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DOSSIER PÉDAGOGIQUE MÜNCHHAUSEN - JE 03 - VE 04 NOVEMBRE 20H Fabrice Melquiot | Joan Mompart © Elisabeth Carecchio Dossier réalisé par le Théâtre Am Stram Gram de Genève + d’info > Magalie Gheraieb - [email protected] 04 76 90 94 24 www.theatre-hexagone.eu - http://entractes.theatre-hexagone.eu Distribution...................................................................................................................................................... 4 Présentation des aventures du Baron de Münchhausen ................................................................................ 5 L’œuvre originale ............................................................................................................................................ 5 Extrait .............................................................................................................................................................. 6 Note d’intention de l’auteur / Fabrice Melquiot............................................................................................. 9 À propos de Münchhausen ......................................................................................................................... 9 Note d’intention du metteur en scène / Joan Mompart............................................................................... 10 Un improvisateur né.............................................................................................................................. 10 Principe de jeu de l’acteur..................................................................................................................... 11 Décor/corps ........................................................................................................................................... 11 Fêter notre propre folie......................................................................................................................... 12 Le Baron Von Münchhausen - historique ...................................................................................................... 12 Repères biographiques.................................................................................................................................. 13 Rudolf Erich Raspe..................................................................................................................................... 13 Gottfried August Bürger ............................................................................................................................ 13 Théophile Gautier (Fils) ............................................................................................................................. 13 Fabrice Melquiot ....................................................................................................................................... 14 Joan Mompart ........................................................................................................................................... 14 Activités préparatoires .................................................................................................................................. 15 Le véritable Münchhausen ........................................................................................................................ 15 Histoire .................................................................................................................................................. 15 Vers le héros de notre histoire .............................................................................................................. 15 Représentation physique ...................................................................................................................... 15 Après la représentation ................................................................................................................................. 17 Pour aller plus loin..................................................................................................................................... 17 Cyrano de Bergerac, un précurseur....................................................................................................... 17 Les autres représentations du Baron ........................................................................................................ 19 Bibliographie : .............................................................................................................................................. 20 La bande dessinée ..................................................................................................................................... 20 Au cinéma.................................................................................................................................................. 20 3 Texte Fabrice Melquiot, d’après Le Baron de Münchhausen de R. E. Raspe et G. A. Bürger Mise en scène Joan Mompart Avec Melanie Bauer, Baptiste Gillieron, Jacques Michel, Christian Scheidt, Bastien Semenzato Scénographie Cristian Taraborelli Musique Simon Aeschiman Enregistrée par l’Ensemble Contrechamps Assistante à la mise en scène Hinde Kaddour Univers sonore William Fournier Création vidéo Brian Tornay Costumes Claude Ruegger Maquillage, coiffures, postiches Cécile Kretschmar Assistée de Malika Stälhi Accessoires Valérie Margot 4 Personnage fabuleux et fantastique, le Baron de Münchhausen a coutume de réunir ses amis pour leur raconter d’extraordinaires aventures, comme celles du lièvre à huit pattes, du cerf qui voit pousser un cerisier entre ses bois ou des canards attrapés avec des morceaux de lard. Un jour, son roi le charge de porter un inestimable cadeau au Souverain du Trukesban ; il part aussitôt, chevauchant un superbe alezan capable de voler et de surmonter tous les obstacles. En chemin, il rencontre ceux qui deviendront ses fidèles compagnons : Cavallo, plus rapide que le vent ; Hercule, plus fort que l’Hercule de la mythologie ; Ouragane dont le souffle surpasse celui d’un ouragan et Jécoute qui peut entendre même l’herbe pousser. Plus tard, emprisonné, il s’échappera grâce à l’irruption d’un boulet de canon qu’il enfourche. Tombé au fond de la mer, il a la vie sauve grâce à Sirèna, jolie princesse des Abysses, qui le dépose, sur ordre de Neptune mais à regret, au milieu de l’océan. Un bateau hollandais le recueille avant qu’une gigantesque baleine avale le tout. Avec l’aide d’Ouragane, le Baron et ses amis s’échappent du ventre du cétacé où nombre de bateaux restent captifs. Mais ils sont attaqués par une bande de vautours à deux têtes... Ceci n’est qu’un aperçu de la déferlante fantaisiste sur laquelle glisse Münchhausen, d’aventure en aventure, vers un pays où le rêve est une condition à l’action. En 1785, l’écrivain allemand Rudolf Erich Raspe recueille, ordonne et publie en anglais les récits de Karl Friedrich Hieronymus, baron de Münchhausen (1720-1797), officier allemand, mercenaire à la solde de l’armée russe, sous le titre Baron Münchhausen’s Narrative of his Marvellous Travels and Campaigns in Russia. Un an plus tard, les Aventures sont traduites en allemand par Gottfried August Bürger (1747-1794), intitulées Abenteuer des berühmten Freiherrn von Münchhausen. Plus qu’une traduction, Bürger remanie les histoires et fournit une version plus poétique et satirique que celle du livre de Raspe. À la faveur d’un style qui jongle avec la satire, s’égare dans le truculent et frise même la veine poétique, Bürger a donné au héros pittoresque une personnalité littéraire que n’a pas démentie la postérité. Si certains thèmes retranscrits ou rajoutés par l’auteur appartiennent à l’imaginaire collectif depuis l’antiquité, la figure du héros se sauvant d’un marécage en se tirant les cheveux, attachant son cheval à ce qu’il croit être un tronc d’arbre mais qui se révèle un clocher, risquant sa vie pour une bouteille de vin, découvrant le crâne ouvert d’un buveur invétéré, etc., n’a pris les traits que du seul Münchhausen. Le livre sera traduit de l’allemand en français par Théophile Gautier (fils) avec des illustrations de Gustave Doré. Il y eut, par la suite, de nombreuses autres éditions des récits du baron de Münchhausen, ainsi que des pastiches, des parodies et des adaptations pour le cinéma et le théâtre. 