Revue Œnologie N°202 - Union des oenologues de France

Transcription

Revue Œnologie N°202 - Union des oenologues de France
Les goûts de bouchon, mise au point.
MICHEL G.
Laboratoire C-TRACES, 01750 Saint Laurent-sur-Saône
1
Le point sur les goûts de “moisi-bouchon”
dans les vins, leurs origines et les composés
responsables.
Les principaux agents responsables des goûts de moisi dans les
vins sont les chloroanisoles.
Ces chloroanisoles sont le plus souvent formés à partir de
précurseurs spécifiques : les chlorophénols, par méthylation
(biométhylation par l’intermédiaire de moisissures ou méthylation
chimique par des agents de méthylation).
Les molécules les plus fréquemment retrouvées dans les vins sont
le 2,4,6-trichloroanisole (TCA) et le 2,3,4,6-tétrachloroanisole
(TeCA).
Pour simplifier :
1.1- Le principal vecteur des goûts de moisi : le TCA
• La présence de 2,4,6-TCA dans les vins est essentiellement
d’origine bouchonnière (plus de 95% des cas).
Dans les contaminations massives par le 2,4,6-TCA, son précurseur,
le 2,4,6-trichlorophénol (24,6-TCP) est toujours détecté et souvent
avec des teneurs équivalentes (équilibre de formation).
CONDITIONNEMENT
Depuis l’abandon des lavages au chlore, ces cas de figure sont
peu fréquents. La plupart des contaminations par le TCA sont
faibles, c’est à dire au voisinage des seuils de perception ou de
reconnaissance de ce composé dans les vins (Sr = 4,6 ng/l) et le
précurseur TCP n’est pas toujours détecté.
• D’autres origines possibles de contamination par le TCA ont
été mises en évidence.
Elles sont, d’une part peu fréquentes et, d’autre part, toujours
liées à l’utilisation de biocides chlorés (produits dont l’utilisation
n’est pas recommandée dans les chais).
Quelques exemples :
- du TCA formé au contact du bois par l’utilisation d’eau de javel :
phénols de la lignine + source de chlore fi Formation de TCP +
moisissures fi Formation de TCA
- du TCA formé dans l’atmosphère de la cave (processus d’aérocontamination) par exemple par l’utilisation d’humidificateurs
fonctionnant avec des eaux de réseau très chlorées :
substrat de matières organiques (Phénols) + source de chlore fi
formation de TCP + moisissures fi Formation de TCA
1.2- Le deuxième vecteur des goûts de moisi : le TeCA
Son origine est essentiellement liée à l’utilisation du pentachlorophénol comme agent fongicide sur les bois.
Ce produit de qualité technique contient comme impuretés,
(environ 15 à 20 %), du 2,3,4,6-tétrachlorophénol (TeCP).
Sous l’action des moisissures, les biotransformations sont les
suivantes :
• PCP fi PCA
• 2,3,4,6-TeCP fi 2,3,4,6-TeCA : composé à odeur “moisi-bouchon”
La présence de ces 2 couples de composés organochlorés signe
le processus de contamination des vins qui s’effectue le plus souvent
par voie aérienne (aérocontamination).
20
Les vins peuvent être alors pollués sur cuve ou au moment de la
mise en bouteille.
Les pollutions peuvent également être initiées par contact
avec des matériaux contaminés (ex : matières sèches : terres de
filtration, bouchons...).
Régulièrement, nous dépistons à travers l’analyse de vins à “goût
de bouchon”, la pollution de caves ou de chais, par le pentachlorophénol (PCP) utilisé seul ou associé à d’autres principes actifs
organochlorés à activité fongicide et/ou insecticide (Lindane,
Aldrine, Dieldrine, Endosulfan...) sur divers types de bois (charpentes, palettes de stockage, portes de cave, cales en pin...)
Cependant, la réglementation de l’utilisation du PCP, une
meilleure appréhension de l’hygiène des chais dans le cadre des
démarches HACCP, les recommandations pour l’utilisation des
biocides, la mise en place de filtres absorbant sur les eaux de
réseaux, sont autant d’éléments positifs qui doivent contribuer à
une diminution importante des phénomènes d’aérocontamination
par les chloroanisoles.
N.B. : D’autres agents responsables de goûts de moisi dans les
vins ont été récemment mis en évidence.
Il s’agit des bromoanisoles et notamment du 2,4,6-tribromoanisole
(TBA).
