L`étoile (Version en français)

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L`étoile (Version en français)
L’imaginaire : cinquième dimension d’un Web quantique et sémantique .
25e Conférence internationale WWW2016. Académie québécoise de pataphysique
12 avril 2016 à 10h30 au Palais des Congrès à Montréal.
Raôul Duguay
Mission du Web
« Être ou ne pas être » était la question de Shakespeare. Quatre-cents -quinze ans plus
tard, « être et ne pas être » est la solution de la physique quantique. Pour comprendre
ce paradoxe, il faut beaucoup d’imagination !
Avant de parler de l’imaginaire, vu en physique quantique comme la cinquième
dimension, avant de parler de la « ‘pataphysique, science des solutions imaginaires»
selon le poète Alfred Jarry, et avant de parler de mon projet L’Étoile qui fait appel à la
physique, à la métaphysique, aux fractales et à la théorie des ensembles, parlons
brièvement des inventions et événements historiques qui ont précédé l’avènement du
Web, le référent le plus vaste, le plus immédiat et sans doute le plus démocratique qui
soit pour l’acquisition de connaissances susceptibles de nous faire comprendre
pourquoi Socrate, invitant l’être humain à se connaître soi-même, a pu dire : « Je sais
que je ne sais rien.» Le Web étant la plus grande bibliothèque du monde, l’accès au
savoir universel change notre monde.
Sachant qu’au cours de ces 20 dernières années, les astrophysiciens ont plus appris
sur la nature intime de l’Univers qu’en 5 millénaires ; sachant qu’en 2015, la machine DWave, puissante calculatrice quantique mise au point par des Canadiens et acquise par
la NASA et GOOGLE, fait en une seconde, c’est-à-dire 100 millions de fois plus vite, ce
qu’un ordinateur conventionnel mettrait 10 000 ans à calculer; sachant que selon Seth
Llloyd du MIT, qui a construit l’architecture complète d’un ordinateur quantique,10 à la
puissance 120 est le nombre de bits d’information de l’Univers; sachant tout cela et tant
de choses encore, ne nageons-nous pas ici dans l’imaginaire, entre l’infiniment petit et
l’infiniment grand ? Certes, nous savons que nous savons. Mais face à la totalité des
connaissances possibles, nous sentons qu’avec ou sans le Web, ce que nous savons
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est infime. Le monde d’antan a produit des chefs-d’œuvre sans l’aide du Web. Le
monde d’aujourd’hui peut-il s’en passer ? Le Web est-il plus humaniste que mercantile ?
Le numérique, devenu un réflexe culturel, risque-t-il de nous faire perdre le contact avec
la nature ? Enfin, la « webomanie » dénature-t-elle l’homme ou est-elle le tremplin de
son évolution ?
Information, liberté et communication
Chose certaine, mis à part l’imaginaire où tous les possibles sont en latence, le Web est
le plus grand réservoir d’informations. C’est pourquoi il importe de faire la distinction
entre les mots « information » et « communication ». L’information, qui traite des objets
et opère avec des nombres, quantifie la réalité en répondant aux questions « où, quand,
comment et combien?» D’autre part, la communication qualifie les informations en leur
donnant un sens. Toute communication authentique s’adresse à des sujets, à des
personnes et opère avec des mots, des couleurs, des sons, des formes, des émotions
et des idées. Fondée sur la relation et sur l’interdépendance, la communication pose les
questions : pour qui, avec qui et pourquoi ? Tandis que l’information est froidement
immanente dans le message, la communication, écho de l’intelligence du cœur,
l’interprète, en décrypte l’intention et la transcende. C’est donc la communication qui
donne un sens à l’information. Le Web est un outil, un puissant moyen de construire
notre vision du monde et de réaliser nos rêves. En fait, le Web, dans sa dimension la
plus noble, est le plus grand véhicule d’une pédagogie planétaire et l’écho immédiat de
l’imagination créatrice des humains. Ce qui donne un sens au Web, ce sont les valeurs
humaines. Le partage des connaissances dans le but de mieux comprendre le monde
dans lequel nous vivons, est une valeur universelle qui favorise l’évolution de l’humanité
vers une possible sagesse commune où beauté, amour et paix pourront enfin régner sur
Terre. Goethe avait-il raison de dire:«Il faut rêver l’impossible pour réaliser tous les
possibles. » ? Mais qu’en est-il du nouveau Web sémantique ?