5 Münchhausen scène d’ouverture La chambre d’hôpital. Lit avec sangles. Mon père, debout, le poing levé. Moi Papa ? Münchhausen Grimpe donc, rejeton pâle en short à pois, au destin vague et vaguelettes, à la bave prompte à m’asseoir au milieu du gué ! Grimpe et lève le poing ! Moi Tu as encore tranché tes sangles ! Münchhausen Sainte Vache, que fais-tu fils en plein torrent ? Veux-tu que je me fasse autant de mouron que les oiseaux ? Sur les berges, l’herbe est stellaire et se goinfre des reflets qui l’engloutissent. Tu veux mourir, petit ? Grimpe sur le radeau de fortune que l’hospice concède - en un seul mot - aux héros de mon genre. Grimpe et ferme ta bouche de plâtrier, tu pourrais avaler du plancton de pensée. Lève le poing ! Moi Infirmière ! Münchhausen Qui appelles-tu ainsi, crotte de botte ? Moi Descends de là, Papa. Infirmière ! Münchhausen Infirmière ! Comme si c’était quelqu’un, le fantôme blanchâtre à l’aiguille qui pue. Elle est trop réelle pour être quelqu’un, voyons ! Moi Le docteur t’a dit cent fois que tu ne devais pas monter sur ton lit. Tu pourrais faire une mauvaise chute, il n’en faut pas plus. Ton fémur ne supporterait pas une trentième fracture. Münchhausen Je n’ai pas de facture à régler, mouchard. Je suis ici aux frais du Prince. Je suis baron, l’oublies-tu ? Manquerait plus que je paie le gaz. Tiens, d’ailleurs, je pète. Il pète. Ça détend l’atmosphère. Y’a trop de monde là-dedans. Faut que ça sorte, les habitants. Moi Papa, je t’en prie. Descends. Tes genoux flageolent. Münchhausen C’est parce que j’aime les haricots. Moi Papa Münchhausen Tu es trempé, c’est malin. Tu vas t’enrubanner, alors tu n’auras plus qu’à faire un nœud de morve à ton mouchoir. 6 Moi Attrape ma main. Münchhausen Toi, attrape ma main. Moi Voilà. Münchhausen C’est toi qui as attrapé ma main ou est-ce moi qui ai attrapé la tienne ? Il faut régler ce genre de question. Moi C’est nous. Münchhausen Nous. C’est le mot le plus beau. Nous. Pour un père et un fils, c’est le mot le plus fort. C’est un mot cathédrale, ce nous. Nous sauvera-t-il ? Moi Je t’ai apporté des madeleines. Münchhausen En plein été ? Garde tes bas de laine et propose-moi plutôt une liquette, que je puisse m’envoler à dos de biquette vers le Pays de la Mort Certaine. Moi Arrête de tirer sur mon bras comme ça, tu vas l’allonger ! As-tu gobé tes pilules bleues ? Et les vertes ? Les rouges, tu les as prises aussi ? Ah ben voilà, c’est malin, mon bras fait trente centimètres de plus, maintenant ! Münchhausen Vois, ton costume est couvert d’imaginations variées. C’est plein d’historiettes et d’anecdotes, de mensonges et d’arrangements. C’est si pathétique de voir son gosse avec tout ce fatras sur le dos. Je t’avais dit de ne pas marcher au milieu du torrent. Mais tu n’écoutes jamais ton père. Alors te voilà tout sale de récits fantastiques. Essuie ta culotte de peau, espèce de panda en voie de disparition. Il pète. Arrête de péter tout le temps, ça dégoûte les petites filles qui nagent au milieu des étoiles. Moi J’ai pas pété. Münchhausen Petit panda digère pas, hein, allez ne rougis pas. Je te l’ai déjà dit, je ne réglerai pas la facture du gaz ! Grimpe, mon chéri, on va traverser le torrent d’algues folles qui me monte à la tête. Sinon l’eau multicolore va tacher tous les vêtements de notre âme déjà bariolée. On nous prendra pour des clowns, alors que nous sommes si sérieux. Nous sommes sérieux, n’est-ce pas ? Notre vie est la chose la plus sérieuse qui soit. J’ai peur, soudain. Viens m’embrasser tout entier. Je rejoins mon père. Nous sommes debout sur son lit d’hôpital. Il m’embrasse. Moi Et maintenant ? 7 Münchhausen Qui es-tu maintenant que je te vois de tout près ? Moi C’est moi, Papa. Münchhausen Et moi, qui suis-je maintenant que je me vois de l’intérieur ? Moi Tu t’appelles Karl Friedrich Hieronymus, Baron de Münchhausen. Tu as deux-cent-nonante-cinq ans Münchhausen Deux-cent-nonante-six Moi Deux-cent-nonante-six et la médecine ne sait pas quoi faire de toi. Tu vis dans cet hôpital depuis plus de cent ans. Tu ne meurs pas et personne ne se l’explique. Les infirmières succombent à ton charme, les unes après les autres, et ce malgré les rides qui ont creusé ta figure. Je suis ton vingtseptième fils et j’ai trente ans aujourd’hui. J’ai trente ans aujourd’hui et je t’ai apporté des madeleines. Münchhausen Ça tombe bien, mon garçon. Couvre mes mollets de ton offrande et partons. La Russie nous tend les bras, tant pis, tant pis pour le Pays de la Mort Certaine, il attendra. Je dois vivre. Il faut vivre, revivre, comme si nous n’avions pas le choix ! C’est plus fort que nous. Nous, c’est le mot le plus beau. Partons. As-tu mis ton col roulé en peau de zizi ? Moi Oui, Papa. Münchhausen Mon cheval ! Où est mon cheval ? Rossinante ! Rossinante ! Moi Tu es assis dessus, Papa. 8 Après Frankenstein et Moby Dick, je travaille à l’écriture d’une pièce inspirée du Baron de Münchhausen. Cette fois encore, je revendique tout autant la fidélité à l’œuvre originelle que la possibilité de m’en éloigner ; je crois que la distance, la digression, l’invention, nourrissent encore l’attachement qu’on porte à une œuvre. À chaque fois que je m’attelle à l’adaptation d’un classique, j’aime en saisir le patron, en redessiner la trame avec des outils dramatiques et tirer aussi des fils invisibles à l’œil nu, fils qui cherchent un en-deçà de l’intrigue, des personnages et des situations ; peut-être une façon de remonter à la source, la source de l’œuvre, la source de soi et la source de ce qui nous lie à l’œuvre. J’aimerais poursuivre, à travers une lecture nouvelle des récits fantastiques de Münchhausen, des obsessions qui me sont propres, des questions que je pose de texte en texte, variant leur formulation pour mieux en cerner la portée. De quelle nature est le dialogue entre la création et l’enfance, entre l’enfance et la mort ? Qu’est-ce qu’une société assujettie au réel, à la logique et à la raison ? En quoi l’imagination, le fantasme, le mensonge (peut-être) sont-ils les premiers outils de vérités à venir ? Et si ce qui est imaginé aujourd’hui est prouvé demain, comment transmettre aux enfants, à la jeunesse, le goût de l’invention, cette faculté d’agir au-delà de lois préétablies, de protocoles identifiés, de cadres étouffants ? Certes, Le Baron de Münchhausen nous parle de la fantaisie qui manque, la folie épique qui fait défaut, il offre à nos rêves une amplitude inouïe qui nous renvoie dans les cordes de nos propres aspirations. Je suis sensible à des