certaines occasions, telles des fiançailles, des anniversaires, des fêtes, etc. (C. civ., art. 852) 2. La valeur du présent ne doit en
outre pas être hors de proportion avec les ressources du donateur. À
titre d’illustration, le don par un père de famille à sa fille, à l’occasion
du mariage de celle-ci, d’une collection d’aquarelles d’une valeur de
10 500 € a été reconnu comme relevant du cadeau d’usage, car celuici était modeste par rapport au patrimoine du donateur 3. La valeur
du cadeau à prendre en compte est celle que celui-ci a au moment où il
est fait. Quelques années plus tard, les fameuses aquarelles avaient été
revendues plus de 800 000 €...
Dans une autre espèce, il a été jugé que la remise de chèques par la
donatrice à ses deux enfants à l’occasion des fêtes de Noël (100 000 F à
chacun d’eux et pour leurs enfants respectifs) pouvait être qualifiée
de présent d’usage. Cette somme de 200 000 F n’a pas été considérée
comme excessive compte tenu de la situation de fortune de la donatrice qui était de 8 200 000 F 4. À titre de règle pratique, la Cour de
cassation apparaît retenir une limite de 2,5 % du revenu annuel du
donateur pour la qualification de présent d’usage. Au-delà, il s’agira
d’une donation soumise aux droits de mutation à titre gratuit.
En la matière, le droit de reprise de l’administration fiscale peut
être exercé jusqu’au 31 décembre de la sixième année qui suit ce fait
générateur.
Franck Le Mentec
3. TVA et chocolat : une législation
indigeste
4 - Contrairement à sa consommation, la fiscalité du chocolat
n’apporte pas que du plaisir. Difficile de ne pas gâcher les fêtes de fin
d’année en explorant l’illogique imbrication des règles de taux de
TVA applicables à cet aliment. Nous prenons le risque cependant...
Le chocolat 5 est l’un des rares produits alimentaires qui
échappent à l’application du taux réduit de TVA de 5,5 % (sont également concernés par cette exclusion les produits de confiserie,les margarines et graisses végétales et le caviar). Toutefois, de nombreuses
exceptions concernant le chocolat existent – chocolat de ménage au
lait, bonbons de chocolat, fèves de cacao et beurre de cacao. L’administration fiscale, par de multiples instructions, a dû expliquer le sens
de ces dispositions, en première lecture contradictoires. La situation
au regard des produits composés est encore plus difficile à appréhender. Ajoutons enfin la situation où le chocolat soumis au taux normal
de 19,6 % (par exemple, le chocolat blanc ou au lait) est servi dans le
cadre d’un service de restauration soumis au taux de 7 % (V. CGI,
art. 279, m).
Cette complexité n’est pas nouvelle. Le chocolat est officiellement
introduit en 1615 par Anne d’Autriche, fille du roi Philippe III d’Espagne, quand elle épouse Louis XIII. L’État français s’empare du négoce du cacao et s’en adjuge le monopole en 1681. En 1692, Louis XIV
le taxe lourdement pour financer l’effort de guerre.C’est Napoléon III
qui inclut le chocolat dans les denrées de grande consommation dont
il proclame le dégrèvement fiscal. Cette évolution mouvementée reflète le fait que, fiscalement, le chocolat n’est pas un produit comme
les autres.
5 - La situation en Europe. – La directive TVA n° 2006/112/CE
permet aux États membres d’appliquer le taux réduit sur les denrées
alimentaires destinées à la consommation humaine et les ingrédients
normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées
alimentaires 6. En application de ces dispositions, les principaux pays
producteurs de chocolat ont saisi la possibilité d’alléger la fiscalité sur
ce produit. Ainsi, le taux est de 6 % en Belgique 7, de 7 % en Alle-
4.
5.
2. V. également BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10, § 250, 12 sept. 2012.
3. V. Cass. 1re civ., 10 mai 1995, n° 93-15187 : Bull. civ. 1995, I, n° 197 ; JCP G
1995, IV, n° 1619 ; D. 1996, p. 262, note R. Tendler ; Defrénois 1996, n° 21,
p. 1279, note J. Bernard de Saint-Affrique ; RTD civ. 1995, p. 662, obs.
J. Pattarin ; JCP G 1996, I, 3968, n° 7, obs. R. Le Guidec. – V. également, M.
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6.
7.
Fourriques, Ingénierie juridique et fiscale : le présent d’usage est toujours
d’actualité : Dr. et patrimoine 2008, n° 173, p. 38 et s.
CA Paris, 1re ch. B, 11 avr. 2002, Mme Dalloz-Furet et M. Gautier : JurisData
n° 2002-178548 ; Dr. fisc. 2002, n° 2, comm. 619 ; Dr. famille 2002,
comm. 123, comm. F. Douet ; JCP N 2002, n° 51-52, p. 1792 et 1793.
