Une drôle d`évolution de l`éducation physique aux Etats
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Une drôle d`évolution de l`éducation physique aux Etats
1 L’invité du jour… J-F Grehaigne, professeur d’université émérite, spécialiste de la didactique des sports collectifs Une drôle d’évolution de l’éducation physique aux Etats-Unis… Ancien Vice-Président de l’Association Internationale des Ecoles Supérieures d’Education Physique, J-F Grehaigne, professeur d’université émérite, spécialiste de la didactique des sports collectifs, nous alerte. Depuis plusieurs années, dans certains pays, la santé devient le prétexte à une EP sans consistance culturelle et une ouverture sans précédent au marché. Cela pourrait peut-être anecdotique mais une des plus grosses associations concernées par l’éducation physique vient de changer de nom. En effet aux Etats-Unis, « American Alliance for Health, Physical Education, Recreation and Dance » (AAPHERD) vient de se transformer en « Society of health and physical educator » (SHAPE) sur fond de régression de l’enseignement. C’est vrai que là-bas, l’état de l’EP est très différent d’un Etat à l’autre mais globalement le paysage n’est pas brillant. SHAPE dont la devise est « santé, mouvements, esprits » (health, moves, minds) entend faire dans l’enseignement la promotion de la santé, de la culture physique et de l'activité physique avec pour ambition l’adoption par les élèves de styles de vie actifs, sains. Le problème de l'obésité touche aujourd'hui tous les pays occidentaux, mais en la matière, les Etats-Unis ont plusieurs longueurs d'avance avec 33,8 % d’obèses chez les adultes et 17 % pour les enfants (chiffres de 2012), chiffres qui sont encore en augmentation. Qu’on ne s’y trompe pas, mettre seulement l’accent sur la santé est un leurre parce que l'augmentation de la sédentarité révèle des changements profonds de mode de vie, qui ne pourront pas être réglé uniquement par l’EP. Si on y regarde de plus près, on s’aperçoit que la santé sert de prétexte et d’alibi à un abandon programmé de l’EP obligatoire. Aux USA, les décisions concernant les programmes, les manuels, la répartition et le montant des dépenses de l’enseignement sont du ressort de chaque État, ce qui a pour conséquence de très fortes disparités. En ce qui concerne l’éducation physique c’est une centration d’abord sur l’enseignement primaire (motricité et petits jeux). Dans le secondaire cohabitent des leçons d’EP et des entraînements assurés par des professeurs d’autres disciplines ou des entraîneurs extérieurs à l’école. Il n’y a pas de programme national et la discipline éducation physique est perçue comme récréative par les élèves. Pour les enseignants, le principal est que les élèves bougent un minimum. L'association sportive permet à certains élèves d’intégrer une équipe. Il y a une seule équipe par activité proposée et par sexe. Les élèves ont deux entraînements par semaine de 1h30. Les compétitions sont organisées entre les établissements et celles-ci revêtent une grande importance pour les élèves, les enseignants car la représentativité de l'établissement est une donnée importante pour la renommée et le classement entre les « Junior High Schools ». Enfin, dans certaines écoles secondaires, il n’y a plus d’éducation physique obligatoire. 2 Le deuxième point que je voudrais souligner est le recours à la technologie. Avec Nathalie Wallian, nous avons assisté dans l’Iowa (Amérique profonde) à une leçon modèle (avec des élèves de 13-14ans) présentée comme l’avenir de l’EP qui fait froid dans le dos. 20 minutes de course avec des cardio fréquencemètres pour chacun (fournis, ici gratuitement par Polar), suivi de 20 minutes de badminton non pas avec des raquettes mais avec un « joystick » devant un écran et enfin pour finir une passe à cinq insipide mais quand même avec un vrai ballon. Non seulement, cette séance d’EPS peut être encadrée par des enseignants peu formés, avec des effectifs de classe très élevés, mais c’est également l’école ouverte aux marchés ! Il est à noter qu’un déficit de recherches et de discussion sur les contenus d’enseignement en éducation physique reste patent aux Etats-unis au profit de recherches sur la formation des maîtres dont on ne voit pas toujours bien ce qu’ils enseignent. Le fitness et les jeux de balle inconsistants semblent avoir, dans ce contexte, encore de beaux jours devant eux. Pour combien de temps encore ? Le courant « sport Education » de Daryl Sidentop qui ressemble beaucoup à notre approche de l’EPS se trouve, quant à lui, cantonné assez souvent dans les quartiers difficiles de la périphérie des grandes métropoles. Comme nos grands penseurs prennent souvent exemple sur ce qui vient d’outre atlantique, sans regarder le travail de fond fait en Europe, soyons vigilants.