Conserver son grain pour bien le commercialiser
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Conserver son grain pour bien le commercialiser
DOSSIER Conserver son grain pour bien le commercialiser ÉTIENNE DUPUIS Sécher et bien conserver ses grains s’avèrent des solutions efficaces pour éviter que leur valeur ne s’évapore. Ces deux techniques sont bien connues, mais souvent trop négligées Nicolas Saint-Pierre par les producteurs. La Ferme Éloïse, d’Alma, dispose d’un séchoir en continu. W illiam Van Tassel cultive du blé, de l’orge, du canola et du maïs-grain sur 400 hectares à Hébertville, dans la région du Lac-Saint-Jean. S’il ne séchait pas ses grains lorsqu’il a débuté en agriculture en 1980, il a vite compris les vertus d’une telle opération. Depuis cette époque, le séchage et la conservation des grains se sont répandus dans le milieu agricole. Selon plusieurs, on doit tout de même 10 GRANDES CULTURES GCLP_2014-10-08_010-017 10 constamment rappeler les bienfaits de telles techniques. « Sécher son grain, c’est une clé pour sa commercialisation, lance William Van Tassel sans détour. Quand le grain est trop humide dans le silo, il peut pourrir et se dégrader. » Celui qui est également vice-président de la Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec (FPCCQ) explique qu’un grain sec se conserve beaucoup plus longtemps. Même son de cloche chez Nicolas Saint-Pierre, agronome et enseignant au Collège d’Alma, qui soutient que le séchage est d’autant plus important que la tendance est à la récolte plus humide. « Battre dans de telles conditions aide à conserver les propriétés du grain, avance-t-il. Ça signifie toutefois qu’il faut sécher plus longtemps. » Il ajoute que battre ses champs plus tôt, OCTOBRE 2014 2014-09-23 10:17 Le séchoir est contenu dans un bâtiment pour limiter les pertes d’énergie. lorsque les taux d’humidité sont plus élevés, permet d’éviter la contamination à la fusariose. Pour l’agronome, la ventilation du grain se compare à un investissement. « Quand je place de l’argent à la banque, je veux qu’il profite. C’est la même chose avec mon grain, illustre-t-il. Si je l’entrepose dans un silo, c’est pour pouvoir le vendre plus tard lorsque le prix sera meilleur. » Si la qualité du grain ne respecte pas les critères des acheteurs ou si le producteur doit effectuer un séchage supplémentaire, il essuiera des pertes, poursuit le professeur. LES VERTUS DU SÉCHAGE William Van Tassel effectue le séchage de son grain depuis le début des années 1990. Il croit cependant que trop peu de producteurs font comme lui au LacSaint-Jean. « C’est un gros besoin dans mon coin », estime-t-il en mentionnant toutefois que la culture du grain est plus récente dans cette région. Selon M. Saint-Pierre, le séchage est moins utilisé au pays des bleuets parce que la production de maïs est moins importante. « Le maïs doit être récolté idéalement à un taux d’humidité inférieur à 28 %, souligne-t-il. On doit l’abaisser à moins de 15 %. Pour cette culture, on n’a pas le choix; il faut sécher pour contrôler l’humidité. » Dans le cas des céréales, un simple conditionnement avec un ventilateur suffit souvent pour abaisser le taux d’humidité, toujours d’après l’agronome. S’il n’est pas nécessaire de se procurer un séchoir dernier cri, il est cependant préférable de posséder une petite unité chauffante pour les récoltes froides et humides de l’automne. NOUVELLES TECHNOLOGIES Depuis un an, le propriétaire de la Ferme Van Tassel Grandes cultures utilise la technologie Top Dry, de GSI, pour sécher son maïs-grain. Cet équipement au propane intégré à un silo sèche le grain en hauteur où il est retenu. Une fois chauffé et sec, le grain tombe au plancher où il est refroidi par l’action du ventilateur. Le vent produit par celui-ci fait également remonter la chaleur, qui retraverse la masse de grains. Une certaine partie de la chaleur dégagée est ainsi récupérée. Les compagnies de séchoirs tentent de plus en plus de fabriquer des modèles qui récupèrent la chaleur pour limiter les coûts du propane, fait remarquer Nicolas SaintPierre. Bien que le nombre de producteurs qui utilisent la biomasse augmente, il croit que le propane demeure la meilleure option en matière de rendement énergétique pour le séchage. Dans l’optique de diminuer les coûts en carburant, certains agriculteurs utilisent l’aération sèche. « C’est une technique qui ne requiert aucune chaleur », dévoile Nicolas Saint-Pierre. Il s’agit simplement de laisser reposer le grain pour permettre à l’eau à l’intérieur du grain de migrer vers l’extérieur. Le ressuyage du grain nécessite Nicolas Saint-Pierre Nicolas Saint-Pierre DOSSIER Ce ventilateur axial est reconnu pour fournir un bon débit d’air, selon l’agronome Nicolas Saint-Pierre. cependant une période de 8 à 12 h. Lorsque le repos de celui-ci est terminé, une ventilation doit être effectuée pour évaporer l’eau à la surface du grain. « C’est une technique plus longue, mais plus