Avron Cachez ce tag que je ne saurais voir
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Avron Cachez ce tag que je ne saurais voir
Avron Cachez ce tag que je ne saurais voir Un matin, comme d’habitude en dégarant mon train en début de service, je visite celui-ci. Surprise : un splendide graffiti, tout frais, me saute aux yeux. Je le signale illico au chef de manœuvre, qui reporte au sous-chef de terminus ; celui-ci va jusqu’au train pour constater les dégâts. Comme le graffiti est à la fois très visible et insultant (non, je ne dirai pas ce qu’il était écrit), le sous-chef prévient le service qui s’occupe des graffitis. Un agent vient photographier le tag. Les tags, naturellement, sont signés ; les graffeurs sont des artistes urbains, ils ont des pseudos, des styles, des détails qu’ils apposent systématiquement afin de se reconnaître les uns les autres – en courant peut-être après l’espoir d’un jour rencontrer la célébrité et devenir 31 Cachez ce tag que je ne saurais voir PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-31/8/2010 17H26--L:/TRAVAUX2/MAX-MILO/VOUS-EMM/AAGROUP.145-PAGE31 (P01 ,NOIR) un artiste reconnu publiquement. Un service centralise les clichés et constitue un catalogue. Le tag de ce matin-là est donc venu grossir la collection… Pendant que je prends mon service sur un autre train, le premier est conduit en position de dégraffitage afin d’être nettoyé dans la nuit. ❋ La RATP est en guerre contre les tagueurs. Des agents sont d’ailleurs spécialisés dans la lutte contre les tags. Les stations – sièges, murs –, comme les trains – intérieur et extérieur – sont autant de cibles qu’ils affectionnent. Un reportage au JT a ainsi annoncé 200 tagueurs sévissant en région parisienne. Ces individus, des jeunes le plus souvent, prennent de plus en plus de risques pour réaliser leurs tags. Il arrive même qu’ils taguent, en pleine journée, un métro en circulation, ou les vitres d’un guichet en station. Voyageurs comme agents sont alors impuissants. Les tagueurs diffusent ensuite leurs exploits, filmés avec leur téléphone portable, sur la Toile. C’est la raison d’être de ce qu’ils font : il leur faut une preuve de la prestation réalisée, pour la gloire, pour les potes ou pour le book que se constituent certains. L’un d’eux, qui a fait un blog de ses exploits, explique, malgré les nombreuses courses-poursuites pour échapper aux agents de la RATP et aux policiers, 32 Je vous emmène au bout de la ligne PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-31/8/2010 17H26--L:/TRAVAUX2/MAX-MILO/VOUS-EMM/AAGROUP.145-PAGE32 (P01 ,NOIR) que la seule fois où il n’a pas pu finir un graff, c’est… parce que toutes ses bombes étaient vides. Si les dégradations, souvent plus proches du vandalisme que de l’art de rue, coûtent cher à l’entreprise (quelques dizaines de millions d’euros par an), elles coûtent également la vie à quelques-uns de ces jeunes, qui meurent chaque année suite à une chute ou une électrocution. Lorsqu’un tagueur est pris sur le fait quelque part sur le réseau, la Régie porte plainte contre lui, et, pour étayer sa plainte, ressort tous les graffitis portant sa patte et demande un dédommagement en conséquence. Un jeune tagueur récemment intercepté – en fait, un cadre d’une grande entreprise ! – a ainsi écopé de cinq ans d’emprisonnement ; le montant des dégradations qu’il a causées sur les trois années précédant son arrestation a été estimé à 600 000 euros. Dès qu’un nouveau matériel est mis en service, c’est à qui parviendra le premier à laisser sa marque. Lorsque les premiers trains MF 2000 ont commencé à rouler sur la ligne 2, nous l’avons à nouveau constaté. Une nuit, deux voitures d’un train ont été entièrement recouvertes, sur toute leur hauteur, de bombe ; du gris remplaçait les habituels vert et blanc à l’extérieur du train, on ne voyait même plus au travers des vitres, pourtant plus grandes que sur les anciens matériels. 33 Cachez ce tag que je ne saurais voir PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-31/8/2010 17H26--L:/TRAVAUX2/MAX-MILO/VOUS-EMM/AAGROUP.145-PAGE33 (P01 ,NOIR) Naturellement, quand les premiers voyageurs sont montés à bord, le train avait été entièrement nettoyé. Les tagueurs, regroupés en crews, aiment aussi les tunnels du métro. Nous, conducteurs, nous rendons bien compte que les graffitis évoluent. Un nouveau tag se repère aisément : les couleurs sont vives, la poussière et la crasse apparaissant avec les allées et venues des trains ne les ont pas encore recouvertes. Les tunnels du métro en sont remplis : d’Avron à Victor Hugo, ils sont innombrables. Et d’autant plus visibles qu’ils ne sont pas nettoyés, à moins d’être sur des panneaux de signalisation ou quand ils sont particulièrement vulgaires. Dans l’ensemble, ils ne sont pas franchement beaux ; mais ils sont la preuve qu’il doit y avoir un sérieux remue-ménage, et de la vie, la nuit, dans les galeries. J’aime les tags quand ils sont bien faits, intéressants et aboutis. J’ai ainsi assisté avec fascination à l’action des graffeurs sur le centre bus de Lagny, près de Nation, avant sa destruction. Dès sa fermeture, les premiers dessins sont apparus. Et les tagueurs s’en sont donné à cœur joie. Tous les murs ont très vite été recouverts. Et puis, cela changeait chaque jour, de nouveaux tags se superposaient à ceux en place, s’imbriquant avec plus ou moins de bonheur et de symbolique. Ici, le génie de la lampe d’Aladin, là une vieille mamie très en colère ; un peu plus loin, une petite fille armée jusqu’aux dents, une rue en 34 Je vous emmène au bout de la ligne PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-31/8/2010 17H26--L:/TRAVAUX2/MAX-MILO/VOUS-EMM/AAGROUP.145-PAGE34 (P01 ,NOIR) perspective, un chien tout rond en train d’uriner sur le tag voisin, des graffeurs assis à califourchon sur leurs bombes devenues moyens de locomotion, un chat à l’air très méchant, un visage qui me faisait penser à ma femme. J’ai photographié ce spectacle presque vivant, en tout cas toujours en changement, sans jamais croiser un seul des auteurs. Pour moi, c’est de l’art, même s’il est de rue. En revanche, opacifier la vitre d’un train, bomber une porte juste pour le geste, ce n’est pas de l’art mais du pur vandalisme, comme lacérer une banquette à coups de canif. Et là, je n’aime plus. Comment les tagueurs parviennent-ils à se faufiler sous terre, vous demandez-vous ? Quand ils ne se laissent pas enfermer dans le métro ou ne se glissent pas dans certains passages, les graffeurs ouvrent le plus simplement du monde les accès réservés aux agents. Avec des clés. L’une d’entre elles notamment, la clé 11-01, sésame des visiteurs nocturnes. Les clés ont au préalable été volées ou achetées au marché noir… Alors même si les entrées des stations sont cadenassées, le réseau est loin d’être impossible d’accès pour tout le monde… 35 Cachez ce tag que je ne saurais voir PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-31/8/2010 17H26--L:/TRAVAUX2/MAX-MILO/VOUS-EMM/AAGROUP.145-PAGE35 (P01 ,NOIR)