Evaluation des capacités langagières pragmatiques
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Evaluation des capacités langagières pragmatiques
PRE-PRINT Dardier, V., Bernicot, J., Goumi. A. & Ornon, C. (2012). Evaluation des capacités langagières pragmatiques et vieillissement. In P. Allain, G. Aubin & D. Le Gall (Eds.) Cognition Sociale et Neuropsychologie, p.283-304. Marseille : Editions Solal. Evaluation des capacités langagières pragmatiques et vieillissement Virginie Dardier (Université de Rennes 2), Josie Bernicot & Antonine Goumi (Université de Poitiers-CNRS), Claudie Ornon (Pôle de Gériatrie du CHU de Poitiers) 1. Introduction Le vieillissement des populations dans les sociétés industrialisées pose de nouvelles questions pour les sciences humaines et les neurosciences. Le vieillissement cognitif, englobant toutes les grandes fonctions humaines, est ainsi devenu l’une des thématiques de recherches importantes en psychologie. L’allongement de la durée de vie oblige à relever rapidement le défi de l’évaluation psychologique des personnes âgées, période où les tests, particulièrement en langue française, sont très peu nombreux. Nous allons présenter un outil, en cours de création, permettant d’évaluer les aspects pragmatiques (ou sociaux) du langage et étalonné sur une population non pathologique de 60 à 90 ans (PRAGMA Test). L’ouvrage de synthèse sur le vieillissement de Lemaire et Bherer (2005) met en lumière que les travaux se sont focalisés sur la mémoire, les ressources de traitement, l’attention et la résolution de problèmes. Les données concernant le langage sont réduites aux scores verbaux des tests d’intelligence : « Les scores aux tests multi-factoriels diminuent aussi avec l’âge. Toutefois, les scores aux épreuves verbales diminuent moins que les scores aux épreuves non verbales. Les épreuves verbales font davantage appel aux connaissances accumulées au cours de la vie et les épreuves non verbales évaluent les ressources de traitement » (p. 66). Compte tenu de l’importance du langage pour la compréhension du monde, la communication interindividuelle et la compréhension des processus cognitifs impliqués dans d’autres fonctions comme la mémoire et l’attention, il nous semble important d’aller au-delà de ce constat. Depuis une ou deux décennies, les travaux réalisés en pragmatique dans le domaine de la conversation, du langage indirect ou non littéral, avec des personnes ayant des lésions cérébrales frontales ou droites (Dardier, 2004) ont apportés des résultats intéressants : ces 1 personnes n’ont pas de troubles majeurs des aspects formels du langage (caractéristiques des lésions gauches et de l’aphasie) mais des troubles, plus ou moins importants, des aspects pragmatiques du langage qui jouent un rôle majeur pour l’adaptation sociale dans la vie quotidienne mais qui restent peu évalués et pourtant : Les difficultés dans la vie quotidienne devraient constituer une cible privilégiée de l’examen neuropsychologique » (p.9) Juillerat Van der Linden, Aubin, Le Gall et Van der Linden (2008). Notre objectif est d’établir des normes (ou des repères) sur une large période (30 ans) avec une méthodologie précise : nous allons travailler avec des personnes sans pathologie mais dont le fonctionnement cérébral, compte tenu des modifications anatomiques, physiologiques et neurochimiques, ne va pas être le même à 60 et à 90 ans en terme de dynamique entre les deux hémisphères ou entre les différentes zones cérébrales1. A un niveau général, les théories explicatives du vieillissement portent essentiellement sur le ralentissement du traitement de l’information (Lemaire & Bherer, 2005). Au niveau plus particulier des aspects pragmatiques du langage, on replacera la question dans le cadre des travaux théoriques et empiriques réalisés dans ce domaine. On s’appuiera sur les travaux originels portant sur les différents âges de la vie, chez l’adulte (Austin, 1962 ; Bernicot, Trognon, Guidetti, & Musiol, 2002; Bernicot, Veneziano, Musiol & Bert-Erboul, 2010; Grice, 1975 ; Noveck & Sperber, 2004 ; Searle, 1969; Verschueren, 1999), mais aussi sur les travaux développementaux portant sur l’enfant d’âge scolaire (Bernicot, 1992 ; Bernicot, Veneziano, Musiol, & Bert-Erboul, 2010) et le très jeune enfant (Guidetti, 2003 ; Marcos, 2000). Les aspects pragmatiques du langage entretiennent un lien étroit avec le concept de cognition sociale (Beaudichon, 1982 ; Beaudichon & Plumet, 2003 ; Flavell, 1977 ; Oléron, 1981) apparu autour des années 1970 en contrepoids à la toute puissante cognition formelle portée par la théorie piagétienne. La cognition sociale est le champ des savoirs (ou savoirfaire) relatifs aux personnes, aux relations interpersonnelles, aux relations au sein d’un groupe, ou aux relations entre groupes humains. Ces savoirs portent sur les intentions (mobiles, émotions, etc.) qui animent les agents sociaux de façon habituelle ou dans une situation particulière. La cognition sociale joue un rôle important dans la mise en relation des formes du langage avec les situations de communication, mise en relation qui est définitoire de la pragmatique du langage. Les travaux qui ont émergé dans les années 1980-1990 et qui 1 Par exemple, Greenwald et Jerger (2001) font l’hypothèse que la dynamique hémisphère droit/gauche change avec l'âge, avec une diminution de l'intervention relative de l'hémisphère droit, et entraîne donc des difficultés d'interprétation des usages sociaux du langage. 