Chapitre 2: Individus et cultures. I. Comment devenons nous des

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Chapitre 2: Individus et cultures. I. Comment devenons nous des
Chapitre 2: Individus et cultures.
I. Comment devenons nous des acteurs sociaux ?
A. La culture : approche de la notion.
Doc 1. Doc 2.
Lorsqu´on étudie les sociétés humaines, on constate qu´un certain nombre de comportements sont invariants. Ces
comportements sont donc déterminés par des lois naturelles. Par exemple, il s´agit du fait que les hommes, quelle que soit
la région où ils habitent, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent, ont besoin de se nourrir, de dormir, se déplacent
en marchant, etc.
Cependant, lorsqu´on observe différents groupes sociaux, on se rend compte que ces différentes fonctions naturelles
s´opèrent de façons différentes. Dans chaque groupe, les habitudes sont si bien ancrées qu´elles paraissent être naturelles.
Pourtant l´existence des différences constatées montre que ces comportement sont façonnés par la culture.
Ainsi, une partie de nos habitudes semble être le résultat d´un apprentissage. Cet apprentissage n´est pas forcément
explicite. Il s´agit souvent d´un simple processus d´imitation. L´ensemble de ce processus s´appelle la socialisation.
B. Les agents de la socialisation.
De nombreuses institutions sociales participent au processus de socialisation. Ces institutions ont pour fonction de
montrer aux individus quelles sont les normes de comportement et les valeurs en usage dans la société. Les normes sont
des comportement concrets observés dans un groupe social déterminé. Les valeurs sont des notions abstraites qui
désignent dans un groupe la différence entre le bien et le mal.
Parmi ces groupes, nous avons essentiellement la famille mais aussi l´école. N´oublions pas d´autres institutions sociales
comme les médias et les groupes de pairs.
Doc 4 p 103. Doc 2 p 102.
C. Les socialisations différenciées au sein de la société.
Doc 3 p 103. Doc 2 p 106.
Doc 4 p 107.
La socialisation ne véhicule pas exactement les mêmes valeurs à tous les individus. Ceci s´explique par le fait que les
individus appartiennent à des groupes différents. Par exemple, on observe une socialisation spécifique selon le sexe des
individus. Cette socialisation différenciée s´opère pourtant au sein d´une même famille. D´autres différences s´expliquent
par l´appartenance de chaque famille à un groupe social possédant des valeurs qui lui sont propres (bourgeoisie, milieu
populaire, intelligentsia).
II. Les pratiques culturelles des français.
Pour définir les pratiques culturelles, on peut dire qu´il s´agit des pratiques de consommation de biens ou de services
culturels. On compte parmi ces activités la lecture, les visites de musées, les sorties au théatre, aux concerts, au cinéma,
l´achat de disques... Certains sociologues estiment qu´il faut cependant adopter une définition plus large englobant la
pratique de la photographie, le fait de regarder la télévision, etc.
A. Constats statistiques.
Doc 1 p 112.
Si on analyse les statistiques fournies par le ministère de la culture à ce sujet, on voit qu´il existe des pratiques très
différentes selon la catégorie sociale à laquelle on appartient. Les personnes possédant un haut niveau de qualification
(cadres) se tournent vers des pratiques plus légitimes en ce sens qu´elles correspondent aux savoirs enseignés à l´école,
tandis que d´autres catégories possédant un niveau de qualification inférieur (ouvriers) ont des pratiques considérées
comme plus légères, moins légitimes (télévision).
B. Explications.
Doc 3. Doc 4. Doc 2 p 112.
P. Bourdieu est le premier sociologue français à s´être intéressé à ce type de phénomène. Pour lui, il existe des formes de
hiérarchie dans la société et elles ne se limitent pas aux différences de revenu. Certains individus et groupes sociaux se
caractérisent par la possession d´un capital culturel. Il s´agit de toutes les aptitudes qui permettent de maîtriser certaines
œuvres d´art considérées comme légitimes. Ces capacités englobent non seulement la culture générale, mais aussi le
langage, et des types de comportement à adopter dans certaines situations (visite de musées, spectacles). Les individus
possédant ce capital culturel se distinguent donc de façon purement symboliques par leurs pratiques culturelles (théatre,
musée, musique classique).
Certains auteurs contemporains essaient de nuancer la position de P. Bourdieu. Pour B. Lahire, même s´il existe
effectivement une hiérarchie des pratiques culturelles les plus légitimes, tous les individus n´ont pas d´habitudes
déterminées. Ils peuvent mélanger des pratiques considérées comme nobles à des activités plus légères.
Doc 5.
