La jeune fille en robe blanche
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La jeune fille en robe blanche
ManusKrits, Association Loi 1901 Pour l’Avènement des Grands Auteurs de Demain Document protégé LES MANUSKRITS DERLETH Magies & Sorcelleries La jeune fille en robe blanche Gabriel Chocma Dédié à A.., dont l’être m’inspira ces quelques pages, Avec toute mon affection. A la mémoire de Théophile Gautier, En témoignage de ma profonde admiration pour ses écrits. Retrouvez les SKripteurs sur leur site Internet : http://www.manuskrits.net Tous les textes, toutes les infos. Page 1 sur 1 ManusKrits, Association Loi 1901 MSK Derleth : Magies & Sorcellerie / La jeune fille en robe blanche Pour l’Avènement des Grands Auteurs de Demain Gabriel Chocma « Une grande âme est au-dessus de l'injure, de l'injustice, de la douleur, de la moquerie; et elle serait invulnérable, si elle ne souffrait par la compassion. » Jean de La Bruyère (1645-1696) Il ne distinguait presque rien sur la petite route de montagne qu’il avait empruntée. Seuls deux phares jaunes tentaient vaillamment mais sans grand succès, de baliser les ténèbres du chemin légèrement enneigé mais traîtreusement glissant. Cent fois déjà, il avait eu le sentiment qu’il allait verser inévitablement dans le vide, lorsqu’un tournant se présentait ; cent fois déjà, il avait failli succomber au sommeil, ses moments d’absence se faisant de plus en plus fréquents ; de plus en plus prolongés. Une pluie fine, verglassante, s’acharnait sur lui à grands flots depuis plus d’une heure, ajoutant à sa solitude et la monotonie du trajet. Il avait coupé la radio pour être plus attentif et se contraignait inlassablement à passer une peau de chamois sur le pare-brise, pour effacer le voile de buée qui se reformait sans cesse devant ses yeux. Tous les quarts d’heures, il était assailli de doutes, de remords et de cuisante culpabilité. Arrête-toi… pensait-il alors. Ce ne sont que des fiançailles… Elle préfère te voir vivant à ses côtés, que la nuque brisée au fond d’un ravin…Mais aussitôt, une voix surgissant dans son esprit, l’exhortait pleine d’un ton de réprimande : C’est entièrement de ta faute et tu le sais ! Tu n’avais qu’à partir plus tôt dans l’après-midi… Alors, l’œil hagard et le réflexe éteint, harassé, il poursuivait sa route, rythmée par le grincement monocorde des essuies-glace. Qu’est-ce que… ? Un choc violent ressenti sur le devant de la voiture l’avait brusquement tiré de sa torpeur. Malgré l’extrême intensité lumineuse des phares, il ne discernait toujours rien à travers la buée du pare-brise et le rideau de la pluie restait impénétrable. Le moteur s’était arrêté. Il en fut presque soulagé. Le souffle hésitant, il réajusta ses lunettes sur son nez et remonta le col de son imperméable élimé. Il avait la main sur la poignée de la portière, quand deux coups légers claquèrent contre la vitre. Avec une légère appréhension, il l’abaissa lentement. Un visage glabre à demi dévoré par la leur des phares et ruisselant de pluie lui apparut comme une vision : celui d’une fille qui ne semblait pas avoir plus de seize ans ; elle portait une robe blanche maculée de fine neige sale ; froissée, déchirée… Retrouvez les SKripteurs sur leur site Internet : http://www.manuskrits.net Tous les textes, toutes les infos. Page 2 sur 2 ManusKrits, Association Loi 1901 MSK Derleth : Magies & Sorcellerie / La jeune fille en robe blanche Pour l’Avènement des Grands Auteurs de Demain Gabriel Chocma Il n’arrivait pas à détacher le regard de cette expression larmoyante qui se mêlait à la plainte du vent froid en un murmure suppliant : « Aidez-mmo...moi… S’il vous plaît… » Il ouvrit la portière avec précaution et se glissa au dehors sans cesser de fixer des yeux cette jeune fille perdue et éblouissante de détresse. Sous le tissu léger, son corps aux courbes évanescentes, tout à la fois si insaisissables et cependant si finement dessinées, sculpture magnifique de féminité, lui paraissait arraché au cœur même de l’éther. Tant de beauté angélique, si profondément empreinte pourtant d’une expression d’indic ible douleur proprement humaine… Il restait sans voix. Autour d’eux, la nuit ; noire ; enveloppée d’un silence seulement interrompu par le mugissement du vent automnal et de la pluie tombante. Plein de retenue et de pudeur, il lui tendit la main. A cet instant, son cœur était empli du désir secret de la serrer tendrement contre son cœur. Il ne voulait rien tant qu’apaiser le brasier de souffrances hurlantes, ce feu ardent qu’il voyait brûler au fond de ses yeux, et que même la pluie, vivante rivière nourrie de ses larmes, ne parvenait à éteindre. « J’ai froid… Si froid… » gémit-elle. Elle saisit la main chaude et sanguine en un geste de désespoir presque animal, et la porta à ses lèvres bleuies et gercées par le froid, comme pour en aspirer la chaleur ; en sentir le contact rassurant. Il faillit la retirer instantanément. Sa peau !