2 ont donné naissance « aux théories de l’esprit » sont aussi en interface avec la pragmatique du langage à travers la question de la connaissance de l’esprit d’autrui et de ses intentions (Thommen & Rimbert, 2005). C’est dans ce cadre de la cognition sociale et de la neuropsychologie que nous allons construire l’outil d’évaluation PRAGMA Test. Notre premier objectif est d’établir des normes sur une population non pathologique âgée de 60 à 90 ans pour un large ensemble de capacités pragmatiques incluant : la conversation, la compréhension du langage indirect (idiomes, demandes) et les connaissances métapragmatiques (capacité à réfléchir explicitement sur le lien langage/situation de communication). Le deuxième objectif est de pouvoir comparer des populations pathologiques à la norme. Parallèlement à l’augmentation de la durée de la vie, les statistiques soulignent un accroissement constant des personnes atteintes par des maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer, démences, etc.) qui doivent être prise en charge. Le PRAGMA Test, en cours de construction, a pour ambition de contribuer à l’évaluation de la communication des personnes âgées et de constituer un outil pour le suivi des difficultés observées dans le domaine de la pragmatique du langage. 2. Historique du projet La construction du PRAGMA Test se situe dans la suite logique de nos travaux menés depuis plus de dix ans dans le domaine de la neuropragmatique. Ces recherches, conduites auprès d’enfants, d’adolescents ou d’adultes cérébrolésés ont apporté un éclairage nouveau sur les troubles de l’usage du langage consécutifs aux lésions hémisphériques droites (Bernicot, Barreau & Gil, 2006 ; Bernicot, Dardier, Fayada et al., 2001) et frontales (Dardier & Bernicot, 2000 ; Dardier, Delaye & Laurent-Vannier, 2003 ; Dardier, Dubois & Fayada, 2006 ; Dardier, Bernicot, Delanoë, et al., 2011). Ces travaux ont également montré que la création de paradigmes expérimentaux originaux pouvait permettre une évaluation plus écologique des compétences pragmatiques et devenir, à terme, des outils pertinents pour l’évaluation du langage en contexte. Notre volonté de construire un nouvel outil d’évaluation des capacités pragmatiques s’est concrétisée en 2006, avec le soutien de l’Université de Poitiers (aide aux projets innovants : « Démonstrateur pour l’évaluation du langage (capacités pragmatiques »)). Ce projet a abouti au dépôt auprès de l'Agence de Protection des Programmes (Bernicot, 2008) d’un Démonstrateur de tests d’évaluation des aspects pragmatiques du langage (D10Prag). Enfin, notre implication dans le Contrat de Plan Etat Région Poitou-Charentes (CPER5, 2007-2011, « Plate-forme et observatoire sur le 3 vieillissement et le handicap »2), nous a conduit à adapter certaines des épreuves du D10PRAG pour construire un outil d’évaluation destiné aux personnes âgées, le PRAGMA Test. Ce travail s’inscrit ici dans une conception du développement « durant la vie entière » qui s’applique au sein de ce projet dans le domaine du vieillissement. 3. Que sait-on des capacités langagières pragmatiques des personnes âgées ? Les travaux portant sur l’étude du langage chez les personnes âgées, ne souffrant pas de pathologies, sont majoritairement consacrés à l’analyse des aspects formels (phonologie, sémantique, syntaxe ; cf. Feyereisen & Hupet, 2002 et Mathey & Postal, 2008). Peu de recherches se sont focalisées sur les capacités langagières pragmatiques. Or, dans ce domaine, il existe un poids important des stéréotypes qui peuvent avoir des conséquences sur les représentations que les interlocuteurs se font des capacités communicationnelles des personnes âgées (Feyereisen & Hupet, 2002) et les conduire à modifier leur discours lorsqu’ils sont en interaction avec elles (par exemple en utilisant un discours directif et infantilisant). En retour, l’attitude d’autrui peut avoir des répercussions sur la volonté de communiquer des personnes âgées (sur leur sentiment de compétence), en accentuant un phénomène de repli sur soi et en majorant leur isolement social (Berrewaerts, Charlot & Hupet, 2002). Croyances ou réalités ? Prenons un premier stéréotype: « les personnes âgées monopolisent les conversations ». Que savons-nous réellement des capacités conversationnelles des personnes âgées ? La conversation constitue une situation de la vie quotidienne qui sollicite diverses capacités pragmatiques, par exemple être capable d’introduire, de développer, de changer de thème de façon adéquate ou encore d’éviter les digressions intempestives (Dardier, 2004). Des données anglophones évoquent les difficultés des personnes âgées à construire un échange équilibré avec leur interlocuteur et soulignent leur tendance à la verbosité (Gold, Andres, Arbuckle et al., 1988 ; Mackenzie, 2000). Cette verbosité est plus ou moins accentuée en fonction des contenus et augmente souvent si la personne aborde des thématiques personnelles. Néanmoins, le discours des personnes âgées peut garder des caractéristiques positives, par exemple il peut être considéré comme étant plus riche, plus intéressant à écouter que celui d’un locuteur plus jeune (James, Burke, Austin et al., 1988). D’autre part, la dynamique de l’échange conversationnel peut aussi être préservée dans le cadre du vieillissement typique. Sur ce point, les résultats de la recherche de Rousseau, de Saint-André et Gatignol (2009), menée auprès de participants francophones ne 2 Des informations détaillées sont fournies dans la section « Collaborations et remerciements ». 4 souffrant pas de pathologies (âgés de 55 à 85 ans) souligne que même à un âge avancé, les personnes âgées peuvent produire des actes de langage adéquats en situation de conversation, c'est-à-dire des énoncés qui permettent une poursuite satisfaisante de l’échange. Ainsi, en fonction des critères d’évaluation utilisés, il est aussi possible de mettre en évidence des difficultés ou à l’inverse la préservation des capacités langagières pragmatiques en situation de conversation dans le cadre du vieillissement typique. Intéressons-nous maintenant à un autre stéréotype : « les personnes âgées ont du mal à comprendre les sous-entendus ». Le vieillissement normal altère-t-il vraiment les capacités de compréhension du langage indirect ? Ici encore, les travaux empiriques restent peu nombreux, concernent rarement des populations âgées de plus de 75 ans, et se focalisent souvent sur la compréhension d’énoncés indirects présentés par écrit et hors contexte