écrivains comme Borges, qui clamait son goût de l’épopée, sa résistance au tragique, à l’angoisse. Ce qui ne l’empêchait pas d’entretenir avec la solitude et la mort un dialogue vivifiant, dans un paysage de miroirs, de tigres et de labyrinthes. Contre un réel mortifère, Münchhausen brandit ses armes fictives et fictionnelles ; pour reprendre un vers de Borges : parce que s’impose à lui cette « aventure infinie, insensée, ancienne ». Produire de la fiction, rêver le réel pour ne pas le subir, c’est apprendre à vivre pour soi, vivre avec les autres, grandir en soi et au contact des autres, c’est aussi apprendre à mourir, peut-être mieux tolérer l’idée de disparaître. En attendant, il faut faire. Et la poésie - son étymologie nous le rappelle - c’est faire. Chemin salutaire pour les enfants comme pour les adultes ! Münchhausen ne ment donc pas (seulement) par plaisir. Il ment par nécessité, par goût du vivant, du plus-que-vivant, par envie de mettre en doute la réalité, pour signifier qu’on ne doit jamais l’accepter sans l’interroger, sans la réinventer. J’ai imaginé comme paysage-matrice à mon adaptation de Münchhausen une chambre d’hôpital ; j’ai sans doute été mené là par le syndrome portant le nom du personnage : cette pathologie caractérisée par le besoin de simuler une maladie ou un traumatisme dans le but d’attirer l’attention ou la compassion. Syndrome de Münchhausen. Le Baron est vieux, il serait malade dit-on. Il faudrait le border, le soigner, l’empêcher. 9 Pourtant, il y aura des cyclopes et des Russes, des lions et des crocodiles, une échappée sur la lune, un boulet de canon qu’on enfourche comme Bucéphale, un voyage au centre de la terre, un autre dans les profondeurs de la mer, il y aura Vénus et Vulcain, une baleine gigantesque, des apparitions fabuleuses et des disparitions magiques. J’ai donné à Münchhausen un fils, inexistant chez Raspe, qui pourrait revêtir, dans les délires de Münchhausen, les identités plurielles de ses compagnons Cavallo, Ouragane, Hercule ou Jécoute. Un adjudant et un adjuvant. J’aimerais évoquer à travers ce couple père-fils, un autre couple célèbre : Quichotte et Sancho. Pour deux raisons principales. La première, évidente, c’est que Quichotte est l’aïeul de Münchhausen, ils sont de la même famille visionnaire et naïve. La seconde, plus personnelle, c’est que j’ai découvert Joan Mompart dans le Ay Quixote mis en scène par Omar Porras, en 2002, au Théâtre de la Ville, à Paris. Il y jouait Quichotte et je ne l’ai pas oublié. Le retrouver aujourd’hui autour de Münchhausen, dans une relation d’auteur à metteur en scène, m’autorise à penser que des moulins amicaux tournent autour de nous, dont les ailes nous indiquent la direction des fous, des rêveurs, des bons menteurs qui disent mieux la vérité que ceux qui prétendent la détenir, et surtout la direction de l’enfance, qui nous est chère à tous deux. « … la connexion intime d’invraisemblances qui s’enchainent si naturellement les unes aux autres finit par détruire le sentiment de réalité, l’harmonie du faux est poussée si loin qu’elle produit une illusion relative…» Théophile Gautier, à propos de Baron de Münchhausen C’est souvent en secret que les idées les plus folles se présentent à nous. Le Baron de Münchhausen est, à mon sens, une figure essentielle aujourd’hui. J’ai l’impression qu’il accompagne, dans l’intimité, notre part la moins raisonnable, la moins raisonnée, cette partie de nous qui souhaite secrètement « faire faux ». Et non seulement « faire faux », mais aussi pouvoir le faire dans une inventivité et une démesure jubilatoires. Le Baron est un improvisateur né et sa maîtrise du faux rend possible l’impossible. Avec le Baron, il ne s’agit pas de s’évader de la réalité mais d’évacuer la réalité par la fantaisie, le rire… Par le jeu, le corps, la verve et sa fantaisie, le Baron crée un espace de liberté. Comme le raconte Théophile Gautier dans la préface des Aventures du Baron de Münchhausen : « l’harmonie du faux, quand elle est poussée si loin, produit une illusion relative… » C’est cette illusion relative, progéniture de la fantaisie de la scène, que je souhaite convoquer. 10 Pour cette aventure, plus que jamais, il me semble primordial de s’attacher à revenir aux outils premiers du théâtre et de l’acteur. Le phénomène du « fabulator », cher à Dario Fo, et que nous avons pu déjà expérimenter dans On ne paie pas, on ne paie pas ! (où il s’agissait aussi de farce et de faux) pourrait être une piste. L’improvisation est reine dans l’exercice du « fabulator », les divers moments de son récit extraordinaire se succèdent par fulgurances et tout dépend de sa capacité à rendre vraisemblables des événements le plus souvent incohérents pour la logique normative… Bernard Dort a dit à propos de ce théâtre d’improvisation : « Il s’agit toujours de susciter un espace de jeu où les idées reçues deviennent folles, où les certitudes volent en éclats et où les résolutions les plus arrêtées se mettent en mouvement… » Malgré cette liberté à prendre, le texte ne devrait pas être modifié par le travail de répétitions : il s’agit plutôt de se donner, par l’improvisation, les moyens de chercher la dimension à la fois céleste et éminemment terrienne que je décèle dans l’écriture de Fabrice Melquiot. Il me semble que Fabrice Melquiot possède ce rare pouvoir de convoquer l’invisible, l’indicible tout en préservant la part profane nécessaire : ses « caractères », à force d’immenses maladresses, sont d’une humanité loufoque et universelle. Par le corps, le chant, l’onomatopée, la scansion, nous tâcherons de trouver le chemin vers cette dimension, de se mettre dans cette disponibilité, de trouver cet état. Pour l’acteur, il s’agira peut-être de recréer ce sentiment très particulier de rêve éveillé, de chercher cette « harmonie du faux » dont parle Gautier. Il y a un brin de surréalisme balsamique dans les récits du Baron, il n’est peut-être pas si éloigné de Desnos, Picabia, Dali… Si je cite ces surréalistes c’est parce que, de la même manière qu’à mon sens, le récit de la pièce devrait être d’une folie et d’une fantaisie communicatives, les règles qui régissent habituellement l’espace de représentation devraient elles aussi être quelque peu bousculées. Avec Cristian Taraborrelli, scénographe de la compagnie, nous imaginons un espace unique, multidimensionnel, qui aurait l’apparence d’une sphère (rappelant la lune ou le boulet de canon du Baron). Dans cette sphère, le haut et le bas pourraient être aisément inversés. À l’image de certaines vignettes de Moebius, afin de pouvoir « coller » au plus près aux récits de voyage du Baron, il s’agit, grâce à un système où l’acteur peut tour à tour être suspendu dans la sphère ou se promener sur sa crête, d’abandonner la sensation de pesanteur. Ce dispositif sera accompagné par les projections de Brian Tornay, créateur vidéo de La Reine des Neiges. Il est fort possible que la figure du Baron soit doublée, voir triplée et que nous ayons affaire simultanément à plusieurs Münchhausen de différents âges : ainsi, un vieux Baron pourra raconter ses aventures tandis que son jeune double les jouera dans le décor. En creusant ce système de représentation, il se peut que le Baron soit évoqué à travers différents corps, différentes silhouettes une manière de signifier que ce personnage est présent en chacun de nous. 11 À ceux qui nous demanderont si ses histoires sont vraies, nous pourrons rétorquer que le Baron a vraiment