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Non violence
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N° 344 - Janvier-février 2016 - 6 €
Actualité
Revue bimestrielle sur la gestion non-violente des relations et des conf lits - Fondée en 1978
VIOLENCES :
UN CAS D’ÉCOLE
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NON-VIOLENCE ACTUALITÉ
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non violente des relations et des conflits
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Rédaction : Bernadette Bayada, Charlène Bègue,
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Clot, Dominique Demaria, Marie Echelard, Marie
Garrigue Abgrall, Marie Lebrun-Benard, Didier
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Non-Violence Actualité, janvier-février 2016
La rédaction vous présente ses meilleurs
vœux pour la nouvelle année !
Chère lectrice, cher lecteur,
Pour mieux cerner vos attentes, vous faire part de nos interrogations, de nos propositions, pour faire le point sur la situation de NVA et répondre à vos questions, nous vous
proposons une rencontre :
Samedi 30 janvier de 11h30 à 12h30 au R elais 59, 1 rue
Hector Malot, 75012 Paris.
Ce sera l’occasion d’un temps d’échanges avec les lecteurs
et lectrices, rédacteurs et rédactrices, collaborateurs et collaboratrices.
Nous serons très heureux de vous y rencontrer.
À bientôt !
La rédaction de Non-Violence Actualité
Afin d’organiser cette rencontre, nous vous remercions de
bien vouloir nous avertir de votre présence par mail à
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s sur
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ÉDITO
NVA 344
Violences :
un cas d’école
Sommaire
• Violences : un cas d’école, Édito
page 3
• Violence visible et invisible : un cas
d’école, par Nicolas BESTARD
page 4
• Stress et violence à l’école, parEdith
FORTIN MUET
page 5
• École - famille : l’histoire d’une relation
moins complexe qu’on ne le croit, par
Didier LESCAUDRON
page 6
•Retour sur la décennie pour une culture
de la non-violence et de la paix : Quelle
place pour enseigner la non-violence ? par
Vincent ROUSSEL
page 8
• Face à la violence, l’éducation psychosociale, par Maridjo GRANER
page 11
• Un outil d’éducation psycho-sociale,
par Maridjo GRANER
page 14
• Témoignage : une issue r éparatrice
par Sandra LONGIN
page 17
• Formation : pratiquer le conflit à
l’école, par Igor ROTHENBÜHLER
page 19
• Initiative : le bien-être des enseignants
passe par la formation, Entretien avec
Anne AMO et Caroline DUDET de
la MGEN
page 20
• Rencontre européenne : S’enrichir
de nos différences pour construire la
paix, par Marie-Christine LOISEAU
page 22
• Livres
page 23
• Bloc-notes
page 24
• Formations
page 25
• S’abonner à NVA
page 27
• La chronique de l’Institut Charles
Rojzman
page 28
Prochain numéro : n° 345
Mars-avril 2016
ACCEPTER LA DIFFÉRENCE
COUVERTURE :
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A
u cours des cinq der nières années, la visibilité de la violence en milieu
scolaire a avancé de façon notable. Le sujet étant mis sur le dev ant de
la scène, de nombreuses voix se sont fait entendre pour en dénoncer les
conséquences dramatiques. Ainsi, les noms de Jonathan, de Nora, de Marion et
de tant d’autres, parents ou enfants, ont donné des visages à ces maux. Durant
cette période, plusieurs initiatives se sont développées pour sensibiliser les élèves,
les plaçant au cœur même de ces actions. Par exemple, le concours « Mobilisonsnous contre le harcèlement » invite les jeunes à s’approprier le thème pour réaliser des clips et des affiches. Les parutions d’articles, de témoignages, de récits et
de guides traitant du sujet se sont également multipliées.