conversationnel. Des exemples de travaux récents, consacrés à l’étude des processus cognitifs impliqués dans la compréhension du langage non littéral, soulignent un effet du vieillissement pour les métaphores (Morrone, Declercq, Novella et al., 2010), les proverbes (Uekermann, Thoma & Daum, 2008) et les expressions idiomatiques (Wesbury & Titone, 2011). Selon Qualls et Harris (2003) et Champagne, Seendy et Joanette (2006), il est important de prendre en compte l’effet du type de tâche (charge cognitive, type de consignes, modalité de réponses) pour comprendre précisément le rôle du vieillissement dans la compréhension du langage indirect : certaines tâches sont susceptibles de majorer l’effet de l’âge. Concernant la compréhension d’énoncés indirects en contexte, le travail de Champagne et al. (2006) mené auprès de participants francophones, jeunes adultes et adultes plus âgés (69 ans en moyenne), montre le rôle majeur du niveau de scolarité sur la compréhension des énoncés indirects. L’effet du facteur âge se confond avec celui de la scolarité et ne permet pas de conclure aux conséquences du vieillissement sur la compréhension des énoncés indirects. L’analyse des travaux déjà réalisés montre qu’il est pertinent de poursuivre l’étude des capacités conversationnelles et l’évaluation de la compréhension du langage indirect chez les personnes âgées, en considérant plusieurs limites méthodologiques précédemment évoquées : prise en compte de participants âgés de plus de 75 ans, mesure du niveau d’éducation et de l’efficience intellectuelle, type de tâches et évaluation de la compréhension des énoncés indirects en contexte. Actuellement, en langue française, il existe peu d’outils d’évaluation des capacités langagières pragmatiques pouvant être utilisés auprès des personnes âgées. La majorité est destinée à des publics de patients cérébrolésés et peu d’entre eux sont étalonnés auprès d’un large public âgé de plus de 75 ans. Parmi les tests existants on peut citer le Test Lillois de 5 Communication (Rousseaux, Delacourt, Wyrzykowski & Lefeuvre, 2001), l’Échelle de communication verbale de Bordeaux (Darrigand & Mazaux, 2000), le Test de gestion de l’implicite (Duchenne May-Carle, 2000), le Protocole Montréal d’Évaluation de la communication (Joanette, Ska & Côté, 2004) et enfin la Grille d’évaluation des capacités de communication (Rousseau, 1998) qui est plus spécifique pour l’évaluation des personnes âgées. La construction du PRAGMA Test a été nourrie par l’analyse de ces tests qui comportent des épreuves permettant l’évaluation de certaines capacités pragmatiques en production ou en compréhension du langage. 4. Objectifs du PRAGMA Test Le bilan de nos recherches réalisées auprès de patients cérébrolésés d’âges variés, porteurs de lésions droites et/ou frontales, souligne que les troubles pragmatiques, souvent observés en l’absence de troubles du langage formels, ont des répercussions importantes dans la vie quotidienne des personnes concernées. Or, force est de constater que ces troubles restent finalement peu évalués et rarement pris en charge de façon spécifique. L’objectif général du PRAGMA Test est d’établir des normes de l’évolution des capacités pragmatiques chez des personnes âgées ne souffrant pas de pathologies, sur un large empan d’âge (allant de 60 à 99 ans) pendant lequel le fonctionnement cérébral connait diverses modifications (altération du cortex préfrontal, Tisserand, Van Boxtel, Gronenschild, et al., 2001 ; modification de la coopération interhémisphérique, Greenwald & Jerger , 2001) qui peuvent avoir une incidence sur les possibilités d’analyse et de production du langage en contexte. Les travaux ou les outils d’évaluation précédemment décrits se focalisent souvent sur un aspect de la communication, en production ou en compréhension, mais rarement sur les deux domaines. Notre volonté dans la construction du PRAGMA Test, est de prendre en compte simultanément dans un même outil, les performances des personnes âgées en situation de production et de compréhension du langage. Il s’agit aussi de proposer un outil d’évaluation écologique, car comme le souligne Rousseau et al. (2009), l’évaluation de la communication dans des situations naturelles est indispensable pour rendre compte des possibilités d’adaptation de la personne âgée. Dans les épreuves du PRAGMA Test, le participant est l’un des interlocuteurs d’une situation de communication finalisée (entretien biographique), et le témoin de dialogues produits par deux interlocuteurs dans des situations de vie quotidienne (épreuve de complètement et de jugement d’histoires). Enfin, cette évaluation fine des habiletés pragmatiques au cours du vieillissement normal, constitue également un préalable indispensable à une meilleure compréhension des troubles observés chez des populations 6 vieillissantes souffrant de pathologies, en faisant la distinction entre l’effet de l’âge et l’effet de la maladie sur les habiletés de communication. 5. Présentation du PRAGMA TEST 5.1. Constitution de l’échantillon Le recrutement des participants est réalisé dans le cadre du CPER selon une procédure spécifique. Après avoir été informés des objectifs de l’Observatoire du vieillissement, les participants donnent leur consentement écrit puis répondent à deux questionnaires (portant sur leur mode de vie) envoyés par courrier. Les volontaires participent ensuite à un premier entretien destiné à recueillir des informations biographiques, médicales et neuropsychologiques. Un second entretien est ensuite proposé aux personnes volontaires, qui correspondent à nos critères d’inclusion, pour effectuer l’évaluation des capacités langagières pragmatiques avec une psychologue, membre de notre équipe. Les critères d’inclusion sont les suivants : être âgés de 60 à 99 ans, être de langue maternelle française, avoir un score supérieur à 26 sur 30 au Mini Mental State Evaluation (Folstein, Folstein, & McHugh, 1975), ou supérieur à 27 sur 30 (pour un niveau