LA VIERGE DU VERCORS Prologue Deux grands yeux pers

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LA VIERGE DU VERCORS Prologue Deux grands yeux pers
LA VIERGE DU VERCORS
Prologue
Deux grands yeux pers, superbes, me scrutent, m'observent. Un ange blond de penche sur moi.
-Bonjour.
Et dire, que l'on s'interroge et que l'on ironise sur les sexe des anges! D'aucuns, prétendent que
ceux-ci sont asexués. Au contraire, je soutiens, moi, et, persiste à croire qu'ils sont du beau sexe
sinon tous, du moins celui qui me dévisage avec tendresse. Ses longs cheveux dorés; encadrant un
visage d'une blancheur immaculée, retombent en vagues ondulées sur des épaules étroites. Il est tout
de blanc vêtu, me sourit:
-ça va?
C'est beau un sourire d'ange, c'est profond. Cela n'a rien à voir avec celui que vous décoche votre
concierge ou l'épicier du coin. C'est un sourire empreint de mystères, qui séduit, trouble, un sourire
infiniment bon qui vous rassure, vous apaise.
Subjugué par ce charme envoûtant, je m'aperçois seulement que je suis allongé dans un lit. Je bouge
un peu, pour mieux regarder mon apparition, j'essaie de me soulever pour me rapprocher d'elle:
-Ne bougez pas! Surtout! M'intime l'ange de sa voix surnaturelle, vous êtes sous perfusion, ne tentez
pas de vous lever, vous mettriez votre vie en danger.
Pétrifié par son ordre, je lui souris néanmoins, mais, ses paroles m'intriguent...votre vie en danger.
Mais alors, cela veut dire que je suis vivant et, ...les anges n'existent qu'au paradis! Cette créature
n'est donc pas un ange? Mais alors?
J'écarquille mes yeux, je lutte de toute mes forces pour sortir de ma torpeur. Je suis à présent tout à
fait réveillé et, ce que je vois s'approchant de moi, n'est pas fait pour me rassurer: c'est une seringue
à l'aiguille menaçante pointée vers moi, tenue par l'admirable menotte de ma vision, en l'occurrence,
une infirmière:
-Je vais vous faire votre anticoagulant, ne bougez pas!
Tout de même, si angélique soit-elle, elle commence à m'agacer avec ses «ne bougez pas».
Je me trouve donc dans une chambre d'hôpital assez vaste, où plusieurs lits alignés le loin des
cloisons se font face. Ils sont tous inoccupés, à l'exception, d'un seul: le mien.
-Pourquoi, où sont les autres malades?
-Ils sont en permission, c'est le 1er janvier, bonne année, me dit-elle dans un sourire d'une indicible
bonté.
L'ange s'est envolé de son corps, l'esprit s'est évaporé, mais la matière demeure. Et, je puis vous
affirmer que c'est de la matière première...Tant que j'avais à faire à un ange, j'étais fasciné par son
regard, son sourire, ses gestes, je subissais son charme, j'étais envoûté et heureux ainsi, sans plus! Il
eut été inutile et superflu de ma part de tenter quoi que ce soit. Avez-vous déjà essayer de baratiner
un ange? Les mots, auraient été banals, fades, superflus, voire déplacés. Seule, l'ambiance comptait,
seul, l'esprit dominait.
Mais, maintenant, il en était tout autrement. C'était bel et bien une femme qui se penchait sur moi,
une seringue en avant certes, mais une femme quand même. Et quelle femme!Lorsque je disais
qu'elle était faite d'une matière première, j'oubliais l'essentiel, le qualificatif: qualité...elle était d'une
matière de première qualité. De l'ange, ne subsistait que le sourire. Tout le reste matérialisait la
femme...sa blouse, d'un épais tissu, parvenait mal à dissimuler les contours harmonieux de son
anatomie et, je devinais les trésors cachés de cette créature de rêve, à moins que cela ne se passât
uniquement dans mon subconscient. Allez donc savoir, quand vous êtes dans un lit d'hôpital, sous
perfusion de surcroît! Tout se confond, le rêve et la réalité. Le rêve , c'est la vie...l'extérieur...les
femmes.
La réalité, c'est cette infirmière, trait d'union avec la vie, mon radeau auquel je me cramponne
désespérément, une femme aussi, une femme surtout.
De ses doigts graciles, elle pince la peau de mon ventre. Instinctivement, je me contracte:
-Détendez-vous!
Son sourire est rassurant, son regard se veut maternel. Elle tient ma vie entre ses doigts. Je lui fais
confiance, ferme les yeux, me laisse aller. L'aiguille pénètre profondément en moi. C'est fini, je n'ai
rien senti, tout au plus, un petit picotement.
-ça va?
Je murmure un timide oui, et, prends conscience en même temps, que c'est le premier mot que je lui
adresse.
Avec des gestes gracieux et précis, elle range ses instruments sur un petit chariot à roulettes. Je suis
ses mouvements du mieux que je le peux, sa présence à mes côtés, réconfortante, me fait chaud au
coeur.
-Je reviendrai dans un moment prendre votre tension, surtout ne vous agitez pas.
D'une démarche souple, elle se dirige vers la sortie. J'aurais voulu la retenir, l'appeler... au fait, quel
est son prénom? Avec son visage de madone, elle doit sûrement s'appeler Marie. Elle ouvre la porte,
se tourne, me lance un dernier regard attendri. Ses pas s'éloignant dans le couloir, résonnent
longtemps dans mon coeur.
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Elle me souriait tendrement, et, je renaissais de mes cendres. Mes forces revenaient et, mon coeur
amoureux, débordait de la joie de nos retrouvailles. Elle se pencha sur moi, et, m'embrassa
fugitivement , gênée par les regards avides de mes compagnons de chambrée.
-Tu as de la chance, veinard, d'être bien au chaud, dehors il neige sérieusement.
C'était vrai, en regardant vers la fenêtre, je vis de gros flocons cotonneux tomber très serrés en
tournoyant sur eux-mêmes. Déjà, une fine pellicule blanche saupoudrait les pelouses de l'hôpital
général.
Je regardai Marie. Dieu, qu'elle était belle dans sa tenue d'infirmière! Tout de blanc vêtue, elle me
faisait penser à un ange, à mon ange gardien.
Depuis combien de temps, étais-je là? Pourquoi, n'arrivais-je pas à rassembler mes souvenirs? Tout
semblait si confus en moi. Pourtant, ici tout avait l'air calme, avec Marie, si souriante, si détendue
près de moi, alors que...dehors...la guerre! Où en était-on? Allait-elle enfin cesser un jour?
Je commençais à m'agiter nerveusement dans mon lit, en proie à toutes mes pensées chaotiques.
-Calme toi, et, ne te pose pas tant de questions, mon chéri.
Encore une fois, Marie m'ordonnait de me taire. Pourtant, cette fois-ci, elle m'avait appelé ,mon
chéri. Tout basculait dans ma pauvre tête, tout était confus.
Vaincu par la fatigue, je fermai les yeux, espérant fortement la rejoindre bien vite dans mes rêves.
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«La Gestapo a frappé durement hier. Elle a déclenché une opération surprise. Tôt dans la matinée,
elle a cerné le petit village de Rives. La population n'a pratiquement pas eu le temps de réagir.
Beaucoup de gens, surtout femmes et enfants, dormaient encore à cette heure matinale. Ils ont été
abattus de sang-froid. Certains ont eu la chance de s'enfuir et de se cacher, mais, l'addition est
lourde, très lourde. Les boches ont tout massacré, pillé, et, leurs crimes accomplis, ils ont tout
incendié. Du village, il ne reste que des cendres.»
En racontant cela, Jean était prosterné. C'était la première fois que je voyais ce masque de gravité
sur le visage du chef de «Vautour», et ses propos, nous avaient littéralement assommés. Nous étions
muets de stupeur, frappés d'effroi en pensant à tout ce qu'avaient subi des dizaines de pauvres
victimes innocentes.
-Mon père avait raison, ce sont des sauvages.
-Pardon, Marie?
Marie narra son entrevue avec son père. Elle fit part aussi du tout prochain départ d'André pour les
camps de travail obligatoire.
-Et encore, Marie, il faut louer le ciel que ton frère ait été pris et questionné par l'armée régulière.
S'il était tombé entre les mains de la Gestapo, Dieu seul sait ce qu'ils auraient décidé pour lui,
certainement, le pire.
-Malheureusement, tu as raison Jean, c'est vraiment atroce ce qu'ils ont fait à Rives.
-A présent, ils sont sur la brèche et ne nous laisseront plus de répit. Il faudra nous montrer vigilants,
sans arrêt être sur nos gardes. Ils ont commencé leur grand «nettoyage et, nous devrons agir avec
prudence, circonspection, pour éviter à tout prix qu'ils ne se retournent contre des innocents.
-Mais comment faire pour éviter cela...
C'était Armand, inquiet, suspendu aux lèvres de son chef, qui posait la question... Tu as bien vu ce
dont ils ont été capables de faire à Rives? Ils ont frappé aveuglément, tout saccagé gratuitement!
-Il est possible que ce que tu dises soit vrai, Armand, et, qu'ils aient voulu faire un exemple pour la
forme, pour donner à réfléchir aux maquisards ou pour inciter la population à se méfier, voire à
dénoncer carrément les résistants. Il se peut aussi , et alors là...c'est une idée personnelle, que ce
massacre soit une vengeance orchestrée et programmée depuis longtemps. Souvenez-vous, de ce
qu'il s'est passé à Grenoble , il y a six mois. Tous ces sabotages, ces attaques contre les dépôts de
munitions, contre les voies ferrées, auxquels se sont livrés plusieurs réseaux de maquisards.
-Oui, c'est exact, reconnut Marie, mais en contre-partie, il y eut une répression terrible des
Allemands et, nos amis avaient lourdement payé.
-C'est vrai aussi, et, je te le concède, Marie, mais, ce peuple a la rancune tenace et, a dû continuer à
enquêter sans relâche pour, dénicher toujours de nouveaux indices car, il n'avait pas digéré les
lourdes pertes subies à l'époque.
-Je crois comprendre où tu veux en venir.
-Voila, Marie, tu commences à saisir, comme vous, mes amis.
-Tu veux dire qu'il y a un lien avec la gare de triage?
-C'est exactement ça Marie...vous n'ignorez pas que Rives est le plus gros noeud ferroviaire qui a en
stock un matériel considérable et, où travaille une trentaine de cheminot. Or, quelle a été la plus
grosse perte chez les Allemands? Des convois entiers de marchandises, d'armes, de blindés etc. etc.
qui ont sauté sur des mines, sur les lignes Grenoble-Lyon, et, Grenoble-Chambéry. Des pertes
chiffrées par l'état-major allemand , à des centaines de milliers de francs. Des kilomètres de rails
plastiqués, des gares, des entrepôts détruits, et, la grande gare de triage de Rives, intacte. A partir
d'elle, sans se déplacer, on pouvait déjà fausser nombre d'aiguillages et faire dérailler pas mal de
convois dans une zone importante...
-Mais tout de même, cette vengeance, six mois plus tard.
-Je te l'ai dit, ces gens-là ont la rancune tenace, et sont aussi malins. Six mois, ce fut le temps
nécessaire pour tout reconstruire, pour surtout remettre en état les voies ferrées...ce qu'ont fait les
malheureux cheminots qui avaient donné un sérieux coup de main à l'opération de Rives, et, qui ont
presque tous été exterminés hier. Ainsi, quand tout a été réparé, il ne restait plus qu'à châtier les
coupables.
C'est un raisonnement qui se tient, Jean, et ceci expliquerait cela, mais, quelle sauvagerie, quelle
barbarie de la part d'êtres humains! Dis-je complètement abasourdi.
-Ce sont des êtres qui n'ont plus rien d'humain, Fabrice; ce sont des actes d'animaux sauvages qui se
sentent traqués et, qui tuent pour ne pas être tués. Ils savent qu'ils ont perdu cette guerre, que ce
n'est plus qu'une question de temps, alors, ils ont commencé leur politique de terre brulée. Ils ne
veulent rien laisser subsister derrière eux, de leur passage, et, ils vont jusqu'à brûler les cadavres.
Un silence glacial fit écho aux effroyables propos de Jean. Je jetais un regard furtif à Marie. Nous
étions assis côte à côte, à même le sol, dans cette grotte où, je me sentais si bien d'ordinaire, où, j'en
profitais pour récupérer de ma course. Mais aujourd'hui, la souffrance morale supplantait la douleur
physique, et, je me sentais horriblement las. Il fallait pourtant poursuivre notre mission, on nous
attendait, on avait besoin de nous dans les autres camps.
Nous étions aujourd'hui, le 1er mai, un symbole, la fête des travailleurs, le droit au respect de l'être
humain, conquis après d'âpres luttes syndicales. Ce droit, à présent était bafoué par l'occupant. Le
1er mai, c'était aussi l'anniversaire de mon père qu' hélas, je n'embrasserais pas aujourd'hui, mais,
mes pensées volaient vers lui. Il avait participé à cette extraordinaire opération commando, six mois
auparavant, à cet acte de bravoure, car, il s'agissait bien de bravoure pour oser s'attaquer ainsi à des
installations aussi vitales que précieuses pour les Allemands. Il avait échappé miraculeusement à
l'implacable riposte qui s'ensuivit, malheureusement, il fut quand même pris huit jours après, alors
qu'en compagnie d'un passeur, il tentait de regagner l'Angleterre, via l'Espagne.
En ce jour de fête, j'avais voulu marquer le coup, et, avais offert un brin de muguet à Marie, qui en
fut étonnée et ravie à la fois.
-Il ne fallait pas, cela me touche beaucoup, en contre-partie, je n'ai rien à t'offrir.
-Ta présence est le plus beau cadeau dont je puisse rêver...lui criais-je en m'éloignant rapidement, de
peur qu'elle ne saisisse tout le sens de mes propos.
-Eh là, pas si vite, si tu démarres à cetta allure, tu n'iras pas très loin.
Elle avait certainement raison: notre course, aujourd'hui, commençait à pieds, nos skis sur les
épaules. Nous étions obligés de partir ainsi car, si la neige avait complètement fondu au village, et
dans ses alentours, il en subsistait par contre encore une bonne quantité sur le plateau. Elle me lança
un regard plein de tendresse en arrivant à ma hauteur, ce qui eut le don de me transporter
littéralement de bonheur, un bonheur intense, intérieur, qui devait se refléter à l'extérieur et, se voir
comme le nez au milieu de la figure. Mais, très vite, elle remit les pendules à l'heure.