Depuis plus de vingt ans, les publications de NV A ont apporté leur pierre à
l’édifice du bien-vivre ensemble. Elles ont donné la par ole aux chercheurs qui
ont livré des éclairages tant sur les causes que sur les conséquences de ce cas
d’école. En effet, il est essentiel pour un tel sujet, d ’appréhender sa complexité
pour resituer ces violences et d’en repérer les formes et les facteurs. Cela permet
d’éviter un effet de miroir lié à une réaction émotionnelle qui figerait la réponse à l’unique sanction, alimentant le cy cle de la violence. D e même, la découverte au fil des années de solutions constructives et porteuses de solutions durables
par des acteurs de terrain a été inspirante. C ela offre, dans un contexte en perpétuelle évolution, de saisir de nouvelles opportunités d’actions.
Refusant de considérer la violence comme une fatalité, nombr eux sont ceux et
celles qui ont pris le parti de s’engager dans la prévention par l’apprentissage de
la résolution non violente des conflits. I ls sont ainsi devenus instigateurs d’une
éducation « humanisante », c ’est-à-dire d’une éducation qui pr omeut les valeurs humaines et qui remet les compétences relationnelles (psychosociales ou sociales et civiques, selon les auteurs) au centre du bien-être individuel et collectif.
Ce cadrage fait, la communauté scolaire se transforme en un lieu possible d’émancipation à la violence. Chacun peut alors y découvrir la richesse des interactions, la reconnaissance, la coopération, la responsabilité et reprendre du plaisir dans les apprentissages dans un climat apaisé.
Non-Violence Actualité, janvier-février 2016
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D OSSIER
Violence visible et invisible
Un cas d'école
Par Nicolas BESTARD
La sécurité - comprise comme « sûreté » - focalise l'attention. Les medias listent les « violences en milieu scolaire » : harcèlement, jeux
dangereux, réseaux sociaux pour
humilier, mise à l'écar t, racket,
deal, rivalités entre bandes, bizutage... Nous n'en parlerons pas ici,
ces violences sont analysées. L’Institution s'adresse aux jeunes via
des campagnes de prévention, souvent moralisatrices, et la r épression qui pointent les violences interpersonnelles entre enfants ;
et peu les violences institutionnelles et systémiques, qui nécessiteraient un autre niveau de réponses. Les violences invisibles ou
ordinaires sont ignorées ou relativisées. Peu de distinctions sont
faites entre violence, conflit et
agressivité. Il est pourtant utile de
se demander ce q u'est la violence, et ce qu'elle n'est pas.
ment le fruit d'une impuissance à agir
pour faire valoir des besoins non pris en
compte - ou niés - par des personnes ou
un environnement. Les violences institutionnelles résultent d'un cadre et de
conditions qui peuvent frustrer et soumettre l'individu au nom de l'intérêt
général. Lorsque ce cadre et ces conditions sont insatisfaisants, flous, contestés ou fluctuants, ils intr oduisent du
mal-être et de la violence sociale.
Les élèves subissent une organisation
scolaire pyramidale et déconnectée des
rythmes individuels, qui r estreint leur
rôle à celui d'appr enant-e-s « actifs »,
studieux et sages. « Égalité des chances »
et « méritocratie républicaine » supposent la neutralité de l’École : les efforts
de chacun-e déterminent la capacité à
réussir. Lorsqu'il n'y a pas adéquation
entre cette égalité théorique et la réalité, l'échec pèse sur l'enfant. L'école est
aussi présentée comme le lieu d'intéLa violence peut toucher tous gration à la société et de formation de
les acteurs du milieu scolaire l'esprit critique du futur citoyen. La liberté d'expression est une valeur qui se
Les professeur-e-s subissent des in- heurte toutefois au droit réel des jeunes
jonctions contradictoires, s'engagent de proposer et d'agir dans la sphèr e
avec dévouement, s'estiment incompris publique de l'établissement scolaire.
ou mal-aimés. Ils énoncent leurs difficultés à transmettre et à soutenir les Pression de la violence sociale,
de la perte des repères et de
élèves dans un climat de pénurie budgétaire, de contrôle renforcé, de procès
l'individualisme
en inefficacité, et s'interr ogent sur les
fonctions et missions de l ’École, leur L’École n'est pas coupée du vécu et des
place d'enseignant-e-s. Une colère préoccupations du milieu qui l'enviexiste contre les élèves qui s'opposent à ronne, ni des intérêts de l'I nstitution
l'autorité de l'enseignant-e.