socio culturel égal à 4), ne pas avoir d’antécédents ou de maladie neurologiques, de déficiences auditives ou visuelles (ou correctement corrigées si elles existent), ni de pathologies psychiatriques. Lors de l’entretien, le niveau socio-culturel des participants est systématiquement relevé (avec une évaluation de 1 à 4 selon les normes proposées par Kalafat, Hugonot-Diener & Poitrenaud, 2003). Le tableau 1 décrit l’échantillon à la date du 1er Novembre 2011. Le nombre de participants est de 66 personnes (32 femmes et 34 hommes), réparties en quatre groupes d’âge. Tableau 1 – Répartition de la population de l’étalonnage selon l’âge et le genre Moy : Moyenne ; MMSE = Mini Mental State Evaluation ; NSC = Niveau Socio culturel Age 60-69 ans Moy MMSE (écart) Moy NSC (écart) 70-79 ans Moy MMSE (écart) Moy NSC (écart) 80-89 ans Moy MMSE (écart) Moy NSC (écart) 90-99 ans Total Femmes 15 Hommes 16 13 13 4 5 0 32 0 34 Total 31 29,29 (26-30) 3,03 (1-4) 26 29,08 (27-30) 2,93 (1-4) 9 29,11 (26-30) 2,67 (1-4) 0 66 7 5.2. Les épreuves Le PRAGMA Test est constitué de différentes épreuves déjà utilisées dans nos recherches antérieures menées auprès de populations de patients cérébrolésés. La passation du test débute par un entretien biographique durant lequel l’examinateur réalise, «on line» de façon très écologique, une évaluation de la compréhension des allusions et des expressions idiomatiques en situation d’échange conversationnel. A la fin de l’entretien, une courte interview sur des thèmes familiers, permet d’évaluer les capacités conversationnelles, à travers le maintien du thème de la conversation. La seconde partie du test est une épreuve de complètement et de jugement d’histoires présentée à partir d’un matériel photographique. Cette épreuve permet d’évaluer la compréhension des directifs et des implicatures conversationnelles (deux subtests issus du logiciel D10PRAG). Elle permet aussi de mettre en évidence les connaissances métapragmatiques à propos des directifs et des implicatures conversationnelles. Le test contient un livret de passation qui permet à l’examinateur de se référer aux procédures des différentes épreuves ainsi qu’un cahier de passation où les réponses du participant sont notées. 5.2.1. L’entretien biographique L’examinateur assis face au participant, débute l’entretien biographique en interrogeant la personne sur son âge, sa date et son lieu de naissance, son niveau scolaire. Il poursuit l’entretien en abordant différents thèmes comme la (les) profession(s), la famille, les enfants, les petits-enfants, les différents lieux d’habitation et enfin sur les activités journalières et la vie quotidienne. Ces questions aident àent initier l’échange et permettent aux interlocuteurs de se familiariser l’un avec l’autre. La durée totale de l’entretien est en moyenne de 15 minutes. 5.2.1.1. Compréhension des allusions pendant l’entretien Les allusions sont des demandes indirectes non conventionnelles (par exemple dire « c’est fade ! » pour signifier « passe moi le sel !»). Leur compréhension implique la prise en compte du contexte conversationnel, et l’inférence de l’action à réaliser et de l’agent qui doit l’accomplir (Bernicot, 1992). Durant l’entretien biographique, l’examinateur doit utiliser au moins deux allusions sous la forme suivante : « Je ne sais pas… » ou « Je ne connais pas… ». Ces énoncés produits dans le contexte de l’entretien signifient « Dites-moi …» et constituent des demandes indirectes d’information de la part de l’examinateur. Ces allusions sont à formuler avec la prosodie de la vie quotidienne. Certains thèmes abordés durant l’entretien 8 permettent l’insertion facile de ces deux allusions (par exemple le lieu de naissance, le lieu de villégiature, ou encore les loisirs). L’examinateur note la réponse du participant dans le cahier de passation. Si la réponse n’est pas jugée optimale par l’examinateur (des exemples de réponses « types » sont fournis dans le livret de passation), il fait une relance en utilisant la formule « c'est-à-dire ? ». Le participant obtient un point à chacune des allusions comprises, on lui attribue ainsi une note allant de 0 à 2 si les deux allusions sont bien comprises sans relance (une note intermédiaire est attribuée si l’allusion est comprise après une relance). Des exemples d’allusions ainsi que des réponses de participants sont proposés dans le tableau 2. Tableau 2 – Allusions : exemples d’échange examinateur-participant Exemple 1 Mme J, 66 ans et 4 mois: j’aime bien les «séries romancières». Examinateur: je ne sais pas ce que c’est… Mme J: Les feuilletons quoi ! Exemple 2 Mme O, 75 ans et 5 mois: je suis née à Soissons. Examinateur: je ne sais pas où c’est… Mme O: c’est dans l’Aisne. Premiers résultats - Il semble que la compréhension des allusions soit très bien préservée pour l’ensemble de nos participants. En effet, nous obtenons actuellement 100% de bonnes réponses, sans relance, à la demande d’information formulée par l’examinateur. 5.2.1.2. Compréhension des expressions idiomatiques pendant l’entretien Les expressions idiomatiques sont des locutions stéréotypées, leur signification est conventionnelle et pas nécessairement déductible à partir des mots qui la compose (Gibbs, 1994 ; Marquer, 1994). Durant l’entretien biographique, l’examinateur doit formuler au moins trois expressions idiomatiques parmi une liste de neuf qui s’insèrent aisément dans les thèmes abordés lors de l’entretien : avoir plusieurs cordes à son arc (pour signifier être polyvalent), avoir la tête dans les nuages (pour signifier être étourdi, non attentif, rêver), passer l’éponge (pour signifier pardonner), mener par le bout du nez (pour signifier influencer de façon excessive), se tourner les pouces (pour signifier ne rien faire d’utile, ne pas travailler), avoir un poil dans la main, avoir les deux pieds dans le même sabot, se laisser marcher sur les pieds, et avoir la tête sur les épaules. Toutes ces expressions sont familières et ont une double