Intention du Web sémantique
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Selon Tim Berners-Lee, le Web sémantique, intelligent, « permettra de rendre le
contenu sémantique des informations du Web interprétable non seulement par l'homme,
mais aussi par la machine, laquelle pourrait traiter la connaissance elle-même en
utilisant l’inférence et des procédés similaires à un raisonnement déductif humain. Estce à dire que non seulement les machines ou intelligences artificielles pourront
dialoguer en échangeant leurs informations, mais qu’elles pourront également dialoguer
avec les humains et comprendre leur langage qui ne saurait être réduit au numérique,
tout étoffé qu’il est de symboles, de métaphores et d’analogies que le raisonnement
déductif ne parvient pas à cerner? » La machina sapiens, possédant des milliards de
fois plus d’informations que l’homo sapiens, rendra-t-elle ce dernier vétuste, désuet,
voire inutile ? Ce qui a fait dire à l’américain Frank Herbert, l’auteur du roman de
science-fiction Dune: « Nous pourrions très bien devenir la création de ce que nous
avons créé. » Allant encore plus loin, Ray Kursweil, directeur de l’ingénierie chez
Google, prévoit que l’homme va prendre la relève de la nature et que la machine, plus
intelligente que nous, nous permettra d’accéder à l’immortalité. L’homme et son robot,
marcheront-ils un jour main dans la main ?
Selon Berners-Lee, inventeur du Web, et selon Stephen Wolfram, père des nouveaux
moteurs de recherche sur Google, le rêve d’un Web sémantique tourné vers la
connaissance, semble vouloir se concrétiser. A contrario, Claude Shannon, père
fondateur des « sciences de l’information » et celui qui a construit le tout premier
ordinateur portable de l’histoire, considère que l'une des caractéristiques fondamentales
de la technologie de l’information est l'exclusion de la sémantique. Indifférente à la
signification des messages, la théorie de l'information se limite à celui d'un messager
dont la fonction est de transférer un objet. Il faut savoir que Shannon fut le premier, dès
1948, à proposer le mot « bit » (nombre binaire dont la valeur est 0 ou 1) et son
utilisation systématique pour simplifier la transmission des signaux au sein des
ordinateurs classiques.
Intrication et superposition
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S’il est vrai qu’un ordinateur classique mettrait plus de 10 000 ans pour calculer ce
qu’un ordinateur quantique peut calculer en une seule seconde, il est facile de percevoir
la distance qui les sépare sur le plan informationnel. Pour donner un sens à ses
contenus, le Web sémantique a recours à l’intrication et à la superposition, phénomènes
observés en mécanique quantique et dans lesquels l'état quantique de deux objets
spatialement séparés est décrit globalement, sans pouvoir séparer un objet de l'autre.
Mais d’où vient cette notion de temps imaginaire, qui jamais ne s’écoule comme celui de
nos horloges ?
Selon les frères Igor et Grichka Bogdanov, respectivement théoricien en physique et
mathématicien : « Dans la cinquième dimension, le temps et l’espace sont élastiques.
L’espace se déforme, s’allonge à l’infini, s’annule sans transition ; le temps s’accélère,
puis ralentit, fait machine arrière, se fige, saute d’un instant vers un autre, repart en
arrière et se déforme perpétuellement passant du 21 juin 3015 au 8 mai 1426. Nous ne
sommes plus alors qu’une « probabilité de présence » dans tel ou tel lieu de l’Univers.
Courbé par la gravitation, le temps a basculé dans le plan complexe pour devenir
imaginaire pur. »
L’artiste imagine, avec des mots des couleurs, des formes et des sons, un monde où les
proportions des choses, des sensations, des sentiments, des idées sont poussées à
leurs extrêmes limites ? Autrement dit, la face cachée du temps, sa face imaginaire est
aussi vraie que l’autre, sa face perceptible. Tout ce qui vient de l’imaginaire d’un
créateur peut être à la fois vrai et faux. Faux, parce que le monde imaginaire n’existe
pas dans l’expérience concrète de la réalité du créateur. Vrai, parce que le monde
imaginaire existe « ailleurs » que dans ce monde et que l’on peut le décoder et le
comprendre grâce à des symboles. Vincent van Gogh disait : « Je peins l’infini ».
