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Non violence www.nonviolence-actualite.org - N° 344 - Janvier-février 2016 - 6 € Actualité Revue bimestrielle sur la gestion non-violente des relations et des conf lits - Fondée en 1978 VIOLENCES : UN CAS D’ÉCOLE pict rider - Fotolia.com NON-VIOLENCE ACTUALITÉ Centre de ressources sur la gestion non violente des relations et des conflits BP 20241, 45202 Montargis cedex - FRANCE Tél. 02 38 93 67 22 - Fax 09 75 38 59 85 nonviolence.actualite@wanadoo. fr www.nonviolence-actualite.org Directeur de publication : Vincent Roussel Secrétaire de rédaction : Fabien Parthelot Rédaction : Bernadette Bayada, Charlène Bègue, Anne-Catherine Bisot, Sabine Chevalier, Susan Clot, Dominique Demaria, Marie Echelard, Marie Garrigue Abgrall, Marie Lebrun-Benard, Didier Lescaudron, Marie-Christine Loiseau, Sandra Longin, Fabien Parthelot, Vincent Roussel, Édith Tartar Goddet. Abonnements - commandes de numéros achats de livres, jeux et documentations : tél. 02 38 93 67 22 [email protected] Annonces, bloc-notes : Gratuit pour les organismes abonnés [email protected] Éditeur : Association Non-Violence Actualité N° de SIRET 322 940 263 00021 Code APE 5814Z Code TVA FR30 322 940 263 Coordonnées bancaires : Crédit Mutuel Montargis 45200 IBAN : FR76 1027 8374 0500 0102 3390 293 BIC-SWIFT : CMCIFR2A Impression /photogravure : Imp. Leloup, 45700 Villemandeur. Commission paritaire : CPPAP 0720 G 86951 ISSN n° 0295-4141 Date de création : janvier 1978 Dépôt légal : à parution Abonnements - Bimestriel, 6 n° par an France : 35 euros - Europe : 40 euros Par avion : 50 euros Bulletin d’abonnement en page 27 Publicité : tél. 02 38 93 67 22 Diffusion en librairies : DIF’POP, tél. 01 43 62 08 07 Diffusion en magasins : Alterrenat Presse, tél. 05 63 94 15 50 Édité avec le soutien de 148 rue du Faubourg Saint Denis, 75010 Paris. Tél 01 45 48 37 62. Collecte de dons et legs destinés à soutenir financièrement des projets associatifs d’action et d’éducation non-violente - www.nonviolence21.org 2 Non-Violence Actualité, janvier-février 2016 La rédaction vous présente ses meilleurs vœux pour la nouvelle année ! Chère lectrice, cher lecteur, Pour mieux cerner vos attentes, vous faire part de nos interrogations, de nos propositions, pour faire le point sur la situation de NVA et répondre à vos questions, nous vous proposons une rencontre : Samedi 30 janvier de 11h30 à 12h30 au R elais 59, 1 rue Hector Malot, 75012 Paris. Ce sera l’occasion d’un temps d’échanges avec les lecteurs et lectrices, rédacteurs et rédactrices, collaborateurs et collaboratrices. Nous serons très heureux de vous y rencontrer. À bientôt ! La rédaction de Non-Violence Actualité Afin d’organiser cette rencontre, nous vous remercions de bien vouloir nous avertir de votre présence par mail à [email protected] s sur u o n z e : rejoligens réseaux www.facebook.com/nonviolenceactualite @NonViolenceActu - www.twitter.com/NonViolenceActu ÉDITO NVA 344 Violences : un cas d’école Sommaire • Violences : un cas d’école, Édito page 3 • Violence visible et invisible : un cas d’école, par Nicolas BESTARD page 4 • Stress et violence à l’école, parEdith FORTIN MUET page 5 • École - famille : l’histoire d’une relation moins complexe qu’on ne le croit, par Didier LESCAUDRON page 6 •Retour sur la décennie pour une culture de la non-violence et de la paix : Quelle place pour enseigner la non-violence ? par Vincent ROUSSEL page 8 • Face à la violence, l’éducation psychosociale, par Maridjo GRANER page 11 • Un outil d’éducation psycho-sociale, par Maridjo GRANER page 14 • Témoignage : une issue r éparatrice par Sandra LONGIN page 17 • Formation : pratiquer le conflit à l’école, par Igor ROTHENBÜHLER page 19 • Initiative : le bien-être des enseignants passe par la formation, Entretien avec Anne AMO et Caroline DUDET de la MGEN page 20 • Rencontre européenne : S’enrichir de nos différences pour construire la paix, par Marie-Christine LOISEAU page 22 • Livres page 23 • Bloc-notes page 24 • Formations page 25 • S’abonner à NVA page 27 • La chronique de l’Institut Charles Rojzman page 28 Prochain numéro : n° 345 Mars-avril 2016 ACCEPTER LA DIFFÉRENCE COUVERTURE : Monkey Business - Fotolia.com A u cours des cinq der nières années, la visibilité de la violence en milieu scolaire a avancé de façon notable. Le sujet étant mis sur le dev ant de la scène, de nombreuses voix se sont fait entendre pour en dénoncer les conséquences dramatiques. Ainsi, les noms de Jonathan, de Nora, de Marion et de tant d’autres, parents ou enfants, ont donné des visages à ces maux. Durant cette période, plusieurs initiatives se sont développées pour sensibiliser les élèves, les plaçant au cœur même de ces actions. Par exemple, le concours « Mobilisonsnous contre le harcèlement » invite les jeunes à s’approprier le thème pour réaliser des clips et des affiches. Les parutions d’articles, de témoignages, de récits et de guides traitant du sujet se sont également multipliées. Depuis plus de vingt ans, les publications de NV A ont apporté leur pierre à l’édifice du bien-vivre ensemble. Elles ont donné la par ole aux chercheurs qui ont livré des éclairages tant sur les causes que sur les conséquences de ce cas d’école. En effet, il est essentiel pour un tel sujet, d ’appréhender sa complexité pour resituer ces violences et d’en repérer les formes et les facteurs. Cela permet d’éviter un effet de miroir lié à une réaction émotionnelle qui figerait la réponse à l’unique sanction, alimentant le cy cle de la violence. D e même, la découverte au fil des années de solutions constructives et porteuses de solutions durables par des acteurs de terrain a été inspirante. C ela offre, dans un contexte en perpétuelle évolution, de saisir de nouvelles opportunités d’actions. Refusant de considérer la violence comme une fatalité, nombr eux sont ceux et celles qui ont pris le parti de s’engager dans la prévention par l’apprentissage de la résolution non violente des conflits. I ls sont ainsi devenus instigateurs d’une éducation « humanisante », c ’est-à-dire d’une éducation qui pr omeut les valeurs humaines et qui remet les compétences relationnelles (psychosociales ou sociales et civiques, selon les auteurs) au centre du bien-être individuel et collectif. Ce cadrage fait, la communauté scolaire se transforme en un lieu possible d’émancipation à la violence. Chacun peut alors y découvrir la richesse des interactions, la reconnaissance, la coopération, la responsabilité et reprendre du plaisir dans les apprentissages dans un climat apaisé. Non-Violence Actualité, janvier-février 2016 3 D OSSIER Violence visible et invisible Un cas d'école Par Nicolas BESTARD La sécurité - comprise comme « sûreté » - focalise l'attention. Les medias listent les « violences en milieu scolaire » : harcèlement, jeux dangereux, réseaux sociaux pour humilier, mise à l'écar t, racket, deal, rivalités entre bandes, bizutage... Nous n'en parlerons pas ici, ces violences sont analysées. L’Institution s'adresse aux jeunes via des campagnes de prévention, souvent moralisatrices, et la r épression qui pointent les violences interpersonnelles entre enfants ; et peu les violences institutionnelles et systémiques, qui nécessiteraient un autre niveau de réponses. Les violences invisibles ou ordinaires sont ignorées ou relativisées. Peu de distinctions sont faites entre violence, conflit et agressivité. Il est pourtant utile de se demander ce q u'est la violence, et ce qu'elle n'est pas. ment le fruit d'une impuissance à agir pour faire valoir des besoins non pris en compte - ou niés - par des personnes ou un environnement. Les violences institutionnelles résultent d'un cadre et de conditions qui peuvent frustrer et soumettre l'individu au nom de l'intérêt général. Lorsque ce cadre et ces conditions sont insatisfaisants, flous, contestés ou fluctuants, ils intr oduisent du mal-être et de la violence sociale. Les élèves subissent une organisation scolaire pyramidale et déconnectée des rythmes individuels, qui r estreint leur rôle à celui d'appr enant-e-s « actifs », studieux et sages. « Égalité des chances » et « méritocratie républicaine » supposent la neutralité de l’École : les efforts de chacun-e déterminent la capacité à réussir. Lorsqu'il n'y a pas adéquation entre cette égalité théorique et la réalité, l'échec pèse sur l'enfant. L'école