D´autres auteurs enfin insistent sur le fait que les différences de pratiques n´obéissent pas qu´à des critères de classe
sociale. Les jeunes, par exemple, constituent un groupe très spécifique, particulièrement tourné vers l´utilisation des
nouvelles technologies de l´information et de la communication (internet).
Document 1.
J´étais malade à New York. Je me demandais où j'avais déjà vu des demoiselles marchant comme mes infirmières. J'avais
le temps d'y réf1échir. Je trouvai enfin que c'était au cinéma. Revenu en France, je remarquai, surtout à Paris, la fréquence
de cette démarche: les jeunes filles étaient françaises et elles marchaient aussi de cette façon. En fait, les modes de marche
américaine, grâce au cinéma, commençaient à arriver chez nous. [...]
Sur la course, j'ai vu aussi, vous avez tous vu, le changement de la technique. Songez que mon professeur de
gymnastique, sorti un des meilleurs de Joinville, vers 1860, m'a appris à courir les poings au corps: mouvement
complètement contradictoire à tous les mouvements de la course ; il a fallu que je voie les coureurs professionnels de
1890 pour comprendre qu'il fallait courir autrement.
Tout ceci se rattache facilement à un certain nombre d'autres faits. Dans un livre d'Elsdon Best, parvenu ici en 1925, se
trouve un document remarquable sur la façon de marcher de la femme maori (NouvelleZélande). [...] «Les femmes indigènes adoptent un certain gait (le mot anglais est délicieux): à savoir un balancement détaché et cependant articulé des
hanches qui nous semble disgracieux, mais qui est extrêmement admiré par les Maoris. Les mères dressaient (l'auteur dit
«drill») leurs filles dans cette façon de faire qui s' appelle l'onioi. [...] C'était une façon acquise et non pas une façon
naturelle de marcher. En somme, il n' existe peut -être pas de «façon naturelle» chez l' adulte. À plus forte raison lorsque
d'autres faits techniques interviennent: pour ce qui est de nous, le fait que nous marchons avec des souliers transforme la
position de nos pieds: quand nous marchons sans souliers, nous le sentons bien.
Marcel Mauss, Sociologie et Anthropologie, PUF, coll. Quadrige, 1985.
Document 2.
Le sommeil est un autre plaisir auquel on s'adonne très volontiers. C'est là une des formes d'art les plus accomplies au
Japon. Les Japonais dorment complètement détendus, dans n'importe quelle position et dans des circonstances que nous
considérerons comme tout à fait incompatibles avec le sommeil. Ce trait a surpris nombre d 'Occidentaux spécialisés dans
l'étude du Japon. Pour les Américains, l'insomnie est presquc synonyme de tension psychique et, selon nos critères, il
existe des tensions extrêmes dans le caractère des Japonais. Pourtant, c'est pour eux un jeu d'enfant que de bien dormir. Ils
vont au lit de bonne heure, et il est difficile de trouver un comportement équivalent dans une autre nation orientale. Tous
endormis peu après la tombée de la nuit, les villageois n'appliquent pourtant pas notre maxime en vertu de laquelle il faut
reconstituer de l'énergie pour le lendemain, parce qu´au Japon, on ne se livre pas à ce genre de calculs. Un Occidental qui
connaissait bien les Japonais a écrit : "Quand on va au Japon, on doit cesser de croire que c'est un impératif que de se
préparer au travail du lendemain en dormant et en se reposant la nuit. Il faut isoler lc sommeil des questions de
récupération, de repos et de régéneration». Les Américains ont l'habitude de classer l'acte de dormir parmi les choses que
l'on fait pour conserver sa force et, pour la plupart d'entre nous, la première pensée au réveil est de nous demander
combien d'heures nous avons dormi au cours de la nuit qui vient de s'écouler. La duréc de notre sommeil nous indique
quelles seront notre énergie et notre efficacité dans la journée qui va suivre. Les Japonais, eux, dorment pour d'autres raisons. Ils aiment dormir et s'endorment avec plaisir quand rien ne les en empêche.