En philosophie kantienne, aucune expérience rationnelle dans notre monde à quatre
dimensions n’est possible hors du cadre de l’espace et du temps. À un moment donné,
toute chose doit être quelque part. Ce « quelque part », est la cinquième dimension où
vibre l’imaginaire.
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« Le temps est l’image mobile de l’éternité immobile. »
Énoncée par Platon, il y a près de 2 500 ans, cet axiome est peut-être la plus parfaite
définition de l’imaginaire. Monde habité par tout véritable créateur, l’imaginaire
transcende le temps et l’espace ; passé, présent et avenir y sont simultanés. Se peut-il
que le temps réel ait commencé par le temps imaginaire ? Notons qu’au début du XXe
siècle, Max Planck, l’un des principaux fondateurs de la physique quantique, a défini la
plus petite unité temporelle de même que la plus petite unité de l’espace soit 10
exposant -33 centimètre, qui correspond à la distance parcourue par la lumière en 10
exposant -43 seconde. Au-delà de ce « mur de Planck », nous nageons dans le temps
imaginaire et dans le virtuel. Si cela est vrai, cela signifie que l’intuition précède la
raison, que l’irréel précède la réalité, que l’ailleurs précède l’ici-maintenant. William
Blake ne prônait-il pas la préséance du rêve sur la réalité? Et le poète Musset de
renchérir : « C’est une vision que la réalité. »
Car avant le Big Bang, l’Univers l’être (temps réel) et le non-être (temps imaginaire,
irréel) sont superposés et intriqués et coexistent simultanément à la fois réels et
imaginaires, en équilibre, parfaitement symétriques, unifiés dans un seul point zéro de
taille nulle. Seule y subsiste l’information primordiale contenant l’infini, un être purement
mathématique, un code cosmologique qui va permettre à l’Univers d’apparaître et de
commencer son expansion exponentielle. Un peu comme le code génétique contient
toute l’information qui va permettre à un organisme vivant de se développer à partir
d’une cellule unique. Mon projet L’ÉTOILE (que j’explicite plus loin) est à l’image de
cette conception de l’évolution des formes à partir d’un point.
Être ou / et ne pas être
À la fin du XV1e siècle, le philosophe et mathématicien Wilhelm Leibniz, posait la
question fondamentale: « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » En 1601,
Shakespeare reposait la même question d’une autre manière : « Être ou ne pas être ».
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Force nous est de constater qu’au XXe siècle et encore aujourd’hui, ce sont les
physiciens, les mathématiciens et les poètes qui posent les plus importantes questions
métaphysiques. En 1990, le physicien John Wheeler écrivait :«Tout être, chaque
particule, chaque champ de force, même le continuum espace-temps, tire sa fonction,
sa signification, son existence entière à partir des réponses oui ou non… car tout dans
l’Univers se résume à de l’information. » Selon Seth Lloyd, pionnier des ordinateurs
quantiques, « toute chose dans l’Univers est faite de bits d’information. Non pas des
morceaux de matière mais des fragments d’information, des 0 et des 1.
En physique quantique, l’essence même de la réalité n’est pas physique mais
mathématique. Le réel physique serait donc précédé par le réel mathématique. » Dans
le pré-Univers, selon le point de vue de David Deutsch, ce sont les « qubits » qui
réglaient les fluctuations entre le temps réel et le temps imaginaire. En poésie, les mots
sont en quelque sorte les « qubits » d’un langage aux possibilités symboliques et
sémantiques infinies. Mais comme je suis d’abord et avant tout un poète avec une
formation de philosophe, force m’est de citer Martin Heidegger : « Le poète est le berger
de l’être. C’est la poésie qui commence par rendre possible le langage. »
En physique classique, être ou ne pas être, question métaphysique, correspond à 0 ou
1, les deux plus petites unités d’information appelés bits. En 2012, le physicien David
Deutsch, inventeur du nouveau courant It from qubit, dit que « l’étoffe de la réalité est de
nature digitale plus que matérielle » car en physique quantique contemporaine, être et
ne pas être correspondent à la superposition et à l’intrication des états 0 et 1.