est aussi présentée comme le lieu d'intéLa violence peut toucher tous gration à la société et de formation de les acteurs du milieu scolaire l'esprit critique du futur citoyen. La liberté d'expression est une valeur qui se Les professeur-e-s subissent des in- heurte toutefois au droit réel des jeunes jonctions contradictoires, s'engagent de proposer et d'agir dans la sphèr e avec dévouement, s'estiment incompris publique de l'établissement scolaire. ou mal-aimés. Ils énoncent leurs difficultés à transmettre et à soutenir les Pression de la violence sociale, de la perte des repères et de élèves dans un climat de pénurie budgétaire, de contrôle renforcé, de procès l'individualisme en inefficacité, et s'interr ogent sur les fonctions et missions de l ’École, leur L’École n'est pas coupée du vécu et des place d'enseignant-e-s. Une colère préoccupations du milieu qui l'enviexiste contre les élèves qui s'opposent à ronne, ni des intérêts de l'I nstitution l'autorité de l'enseignant-e. qui la dirige. La violence à l'école se réfléchit en lien avec l'émergence des Les personnels non-enseignants se concepts de « dr oits de l'enfant », de De quoi parle-t-on ? sentent ignorés, considérés comme la « pédagogies nouvelles », de « massifi'agressivité est nécessaire pour dernière roue du carrosse, parfois pré- cation et démocratisation du système s'affirmer dans la relation et al- carisés et relégués en bas de l'échelle scolaire », de « transformation de la famille », de « ghettoïsation », de « mixiler de l'avant. Pour ne pas déri- sociale... té sociale », de « réussite éducativ e », ver en violence contre soi ou / et les autres, elle a besoin d'être couplée à l'em- Les parents s'intéressent aux décisions de « performance », « d'emplo yabilipathie. Les conflits sont des désaccords ; et à la pédagogie concernant leur enfant, té »... Chômage, précarisation, élitisils nous permettent de mieux nous et revendiquent un droit de regard. Un me et violence questionnent les misconnaître et d'apprendre des autres. S'ils refus des enseignant-e-s peut êtr e vécu sions de l’École, que l'on investit ou sont gérés positivement, ils sont des mo- comme un jugement d'incompétence, rejette en termes de stratégie personde la non-écoute, de la relégation, du mé- nelle. Les parents sont chargés d'une teurs de nos évolutions partagées. responsabilité sociale et morale indiviLa violence interpersonnelle est large- pris ou de l'indifférence. L 4 Non-Violence Actualité, janvier-février 2016 D OSSIER Retour sur la décennie pour une culture de la non-violence et de la paix Quelle place pour enseigner la non-violence ? Par Vincent ROUSSEL L’ONU proclame la période 2001-2010 Décennie internationale de la promotion d’une culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants du monde La Coordination française pour la décennie lance une campagne de sensibilisation et rédige un programme d’éducation à la non-violence et à la paix 2001 2001-2010 Au début des années 2000, la Coordination pour l’éducation à la non-violence et à la paix (1) lançait une campagne d’opinion et de plaidoyer en vue de l’intr oduction de l’éducation à la nonviolence et à la paix dans les programmes scolaires officiels. • L’introduction officielle de la formation à la non-violence et à la paix à tous les niveaux du système éducatif français, dès l’école maternelle, avec un programme prévoyant des horaires, une progression, des outils et des méthodes pédagogiques. • L’intégration de cet enseignement dans la formation initiale et continue des enseignants. • L’accès de tous les adultes, travaillant lle le fit le 21 septembre 2002, sur un site scolaire, à une formation à journée internationale de la paix, la gestion des conflits. en adressant au ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de Par la suite, la Coor dination rédigea, la Recherche, Monsieur Luc Ferry, édita et diffusa un programme d’éducation à la non-violence et à la paix (2). une lettre-pétition demandant : E 8 Non-Violence Actualité, janvier-février 2016 Ce programme s’articule autour du développement des compétences psychosociales des élèves, de la maternelle au collège, et donne une place centrale