interprétation. L’examinateur note la réponse du participant dans le cahier de passation. Si la réponse n’est pas jugée optimale par l’examinateur (des exemples de réponses « types » 9 figurent dans le livret de passation), il doit faire une relance en utilisant la formule « c'est-àdire ? ». Le participant obtient un point à chacune des expressions idiomatiques comprises, on lui attribue ainsi une note allant de 0 à 3 si les trois expressions idiomatiques sont bien comprises sans relance (une note intermédiaire est attribuée si l’idiome est compris après une relance). Les données recueillies montrent une forte diversité des réponses chez les participants. Le codage, en cours de réalisation, permet déjà de distinguer quatre catégories de réponses présentées dans le tableau 3. Notons que nous avons relevé seulement deux cas de non compréhension (catégorie 4) pour 198 expressions idiomatiques formulées au total lors de ces 66 entretiens. Tableau 3 – Expressions idiomatiques : catégories de réponses fournies par les participants Examinateur: …vous avez plusieurs cordes à votre arc? Mr. F, 88 ans et 10 mois: Oui on bricole un peu, 36 métiers, 36 misères! Examinateur: …vous avez plusieurs cordes à votre arc? Mme A, 81 ans et 2 mois: Oui m’enfin j’ai… ça a pas été rémunéré pour la retraite. Enfin bon … Catégorie 1: la signification non littérale de l’idiome est explicitée par le participant. Catégorie 2: la signification non littérale n’est pas explicitée mais l’énoncé est en interface sémantique avec celle-ci. Examinateur: …vous avez plusieurs cordes à votre arc? Catégorie 3 : réponse non Mme G, 69 ans et 11 mois: Non pas vraiment. interprétable. Examinateur: avec vos petits enfants….vous passez Catégorie 4: réponse traduisant la non compréhension de l’énoncé. l’éponge? Mme N, 74 ans 5 mois: L’éponge de quoi? [relance de l’examinateur: « avec vos petits enfants »] oh oui la p’tite oui mais les autres sont grands. 5.2.1.3. Capacité à maintenir le thème de la conversation pendant l’entretien Pour Grice (1975) l’usage qu’un individu fait du langage est fortement dépendant de règles ou maximes conversationnelles. L’interview est, elle aussi, régie par des règles et un principe de coopération spécifique. L’interviewé, interrogé sur un thème précis, doit garder la parole pour exprimer son point de vue sans parler d’autres choses : il doit développer le thème central et le maintenir (Dardier & Bernicot, 2000). Dans le domaine des pathologies du langage, nos précédentes recherches, menées auprès de populations de patients traumatisés crâniens, ont montré la pertinence de l’utilisation de situation d’interview pour saisir les difficultés dans les échanges avec autrui, qui se manifestent notamment par des digressions par rapport au thème central (Bernicot & Dardier, 2001 ; Dardier & Bernicot, 2000 ; Dardier, Bernicot, Delanöe et al., 2011). 10 A la fin de l’entretien biographique, l’examinateur propose aux participants de poursuivre l’échange sur deux thèmes précis. L’examinateur choisit parmi la liste suivante en fonction des intérêts de la personne : programmes de télévision favoris, animaux favoris, chanteurs favoris, plats favoris, cuisine, jardinage, sport. L’objectif de cette interview est d’évaluer la capacité des participants à maintenir la continuité thématique, à éviter les digressions. L’examinateur doit considérer comme étant une digression tout énoncé du participant s’éloignant du thème précis de l’interview. Un exemple de digression est proposé dans le tableau 4 ci-dessous. En suivant les consignes du livret de passation, l’examinateur change de thème après trois digressions et/ou trois relances ou après cinq minutes d’interview si la personne n’a pas digressé. Tableau 4 – Exemple de digression Examinateur: Ah d’accord, et pourquoi vous aimez bien ce sport ? (le golf) Mr. J, 62 ans : (digression): Parce que c’est très technique, très stratégique. Il faut réfléchir, se concentrer, prendre sur soi. C’est un sport un peu ingrat parfois il faut savoir se remettre en cause soi-même. Mais ce qui me plait surtout c’est le cadre. A Maurepas c’est joli. Vous connaissez Maurepas ? C’est magnifique, on est dans la nature, il y a un lac en bas c’est très très beau. C’est un bel endroit… Examinateur (rappel du thème): Que voulez-vous dire quand vous dites que c’est un sport ingrat ? Mr. J, 62 ans (retour au thème): Parce que parfois on a préparé son coup, on s’est entraîné avant, et puis ça ne marche pas. On ne réussit pas. Résultats préliminaires. Les données déjà recueillies (cf. figure 1) montrent que le nombre de digressions reste globalement faible chez nos participants. Les résultats obtenus tendent à montrer une augmentation du nombre de digressions avec l’âge ; cette tendance sera à confirmer lorsque notre échantillon sera complet. 11 1,4 1,2 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 60-69 ans 70-79 ans 80-89 ans Figure 1 - Nombre moyen de digressions en fonction de l’âge (maximum possible=6) 5.2.2. Epreuve de complètement et de jugement d’histoires Après l’entretien biographique, l’examinateur propose au participant de poursuivre l’évaluation avec l’épreuve de complètement et de jugement d’histoires. Cette épreuve est constituée de 24 histoires composées de deux à quatre photographies selon les items. Chaque histoire met en scène deux personnages qui interagissent dans une situation de vie quotidienne. L’examinateur place les photographies sur la table et raconte l’histoire en pointant les différents interlocuteurs. La tâche des participants est de terminer l’histoire en choisissant une photographie parmi plusieurs ou en jugeant la fin de l’histoire comme cohérente ou non avec le début. Dans tous les cas, les participants doivent expliquer leur réponse. Avec les réponses de choix ou de jugement on teste la compréhension des directifs et des implicatures conversationnelles. Avec l’explication des réponses, on teste les connaissances métapagmatiques à propos de ces deux types d’énoncés. Les connaissances métapragmatiques sont définies par les connaissances exprimées explicitement par les individus à propos des relations existant entre les caractéristiques structurales d’un énoncé et les caractéristiques de la situation de production (Bernicot, 1991). Il nous semble important de disposer de deux informations complémentaires: d’une part le comportement qui permet de tester la compréhension de la conversation (action à réaliser, intention de l’autre) et d’autre part l’explication de ce comportement par le participant, qui permet de recueillir les connaissances explicites à propos du fonctionnement des implicatures conversationnelles. Le tableau 5 donne la répartition des différentes catégories d’items avec des exemples. 