Pour le commun des mortels et pour les rationnels à outrance, déclarer que la véritable
question est aujourd’hui « être et ne pas être » éblouirait sans doute Shakespeare, car
entre ce « ou » et ce « et » se situe une toute nouvelle conception de la réalité.
Comment être et ne pas être peut-il être possible ? Selon le physicien Jean. E Charon :
L’être est l’être puisqu’il contient tous les possibles ; et l’être est non-être puisqu’il n’est
que possibilité de devenir…» Ne nageons-nous pas ici dans l’imaginaire ?
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L’Un et le Tout
L’imaginaire est l’univers dans lequel baigne le créateur. Je suis un créateur. Un
créateur multidisciplinaire. En tant que citoyen, homme parmi les hommes, je suis de ce
monde. Et, comme disait le poète Éluard, malgré mon « dur désir de durer » je ressens
chaque jour ma finitude. Pourtant, ma quête de l’infini tantôt m’aveugle et tantôt
m’illumine. Quand je crée, je ressens parfois ce sentiment de faire un avec tout, d’être,
comme tout être humain, unique dans tout l’Univers et de toute éternité.
Ma présence dans ce monde se manifeste surtout dans l’univers de la culture et c’est la
nature qui me tient lieu de thématique principale. Mon existence dans ce monde n’a de
sens que si j’ai le sentiment de participer à son évolution. J’évolue en avalant chaque
jour des informations de tous types me venant de tout ce que je sens, goûte, vois,
entends, touche, ressens, intuitionne et pense. Je suis la somme de tous les créateurs
et penseurs que mon esprit a fréquentés. Qui serai-je sans tous ceux qui m’ont abreuvé
de leurs connaissances et nourri de leurs expériences ? Je suis la somme de mes
références sensorielles, émotionnelles, rationnelles et psychiques.
En tant que créateur, je suis de ce monde comme n’y étant pas. Rimbaud n’a-t-il pas
écrit : « Je est un autre ». Tout en restant moi-même, en tant qu’artiste multidisciplinaire,
je deviens non seulement un autre, mais, en apparence, plusieurs autres : poète,
peintre, musicien, sculpteur, comédien, cinéaste... Je suis la superposition et l’intrication
de tous mes « moi ». Je est singulier et pluriel. De l’homme ou de l’artiste, lequel est le
plus vrai ? Et le philosophe en moi répond : les deux. Comme la lumière, j’ai une double
nature. Selon le physicien Niels Bohr, en physique quantique, la dualité ondecorpuscule de la lumière et de la matière n’est pas
contradictoire car ces deux
propriétés sont complémentaires. La propriété caractéristique des ondes est leur
aptitude à se combiner, s’interpénétrer, se superposer. Ainsi en est-il dans le processus
de créativité qui enchevêtre et superpose de multiples possibilités. Si, en tant
qu’homme, je suis corpuscule et rempli de probabilités, en tant que créateur, je suis une
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onde, une vibration porteuse de sens, une vision d’un autre monde traduisant en
symboles celui dans lequel je vis.
Dans l’univers de la créativité, l’imagination transcende temps et espace en ouvrant une
cinquième dimension, l’ailleurs, qui enchevêtre et superpose tous les possibles grâce
aux symboles, à l’analogie, à la métaphore, à l’allégorie, à la synonymie et à la
polysémie. Les mots, les images, les sons musicaux, objets symboliques et
sémantiques issus de l’imagination des créateurs, voyageant entre le réel et l’irréel, sont
les radars et les échos des civilisations. L’imaginaire est l’espace de la création libre où
le créateur outrepasse le réel et ses contraintes.
« La ‘pataphysique est la science des solutions imaginaires »
Cette définition de la ‘pataphysique par le poète Alfred Jarry peut être mise en lien avec
celle de l’astrophysicien Michel Cassé pour qui « le réel physique n’est rien d’autre que
la superposition des possibles imaginaires ».