aux notions de conflit, de gestion non-violente des conflits et à la prév ention de la violence. Cette campagne a duré une bonne douzaine d’années s’est terminée avec les réformes liées à la loi de refondation de l’école. Nous proposons ici une analyse des ouvertures offertes par ces textes pour orienter l’action aujourd’hui et permettre à ces pr opositions de devenir effectives. La première ouverture est inscrite dans la loi d’orientation et de pr ogramma- DOSSIE R Face à la violence L’éducation psycho-sociale Par Maridjo GRANER « L’éducation est l’événement le plus important de la vie de chaque être humain » Paul Diel Le déferlement de la violence djihadiste qui a secoué notre pays ne peut faire oublier que la violence, bien que d’un niveau qui ne peut lui être comparé, est un problème que l’école rencontre en son sein depuis de nombr euses années. Moqueries et insultes, racket, harcèlement, dégradations, parfois agressions, sont suffisamment courants pour s’imposer à la réflexion quant à leurs causes et aux remèdes possibles. Une « journée du harcèlement à l’école » vient même d’être décrétée par Madame la Ministre de l’Éducation nationale. Le besoin de reconnaissance S i la violence des jeunes a des racines antérieures à leur entrée à l’école, celle-ci devrait pourtant pouvoir mieux remplir « sa triple tâche : instruire, éduquer, former des sujets auto et co-r esponsables » (1). Il lui faut pour cela interroger ses méthodes, mais avant tout ses finalités, encor e trop réduites à l’acquisition de connaissances, insuffisamment ouvertes, même si les choses commencent à bou- ger, aux compétences nécessaires au vivre et travailler ensemble. La prévention de la violence est un processus de longue haleine qui passe par la formation aux compétences relationnelles ou psychosociales, qui repose sur la connaissance intr ospective de soi et le rapport empathique à l’autre. Mais pourquoi une éducation s’impose-t-elle alors que nous av ons en naissant tout l’héritage génétique et neuronal nécessaire à la compréhension humaine dont Edgar Morin dit qu’elle est le cœur de toute éducation à la paix ? C’est qu’au même titre que la marche ou le langage, potentiellement préparés dès la naissance, l’empathie a besoin, pour pleinement s’humaniser, de l’apport culturel, éducatif, du milieu familial, scolaire, social. Suivons Serge Tisseron (2) dans sa description des différentes étapes de la construction de l’empathie au cours du développement de l’enfant : le bébé qui pleure ou sourit à l ’unisson du visage qui se penche sur son ber ceau partage ces émotions sans les départager. Il y a encore confusion entre lui et l ’autre. Puis c’est en prenant une connaissance plus claire de lui-même que le petit enfant comprendra aussi que l’interlocuteur a des pensées et des émotions Maridjo Graner est psychologue de formation, elle a suivi par la suite l’enseignement de Paul Diel, fondateur de la P sychologie de la M otivation et a collaboré à la R evue du même nom. Conseillère conjugale et familiale, formée à la Fédération Nationale Couples et Familles, elle est actuellement secrétaire générale de l’Association École, changer de cap. A uteure de « Mieux comprendre nos comportements. Regards sur nos raisons et déraisons d’agir » (Éd. Chronique sociale, 2011), elle a co-dirigée avec Armen Tarpinian « L’éducaton psycho-sociale à l’école. Enjeux et pratiques » (Chronique sociale 2014). Non-Violence Actualité, janvier-février 2016 11 D OSSIER Témoignage Une issue réparatrice Par Sandra LONGIN Je considère faire partie des parents outillés pour accompagner leurs enfants dans les diverses situations qu'ils rencontrent au fil de leur croissance. Mais pendant trois ans, j'ai expér imenté l'impuissance et le désarroi. Mon ainée est scolarisée depuis la petite section dans l’école du village et sa meilleure amie s’appelle Emma. Armelle est une petite f ille très vivante, qui chante en permanence et dont la voix résonne dans la cour de récréation. Suite à son entrée en CM1, elle commence à être violente verbalement avec sa sœur. Peu de temps après la rentrée, je constate que lorsque je quitte l'école, elle revient vers moi pour me dire au