Plus précisément, les chocolats et tous les produits composés contenant du
chocolat ou du cacao, selon les termes de l’article 278-0 bis, A, 1, b du CGI.
V. l’article 98, 2 et 1 de l’annexe III à la directive.
V. l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970 fixant les taux de la TVA et
déterminant la répartition des biens et des services selon ces taux. Sont
soumis au taux réduit le cacao en fèves, en masse ou en pain (pâtes de cacao)
Étude
magne, de 10 % en Italie 8 et de 12 % en Espagne. En application de
l’article 110 de la directive précitée, le Royaume-Uni taxe certains
produits chocolatés à 0 % ; toutefois, le chocolat de manière générique fait partie des produits très élaborés soumis au taux normal de
20 % 9.
La plupart des législations européennes ne tiennent pas compte,
au niveau de la loi fiscale stricto sensu, de l’uniformisation apportée
par la directive n° 2000/36/CE du Parlement européen et du Conseil
du 23 juin 2000, relative aux produits de cacao et de chocolat destinés
à l’alimentation humaine. Cette directive 10 fournit des dénominations très claires des produits issus du cacao, comme le beurre de
cacao, le cacao et le chocolat en poudre, le chocolat à proprement
parler, le chocolat au lait, le chocolat de ménage au lait, le chocolat
blanc, fourré, le chocolate a la taza et familiar a la taza, le bonbon ou
praline.
On pourrait dès lors songer à une législation fiscale soumettant au
taux intermédiaire de TVA « les produits de cacao et de chocolat destinés à l’alimentation humaine ».La situation en France est loin d’être
aussi simple.
6 - La situation en France. – Le taux de TVA différencié entre les
produits alimentaires et le chocolat et la confiserie date de la loi du
6 janvier 1966 11, qui soumettait au taux intermédiaire de 6 % le chocolat à croquer et à cuire en tablettes, les fèves de cacao et le beurre de
cacao.
Ces dispositions ont évolué jusqu’à l’actuel article 278-0 bis,A,1,b
du CGI, dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 2006 12.
L’Administration est intervenue à de nombreuses reprises pour tenter d’apporter quelques éclaircissements à ce texte, avec des résultats
mitigés 13.
Il est impossible d’apporter une logique aux différences de taux, si
ce n’est purement financière et historique. Pour n’évoquer qu’un
exemple, seront soumis au taux normal les tablettes ou moulages de
chocolat blanc ou au lait, sauf s’ils sont présentés sous forme de bonbons de la taille d’une bouchée (maximum 5 cm ou 20 grammes). Les
moulages non garnis seront soumis au taux de 5,5 % s’ils sont élaborés en chocolat noir et au taux de 19,6 % s’ils sont élaborés en chocolat
au lait ou blanc. Si le moulage est préparé à base de chocolat blanc ou
au lait (soumis au taux de 19,6 %) et qu’il est garni de fritures de
différents chocolats (soumises au taux de 5,5 %), le taux de 19,6 %
s’appliquera à l’ensemble si la ventilation est impossible.
Cette complexité extrême a été source de contentieux. Citons par
exemple le litige autour du statut des « napolitains » au regard du
régime applicable aux « chocolats composés » ne comportant pas
exclusivement du chocolat et échappant à l’application du taux réduit. En l’espèce, la Compagnie française de chocolaterie et de confiou en poudre, le beurre de cacao, le chocolat et les autres préparations
alimentaires contenant du cacao.
8. V. n° 63 et 64 du Tableau A Partie III du Decreto del Presidente della
Repubblica 26 ottobre 1972 n° 633 et ses modifications.
9. V. Comm. UE : VAT rates applied in the Member States of the EU, 1er juill.
2012, p. 14. – V. également la notice 701/14 Food, HMRC, oct. 2011.
10. Transposée en France par le décret n° 2003-702 du 29 juillet 2003.
11. L. n° 66-10 portant réforme des taxes sur le chiffre d’affaires, 6 janv. 1966,
art. 13 : JO 7 janv. 1966, p. 163.
12. L. n° 2005-1719, 30 déc. 2005, art. 32 : Dr. fisc. 2006, n° 1-2, comm. 46,
commentée par Instr. 16 mars 2006 : BOI 3 C-2-06 ; Dr. fisc. 2006, n° 13,
instr. 13516.
13. V. notamment, Doc. adm. 3 C-2112, 30 mars 2001. – Instr. Douanes 12 août
1977 : DA n° 77-452 ; BOD 3539. – Rép. secrét. d’État au budget n° 25384 à
M. Jodier, n° 25601 à M. Foy, n° 28488 à M. Souvet et n° 28556 à M. Vallet :
JO Sénat Q, 18 janv. 2001, p. 153 et s. ; Dr. fisc. 2001, n° 5, act. 100025. – Instr.