-Allez, ne traînons pas, affublés comme nous le sommes, nous n'avons pas de temps à perdre.
Nous progressions lentement sous le poids de notre chargement. Chevaleresque, je lui avais proposé
de lui porter quelques affaires pour la soulager un peu, mais, elle avait fermement refusé,
plaisantant allègrement sur le sexe faible. En tout cas, faible, elle ne l'était pas le moins du monde,
possédait une sacrée force de caractère kui faisant surmonter ses souffrances physiques. Elle
affichait un air serein qui rayonnait bénéfiquement sur moi. J'avançais résolu, posément devant elle,
j'étais simplement heureux de la savoir derrière moi, d'entendre son pas lent, se confondre avec le
mien, de percevoir son souffle régulier dans mon dos. Nous atteignîmes ainsi, nullement éprouvés
par l'effort, la limite de notre parcours pédestre et, la neige, redevenant maîtresse du territoire, nous
chaussâmes nos skis.
-Attend-moi ici, me dit-elle, je vais me rafraîchir à la source. Garde mes affaires, et avale une
rasade de mon thé, si le coeur t'en dit.
Je me suis adossé contre un arbre. La source n'était pas très éloignée, mais, un mamelon où perçait
une pelouse grasse, sous la couche de neige, me masquait sa vue. Seules, les hautes falaises qui
barraient l'horizon me faisaient face. Elles abritaient cette réserve naturelle d'eau, dénommée source
de la Vierge.
Cela faisait à présent un long moment que Marie m'avait quitté. Or, il ne fallait guère plus de dix
minutes pour faire l'aller-retour. Inquiet, je décidai d'aller la rejoindre. Lorsque je la vis, mon coeur
se serra. Elle gisait, inerte, sur un rocher plat, ses skis pendant dans le vide. Je la soulevai
délicatement et, lui tapotait les joues, d'une pâleur anormale.
-Marie!
Elle tressaillit.
-Oh, Fabrice, tu m'as fait peur!
-Comment te sens-tu?
-Mais...bien...voyons, je m'étais assoupie...
Elle me regardait, mais, ne me voyait pas. Son regard était absent, étrange.
-Marie, es-tu sûre d'aller bien?
Je n'étais pas tranquille de la voir dans cet état. Elle avait du faire un petit malaise, mais n'osait pas
me l'avouer.
-Je vais continuer tout seul. Mais, d'abord, je te raccompagne dans la vallée. Allez, faisons demitour.
-Et puis quoi encore, se rebiffa-t-elle? Mais, je vais tout à fait bien, et, je te le prouve sur le champ!
Aussitôt dit, aussitôt fait, et, avant que je ne réalise, elle était déjà repartie.
-Entre nous, ce n'est pas bien malin d'avoir laissé traîner mon sac à dos n'importe où ...me lança-telle sur un ton de réprimande.
J'avoue, que affolé, je ,'avais pas pensé à prendre ses affaires. Confus, je m'excusai, en bafouillant.
-Idiot, ne comprends-tu pas que je te taquine...je te suis reconnaissante au contraire, d'être venu à
mon secours.
-Alors, tu n'étais vraiment pas bien?
Tu ne peux comprendre, ce n'est pas du tout cela. J'étais ailleurs, tout simplement, complètement
ailleurs.
Il en était toujours ainsi avec Marie, de qu'elle tendait d'une main, c'est dire le bien qu'elle me faisait
quand elle s'adressait gentiment à moi, elle le reprenait toujours de l'autre main et, son
«incontournable, tu ne peux pas comprendre», mettait irrémédiablement un terme à notre entretien.
En somme, elle me remettait tout simplement chaque fois à ma place.
19
Le ronronnement sourd et régulier du petit bimoteur de la RAF, avait fini par plonger Rémi dans
une semi torpeur. L'avion glissait tous feux éteints, sous la voute céleste étoilée. Cela faisait quatre
heures qu'ils avaient quitté le sol britannique et, il se rapprochait du lieu de parachutage. La
dextérité du pilote anglais, les avait protégés des faisceaux lumineux balayent le ciel à intervalles
réguliers, quand il avaient survolé des zones équipées de redoutables batteries anti-aériennes. John,
le pilote, se tourna vers Rémi, et ut un sourire de compassion quand il le vit assoupi:
-Hello my friend!
Rémi ouvrit immédiatement les yeux. John continua dans un français fortement empreint de son
accent natal, qui amusa Rémi:
-Nous approchons de Manosque.
-OK, thank you, je suis complètement réveillé.
Depuis leur départ, Rémi avait répété maintes fois dans sa tête, les gestes lui permettant d'effectuer
un saut sans problème. Au camp de «White -Stone» , dans la banlieue de Londres, il avait suivi un
entraînement complet de commando, et, se sentait fin prêt pour livrer bataille sur le sol français. Sa
France, qu'il retrouverait après un exil volontaire, car, il était parti comme beaucoup d'autres
l'avaient fait avant lui, rejoindre le général de Gaulle.
Grâce à son courage, sa force physique, son intelligence et, surtout son abnégation et ses aptitudes
au commandement se distinguant à l'exercice et s'adaptant à toutes les situations, il s'était très vite
retrouvé dans un peloton d'élite, destiné à fournir à la patrie, des hommes de valeur, triés sur le
volet, et, aptes à mener les troupes clandestines vers la victoire. C'est L'état-major londonien qui
l'avait nommé chef des maquis du Vercors. Le commandant Emir, anagramme qu'il s'était choisi luimême, serait chargé de la coordination entre les résistants et l'armée française, en vue d'une grande
opération interalliée , programmée pour libérer le Vercors.
Avant de s'expatrier, Rémi, s'était enrôlé dans un réseau savoyard. Il avait choisi délibérément ce
département, par amour pour Marie, car, leur liaison était connue, et, il ne voulait pas lui faire courir
le moindre danger. Il n'avait donc plus donné signe de vie du jour au lendemain, et, cela, l'avait
profondément peiné pour elle.
En Savoie, il se consacra avec fougue au combat clandestin, étant particulièrement actif, se portant
chaque fois volontaire pour des missions dangereuses. Cette énergie qu'il déploya dans le combat,
lui permit d'atténuer la souffrance morale qu'il éprouvait en pensant à celle qu'il aimait tant. Ses
camarades furent particulièrement fiers de lui. Il les réconfortait en leur inculquant des leçons de
courage, d'espoir, et, il finit par représenter à leurs yeux, le combattant idéal, le chef incontesté
qu'aucun événement ne prenait au dépourvu.
Puis, un jour, il y eut cette circulaire de Londres, à toutes les forces vives du pays. Elle faisait appel
au volontariat, pour diriger les divers réseaux de la France libre en vue de «l'assaut final». Les
qualités requises chez les volontaires recherchées, étaient exhaustives et très sélectives.
Rémi possédait déjà de réelles capacités, le long stage militaire inclus, prévu dans la note, lui
permettrait de les peaufiner. Il fut donc enthousiasmé et posa sa candidature pour le Vercors. Grâce
à l'appui sans réserve du commandant du réseau savoyard, sa demande fut acceptée, il ne restait
plus alors qu'à attendre le moment propice pour rejoindre l'Angleterre. Il reçut par radio les vifs
compliments de son père et, en éprouva une grande fierté. Il ne lui restait plus à présent , qu'à faire
ses preuves sur le territoire britannique, afin de pouvoir revenir au pays et, qui plus est, dans sa
région natale où l'attendait sa fiancée , afin d'y accomplir une mission dont l'importance capitale, ne
lui échappait pas.
La voix de John l'extirpa de ses pensées:
-Sisteron, my dear, dit-il désignant d'un hochement du menton, la citadelle faiblement éclairée , qui,
se dressait fièrement à cheval entre Provence et Dauphiné.
-Stand-up, boy!
Rémi se leva et, vérifia le bon harnachement de son parachute. Quand cette guerre sera finie, pensat-il, il aimerait venir visiter la Provence avec Marie.
Une petite lumière rouge s'alluma au-dessus de la cabine de pilotage. Rémi accrocha le mousqueton
de la sangle d'ouverture automatique de son parachute au câble d'acier qui courait sous le plafond de
l'appareil. Le pilote manoeuvra le levier de la petite porte latérale, qui bascula : aussitôt, une vague
d'air frais envahit la carlingue. Rémi se mit immédiatement en position de saut, ses mains plaquées
bien à plat ,à l'extérieur, son corps arc-bouté en arrière. L'avion amorça un long virage dans la
direction de minuscules points lumineux, qui scintillaient à quelques quatre cent mètres au-dessous
de lui. C'était le balisage de la DZ, la zone d'atterrissage, effectué par les hommes du maquis de
haute-Provence. Le feu passa au vert, alors que dans le même temps, une sonnerie stridente se
déclenchait.
-Go! Hurla John, good luck, mon gars!
Rémi, adressa un signe amical au pilote, avant de tirer énergiquement sur ses avant-bras, et de se
projeter dans les airs, les bras repliés sur son parachute ventral. Il fut aspiré par le vide, et, eut
l'impression d'être emporté à toute allure sur le dos. Sans paniquer, comme à l'entraînement, il
compta mentalement: 331, 332, 333. Son parachute alors se déploya en claquant sèchement et, il se
balança aussitôt dans la nuit d'encre. Il effectua un tour d'horizon complet, vérifiant qu'aucune
déchirure , la cheminée normale de l'immense coupole mise à part, ne trouait la voile. Après cette
courte, mais nécessaire inspection, il se détendit un peu, et, fut frappé par le silence absolu qui
l'entourait, un silence bienfaisant après toutes ces heures de vol. Il se sentit soudain libre comme
l(oiseau et, se délecta de l'instant qu'il vivait. Mais, la nuit faussant les distances, il se mit très vite
en position d'atterrissage, les jambes légèrement fléchies, et, les deux pieds soudés l'un à l'autre, de
manière à toucher tous deux le sol en même temps, et éviter ainsi une entorse ou un claquage
intempestifs qui seraient bien mal venus.
Quelques secondes plus tard, il se posait un peu rudement certes mais, se rétablit immédiatement
après un roulé boulé effectué avec une parfaite maîtrise .Il fut content de son atterrissage réussi, et,
se promit de recommencer les sauts dés qu'il le pourrait.
Déjà deux hommes étaient près de lui, l'aidant à se défaire de son parachute. Les lampes tempêtes
ayant servi de balises s'éteignaient une à une. Les deux hommes plièrent la toile avec dextérité. Ils
firent signe à Rémi de monter dans une voiture qui attendait tout près, et, dont le moteur tournait. Ils
s'assirent à l'arrière de chaque côté de lui, leurs mitraillettes sur les genoux. A l'avant un autre
résistant avait pris place près du chauffeur. La voiture démarra et, très vite, prit une bonne allure. En
tout et pour tout, l'opération n'avait pas duré cinq minutes.
-Bienvenue au pays commandant!
Rémi gratifia ses compagnons d'un large sourire:
-Merci les gars, chapeau pour votre organisation! C'était mené rondement!
-Oui, pour la première partie, mais, ce n'est pas terminé. Enfin, si les schleus nous fichent la paix,
en principe dans une heure, on vous laisse au col de la Croix-Haute où vous êtes attendu.
-OK, les gars, je vous fais confiance.
Il se cala sur son siège, du mieux qu'il le put et, ferma les yeux. Une petite heure de repos ne lui
ferait pas de mal. La traction avant filait à toute vitesse, malgré la manque de visibilité, car, les
phares que les maquisards avaient pris soin de barbouiller de peinture sombre, n'éclairaient que très
faiblement la route.
17
Après le violent orage de la veille, le ciel avait recouvré toute sa limpidité. Une brise légère faisait
onduler à l'infini les verts pâturages qui avaient envahi les hautes terres. Face à cet océan de
verdure, la masse imposante du mont Aiguille se détachait sur l'azur d'un bleu profond. La pluie
avait fait baisser la température de quelques degrés, ce qui était appréciable après la vague de
chaleur subite qui s'était abattue sur la région et, nous avait harassés. Elle s'était installée sans crier
gare depuis une semaine, et, si en altitude elle était à peu près acceptable, il n'en était pas de même
dans la vallée. Marie, qui revenait de Grenoble me disait, que l'air y était suffocant.
Nous avions profité d'une pause pour ôter nos pulls. Malgré l'heure matinale, le soleil commençait
à darder ses chauds rayons et, nous étions en nage, après la longue montée précédant l'arrivée sur le
plateau. Ma compagne me semblait passablement nerveuse. Elle m'avait narré sa visite chez le
docteur Goran «pour prendre des nouvelles de Rémi» . Ensuite, elle avait été très évasive, distante,
presque lointaine. N'y tenant plus, je la questionnai:
-Enfin Marie, peux-tu me dire ce qui te tourmente ainsi?As-tu appris une mauvaise nouvelle?
-Oh non, bien au contraire...mais, ne m'en veux pas, si je ne peux rien te dire...tu sais...
-Oui?
-Il faudra désormais que tu continues sans moi...
Je m'attendais à tout, sauf à cela. Mon coeur se serra, en même temps que je demandai:
-Es-tu fatiguée? On ne veut plus de toi? Tu quittes le pays?
Je crois que j'aurai continué ainsi à lui poser mille questions de plus, si, elle ne m'avait pas
brusquement interrompu/
-Assez, je t'en prie, arrête , fais moi un énorme plaidir, ne te tracasse plus à mon sujetet...ne te pose
plus tant de questions!
-Mais...j'ai le droit de savoir, répliquais-je timidement.
-Et ça y est, Monsieur remet ça! Monsieur repique sa crise! Non, non et non, tu n'as aucun droit!
Pour qui te prends-tu à la fin?
-Pour quelqu'un qui...
-Stop! Tais toi! Définitivement...s'il te plaît!
J'accusai le coup: comme quelqu'un que la foudre venait de toucher, j'étais pétrifié. Marie, m'avait
remis à ma place, une fois de plus, certes, mais, cette fois, je sentais que c'était différent.
Aujourd'hui, elle a été catégorique, sans appel.
J'étais au désespoir. Quelque chose en moi s'était brisée. Une amertume profonde remonta du fond
de mes entrailles, me submergea. Sa réaction brutale m'avait anéanti, et, j'eus tout à coup honte de
moi, au point que je me serais réfugié dans un trou de souris. Oui, c'était cela même, j'avais honte,
terriblement honte, je me sentais humilié. Et dire, que j'avais été à deux doigts de lui jeter mon
amour à la face, si, elle ne m'avait pas rudement interrompu.