revoir. Elle commence à me dir e qu'Emma ne veut pas jouer avec elle et incite les autres à faire de même. À la maison, les conflits sont réguliers avec sa sœur et avec nous. Ses résultats scolaires se maintiennent, mais le temps des devoirs devient souvent conflictuel. La maîtresse nous dit qu'elle n'écrit pas assez vite et qu'elle est souvent dans son monde. Son écriture se dégrade. Je passe beaucoup de temps à l'écouter , à la soutenir. Nous allons parler avec Emma et ses par ents pour tenter de fair e évoluer la situation. aucun moment cela ne modifie la dynamique relationnelle entre les enfants. Nous rencontrons plusieurs fois les parents d'Emma et de Théo en présence des enfants mais nous sommes impuissants à faire changer la situation. Armelle souffre et toute la famille aussi. L'entrée en 6ème est synonyme d'espoir. Un nombre d'élèves plus important, une nouvelle classe et la persMalgré leur soutien, rien ne change. pective de la séparation des élèves de L'année de CM1 aura été un calv aire l'école d'Armelle. Le jour de la r enpour Armelle. Ma souffrance de ma- trée est une vraie claque. Armelle est man se creuse devant mon impuissan- en classe avec Emma et Théo. Nous ce à faire évoluer cette situation. S en- restons positifs. Armelle se fait de noutant que j'ai touché mes limites dans velles amies. Mais au fil des mois ces l'accompagnement que je peux donner nouvelles copines vont avec Emma à Armelle, nous allons consulter, avec et le harcèlement reprend. Il a lieu au elle, un psychologue. Ce professionnel collège mais aussi dans le car. nous dit que notre enfant va bien et que l'entrée en CM2 risque de voir le phé- Après un mot sur le carnet indiquant nomène reprendre. Il nous invite à en- qu'Armelle s'est bagarrée, je rencontre visager un changement d'école. la conseillère principale d’éducation (CPE) du collège. Je découvre effarée Avec mon conjoint, et après en avoir que l'enseignante de primaire n'a jamais parlé avec Armelle, nous faisons le évoqué la situation. Nous échangeons 'autres enfants l'insultent, la trai- choix de la laisser dans son école. La longuement sur la situation mais aussi tent de grosse. Je l'observe dans rentrée commence dès le premier jour sur la communication non violente, sur la cour. Elle est isolée, emmè- par une rencontre avec l'enseignante ce que l'établissement met en place et ne un livre pour s'occuper. Je l'invite à (la même qu'en CM1). Nous posons la sensation de ne pas toujours réussir en parler à la maîtr esse. Elle me répond clairement, avec elle, le fait qu'Armelle à toucher les enfants qui posent des actes que l'enseignante lui dit qu'elle en a asest victime de harcèlement scolaire et de harcèlement. Je parle à la CP E du sez de leurs chamailleries. Avec le papa, que si la situation reprend nous serons guide édité par le M inistère de l'Edunous rencontrons la maîtresse, qui, à la amenés à changer Armelle d'école. cation Nationale : « Pour une justice en suite, met en place une séance pédago- L'année de CM2 sera « plus calme ». milieu scolaire préventive et restauratigique sur le respect. La situation perdu- Armelle continue à subir rejets et mo- ve dans les collèges et ly cées » qu'elle re, Armelle s'éteint. Elle est triste, pleure queries de la par t de Emma et d'un découvre. Je repars confiante dans le fait souvent et exprime son incompréhension autre garçon, Théo. Le reste de la clas- que le collège se préoccupe réellement à voir sa meilleure amie la rejeter et les se reste en retrait. L'enseignante in- de la situation d'Armelle et de ses caautres enfants en faire de même. tervient comme elle peut, sans qu'à marades. D 16 Non-Violence Actualité, janvier-février 2016 L’Institut Charles Rojzman ICR est le centre de référence international de la Thérapie Sociale TST, centre de formation et d’intervention à cette approche créée par Chalres Rojzamn dans les années 1980. www.institut-charlesrojzman.com L’ICR mène des actions de Thérapie Sociale en France et à l’étranger dans des contextes très div ersifiés, actions ou formations qui consistent à réhabiliter le conflit comme mo yen de transformer la violence. L’ICR propose aux individus et aux groupes des outils