qui la dirige. La violence à l'école se réfléchit en lien avec l'émergence des
Les
personnels
non-enseignants
se
concepts de « dr oits de l'enfant », de
De quoi parle-t-on ?
sentent ignorés, considérés comme la « pédagogies nouvelles », de « massifi'agressivité est nécessaire pour dernière roue du carrosse, parfois pré- cation et démocratisation du système
s'affirmer dans la relation et al- carisés et relégués en bas de l'échelle scolaire », de « transformation de la famille », de « ghettoïsation », de « mixiler de l'avant. Pour ne pas déri- sociale...
té sociale », de « réussite éducativ e »,
ver en violence contre soi ou / et les
autres, elle a besoin d'être couplée à l'em- Les parents s'intéressent aux décisions de « performance », « d'emplo yabilipathie. Les conflits sont des désaccords ; et à la pédagogie concernant leur enfant, té »... Chômage, précarisation, élitisils nous permettent de mieux nous et revendiquent un droit de regard. Un me et violence questionnent les misconnaître et d'apprendre des autres. S'ils refus des enseignant-e-s peut êtr e vécu sions de l’École, que l'on investit ou
sont gérés positivement, ils sont des mo- comme un jugement d'incompétence, rejette en termes de stratégie personde la non-écoute, de la relégation, du mé- nelle. Les parents sont chargés d'une
teurs de nos évolutions partagées.
responsabilité sociale et morale indiviLa violence interpersonnelle est large- pris ou de l'indifférence.
L
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Non-Violence Actualité, janvier-février 2016
D OSSIER
Retour sur la décennie pour une culture de la non-violence et de la paix
Quelle place pour enseigner
la non-violence ?
Par Vincent ROUSSEL
L’ONU proclame la période
2001-2010 Décennie internationale de la promotion d’une culture
de la non-violence et de la paix au
profit des enfants du monde
La Coordination française pour la
décennie lance une campagne de
sensibilisation et rédige un programme d’éducation à la
non-violence et à la paix
2001
2001-2010
Au début des années 2000, la Coordination pour l’éducation à la
non-violence et à la paix (1) lançait une campagne d’opinion et
de plaidoyer en vue de l’intr oduction de l’éducation à la nonviolence et à la paix dans les programmes scolaires officiels.
• L’introduction officielle de la formation à la non-violence et à la paix à
tous les niveaux du système éducatif
français, dès l’école maternelle, avec
un programme prévoyant des horaires,
une progression, des outils et des méthodes pédagogiques.
• L’intégration de cet enseignement dans
la formation initiale et continue des enseignants.
• L’accès de tous les adultes, travaillant
lle le fit le 21 septembre 2002, sur un site scolaire, à une formation à
journée internationale de la paix, la gestion des conflits.
en adressant au ministre de la
Jeunesse, de l’Éducation nationale et de Par la suite, la Coor dination rédigea,
la Recherche, Monsieur Luc Ferry, édita et diffusa un programme d’éducation à la non-violence et à la paix (2).
une lettre-pétition demandant :
E
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Non-Violence Actualité, janvier-février 2016
Ce programme s’articule autour du développement des compétences psychosociales des élèves, de la maternelle au
collège, et donne une place centrale aux
notions de conflit, de gestion non-violente des conflits et à la prév ention de
la violence. Cette campagne a duré une
bonne douzaine d’années s’est terminée
avec les réformes liées à la loi de refondation de l’école. Nous proposons ici
une analyse des ouvertures offertes par
ces textes pour orienter l’action aujourd’hui et permettre à ces pr opositions de devenir effectives.