Maintenant, à quoi bon lui parler de mon amour, je me sentais totalement vidé. Tout était fini, et, bel
et bien fini, sans n'avoir du reste jamais commencé. Depuis le début, depuis notre première
rencontre, j'avais vécu dans un autre monde, bercé d'illusions, j'avais échafaudé mille plans de
bataille pour monter à l'assaut de sa douce forteresse. A présent, tous ces plans s'effondraient, j'en
faisais l'amer constat. J'étais amoureux fou d'elle, mais, je me réveillai soudainement, je touchai la
réalité, cet amour était impossible, car, il resterait à jamais à sens unique: Marie n'en voulait pas, et,
surtout ne voulait même pas en entendre parler.
Des pensées confuses affluaient dans ma tête, des images incohérentes s'y bousculaient: je
m'identifiais tour à tour à Rémi ou, à un combattant quelconque, héros de cette guerre, déporté,
prisonnier, fusillé. N'importe quelle situation aurait fait mon affaire, aurait été préférable à la
mienne en cet instant, n'importe quoi, pourvu que cela me mette en valeur à ses yeux et, qu'elle
prenne enfin conscience que j'existe.
Après ce coup d'éclat, un silence gênant s'était installé entre nous. Son visage tourmenté en disait
long sur l'état d'esprit qui l'habitait. Je n'osais plus parler de peur d'ajouter encore un peu plus de
tension à un climat déjà suffisamment lourd. Pourtant, il fallait bien que nous repartions, pour la
dernière fois donc, ensemble, puisqu'elle en avait décidé ainsi, accomplir notre mission. Après, je
repartirai seul, comme avant. Mais, sans elle, rien ne pourrait plus être comme avant.
Des chocards, au gros bec jaune, tournoyaient bruyamment au-dessus de nous en quête de quelque
nourriture. Mais, aujourd'hui, ils se passeraient des miettes de nos casse-croûtes, car, aussi bien
Marie que moi-même, n'avions rien mangé depuis notre départ. De toute façons pour ma part,
j'aurais été incapable d'avaler quoi que ce soit.
Ce fut elle qui brisa le silence:
-Partons!
Cet ordre sec me fit encore plus mal, et, c'est complètement mortifié que je me levai et endossai
mon sac, avec des gestes d'automate, avant de me mettre en route, à sa suite.
Elle progressait de son pas lent, mais résolu, la tête haute, face à son destin. Quant à moi, je
déambulais plus que je ne marchais, telle une ombre suivant la lumière, comme un chien derrière
son maître.
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-Il faut espérer maintenant , que les renforts interalliés promis par Londres, viennent rapidement
nous épauler, afin que nous puissions livrer enfin une bataille digne de ce nom, et, surtout équitable
en forces.
La voix de Philippe me tira de mes pensées. Marie, était tendue à l'extrême, attentive aux propos
échangés par les maquisards d'Epervier, et, intervenait pertinemment, régulièrement. De son
malaise, ou pseudo évanouissement, il ne paraissait plus rien. Elle avait retrouvé son dynamisme, et,
son tempérament de battante, avait repris le dessus.
-Ne peut-on avoir un peu plus de précisions quant à l'arrivée des renforts? Demandais-je
-Non, fiston, c'est top secret, nous ne le saurons qu'au dernier moment. Tout ce que nous avons pu
comprendre, de la dernière liaison radio avec Alger, c'est qu'un «grand chef», viendra prendre très
bientôt le commandement de la totalité des réseaux du Vercors. Il arrive d'Angleterre, et, sera
spécialement chargé de la coordination qui devra se faire entre nous et les alliés pour l'aprèsdébarquement. Pour le moment, nous ne connaissons que son nom de code: Emir.
Marie, répéta mentalement «Emir» et, son coeur se mit à battre violemment dans sa poitrine. Elle fit
aussitôt le rapprochement, en pensant que Emir, était l'anagramme de Rémi, son bien-aimé.
-Mon Dieu, ce n'est pas possible , se dit-elle, si seulement cela pouvait être vrai, si c'était lui. Mon
Dieu, faites que ce soit lui, souhaita-t-elle ardemment.
Je devinais, qu'il se passait quelque chose chez Marie. Je repensais à l'épisode de la source et,
craignais pour sa santé.
-Marie, ça va?
Mais, au lieu de me répondre, elle se tourna vivement vers Philippe:
-Tu as bien dit Emir, n'est-ce-pas?
-Oui, mais...que t'arrive t-il? Tu parais bien excitée tout à coup!
-Non...ce n'est rien...rassure toi...j'ai simplement fait un rapprochement un peu trop hâtif...excusez
moi tous.
-Mais, tu n'as pas à t'excuser, tu es comme nous. Nous sommes tous sur les nerfs, voilà tout, et, nous
voudrions que les choses bougent, se règlent rapidement.
-Oui, c'est exactement cela, répondit Marie, dont les battements de coeur, s'étaient un peu calmés.
Cependant, un fol espoir était né en elle. Elle sentait qu'elle avait raison: son instinct de femme
amoureuse ne pouvait pas la tromper. C'était son Rémi qui lui revenait. Mais, elle ne pourrait pas
douter très longtemps. Elle n'en aurait pas le courage, ce serait trop lui demander. Aussi, dès le
lendemain, irait-elle voir son futur beau-père à Grenoble, car, lui, devait savoir, et, elle en aurait
ainsi le coeur net. Mais, que demain semblait loin!
-Allez-y, partez maintenant les enfants, les camarades vous attendent, et, si vous tardez trop, ils vont
s'inquiéter.
L'air vif du dehors me ragaillardit. Devant cette étendue sauvage et belle, le moral revenait, la vie
reprenait ses droits, et puis, nous étions au mois de mai...le mois de Marie. Le rapprochement avec
mes souvenirs d'enfance et...d'enfant de choeur ne faisait qu'accentuer un peu plus le doux
sentiment que j'éprouvais pour la divine créature qui m'accompagnait. Elle semblait extrêmement
nerveuse, et, cela se sentait davantage, quand nous échangions quelques paroles. Elle était
carrément hors du sujet, et, il fallait que je répète plusieurs fois la même chose pour me faire
comprendre. Je savais pourtant qu'il était superflu de ma part que je fasse des efforts, car elle était
totalement ailleurs. Elle avait l'air heureux, si heureux, elle semblait profondément heureuse, et, je
me sentais devenir lentement mais sûrement malheureux, car, je devinais que ce n'était pas moi qui
la mettait dans cet état, mais, qu'elle pensait à son Rémi, uniquement à lui, et, que la conversation
de tout à l'heure, n'était pas étrangère à tout cela.
Nous avions trouvé nos autres compagnons tout aussi choqués par les atrocités commises la veille
par nos ennemis. Au camp Aigle, Marie avait devisé in long moment en aparté avec Raymond, et,
percevant de temps à autres des bribes de leur conversation, je compris qu 'elle le questionnait sur
ce mystérieux chef qui devait arriver incessamment d'Angleterre. Marie et Raymond s'étaient
réconciliés après le différent qui les avait opposés au cours d'une de nos missions. Au moment où
nous prîmes congé, il la serra paternellement dans ses bras.
-Petite, je regrette de tout coeur de ne pouvoir t'en dire davantage. C'est que moi-même, je n'en sais
pas plus que toi.
Marie, l'embrassa, et, d'un air guilleret, salua tout le monde, puis, se tournant vers moi, elle me
lança:
-Alors, tu viens, tête en l'air? Je n'ai plus une seconde à perdre à présent!
Je la suivis, mais la mine sombre et allongée que j'affichais, en disait long sur mes états d'âme, et,
jusqu'à ce que nous nous séparions, je ne dis plus un mot.
Elle me quitta en me déposant une bise distraite sur le front, et, très, très vite, elle disparut en
direction de ST-Julien. Je restai longtemps immobile, planté sur place, le coeur gros, et, quand je
sentis un poids se dénouer dans ma gorge, presque aussitôt, de grosses larmes roulèrent le long de
mes joues: je pleurais, comme un gosse abandonné, tant j'étais désemparé.
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J'ouvris les yeux: Marie, était penchée sur moi et, je ressentais encore sur mon front, la chaude
empreinte de ses lèvres. C'est drôle, elle n'était pas en tenue de travail, mais, avait revêtu une
toilette, qui lui seyait à merveille. Un beau tailleur beige, moulait son corps avec grâce et, ses
charmes troublants agissaient sur moi avec bienfaisance. Une douce chaleur montait en moi, me
pénétrant entièrement, et, je me sentais revivre.
-Tu as l'air d'aller beaucoup mieux, me dit-elle en me gratifiant d'une oeillade pleine de sousentendus. C'était vrai, je me sentais mieux, mais, il en était toujours ainsi quand elle était à mes
côtés.
La porte de la chambre s'ouvrit sur une infirmière et, Marie s'éclipsa, après un dernier baiser. C'était
extrêmement gentil de sa part de me rendre visite en dehors de son travail. Cette constatation me fit
du bien. Après tout, tout espoir n'était pas perdu et...peut-être, si Dieu le voulait, un jour prochain,
arriverais-je à conquérir son coeur...
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16
La salle d'attente du cabinet du docteur Charles Goran était vide. Cela tombait bien, pensa Marie.
Elle serait plus vite fixée, suer les questions qu'elle se posait et, qui la tourmentaient. Son regard
s'attarda sur les différents tableaux accrochés aux cloisons, recouvertes d'une épaisse moquette
murale, au ton bleu pastel.
Le père de Rémi, s'était taillé une belle renommée dans sa profession et, sa clientèle s'étant
fortement accrue ces dernières années, il avait du réaménager son cabinet en conséquence. C'était
elle, qui avait suggéré au médecin d'habiller la salle d'attente en bleu. Elle avait pensé que cette
couleur conforterait et rassurerait les patients. En tout cas, le docteur avait jugé son idée excellente,
puisqu'il avait obtempéré avec joie.
A l'évocation de ces souvenirs, Marie devenait nostalgique. Le docteur Goran exerçait dans une
grande villa, dont, le rez-de-chaussée, constituait son cabinet. Un magnifique parc, aux allées
bordées de plantations variées, entretenues amoureusement par un jardinier, entourait l'imposante
bâtisse. Marie, adorait ces lieux, où, elle se précipitait souvent à la sortie du lycée, pour rejoindre
Rémi, quand les études de médecine de celui-ci, lui laissaient un peu de répit. Et là, assis sur un
banc, en attendant le car qui la ramènerait à ST-Julien, ils refaisaient le monde, en échangeant leurs
doux serments d'amoureux.
-Marie, quelle bonne surprise!
Perdue dans ses rêveries romantiques, la jeune fille sursauta. Le père de Rémi, l'a prit dans ses bras
et, la serrant affectueusement, lui caressa les cheveux. Tout comme son fils, il avait une bonne tête
de plus qu'elle. Le témoignage d'affection qu'il lui prodiguait la toucha profondément, et, elle se mit
doucement à sangloter, la tête appuyée contre l'épaule de l'homme qu'elle considérait comme un
deuxième père.
-Mon enfant...
Charles Goran, fut lui-même ému devant les larmes de Marie. Il la laissa un peu se calmer.
-Viens, entrons, j'ai terminé mes consultations pour ce matin.
Ils montèrent à l'appartement. Céline, préparait le repas et, un fumet délicieux s'échappait de la
cuisine. Depuis que le docteur était veuf, Céline, qui occupait initialement les fonctions de
secrétaire médicale, était devenue petit à petit, l'élément indispensable dans la vie du médecin: ses
tâches s'étaient multipliées et, elle s'occupait entre autre de la comptabilité, du ménage et de la
cuisine. Elle était restée vieille fille, quoique, dans sa jeunesse, comme elle se plaisait à le souligner,
elle n'avait pas manqué de prétendants, depuis que son fiancé avait été tué au début de la première
guerre mondiale.
Elle était toujours d'une présentation soignée, très dévouée, et surtout d'une grande discrétion, cette
qualité primant dans le milieu médical, elle jouissait de l'entière confiance du docteur Goran.
-Marie, nous te gardons à déjeuner, et, surtout ne refuse pas, le premier car pour ST-Julien n'est pas
avant 15 heures.
-J'accepte volontiers, répondit Marie avec enthousiasme, d'autant plus que ce que Céline a mijoté
sent bigrement bon.
-Céline est une fée, elle a l'art de préparer des festins en les accommodant avec les rares denrées que
nous trouvons sur le marché.
-Oh! Docteur (Céline rougit jusqu'aux oreilles), vous exagérez toujours sur mes qualités.
-C'est que vous le méritez, ma chère, et, je ne me lasserai jamais de louer vos bons et loyaux
services.
Connaissant l'extrême humilité dont faisait preuve sa gouvernante, Charles Goran s'amusait de
temps à autre, à l'encenser, sachant pertinemment qu'elle en serait confuse. Mais, cela était fait sans
aucune malveillance, et, se terminait souvent dans un fou-rire communicatif. C'était le cas
aujourd'hui, quant Céline, riant aux larmes, embrassa chaleureusement Marie.
-Mon petit, comme je suis heureuse de te voir, mais, il me semble que tu as encore maigri, et...
-Et...laissez la donc tranquille, je la trouve au contraire resplendissante. Elle a une taille de rêve
et( le docteur Goran toussota), je trouve que mon fils a bien de la chance de la fréquenter.
-Décidément, docteur, vous ne manquez pas d'éloges envers les femmes! J'espère toutefois, que
Rémi est plus sérieux que vous, souligna Marie, d'un ton faussement réprobateur.
-Oh, ne t'inquiète pas, Rémi est tout dévoué à ta cause et, comme je l'ai dit, je le comprends fort
bien. Passons à table, si vous le voulez bien, j'ai une petite faim.
Le frugal mais savoureux repas mitonné par Céline, fut avalé dans la bonne humeur, chacun évitant
soigneusement dans ses propos de faire référence à la guerre. Après le dessert, le docteur invita
Marie à s'installer à ses côtés dans le salon-bibliothèque aménagé avec goût, où, il avait coutume de
se rendre pour y fumer et se détendre.
-Cela ne te dérange pas, si j'allume ma pipe?
-Non, je vous en prie Monsieur.
Marie, était devenue grave tout à coup, et, ce changement, n'échappa pas au médecin.
-Marie, dis-moi ce qui te préoccupe.