L’intégration et la superposition des langages esthétiques permettent de varier les
modes d’expression, de traduire la même émotion, la même idée, de manières
différentes Tous les arts s’appellent et se répondent, tout médium d’expression peut
s’inspirer d’un ou de plusieurs autres médiums. Beaudelaire n’écrivait-il pas, en 1857,
dans son poème intitulé « Correspondances »: Les parfums, les couleurs et les sons se
répondent » ? La poésie, la musique, la peinture et la sculpture partagent des
correspondances. Il est possible de traduire en poésie une peinture, une sculpture ou
une musique, de mettre une toile ou une sculpture en musique, de peindre une musique
ou un poème.
Si l’Univers est la totalité des possibles, l’imaginaire les contient. Bien que l’imaginaire
puisse être perçu comme abstrait et irréel, il est le fruit de l'imagination d'un individu,
d'un groupe ou d'une société, produisant des images, des récits ou des mythes plus ou
moins détachés de ce qu'on appelle « la réalité. Le créateur plonge dans l’imaginaire
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pour créer un monde de signes et de symboles qu’il habite. Comme le souligne Daniel
Bougnoux « L'homme descend davantage du signe que du singe : il tient son humanité
d'un certain régime symbolique ou signifiant. Nous vivons moins parmi les choses que
parmi une “forêt de symboles”.
Ainsi, en poésie, la balance est le symbole de la justice et la colombe ou l’olivier sont les
symboles de la paix. Pour traduire une abstraction mentale en image concrète, le poète
a souvent recours à la métaphore, procédé par lequel on transporte la signification
propre d’un mot à une autre signification qui ne lui convient qu’en vertu d’une analogie,
d’une comparaison : la lumière de l’esprit, la fleur de l’âge, bruler de désir. L’adage
disant qu’une image vaut mille mots est à la fois vrai et faux. Pour un poète, un seul
vers peut valoir mille images. Tel ce vers d’Éluard, qui a inspiré ma thèse de maîtrise
en philosophie : « Le dur désir de durer. » Pour expliciter la signification de cet unique
vers, j’ai dû écrire près de deux cents pages, Et pourtant, il ne me semble pas avoir vidé
ou exprimé complètement le sens de ce vers, l’un des plus profonds que j’aie lus.
Comme c’est en lisant des auteurs de la trempe d’Éluard que j’ai appris à écrire et que
j’ai été motivé à chercher comment et pourquoi écrire, j’ai vécu l’expérience qu’être un
créateur, c’est accoucher d’une vision de son propre mystère et de celui du monde.
La créativité est un arbre
Dans toutes les civilisations de toutes les époques, les hommes ont établi une
correspondance entre l’arbre et l’imagination. Le symbole de l’arbre est l’image idéale
représentant le processus de toute forme de créativité. Comme l’arbre, enraciné à la fois
dans le ciel et dans la terre, l’imagination unit la matière et l’esprit, la réalité et le
rêve. Comme l’arbre, elle est une source perpétuelle de régénération. La créativité est
un arbre. Toutes les branches de l’art s’appellent et se répondent. Tout est
interconnecté, en correspondance avec tout. Dans l’arbre de l’imagination, chantent les
couleurs, dansent les formes, sonnent les mots et se peignent les musiques des
émotions.
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Certains créateurs prétendent que l’art véritable doit être spontané, purement instinctif
voire automatique. D’autres prétendent que l’art doit être sous la gouverne de la raison.
À mon sens, la créativité fait appel à la fois à la logique du cerveau gauche, rationnel et
analytique, qui organise et stabilise un ordre nécessaire et à l'intuition du cerveau droit,
spontané et synthétique, où l'imagination est au pouvoir, dérangeant l'ordre établi mais
réinventant le monde. En ce qui me concerne, entre la rive de la réalité et celle du rêve,
ce qui me fascine, c’est le fleuve de la vie qui coule. Ce qui m’intéresse, c’est de jeter un
pont entre les deux rives de mon être: ma raison et mon intuition. Ce qui veut dire
traduire l’invisible par le visible, l’audible par l’inouï, le vide par l’intarissable et mettre en
lumière tous ces mystères.