La première ouverture est inscrite dans
la loi d’orientation et de pr ogramma-
DOSSIE
R
Face à la violence
L’éducation psycho-sociale
Par Maridjo GRANER
« L’éducation est l’événement le plus important de la vie de chaque être humain »
Paul Diel
Le déferlement de la violence djihadiste qui a secoué notre pays
ne peut faire oublier que la violence, bien que d’un niveau qui ne
peut lui être comparé, est un problème que l’école rencontre en
son sein depuis de nombr euses
années. Moqueries et insultes, racket, harcèlement, dégradations,
parfois agressions, sont suffisamment courants pour s’imposer à
la réflexion quant à leurs causes
et aux remèdes possibles. Une
« journée du harcèlement à l’école » vient même d’être décrétée
par Madame la Ministre de l’Éducation nationale.
Le besoin de reconnaissance
S
i la violence des jeunes a des racines antérieures à leur entrée à
l’école, celle-ci devrait pourtant
pouvoir mieux remplir « sa triple
tâche : instruire, éduquer, former des sujets auto et co-r esponsables » (1). Il lui
faut pour cela interroger ses méthodes,
mais avant tout ses finalités, encor e
trop réduites à l’acquisition de connaissances, insuffisamment ouvertes, même si les choses commencent à bou-
ger, aux compétences nécessaires au
vivre et travailler ensemble.
La prévention de la violence est un processus de longue haleine qui passe par
la formation aux compétences relationnelles ou psychosociales, qui repose sur la connaissance intr ospective
de soi et le rapport empathique à l’autre.
Mais pourquoi une éducation s’impose-t-elle alors que nous av ons en naissant tout l’héritage génétique et neuronal nécessaire à la compréhension humaine dont Edgar Morin dit qu’elle est
le cœur de toute éducation à la paix ?
C’est qu’au même titre que la marche
ou le langage, potentiellement préparés dès la naissance, l’empathie a besoin,
pour pleinement s’humaniser, de l’apport culturel, éducatif, du milieu familial, scolaire, social.
Suivons Serge Tisseron (2) dans sa
description des différentes étapes de la
construction de l’empathie au cours du
développement de l’enfant : le bébé qui
pleure ou sourit à l ’unisson du visage
qui se penche sur son ber ceau partage
ces émotions sans les départager. Il y a
encore confusion entre lui et l ’autre.
Puis c’est en prenant une connaissance plus claire de lui-même que le petit
enfant comprendra aussi que l’interlocuteur a des pensées et des émotions
Maridjo Graner est psychologue de formation,
elle a suivi par la suite l’enseignement de Paul
Diel, fondateur de la P sychologie de la M otivation et a collaboré à la R evue du même
nom. Conseillère conjugale et familiale, formée
à la Fédération Nationale Couples et Familles,
elle est actuellement secrétaire générale de l’Association École, changer de cap. A uteure de «
Mieux comprendre nos comportements. Regards
sur nos raisons et déraisons d’agir » (Éd. Chronique sociale, 2011), elle a co-dirigée avec Armen Tarpinian « L’éducaton psycho-sociale à
l’école. Enjeux et pratiques » (Chronique sociale 2014).
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D OSSIER
Témoignage
Une issue réparatrice
Par Sandra LONGIN
Je considère faire partie des parents outillés pour accompagner
leurs enfants dans les diverses situations qu'ils rencontrent au fil
de leur croissance. Mais pendant
trois ans, j'ai expér imenté l'impuissance et le désarroi. Mon ainée est scolarisée depuis la petite section dans l’école du village
et sa meilleure amie s’appelle Emma. Armelle est une petite f ille
très vivante, qui chante en permanence et dont la voix résonne
dans la cour de récréation. Suite
à son entrée en CM1, elle commence à être violente verbalement
avec sa sœur. Peu de temps après
la rentrée, je constate que lorsque
je quitte l'école, elle revient vers
moi pour me dire au revoir. Elle
commence à me dir e qu'Emma
ne veut pas jouer avec elle et incite les autres à faire de même.
À la maison, les conflits sont réguliers
avec sa sœur et avec nous. Ses résultats
scolaires se maintiennent, mais le temps
des devoirs devient souvent conflictuel.