-C'est Rémi, évidemment, je suis sans nouvelles, et, je me ronge les sangs.
-Je me doutais bien que ce n'était pas pour moi que tu avais fait le déplacement...mais, ne t'inquiète
pas pour Rémi, comme on dit...pas de nouvelles, bonnes nouvelles!
-Mais encore, je vous en prie, je suis à bout de nerfs et...
Marie, s'interrompit, car, Céline venait d'entrer, portant une cafetière fumante, dont l'arôme
chaleureux se répandit dans le salon.
-Merci, Céline, posez cela ici, dit le docteur, en désignant une table basse. Je ferai le service, et,
asseyez-vous donc avec nous, pour prendre le café, vous l'avez bien mérité.
Devant l'air contrarié de Marie, le docteur Goran se contenta de dire:
-Tu peux parler en toute confiance, mon enfant, je n'ai aucun secret pour Céline.
Mais, Marie demeurait étonnée et, n'osait plus proférer une parole. Elle se sentait aussi terriblement
gênée et, avait honte de son embarras soudain. Que devait penser Céline, de son attitude?
Alors, constatant que Marie restait toujours interdite, le docteur Goran se leva:
-Viens, Marie, suis-moi.
Elle se leva et s'engagea à sa suite, dans l'escalier menant au sous-sol. Ils entrèrent dans le garage,
où, trônait la superbe traction avant où, elle avait pris place un jour sous la conduite de Rémi. Elle
était de plus en plus intriguée. En effet, pourquoi venir poursuivre ici leur conversation, alors, qu'il
venait de lui demander de s'exprimer librement devant Céline, se demanda-t-elle. Charles Goran se
dirigea vers le tableau général électrique, abaissa une manette, et, aussitôt, un pan entier du mur de
briques pivota sur lui-même, sous les yeux écarquillés de surprise de Marie.
-Approche ma fille, n'aie crainte.
Elle pénétra à sa suite, dans un minuscule local meublé simplement d'une table et de deux chaises
en bois. Un poste émetteur-récepteur de taille respectable prenait une bonne partie de la table, avec,
à ses côtés deux casques d'écoute.
-Tu découvres Marie, mon univers clandestin, je devrais dire notre univers, car, Céline et moi,
entrons quotidiennement en contact avec la Résistance. Toutes les nuits, nous recevons et,
retransmettons les informations en provenance de Londres, d'Alger et...de Rémi!
-Oh! Docteur, (Marie était surexcitée), puis-je venir un soir lui parler?
-Cela ne sera pas nécessaire, ma chère, puisque tu pourras le faire très bientôt de vive voix!
L'émotion était à son comble. Fébrilement, Marie porta la main à son front et fut sur le point de
défaillir. Charles Goran la fit s'asseoir, et, lui fit avaler un petit cachet.
-Voilà, ce n'est pas grand chose, mais, ça va te détendre.
Marie regardait son interlocuteur avec gratitude.
-C'était donc vrai alors, il sera bientôt là, Emir c'est bien lui!
Le docteur , d'abord interloqué par l'affirmation enthousiaste de la jeune fille, éclata d'un rire
tonitruant.
-Eh bien, sacré nom d'une pipe! Moi qui croyais t'apprendre quelque chose, je constate que tu en
sais au moins autant que moi!
-Je ne savais rien j'ai seulement deviné et, surtout, j'ai espéré. Maintenant, je suis récompensée.
Dites moi vite quand il sera là.
-Je ne le sais pas précisément, mais, ce que je peux te dire, c'est que son retour est imminent. D'ici
une semaine, il devrait être parmi nous. Son parachutage est programmé sur un terrain vague, au
nord de Manosque. Le balisage de la DZ sera effectué par les camarades de Haute-Provence, qui le
ramèneront ensuite chez nous.
-Mais, cela ne comporte-t-il pas de risques?
-Tout risque n'est jamais écarté, bien évidemment,mais, la date du parachutage a été choisie en
fonction de l'arrivée à Lyon d'un important personnage de la Wehrmacht. Donc, des renforts
considérables devraient être mobilisés dans la zone nord pour couvrir le déplacement de cet officier
supérieur, et, le sud, ou se déroulera la prise en charge de Rémi, devrait théoriquement bénéficier
d'un calme relatif. Tu vois que nous ne laissons quand même rien au hasard. De plus, son avion
n'empruntera pas les couloirs aériens normaux, et, volera tous feux éteints. Pour ne rien te cacher,
c'est ce dernier détail qui me cause le plus de soucis. Enfin, d'après Londres, c'est un pilote confirmé
qui sera aux commandes, et, nous devons lui faire confiance, nous n'avons pas le choix.
-Mon Dieu, et Rémi qui n'a jamais sauté en parachute!
-Rassure toi, il a suivi un entraînement sévère dans un camp de commandos et, de ce côté, il ne
devrait pas y avoir de problèmes.
-Docteur, vous m'épatez!
Marie, dévisageait le médecin avec un étonnement mêlé de respect.
-Ah oui, et, qu'ai-je donc fait pour te faire cet effet , belle enfant?
-Oh, mais rien, bien entendu. D'abord, nous nous retrouvons dans ce local, ensuite, vous me livrez
un plan top secret dans tous ces détails. Moi qui vous prenais pour u médecin bien peinard, bien
rangé, ne s'intéressant pas du tout à la guerre, de peur de compromettre sa situation!
-Eh oui, comme quoi, vois-tu, il ne faut jamais se fier aux apparences. Et puis, tu t'imagines que
j'allais rester les bras croisés, alors que mon fils unique était engagé dans la bataille? Cela eût été
inconcevable, intolérable pour moi! Je me suis procuré ce puissant appareil, grâce à une
connaissance bien placée en haut lieu militaire et, depuis que les réseaux Vercors Nord et Sud se
sont liés, je sers d'intermédiaire entre Londres et Alger. Tous les messages transitent par moi, et,
toutes les nuits, avec Céline, nous sommes fidèles au rendez-vous. Céline m'a déjà remplacé au pied
levé, quand j'ai dû partir pour une urgence. Elle s'en tire très bien, et, n'a aucun mal pour décoder les
messages.
Marie croyait rêver...Céline une résistante! Elle, si douce, si sensible. Elle n'en ressentit que plus
d'admiration et, la considéra immédiatement comme un membre de la famille puisqu'elle était en
contact avec Rémi. Et dire, qu'elle n'avait pas osé parler devant elle! Elle s'en voulait énormément .
Elle remonta vivement l'escalier et pénétra dans la cuisine où, elle se jeta littéralement dans les bras
de Céline qui recula sous l'effet de surprise.
-Oh, Céline, je vous demande pardon pour tout à l'heure.
-Non, ma fille, je n'ai rien à te pardonner, ton silence était tout à fait normal, il protégeait Rémi, et,
c'était une belle preuve d'amour.
Marie l'embrassa fougueusement et, Céline dut se retenir sur le rebord de l'évier pour ne pas tomber
à la renverse.
-Oh, là là, ces jeunes gens, pleins de vie! Je n'ai plus vingt ans, tu devrais faire attention!
-Mais, ma parole, vous vous battez toutes les deux!
Le docteur Goran qui venait d'entrer dans la cuisine, assistait amusé à la scène.
-Absolument, et Marie, m'a mise KO debout!
A la réplique de Céline, tous trois se mirent à rire de bon coeur, puis, Marie, encore toute secouée
par le fou-rire, prit congé de ses hôtes.
-Toutes ces émotions, m'ont presque fait oublier l'heure de ma car, je me sauve. Je vous aime tous
les deux!
-Nous aussi, nous t'aimons, petite, prends bien soin de toi et, à bientôt.
Charles Goran, la raccompagna sur le perron.
-Oui, à bientôt, c'est promis.
En sortant de la villa, Marie exultait. Elle reverrait enfin son amoureux! Que la vie était
merveilleusement belle!
Dans le lointain, un sourd grondement de tonnerre se fit entendre. Le temps magnifique dans la
matinée, commençait à se gâter. De lourds nuages noirs, menaçants, s'accrochaient déjà aux falaises
du Vercors. A leur vue, Marie, rayonnante, s'assombrit sous l'emprise d'une soudaine morosité
inexpliquée. Elle pressa le pas, frissonnant, en se dirigeant vers la gare routière.
22
Le petit vent du nord qui s'était levé, n'arrivait pas à m'apporter la fraîcheur nécessaire pour dissiper
la désagréable sensation de chaleur qui m'oppressait, rendant ma respiration difficile. André, dut
prendre conscience de mon état, car, il me demanda si j'étais fatigué. Je lui répondis, que ce n'était
rien, et, que mon incommodité provenait sans doute d'une nuit agitée.
Il était vrai que je dormais très mal depuis quelque temps, mes nuits étant peuplées du souvenir de
Marie et, quand au petit matin, le sommeil venait à bout de mon chagrin, il était l'heure de se lever.
Je savais à présent qu'il fallait que je chasse cette jeune femme de mes pensées. Elle ne serait jamais
à moi, et, j'en étais conscient, j'en souffrirai pendant longtemps, mais, il fallait à tout prix que je
l'oublie.
Quand, ce matin, je l'ai revue pour la dernière fois chez Auguste, j'ai cru que mon coeur allait sortir
de ma poitrine, tellement il cognait fort. Je ne suis pas parvenu à articuler un mot, tant ma bouche
était sèche, pourtant, j'aurais voulu lui parler pour lui dire...quoi? Je ne savais plus. Quant à elle, de
toute façon, elle ne s'attarda guère, et, après qu'elle m'eut mis au courant pour son frère, elle
l'embrassa et prit congé de nous, après m'avoir simplement souhaité bonne chance. Pas même une
dernière petite bise...après tout, cela valait sans doute mieux ainsi et, je devais tirer définitivement
un trait sur elle.
-Sommes-nous encore loin?
La voix d'André, me parvint estompée, comme étouffée par un voile invisible. Il fallait que je me
secoue, j'étais responsable de lui, du moins jusqu'au camp «Aigle». C'était Marie qui avait choisi le
maquis de Raymond pour son frère et, en mon for intérieur, je pensais qu'elle avait eu raison,
Raymond étant digne de la plus grande confiance.
-Encore une petite demi-heure.
Nous étions déjà passés aux deux premiers campements et, nous approchions d' Aigle.
Tout à coup, alors que nous émergions d'un étroit défilé escarpé, débouchant sur un rebord de
falaise, nous fûmes surpris par un énorme grondement. Nous eûmes le réflexe de replonger aussitôt
dans l'étroite cheminée dont nous étions sortis, et, il était grand temps, car un petit avion nous rasa
de près. Il était si proche, qu'il me sembla possible de le toucher en levant simplement le bras. Mais,
déjà, le grondement de son moteur s'estompait, et, on devinait à son changement de rythme, qu'il
perdait rapidement de l'altitude, et, repiquait vers la vallée. Je regardai André: nous étions tous deux
en fâcheuse posture , suspendus carrément dans le vide, nous maintenant simplement par le bout de
nos phalanges, les doigts crispés au rocher. Mais, l'effet de surprise ne nous avait guère laissé
d'alternative. Je pus, dans un effort acrobatique, rétablir mon équilibre, et, j'aidai mon camarade à
rectifier sa position inconfortable, en le supportant tant bien que mal sur mes épaules. Ainsi, bon
an , mal an, nous nous hissâmes sur la falaise. J'avais choisi cet itinéraire un peu périlleux, il est
vrai, car, il nous économisait bien une heure sur notre trajet. L'hiver, avec la neige et le verglas, il
était bien entendu hors de question de l'emprunter. Nous aperçûmes notre avion descendre en
décrivant de larges cercles au dessus de la plaine Grenobloise. Nous le suivîmes un instant du
regard, puis, il disparut, se fondant dans un lointain décor vaporeux.
-Nous l'avons échappé belle.
-Oui André, il s'en est vraiment fallu de peu qu'il nous surprenne. A présent, ne traînons plus...s'il lui
venait à l'idée de revenir faire un tour.
Raymond, nous accueillit avec chaleur, complimentant André sur le morceau de bravoure que
représentait son évasion. Puis, à mon tour, je lui narrais nos récentes péripéties.
-Aussi, il faut avoir un sacré culot pour oser s'aventurer dans la cheminée des Fées. Heureusement
pour vous deux qu'il n'y a pas eu de dégât! Bon, ceci dit, André, te voici donc maquisard à part
entière, et, c'est très bien, car, nous avons besoin de petits gars comme toi, qui n'ont pas froid aux
yeux...surtout, pour les beaux jours qui se préparent. Tu subiras un petit entraînement qui te rendra
très vite opérationnel.
Raymond, ensuite, nous relata brièvement la réunion avec Emir, commandant des FFL du Vercors.
J'enviais secrètement cet homme que je ne connaissais pas, mais, à qui l'amour de Marie était
acquis. Comme s'il avait lu dans mes pensées, André, soudain animé par un élan de fierté s'exclama:
Je suis si heureux que Marie m'ai choisit un tel homme comme beau-frère! C'est fantastique
d'apprendre que Rémi, que je connais depuis si longtemps, soit devenu un personnage important de
la Résistance!
-Oh là mon gars, réprimanda Raymond, que fais-tu du secret d' état? Rémi, c'est top secret,
attention, ici, on ne connait que Emir.
-Je suis désolé, s'excusa André rouge de confusion.
-Allons, passons, c'est une faiblesse due à ta jeunesse, et puis, nous sommes ici entre nous...Fabrice,
côtoyant Marie, avait sans doute fait le rapprochement depuis longtemps!
-Oh oui...répondis-je, en m'efforçant de sourire, mais, la tristesse inondait mon coeur.
-Ceci dit, il est bien évident, que plus jamais, le prénom de Rémi ne devra être prononcé...Raymond
ponctua ses paroles en tapotant amicalement la joue d'André...En effet, tu as beaucoup de chance de
l'avoir dans ta famille.
Puis, il se rembrunit en évoquant l'épisode de notre avion.
-Tout cela ne présage rien de bon. Ces reconnaissances aériennes se font de plus en plus fréquentes
et, j'ai bien peur qu'il ne se prépare quelque chose de mauvais.
Devant nos mines quelque peu effrayées, car, connaissant Raymond, nous prenions au sérieux, le
moindre de ses propos, il se détendit et nous sourit.
-Ne vous inquiétez pas, les enfants, nous les aurons ces salauds, je vous le promets, et, toi, Fabrice,
sois vigilant, et redouble de prudence au cours de tes périples.