vécu, et donc que ses histoires se sont vraiment passées… Je souhaite que Le Baron de Münchhausen soit une pièce festive adressée aux familles, un temps et un espace où l’on puisse rire de nous-mêmes. J’imagine une pièce en réaction aux lois de la logique, de la cohérence et du rationnel. Il s’agit, en définitive, de fêter la fantaisie, l’absurde, et même de redonner à l’incohérence, le temps d’une représentation, cette part jouissive que nous avons tous plus ou moins eu la chance d’expérimenter à notre plus jeune âge. Karl Friedrich Hieronymus, baron de Münchhausen (1720-1797) est un personnage historique et héros populaire de la littérature allemande. Il naît le 11 mai 1720 à Bodenwerder dans le Weserbergland, ancien duché de Brunswick. Dans sa jeunesse, il est page du duc de BrunswickLüneberg et, en 1740, il suivra son maître pour devenir mercenaire de l’armée russe. Il combat pendant dix ans dans l’armée d’Élisabeth 1ère de Russie contre les Turcs de l’Empire Ottoman, en Crimée. En 1744, il épouse Jacobine von Dunten, en Lettonie. Avant de quitter l’armée russe, il est nommé, en 1750, capitaine de cavalerie. À son retour en Allemagne, il confie à l’écrivain Rudolf Erich Raspe ses «extraordinaires» aventures avant de se fixer à Hanovre. Surnommé le « baron de Crac » (« baron du mensonge »), il aurait voyagé sur la lune sur un boulet de canon et aurait dansé avec Vénus. Veuf en 1790, il se remarie en 1794, union qui s’achève par un divorce. Il meurt le 22 février 1797 de la fièvre typhoïde, ruiné. Son destin et sa faconde devinrent aussi légendaires que celles de son homologue d’outre-Rhin, Cyrano de Bergerac, lui assurant une réputation de fabulateur hors pair, voire de fou. Son nom a été donné à une pathologie psychiatrique grave : le syndrome de Münchhausen. Les victimes de ce syndrome simulent tous les symptômes d’une maladie afin d’attirer sur elles l’attention des médecins. Les récits extraordinaires du baron constituent la reprise d’un imaginaire collectif amplifié par le merveilleux et la truculence d’un militaire nostalgique d’exploits, à la manière de Tartarin de Tarascon. 12 Rudolf Erich Raspe, écrivain allemand, est né à Hanovre en 1736. Il a étudié à Göttingen et Leipzig, puis a travaillé à Hanovre en tant que commis de bibliothèque ou de secrétaire. En 1767, il enseigna l’archéologie à Cassel et devint inspecteur du cabinet des antiquités et médailles du landgrave de Hesse-Cassel. En 1771, Raspe épouse Elizabeth Long de Berlin. Il fait des dettes, détourne des pièces de monnaie et est obligé, en 1775, de s’enfuir en Angleterre. Il y travaille. En 1789 – 1790, il séjourne en Écosse, puis en Irlande où il meurt le 16 novembre 1794. Raspe entretient une correspondance active et est en contact avec de nombreux personnages célèbres de l’époque comme Winckelmann, Herde, Benjamin Franklin, James Watt, le capitaine Cook. En tant que poète, Raspe a écrit, en 1763 à l’occasion de l’anniversaire de la Reine, la comédie L’agriculteur a perdu. En 1766, il publie Hermin et Gunild, une épopée considérée comme le premier roman d’amour. C’est en 1785 qu’il écrit en anglais Les Aventures du Baron von Münchhausen qui deviendra un best-seller. Raspe est également connu comme dessinateur. Il a notamment illustré Les aventures du Baron de Münchhausen qu’il a écrit en 1785. Il est l’auteur de dessins techniques des mines et de la construction de tunnels en Irlande en 1793. Enfin, Raspe a publié des ouvrages de Géologie. En 1763, son premier ouvrage d’histoire naturelle lui permet de devenir membre de la prestigieuse Royal Society. Par ailleurs, il était reconnu comme expert en art et comme traducteur. Gottfried August Bürger, poète allemand, est né en 1747 à Molmerswende près de Halberstadt. Il devint professeur à Göttingen, après avoir mené une vie romantique et désordonnée. Il excella dans la ballade et exploita avec talent les légendes et les superstitions populaires (Léonore, le Chasseur sauvage, la Fille du Pasteur) Il a aussi écrit des romances (Fleur de merveille, L’adieu, L’Elégie à Molly). En 1786, il traduit en allemand Les aventures du Baron de Münchhausen. Bürger est décédé en 1794. Théophile Charles Marie Gautier, né le 29 novembre 1836 et mort le 16 juin 1904, est un homme de lettres, traducteur et administrateur français, fils de l’écrivain Théophile Gautier et de sa maîtresse Eugénie Fort. Il fut sous-préfet d’Ambert (Puy-de-Dôme) en 1867 et de Pontoise en 1870, chef du bureau de la Presse au ministère de l’Intérieur en 1868, puis secrétaire particulier de l’ancien ministre de Napoléon III, Eugène Rouher. Il collabora aux travaux de son père dans le Moniteur et le Journal officiel et fit des traductions d’auteurs allemands, notamment Les Aventures du Baron de Münchhausen de Gottfried August Bürger. 13 Né en 1972 à Modane, Fabrice Melquiot est aujourd’hui l’un des auteurs de théâtre contemporain les plus joués et les plus traduits à l’étranger. Il est connu à la fois pour son théâtre cru et poétique, où la fiction est dense et puissante, et pour ses pièces destinées au jeune public. Il est l’auteur d’une quarantaine de pièces, mais aussi de traductions et de deux recueils de poèmes. Il a reçu en 2008 le Prix Théâtre de l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre. Depuis 2012, il dirige le Théâtre Am Stram Gram de Genève, centre international de création pour l’enfance et la jeunesse. Né en 1973, Joan Mompart est un comédien et metteur en scène suisse, d’origine catalane. Il dirige le Llum Teatre, compagnie avec laquelle il a créé notamment La Reine des Neiges d’après Andersen (2010) et Ventrosoleil de Douna Loup (2014) au Théâtre Am Stram Gram. En 2013, il met en scène On ne paie pas, on ne paie pas ! de Dario Fo à la Comédie de Genève (Programmé au Granit en novembre 2014). En tant que récitant, il collabore régulièrement avec l’Orchestre de la Suisse romande, le Philharmonique de Monte-Carlo, les Orchestres de Chambre de Genève et Lausanne. Joan Mompart a joué sous la direction notamment de Rodrigo Garcia, Ahmed Madani, Pierre Pradinas, Thierry Bédard, Robert Bouvier, Serge Martin et Robert Sandoz. Au cinéma avec les réalisateurs Régis Roinsard, Rémy Cayuela, Elena Hazanov entre autres. Comédien fidèle d’Omar Porras au Teatro Malandro, il sera à l’affiche de la recréation de sa version de l’histoire du Soldat en janvier 2015 à Am Stram Gram, programmé au Granit les 12 et 13 novembre 2015. 