12 Tableau 5 – Epreuve de complètement et de jugement d’histoires: répartition des catégories d’items avec des exemples Demandes Indirectes conventionnelles prototypiques Demandes Indirectes (jugement de la fin de l’histoire et explication de la réponse) Implicatures (choix de la fin de l’histoire et explication de la réponse) Nombre d’items 4 Exemples Première photographie : Un couple dans un jardin. La femme tient une laisse dans ses mains. L’homme veut que le chien ait une laisse. L’homme dit : « Peux-tu mettre la laisse au chien ? » Seconde photographie : La femme met la laisse au chien. Consigne : « Est-ce que la fin va avec le début de l’histoire ? » (Bonne réponse : Oui) « Pourquoi la fin va avec le début de l’histoire ? » Demandes Indirectes conventionnelles non prototypiques 4 Première photographie : Un arbitre et un joueur pendant un match de football. Le joueur dit : « Pouvez-vous sortir du terrain ? » Seconde photographie : L’arbitre sort du terrain. Consigne : « Est-ce que la fin va avec le début de l’histoire ? » (Bonne réponse : Non) « Pourquoi la fin ne va pas avec le début de l’histoire ? » Demandes Indirectes non conventionnelles (allusions) 8 Première photographie : Un couple dans une cuisine. L’homme dit : « J’étouffe. » Deuxième photographie : La femme ouvre la fenêtre. Troisième photographie : L’homme est satisfait. Consigne : « Est-ce que la fin va avec le début de l’histoire ? » (Bonne réponse : Oui) « Pourquoi la fin va avec le début de l’histoire ? » Implicatures littérales 4 Première photographie : Un couple dans une cuisine. La femme dit : « Est-ce que je vais faire les courses pour le dîner ? » Seconde photographie : L’homme dit : « Le réfrigérateur est totalement vide. » Consigne : « D’après vous, que va-t-il se passer ensuite ? » Troisième photographie : La femme s’assoit dans le canapé. Quatrième photographie : La femme va dans un grand magasin. (Bonne réponse) « Pourquoi la femme va dans un grand magasin ? » Implicature non littérales 4 Première photographie : Un couple dans une bibliothèque. La femme dit : « Est-ce que tu veux de l’aide pour porter ce gros carton ? » Seconde photographie : L’homme dit : « J’ai une force de cheval. » Consigne : « D’après vous, que va-t-il se passer ensuite ? » Troisième photographie : L’homme porte le carton tout seul. (Bonne réponse) Quatrième photographie : L’homme porte le carton avec la femme. « Pourquoi l’homme porte le carton tout seul ? » 13 Afin de faciliter la passation, le texte à lire par l’examinateur est inscrit sur le cahier de passation. Des exemples d’histoires sont proposés avant de débuter l’épreuve. Pour chaque item, l’examinateur note l’ensemble des réponses du participant dans le cahier de passation afin de permettre le codage ultérieur des réponses. Les 24 histoires sont présentées de façon aléatoire, en suivant l’ordre donné dans le manuel de passation. La durée totale de l’épreuve de compréhension et de connaissances métapragmatiques est en moyenne de 30 minutes. 5.2.2.1. La compréhension des directifs En pragmatique, les demandes correspondent à l’acte de langage directif défini par Searle (1969) comme l’acte social par lequel le locuteur tente de faire accomplir quelque chose à l’auditeur. Ces demandes peuvent prendre des formes linguistiques différentes (Bernicot, 1992), par exemple : une forme directe (ordre à l’impératif « ferme la fenêtre ! ») ou une forme indirecte conventionnelle (interrogative de type impératives emboîtées « peux-tu fermer la fenêtre ? ») ou encore une forme indirecte non conventionnelle (allusion « j’ai froid »). Pour cette dernière, la forme linguistique est déclarative et l’action à réaliser et l’agent qui doit l’accomplir ne sont pas mentionnés. Une demande est indirecte lorsque le locuteur « signifie » autre chose que ce qu'il « dit ». Les demandes conventionnelles, qui sur le plan formel appellent des réponses oui/non, dans l’immense majorité des contextes, sont interprétées comme des demandes d’action. Les demandes non conventionnelles correspondent à des énoncés qui ne sont interprétés comme des demandes que dans des contextes bien particuliers. Dans plusieurs recherches menées auprès d’enfants, d’adolescents et d’adultes traumatisés crâniens, nous avons utilisé un paradigme de compréhension de demandes indirectes conventionnelles et non conventionnelles (Dardier, Delaye & LaurentVannier, 2003 ; Dardier, Deleau, Delanoë et al., 2006 ; Dardier, Bernicot, Delanoë et al., 2011). L’usage de ce paradigme a mis en évidence des difficultés dans la compréhension des formes indirectes non conventionnelles de type « allusion ». Des difficultés sont aussi apparues dans la compréhension des demandes indirectes conventionnelles produites dans des contextes non prototypiques. Les contextes prototypiques respectent la condition préparatoire3 ou ne la transgresse pas explicitement (Searle, 1969) : l’auditeur a la possibilité physique de réaliser la demande du locuteur ou l’auditeur occupe une position hiérarchique « inférieure » à celle du locuteur qui « l’oblige » à réaliser l’action demandée. Les contextes non 3 L’auditeur est en mesure d'effectuer l’action et le locuteur pense que c'est le cas. 14 prototypiques ne respectent