-OK, Raymond, j'ouvrirai , l'oeil.
Je pris congé d'eux en les saluant chaleureusement. Maintenant que Marie n'était plus avec moi,
j'aurais voulu rester avec eux, au maquis, mais, je n'osais en parler à Raymond. Je savais que cela
poserait des problèmes, car, il faudrait trouver un autre ravitailleur au pied levé, alors, une sombre
tristesse enfouie au tréfonds de moi-même, je pris le chemin du retour.
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27
Quand je le vis pour la première fois, je compris mieux alors, ce que pouvait ressentir Marie pour
ce garçon. Rémi avait une fière allure, athlétique, d'un physique très agréable mais, ce qui forçait
mon admiration pour lui, c'est qu'il se dégageait de sa seule présence, un charme mystique. De plus,
l'écoutant depuis un moment, je reconnaissais que le commandant Emir était remarquable jusque
dans sa façon de s'exprimer.
Je n'aurais su expliquer pourquoi, mais, curieusement ma jalousie s'était évanouie, et, je souhaitais
même ardemment que Marie et lui, soient heureux longtemps ensemble.
J'étais arrivé à «Vautour» un instant plus tôt et, m'apprêtais à repartir poursuivre ma mission,
lorsqu'il était arrivé. C'est lui qui avait souhaité que je reste, pour «écouter ce qu'il avait à dire». Il
avait choisi de s'installer dans ce camp pour des raisons essentiellement stratégiques: des renforts
en masse étant attendus sur le plateau, Vautour occupait une situation idéale pour les réceptionner et
les ventiler sur tous les secteurs.
-Dès que nous aurons formé nos unités respectives de combat, nous procèderons aussitôt au
verrouillage complet du plateau. Tout son pourtour devra être bloqué par un minage méticuleux. Pas
une route, pas un col, ni un pas; ni un tunnel, ne devra être oublié. Je distribuerai les tâches de
chacun dans les heures à venir. Tu vois Fabrice, qu'il était important que tu saches cela. En effet , ta
mission s'achève aujourd'hui. Nous aurons des vivres à volonté, et, il est inutile de risquer ta vie, car
pratiquement tous les passages seront minés. Te voilà donc libéré de tes obligations envers la
Résistance. Sois-en remercié au nom de tous nos camarades. Que comptes-tu faire désormais?
Je n'hésitai pas une seconde:
-Je reste ici!
Jean partit d'un grand éclat de rire:
-Eh bien, toi au moins, tu dais ce que tu veux!
-Oui, je veux rester avec vous, j'en rêve depuis longtemps. Il faudra seulement prévenir Auguste par
radio, afin qu'il avertisse ma mère. J'espère qu'elle comprendra...rajoutai-je avec un pincement au
coeur.
Rémi, me regarda avec bienveillance:
-Oui, je suis sûr qu'elle comprendra, et, qu'elle sera fière de son petit gars. Quant à moi, je le suis
déjà, et, te remercie pour ton engagement.
Je rougis sous l'effet du compliment et, murmurai un timide:
-Merci Commandant.
3
-J'y avais droit toutes les trois heures, je commençais à en prendre l'habitude. Une étrangère me
regarde avec un sourire bienveillant. Mais, ce sourire ne me réchauffe pas, ce n'est pas celui de
Marie. Où est-elle donc? J'ai du formuler ma question à voix haute, car, une réponse arrive, mais,
pas celle que j'espérais.
-Ne parlez pas, ne vous fatiguez pas.
Mon sac à dos se fait de plus en plus lourd. Des gouttes de sueur perlent sur mon front. L'étrangère
passe son bras derrière mon cou, me soulève légèrement et, me fait boire. Cela me fait du bien.
Auguste me prépare toujours la même boisson, à base de jus d'orange et de miel, dont il remplit ma
gourde. Ce mélange, a le double effet de ma désaltérer et, d'atténuer ma fatigue. Je me suis arrêté
sous un rocher en surplomb et, je récupère un peu. Le brouillard se dissipe peu à peu. De longues
volutes brumeuses, étiolées, laissent entrevoir les contreforts du Grand-Veymont, point culminant
du massif du Vercors. Depuis mon plus jeune âge, ce sommet m'a toujours fasciné. Quand, pour la
première fois, je découvris sa masse imposante au détour du sentier, il me fit penser aussitôt, à un
gigantesque animal préhistorique, à l'aura mystérieuse, étalé sur ses pâturages, et, trônant
majestueux, au centre d'une immense prairie où explosent aux premiers beaux jours, une multitude
de plantes et de fleurs bigarrées, dont, l'Edelweiss, en est la reine incontestée.
Je ne suis plus très loin, à présent, du premier camp: le maquis Vautour. Son chef, Jean, a beaucoup
d'estime pour moi, plaisantant souvent, en ayant toujours une histoire drôle à me raconter. J'ai une
admiration sans bornes pour ces hommes dont le courage n'est plus à démontrer, qui défendent avec
acharnement, leur patrie contre l'envahisseur. Auprès d'eux, j'ai maintes fois ressenti le désir de ne
plus redescendre au village, imaginant avec envie, leur vie exaltante.
Un jour, en réponse à mon souhait, Jean me fit comprendre gentiment mais fermement, que ce que
je faisais était très utile,que sans moi ils ne pourraient exister, que j'étais en quelque sorte, leur relais
avec la vie en leur fournissant les vivres et, en leur rapportant les nouvelles du pays.
Alors, je n'avais pas été peu fier de savoir, c'est Jean encore qui me l'avait dit, que mon travail me
faisait courir des risques aussi gros que les leurs. Un jour, il me dit:
-Il ne faudra jamais que tu parles de ce que tu fais, même pas à ta mère. Tu es un résistant à part
entière comme nous.
Je lève les yeux, et vois un bras qui s'agite en signe de bienvenue. Je ne sais pas encore à qui il
appartient. Le sentier s'élève en larges lacets avant de déboucher sur Vautour. La sentinelle grossit à
vue d'oeil. Maintenant, je peux l'identifier: c'est Fernand. Plus que deux virages, et, j'arrive à sa
hauteur:
-ça va Fabrice?
Oui, merci, sans ce satané brouillard, j'aurais été à l'heure.
-Entre vite te réchauffer.
J'obtempère bien volontiers à la proposition de Fernand, faite avec bonhomie, le trait principal du
caractère de ce brave garçon. Je déchausse mes skis, et entre. Après tous ces moments passés dans
la tourmente blanche, j'ai des difficultés à m'habituer à la semi-obscurité de la grotte. Je distingue
quatre formes assises autour d'un braséro.
-Salut, Fabrice, approche toi du feu.
La voix de Jean me parvient étouffée par les voûtes de cet antre millénaire. Je tends mes bras audessus des charbons ardents. La chaleur fouette mon sang et, mes doigts engourdis, retrouvent
lentement leurs mouvements naturels.
Je me sens bien en ces lieux. C'est comme si je me retrouvais dans mon univers familial, entre mon
père et mes oncles, pendant les longues soirées de veillée, où nous dégustions des marrons chauds et
des noix. Les hommes racontaient des histoires, tandis que les femmes tricotaient, hochant la tête de
temps à autre pour écouter, en étouffant leurs rires.
Jean extirpe de ma musette un paquet soigneusement emballé, étiqueté Vautour. Auguste et sa
femme mettaient beaucoup de soin à la confection de ces colis destinés aux combattants de l'ombre.
Ils contenaient outre la nourriture nécessaire, les médicaments indispensables, ainsi que les lettres
des êtres chers. Ils avaient une valeur inestimable, représentant la civilisation pour les maquisards.
Tous les hommes étaient là, entourant Jean, étudiant ses gestes avec beaucoup d'attention. Ils se
penchaient sur le paquet, objet précieux symbolisant l'espoir.
-Quand est-il entré ?
-Cette nuit monsieur.
Des hommes en blanc s'inclinent sur moi. Ce ne sont pas des résistants. Je reconnais l'étrangère qui
a pris la place de Marie. Ils discutent entre eux, je n'entends pas ce qu'ils disent. On dirait un
complot. Il faut que j'avertisse Jean, et vite!
-Il se pourrait que le brouillard s'épaississe encore, me dit Jean, tu devrais repartir...
-Vous continuez les anticoagulants, et surveillez sa tension.
-Bien, monsieur.
-Refaites lui un électrocardiogramme.
-Oui, monsieur.
La lueur des flammes du braséro, projette nos ombres mouvantes sur les murs de la grotte. Jean
défait le paquet, en vérifie son contenu. Armand avait son billet doux habituel, que lui écrivait
Catherine , sa fiancée. Je connaissais cette jolie brunette, et, depuis que Armand, avait rejoint le
maquis, sa mine s'était assombrie et, elle avait perdu son charmant sourire. Quand elle venait faire
son marché chez le père Auguste, de la voir dans cet état, me faisait beaucoup de peine, et, bien
souvent, j'ai failli lui parler, et la rassurer sur le sort de son bien-aimé. Mais, c'eût été trahir mon
devoir et mes camarades, alors, la mort dans l'âme, je détournais mon regard, pour ne pas me laisser
aller , et, tout lui dévoiler.
-Avale cette infusion, ensuite tu repartiras. J'ai écrit un petit mot à Auguste. Il faudrait que tu sois
secondé , tu es jeune et sportif, et, tu te déplaces vite, mais, tu risques de te fatiguer assez vite, et,
nous ne pouvons prendre le risque de perdre notre unique ravitailleur.
Les propos du chef de maquis, m'ont quelque peu secoué. Que diable, je n'ai besoin de personne! Je
suis bien, seul, dans ces montagnes qui sont les miennes où, je perçois comme d'infinis murmures
chantonnant à mes oreilles, qui m'accompagnent et me transportent. Flanqué d'un compagnon, ce ne
sera plus pareil: il faudra répondre aux propos insignifiants qu'il me tiendra, il faudra parler, sans en
éprouver le besoin. Je ne serai plus puissant comme un loup solitaire, non, décidément, je suis déçu.
J'ai envie de répliquer, mais, je sais par avance qu'il est inutile d'affronter cet homme aux épaules
carrées, au regard dur mais bienveillant quand il se pose sur moi. Je suis déçu, mais j'accepte quand
même sa décision. N'a-t-il pas raison? Qu'adviendrait-il, s'il m'arrivait un accident dans ces contrées
désertes et sauvages? Qui viendrait me secourir? A deux, tout compte fait, ce sera certainement plus
prudent et, le temps passera plus vite.
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5
-Avalez ceci!
Cette voix, je l'aurais reconnue parmi des milliers d'autres. Une voix fragile, cristalline, vibrant
mélodieusement au creux de mes oreilles: la divine voix de Marie.
Je n'ouvrais pas les yeux, j'étais bien, je ressentais cette présence chaleureuse, j'aurais voulu
prolonger à l'infini cet instant magique.
-Allons, réveillez-vous, paresseux!
Elle était là, enfin. Elle était revenue et, me souriait comme la première fois. Ses yeux amusés, me
fixaient avec une tendresse bouleversante, teintée de suspicion.
-Allons, réveillez-vous, répéta-t-elle!
J'étais dans une demi-inconscience et, j'imaginais mille choses exquises: Maris, ma partenaire, ma
complice, mon amoureuse...
Elle était là, en face de moi, dans l'arrière boutique d' Auguste. Elle avait un air grave. Ses yeux
d'émeraude étincelaient dans son visage d'une blancheur surnaturelle ,qu'encadraient ses longs
cheveux dorés. Elle était vêtue d'un gros pull de laine rouge à col roulé, et, d'un pantalon fuseau,
épousant avec grâce, des jambes superbes.
-Fabrice, je te présente Marie, me dit Auguste.
-Bonjour, murmurai-je timidement.
-Bonjour, répondit-elle du bout des lèvres , sans me regarder.
-Marie, est de ST-Julien. Son frère a été arrêté par une patrouille allemande, mercredi, alors qu'il
sabotait une de leurs installations. Marie m'est recommandée par son père, monsieur Arnaud, le
maire de ST-Julien. Elle a déjà travaillé pour la Résistance, là-bas, mais, ce secteur est devenu
dangereux pour elle, aussi, va-t-elle te seconder.
Je secouai lentement la tête en signe d'approbation. Jamais, je ne m'étais trouvé en présence d'une si
belle créature. Il se dégageait une séduction naturelle de tout son être. Elle devait être un peu plus
âgée que moi, 17 ou 18 ans, mais pas plus.
-Si on te questionne sur elle, tu n'auras qu'à dire que c'est une parente, une cousine de Grenoble, par
exemple. Est-ce bien compris, Fabrice?
-Oui, bien sûr, monsieur Auguste.
-Parfait, les présentations sont faites. Marie, pourra t'accompagner dès jeudi. J'explique tout dans
une lettre pour Jean. Ton sac est prêt. Tu peux y aller, aujourd'hui, tu as de la chance, il fait beau.
En effet, il fait un temps magnifique. Dehors, tout est lumière, mais, brusquement, il a fait nuit en
moi, il a fait froid. Ainsi, Marie, ne vient pas avec moi. Je ne peux déjà plus me passer d'elle. Je ne
l'ai pas encore quittée, qu'elle me manque déjà, terriblement. Le coeur gros, je prends mon sac. Il est
temps de partir. Je lance un au-revoir, se voulant altier à la cantonade.
-Salut mon gars, bonne chance, me lance Auguste.
-Au-revoir...en disant cela, elle ne m'a même pas regardé. Elle semble absente.
Aujourd'hui, ma mission va me paraître longue. Deux yeux verts, immenses, brillent tels des phares
devant moi. Ils me hantent, me bouleversent. J'ai hâte de les revoir. Mais...que m'arrive-t-il? Elle n'a
quant à elle même pas daigné me regarder. C'est normal, après tout, qu'à t-elle donc à faire de moi,
elle, la grande dame de 18 ans? Je ne suis qu'un gamin, j'en chialerais presque.
Je me retourne, mon village est blotti loin, au creux de la vallée. Mon village, où bat un coeur
nouveau, faisant battre plus fort le mien. D'habitude, durant ces instants de solitude, je revois mon
père, ma mère, je jouis du spectacle de la nature. Aujourd'hui, la neige a le visage de Marie, le
soleil, la couleur de ses cheveux, la forêt, l'éclat de ses yeux. Il y a une heure, je ne la connaissais
pas, à présent, je la connais mieux que moi-même.
