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Azzam Mahjoub* June 2011 UPDATE: THE ARAB DEMOCRATIC WAVE: HOW THE EU CAN SEIZE THE MOMENT LES DÉFIS DE LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE EN TUNISIE Trois mois et demi après le déclenchement de la Révolution du 14 janvier, qui a entraîné la fuite de Ben Ali, la Tunisie vit au rythme du flux et du reflux de son processus de transition démocratique. Le premier épisode doit normalement déboucher le 24 juillet sur l’élection d’une Assemblée constituante qui sera chargée d’élaborer la nouvelle Constitution. L’actuel gouvernement provisoire dirigé par Béji Caïd Essebsi (depuis la fin février) gère non sans difficultés cette étape cruciale où les défis sont nombreux. Au plan général, la tension est toujours présente entre, d’une part, la consécration de la volonté populaire de réaliser les objectifs de la révolution (rupture réelle avec l’ancien régime et avènement d’une vraie démocratie) et, d’autre part, la nécessité d’une stabilité satisfaisante du pouvoir provisoire. Le premier impératif tend à accélérer le processus, le second plutôt à la ralentir. L’enjeu politique majeur réside dans la bonne gestion de cette tension, laquelle est tributaire de la capacité des acteurs politiques et de la société civile à construire et consolider des compromis acceptables et des consensus larges. L’actuel gouvernement provisoire a permis un compromis entre la Haute instance, à l’origine une simple commission de réforme politique, et le Conseil de protection de la Révolution regroupant les principales composantes politiques et civiles agissantes. Depuis, la Haute instance, dite de la réalisation des objectifs de la Révolution, de la Réforme politique et de la Transition démocratique (quoique encore contestée) s’est étoffée de 155 membres regroupant une douzaine de partis (sur 60), plusieurs organisations de la société civile dont l’UGTT, l’Ordre des Avocats et la Ligue des Droits de l’Homme (qui ont joué un rôle décisif lors de la Révolution) ainsi que nombre de personnalités nationales et de représentants des régions. Le 11 avril dernier, la Haute instance a voté à la quasi-unanimité deux projets de décret-loi. Le premier concerne la création d’une instance supérieure élector- 1 ale. Le second porte sur l’élection proprement dite, avec le choix du mode de scrutin (de liste) proportionnel (au plus forte reste), l’adoption du principe de liste paritaire hommes/femmes (une première dans le monde arabe) et l’interdiction aux membres de l’ancien parti du pouvoir (le RCD, dissout entre temps par décision de justice) ayant exercé des postes de direction aux plans national, régional et local au cours des vingt-trois dernières années d’être candidats à l’Assemblée constituante. Ce dernier point exacerbe actuellement les tensions entre la Haute instance et le gouvernement, lequel voudrait ramener la durée de vingt-trois à dix ans seulement. Ce défi doit être relevé, car le risque est de fragiliser le compromis et de faire éclater le consensus, essentiel pendant cette phase (autre gouvernement provisoire, report des élections). Il existe un risque que les forces encore agissantes contre la révolution saisissent cette nouvelle opportunité pour mener des actions déstabilisatrices et agiter le spectre de l’insécurité. Certes, la situation sécuritaire, prioritaire pour le citoyen lambda, s’améliore, mais elle est encore fragile à l’intérieur du pays. Dans la mesure où elle conditionne largement le sécuritaire, la dimension politique est ici primordiale. La réforme du système de sécurité constitue de fait un défi à court et à moyen terme. La nature conflictuelle des relations avec les forces de l’ordre à propos de l’investigation sur leurs agissements pendant la Révolution par exemple est un signe probant des difficultés réelles à gérer la tension entre recevabilité et réconciliation à propos des forces de sécurité, dont l’adhésion au processus de transition démocratique est opportune. Les évolutions sociales et économiques constituent elles aussi un enjeu crucial dans la mesure où elles conditionnent l’issue positive de la transition démocratique. La révolution du 14 janvier a révélé au grand jour l’ampleur de l’insécurité sociale avec un chômage élevé (compris entre 14 et 15% pour les jeunes et les diplômés, European Union Institute for Security Studies en particulier dans les régions de l’intérieur) et une forte précarité de l’emploi salarié (occasionnels, intérimaires, contractuels, etc.) ; d’où l’intense vague de contestation sociale sous forme de sit-in, de grèves, d’occupation de lieux de travail… Le climat social demeure tendu dans l’attente d’un accord entre les partenaires sociaux sous forme d’un compromis acceptable pour la période transitoire. L’enjeu est important car, encore une fois, un climat social apaisé est une condition nécessaire pour la bonne réussite de la transition démocratique, à plus forte raison dans un contexte économique peu favorable. Au vu des résultats connus du premier trimestre de cette année 2011, les prévisions actualisées du gouvernement provisoire tablent sur une croissance quasi nulle (1%, voire moins), plus de 700 000 chômeurs (ils étaient moins de 500 000 en 2010), soit un taux de chômage avoisinant les 20%. Sans entrer dans le détail du scénario établi pour cette année, force est ici de noter l’importance du défi que le(s) gouvernement(s) provisoire(s) devront relever à terme en matière de capacités politiques, institutionnelles et financières afin de mettre en place les politiques économiques et sociales permettant de booster l’économie et de créer le maximum d’emplois (en volume et en qualité) dans les régions les plus touchées. difficile de son processus de transition ? La Tunisie ne compte pour l’instant que sur elle-même et il revient à ses partenaires véritables de prendre des initiatives qui ne contribuent pas à hypothéquer son avenir. Les dons, la conversion de la dette en projets d’investissement et de création d’emplois, à titre d’exemple, aideraient à atténuer le stress financier pouvant à terme éviter un scénario catastrophe pour le pays. Pour un aperçu plus exhaustif des enjeux de la période actuelle, il faut également mentionner l’inclusion des partis islamiques, qui menace à des degrés divers les acquis de la modernité en Tunisie, en raison de l’émergence des salafistes ainsi que de l’ambiguïté du discours et des pratiques sur le terrain du parti Ennahda, le principal parti islamiste. Autre défi très actuel, le projet à l’étude de Pacte démocratique républicain, qui scellerait un socle de valeurs, de principes et d’acquis, devrait faire l’objet d’un consensus au sein de la Haute instance. Enfin, la révolution libyenne et l’issue de la confrontation armée ne vont pas manquer d’avoir des répercussions significatives sur le cours de la transition en Tunisie. Il est difficile d’en mesurer la portée, mais cela aussi fait partie des défis (extérieurs) auxquels la Tunisie est confrontée. Dans quelle mesure l’aide internationale, européenne en particulier, jusqu’ici quasi insignifiante et/ou non effective, pourrait s’ajuster aux besoins et aux exigences économiques et sociales de la Tunisie dans cette phase 2 European Union Institute for Security Studies