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La fin de l’éclipse française de la race et de l’ethnicité : La preuve par le garçon arabe Une République blanche Une scansion en trois temps : 1. Les assemblées révolutionnaires successives accueillent en leur sein des membres noirs et abolissent l’esclavage. L’empereur Napoléon rétablit l’esclavage, maintenu jusqu’en 1848. 1830 : début de la deuxième colonisation africaine, conquête de l’Algérie. Une République blanche 2. Lors de la IIIème République, les lois votées visent à instaurer un droit censé appliquer la devise révolutionnaire : Liberté, égalité, fraternité Ces lois s’appliqueront uniquement aux citoyens et aux territoires métropolitains (Alsace-Lorraine après 1918), les colonies relèvent d’un code de l’indigénat instauré en 1830, amendé en 1865 et durci en 1889. Une République blanche 3. La devise républicaine ne sera pas appliquée au-delà de la frontière métropolitaine. La frontière légale matérialisera la ligne raciale contenant durant près d’un siècle hors du périmètre de la république blanche égalitaire et citoyenne les indigènes racialisés et assujettis. Les mécanismes de l’éclipse • La contention des indigènes suit une ligne de couleur qui partant de l’Algérie (Juifs et Arabes), parcourt l’Afrique Occidentale et atteint l’Indochine. • Cette ligne de contention dans l’Empire permet de préserver l’entre-soi républicain et d’occulter les indigènes (parfois blancs) contenus dans ses confins. La fin de l’exotisme • La fin de l’empire colonial, lieu de l’indigénat, rapatrie la colonisation en métropole et la redéploie dans ses dépendances de l’outre-mer. • Les objets-sujets de cette color(n)isation interne (Balibar) sont les immigrants postcoloniaux et les français des départements et territoires d’outremer. Les traits de la ressemblance • La color(n)isation-assimilation est un processus de civilisation qui façonne et diffuse les traits d’une ressemblance à la française. (Elias) • Conséquemment, le blanchiment des nouveaux Français doit obéir à l’image d’une francité idéale et inaccessible. La fin de l’éclipse raciale et ethnique • Le processus par lequel cette ressemblance s’efface est celui de la dénaturalisation de la France par ses minorités postcoloniales (Sayad). • La fin de la ressemblance souligne par contraste les résistances identitaires et ethniques d’une France devenue le conservatoire d’une autochtonie réinventée. Postcolonie et européanisation • La perte de sa surface impériale conduit la France à s’inventer un périmètre européen qui lui garantissent un avenir politique. • La sauvegarde de la masculinité de l’ÉtatNation repose donc sur l’occultation de la perte de puissance impériale et l’accent mis sur une régénération européenne. Distribution des rôles • Le théâtre postcolonial donne naissance à un bestiaire riche en nouvelles têtes, résultat de torsions et de contorsions identitaires et culturelles. • Dans un premier temps absentes, l’ethnicité puis la race y occupent rapidement la place de choix réservée au premier rôle, celui de l’altérité de l’intérieur La multiplication des autres • L’anxiété identitaire française atteint son paroxysme dès lors qu’un universalisme communautariste, censé restaurer le prestige de la France, opère la jonction avec la multiplication des figures de l’autre surgies de l’histoire récente : Françaismusulmans, travailleurs immigrés, jeunes issus de l’immigration, beurs, islamistes convertis. Tous au masculin-pluriel. Le genre de l’autre • L’altérité emprunte alternativement et/ou simultanément les traits masculins et féminins selon la position qu’elle doit servir • Pour l’ordre colonial, l’efféminisation du sujet indigène s’impose et se décline. • Pour la République d’après les colonies, la masculinisation des dominés, descendants d’indigènes, devient la règle du jeu de rôles. Le genre de l’autre • En France, le corollaire de la masculinisation menaçante des autres, dominés et racialisés, réside dans l’inflation du discours de défense de certaines femmes contre leurs oppresseurs. • Ce double mouvement apparemment contraire fait glisser le genre