28 janv. 2005 : BOI 3 C-1-05 (supprimé) ; Dr. fisc. 2005, n° 7, instr. 13276. –
BOI 3 C-2-06, préc. – Rép. min. éco., fin. et ind. n° 9242 à M. Gélard : JO Sénat
Q, 12 févr. 2004, p. 364 ; Dr. fisc. 2004, n° 11, act. 43. – Rép. min. n° 26890 à
M. Schneider : JOAN 17 févr. 2004, p. 1228.
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serie soutenait que le chocolat de couverture,caractérisé par une forte
teneur en beurre de cacao, constitue une catégorie particulière de
chocolat et non un produit distinct de celui-ci. Le tribunal administratif de Strasbourg a accueilli cette interprétation, considérant que
les tablettes dites « napolitains » répondaient à la composition générique du chocolat, malgré une teneur plus importante en beurre de
cacao 14.
La doctrine étend également l’application du taux réduit à la
confiserie composée de chocolat du type « M&M’s » ou « Smarties ».
7 - La nécessaire simplification du régime. – Compte tenu de la
casuistique exposée ci-dessus,la conformité du régime actuel au droit
constitutionnel pourrait selon nous être remise en question sur le
fondement de l’inintelligibilité de la loi et de l’atteinte au principe
d’égalité devant celle-ci, qui pourrait résulter d’une incohérence
entre le but recherché par le législateur – santé publique ? Pénalisation des produits de luxe ? – et les moyens mis en œuvre pour les
atteindre.
Le Conseil constitutionnel a en effet rappelé que l’égalité devant la
loi 15 et la garantie des droits 16 ne seraient pas effectives si les citoyens
ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des règles qui leur
sont applicables et si ces règles présentaient une complexité excessive
au regard de l’aptitude de leurs destinataires à en mesurer utilement la
portée 17.
Des motifs d’intérêt général pourraient-ils justifier une telle
complexité ? De tels motifs doivent s’apprécier en fonction du but
recherché par le législateur. L’assimilation quelque peu aléatoire du
chocolat à des produits comme le caviar ou les graisses végétales 18
pourrait poser des problèmes du point de vue de la cohérence du
dispositif au regard du but poursuivi par le législateur : le régime de
taxation du chocolat n’est en effet aujourd’hui plus justifiable par la
fiscalité aggravée réservée aux produits de luxe (alors que la truffe et le
foie gras sont taxés au taux réduit 19 ou par un effet nuisible sur la
santé 20.
Pour les fêtes de fin d’année, truffe, foie gras et chocolat : même
combat !
Victoria Alvarez et Renaud Roquebert
14. TA Strasbourg, 2e ch., 21 avr. 1998, n° 94-1426, Cie française de chocolaterie et
de confiserie : Dr. fisc. 1998, n° 42, comm. 903.
15. Article 5 de la Déclaration de 1789.
16. Article 16 de la Déclaration de 1789.
17. V. Cons. const., déc. 29 déc. 2005, n° 2005-530 DC, Loi de finances pour 2006 :
Rec. Cons. const. 2005, p. 168, consid. 77 ; RJF 3/2006, n° 290. – V. notamment, V. Alvarez, Le principe constitutionnel d’égalité. Études fiscales comparées : thèse, 14 déc. 2012, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, en cours de
publication.
18. V. notamment, Cons. const., déc. 29 avr. 2011, n° 2010-121 QPC, Sté Unilever
France. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel n’a pas pris en
compte les changements de circonstances qui ont pu intervenir depuis que
la différence de traitement a été instituée par la loi de finances pour 1961
entre les opérations portant sur les margarines et graisses végétales et celles
portant sur les corps gras alimentaires d’origine laitière, et qui a été retenue
à l’origine par la volonté de favoriser la production laitière.
19. Combinaison des articles 278 et 278-0 bis, 1° du CGI.
20. Le rapport d’information du Sénat n° 353 consacré au taux réduit de TVA
des produits de chocolaterie (12 juin 1997) souligne en effet que « l’argument de santé publique n’est certainement pas pertinent en l’occurrence.
Une consommation excessive de chocolat ou de confiseries est certes
susceptible d’avoir des effets dommageables. Mais cela est aussi vrai de la
plupart des aliments bénéficiant du taux réduit de 5,5 %. À l’inverse, par sa
teneur en magnésium et en vitamines diverses, le chocolat possède des
vertus stimulantes et antidépressives reconnues qui pourraient tout aussi
bien, dans une stricte perspective de santé publique, le rendre justiciable du
taux super-réduit de 2,1 % réservé aux médicaments ».