De même, ils peuvent sacrifier impitoyablement leur sommeil. Un étudiant qui prépare ses examens travaille nuit et jour,
sans que lui vienne une seconde à l'esprit l'idée que le sommeil serait pour lui un atout. Dans la formation des soldats, on
présente le sommeil comme une simple concession à la discipline. Le colonel Harold Doud, qui fut détaché auprès de
l'armée japonaise de 1934 à 1935, raconte une conversation qu'i1 eut avec un certain capitainc Teshima. « Au cours de
manœuvres qui se déroulaient en temps de paix, il arriva par deux fois
que les troupes restent trois jours et deux nuits sans dormir, mis à part le sommeil qu´elles pouvaient grappiller pendant
des haltes de dix minutes et de courts répits durant les opérations. Parfois, les hommes dormaient en marchant. Notre
sous-lieutenant amusa beaucoup lorsque, profondément endormi, il alla droit dans un tas de bois disposé au bord de la
route. » « Quand on eut enfin levé 1e camp, on ne laissa pas davantage la moindre possibilité de dormir à quiconque ; tout
le monde était affecté aux avant-postes ou à une patrouille.» « Mais pourquoi ne pas en laisser dormir quelques-uns?»
demandai-je. « Oh! non, me répondit-il. Ce n'est pas nécessaire. Ils savent dejà comment on dort. En revanche, ils ont
besoin de s'entraîner à rester éveillés. » Voilà qui résume bien le point de vue des Japonais.
Ruth Benedict « Le Chrysantème et le sabre », Ed. Picquier Roche, 1995.
Doc 3.
Il peut paraître évident que ceux qui boivent du champagne ont plus de chance que les buveurs de gros rouge d'avoir des
meubles anciens, de pratiquer le golf, de fréquenter musées et théâtres. P. Bourdieu montre qu'au-delà des simples effets
de revenu, toutes ces pratiques révèlent des systèmes de représentations propres à des groupes sociaux, de leur position
relative et de leur volonté de se situer dans une échelle de pouvoir. La Distinction est donc une entreprise de
déconstruction de l'idée reçue selon laquelle « les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas ». S'appuyant sur un énorme
et minutieux travail d'enquête, P. Bourdieu met à jour les mécanismes sociaux de construction du jugement.
L'accès à certaines pratiques culturelles (théâtre, musée, galerie) est inégal selon les classes sociales. Il y a une opposition
entre, d'une part, une esthétique populaire fondée sur la continuité de l'art et de la vie (en matière de cinéma, le public
populaire préfère le vraisemblable, le happy end), et, d'autre part, le rapport à l'art des classes supérieures qui s'opère sur
le mode de la distanciation, de l'aisance, de la lecture au second degré. Derrière la disposition esthétique distanciée du
bourgeois, il y a tout un ensemble de codes et de discours qu'il maîtrise grâce à la familiarisation insensible au sein du
milieu social et que l'école renforce. De leur côté, les plus démunis de compétences et de codes, appliquent à l'art les
schémas qui structurent leur perception de l'existence ordinaire. Alors que les plus diplômés rejettent comme « cucus » les
photographies de première communion, les classes populaires réagissent négativement à l'égard de photographies
esthétisantes. Il existe des domaines culturels nobles (musique classique, peinture, sculpture, littérature, théâtre) et des
pratiques en voie de légitimation (cinéma, photo, chanson...).
On retrouve les mêmes principes en observant les pratiques sportives. Les sports populaires (football, rugby, boxe)
consacrent la force, l'esprit de sacrifice. Les sports des classes moyennes et supérieures (golf, yachting, équitation,
escrime) privilégient l'ampleur, la distance. Ils se font seul ou avec des partenaires choisis.
Philippe Cabin N° Spécial N° 1 – 2002. L'Oeuvre de Pierre Bourdieu
Doc 4.
C'est une spécificité hexagonale : en France, l'interrogation scientifique sur les pratiques culturelles a été depuis bientôt
trente ans dominée par la question des inégalités de classe. La raison principale est sans doute la publication, en 1979 et
au terme de toute une série de travaux empiriques, du maître ouvrage de Pierre Bourdieu, La Distinction, qui a dressé un
cadre théorique très solide pour analyser les liens entre la culture et le social.
L'ouvrage de Bernard Lahire, La Culture des individus1, a été de ce point de vue une étape importante. A partir de
données statistiques, d'entretiens et d'observation ethnographique, le sociologue a voulu amender sans l'invalider la
théorie de la légitimité proposée par P. Bourdieu. Ce que B. Lahire met à mal, c'est avant tout la correspondance entre
hiérarchie sociale et hiérarchie des pratiques. Il montre par exemple, chiffres à l'appui, que certaines pratiques très
légitimes ne sont en fait pratiquées que par une minorité au sein même des classes supérieures. De même, seule une
minorité (7,8 %) des membres des classes supérieures est « consonante », c'est-à-dire n'a que des pratiques légitimes, la
grande majorité faisant se côtoyer pratiques légitimes et peu légitimes (voir le tableau p. 40). Le constat vaut également
pour le reste de la population, puisqu'on ne trouve que 21,7 % de profils consonants, que ce soit en haut ou en bas de
l'échelle sociale...