et déplace son centre de gravité qui, tout en conservant son sens de la domination, épouse les reliefs du garçon arabe. L’autre idéal : le garçon arabe • Hétérosexuel violent, violeur et « voileur », antisémite et homophobe, Français par inadvertance, le garçon arabe est la figure inventée par un moment civilisationnel singulier. • Pour prendre place dans l’imaginaire partagé, il requiert l’existence d’une France postalgérienne (Sheppard) prise entre anxiété mémorielle et inquiétude économique et sociale. La race incertaine de l’autre • Le garçon arabe incarne une race particulière : ni noire, ni blanche. • Il se tient dans l’espace incertain d’une altérité raciale imposée tout en étant toujours mise en doute, et en jeu par une apparente blancheur. • Sa noirceur serait toute intérieure et artificiellement contredite par sa peau relativement blanche. La race se loge dans sa déloyauté supposée autant que dans la sexualité bestiale qui lui est attribuée. L’autre entre torsion et rectitude • Le genre du garçon arabe est multiple : il mêle autant les survivances iconiques de jeunes arabes désirables dans l’exotique Afrique du Nord que la représentation chaotique et érectile des lieux de ségrégation urbaine de leur descendants. • Son ambiguïté sexuelle est la condition de son endurance. Il est faussement straight. La localisation du garçon arabe • Le quartier est l’ossature de son corps tout comme le lointain bled (Terre Natale) persiste en toile de fond pour les spectateurs contemporains de cette scène indigène anachronique. • L’indigénat est reconstitué dans les marges ségrégées d’une France rejouant les colonies en attendant sa décolonisation. Le morphing du garçon arabe • En raison de sa grande plasticité et en dépit de son apparente rigidité, la figure du garçon arabe déborde vers d’autres sites dès lors qu’ils présentent le même caractère ambivalent: désirable/détestable. • Le jeune noir des cités, la fille voilée, le noir polygame, le jeune barbu, la musulmane vierge, la Marianne multicolore sont autant de possibilités de combinaisons sexe/race qui chacune souligne un trait sexuel générique. Masculinité machiste vs masculinité civilisée • L’imbrication entre sexe et race passe ici par la sexualisation des figures. • La sexualisation signe la bestialité et donc une plus grande distance de l’étalon civilisé. • La masculinité civilisée est effacée, atténuée voire abolie, balise la voie vers une hétérosexualité pacifiée. Les usages pluriels d’un profil • L’historicité du garçon arabe l’inscrit dans une longue lignée de la détestation et la fascination comme ressorts identitaires individuels et collectifs. • Sa surdimension sexuelle procède autant d’une trop grande proximité culturelle avec son modèle (l’homme blanc) que dans sa capacité supposée à en surpasser la performativité. La face cachée du profil • La surexposition de cette sexualité imaginée laisse dans l’ombre les explorations et inventions identitaires tentées par les Français d’ascendance migrante et coloniale. • Ces tentatives sont traduites par les expériences encore méconnues de lesbiennes voilées ou de jeune arabes « gay », ou anodines de Français sans qualité sexuée et sans relief ethnique et racial extérieurs. Quel climat de subjectivation? • L’autre subjectivation, celle du sujet réflexif, reste donc à découvrir (Foucault) par-delà le garçon arabe. Le climat n’y est pas favorable. • La relation intime entre démocratie sexuelle (Fassin) et république sexuelle signe la persistance d’un régime de privilèges sexuels. • Il trouve son expression paroxystique dans l’impossible accès à l’invention sexuelle de soi et l’obligation de se soumettre à une domestication racialement et ethniquement disqualifiante. Le cyborg postcolonial • Quelques propositions hasardeuses: – La décomposition de la figure du garçon arabe comme indice de la pluralisation sexuelle, raciale et ethnique de la France. – La pluralisation identitaire comme signe de l’achèvement du processus de décolonisation politique. – La décolonisation comme vecteur d’accès à une ère postraciale et postethnique. Regarder l’après-éclipse en face