afin de les former à une vie démocratique véritable en favorisant l’exercice de la raison critique, le développement de la responsabilité et de la sociabilité. Chronique de l’Institut Charles Rojzman Transformer la violence par le conflit « On ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré. » Albert Einstein Apprendre à vivre ensemble aujourd’hui implique d’apprendre à coopérer dans le conflit. En ces temps difficiles, notre société se fragmente dangereusement, chaque milieu vivant dans son quant-à-soi, enfermé dans ses cer titudes, chacun se contentant d’images simplificatrices et diabolisées des autres et de la réalité. Les conflits inévitables se transforment alors en violence. En Thérapie Sociale, on opère une différence radicale entre la violence et le conflit. La violence apparaît quand il n’y a ni l’espace ni le temps, ni de lieu pour exprimer et traverser les conflits inhérents à toute relation humaine. Elle est présente quand il n’y a pas la confiance nécessaire pour se parler et oser dire ce qu’on pense réellement. Lorsqu’il y a désaccords, tensions, contradictions, la violence est le mo yen de s’imposer ou de dominer, de satisfaire ses besoins propres sans égard pour les autres. Il importe donc plus que jamais de distinguer la violence qui déshumanise du conflit qui humanise. Dans la violence, on ne voit plus en l’autre un égal en humanité, avec les forces et les faiblesses d ’un être humain semblable à nous-mêmes. Dans notre représentation, souvent inconsciente, l’autre est inférieur, nié, diabolisé, rendu monstrueux. Cette vision va nous pousser à violenter l ’autre, à le for- cer à changer, à devenir ce que nous voulons qu’il soit et fair e ce que nous v oulons qu’il fasse. Nous distinguons quatre formes de violence qui s’expriment de diverses manières (par des mots, des silences, des regards, des sous-entendus, etc.) et qui varient en degré d’intensité et de destructivité : la maltraitance, l’humiliation, l’abandon, la culpabilisation. Ces violences sont bien entendu faites aux autres, mais peuvent également être tournées contre soimême. Parce que nous avons été blessés dans notr e vie par ces mêmes violences, nous en avons peur, nous craignons de revivre ces traumatismes. Donc nous voyons ces situations à travers des filtres émotionnels et ce d’autant plus qu’il y a de la peur, du stress, de l’impuissance dans la situation. Mais le cadre sécurisant du groupe et la posture du thérapeute social vont permettre la prise de conscience des transferts qui créent ces filtres. Alors, un tri salvateur peut se faire entre les fantasmes provenant de nos traumatismes et la réalité présente, en d’autres termes entre les dangers imaginaires et les dangers réels. Ce qui permet de faire face à l’autre de manière plus solide, de reprendre confiance en soi et de s’affirmer sans plus diaboliser l’autre et donc sans r ecourir à la violence. Le conflit organise ainsi la confrontation des points de vue et des visions différentes tout en préservant la dignité et l’intégrité des différents protagonistes. C’est la connaissance commune de la comTransformer la violence implique donc de plexité des situations qui permet alors de guérir nos relations aux autres par un penser ensemble et de combattre la violenapprentissage du conflit. Cet appr entis- ce dans une action au service de tous. Par la sage s’effectue en groupe autour d’un pro- reconnaissance de notre humanité comjet commun ou d’un problème à résoudre mune et de la vulnérabilité cachée sous notre collectivement. On y rencontre progres- violence naît une fraternité réaliste qui sivement nos obstacles relationnels, le tra- n’exclut pas le conflit, mais au contraire le vail permettant de pr endre conscience réhabilite comme le cœur de la vie sociale. de ce que chacun fait dans sa relation aux autres. C’est un passage crucial dans Bibliographie Charles Rojzman, Igor et Nicole Rothenbühler, La la transformation : l ’identification de la •Thérapie Sociale, Éd. Chronique Sociale, 2015 violence des autres tout comme la dé- • Charles Rojzman, Violences dans la république, l’urcouverte de notre propre violence. gence d’une réconciliation, Éd. La Découverte, 2015