Pour expliquer comment peut s'opérer ce mélange des genres à l'intérieur même des individus, B. Lahire met en avant
toute une série de phénomènes. La variété des instances de socialisation, par exemple. Loin de n'être soumis, comme chez
P. Bourdieu, qu'à l'action uniforme de l'école et du milieu familial, les individus contemporains sont soumis à des
influences diverses et parfois contradictoires : famille et école, certes, mais aussi médias, groupes de pairs et amis,
conjoint...
B. Lahire note également, chez les mieux dotés culturellement, un « besoin de participation sans complication à des
choses ordinaires », dû à un manque de temps libre, à des vies professionnelles stressantes. Ce besoin de relâchement
peut les conduire à rechercher des pratiques (télévision, cinéma) « faciles », dont ils reconnaissent qu'elles sont parfois «
nulles » ou « débiles », mais qui permettent de se « détendre », de « ne pas se prendre la tête », de « décompresser ».
Cette consommation de culture distrayante est favorisée par le fait que les médias (télévision, radio, Internet) créent les
conditions nouvelles d'une consommation privée, dans l'intimité des foyers, qui « a fait chuter considérablement le degré
de honte culturelle ressentie et ouvert à des publics a priori plus rétifs (de par leur haute formation scolaire) les voies de
la consommation de produits commerciaux et "grand public" ».
1. B. Lahire, La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, La Découverte, 2004.
Xavier Molénat, Sciences Humaines, Mensuel N° 170 - Avril 2006
Doc 5.
Un chiffre résume tout : en 1997, date de la dernière enquête sur les pratiques culturelles, seul 1 % des Français étaient
connectés à Internet. Autant dire que l’on s’attendait à ce que les résultats de l’édition 2008 de cette enquête, récurrente
depuis 1973, présentent un paysage culturel chamboulé par le boom du numérique. Et ça n’a pas manqué. Les deux tiers
des foyers français possèdent désormais un ordinateur (22 % en 1997), et plus de la moitié d’entre eux sont connectés à
Internet. L’équipement, voire le multiéquipement (24 % des ménages français possèdent plusieurs ordinateurs), en
appareils audiovisuels a considérablement progressé : lecteur DVD, téléphone portable (85 % des Français), appareil
photo numérique (57 %), consoles de jeux (42 %), lecteur MP3 (40 %), home cinema (16 %)… Les possibilités de
consommation, de stockage et d’échanges de produits culturels se sont considérablement élargies.
Cet équipement massif du foyer ne semble pourtant pas s’être fait au détriment des sorties. 68 % des Français continuent
de préférer « les loisirs qui les amènent à sortir de chez eux »1. Ils sont autant (69 %) à déclarer sortir le soir une fois par
semaine ou plus. On retrouve ici la logique du cumul qui, selon Olivier Donnat, « est toujours plus ou moins la règle en
matière de loisirs » : de même que culture et tourisme ou sport vont de pair, ce sont les personnes les plus portées vers les
sorties nocturnes, et qui fréquentent le plus les équipements culturels qui ont à leur disposition le plus d’appareils
audiovisuels, notamment nomades.
Question équipements culturels, justement, c’est en revanche le calme plat. Comme en 1997, plus de la moitié des
Français ont une fréquentation nulle ou exceptionnelle des bibliothèques, des lieux de spectacle vivant, des lieux
d’exposition ou de patrimoine. Seul progrès : les salles de cinéma, qui ont gagné du public chez les seniors et les milieux
populaires. 33 % des Français s’y rendent désormais de une à cinq fois par an (27 % en 1997). Pour le reste, la
fréquentation des équipements culturels subit la « pesanteur sociologique » des hiérarchies socioprofessionnelles.
Si la position sociale reste toujours un facteur primordial, il faut aussi le croiser avec le genre et surtout la génération. Car
si « la révolution numérique n’a pas chamboulé la structure générale des pratiques culturelles », elle laisse entrevoir
l’ampleur des changements en cours au sein des nouvelles générations, plongées dans une « culture d’écran » (télévision,
ordinateur) au détriment de la culture de l’imprimé (livres, presse). Or, « la nature générationnelle de la plupart des
évolutions aujourd’hui à l’œuvre rend probable leur renforcement au cours des années à venir ». Rendez-vous lors de la
prochaine édition de l’enquête « Pratiques culturelles » pour en savoir plus.
1. Les Pratiques culturelles des Français à l'ère numérique. Enquête 2008 Olivier Donnat, La Découverte, 2009.
Xavier Molénat Sciences Humaines Grands Dossiers N° 18 - mars-avril-mai 2010