Elle prend ma nuque dans ses mains, la soulève et, me fait avaler des pilules. Qu'elles sont douces,
ses mains au contact de ma peau.
-Voilà, vous pouvez retourner à vos beaux rêves.
Mais, non, elle ne comprend donc pas, mes rêves, c'est elle, je vais le lui dire, lui avouer enfin.
Je m'aperçois que je déclame à haute voix dans ces lieux désertiques. Un grand corbeau est passé au
ras de ma tête, dans un bruyant déploiement d'ailes, croassant furieusement, et, m' a fait sursauter.
-C'est donc la fille Arnaud qui t'accompagnera.
Jean a pris connaissance du billet d' Auguste.
-Tout de même, tu as une sacrée chance: elle est bien mignonne. Mais, sois sérieux, de toutes
façons, elle est fiancée, également à un résistant.
J'ai failli lâcher mon verre de café. Mon visage a dû changer d'expression, car Jean me demande ce
que j'ai. Marie fiancée? C'est trop injuste et, je ne peux l'admettre.
-Ce n'est rien, une fatigue passagère.
Tu vois, je savais bien, heureusement, que ça ira mieux, avec Marie pour t'aider. Tu diras à Auguste
de nous mettre de l'aspirine, nous n'en avons presque plus, n'oublie pas.
-Je n'oublierai pas, salut à tous, à jeudi.
-Salut, sois prudent, avec le soleil, la neige commence à fondre.
Le paysage est éblouissant de clarté. Des lunettes de glacier protègent mes yeux. La neige scintille
au soleil, immaculée et, seules quelques traces ici et là, rappellent la présence d'animaux sauvages.
L'Aiguillette ou Petit Veymont pointe sa crête en forme d'index en direction de ciel, tandis que de
l'autre côté de la vallée, le Mont Aiguille, tel un géant débonnaire, lui fait face. Tout en bas, la route
de Grenoble, où circule un convoi allemand, longe la voie ferrée. L'ennemi a installé sa
Kommandantur à Grenoble et, a entrepris depuis quelque temps, toute une série de représailles.
Je pense au frère de Marie que je ne connais pas, mais, je souffre pour elle. Vivement que cette
saleté de guerre, s'achève. Pourtant, grâce à elle, j'ai connu Marie. Nos villages sont voisins, mais, je
ne l'aurais peut-être jamais rencontrée. Ainsi va la vie, ainsi se joue une destinée.
21
L'atmosphère qui régnait dans la grande ferme de la famille Blanc, agriculteurs de père en fils,
depuis des générations dans ce hameau du Vercors, véritable îlot du bout du monde, perdu dans un
univers lunaire, était chaleureuse. Il fallait être né ici, pour pouvoir s'adapter à la rudesse du climat.
Les frimas de l'hiver, interminables, et, son corollaire, la neige omniprésente, comme un farouche
gardien de ces solitudes glacées, mettaient un terme à toute activité extérieure pendant de longs
mois, obligeant hommes et bêtes à vivre sous le même toit, en complète autarcie.
Pourtant, aujourd'hui, en cette fin de printemps 1944, la campagne s'étant débarrassée de son blanc
fardeau, la nature avait repris tous ses droits. Une végétation luxuriante courait à perte de vue sous
le soleil généreux, mettant en valeur, la verdure des immenses prairies, où, paissait tranquillement le
cheptel de l'exploitation agricole. Quelques superbes vaches laitières et un joli troupeau d'ovins
faisaient la fierté des Blanc , et, leur fournissaient la matière première que l'on transformait en
crèmes onctueuses et autres fromages savoureux du cru, à la fruitière du bourg voisin.
Le bâtiment tout entier était imprégné de la forte odeur des bêtes: elles passaient tout l'hiver à
l'étable, qu'une simple porte en bois, séparait de l'appartement. Celui-ci se composait d'une unique
et vaste salle, équipée en son milieu d'un imposant fourneau à bois. Vers le fond de la pièce, une
épaisse tenture de velours grenat défraîchi, tombant du plafond, délimitait l'espace de nuit.
Ainsi, pendant une longue période de l'année, les maîtres des lieux et leur bétail, vivaient en
promiscuité totale, se réconfortant par leur chaleur réciproque.
Les hommes étaient assis autour d'une grande table rustique. Roger Blanc, et, son fils Etienne leur
avaient servi une collation à base de charcuterie de montagne et de fromages de chèvre, dont ils
s'étaient régalés. Après avoir débarrassé la table, Marinette, la maîtresse de maison, sortit
discrètement et rejoignit Etienne et sa femme, occupés tous deux à des travaux champêtres.
Rémi, d'un geste, invita Roger Blanc, à prendre place parmi les hommes. Depuis que les réseaux du
Vercors avaient vu le jour, dans l'hiver1942-1943, la grande ferme servait de point de ralliement aux
résistants, et, des réunions secrètes s'y tenaient chaque fois que l'actualité l'exigeait. Le lieu avait été
choisi pour sa situation géographique idéale, aux confins de la Drôme et de l'Isère. Ainsi, ceux qui
s'y rendaient, et d'où qu'ils vinssent, avaient à quelque chose près, la même distance à parcourir.
Aujourd'hui, la réunion revêtait un caractère exceptionnel, et, tous les chefs de maquis avaient été
convoqués. Raymond représentait les secteurs de ST-Martin, ST-Julien. Guillaume, responsable du
réseau Glandasse, près de Die, dans le sud, avait accueilli Rémi, à l'aube et, avait aussitôt déclenché
cette assemblée extraordinaire. Il présenta Rémi,puis, lui donna la parole.
Tout le monde retenait son souffle, les yeux braqués sur cet homme, dont la jeunesse tranchait avec
la forte personnalité qui émanait de lui. Par sa stature imposante, et, son allure altière, il forçait
l'admiration, et, imposait d'emblée le respect. Quand, dans un silence absolu, il prit la parole, un
frisson parcourut l'assistance. Sa voix, messagère d' outre-Manche, faisait planer au-dessus d'elle,
l'ombre gigantesque du général de Gaulle.
-Mes camarades, mes chers amis, la grande offensive qui verra notre victoire, est proche. Nous
devrons être prêts pour délivrer notre patrie de ses envahisseurs. Pas un de nous ne devra manquer à
l'appel ce jour-là. Il faut que nous soyons mobilisés pour jeter toutes nos forces dans le combat
final. Beaucoup d'entre nous paieront de leurs vies les actes d'héroïsme qu'ils accompliront , mais,
leur sacrifice, ne demeurera pas vain. Il servira d'exemple, et rejaillira sue les générations futures
afin que celles-ci n'acceptent plus jamais de courber l'échine sous le joug d'un quelconque
oppresseur. Notre liberté, celle de nos enfants, dépendront uniquement de nous, de la volonté que
nous aurons et de la détermination que nous mettrons à la reconquérir.
Dans les jours prochains, nous vivrons un moment décisif et capital pour notre avenir. Il faut que
nous en soyons convaincus. Il vous appartient, vous, chefs de maquis, de déployer l'énergie de vos
troupes, de les tenir prêtes psychologiquement et physiquement. Redoublez les exercices, multipliez
les entraînements, soyez affutés pour le combat. Des renforts viendront grossir vos effectifs. Le haut
commandement interallié enverra un important détachement militaire pour vous appuyer. Ma
mission consiste précisément à coordonner les mouvements civils et militaires. Ne prenez aucune
initiative isolée, il faudra conjuguer toute nos actions pour une efficacité absolue. Je vous demande
d'être dès ce soir, extrêmement attentifs aux messages codés de la BBC, retransmis par notre
antenne grenobloise. Vous reconnaitrez aisément celui qui nous annoncera le jour J. Enfin, mes
chers camarades, sachez, que que le général de Gaulle est conscient du travail que vous
accomplissez pour libérer la France. Il vous adresse à cet égard, ses vifs encouragements et son
extrême considération. A présent je me tiens à votre disposition si vous voulez vous exprimer, et, si
vous souhaitez un complément d'informations.
Il y eut un moment de flottement dans la grande salle à manger. Après les paroles dispensées par
Rémi, tous étaient comme envoûtés, entièrement acquis à la cause de cet homme qui était la leur, et,
qu'ils considéraient comme leur chef. Même Raymond qui avait connu Rémi tout jeune, semblait
intimidé. Ce fut lui, qui brisa le silence:
-Commandant...
Rémi l'interrompit avec un large sourire/
-Non, Raymond, je t'en prie, pas de grands mots entre nous, ils seraient superflus...je t'écoute.
-Eh bien, ce que j'ai à dire est simple. Mes hommes sont prêts, pour livrer bataille, c'est une chose
que tu peux m'accorder à cent pour cent. Ils ont la fougue de la jeunesse, et, sont prêts à se sacrifier
pour leur pays. Mais, qu'ont-ils pour le défendre, le pays? Un armement désuet et ridicule , comparé
à celui de notre adversaire: nous manquons cruellement d'armes modernes, de munitions. Nous
souffrons de l'absence d'un véritable encadrement militaire. Nous n'avons pour nous que notre
farouche volonté de nous battre et, c'est grâce à cette volonté, que nous tenons le coup. Tu ne sais
pas le nombre de fois, où nous avons failli tout laisser tomber, écoeurés que nous étions, quand nous
apprenions que des camarades, après des attentats qu'ils commettaient à la sauvette, se faisaient tirer
comme des lapins par l'ennemi, ne pouvant lui tenir tête, faute d'armement adéquat. Tous ces petits
jeunes, ces innocents, ivres de liberté, gonflés à bloc, tombant sous les balles à la fleur de l'âge,
parce qu'ils étaient désarmés face à leur destin, parce qu'ils ignoraient les gestes élémentaires qui
leur auraient sans doute sauvé la vie.
Raymond reprit son souffle. Il s'était laissé emporter, lui d'ordinaire, si calme et serein. Mais,
aujourd'hui, il fallait qu'il sorte tout cela, qu'il exprime sa rancoeur. Quand il était dans son fief,
perché dans son nid d'aigle, le contexte était différent, il était le chef d'un maquis important,
inculquant sans cesse le courage aux jeunes gens qu'il avait sous ses ordres, et, il n'avait pas le droit
de se laisser aller au doute et au désespoir. Il fallait, au contraire, qu'il se montrât, positif à chaque
instant pour maintenir au beau fixe, le moral de ses troupes. Les maquis, Vautour, Epervier, Aigle,
Aiguille, etc. étaient fiers d'être commandés par lui. Jamais, depuis qu'ils existaient, il n'y avait eu
de mésentente entre eux, car, il avait toujours su manoeuvrer avec diplomatie et surtout
humanisme , mais...ici, face à ses interlocuteurs, son langage était différent. C'était celui de la
vérité, de la triste réalité où, il se débattait depuis quelque temps déjà, en proie à de graves crises de
conscience. Ces hommes, étaient comme lui, des responsables de maquis, et, Rémi, représentait
l'état-major des FFL. Alors...à quoi bon exulter, jouer la comédie, se cacher ce qui n'allait pas et,
faire taire, les doutes qui l'assaillaient quand il s'interrogeait sur un avenir par trop incertain? Non,
décidément, trop de détails ne collaient pas, trop de questions demeuraient sans réponse, alors, il
fallait à tout prix crever l'abcès. Dans son for intérieur, il regrettait que son amertume soit dirigée
vers quelqu'un qu'il avait vu grandir, et, qu'il appréciait pour les nombreuses qualités qu'il devinait
chez lui, mais, c'était la guerre, et, celle-ci faisait fi des grands sentiments. Il poursuivit sur un ton
ne laissant aucun doute sur ses états d'âme.
-Nous attendons jour après jour, des parachutages d'armes qui ne se font pas, des renforts qui
n'arrivent pas. Par contre, nous avons droit chaque jour à des messages d'espoir, des promesses, ne
servant à rien sinon, à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, et, qui cachent en réalité,
des lacunes, que dis-je, le gouffre que nous représentons pour nos dirigeants parce que à leurs yeux,
nous n'existons pas ou si peu. En haut lieu, on ne se soucie guère de notre sort, mieux, on s'en
moque. Ou alors dis moi que je suis bête, et, que je ne comprends rien à leurs stratégies!
Raymond appuya ses propos d'un formidable coup de poing sur la table, faisant s'entrechoquer
quelques couverts entre eux. Un long silence s'ensuivit. L'ambiance, bon enfant, flottant un instant
auparavant, lors de la collation, s'était évaporée, laissant la place à un climat de morosité. Chacun
pensait que Raymond avait raison, car, il s'était exprimé avec beaucoup de conviction, et, de
pertinence.
Rémi, lui-même, savait que son vieil ami n'avait pas tout à fait tort, et, ne lui en voulait pas de s'être
exprimé avec la franchise qui le caractérisait. Mais, il y avait des choses à replacer dans leur
véritable contexte, et, il se devait de les mettre au point , même, si à lui aussi, cela lui coûtait.
Il se tourna vers Raymond, et, le regardant droit dans les yeux, lui répondit calmement:
-Tout d'abord, je veux que tu saches, que je ne pense pas un seul instant de toi, que tu sois bête,
mais, que tu es justement tout le contraire. Ceci dit, si je peux concevoir tout à fait ta révolte, car,
elle représente à mes yeux l'expression de ta sincérité et, d'un grand humanisme, vertus essentielles,
qui t'honorent, je ne peux par contre accepter tes critiques sur l'encadrement militaire et, tes doutes
quant aux renforts promis...
Raymond se dressa subitement:
-Mais...c'est que...
-Laisse-moi terminer, si tu veux bien, je t'ai écouté sans t'interrompre, à toi à présent d'écouter ma
réponse.
Raymond se rassit, quelque peu rasséréné par la voix ferme et posée de Rémi. La sérénité dont
faisait preuve celui-ci, alors que lui-même se sentait en pleine effervescence, l'épatait plu qu'il ne
voulait l'admettre. Décidément, pensa-t-il, ce garçon est de la trempe des chefs dignes de ce nom.
-Donc, continua Rémi, tu te plains d'une certaine carence en éducation militaire. Mais, Raymond, il
faudrait accorder les violons dans vos maquis, et, avoir la franchise de reconnaître que les gradés
qui sont chargés de votre formation sont plutôt mal accueillis et mal vus par vous. Vous n'acceptez
pas facilement d'être commandés par eux! Dis moi, si je me trompe?