14 Faites une recherche internet pour trouver la biographie du véritable Münchhausen. Vous pourrez notamment utiliser l’encyclopédie participative Wikipédia. Qu’apprend-on sur le personnage historique ? Quel est son surnom ? On dit qu’il a donné son nom à une maladie, quelle est-elle ? Quelle réputation avait-il ? Qui recueille en tout premier lieu le récit de ses aventures ? En quelle année et en quelle langue l’œuvre est-elle pour la première fois publiée ? Vous pourrez lire l’extrait du texte donné plus haut. Peut-on faire un lien entre la maladie citée sur la page consacrée au Baron dans L’encyclopédie participative Wikipédia et le lieu dans lequel se trouve le héros ? Que peut-on dire de son état de santé ? Münchhausen a été représenté de nombreuses fois dans la littérature, au cinéma ou encore en animation. Voici quelques exemples ci-dessous. Gravure vonvon WilleWille Gravured’August d’August 15 Münchhausen, film allemand de 1943. Les Aventures du baron de Münchhausen, film britannique de Terry Gilliam, 1988 Essayez d’imaginer le Münchhausen de Fabrice Melquiot. Faites des propositions du costume du Baron dans le contexte de l’extrait lu. 16 Cyrano de Bergerac, tout comme le Baron de Münchhausen, se mit à rêver d’un voyage sur la lune. On pourra alors mettre les deux aventures en parallèle. Document 1 - Histoire comique des États et Empires de la lune, Cyrano de Bergerac, 1655 Extrait : « Atteindre la lune » Au début du roman Histoire comique des États et Empires de la lune (plus connu sous le titre Voyage dans la lune) que Cyrano de Bergerac publie en 1655, le narrateur raconte comment il se prend à rêver d’un voyage dans la lune : il s’agit pour lui de vérifier certaines de ses théories qui lui ont valu les quolibets de ses amis. Mais encore faut-il trouver un moyen d’atteindre la lune... À ces boutades, qu’on nommera peut-être des accès de fièvre chaude, succéda l’espérance de faire réussir un si beau voyage : de sorte que je m’enfermai, pour en venir à bout, dans une maison de campagne assez écartée, où après avoir flatté mes rêveries de quelques moyens proportionnés à mon sujet, voici comme je me donnai au ciel. J’avais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosée, sur lesquelles le soleil dardait ses rayons si violemment, que la chaleur qui les attirait, comme elle fait les plus grosses nuées, m’éleva si haut, qu’enfin je me trouvai au-dessus de la moyenne région. Mais comme cette attraction me faisait monter avec trop de rapidité, et qu’au lieu de m’approcher de la lune, comme je prétendais, elle me paraissait plus éloignée qu’à mon partement, je cassai plusieurs de mes fioles, jusqu’à ce que je sentis que ma pesanteur surmontait l’attraction, et que je redescendais vers la terre.» Le héros atterrit involontairement en nouvelle France, où après quelques péripéties, il reprend son projet de voyage dans la lune. Il exécute pour cela une machine volante, mais échoue dans sa première tentative. Il en tire quelques contusions, qui le contraignent à abandonner momentanément sa machine dans la forêt. Quand il revient après s’être oint d’un onguent à base de moelle de bœuf, une mauvaise surprise l’attend : des soldats ont découvert la machine, se sont mis en tête de la faire voler et y ont attaché des fusées de feu d’artifice. Ils s’apprêtent à allumer les mèches... 17 La douleur de rencontrer l’œuvre de mes mains en un si grand péril me transporta tellement, que je courus saisir le bras du soldat qui y allumait le feu. Je lui arrachai sa mèche, et me jetai tout furieux dans ma machine pour briser l’artifice dont elle était environnée ; mais j’arrivai trop tard, car à peine y eus-je les deux pieds que me voilà enlevé dans la nue. L’horreur dont je fus consterné ne renversa point tellement les facultés de mon âme, que je ne me sois souvenu depuis de tout ce qui m’arriva en cet instant. Car dès que la flamme eut dévoré un rang de fusées, qu’on avait disposées six à six, par le moyen d’une amorce qui bordait chaque demidouzaine, un autre étage s’embrasait, puis un autre ; en sorte que le salpêtre prenant feu, éloignait le péril en le croissant. La matière toutefois étant usée fit que l’artifice manqua ; et lorsque je ne songeais plus qu’à laisser ma tête sur celle de quelques montagnes, je sentis (sans que je remuasse aucunement) mon élévation continuer, et ma machine prenant congé de moi, je la vis retomber vers la terre. Cette aventure extraordinaire me gonfla le cœur d’une joie si peu commune, que ravi de me voir délivré d’un danger assuré, j’eus l’imprudence de philosopher là-dessus. Comme donc je cherchais des yeux et de la pensée ce qui en pouvait être la cause, j’aperçus ma chair boursouflée, et grasse encore de la moelle dont je m’étais enduit pour les meurtrissures de mon trébuchement ; je connus qu’étant alors en décours, et la lune pendant ce quartier ayant accoutumé de sucer la moelle des animaux, elle buvait celle dont je m’étais enduit avec d’autant plus de force que son globe était plus proche de moi, et que l’interposition des nuées n’en affaiblissait point la vigueur. Quand j’eus percé, selon le calcul que j’ai fait depuis, beaucoup plus des trois quarts du chemin qui sépare la terre d’avec la lune, je me vis tout d’un coup choir les pieds en haut, sans avoir culbuté en aucune façon. (...) Enfin, après avoir été fort longtemps à tomber, à ce que je préjugeai (car la violence du précipice m’empêchait de le remarquer), le plus loin dont je me souviens c’est que je me trouvai sous un arbre embarrassé avec trois ou quatre branches assez grosses que j’avais éclatées par ma chute, et le visage mouillé d’une pomme qui s’était écachée contre. Par bonheur, ce lieu-là était comme vous le saurez bientôt, Le Paradis terrestre, et l’arbre sur lequel je tombai se trouva justement l’Arbre de vie. Quel est le tout premier moyen de locomotion imaginé par le héros pour s’élever vers la lune ? Comment pourrais-tu qualifier un tel moyen de locomotion ? Sur quelle supposition scientifique de l’époque s’appuie-t-il ? Pour quelle raison le héros échoue-t-il dans cette première tentative? Comment le narrateur parvient-il finalement à atteindre la lune (distingue deux moments dans son trajet) ? De quelle manière allunit-il ? Où exactement ? Quel objet, en rapport avec le lieu de sa chute, le blesse à l’arrivée ? Que s’avère être en réalité la lune ? Quel célèbre écrit, connu de tous en France à l’époque de Cyrano, fait état de cet endroit où a atterri notre héros ? Source : http://www.zerodeconduite.net/dp/zdc_levoyageextraordinaire.pdf 18 Vous trouverez dans la partie bibliographie d’autres œuvres traitant du Baron de Münchhausen. Ainsi, il pourrait être intéressant de visionner en classe le film muet de Georges Méliès réalisé en 1910. L’intégralité se trouve sous le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=0hN83ykX644 Terry Gilliam a également réalisé Les Aventures du baron de Münchhausen en 1988. Vous trouverez un extrait sous ce lien : http://www.dailymotion.com/video/x1jrju_les-aventures-du-baron-demunchause_shortfilms Pour les plus petits, un film d’animation https://www.youtube.com/watch?v=YyDrWc8o9dk 19 est disponible sur internet : Olivier Supiot, Les Aventures oubliées du baron de Münchhausen, tome 1 : Les Orientales, 2006 Olivier Supiot, Les Aventures oubliées du baron de Münchhausen, tome 2 : Les Amériques, 2007 1910 : Les Hallucinations du baron Münchhausen, film de Georges Méliès ; édité par Pathé frères. Vous trouverez le film intégral ici : https://www.youtube.com/watch?v=0hN83ykX644 1943 : Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen, film allemand de Josef Von Baky réalisé pour les 25 ans de la UFA. 1961 : Baron Prášil, film tchèque de Karel Zeman (titre français : Le Baron de Crac) 1988 : Les Aventures du baron de Münchhausen, film britannique de Terry Gilliam http://www.dailymotion.com/video/x1jrju_les-aventures-du-baron-de-munchause_shortfilms 1978 : Jean Image réalise un long métrage d'animation, Les Fabuleuses Aventures du légendaire baron de Münchhausen. Vous trouverez un extrait : https://www.youtube.com/watch?v=YyDrWc8o9dk 20 ANNEXES AUTRES PISTES PÉDAGOGIQUES proposées par Anne Pommeray, professeur relais I. Autour du texte de Fabrice Melquiot Références du texte : 2015, l’Arche Editeur, ISBN : 978 2 85181 878 2 Le spectacle a été créé le 29 septembre 2015, au Théâtre Am Stram Gram à Genève , mise en scène Joan Mompart. 