Conséquences de l`irradiation de la thyroïde.
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Conséquences de l'irradiation de la thyroïde Conséquences de l'irradiation de la thyroïde. Martin Schlumberger Service de Médecine Nucléaire et Cancérologie Endocrinienne Institut Gustave Roussy - Villejuif - France. Résumé L’irradiation de la thyroïde chez l’enfant augmente le risque de tumeurs de la thyroïde, dont 20 % environ sont des cancers. A fortes doses, l’irradiation augmente le risque d’hypothyroïdie. Irradiation - Thyroïde - Tumeur - Hypothyroïdie ðL’irradiation de la thyroïde pendant l’enfance peut provoquer des anomalies tumorales. De plus, l’irradiation à fortes doses peut provoquer des anomalies fonctionnelles, quelque soit l’âge, lors de l’irradiation [1-4]. LES ANOMALIES FONCTIONNELLES ðL’irradiation de la thyroïde à fortes doses (supérieures à plusieurs Gy) peut provoquer des anomalies fonctionnelles [4] : hypothyroïdie qui est liée aux phénomènes de mort cellulaire et plus rarement hyperthyroïdie ou thyroïdite silencieuse. Ces anomalies fonctionnelles sont fré- quentes après irradiation à fortes doses, le risque actuariel d’hypothyroïdie à 26 ans, après irradiation pour maladie de Hodgkin (dose délivrée aux aires ganglionnaires cervicales égale à 40 Gy) étant de 47 % [4]. prescrite à vie, l’hypothyroïdie une fois installée étant définitive. Elles surviennent en général précocement après l’irradiation, la médiane de survenue étant de 4 à 5 ans, mais l’hypothyroïdie peut survenir après plusieurs années, ce qui justifie une surveillance biologique régulière (dosage de la TSH) après exposition à de fortes doses d’irradiation. L’hypothyroïdie est en effet d’installation progressive et insidieuse et son diagnostic risque d’être tardif si elle n’est pas recherchée de manière systématique et à intervalle régulier. Son traitement est la L-thyroxine qui est ðLa thyroïde est un des organes les plus sensibles à l’action cancérigène des radiations ionisantes. LES ANOMALIES TUMORALES Nature des tumeurs de la thyroïde après irradiation ðLes nombreuses études épidémiologiques réalisées chez les survivants des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki et chez des sujets irradiés par voie externe pour des pathologies bénignes ou malignes ont montré que l’irradiation Correspondance : Martin Schlumberger - Service de Médecine Nucléaire et de Cancérologie Endocrinienne - Institut Gustave Roussy - 94805 Villejuif Cedex - France Tel.: 01 42 11 60 95 - Fax : 01 42 11 52 23 - E-mail : [email protected] 156 Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2002 - vol.26 - n°3 M. Schlumberger externe augmente le risque de tumeur de la thyroïde, dont 20 % environ sont des cancers, d’histologie le plus souvent papillaire. Les cancers papillaires sont souvent multicentriques, et doivent donc être traités par thyroïdectomie totale [5,6]. Leur pronostic à long terme est favorable et leur prise en charge doit être identique à celle des cancers papillaires survenus en l’absence d’irradiation. Les adénomes de la thyroïde sont en général multiples et bilatéraux. La chirurgie, lorsqu’elle est indiquée, doit là aussi consister en une thyroïdectomie totale et être suivie par un traitement par L-thyroxine à vie. Latence après irradiation ðL’augmentation de l’incidence des tumeurs de la thyroïde survient après une période de latence d’au moins 5 ans, augmente entre 5 et 10 ans, passe par un maximum entre 15 et 30 ans après l’irradiation puis le risque diminue mais reste significativement élevé pendant au moins 40 ans. Relation dose-effet ðLe risque est significatif pour des doses délivrées à la thyroïde aussi faibles que 100 mGy en moyenne; audelà de cette dose, le risque augmente de manière linéaire avec la dose jusqu’à quelques dizaines de Gy. La majorité des patients qui ont reçu des doses d’irradiation faibles ou modérées sont euthyroïdiens lors de la découverte de la tumeur thyroïdienne. Au-delà de quelques dizaines de Gy, le risque global reste élevé, mais en raison des phénomènes de mort cellulaire, il n’augmente pas avec la dose. Facteurs de risque ðParmi les facteurs de risque, le plus significatif est l’âge lors de l’exposition aux rayonnements. Les sujets de moins de 5 ans lors de