Les mécanismes de formation sont les mêmes que ceux des
chloroanisoles, c’est-à-dire à partir de précurseurs sélectifs, le
plus souvent des bromophénols.
L’impact d’odeur vis-à-vis du descripteur “moisi-bouchon” du
2,4,6-TBA est 10 fois plus puissant que celui du 2,4,6-TCA
(seuil de perception dans les vins blancs = 0,5 ng/l).
Nous avons mis en évidence le TBA dans les vins par contamination directe à partir :
• de capsules métalliques de bouchage (vernis constitués à partir
de résines époxybromées)
• de copeaux de bois contaminés par le 2,4,6-tribromophénol
et le 2,4,6-TBA,
• et par aérocontamination : à partir d’isolant ignifugé contenant
des retardateurs de flamme à base de tétrabromobisphénol A.
Ces exemples sont des cas de figure isolés mais ils démontrent
la complexité des mécanismes mis en jeu, que seule l’analyse fine
permet de déchiffrer dans l’objectif d’établir les responsabilités.
2
La fréquence des goûts de bouchon
L’analyste peut faire la part des choses entre toutes les sources
de contamination possibles et exprimer un point de vue clair,
c’est pourquoi n’étant plus désormais la cause de tous les maux,
l’industrie bouchonnière ne doit pas se retrancher derrière les
écrans de fumée des aérocontaminations et/ou d’éventuelles
mauvaises pratiques chez les élaborateurs de vin.
Quant à la fréquence du TCA dans le vin, les chiffres sont très
différents selon qu’on se place du côté de l’industrie du bouchon
(moins de 2 % après les contrôles de qualité de routine) ou du
côté des experts du vin : plus de 4 % (étude de Pollientz et al,
1996 : 4,8 %).
Pour les différentes régions de France, les interprofessions citent
les chiffres suivants :
• Champagne : source CIVC Michel VALADE (Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne) en moyenne 4 % et forte
disparité par exemple de 0 à 15 % sur une série de 100 000 bouchons, source Coop. Avize Union Champagne : 8 à 9 % au début des années 90,
Revue Française d’Œnologie - septembre/octobre 2003 - N° 202
• Bordeaux : source CIVB (Conseil Interprofessionnel des Vins de
Bordeaux) sur 1 344 vins testés en 1988, 44 “ bouchonnés ”,
soit 3,3 %,
• Bourgogne : source BIVB (Bureau Interprofessionnel des Vins de
Bourgogne) Le Bien Public 1999 : 5 à 6 % de bouteilles ont des
défauts de type goût de bouchon effectivement liés au bouchon.
Le nombre des litiges traités ces deux dernières années par les
laboratoires spécialisés ne plaide pas en faveur d’une diminution
de ces chiffres.
C’est pourquoi, il est temps de réagir et de procéder à des
contrôles d’inertie des bouchons, plus spécifiques et plus systématiques, ciblés sur la migration du TCA.
3
La lutte anti-TCA : les produits alternatifs,
les parades et les contrôles de l’inertie
chimique des bouchons en liège naturel.
Si l’on excepte les grands progrès réalisés dans les systèmes
d’agglomérés composites et notamment dans la mise au point
de bouchons synthétiques à base de liège épuré, les évolutions
du bouchon de liège naturel en terme d’inertie vis-à-vis du TCA
sont moins évidentes.
Nous retiendrons surtout la mise en place de systèmes de stérilisation sur le produit fini très élaborés, comme le four générateur
de micro-ondes (qui associe également l’élimination des constituants volatils), ou des systèmes de protection avec une interface
en silicone souple utilisée maintenant pour les vins tranquilles.
Autant de parades qui conduisent à une reconnaissance implicite
du risque de pollution par le TCA.
La seule alternative pour éviter totalement le TCA serait bien sûr
le bouchon tout synthétique ; cependant pour conserver les vertus
du bouchage liège, il y a nécessité à faire évoluer rapidement les
contrôles de qualité de façon à mieux maîtriser la migration du
TCA.
4
Les outils analytiques pour contrôler les
goûts de moisi/bouchon
4.1- L’analyse sensorielle et les seuils de perception
Les seuils critiques de perception et de reconnaissance des défauts
“moisi-bouchon” dans le vin sont relativement bien établis, tant
en ce qui concerne le TCA que le TeCA. C’est le seul “référentiel”
dont nous disposions jusqu'à maintenant et qui conditionne la
mise en place des contrôles de qualité sur le bouchon, produit
fini.