2 propositions d’activités avec les élèves : Une épigraphe de Hitchcock à méditer : « Le hockey sur glace est un savant mélange de glisse acrobatique et de Seconde Guerre mondiale. » La liste des personnages peut être à commenter , on peut demander aux élèves de vérifier si tous les personnages de Melquiot demeurent dans la mise en scène : Münchhausen, Moi, Elle, Mon seul pote, le Général, Madame Lüscher, l’enfant à la casquette orange, 1er Turc, 2e Turc, 3e Turc, 4e Turc, 5e Turc, l ‘Inconnu au bataillon Une formule du metteur en scène, Joan Mompart qui parle à propos de ce texte de : «un brin de surréalisme balsamique» II. Le texte de Fabrice Melquiot : Choix d’extraits et d’activités CHOIX DE 5 EXTRAITS Extrait 1 : Scène d’ouverture (3 pages), livre p 11 à 15 : Vous trouverez ce 1er extrait dans le dossier de la compagnie. = Travailler sur une mise en voix , sur l’ouverture et l’horizon d’attente du lecteur . Extrait 2 : « Où est ma langue ? «, ( 3 pages) , livre p 16 à 19 : Annexe 1 = Travailler sur le jeu avec le langage et la polysémie. Extrait 3 : 2 Tirades de Moi ( 1 page) , livre p 32/33 et 38/39 : Annexe 2 = Travailler sur le personnage du fils (= Moi) Extrait 4 : Münchhausen (1 page) , livre p 47/48 : Annexe 3 = Travailler sur l’adresse du père à son fils . Extrait 5 : Scène de fermeture (4 pages) , livre p 86/89 : Annexe 4 = Comment le texte se clôture ? On pourra établir une comparaison avec la mise en scène après avoir vu le spectacle. CHOIX DE 3 CITATIONS 1) p 31 « Moi. ...Bucéphale. C’était le nom du cheval de mon père, ce cheval qu’une nuit très noire il attacha à une sorte de pointe d’arbre qui surgissait de la neige, quelque part en Russie .» 2) p 52 «Mon seul pote. Tu parles pas à ton père, je suis pas ton père, y’a pas écrit Dark Vador, là .» 3) p 83 « l’Inconnu au bataillon. J’ai eu un chien qui s’appelait Gibraltar. Il avait qu’un œil . Moi. Un chien Cyclope. « III. Travail sur les références en amont ou en aval du spectacle : 1) Des références : • • • • mythologiques, Le CYCLOPE artistiques, La JOCONDE historiques, légendaires : Le cheval de Münchhausen, Bucéphale géographiques, rocher de GIBRALTAR 2) Le motif du cheval : Bucéphale, (Tête de bœuf en grec) désigne le nom du cheval de Münchhausen. Ce nom était aussi celui du cheval d’Alexandre le Grand qui avait la particularité d’avoir peur de son ombre . On pourra faire trouver aux élèves d’autres noms célèbres de chevaux : • • • celui de Don Quichotte, ROSSINANTE celui de Lucky Luke, JOLLY JUMPER celui de Zorro, TORNADO On pourra également s’intéresser à la figure fantastique de PEGASE. IV. Ouvertures sur d’autres œuvres littéraires Ouvertures possibles sur des œuvres de PICABIA et DALI Desnos , l’Aumonyme (1923) : Travail sur le langage Texte 1 : Vers quel verre, œil vert, diriges-tu tes regards chaussés de vair ? Texte 2 : Mes chants sont si peu méchants ils ne vont pas jusqu’à Longchamp Ils meurent avant d’atteindre les champs Où les bœufs s’en vont léchant des astres désastres Texte 3 : L’an est si lent. Abandonnons nos ancres dans l’encre, mes amis Texte 4 : Les chats hauts sur les châteaux d’espoir Croquent des poires d’angoisse la nuit l’ennui l’âme nuit. Et puis il y a le puits qui s’enfonce dans la terre où s’atterrent les faibles que brise la brise. Poète venu de Lorient que dis-tu de l’Orient ? L’or riant. Don Quichotte de La Manche, CERVANTES - Annexe 5 Des liens intéressants peuvent être effectués entre le personnage de Don Quichotte , celui qui est ivre de littérature et qui veut ressusciter la chevalerie, qui perd le jugement et n’aime que les enchantements et la dimension fantaisiste, épique du Baron qui séduit par son originalité et son ambiguïté. Histoire comique des Etats et empires de la lune, Cyrano de Bergerac - Annexe 6 Les liens entre Cyrano de Bergerac et le Baron de Münchausen. Cet extrait peut être complété par celui qui se trouve dans le dossier du spectacle. ANNEXES Annexe 1 EXTRAIT 2 Münchhausen. Et ma langue, où est ma langue ? Moi Quoi ta langue ? Münchhausen La langue économique et sereine que je dois adopter, une langue naïve, plate osons dire plate, sans fantaisie, sans falbalas, sans froufrous, une langue au masque neutre en quelque sorte, pour vivre et revivre mes aventures, sinon le pékin lambda pourrait croire entendre parler un fou – Oh. Tu as entendu ? Moi Quoi ? M J’ai dit : «Croire entendre parler». Moi Eh ben quoi ? M Trois infinitifs à la suite ! Qui oserait accorder son foie à un individu capable d’aligner trois infinitifs dans sa phrase ? Moins d’emphase, moins de jeux de mots, moins de formules, moins de métaphores, moins de spectacle. Adoptons le ton camouflé du caméléon à proximité de la mouche. Raccourcissons notre langue pour avoir l’air parfaitement normaux et nous irons plus loin. Okay My Son ? Moi Okay Daddy. M Normaux, j’ai dit. Moi J’ai juste dit : « Okay ». M Il y avait trop de spectacle dans ce « okay », trop de sous-entendus spectaculairement spectaculaires. Recommence. Moi Recommence quoi ? M Redis «okay» d’une manière beaucoup plus simple, directe, plate osons dire. Moi Tu veux que je t’allume la télé ? C’est l’heure du Télé Achat. Tu aimes bien ça, non ? M J’ai horreur des chats. Redis : « Okay ». Moi Non. M Mon cheval s’impatiente, bougre d’âne. Répète après moi et n’hésite pas à copier : « Okay » Moi J’allume la télé. M Regarde bien mon front, toi l’effronté qui n’en as pas ! Que vois-tu ? Papi Zombie ? Non ! Y’a pas écrit Papi Zombie. Alors laisse la télé où elle est. La Russie nous attend. Moi Papa, tu es malade. Tu es. Excuse-moi, Papa, mais je. Je n’arrive pas à chaque fois à. Assieds-toi. Je n’y arrive pas, moi. Je n’y arrive plus, Papa. Assieds-toi je te dis, allez, écoute-moi. Mon petit Papa. C’est moi. M Je sais que c’est toi. Et Je sais que c’est moi. C’est parce que c’est nous qu’il faut partir. C’est la condition pour se prouver l’amour à la couronne diamantaire, l’amour au dessous des nids de coucous, de merles et de grives, l’amour des grands sommets. Voyage à deux dans les contrées hostiles, supporte les chaussettes toxiques de l’autre et tu sauras qui nous sommes. Moi ARRÊTE ! Arrête de dire n’importe quoi n’importe comment ! Arrête ! Et maintenant tu t’assieds sur ce lit ! (Je l’oblige, sans tendresse, je suis presque brutal.) Tu ne bouges plus. M (...) M’as-tu bien donné la langue que je cherchais ? ANNEXE 2 — EXTRAIT 3 MOI Récapitulons. J’ai eu trente ans le jour de la mort de mon père. Mon père est mort le jour où je lui ai demandé de se taire. Cet après-midi, an cimetière, un cheval est apparu et je me suis souvenu d’une aventure, que mon père avait prétendu avoir vécue. Je suis chez moi, dans mon studio sous les toits, je viens d’ouvrir un boîte de raviolis au bœuf, et le dragon gigantesque de la culpabilité est assis dans le fauteuil à côté de moi. Nous regardons la télévision, le dragon et moi. Il va falloir que je m’habitue à sa compagnie. Aucun doute, sa compagnie va orienter ma vie désormais. Parce que j’ai le cœur pur du chômeur de longue durée. Pourtant, mon grand-père était suisse. Je crois qu’il est grand temps de pleurer, avant de prendre un petit dessert, genre une madeleine trempée dans un yaourt à l’ananas. Je pleure. Je pleure beaucoup. Je crois que je perds les notions de l’espace et du temps, car nous voici déjà au lendemain de l’enterrement de mon père ; je suis assis sur un banc dans un jardin public et je pleure toujours. (...) MOI Récapitulons. J’ai eu trente ans le jour de la