l’irradiation ont un risque maximal ; ce risque diminue rapidement avec l’âge lors de l’irradiation et n’est plus significatif au-delà de 15 à 20 ans. Aucune étude n’a montré un excès de risque pour une exposition au delà de l’âge de 45 ans. Chez le jeune enfant, l’excès de risque après une dose de 1 Gy est de 7,7, ce qui est très élevé et plus de 85 % des tumeurs de la thyroïde survenues chez ces sujets sont attribuables aux radiations. Le sexe du sujet est un autre facteur de risque, les tumeurs de la thyroïde après irradiation étant 2 à 3 fois plus fréquentes chez la femme que chez l’homme. L’existence de facteurs de susceptibilité génétique est suggérée par plusieurs types d’arguments : survenue de plusieurs cancers de la thyroïde dans les familles dans lesquelles plusieurs enfants ont été exposés au risque ; survenue de plusieurs tumeurs radio-induites (thyroïde, parathyroïde, salivaire, nerveuse, et en fonction du champs d’irradiation, cérébrale ou mammaire) chez un même sujet irradié ; risque particulièrement élevé chez certains sujets, par exemple chez les enfants irradiés pour neuroblastome ; mise en évidence d’anomalies de réparation de l’ADN chez les sujets qui ont développé une tumeur de la thyroïde après irradiation [7]. Il est également possible que d’autres facteurs tels que les habitudes alimentaires, l’apport alimentaire en iode, le poids corporel, les grossesses jouent un rôle. Les caractéristiques physiques du rayonnement, et en particulier les modifications du débit de dose et du fractionnement de la dose modifient peu le risque. Iode 131 ðLe suivi de sujets après exposition à l’iode radioactif pour des raisons Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2002 - vol.26 - n°3 médicales, soit à visée diagnostique pour scintigraphie (dose moyenne à la thyroïde : 1 Gy), soit à visée thérapeutique pour hyperthyroïdie (dose moyenne à la thyroïde :100 Gy) a montré l’absence d’augmentation significative des cancers de la thyroïde [8,9]. Ceci peut être expliqué par le fait que les pathologies thyroïdiennes surviennent chez des adultes, à un âge où la thyroïde est peu ou n’est plus sensible à l’action cancérigène des radiations. De même, une études récente a montré que le risque de cancer de la thyroïde n’est pas augmenté près exposition à des activités diagnostiques pendant l’adolescence [10]. Par contre, les données disponibles chez les enfants sont actuellement insuffisantes pour exclure un risque cancérigène de l’exposition à l’iode 131, ce qui doit conduire à éviter son utilisation chez les jeunes enfants. L’accident deTchernobyl ðLa thyroïde est l’objet d’un regain d’intérêt depuis l’accident de Tchernobyl en 1986. En effet, une augmentation considérable de l’incidence des cancers de la thyroïde a été observée en Ukraine et en Biélorussie chez les enfants fortement contaminés par les iodes radioactifs à la suite de cet accident [11,12]. La majorité des enfants qui ont développé un cancer de la thyroïde étaient âgés de moins de 10 ans lors de l’accident, et particulièrement chez ceux âgés de moins de 5 ans [13]. Cette augmentation contraste avec l’absence d’augmentation des autres cancers et des leucémies chez ces enfants, ce qui est lié aux faibles doses d’irradiation délivrées aux organes extra-thyroïdiens. L’augmentation de l’incidence des cancers de la thyroïde a été très précoce, dès 1990 et a été liée à la survenue de cancers particulièrement agressifs. Par la suite, les cancers de la thyroïde observés avaient les mêmes caractéristiques que les cancers survenus après irradiation externe. 157 Conséquences de l'irradiation de la thyroïde Il faut noter qu’aucune conséquence sanitaire de cet accident n’est décelable en dehors de l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie [14] ; notamment en France, il n’existe aucun argument suggérant que cet accident ait provoqué une augmentation de l’incidence des cancers de la thyroïde. L’augmentation apparente de l’incidence constatée depuis 25 ans va de paire avec une mortalité stable ou en diminution, ce qui s’explique par un meilleur dépistage de ces lésions [15]. Prophylaxie de l’irradiation de la thyroïde ðL’irradiation de la thyroïde de l’enfant peut donc provoquer l’apparition d’un cancer de la thyroïde, quelle