économique, avise l’expert. Elle nécessite par contre beaucoup d’infrastructures. » Pour réussir à fournir en grains un séchoir, un producteur doit compter sur deux à trois cellules où il assure l’aération. Puis, une fois que le séchage est fait, il doit pouvoir entreposer le grain sec dans d’autres silos. Une autre technique de séchage a fait son apparition dans les fermes du Québec. C’est le cas du séchage à haute vélocité (pressure cure), une technologie développée aux États-Unis. « Le séchage se fait uniquement grâce à la projection de l’air ambiant à grande vitesse, affirme M. SaintPierre. En entrant en contact avec le ventilateur à haute vélocité, l’air se réchauffe et assèche le grain. » Quelques producteurs d’ici ont adopté cette technique qui n’est pas tout à fait au point pour les régions du Québec. Les taux d’humidité sont souvent beaucoup plus hauts dans le grain produit dans la Belle Province que dans celui des États-Unis. AU-DELÀ DU SÉCHAGE, LA CONSERVATION « Le séchage, c’est bien connu au Québec, mais il faut constamment en rappeler les grands principes, avise M. SaintPierre. Depuis quelques années, par contre, GRANDES CULTURES GCLP_2014-10-08_010-017 11 OCTOBRE 2014 11 2014-09-30 09:35 DOSSIER Un outil pour aider les producteurs Nicolas Saint-Pierre Le réseau Innovagrains, qui vise à regrouper les expertises scientifiques et technologiques du secteur du grain, vient de produire une affiche qui rappelle les grands principes de la conservation des grains aux producteurs, note l’agronome Nicolas SaintPierre. Il explique qu’un guide sur le sujet est également en production présentement pour aider les agriculteurs à ventiler efficacement leurs grains. Les élévateurs maximisent le déplacement des grains entre les différents silos d’un plan de séchage ou d’entreposage, explique l’enseignant au Collège d’Alma, Nicolas Saint-Pierre. je remarque qu’on a délaissé le côté conservation pour se consacrer à la production. » La conservation devient pourtant un enjeu primordial avec la construction de plus en plus grande de centres de grains à la ferme et la volonté des agriculteurs de commercialiser eux-mêmes leurs grains, estime l’enseignant. Nicolas Saint-Pierre insiste sur l’importance pour les producteurs de développer une bonne technique pour contrôler l’humi- TAUX D’HUMIDITÉ RECOMMANDÉS Type de grain Récolte Entreposage 14-18 % 13-14 % Canola 10-13 % 8-10 % Maïs 20-28 % 12,5 %- 15 % Soya < 18 % 13-14 % Avoine Blé Orge 12 GRANDES CULTURES GCLP_2014-10-08_010-017 12 dité du grain dans leur silo. Pour lui, ça passe par trois étapes de ventilation. « D’abord, dès la mise en silo, il faut refroidir la masse de grains », mentionne-t-il. Une fois le grain refroidi, le deuxième stade débute. « On doit conditionner le grain pour abaisser son taux d’humidité progressivement jusqu’à ce qu’il atteigne un seuil de stabilisation et une température de conservation entre 0 et 5 °C », explique l’agronome. Lorsque la masse atteint les conditions désirées, dernière étape du processus, le maintien s’amorce. Il s’agit alors de s’assurer que le contenu du silo reste stable. Pour M. Saint-Pierre, cette étape contribue à garder la masse de grains dans des conditions optimales en attendant leur livraison ou le début d’un nouveau cycle de ventilation. « Un cycle de ventilation, c’est le temps que ça prend pour uniformiser une masse de grains, expose-t-il. Entre les cycles, j’effectue du maintien pour être certain que le grain ne se mettra pas à chauffer et à se dénaturer. » La gestion des ventilateurs peut se faire par automate, fait remarquer M. Saint-Pierre. Mais comme ces systèmes sont coûteux, plusieurs agriculteurs la font manuellement. « Il faut exécuter un nouveau cycle de ventilation quand l’écart de température entre le grain à l’intérieur et à l’extérieur de la masse diffère de 5 à 8 °C », lance-t-il. L’agronome précise qu’un écart de température plus important peut créer de la condensation et nuire à la qualité du grain. En été, un producteur devrait ventiler au besoin sans dépasser deux semaines environ. En hiver, lorsque la température descend sous 0 °C, il est possible de distancer les interventions. Selon l’enseignant, il n’y a pas de recette magique pour bien conserver son grain. Une bonne observation et une vérification assidue de sa température s’avèrent des solutions efficaces, pense-t-il. Nicolas Saint-Pierre prévient toutefois les producteurs des méfaits de ce qu’il nomme l’effet yoyo. « Certaines personnes vont laisser fonctionner leurs ventilateurs en continu pendant plusieurs semaines, puis ne les réutiliseront pas pendant un bon moment, mentionne-t-il. Le grain s’assèche par temps sec et s’humidifie par temps humide. Lors des automnes cléments, ces effets sont moins notables. » En guise de conclusion, l’agronome spécifie que la conservation de grains sur une longue période constitue toujours un défi plus important lors d’automnes humides. OCTOBRE 2014 2014-09-29 14:29