La maîtresse nous dit qu'elle n'écrit pas
assez vite et qu'elle est souvent dans son
monde. Son écriture se dégrade. Je passe beaucoup de temps à l'écouter , à la
soutenir. Nous allons parler avec Emma et ses par ents pour tenter de fair e
évoluer la situation.
aucun moment cela ne modifie la
dynamique relationnelle entre les enfants. Nous rencontrons plusieurs fois
les parents d'Emma et de Théo en présence des enfants mais nous sommes
impuissants à faire changer la situation. Armelle souffre et toute la famille aussi.
L'entrée en 6ème est synonyme d'espoir. Un nombre d'élèves plus important, une nouvelle classe et la persMalgré leur soutien, rien ne change. pective de la séparation des élèves de
L'année de CM1 aura été un calv aire l'école d'Armelle. Le jour de la r enpour Armelle. Ma souffrance de ma- trée est une vraie claque. Armelle est
man se creuse devant mon impuissan- en classe avec Emma et Théo. Nous
ce à faire évoluer cette situation. S en- restons positifs. Armelle se fait de noutant que j'ai touché mes limites dans velles amies. Mais au fil des mois ces
l'accompagnement que je peux donner nouvelles copines vont avec Emma
à Armelle, nous allons consulter, avec et le harcèlement reprend. Il a lieu au
elle, un psychologue. Ce professionnel collège mais aussi dans le car.
nous dit que notre enfant va bien et que
l'entrée en CM2 risque de voir le phé- Après un mot sur le carnet indiquant
nomène reprendre. Il nous invite à en- qu'Armelle s'est bagarrée, je rencontre
visager un changement d'école.
la conseillère principale d’éducation
(CPE) du collège. Je découvre effarée
Avec mon conjoint, et après en avoir que l'enseignante de primaire n'a jamais
parlé avec Armelle, nous faisons le évoqué la situation. Nous échangeons
'autres enfants l'insultent, la trai- choix de la laisser dans son école. La longuement sur la situation mais aussi
tent de grosse. Je l'observe dans rentrée commence dès le premier jour sur la communication non violente, sur
la cour. Elle est isolée, emmè- par une rencontre avec l'enseignante ce que l'établissement met en place et
ne un livre pour s'occuper. Je l'invite à (la même qu'en CM1). Nous posons la sensation de ne pas toujours réussir
en parler à la maîtr esse. Elle me répond clairement, avec elle, le fait qu'Armelle à toucher les enfants qui posent des actes
que l'enseignante lui dit qu'elle en a asest victime de harcèlement scolaire et de harcèlement. Je parle à la CP E du
sez de leurs chamailleries. Avec le papa, que si la situation reprend nous serons guide édité par le M inistère de l'Edunous rencontrons la maîtresse, qui, à la amenés à changer Armelle d'école. cation Nationale : « Pour une justice en
suite, met en place une séance pédago- L'année de CM2 sera « plus calme ». milieu scolaire préventive et restauratigique sur le respect. La situation perdu- Armelle continue à subir rejets et mo- ve dans les collèges et ly cées » qu'elle
re, Armelle s'éteint. Elle est triste, pleure queries de la par t de Emma et d'un découvre. Je repars confiante dans le fait
souvent et exprime son incompréhension autre garçon, Théo. Le reste de la clas- que le collège se préoccupe réellement
à voir sa meilleure amie la rejeter et les se reste en retrait. L'enseignante in- de la situation d'Armelle et de ses caautres enfants en faire de même.
tervient comme elle peut, sans qu'à marades.
D
16
Non-Violence Actualité, janvier-février 2016
L’Institut Charles Rojzman ICR est le centre de référence international de la Thérapie Sociale TST, centre de
formation et d’intervention à cette approche créée par Chalres Rojzamn dans les années 1980.
www.institut-charlesrojzman.com
L’ICR mène des actions de Thérapie Sociale en France et à l’étranger dans des contextes très div ersifiés, actions
ou formations qui consistent à réhabiliter le conflit comme mo yen de transformer la violence.
L’ICR propose aux individus et aux groupes des outils afin de les former à une vie démocratique véritable en favorisant l’exercice de la raison critique, le développement de la responsabilité et de la sociabilité.