Rémi avait formulé ses griefs sans animosité aucune, et, avait au contraire posé sa question avec
avec une intonation qui se voulait un tantinet narquoise. Raymond, cette fois-ci, répliqua calmement
, mais, en prenant le soin de peser chacun de ses mots:
-Tu ne te trompes pas, mais, il faut nous comprendre. Il est dur, et, le terme est faible, pour les vieux
résistants dont je fais partie, et, même pour les jeunes , d'avoir à recevoir des ordres qui nous sont
donnés par certains militaires provenant de l'armée de l'armistice, puant encore, les collabos de
Vichy!
-J'entends bien, Raymond, mais, tu le dis toi-même, «certains». Ils ne sont donc pas tous à avoir
accepté le régime de Vichy. Quant à ceux qui en sont issus, eh bien, il faut se dire qu'ils se sont
aperçus qu'ils avaient fait le mauvais choix et, que maintenant, ils se sont rangés du bon côté.
-Tu as raison, mais, que veux-tu, c'est physique. Nous avons l'épiderme qui se hérisse quand on est
obligés de côtoyer ces gens-là.
-Commandant, ce n'est pas uniquement cette raison qui est une cause de mésentente entre eux et
nous, ajouta Guillaume. Ces messieurs ont leur conception de la guerre, et, nous avons la nôtre. Si
l'on s'en tenait à leur raisonnement, il faudrait que nous nous livrions avec l'ennemi, à une véritable
bataille rangée; si, on suivait leur plan, il faudrait que nous jouions aux petits soldats, tambour
major en tête et...sabre au clair, chargez...
Rémi, ne put s'empêcher de sourire à l'évocation de ces propos imagés, se remémorant les bons
vieux westerns , et, les charges héroïques des tuniques bleues contre les indiens.
-...nous ne sommes pas faits pour cette guerre là, et, d'ailleurs, même si nous le voulions, nous
n'avons pas les moyens de la faire, ni en nombre, ni en armement. Nous sommes des combattants de
l'ombre, mon commandant, et, notre guerre à nous s'appelle la guérilla. C'est en nous livrant à la
guérilla que nous sapons le moral de l'ennemi: nous sommes faits, nous sommes entrainés pour
cela: attaques surprise, sabotages, minages etc. C'est dans l'accomplissement de ces formes d'action
que nous trouvons notre raison d'être. D'ailleurs, on a eu des tas d'exemples malheureux d'autres
régions, où, l'armée a voulu à tout prix imposer sa loi aux maquisards, et, ce sont des centaines des
nôtres qui ont été exterminés par l'ennemi. Alors, à quoi bon vouloir nous faire livrer une guerre
vouée au néant par avance? Non, mon commandant, notre désaccord est total, fondamental sue ce
point-là, et, mes camarades me contrediront s'ils ne sont pas de mon avis.
Les hochements de tête, approbateurs, faisant suite aux propos de Guillaume, prouvaient que tous
pensaient comme lui. Après un moment de silence, propice à la réflexion de chacun, Rémi s'éclaircit
la voix avant de déclarer:
-Devant une telle unanimité qui me réjouit, car elle prouve qu'étant tous du même avis, vous êtes
solidaires, et, donc plus efficaces, je n'ai plus grand chose à rajouter, sauf à vous redire que les
militaires qui sont engagés près de vous, le sont pour la bonne cause, et, ne doivent plus paraître à
vos yeux, comme des représentants de Vichy. Ceci est un premier point, mais, il est capital et, je sais
que vous m'avez compris...quant à la stratégie de guerre qui vous paraît inadaptée, voire déplacée,
sachez que je partage totalement votre point de vue, et, j'aurai du mal, étant né ici, à penser
autrement. Vous pouvez donc me faire confiance, en tant que coordinateur, j'empêcherai toujours le
développement d'une quelconque idée de grande bataille rangée, telle que la concevrait un
gentleman officier, tout frais émoulu de ST-Cyr. Voilà, les gars, je tenais à ce que cela soit dit.
Au fur et à mesure que Rémi avait répondu, la tension de l'assemblée, était retombée, et, le meeting
s'achevait sur une bonne impression..
-Merci commandant Emir, tu nous a rassurés, mais, il était nécessaire de faire le point , s'exclama
Raymond jovialement. Tu as notre entière confiance, et notre dévouement pour la suite des
évènements. Nous sommes à tes ordres, et puis, tiens, je ne devrais pas le dire, mais nous sommes
tous fiers de toi, et heureux d'être commandés par un enfant du pays.
-Merci Raymond, merci à tous pour l'aide précieuse que nous ne manquerez pas de m'apporter dans
les jours qui viennent.
Il était 16 heures, la séance était levée. Ils se séparèrent sur le seuil de la ferme pour repartir dans
différentes directions, rejoindre leurs camps respectifs, qu'ils atteindraient après quelques heures de
marche.
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28
Durant les jours qui suivirent le débarquement, tous les accès du plateau du Vercors furent minés.
Ce fut, tout au long de ces journées, des séries d'explosion qui déchirèrent l'atmosphère à intervalles
réguliers.
Je faisais partie d'une équipe commandée par Jean et, nous opérions sur une large zone, en limite de
notre secteur. Mon rôle consistait à transporter des explosifs. Lorsque les tunnels, les ponts,
s'effondraient dans un fracas étourdissant, nous plongions à plat ventre en nous bouchant les
oreilles, mais, longtemps, les terribles déflagrations bourdonnaient à nos tympans...Hélas, ce
vacarme incessant, avait fini par alerter nos ennemis.
Nous étions le 13 juin, nos artificiers finissaient de dérouler le cordon détonateur relié aux bâtons de
dynamite soigneusement lovés sous l'arche d'un petit pont enjambant un cours d'eau et, s'apprêtaient
à allumer la mèche lente qui allait tout faire sauter, quand, Joseph, placé en sentinelle sur un éperon
rocheux à une centaine de mètres de nous, nous fit de grands gestes avec ses bras. Presque aussitôt,
une rafale d'arme automatique, crépita, et, nous le vîmes tournoyer sur lui-même, avant de
s'effondre lourdement et de rouler dans un éboulis en contre-bas.
Déjà, une jeep débouchait au détour du chemin, suivie d'un camion roulant encore, au moment où
une douzaine de soldats bondirent à terre. C'était mon baptême du feu. Les balles sifflaient à mes
oreilles, avant de se perdre au bout de leur trajectoire dans un miaulement lugubre.
L'effet de surprise passé, Jean nous désigna un chaos d'énormes blocs de pierre, amoncelés pèle
-mêle à la suite sans doute d'une avalanche déjà ancienne, puisque une végétation rebelle les avait
envahis de toutes parts. Seulement, ils se trouvaient à une vingtaine de mètres, face à nous, et, nous
devions traverser à découvert, pour les rejoindre, en risquant de se faire tirer comme des lapins.
Alors, Jean et Paul, s'étant concertés, ouvrirent en même temps un feu nourri pour nous permettre le
fameux franchissement. La peur nouait mes tripes, et, la petite distance à couvrir, me parut
interminable. Près de moi, Antoine, un garçon un peu plus âgé que moi, avec qui j'avais commencé
à sympathiser, se plia en deux, telle une marionnette désarticulée, quand un projectile, faucha net, sa
jeune vie. Je me penchai instinctivement sur lui, mais, quelqu'un dans mon dos me poussa
énergiquement, me propulsant derrière un rocher, où j'atterrissais après m'être écorché au passage
mains et genoux, sur un bouquet de ronces acérées.
Lorsque nous fûmes tous protégés par ces remparts providentiels constitués par les blocs, Jean et
Paul commencèrent à se replier vers nous. Mes compagnons, je n'étais quant à moi, pas armé,
ouvrirent instantanément un feu soutenu à l'encontre de nos ennemis, qui, surpris par la soudaineté
et l'intensité de notre riposte, s'abritèrent précipitamment derrière leurs véhicules.
Au moment même où nos deux camarades nous rejoignaient, un tireur isolé que nous n'avions pas
remarqué, dissimulé près du pont, jaillissant tel un pantin hors de sa boite, dans un élan frénétique,
vida vers nous, le chargeur de sa mitraillette. Paul vacilla, et lâcha son fusil avant de s'écrouler
mortellement blessé près de moi. Je ramassai aussitôt son arme, et, sans réfléchir une seconde à ce
que je faisais, j'épaulai et, visai l'allemand. La balle l'atteignit en pleine tête et, je vis distinctement
son sang s'écouler d'un énorme trou noir qui s'était ouvert au milieu de son front.
Jean, allongé à mes côtés, me bourra les côtes de brefs coups de coude, me congratulant «pour ma
présence d'esprit instantanée, et, pour avoir vengé Paul». Quant à moi, je demeuré hébété, et, le
terme était loin de la vérité, me rendant compte rétrospectivement avec horreur de l'acte que j'avais
commis: j'avais tué un homme et, je n'en revenais pas. Ce souvenir, devait me hanter pendant
longtemps, même si à maintes reprise, il me fut répété que nous étions en guerre, et, qu'il fallait tuer
le premier.
Mais, le fait que j'avais abattu un être humain, tout à fait fortuitement, n'étant moi-même pas armé,
entretint longtemps ma coupable obsession. Malheureusement, ce jour-là, la bestialité des
évènements, me ramena très vite à la triste réalité.
-Il n'y a plus rien à faire pour Antoine et Paul, et, sans doute aussi pour Joseph, j'en ai bien peur.
Allez mon gars, secoue toi, c'est comme ça, et nous n'y pouvons rien. Aujourd'hui, c'est eux,
et...demain? Nous, peut-être.
En disant cela, Jean, m'adressa un pâle sourire, qui trahissait l'amertume et la détresse d'un chef
venant de perdre trois de ses hommes.
J'avalai ma salive difficilement, je serrai les dents pour ne pas hurler. Une page importante de ma
vie se tournait: j'avais un peu plus de 16 ans, mais, plus rien ne subsistait du monde de mon
adolescence. Je venais de basculer inexorablement dans une maturité toute imprégnée de notre sang,
dont une guerre implacable ne finissait pas de s'abreuver.
Jean appela Emir, resté au camp Vautour. Comme nous l'avait annoncé le commandant, des renforts
importants étaient arrivés sur le plateau. Il s'était chargé de les répartir par secteur et cela, n'avait
pas été une mince affaire. Il avait agit avec un grand professionnalisme, d'abord en les accueillant
puis, en les conviant à un briefing où, il leur donna des instructions précises. J'avais été très
impressionné par son sens aigu de l'organisation. Il n'avait rien laissé au hasard et, fut minutieux sur
tous les points, y compris dans les plus petits détails, s'assurant à chacune de ses explications qu'il
avait été bien compris.
A la fin de la réunion, moi, qui auparavant pensais connaître cette région comme ma poche, j'avais
découvert l'existence de mille lieux insoupçonnés, de mille passages secrets, et, d'une kyrielle de
sentiers escarpés que j'avais ignorés jusqu'à ce jour. J'avais également appris des techniques de
défense, des ruses, des petits trucs qui peuvent sauver une vie quand on se retrouve seul dans un
environnement hostile. Et, je demeurai émerveillé devant cet homme, animé d'une foi inébranlable ,
d'une abnégation sans limites, et, d'un moral à toute épreuve qui nous subjuguaient. Quant à sa
forme physique, elle m'épatait tout simplement, car, constatant le travail qu'il abattait, il ne devait
guère prendre le temps de se reposer.
-Emir de Jean, signalons sérieux accrochage au lieu dit Pont-Noir. Je déplore la perte de trois
hommes. Du côté des boches, un tué, c'est Fabrice qui l'a eu.
-OK, ici Emir, bien reçu. Quel est l'état actuel des lieux, avez-vous réussi vos sabotages?
-Négatif, n'avons pas eu le temps, à vous.
-Pouvez-vous tenir la position, parlez?
-Pour l'instant, c'est le statu-quo, les boches ont été surpris par notre contre attaque. Nous avons...
Jean s'interrompit brusquement alerté comme nous le fûmes tous, par la perception d'un bruit de
moteur allant en s'amplifiant. Précédant un opaque nuage de poussière, trois véhicules surgirent sur
la piste. Instantanément, nos adversaires galvanisés par leurs renforts , reprirent leurs tirs et, c'est
une véritable chape de plomb qui s'abattit sur nous. Un fusil-mitrailleur balayait nos abords avec
une sauvagerie inouïe. Sous l'impact de ses balles, de petits bris de rochers volaient littéralement et,
un de nos camarades, atteint par un éclat, porta vivement ses mains aux yeux en hurlant de douleur.
Notre situation était critique. Jean n'eut point besoin de poursuivre son compte-rendu, le
commandant Emir, devinant ce qui se tramait, nous intima un ordre de repli immédiat. Il fallait faire
vite, car une lutte inégale s'engageait: nos ennemis, étant largement supérieurs en nombre et en
armes, notre avenir s'annonçait périlleux.
Les allemands commencèrent à progresser par petits bonds dans notre direction. Jean, décidant de
rester avec Emile pour couvrir notre fuite, nous fit signe de partir. Nous avions à notre avantage la
connaissance parfaite du terrain et, nous eûmes tôt fait de prendre le large. Nous devions coûte que
coûte regagner Vautour qui se trouvait à plus d'une heure de marche. C'est Fernand, le plus âgé
d'entre nous, qui avait pris la tête de notre petite troupe, réduite à neuf unités, après la mort de nos
amis.
La peur qui s'était infiltré sournoisement dans mes viscères, me prodiguait un drôle d'effet, et, bien
qu'avançant résolument, j'avais l'impression de faire du sur-place. Mais, je n'étais pas le seul dans ce
cas, car, le souffle court et rauque de mes camarades, que je percevais, trahissait la panique qui les
avait gagnés, d'autant plus que l'ennemi se rapprochait de plus en plus. Mon sang se figea dans mes
veines, quand, derrière moi se produisirent des craquements de branches. Quelqu'un fonçait droit
sur moi. J'avais toujours le fusil de Paul, et, surmontant ma frayeur, je me retournai vivement en
épaulant.
-Ne tire pas, Fabrice, c'est moi!
Jean surgit essoufflé, les bras en avant.
-Vite, vite, les gars, il faut se planquer dans la grotte des mariés, les schleus arrivent, ils ont eu
Emile!
Jean me saisit par un bras, et, m'entraîna avec lui. Je n'en pouvais plus, j'étais à bout de forces, mais,
je me sentis tout à coup rassuré. Entraîné ainsi par mon chef, je doublais tous mes compagnons. Le
sentier sous-bois, arrivait à une patte d'oie. A gauche, il rejoignait directement Vautour, en passant
devant la grotte, à droite, il regagnait ST-Martin.