L’organe du réel est la raison logique ; l’organe de l’imaginaire et du rêve est l’intuition.
La raison mesure. L’intuition navigue dans l’incommensurable et dans l’émotion de sa
perception. La raison cherche les bornes. L’intuition est comme le photon pour lequel, le
temps ne s’écoule pas; quelle que soit la distance qu’il traverse, il part et arrive « en
même temps » Donc, pour la lumière, il ne s’est pas passé une seule seconde depuis le
Big Bang. Le processus de création se plie spontanément ou bien à la liberté la plus
totale. Alors, l’œuvre se construit, instant après instant, sans autre contrôle que celui de
l’émotion et de l’imagination. C’est ce que j’appelle la voie courte. Au contraire, la voie
longue est un processus déterminé d’avance, un plan réfléchi et calculé où la liberté
d’expression est conditionnée, contrôlée et orientée par une idée, un concept, voire un
plan architectural qui impose une contrainte. J’appelle voie du milieu, l’équilibre entre
ces deux techniques ou le recours aux deux voies dans une même toile. En art, tout est
une question de proportions. L’harmonie entre tous les éléments de l’œuvre émane de
la juste proportion.
Il n’est pas pertinent de tenter de prouver que l’une des visions est meilleure que l’autre.
Il faut utiliser les deux modes d’accès à la compréhension de l’Univers : la raison et
l’intuition. L’intuition est sensation et sentiment de plénitude et de liberté. La vision
rationnelle de l’Univers additionne, soustrait, divise et multiplie les parties. L’intuition est
une vision globale du tout et voit l’Univers comme l’ensemble de tous les possibles,
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comme l’unité des parties0, en constante interaction, en perpétuelle interconnexion. Il
en est ainsi dans la physique quantique. Selon Leibniz, philosophe et inventeur du
calcul différentiel, tout est en rapport avec tout et tout est à la fois une partie et un tout .
Pour dire cela, Leibniz, comme tant d’autres physiciens d’aujourd’hui, s’est sans doute
inspiré du philosophe présocratique Anaxagore (500 ans av. J.-C.), dont l‘aphorisme
« tout est dans tout » était une juste prémonition des théories actuelles de l’Univers
Le multimédia L’ÉTOILE
Voulant faire le point sur ma vie, moi, qui suis homme de parole, me suis tu. Suspendu
au rythme de mon souffle, j’ai cessé de penser. Vibrant sur la fréquence des ondes
thêta, royaume de l’imaginaire et de la créativité, j’ai fait le vide mental. Appelé sifr par
les Arabes, le vide correspond à zéro. Le vide est l’état latent de la nature comme la
matière est son état manifeste. Être dans le vide, c’est entrer au centre de soi, dans
l’essence de son être. Faire le vide mental, c’est faire le silence, apprendre à ne plus
penser, apprendre à être en plénitude. Le silence serait alors l’équivalent du vide
quantique, au réservoir infini de l’imaginaire qui contient, en latence, en hibernation, en
virtualité, tous les poèmes possibles. Selon le physicien Michel Cassé, « le vide
quantique contient en puissance toute la matière…malgré son apparence absente, le
vide se laisse deviner par ses fluctuations aléatoires, comme l’air par le vent ; plein de
virtualités, il contient la totalité des possibles. Le vide est plein de tout ce qui est à
naître. »
Dans le silence où le vide est plénitude, je ressentais l’essence de mon être. Je me
sentais si petit dans ce monde et devant l’infini. J’ai voulu traduire dans une œuvre
artistique multidimensionnelle, ce sentiment simultané de petitesse et de grandeur.
L’inspiration m’est venue de cette réflexion d’Anaxagore, philosophe présocratique :
« Toutes les choses étaient ensemble, infinies tant en multitude qu’en petitesse ; car la
petitesse aussi était infinie. » La graine minuscule ne contient-elle pas toute l’information
nécessaire au développement d’un arbre gigantesque ? Ainsi en est-il du langage.