mort de mon père. Mon père est mort le jour où je lui ai demandé de se taire. Je suis sans emploi. Je suis ayant droit. Je vis des droits d’auteur de mon père. Mon père a écrit sa vie en la racontant. Je touche de l’argent de temps en temps, mais c’est pas un métier. Je n’ai pas d’amoureuse, j’en ai déjà eu, j’en ai plus . J’ai pas de passion, pas de passe-temps, j’en ai déjà eu, j’en ai plus. Je pense à Elle l’aide soignante, à son visage hyper beau d’aide soignante hyper belle. Je me dis que ça pourrait devenir une amoureuse, une passion et un passe-temps, le grand chelem. Il faudrait que je la retrouve ou qu’elle me retrouve. Je pense à Mon seul pote qui est mon seul pote . C’est une moule, une moule sur un rocher qui attend gentiment que Léon de Bruxelles vienne la décrocher. Je pense au rocher de Gibraltar. A ma soi-disant mère là-bas, tu parles . J’ai jamais dit maman à personne, c’est bizarre. Est-ce que j’ai vu ce que j’ai vu ou bien ai-je cru voir ce que j’ai cru voir ? A qui faire confiance ? ANNEXE 3 - EXTRAIT 4 Münchhausen. Je sais ce que tu vas dire, fils. Beaucoup de voyageurs ont l’habitude, en racontant leurs aventures, d’en rajouter, d’en faire des tonnes. Pas étonnant, dès lors, que les lecteurs, les auditeurs soient parfois un peu dubitatifs, disons perplexes. Toutefois, si quelqu’un dans l’honorable assemblée doutait de la véracité de ce que j’avance, je serai extrêmement peiné de ce manque de confiance . La confiance, fils, c’est la clé qui ouvre toutes les portes . Mais si, je dis bien si, si quelqu’un osait remettre en cause ce que je viens de rapporter, je l’avertirai qu’en ce cas ce qu’il y a de mieux à faire c’est de se retirer avant que je commence le récit de mes aventures de mer qui sont plus extraordinaires encore, bien qu’elles ne soient pas moins authentiques. Moi. Ca va aller, Papa. Je vais dormir, maintenant. ANNEXE 4 - EXTRAIT 5 Moi « MA MERE «, rien que deux mots disposés l’un près de l’autre: « MA MERE «. Ma mère, c’est une plaque de marbre vissée sur le rocher de Gibraltar. Ma mère, c’est le rocher de Gibraltar. Je croyais être le fils d’un fou qui voulait qu’on l’aime. Je suis le fils de Karl Friedrich Hieronymus, baron de Münchhausen et d’un rocher qui a plusieurs nationalités et n’appartient qu’à lui-même. Sur la plaque de marbre, sous les mots « MA MERE «, on peut lire cette épigraphe : « Ce qui est imaginé aujourd’hui sera prouvé demain». Elle Ce qui est imaginé aujourd’hui sera prouvé demain Moi Silence. Mon seul pote Rien, pendant un moment. L’inconnu au bataillon On se regarde un peu, mais pas franchement. Moi On entend les vagues, pas loin. Mon seul pote La mer. Elle Ca donne envie de se baigner, mais on sent bien que c’est pas le moment d’aller se mettre en maillot de bain . L’inconnu au bataillon J’ai faim, mais on sent bien que c’est pas le moment d’aller prendre un truc dans un snack. Mon seul pote N’empêche qu’au bout d’un moment, c’est ce qu’on fait. Moi On va manger un truc et puis on va se baigner . Les vagues. Elle On est restés quelques jours à Gibraltar. On a fait un peu de tourisme. On s’est gavés de pudding et de paella. On a ouvert de grands yeux, en se souvenant de nos exploits sur la Lune et au centre de la Terre. Moi Et puis on a fait graver une deuxième plaque de marbre, sur laquelle on peut lire : « MON PERE». Elle est là, cette plaque, vissée tout près de l’autre . Et entre les deux, coincée, il y a une feuille de papier format A4, dans une pochette plastique, pour la protéger de la pluie. Sur cette feuille, on peut lire : « Liste de choses à imaginer afin qu’elles soient prouvées plus tard.» Chacun peut écrire ce qu’il souhaite. Elle Moi j’ai écrit : « La vie extraterrestre. En me basant sur des écrits sérieux, hein, c’est pas une lubie. Je suis sûre qu’un jour, on les verra descendre du ciel avec leurs joujoux par milliers. « Moi C’est mon père qui leur ouvrira la route. Mon seul pote Moi j’ai écrit : «L’argent ne fait plus le bonheur .» L’inconnu au bataillon « Nous vivrons comme des pauvres qui ont beaucoup d’argent.» Elle J’ai ajouté : « En attendant les extraterrestres, on mettra les femmes et les enfants au pouvoir.» Moi J’ai souligné femmes et enfants. Mon seul pote Moi j’ai écrit : « Il sera prouvé que comptabiliser les mouches au plafond est une activité à part entière, créditée par une société sensible à la contemplation . Regarder, c’est participer .» Elle « Il sera prouvé qu’il y a en chacun un écouteur, un coureur, un tireur et une souffleuse. Et mille autres possibles. Etre, c’est devenir . Il sera qu’ Elle et Moi , moi et Lui, c’est parti pour le moment. « Moi J’ai souligné Elle et Moi. L’inconnu au bataillon J’ai écrit : « Il sera prouvé que j’ai un nom et un prénom.» Elle « Dieu est une petite fille de 4 ans. « Ce sera prouvé. Mon seul pote « Les anges sont des enfants comme les autres, sauf que c’est des voyous qui ont braqué des oiseaux. Elle « Les ânes parlent neuf langues, mais pour ne pas nous mettre la honte, ils font hi-han. « Elle « Nous nous aimons.» Moi Ce sera prouvé. Mon seul pote « Nous valons mieux.» L’inconnu au bataillon Ce sera prouvé. Moi J’ai ajouté : « La liberté est une fleur carnivore qu’on ne trouve que dans certaines régions tropicales du globe oculaire. La confiance est un enfant qui joue à cache cache seul contre lui-même ; il se cache et puis se trouve ; en gagnant, à chaque fois il perd . Le vrai et le faux sont des frères jumeaux qui ne se ressemblent pas. Nous avons besoin des fous pour nous rappeler qu’on ne vit jamais assez. Alors un jour, il sera prouvé par A + B que le baron de Münchausen a dit la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Et puis j’ai signé : son fils. J’ai regardé Elle. J’ai regardé Mon seul pote . L’Inconnu au bataillon. Nous . Tout reste à faire. Mon père pète. ANNEXE 5 Don Quichotte de La Manche, CERVANTES Lorsque notre gentilhomme était oisif, c’est-à-dire, les trois quarts de la journée, il s’appliquait à la lecture des livres de chevalerie avec tant de goût, de plaisir, qu’il en oublia la chasse et l’administration de son bien. Cette passion devint si forte, qu’il vendit plusieurs morceaux de terre pour se former une bibliothèque de ces livres, parmi lesquels il préférait surtout les ouvrages du célèbre Félician de Silva. Cette prose claire et facile, qui presque jamais n’a de sens , lui paraissait admirable , surtout dans ces lettres si tendres où les amants s’expriment ainsi : « La raison de la déraison que vous faites à ma raison affaiblit tant ma raison , que ce n’est pas sans raison que je me plains de votre beauté.» Cette manière si naturelle de parler enchantait notre gentilhomme. Il était seulement fâché de ne pouvoir deviner ce que cela voulait dire, et se donnait la torture pour comprendre ce qu’Aristote lui-même aurait eu bien de la peine à expliquer. Il ne laissait pas encore d’être un peu étonné des prodigieuses blessures que don Bélianis faisait et recevait ; quelques habiles que fussent les chirurgiens, il lui semblait qu’il en devait rester des cicatrices extraordinaires : mais il passait tout à l’auteur, en faveur de cette aventure interminable qu’il promet en terminant son livre. Plusieurs fois notre gentilhomme fut tenté de prendre la plume et d’achever ce beau chef-d’œuvre : malheureusement le temps lui manqua. (...) Enfin notre gentilhomme, uniquement occupé de ces idées, passait les jours et les nuits à s’en repaître. Cette continuelle lecture