… Elle était si froide ! Aussi froide que celle d’une morte ! L’intensité inattendue de ce contact le tira de son mutisme. « Venez… » Il ôta son imperméable pour le lui passer sur les épaules. « Venez vous réchauffer dans la voiture… » Elle se laissa conduire docilement, sans manifester la moindre résistance ; tout au contraire. Elle se coula contre sa poitrine pour tenter d’emmagasiner la chaleur et le réconfort que son corps autant que son esprit paraissaient réclamer. Il sentit son abondante chevelure blonde et trempée, caresser frémissante, son sein gauche, à travers son pull de lainage épais… Avec précaution, il l’aida à s’introduire dans le véhicule et s’assit à ses côtés. De nouveau, elle se pressa contre lui cherchant à chasser le froid mortel qui sembla it réellement lui consumer les entrailles. Eperdue, elle s’accrochait à lui avec tant de force, ses bras menus exerçant sur son corps une telle pression, qu’il en était tout à fait bouleversé. Il allongea la main vers l’interrupteur du plafonnier et l’alluma. La lumière jaillit brusquement arrachant à la jeune fille un petit gémissement, confusion d’effroi et de douleur. « Non ! Eteignez ! Je vous en prie !!! » Complètement déconcerté, il éteignit vivement la loupiotte alors qu’elle éclatait en sanglots entre ses bras et s’agrippait de plus belle jusqu’à l’étouffer. Alors, gauchement, il se mit à la bercer contre son cœur ; lui glissant à l’oreille des murmures tendres, apaisants, dans l’incertain espoir de la réconforter. Seigneur ! Elle était si froide… Prenant ses mains dans les siennes, il entreprit de les frictionner doucement pour tenter de leur redonner de la Retrouvez les SKripteurs sur leur site Internet : http://www.manuskrits.net Tous les textes, toutes les infos. Page 3 sur 3 ManusKrits, Association Loi 1901 MSK Derleth : Magies & Sorcellerie / La jeune fille en robe blanche Pour l’Avènement des Grands Auteurs de Demain Gabriel Chocma chaleur. Peu à peu, à force de caresses et d’attentions, la pauvrette finit par se calmer. Lentement, elle releva la tête. Lui, dans la pénombre, avait le regard perdu au fond de ses yeux bleus. Alors, elle lui enserra timidement le visage dans ses mains exsangues pour mieux lui renvoyer son image. Elle ressemblait tellement à sa fille … Elle était à peine plus jeune qu’elle. Un sourire fleurit sur les lèvres de la fille, avant qu’elle ne laisse échapper en un souffle : « Vous êtes gentil… » Une larme légère poignit aux coins de ses yeux et elle continua faiblement : « Vous ne l’avez pas fait exprès, n’est-ce pas… ? » Mon Dieu, sa voix…si douce, merveilleuse…et pourtant…elle portait les accents d’une douleur infinie… Il était la proie d’un tel émoi, qu’il fut incapable d’articuler un seul mot. Sans se soucier de son trouble, elle essuya ses yeux larmoyants au revers de son imperméable . « Je m’appelle Eliane… » Ses doigts délicats vinrent effleurer tendrement une joue piquetée de poils. « Merci… Maintenant, je peux partir… – Mais… » Elle appliqua sur ses lèvres un doigt qui le réduisit au silence. « Schhh…. » Enfouissant son visage juvénile au creux de sa poitrine et l’enserrant de nouveau de ses bras, elle soupira et s’endormit presque aussitôt. Hanté par un cortège d’interrogations sans réponses, il parvînt finalement à trouver le sommeil à son tour. Ce furent le froid et les premières lueurs roses d’une aurore naissante qui le tirèrent de ses rêveries. Un moment, il ne se souvînt de rien. Puis la mémoire lui revînt, floue, indistincte, à travers une juxtaposition d’images. La jeune fille… Elle n’était plus là. Sur le siège du passager, son imperméable gisait, comme jeté là … Après quelques instants d’hésitation, il sortit de la voiture. Et alors qu’il jetait un regard alentour, à quelques mètres du devant du capot défoncé, une jeune fille en robe blanche étincelante de givre était étendue là, le crâne ouvert, pantin désarticulé et sans vie . Dans quelques heures, sa fille échangerait les anneaux avec son fiancé et il ne serait pas à ses côtés. FIN Retrouvez les SKripteurs sur leur site Internet : http://www.manuskrits.net Tous les textes, toutes les infos. Page 4 sur 4