que soit la nature du rayonnement et ce d’autant plus que l’enfant est plus jeune. En cas de contamination atmosphérique, les jeunes enfants doivent être protégés en priorité. Les méthodes de prévention de l’irradiation de la thyroïde en cas de contamination atmosphérique repose sur des mesures générales, confinement, restrictions alimentaires, voire évacuation et sur la prise d’iodure de potassium. L’iodure de potassium peut empêcher toute concentration d’iode radioactif par la thyroïde à condition qu’une dose suffisante soit administrée (adultes y compris les femmes enceintes: 100 mg d’iodure soit 130 mg de KI ; enfants < 13 ans : 50 mg d’iodure ; enfants < 3 ans : 25 mg), soit avant soit immédiatement après la contamination. Ceci a constitué le rationnel pour la pré-distribution de comprimés d’iodure de potassium autour des centrales nucléaires françaises. En évitant la concentration de l’iode radioactif par la thyroïde, l’iodure de potassium peut ainsi limiter les risques sanitaires de la contamination par les iodes radioactifs, car ces radioéléments ne sont pas (ou très peu) concentrés par les tissus extra-thyroïdiens, et la dose délivrée à ces organes est 1000 à 10000 fois plus faible que celle pouvant être délivrée à la thyroïde. Les effets secondaires, thyroïdiens et extra-thyroïdiens, sont exceptionnels chez l’enfant et ne s’observent en fait que chez les adultes, chez qui la prophylaxie par l’iodure de potassium a peu ou pas d’intérêt. Les anomalies moléculaires ðLes réarrangements chromosomiques RET/PTC sont trouvés dans 5 à 25 % des cancers papillaires survenus en l’absence d’irradiation et dans 60 à 80 % des cancers papillaires survenus après irradiation cervicale pendant l’enfance, ce qui peut permettre d’effectuer des études d’épidémiologie moléculaire [16-19]. Plusieurs arguments suggèrent que ces réarrangements sont responsables de la survenue des cancers papillaires après l’irradiation. Ces réarrangements sont observés après irradiation in vitro de cellules thyroïdiennes ; ils ont été trouvés dans des micro-cancers papillaires de la thyroïde ; les souris transgéniques chez qui l’expression du gène RET/PTC est limitée à la thyroïde développent des cancers papillaires. Les réarrangements RET/PTC observés après irradiation sont intra-chromosomiques (RET/ PTC1 et 3) et ne s’accompagnent pas de délétions. Le réarrangement RET/ PTC3 est associé à un phénotype agressif, le réarrangement RET/PTC1 au phénotype habituel des cancers papillaires. Prise en charge des sujets irradiés pendant l’enfance ðLes sujets irradiés pendant l’enfance doivent être surveillés toute leur vie. Les facteurs de risque sont identifiés : âge jeune lors de l’irradiation, dose d’irradiation élevée, sexe féminin, antécédent personnel ou familial de tumeur associée à l’irradiation. La plupart des sujets sont euthyroïdiens, ce que confirme la normalité du taux de TSH. Il n’y a pas de preuve que le traitement par thyroxine diminue le risque de tumeur de la thyroïde. La palpation et l’échographie cervicales sont pratiquées tous les 1 à 3 ans, en fonction des facteurs de risque. La découverte d’un micronodule (< 1 cm) le fait contrôler 6-12 mois plus tard. Tout nodule de plus d’1cm de diamètre justifie un bilan complet comprenant une cytoponction à l’aiguille fine. L’attitude thérapeutique peut alors être basée sur les résultats de la cytologie, mais les nodules étant souvent multiples, la chirurgie est souvent indiquée. En conclusion, l’irradiation de la thyroïde pendant l’enfance augmente le risque d’apparition de tumeurs. Elle doit donc être évitée, et en cas de contamination par les iodes radioactifs, une prophylaxie par l’iodure de potassium doit être effectuée. Thyroid diseases after irradiation Thyroid exposure to radiation during childhood increases the risk of thyroid tumors, among which about 20 % are malignant. High radiation doses increase the risk of hypothyroidism. Irradiation - Thyroid - Tumor - Hypothyroidism 158 Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2002 - vol.26 - n°3 M. Schlumberger RÉFÉRENCES 1. Shore RE. Issues and epidemiological evidence regarding radiationinduced thyroid cancer. Radiat Res 1992 ; 131 : 98-111. 8. 2. 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