Bien que ces seuils de perception puissent être pondérés suivant
les types de vins et la pertinence des jurys de dégustation, un
consensus peut s’établir sur les plages suivantes :
• TCA
1,5 à 6 ng/l
1,5 ng/l pour les vins effervescents
5,0 ng/l pour les vins tranquilles
• TeCA 14 à 25 ng/l
La mise en œuvre d’analyses sensorielles à partir de macérats
individuels de bouchons est relativement simple.
La plupart des tests se font en eau minérale neutre. L’eau possède
un faible pouvoir d’extraction des chloroanisoles, mais, en
contrepartie, les seuils de perception sont nettement abaissés. Il
faut ajouter que, sans alcool, un grand nombre d’échantillons
peuvent être dégustés après macération de 24 à 48 heures.
4.2- L’analyse globale des chloroanisoles
et des chlorophénols dans les bouchons liège
L‘analyse de la matrice liège après réalisation d’un broyat homogénéisé à partir des bouchons (10 bouchons par exemple)
nécessite des moyens d’extraction drastiques. Les méthodes mises
en œuvre par les laboratoires à ce niveau sont très diversifiées :
• solvant à haut pouvoir de gonflement du liège comme le
dichlorométhane
• distillation au soxhlet
• microondes
• fluide supercritique C02
• thermodésorption directe.
Les rendements d’extraction obtenus sur les chloroanisoles et les
chlorophénols sont très variables, ce qui implique l’utilisation de
standards internes appropriés. Ces traceurs doivent être introduits
correctement par dopage du liège. Par exemple, le 2,4,6-TCA
deutérié pour une analyse par dilution isotopique en chromatographie gazeuse et détection en spectrométrie de masse CG/SM.
Le dosage des chlorophénols nécessite une étape de dérivation
chimique. L’acétylation de ces composés les rend en effet plus
volatils et leur confère un meilleur comportement chromatographique, ce qui permet d’augmenter la réponse de détection,
avec, bien entendu, l’introduction d’un standard interne
spécifique, un polychlorophénol ou un polybromophénol.
Les techniques de chromatographie gazeuse/spectrométrie de
masse (CG/SM) ou chromatographie gazeuse double détection en
capture d’électrons (CG-ECD 63Ni) sont les plus performantes et
conduisent à des limites de détection (LDD) d’environ 0,2 ng/g.
Ces méthodes sont utiles pour une meilleure connaissance du
potentiel de micropolluants du liège avec une appréhension des
composés précurseurs (chlorophénols) et des composés convertis
(chloroanisoles).
En travail d’expertise (bouchons prélevés sur des bouteilles
contaminées), il est nécessaire de faire une investigation dans le
liège, sur des bouchons coupés en 2, voire 3 parties : haut, milieu
et bas, pour bien comprendre les processus de contamination et
de migration des différents chloroanisoles et chlorophénols,
quitte, en seconde intention, à démontrer la réalité de la migration
à partir de bouchons neufs contaminés mis en macération dans
un simulant vin (solution hydroalcoolique acide à 12 %).
Cependant dans le cadre d’un contrôle de qualité, ces méthodes
restent limitées pour plusieurs raisons :
• La première raison est la validation technique :
Il est difficile de “doper” correctement le liège avec les chloroanisoles et les chlorophénols (méthode des surcharges), et par
conséquent, de cerner au mieux l’exactitude du résultat. Un autre
point faible est l’intervalle d’incertitude de ces méthodes au
niveau du ng/g. (coefficient de variation >50 %).
Ces paramètres expliquent les écarts importants qui peuvent
exister entre les résultats de différents laboratoires pour l’analyse
des CA et CP dans le liège.
• La seconde raison est l’interprétation des résultats :
Que fait-on des résultats positifs obtenus ? A partir de quelle teneur
en TCA et TCP, l’utilisation du lot contrôlé devient-elle risquée ?
Quelle est la part du TCA “migrant” sur le TCA global ?
Quand on connaît l’hétérogénéité des taux de migration du
TCA, on comprend mieux que les résultats obtenus dans le liège
par ces méthodes ne permettent pas de répondre en terme de
risque d’apparition du goût de bouchon dans la bouteille.
5
D’autres défauts que les goûts de moisi peuvent être détectés :
goût “amer”, goût “chimique”.
Une nouvelle approche du Contrôle Qualité :
la détermination du TCA “relargable” par
microextraction en phase solide à partir
de macérats de bouchons liège.
L’analyse sensorielle est donc un bon outil de travail mais il
possède ses limites : nombreuses familles chimiques proches des
goûts de moisi, masqueurs d’arômes (tanins), fatigue sensorielle,
manque de discrimination au niveau des seuils critiques, difficultés de constituer et d’entraîner des jurys...