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4. Le statut fiscal du Père Noël
8 - Étonnamment, il n’existe que très peu d’écrits sur le statut fiscal du Père Noël. On peut trouver quelques courts développements
dans la littérature américaine. La doctrine française a quant à elle
totalement ignoré ce thème. Plusieurs hypothèses peuvent être
émises pour comprendre cette absence d’investigations : point de
texte spécifique, inexistence d’une jurisprudence française ou étrangère en la matière, intérêts pratiques limités. Toutefois, selon nous,
cette absence d’études approfondies ne trouve son fondement que
dans la crainte de mesures de rétorsion que pourrait prendre le sujet
analysé à l’endroit de l’auteur peu prudent. Les conclusions auxquelles nous arrivons ci-après conduisent en effet à considérer que le
principal intéressé exerce bien en France une activité taxable, de manière parfaitement régulière et récurrente, sans pour autant, selon les
informations non officielles que nous avons pu obtenir de l’Administration, s’acquitter des contributions fiscales correspondantes. Nous
avons cependant décidé de ne pas plier devant ces possibles retombées négatives. Peu généreux, nous ne serions finalement que peu
impacté.
Nos commentaires ci-dessous ne prétendent bien entendu pas à
l’exhaustivité. Il ne s’agit ici que d’évoquer les principales problématiques fiscales soulevées par l’exercice de cette activité atypique.
9 - Détermination de la résidence fiscale du Père Noël. – Le lieu
de résidence du Père Noël est controversé. Selon les Norvégiens, il se
situerait à Drobak, à 5 km au sud d’Oslo. Pour les Suédois, il réside à
Gesunda, au nord-ouest de Stockholm, et, pour les Danois au Groenland. Les Américains ont quant à eux considéré qu’il demeurait au
pôle Nord. Les Finlandais ont finalement décrété que le Père Noël ne
pouvait pas y vivre, car il lui fallait nourrir ses rennes. Sa résidence fut
donc fixée en Laponie, à Rovaniemi, au Santa Clause Village. Peu
d’informations fiables sont en revanche disponibles sur la composition précise de son foyer : est-il célibataire, marié, divorcé ou titulaire
d’un contrat de partenariat civil ?
10 - Caractérisation d’un établissement stable en France. – À
titre de rappel, depuis décembre 1962, soit cinquante ans cette année,
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le Père Noël dispose d’un service client, situé dans le bureau de poste
de Libourne. On se souvient que la première carte-réponse envoyée
était illustrée par René Chag et comportait un texte écrit par Françoise Dolto, sœur du ministre des PTT de l’époque, Jacques Marette.
Le Père Noël sait ainsi s’entourer de personnalités qualifiées pour
promouvoir son activité et créer le happening. En 2008, plus d’1,6
million de courriers (dont 1,4 millions de lettres et 200 000 courriers
électroniques) ont été traités. Il dispose ainsi d’une équipe, installée
sur place de manière permanente, dédiée au traitement des courriers
et commandes reçus. Cette activité semble aller bien au-delà de celle
qui pourrait être assignée à un simple bureau de représentation. La
caractérisation d’un établissement stable apparaît patente.
11 - Amortissement des rennes.– En cas d’inscription des rennes
au bilan fiscal français, ceux-ci devraient en principe pouvoir être
amortis, conformément à l’article 38 sexdecies D, II de l’annexe III au
CGI. Celui-ci prévoit que, dans le cadre de la détermination des bénéfices agricoles relevant du régime réel, les équidés et bovidés utilisés
comme animaux de trait peuvent être considérés comme des immobilisations amortissables.Cette règle a,selon nous,vocation à pouvoir
être étendue aux rennes. Une décision de rescrit pourra le cas échéant
être sollicitée sur cette question.Cependant,la durée de vie ou d’usage
des dix rennes (Tornade,Danseur,Furie,Fringant,Comète,Cupidon,
Tonnerre, Éclair, Rodolphe – à la fameuse truffe rouge –, et Alatar)
n’apparaît pas aisée à déterminer.
12 - Père Noël et TVA. – En cas de facturation de la prestation, la
première question est celle de sa qualification : est-ce une simple prestation de transport, une livraison de bien ou une prestation
d’intermédiation ? Malgré nos recherches approfondies, nous
n’avons trouvé trace de termes contractuels clairs en la matière. Quoi
qu’il en soit, nous comprenons qu’aucune déclaration d’échanges de
biens ou de services n’a à ce jour été déposée à ce titre.La question de la
qualification de la prestation est également essentielle en ce qu’elle
guidera son traitement juridique et comptable.
Franck Le Mentec
Mots-Clés : Fêtes de fin d’année - Fiscalité