Armand prit cette direction. Jean l'apostropha.
-Arrête Armand, pas par là, tu es fou, reviens!
-Non, laisse-moi, je retourne chez moi!
Armand avait cédé à une folle panique. Il nous regardait, haletant, l'écume aux lèvres, mais, ses
yeux exorbités ne semblaient pas nous voir. Jean essaya de le retenir, le tirant par la manche, mais,
il lâcha prise, quand Armand lui décocha un magistral uppercut.
Derrière nous, des ordres brefs claquèrent: les allemands nous talonnaient. L'entrée de la grotte était
dissimulée derrière d'épais buissons, à quelques mètres de nous. C'était notre salut. Nous nous y
précipitâmes. C'était un aven qui commençait par un long boyau en pente, très étroit où nous étions
forcés de ramper et, qui aboutissait dans une salle assez vaste qui, elle-même se prolongeait par une
galerie menant à une rivière souterraine. C'était un endroit magnifique que quelques spéléologues
du coin avaient exploré. Une légende raconte qu'une bergère y avait célébré ses noces avec un
prince, et, qu'ils s'étaient noyés tous les deux ce jour-là, en voulant se baigner dans la rivière. On
n'avait jamais retrouvé leurs corps, et, on appela cette grotte, la Grotte des Mariés.
Nous étions dans la grande salle, sorte d'immense cathédrale aux voûtes millénaires, nichée dans les
entrailles de la terre, et, nos yeux commençaient à s'habituer à l'obscurité ambiante. Un rai de
lumière parvenant de la surface, s'infiltrait jusqu'à nous, et, l'atmosphère magique de ces lieux,
accentuait notre tension nerveuse. Je pensai avec tristesse à Armand que nos ennemis avaient sans
doute déjà rattrapé et, j'imaginais la suite avec anxiété.
La suite, nous la connûmes bien plus tard, à Vautour.
Armand, dans sa course éperdue, se retournait fréquemment vers ses poursuivants. Ceux-ci n'étaient
guère éloignés. Lorsqu'ils l'aperçurent, il représentait une cible idéale, et, un soldat l'avait déjà mis
en joue, mais, son geste fut stoppé par son supérieur, qui préférait suivre le fugitif, car, il avait son
idée machiavélique en tête.
Armand déboucha livide, à bout de souffle, sur la petite place centrale de Saint-Martin, déserte à
cette heure de l'après-midi. Il marqua un temps d'arrêt, avant de décider d'aller chez Catherine, sa
fiancée. Au moment où, exténué, il allait repartir, un ordre sec le cloua sur place.
-Halte!
Tétanisé, il s'immobilisa, avant de s'effondre à bout de forces sur le bitume. Une dizaine de soldats
l'entourèrent aussitôt, et, un des leurs lui balança sauvagement son pied dans les côtes.
-Debout, schnell!
Armand se redressa, grimaçant de douleur en se tenant le thorax. La brève altercation avait alerté
quelques personnes qui s'étaient mises à leurs fenêtres, mais, qui les avaient refermées
immédiatement en constatant que la petite place grouillait de soldats allemands.
Un de ceux-ci, alors, lâcha en l'air une rafale de mitraillette, en vociférant à la cantonade:
-Sortez tous dans la rue, schnell, c'est un ordre!
Et, il appuya ses cris stridents d'une nouvelle décharge de son arme. Les habitants, terrorisés,
commencèrent à sortir, et, s'alignèrent sur le trottoir. Parmi eux, se trouvaient Marie et Auguste
qu'elle était venue voir. Elle reconnut Armand, et comprit immédiatement la situation. Ma mère,
était également présente.
-Fous allez azister au châtiment de ceux qui osent nous braver!
Deux soldats, saisirent Armand sous les bras, et, l'adossèrent sans ménagement à la fontaine qui
trônait au centre de la placette. Un mince filet d'eau, symbole de vie, s'écoulait du robinet, dont la
pierre sculptée représentait la tête d'un lion. Le gradé plaça son pistolet sur la tempe du Français qui
ne paniquait plus. Il était blême, mais digne. Au seuil de la mort, il avait retrouvé une certaine
sérénité.
-Où zont passés tes camarades?
Pour toute réponse, Armand, méprisant, lui cracha en pleine figure. Fou de colère, l'allemand lui
éclata le nez d'un violent coup de crosse: le sang jaillit immédiatement à flots de la vilaine blessure.
Un ordre bref fut lancé et, aussitôt un peloton de six hommes se forma et fit face à Armand.
Marie sentait une haine farouche l'envahir, des idées de meurtre affluaient à son esprit: elle était
profondément bouleversée, révoltée. Armand, un ami d'enfance, allait mourir injustement à 20 ans
et, elle ne pouvait rien faire pour empêcher cela. Son impuissance à agir, la torturait intensément.
Elle lutta intérieurement de toutes ses forces pour ne pas courir et l'arracher à son tragique destin.
Mais, il était trop tard, déjà, le peloton avait mis le jeune homme en joue.
A ce moment, une jeune femme en larmes, fendit la foule en courant et se précipita vers Armand.
Catherine, sa jeune fiancée, avait une mine pathétique et, son désespoir était insupportable pour les
spectateurs pétrifiés. Marie, la rattrapa et, l'emprisonnant dans ses bras, la couvrit de baisers.
Une salve brève retentit. Armand exécuté froidement par l'ennemi, s'affaissa lentement. Son visage,
baigné par la douce lumière de cette fin d'après-midi, qui s'était figé pour l'éternité, était marqué
d'un vague sourire, empreint d'une infinie tristesse: il avait eu le temps d'entrevoir Catherine.
Son sang se répandit dans l'eau de la fontaine. Il se mélangerait à elle, et s'infiltrerait naturellement
dans la terre où il était né.
Le long hurlement de bête blessée que poussa Catherine résonna longtemps, sinistrement sur le
village endeuillé. Les bourreaux, leur crime accompli, s'en retournèrent d'où ils venaient en ricanant
bruyamment, se délectant de la terreur et de la désolation qu'ils laissaient planer sur une population
atterrée.
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36
Pierre serra vigoureusement Jacques contre lui, lui tapotant affectueusement les épaules, mais,
celui-ci se raidit et, se dégagea de l'étreinte fraternelle.
-Que fais-tu là?
-Comme tu le vois, mon cher petit frère, de la résistance...comme toi!
Jacques dévisagea son aîné d'un air méfiant:
-Et, ce goût pour la Résistance, t'est venu subitement, toi, qui nous traînait dans la boue?Et les
parents, qui eux aussi hélas nous méprisent, que pensent-ils de ta décision?
Pierre fixa son frère droit dans les yeux, dissimulant la vérité sans vergogne:
-Le plus grand bien! Nous nous sommes aperçus que nous nous étions trompés et... après tout, il n'y
a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.
-Soit, si tu le dis, mais, un bon conseil: ne t'avise pas de faire le mariole, je t'ai à l'oeil et, n'aurai
aucun scrupule à t'abattre si, tu étais venu là avec de mauvaises intentions!
Pierre pâlit sous l'effet produit par l'avertissement sans équivoque, et, empoigna son frère cadet par
le col de la chemise.
-Espèce de jeune freluquet, je te rappelle si tu l'avais oublié, que je suis l'aîné et que tu me dois le
respect!
Il avait proféré ses paroles assez fortement, et, déjà un maquisard s'approchait d'eux.
-Quelque chose ne va pas? Un ennui, Jacques?
Celui-ci sourit avec bienveillance:
-Ne t'inquiète pas Etienne, RAS, une querelle de frangins, sans plus.
Le dénommé Etienne, s'en alla, rassuré.
-J'espère que tu as saisi tout le sens de mes propos. Ici, il n'y a pas de place pour les traîtres, nous te
verrons à l'oeuvre.
Pierre, en guise de réponse, sourit méchamment, puis, après un temps de réflexion, déclara d'un air
énigmatique:
-Tu peux y compter, c'est pour ça que je suis ici, pour oeuvrer utilement... dans l'intérêt de la
Nation.
Puis, il s'éloigna, laissant Jacques, perplexe. Ce dernier s'attendait à tout, sauf à voir son frère en ces
lieux. Il en fut quelque peu troublé.
Selon le plan de Suzanne, Pierre avait rejoint le maquis. C'était elle, qui, par les connaissances bien
placées qu'elle y avait, l'avait fait enrôlé. On lui fit confiance, des contactes furent vites pris, et,
Pierre s'était vite retrouvé au camp de Clavel.
Le destin avait précipité face à face les deux frères ennemis.
37
Des senteurs parfumées, exhalées par la brise tiède de cette douce nuit d'été, titillaient agréablement
nos narines. La voie lactée déroulait son infinie blancheur détonnant sur le noir d'ébène du
firmament, zébré épisodiquement d'éclairs dus à des orages de chaleur, d'où se détachait quelque
fois une étoile filante. En suivant des yeux le météorite qui s'abimait dans le néant, je formulai
machinalement un voeu de prompt aboutissement pour cette guerre et, souhaitai ardemment voir
notre situation s'améliorer. Le débarquement allié remontait déjà à plus d'un mois, et, nous en étions
toujours au même point, oubliés dans notre coin, n'ayant plus que l'espoir pour nous soutenir.
L'ennemi, se faisait de plus en plus pressant et, ses assauts vindicatifs, se répétaient
quotidiennement. Maintenant, c'était à une véritable épuration qu'il se livrait, car tout était sacrifié à
sa soif de vengeance: hommes, femmes, enfants, bétail, maisons. Il ne faisait plus aucun détail, et,
des charniers étaient découverts un peu partout, avec toute l'horreur qu'il suscitaient.
Hier, une attaque sans précédent avait eu lieu, de par son originalité, dénotant bien l'acharnement
obstiné qu'il mettait à nous détruire. Puisque nous avions miné tous les accès aux plateaux, c'est par
la voie des airs qu'il était intervenu. Ce fut une véritable attaque surprise, car, personne ne l'avait
soupçonnée, et pour cause, ce ne fut pas à bord d'avions bruyants, qu'il surgit, mais, de planeurs
silencieux qu'il atterrit en masse. Ce fut un abominable carnage. La encore, rien ne fut épargné, des
villages entiers furent anéantis, avec tout ce qui y vivait.
A la pensée de tous ces malheurs, je frissonnai.
-Tu as froid, Fabrice, c'est pourtant une belle nuit? Chuchota André.
-Non, simplement, de sombres pensées, m'indisposent.
Nous étions tous deux à plat ventre, côte à côte. Après sa guérison, André nous avait rejoint. Il lui
eut été pénible de retourner au camp Aigle, Raymond n'y étant plus. Rémi avait consenti volontiers
à son désir de rester avec nous. Il nous narra son séjour dans l'hôpital clandestin, nous parla du
dévouement extrême, dont sa soeur et ses collègues faisaient preuve dans leur travail, malgré le
risque permanent d'être découverts par les Allemands. Rémi, s'inquiéta alors, réalisant brusquement
qu'aucune protection ne leur était assurée. J'avais rétorqué que nos adversaires n'oseraient tout de
même pas s'en prendre à des blessés, mais, il m'avait vivement répondu:
-Au point où ils en sont, ils ne reculeront devant rien!
En disant cela, il marchait nerveusement de long en large, puis, s'arrêtant:
-Qu'ils soient au moins protégés par la convention de Genève. Je fais immédiatement le nécessaire,
pour leur faire parvenir un fanion et des brassards de la Croix Rouge. Ils devront les exhiber en cas
d'attaque ennemie...puisse le ciel leur venir en aide en empêchant nos bourreaux d'agresser des être
inoffensifs!
J'espérai ardemment que sa prière soit exaucée, craignant comme lui, pour la vie de Marie.
Comme la vingtaine des autre camarades disséminés tout autour de la ferme des Blanc, André et
moi, étions postés en sentinelles, faisant le guet en essayant de percer de nos regards, l'opacité de
cette nuit, sensibles au moindre bruissement de feuillages, ou au vol feutré d'un rapace nocturne.
Nous nous trouvions là depuis deux heures, c'est à dire depuis le début de la réunion, véritable
conseil de guerre déclenché précipitamment par Rémi.
Discrètement, Marinette, nous avait fait passer du café, qui nous produisit un effet bénéfique et
stimulant, car, l'immobilité commençait à nous engourdir.
A l'intérieur, étaient rassemblés les chefs civils et militaires de la totalité des réseaux du Vercors.
Rémi, avait ouvert la séance, en faisant observer une minute de silence à la mémoire de Raymond,
puis, avait retracé la carrière du combattant généreux qu'il avait été depuis le début du conflit
mondial. Ensuite, il fit le point sur les sanglantes représailles, perpétrées depuis le raid du col du
Mont, jusqu'au tragique épisode des planeurs. Il ne cacha pas la gravité exceptionnelle de la
situation. Un détail important le tourmentait: il n'avait reçu aucune réponse au message de détresse
qu'il avait envoyé au gouvernement provisoire de la République, à Alger. Des voix s'élevèrent alors,
empreintes d'indignation à l'encontre du haut commandement interallié qui les «avait condamnés à
mort par leur silence». Ces voix provenaient des maquisards, alors que de leur côté , les militaires
reprochèrent vertement à ceux-là, leur manque d'expérience et, leur totale ignorance en matière de
stratégie.
Rémi eut toute la peine du monde à rétablir le calme au milieu de cet affrontement verbal. D'un ton
de reproche, il réplique fermement, mettant chacun devant ses responsabilités, décrétant le moment
mal choisi, pour laver son linge sale, et, affirmant avec véhémence que le seul souci du moment
était d'affronter le lendemain, en limitant le nombre de pertes en vies humaines. C'était «le devoir
des chefs dignes de ce nom, présents ici cette nuit.»
Puis, son courroux retombé, il dicta calmement ses consignes basées essentiellement sur la sécurité.
Il redoutait en effet une attaque d'envergure de l'ennemi dans les prochaines heures. Il ordonna la
dislocation des gros noyaux de résistants en petits groupes épars, offrant moins de prises en cas de
grosse offensive.
Son souci majeur, était d'éviter à tout prix, une trop grosse effusion de sang. Les hommes,
comprirent le sens de son message, et, une fois de plus, se ressoudèrent autour de lui.
Quand le meeting s'acheva, l'horizon commençait à s'embraser. Nous étions à l'aube du 20 juillet
1944.
A SUIVRE...