pas explicitement la condition préparatoire : l’auditeur n’a pas la possibilité physique de réaliser la demande, ou il existe une forte transgression des règles sociales quant au rapport hiérarchique entre les interlocuteurs et la réalisation ou la non réalisation de l’action demandée. Pour les 16 items testant la compréhension des demandes indirectes (cf. tableau 5), la tâche des participants est de juger si la fin proposée (la dernière photographie) est correcte ou non (dans la moitié des cas la bonne réponse est OUI, et dans la moitié des cas la bonne réponse est NON). La consigne est la suivante : « Voici des photographies qui racontent de courtes histoires. A chaque fois, vous me direz si la fin que je vous propose va avec le début de l’histoire et vous m’expliquerez pourquoi ». Le participant obtient un point pour chaque demande comprise, ainsi il peut obtenir une note allant de 0 à 16 pour cette épreuve (demandes indirectes conventionnelles prototypiques, note de 0 à 4 ; demandes indirectes conventionnelles non prototypiques, note de 0 à 4 ; demandes indirectes non conventionnelles, note de 0 à 8) Résultats préliminaires. La compréhension des allusions ne pose pas de difficultés aux participants (100 % de bonnes réponses). Il en est de même pour les demandes indirectes conventionnelles prototypiques. En revanche, nos premiers résultats (cf. figure 2) semblent montrer que la compréhension des demandes indirectes conventionnelles non prototypiques est plus faible que celle des demandes prototypiques, et ce dans tous les groupes d’âge. Cette tendance sera à confirmer lorsque notre échantillon sera complet. Nous retrouvons ici un résultat déjà obtenu auprès d’enfants, d’adolescents cérébrolésés et de participants contrôles (Dardier, Delaye & Laurent-Vannier, 2003 ; Dardier, Deleau, Delanoë et al., 2006). 4 3 Prototypiques 2 Non Prototypiques 1 0 60-69 ans 70-79 ans 80-89 ans Figure 2 - Demandes indirectes conventionnelles prototypiques et non prototypiques : nombre de choix corrects (réponses oui/non) 15 5.2.2.2. La compréhension des implicatures conversationnelles Il arrive qu’un locuteur transgresse « en apparence » l’une des règles conversationnelles inhérente au Principe de Coopération (Grice, 1975). Imaginons l’échange suivant : Jérôme dit à Madeleine « Est-ce que je te sers une autre part de gâteau ? », Madeleine répond « Il faut que je rentre dans mon nouveau pantalon ». Le déclenchement de l’implicature conversationnelle qui permet à Jérôme de conclure que Madeleine ne veut pas de gâteau est lié à la présupposition du respect du Principe de Coopération et à la connaissance qu’il partage avec Madeleine des propriétés du gâteau (le gâteau fait grossir). Dans une recherche antérieure réalisée auprès de patients adultes porteurs de lésions droites, Bernicot, Bareau et Gil (2006) ont montré que ces patients avaient des difficultés pour la compréhension de cette forme de langage indirect. Le matériel du PRAGMA Test constitue une adaptation du paradigme expérimental utilisé dans cette recherche : nous avons adapté les items à notre population et remplacé les dessins par des photographies. Pour les 8 items testant la compréhension des implicatures (cf. tableau 5), la tâche des participants est de choisir la fin de l’histoire parmi deux photographies. L’une, la bonne réponse, correspond à la mise en œuvre de l’implicature; l’autre, la mauvaise réponse, est contradictoire avec la mise en œuvre de l’implicature. La position spatiale (droite/gauche) de la photographie correspondant à la bonne réponse varie de façon aléatoire. La consigne est la suivante : « Voici des photographies qui racontent de courtes histoires. A chaque fois, vous choisirez la fin qui va le mieux avec le début de l’histoire et vous m’expliquerez pourquoi ». Pour tous les items la maxime transgressée est la maxime de relation (« parlez à propos »). Le mode de transgression est littéral ou non littéral (cf. tableau 5). Lorsque le mode de transgression est littéral, le locuteur A pose explicitement une question faisant référence à un champ lexical défini, le locuteur B lui répond explicitement en faisant référence à un autre champ lexical. La rupture est définie par l’écart entre les deux champs lexicaux. Ce sont les connaissances partagées sur le monde des locuteurs qui permettent de rétablir le lien. Lorsque le mode de transgression est non littéral, le locuteur A pose explicitement une question, le locuteur B lui répond explicitement par un énoncé dont la signification littérale ne répond pas à la question. Dans le cas de la rupture métaphorique (cf. exemple du tableau 5), c’est la connaissance du transfert de trait sémantique qui permet d’interpréter l’énoncé. Le participant obtient un point pour chaque implicature comprise, ainsi il peut obtenir une note allant de 0 à 8 pour cette épreuve (implicatures littérales, note de 0 à 4 ; implicatures non littérales, note de 0 à 4) 16 Résultats préliminaires. Les données recueillies semblent indiquer que les implicatures non littérales sont moins bien comprises que les implicatures littérales (cf. figure 3). Là encore, nos données restent à confirmer, néanmoins elles sont cohérentes avec les travaux en pragmatique menés chez l’enfant typique (Bernicot, Laval et Chaminaud, 2007), chez l’adulte lésé droit (Bernicot, Bareau & Gil, 2006) et chez l’adulte typique (Champagne, Virbel, Nespoulous et al., 2003). 