Le mycélium annulaire : rond de sorcières, ou cercle de fées?

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Le mycélium annulaire : rond de sorcières, ou cercle de fées?
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Le mycélium annulaire : rond de sorcières, ou cercle de fées?
par Catherine Vautier-Péanne
Dans les prés souvent, mais aussi les sous-bois, on peut observer de
curieuses formations circulaires de certaines espèces de champignons.
Parmi les plus typiques, on peut citer le Tricholome de la Saint-Georges,
le Marasme des Oréades et la Tête de Moine (Calocybe Gambosa,
Marasmius Oreades et Clitocybe Geotropa). Au début de la
connaissance, c'est-à-dire quand on ne savait rien, on avait recours à la
magie pour expliquer le phénomène : au Moyen Age, certains hommes y
voyaient la marque de la danse nocturne des sorcières et les ont
exorcisées, tandis que d’autres s’enflammaient à l’idée que c’était bel et
bien les fées qui étaient passées par là durant la nuit.
Pour les premiers, ces ronds peuvent se révéler extrêmement dangereux.
Si par malheur un humain marche dessus sans s’en apercevoir, à coup sûr
il perd son chemin, si ce n’est aussi la tête ! Pour les seconds au
contraire, il s’agit d’un merveilleux coup de chance : il suffit de se glisser à l’intérieur du cercle et de formuler un vœu.
Si les fées ont laissé tomber dans l’herbe un peu de poudre magique pendant leur ronde folle de la nuit, le vœu a toutes
les chances de se voir exaucé ! Les cercles de fées sont entourés de littérature. En sont nées les dryades, nymphes et
autres grâces. En pays celtiques c’étaient les fées, les korrigans et les farfadets alors qu’en terre germanique les elfes et
les gnomes en étaient les auteurs présumés…
Plus sérieusement, il s’agit d’un phénomène naturel d’extension d’un
mycélium selon deux formations différentes : dans la première le mycélium
reste plus ou moins fertile sur toute sa surface, ou bien - deuxième
formation - l’extension a lieu par un mouvement centrifuge qui laisse stérile
la surface circonscrite par l’anneau. Dans les deux cas le mycélium issu de
la spore germée a la faculté, en se ramifiant, de pousser dans toutes les
directions : dans le cas idéal il formerait une sphère ayant pour centre la
spore initiale. Mais sa croissance étant arrêtée à l’air libre on ne voit donc
au sol que le périmètre de cette sphère. D’année en année celui-ci
s’agrandit, le mycélium étant toujours à la recherche d’un nouveau substrat
à digérer. Plus un mycélium est vigoureux, plus il stérilise la terre pour la
même espèce là où il est passé. Le procédé le plus courant est un bond
annuel. Clitocybe Geotropa par exemple fructifie en automne, en hiver on
suppose que le mycélium reste inerte. Mais dès le printemps il prolifère au-delà de sa bordure extérieure sur une
largeur de quarante centimètres sous la forme d’un feutrage blanc odorant. Ce feutrage disparaît après avoir fait mourir
l’herbe de telle sorte que le cercle le plus vert est celui de l’an passé. La couverture herbeuse dépérit fréquemment sur
cette zone dénudée où apparaîtront plus tard, en saison, les nouveaux carpophores. Le dépérissement s’explique par
l’épuisement des substances nutritives du sol au profit du mycélium et la production par ce dernier de nitrates à un fort
degré de concentration.
D’autres espèces procèdent par bonds successifs (T. Georgii) parfois jusqu’au mois de juillet quand le temps est
régulièrement pluvieux. Certains ronds atteignent plusieurs dizaines de mètres de diamètre, voire plusieurs centaines
pour les plus vieux. La distance franchie chaque année étant connue, l’âge du mycélium annulaire peut être déduit
assez facilement. Les cercles d’une dizaine d’années ne sont pas rares, Georges Becker a même repéré près de Belfort
un cercle de Clitocybe Gigantea estimé à plus de… 600 ans !
Il y a aussi de faux cercles, comme ceux que forme le Lactaire Délicieux autour des pins isolés. En réalité le
champignon n’y est pour rien, il pousse là où les radicelles de l’arbre affleurent à la surface du sol ; or cette zone
s’éloigne tous les ans du tronc de l’arbre…
Vous rêvez d’un cercle de Boletus Edulis ? Ne rêvez plus, le Club de Conflans l’a fait ! Poisson d’Avril. Toutes les
espèces n’en produisent pas, certains genres paraissent plus prédestinés que d’autres. Les Amanites y sont peu sujettes,
sauf Verna, Muscaria et Rubescens. Les Lépiotes, surtout les grandes, y sont assez fidèles, de même que quantités de
Tricholomes et de Clitocybes.
Si on en trouve aujourd’hui de moins en moins, leur disparition serait-elle due à l’avidité de certains ramasseurs qui
tels Attila ne laissent rien derrière eux, et pour ne rien oublier vont jusqu’à arracher la mousse et les malheureux
mycéliums ? Le débat est ouvert.
Avec le concours de Georges Becker (La vie privée des champignons) et Guillaume Eyssartier (Guide écologique des
champignons), ouvrages consultables à la bibliothèque.