L’alphabet contient vingt-six graines sémantiques : les lettres. La combinaison
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pratiquement infinie de ces voyelles et consonnes, en mots et l’assemblage
pratiquement infini de ces mots pour faire des phrases qui ont du sens pourrait raconter
l’alpha et l’oméga de tout ce qui est animé et inanimé, toutes les histoires possibles de
tous les univers faits de matière et d’esprit.
Je travaille actuellement sur L’Étoile, multimédia intégrant peinture, sculpture, musique
et poésie. Issu d’une réflexion philosophique sur l’infiniment petit et l’infiniment
grand, ce projet, est une méditation sur l’interrelation entre les parties et le tout, la
réalité et l’imaginaire, la nature et la culture. D’autre part, L’ÉTOILE est un poème
cosmologique nourri par les théories actuelles en physique quantique et en
astrophysique sur la genèse et le destin de l’Univers.
Le point de départ de ce projet, l’éclair qui a allumé l’étoile, est le point sans dimension,
image sphérique de l’infiniment petit devenant, par expansion de son rayon, infiniment
grand. Apprenant dans un livre des frères Bogdanov qu’Alexandre Friedmann, physicien
et mathématicien russe, fut le premier à introduire l’idée d’un univers en expansion, et
qu’avant son expansion, l’Univers était contracté en un point mathématique de volume
nul et d’entropie nulle à partir duquel il a augmenté de rayon ; apprenant aussi que ce
point contenait une information infinie, qu’il pouvait revêtir simultanément tous les états
possibles ; apprenant enfin qu’en temps imaginaire, ce point originel se propage à
l’infini, j’ai vu ce point comme un cercle infinitésimal dont le rayon pourrait entrer en
expansion. Mais j’ai été convaincu que la sphère est le plus beau des objets
géométriques, quand j’ai vu le fameux Collier de Georg Cantor, créateur de la théorie
des ensembles et premier mathématicien de l’infini. Le collier en question est constitué
d’un ensemble de sphères dont chacune contient trois fois la dimension de celle qui la
suit.
Je connaissais déjà ce principe de construction qui procède par itération ou répétition.
Imaginée par Benoît Mandelbrot, la fractale est une structure géométrique ramifiée et
arborescente qui modélise un système complexe. Elle est caractérisée par la propriété
que si on agrandit un détail du motif de la structure géométrique construite à partir d’un
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triangle équilatéral, on retrouve le motif entier. À chaque étape de l’agrandissement est
formé un nouveau triangle deux fois plus grand et contenant les trois précédents. C’est
pourquoi les fractales sont des entités mathématiques où l’infini côtoie sans cesse le fini
et la partie, le tout. Beaucoup de systèmes naturels complexes et riches en information
ont cette structure fractale, tels l'ADN, la mémoire, le neurone et l'arbre. C’est pourquoi
j’ai adopté les fractales pour construire l’architecture de mon site Web. Grâce à Waclalw
Sierpinski, mathématicien polonais, qui en a fait la mise en forme géométrique, il est
facile de voir l’arborescence ou les images des générations successives des fractales.
Toutefois, c’est en voyant une image de la structure de la gamme chromatique que j’ai
pu appliquer le concept des fractales à mon projet L’ÉTOILE. L’inspiration première est
donc la musique. La musique, c’est du temps en mouvement. Comment convertir le
temps musical en espace visuel et sculptural pour que celui-ci devienne une image
réelle de « la partition » musicale ? Créant une équivalence entre la valeur temporelle
de chacune des 12 notes de la gamme tempérée et sa représentation dans l’espace
sous la forme de 12 cercles, j’ai créé une convention : la ronde, qui vaut 4 temps, aura
son équivalent visuel dans un cercle de 4 pouces et ainsi de suite jusqu’à la quadruple
croche représentée par un point en forme de cercle dont le diamètre mesure 1/16 ième
de pouce. Dans la partition de l’ÉTOILE, ce point prenant la forme d’une infime sphère
peut être considéré comme central ou comme la matrice de l’œuvre. Musicalement, il
correspondra à une pulsation en ostinato et prendra la forme rythmique d’un mantra,
écho du « cantique des quantiques ».