Chronique de l’Institut Charles Rojzman
Transformer la violence par le conflit
« On ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré. »
Albert Einstein
Apprendre à vivre ensemble aujourd’hui implique d’apprendre à coopérer
dans le conflit. En ces temps difficiles,
notre société se fragmente dangereusement, chaque milieu vivant dans son
quant-à-soi, enfermé dans ses cer titudes, chacun se contentant d’images
simplificatrices et diabolisées des autres
et de la réalité. Les conflits inévitables
se transforment alors en violence.
En Thérapie Sociale, on opère une
différence radicale entre la violence
et le conflit. La violence apparaît
quand il n’y a ni l’espace ni le
temps, ni de lieu pour exprimer
et traverser les conflits inhérents à
toute relation humaine. Elle est
présente quand il n’y a pas la
confiance nécessaire pour se parler et oser dire ce qu’on pense réellement. Lorsqu’il y a désaccords,
tensions, contradictions, la violence est le mo yen de s’imposer ou de dominer, de satisfaire ses besoins propres sans
égard pour les autres.
Il importe donc plus que jamais de distinguer la violence qui déshumanise du
conflit qui humanise. Dans la violence, on
ne voit plus en l’autre un égal en humanité, avec les forces et les faiblesses d ’un
être humain semblable à nous-mêmes.
Dans notre représentation, souvent inconsciente, l’autre est inférieur, nié, diabolisé, rendu monstrueux. Cette vision va
nous pousser à violenter l ’autre, à le for-
cer à changer, à devenir ce que nous voulons qu’il soit et fair e ce que nous v oulons qu’il fasse. Nous distinguons quatre
formes de violence qui s’expriment de diverses manières (par des mots, des silences,
des regards, des sous-entendus, etc.) et qui
varient en degré d’intensité et de destructivité : la maltraitance, l’humiliation, l’abandon, la culpabilisation. Ces violences sont
bien entendu faites aux autres, mais peuvent également être tournées contre soimême.
Parce que nous avons été blessés dans notr e
vie par ces mêmes violences, nous en avons
peur, nous craignons de revivre ces traumatismes. Donc nous voyons ces situations à travers des filtres émotionnels et ce d’autant plus
qu’il y a de la peur, du stress, de l’impuissance
dans la situation. Mais le cadre sécurisant du
groupe et la posture du thérapeute social vont
permettre la prise de conscience des transferts
qui créent ces filtres. Alors, un tri salvateur peut
se faire entre les fantasmes provenant de nos
traumatismes et la réalité présente, en d’autres
termes entre les dangers imaginaires
et les dangers réels. Ce qui permet
de faire face à l’autre de manière
plus solide, de reprendre confiance en soi et de s’affirmer sans plus
diaboliser l’autre et donc sans r ecourir à la violence.
Le conflit organise ainsi la
confrontation des points de vue
et des visions différentes tout en
préservant la dignité et l’intégrité des différents protagonistes.
C’est la connaissance commune de la comTransformer la violence implique donc de plexité des situations qui permet alors de
guérir nos relations aux autres par un penser ensemble et de combattre la violenapprentissage du conflit. Cet appr entis- ce dans une action au service de tous. Par la
sage s’effectue en groupe autour d’un pro- reconnaissance de notre humanité comjet commun ou d’un problème à résoudre mune et de la vulnérabilité cachée sous notre
collectivement. On y rencontre progres- violence naît une fraternité réaliste qui
sivement nos obstacles relationnels, le tra- n’exclut pas le conflit, mais au contraire le
vail permettant de pr endre conscience réhabilite comme le cœur de la vie sociale.
de ce que chacun fait dans sa relation
aux autres. C’est un passage crucial dans Bibliographie
Charles Rojzman, Igor et Nicole Rothenbühler, La
la transformation : l ’identification de la •Thérapie
Sociale, Éd. Chronique Sociale, 2015
violence des autres tout comme la dé- • Charles Rojzman, Violences dans la république, l’urcouverte de notre propre violence.
gence d’une réconciliation, Éd. La Découverte, 2015