et le défaut de sommeil lui desséchèrent la cervelle : il perdit le jugement. Sa pauvre tête n’était plus remplie que d’enchantements, de batailles, de cartels d’amour, de tourments, et de toutes les folies qu’il avait vues dans ses livres. (...) Bientôt il lui vint dans l’esprit l’idée la plus étrange que jamais on ait conçue. Il s’imagina que rien ne serait plus beau, plus honorable pour lui, plus utile à sa patrie, que de ressusciter la chevalerie errante, en allant lui-même à cheval, armé comme les paladins, cherchant les aventures , redressant les torts , réparant les injustices. Le pauvre homme se voyait déjà conquérant par sa valeur l’empire de Trébisonde. Enivré de ces espérances, il résolut aussitôt de mettre la main à l’œuvre. La première chose qu’il fit, fut d’aller chercher de vieilles armes couvertes de rouille, qui depuis son bisaïeul étaient restées dans un coin. Il les nettoya, les rajusta le mieux qu’il put ; mais il vit avec chagrin qu’il lui manquait la moitié du casque. Son adresse y suppléa; il fit cette moitié de carton, et parvint à se fabriquer quelque chose qui ressemblait à un casque. A la vérité, voulant éprouver s’il était de bonne trempe, il tira son épée, et, le frappant de toute sa force, il brisa du premier coup tout son ouvrage de la semaine. Cette promptitude à se rompre ne laissa pas de lui déplaire dans un casque. Il recommença son travail, et, cette fois , ajouta par-dessus de petites bandes de fer qui le rendirent un peu plus solide. Satisfait de son invention, et ne se souciant plus d’en faire une nouvelle épreuve, il se tint pour très bien armé. Alors il fut voir son cheval, et quoique la pauvre bête ne fut qu’un squelette vivant, il lui parut plus vigoureux que le Bucéphale d’Alexandre , ou le Babiéca du Cid. Il rêva pendant quatre jours au nom qu’il lui donnerait : ce qui l’embarrassait beaucoup ; car, devant faire du bruit dans le monde, il désirait que ce nom exprimât ce qu’avait été le coursier avant sa noble destinée, et ce qu’il était devenu. Après en avoir adopté , rejeté, changé plusieurs, il se détermina pour Rossinante, nom sonore selon lui, beau, grand, significatif. II fut si content d’avoir trouvé ce nom superbe pour son cheval, qu’il résolut d’en chercher un pour lui-même; et cela lui coûta huit autres jours. Enfin il se nomma don Quichotte. Mais, se rappelant qu’Amadis ne s’était pas contenté de s’appeler seulement Amadis, et qu’il y avait joint le nom de la Gaule sa patrie, il voulut aussi s’appeler don Quichotte de la Manche,pour faire participer son pays à la gloire qu’il acquerrait. ANNEXE 6 Histoire comique des Etats et empires de la lune, Cyrano de Bergerac La lune était en son plein, le ciel était découvert, et neuf heures du soir étaient sonnées lorsque, revenant de Clamart, près de Paris (où M. de Cuigny le fils, qui en est seigneur, nous avait régalés, plusieurs de mes amis et moi), les diverses pensées que nous donna cette boule de safran nous défrayèrent sur le chemin. De sorte que les yeux noyés dans ce grand astre, tantôt l’un le prenait pour une lucarne du ciel par où l’on entrevoyait la gloire des bienheureux; tantôt un autre, persuadé des fables anciennes, s’imaginait que possible Bacchus tenait taverne là- haut au ciel, et qu’il y avait pendu pour enseigne la pleine lune; tantôt un autre assurait que c’était la platine de Diane qui dresse les rabats d’Apollon; un autre, que ce pouvait bien être le soleil lui-même, qui s’étant au soir dépouillé de ses rayons, regardait par un trou ce qu’on faisait au monde quand il n’y était pas. « et moi, leur dis-je, qui souhaite mêler mes enthousiasmes aux vôtres, je crois sans m’amuser aux imaginations pointues dont vous chatouillez le temps pour le faire marcher plus vite, que la lune est un monde comme celui-ci, à qui le nôtre sert de lune. Quelques-uns de la compagnie me régalèrent d’un grand éclat de rire. « Ainsi peut-être, leur dis-je, se moque-t-on maintenant dans la lune, de quelque autre, qui soutient que ce globe-ci est un monde. » Mais j’eus beau leur alléguer que Pythagore, Epicure, Démocrite et, de nôtre âge, Copernic et Kepler, avaient été de cette opinion, je ne les obligeai qu’à rire de plus belle. Cette pensée cependant, dont la hardiesse biaisait à mon humeur, affermie par la contradiction, se plongea si profondément chez moi, que, pendant tout le reste du chemin, je demeurai gros de mille définitions de lune, dont je ne pouvais accoucher; de sorte qu’à force d’appuyer cette croyance burlesque par des raisonnements presque sérieux, il s’en fallait peu que je n’y déférasse déjà, quand le miracle ou l’accident, la Providence, la fortune, ou peut-être ce qu’on nommera vision, fiction, chimère, ou folie si on veut, me fournit l’occasion qui m’engagea à ce discours: Étant arrivé chez moi, je montai dans mon cabinet, où je trouvai sur la table un livre ouvert que je n’y avais point mis. C’était celui de Cardan; et quoique je n’eusse pas dessin d’y lire, je tombai de la vue, comme par force, justement sur une histoire de ce philosophe, qui dit qu’étudiant un soir à la chandelle, il aperçut entrer, au travers des portes fermées, deux grands vieillards, lesquels après beaucoup d’interrogations qu’il leur fit, répondirent qu’ils étaient habitants de la lune, et, en même temps, disparurent. Je demeurai si surpris, tant de voir un livre qui s’était apporté là tout seul, que du temps et de la feuille où il s’était rencontré ouvert, que je pris toute cette enchaînure d’incidents pour une inspiration de faire connaître aux hommes que la lune est un monde. « Quoi ! disais-je en moi-même, après avoir tout aujourd’hui parlé d’une chose, un livre qui peut-être est le seul au monde où cette matière se traite si particulièrement, voler de ma bibliothèque sur ma table, devenir capable de raison, pour s’ouvrir justement à l’endroit d’une aventure si merveilleuse; entraîner mes yeux dessus, comme par force, et fournir ensuite à ma fantaisie les réflexions, et à ma volonté les desseins que je fais!..... Sans doute, continuai-je, les deux vieillards qui apparurent à ce grand homme, sont ceux-là mêmes qui ont dérangé mon livre, et qui l’ont ouvert sur cette page, pour s’épargner la peine de me faire la harangue qu’ils ont faite à Cardan. -Mais, ajoutais-je, je ne saurais m’éclaircir de ce doute, si je ne monte jusque-là ? -Et pourquoi non ? me répondais-je aussitôt. Prométhée fut bien autrefois au ciel dérober du feu. Suis-je moins hardi que lui ? Et ai-je lieu de n’en pas espérer un succès aussi favorable ? A ces boutades, qu’on nommera peut-être des accès de fièvre chaude, succéda l’espérance de faire réussir un si beau voyage: de sorte que je m’enfermai, pour en venir à bout, dans une maison de campagne assez écartée, où après avoir flatté mes rêveries de quelques moyens proportionnés à mon sujet, voici comme je me donnai au ciel. J’avais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosée, sur lesquelles le soleil dardait ses rayons si violemment, que la chaleur qui les attirait, comme elle fait les plus grosses nuées, m’éleva si haut, qu’enfin je me trouvai au-dessus de la moyenne région. Mais comme cette attraction me faisait monter avec trop de rapidité, et qu’au lieu de m’approcher de la lune, comme je prétendais, elle me paraissait plus éloignée qu’à mon partement, je cassai plusieurs de mes fioles, jusqu’à ce que je sentis que ma pesanteur surmontait l’attraction, et que je redescendais vers la terre.