Puis, pour témoigner de la luminescence de la musique, j’ai assigné à chacune des 12
notes une couleur correspondant à sa longueur d’onde convertie en hertz. Ainsi, la note
SOL (392), quinte et quintessence de la musique, a comme symbole le rouge. Et ce
rouge sera toujours, dans l’œuvre visuelle, la couleur représentant la ronde. Il est
entendu que, pour permettre une lecture concrète par les musiciens, la partition visuelle
sera transcrite en notes réelles sur du papier à musique.
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Dans le but de bien distinguer entre les 5 notes noires et les 7 notes blanches de la
gamme tempérée, j’ai créé deux ensembles distincts : le binaire pour les 7 notes
blanches et le ternaire pour les 5 notes noires. Le binaire comprend la ronde ( 4 temps),
la blanche (2 temps), la noire (1 temps), la croche (un ½ temps), la double croche (1/4
de temps), la triple croche (1/8e de temps) et la quadruple croche (1/16 e de temps). Le
ternaire comprend la blanche pointée (3 temps), la noire pointée (1 temps et 1/2), la
croche pointée, (3/4 de temps) la double croche pointée (3/8 e de temps) et la triple
croche pointée (3/16e de temps).
En ce qui a trait à l’application du concept de superposition inspiré de la physique
quantique et de celui d’arborescence inspiré des fractales, on constate que la ronde
contient ou est l’équivalent de 2 blanches, 4 noires, 8 croches, 16 doubles croches, 32
triples croches et 64 quadruples croches. La multiplication par 2 de la quadruple croche,
valeur minimale du binaire, constitue la valeur qui la suit : la triple croche… et ainsi de
suite. La multiplication par 2 de la triple croche pointée, valeur minimale du ternaire,
constitue la valeur qui la suit : la double croche pointée… et ainsi de suite.
Pour donner une troisième dimension à l’oeuvre visuelle, les sculptures sont construites
en multipliant le diamètre des cercles par croissance exponentielle (2, 4, 8, 16. 32, 64.)
mais dans un respect absolu des proportions établies dans la partition. L’application du
concept de la physique quantique se manifeste plus particulièrement dans les
sculptures constituées de la superposition des 12 cercles dont les diamètres vont de
quatre pouces (la ronde) à 1/16 e de pouce (la quadruple croche). Sur le plan sculptural
il y a trois manières de présenter les éléments essentiels de L’ÉTOILE. 1. En
superposant les douze cercles à l’intérieur de la sphère la plus grande : la ronde 2. En
superposant les 7 sphères de la structure binaire dans la ronde et en superposant les 5
sphères de la structure ternaire dans la blanche pointée. 3. En juxtaposant les mêmes
sphères à l’extérieur du cercle de la ronde (binaire et ternaire ensemble ou binaire et
ternaire distincts).
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D’autre part, comme le champ de l’imaginaire se situe entre l’infiniment petit et
l’infiniment grand, entre l’être et le non-être, en-deçà et au-delà du réel, mon projet
multimédia L’Étoile, intègre la superposition sémantique de la musique, de la peinture,
de la sculpture et de la poésie. Si ce projet s’intitule L’ÉTOILE, c’est parce que les
formes créées et disposées de manière visuelle ressemblent à des étoiles.
Un poème cosmologique, en lien avec le temps imaginaire de la physique quantique,
exprimera que le plus petit élément, le point, contient et superpose tous les éléments
plus grands qui le suivent, car, dans l’imaginaire artistique et mathématique, c’est
l’infiniment petit qui contient l’infiniment grand et non le contraire.
Imaginez un monde où l’amour, la paix, la beauté et la liberté allument des étoiles dans
les yeux de l’humanité. Imaginez un monde où l’amour de la vie, l’amour de tout ce qui
vit nous rend solidaires. Imaginez une planète les essences de la vie, l’eau, l’air et les
terres sont protégées de toute pollution. Imaginez un monde où il fait bon vivre heureux,
ensemble.
Dans le ciel fleurissent les étoiles
Sur terre les fleurs en sont les miroirs
Raôul Duguay
4 avril 2016
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