Dans la continuité de la technique de dosage des chloroanisoles
dans le vin par Microextraction en Phase Solide SPME et
CG/ECD 63Ni (méthode publiée par G. MICHEL en janvier
1997), nous avons adapté cette technique à l’étude des macérats
Revue Française d’Œnologie - septembre/octobre 2003 - N° 202
21
de bouchons liège en “simulant vin”. Nos travaux de recherche
entrepris depuis plus de 2 ans sur la migration des chloroanisoles
(TCA, TeCA et PCA) à partir des bouchons liège naturel, nous
ont conduits aux observations suivantes :
• L’état d’équilibre “Steady State” du TCA “relargué” est atteint
relativement rapidement ; 24 heures de macération sont suffisantes.
• Les taux de migration exprimés par la teneur en TCA “relargué”,
sont très variables d’un lot à l’autre et de faible intensité : 0,1 à
10 % du contenu global en TCA du bouchon.
Ces résultats concordent avec ceux obtenus par le laboratoire
ETS à St Hélène -Californie- dans le cadre du Cork Quality
Council (CQC) qui constate également que pour un même lot
homogène, le TCA “relargué” à partir de x bouchons groupés
placés en macération unique est le même que celui obtenu pour
x bouchons mis en macération individuellement.
L’analyse du TCA “relargué” à partir de bouchons groupés peut
donc refléter la distribution du TCA dans une population de
bouchons si le lot est relativement homogène.
5.1- Les avantages de la méthode SPME
5.1.1- La facilité de réalisation
La mise en place de la macération se fait à partir de 20 bouchons
(pour une représentation statistique satisfaisante), placés dans
un bocal en verre d’1 litre. L’immersion totale est obtenue avec
750 ml de simulant vin. La macération est réalisée pendant
24 heures à température ambiante.
5.1.2- Le potentiel de l’extraction sur fibre
Les fibres de polydiméthylsiloxane sont très performantes pour
adsorber des composés volatils peu polaires.
Bien que non sélective, cette adsorption permet par exemple
d’obtenir des facteurs de concentration de 1000 pour le TCA
lorsque la fibre est placée dans l’espace de tête du macérat
hydroalcoolique dans des conditions optimisées (dilution,
temps, température, agitation).
5.1.3- Des limites de détection (LDD) très basses et une méthode fiable
La limite de détection du TCA dans les macérats est d’environ
0,5 ng/l (0,5 ppt), ce qui est beaucoup plus bas que le seuil
critique de l’analyse sensorielle. Les coefficients de variation dans
la zone des seuils critiques, c’est-à-dire entre 2 et 6 ng/l, sont
inférieurs à 10 %.
En conclusion, les tests classiques de contrôle sensoriel réalisés à la fois par les bouchonniers et les utilisateurs de bouchons permettent de mettre en évidence différents types de
déviations organoleptiques dont les descripteurs sont :
“moisi-bouchon”, “champignon”, “chimique”, “amer”... et par
conséquent d’éliminer les lots défectueux. Cependant,
ces tests sont fastidieux et manquent parfois de précision.
Un contrôle chimique de qualité, réalisé à partir de macérats
de bouchons permet une investigation plus spécifique du
goût de “moisi-bouchon”. Cette méthode d’analyse du
trichloroanisole et autres chloroanisoles “relargués” par les
bouchons, qui associe la microextraction en phase solide
SPME à la chromatographie gazeuse CG-SM ou CG-ECD 63Ni
est fiable et très sensible. Sa précision au voisinage des
seuils critiques de perception du défaut TCA (2 à 6 ng/l)
permet de détecter facilement les lots à risque et ainsi de
rendre le plus grand service aux élaborateurs de vin.
BIBLIOGRAPHIE
Dosage des chloroanisoles dans les vins par Micro Extraction en
Phase Solide (SPME) et chromatographie gazeuse avec détection en capture d’électrons ECD 63Ni - Gérard MICHEL - Revue
des Œnologues n° 82 - Janv. 97.
TCA in Corks, Cork Soaks and Bottled wine Eric HERVE and al Ets Laboratoires.
22
Travaux présentés à l’ASEV Annual Meeting Enology Session, le
7/02/1999 à Reno, NEVADA : étude portant sur l’analyse de plus
de 3 000 échantillons.
Revue Française d’Œnologie - septembre/octobre 2003 - N° 202