4 3 Littérales 2 1 Non littérales 0 60-69 ans 70-79 ans 80-89 ans Figure 3 - Implicatures conversationnelles : nombre de bonnes réponses (maximum=4) 5.2.2.3. L’évaluation des connaissances métapragmatiques Les connaissances métapragmatiques correspondent à la capacité à exprimer verbalement les règles de fonctionnement des aspects sociaux du langage : par exemple être capable de juger du caractère plus ou moins approprié d’un énoncé en fonction du statut des interlocuteurs. C’est l’aspect qui apparaît le dernier dans le développement du langage des enfants (Bernicot, 1991) et qui disparaît le premier en cas de lésions frontales ou de lésions droites (Dardier et al., 2011). Dans nos travaux précédents, nous avons mis en évidence que l’expression des connaissances métapragmatiques est souvent déficitaire chez les patients cérébrolésés ; ainsi ils produisent des justifications fondées sur des éléments périphériques qui témoignent d’une compréhension partielle ou de « surface » des situations de communication (Dardier et al, 2003 ; Dardier et al., 2006 ; Dardier et al., 2011). Pendant l’épreuve de complètement et de jugement d’histoires, afin de pouvoir évaluer les connaissances métapragmatiques, l’examinateur demande systématiquement aux participants de justifier leur choix de réponse à la fin de chacune des 24 histoires (cf. tableau 5). Le codage préliminaire des justifications fournies par nos participants montre qu’il est 17 possible de distinguer trois catégories de justifications (cf. tableau 6). Dans la première catégorie, les participants fournissent une explicitation précise du lien entre l’énoncé et l’action à réaliser. Dans la seconde catégorie, les participants donnent des justifications qui sont, soit relatives à l’énoncé, soit à l’action à réaliser, mais n’expriment pas le lien entre les deux. Enfin une troisième catégorie de réponse regroupe les justifications fondées sur la prise en compte d’indices non pertinents : la répétition de « morceaux » de l’histoire, l’ajout de commentaires non appropriés, la formulation d’hypothèses. Cette dernière catégorie a été peu observée chez les participants de notre échantillon, en revanche elle est fréquente chez les patients cérébrolésés (cf. exemple du tableau 6). Le livret de passation donne des exemples de justifications et de codage : 1 point est attribué pour une justification de type 1 et des notes intermédiaires seront attribuées pour les autres catégories. Tableau 6 – Connaissances métapragmatiques : catégories de réponses fournies par les participants Histoire « gendarme » : demande indirecte conventionnelle prototypique Première photographie : Un gendarme et une automobiliste. Le gendarme dit : « Pouvez-vous sortir de votre voiture ? » Seconde photographie : La femme démarre sa voiture et s’en va. Consigne : « Est-ce que la fin va avec le début de l’histoire ? » (Bonne réponse: Non) « Pourquoi la fin ne va pas avec le début de l’histoire ? » Justification de type 1 Mr JP, 61 ans et 9 mois : « Parce qu’elle doit sortir car il le lui a demandé et c’est un gendarme. » Glose de la demande (« le lui a demandé ») et mise en relation causale (« car ») de l’énoncé et de l’action qui aurait dû être réalisée. De plus, référence à la fonction sociale du locuteur (« c’est un gendarme. »). Justification de type 2 Mr J, 66 ans et 4 mois : « Parce qu’au lieu de sortir elle s’en va. C’est tout. Elle va avoir un P.V. » Expression de l’action qui aurait dû être réalisée mais sans lien avec l’énoncé (sans référence explicite à la demande du gendarme). Justification de type 3 Mr B, Patient traumatisé crânien, 34 ans et 5 mois : « Parce qu’elle est folle-dinguotte votre copine ». Commentaires inadéquat. 6. Conclusions Le PRAGMA Test constituera le premier outil en langue française pour l’évaluation des capacités langagières pragmatiques des personnes âgées en situation de production et de 18 compréhension du langage. La construction de l’étalonnage se poursuivra en 2012 avec l’objectif de constituer un groupe de référence pour les 90/99 ans. L’étude de l’évolution des aspects pragmatiques du langage dans le vieillissement typique constitue un champ de recherche nouveau pour comprendre le développement de la communication tout au long de la vie. L’adoption d’une perspective « life span », permettra de rendre compte des subtilités observées dans les habiletés communicationnelles des personnes âgées, leurs points faibles et leur points forts et permettra ainsi d’éviter le renforcement des stéréotypes et des caricatures liés au vieillissement (Underwood, 2010). L’utilisation de notre test contribuera à affiner, étayer ou interroger les hypothèses diagnostiques issues de la consultation gériatrique. Le PRAGMA Test pourra également être utilisé pour le suivi de l’évolution des troubles de la communication rencontrés dans le cadre d’une maladie neurologique déjà diagnostiquée (effet d’une thérapeutique, aggravation ou stabilisation des troubles, etc.). Enfin, nous l’espérons, le PRAGMA Test sera un outil précieux pour le psychologue et l’orthophoniste dans le cadre de l’accompagnement du patient et de sa famille, afin de mettre en place des stratégies de préservation de l’autonomie cognitive, de conseiller et de soutenir l’aidant principal dans le maintien de la communication avec son proche. Collaborations et remerciements Plusieurs collaborations ont été nécessaires pour mener à bien le projet du PRAGMA Test. Nous adressons nos remerciements aux personnes et aux institutions qui y ont participé. Pour la direction de la Plate-forme et Observatoire sur le vieillissement et le handicap : les Professeurs M. Paccalin, J.L. Houeto et R. Gil (Contrat de Plan Etat Région PoitouCharentes, CPER5, 2007-2011). Pour la collaboration avec l’UFR de Médecine et de Pharmacie : le Professeur P. Ingrand, I. Ingrand (Ingénieur de recherche) et M. Hervaud (Psychologue). Pour les essais : le Centre Communal d’Action Sociale de Poitiers avec R. Faget-Laprie (Déléguée aux Personnes Agées) et V. Jourdain (Directrice du service PA/PH). Pour les passations et l’accès à la population : Mairie de Neuville-de-Poitou, J. Plumet et S. Belkadi (Psychologues). Nous adressons nos remerciements aux habitants de Neuvillede-Poitou pour leur participation. 19 Références bibliographiques Austin, J.L. (1962). How to do things with words. Cambridge, Massachusetts: Harvard University Press. Traduction française, (1969, 1970). Quand dire c’est faire. Paris : Editions du seuil. Beaudichon, J. (1982). 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