Pierre Malphettes Blanc Néon
Transcription
Pierre Malphettes Blanc Néon
. Pierre Malphettes Blanc Néon Cryptoportiques, Arles Association Asphodèle espace pour l’art no. Exposition – Exhibition 08.06 – 08.09.2012 Pierre Malphettes, Blanc Néon Cryptoportiques, Arles, association Asphodèle. Contre la finalité – Against Finality www.espacepourlart.com L'association Asphodèle identifie sur le territoire de la ville d’Arles (agglomération et Camargue) des espaces susceptibles d’accueillir des œuvres d’art dites in situ et invite des artistes à y concevoir une œuvre spécifique temporaire. Directrice : Laetitia Talbot ; assistante : Aïcha Bendafi. – 0e association Asphodele identifies in the territory of Arles (burg and Camargue) spaces likely to host art works called in situ and invites artists to design a site specific temporary work. Director: Laetitia Talbot ; assistant: Aïcha Bendafi. Avec le soutien du Conseil régional Paca (Cac arts visuels). Courtesy l'artiste et galerie Kamel Mennour. Semaine n° 306 Revue hebdomadaire pour l’art contemporain. Vendredi – Friday 29.06.2012 Publié et diffusé par – published and diffused by Analogues, maison d’édition pour l’art contemporain. 67, rue du Quatre-Septembre, 13200 Arles, France. Tél. +33 (0)9 54 88 85 67 www.analogues.fr Éditeur – Editor Gwénola Ménou Graphisme – Graphic design Alt studio, Bruxelles Corrections Virginie Guiramand Traductions – Translations Simon Pleasance & Fronza Woods Photogravure – Photoengraving Terre Neuve, Arles Impression XL imprimerie, Saint-Étienne Papier – Paper Claro Silk 130 g/m2 Crédits photos – Photographic credits Laura Maria Quinonez, Pierre Malphettes 6 Une ligne, 2012, néon blanc, inox, câble électrique – white neon, stainless steel, electrical cable, 400 x 200 x 250 cm. - 6 © l’artiste pour les œuvres, l’auteur pour les textes, Analogues pour la présente édition. © the artist for the works, the author for the texts, Analogues for this edition. Sans titre, 2012, acier – steel. 6 La Fumée blanche, 2012, néon blanc – white neon, 350 x 85 x 85 cm. Abonnement annuel – Annual subscription 3 volumes, 62 € Prix unitaire – price per issue 4 € Dépôt légal juin 2012 Issn 1766-6465 Construite non pas à partir d'un médium mais en s'appuyant sur l'utilisation quasi exclusive d'un unique matériau, l'exposition Blanc Néon s'accorde invariablement à la lumière. Le néon des enseignes publicitaires, des appels tapageurs à la consommation, y est traité en parfaite opposition à sa nature première. Substituant la temporalité d'œuvres d'art, qui appellent une expérience sensible, à la fugacité des messages qui s'impriment et s'effacent subrepticement sur la rétine, Pierre Malphettes contrecarre les réflexes du regard et, à côté de nombreux autres, invente un nouveau rapport à l'objet lumineux. La vibration contre le clignotement, tel pourrait être en substance le parti pris (quoique...), mais avec l'envie de renvoyer à la géographie visuelle du monde contemporain, à l'atmosphère de nos nuits éclairées. 0e exhibition Blanc Néon/White Neon is constructed not from a medium but based on the almost exclusive use of a single material, and as such it invariably matches the light. 0e neon of advertising signs, mouth-watering summonses to consume, is treated here in a way diametrically opposed to its primary nature. In replacing the time-frame of works of art which call for a perceptible experience with the fleetingness of messages which are surreptitiously imprinted and deleted on the retina, Pierre Malphettes thwarts the eye’s reflexes and, alongside many others, invents a new relation to the light object. Vibration versus flashing, this, essentially, might be the idea (although…), but with the desire to refer to the visual geography of the contemporary world, and the atmosphere of our illuminated nights. Une ligne, 2012, néon blanc, inox, câble électrique – white neon, stainless steel, electrical cable, 400 x 200 x 250 cm. Une ligne, 2012, néon blanc, inox, câble électrique – white neon, stainless steel, electrical cable, 400 x 200 x 250 cm. Symboliquement, travailler la lumière électrique, c'est aussi penser l'éveil là où l'obscurité demeure, faire de la pénombre le germe des possibles. Le néon ne s'oppose pas à la nuit, il la rend vivante comme elle le rend brillant. Bien que fondamentalement différentes, les œuvres de Blanc Néon semblent afficher leur envie de faire de l'obscurité l'endroit privilégié de leur apparition. Comme s'il y avait là quelque chose à révéler avec plus d'acuité. Dans le théâtre des ombres, les sculptures lumineuses se dépassent et irradient le monde, elles s'attaquent à l'espace de la vie. Bien qu’il n’y ait pas là une quelconque fonction funéraire, personne ne s'étonnera vraiment de rencontrer quelques crânes humains dans l'espace semi-enterré d'un cryptoportique datant de la fin du premier siècle avant J.-C. L'imaginaire fait le travail en mettant de côté la raison historique, et les Deux Crânes, ou Le Baiser, trouvent alors dans ce contexte l'endroit d'une évidence. Un néon sur un plan ovoïde reprend le dessin esquissé de deux crânes enchevêtrés qui semblent s'embrasser. L'œuvre place la vanité comme préalable à l'exposition. Traduisant de manière allégorique la nature éphémère de la vie humaine, la vanité se dialectise ici par un baiser. Dans la pièce de Pierre Malphettes, ce qui fait la vie rejoint ce qui l'érode, la passion du temps côtoie la résignation de son manque. L'antagonisme symbolique qui s'affiche renvoie à la dualité du sentiment de vie (la fragilité, l'immortalité). Si la vanité a toujours porté une philosophie de l'instant présent, elle acquiert ici une dimension résolument romantique. Il faudrait sans doute savoir ce qu'un sujet peut entretenir de rapport intime avec un auteur pour livrer une interprétation sensible de l'œuvre, cependant on peut sans mal reconnaître dans cet enlacement osseux une forme d'universalité de l'incertitude. Les Deux Crânes, ou Le Baiser, dit le point d'équilibre sur lequel l'Homme tente d'exister, entre la toute puissance et l'insignifiance. 1 — « Le vrai artiste est une incroyable fontaine de lumière. » 2 — Voir les œuvres présentées dans le cadre de l'exposition Road Movies, au Parc Saint-Léger, Centre d'art contemporain de Pougues-les-Eaux, en 2007. 3 — Gilles Deleuze, Pourparlers 1972-1990, Les Éditions de Minuit, 2003, p. 50. Rapporté à la figure de l'artiste, ce point d'équilibre se donne à voir dans une pièce au titre évocateur : Le Doute. Un tube fluorescent d'apparence standard clignote, laissant penser à son dysfonctionnement. L'œuvre renoue avec la forme originelle de l'objet, dans une moindre mesure avec sa fonction, puisqu'en guise d'éclairage elle alterne la lumière et son contraire. Il conviendrait d'être suffisamment consciencieux, attentif et connaisseur pour pouvoir décrypter la phrase qu'elle bégaie en morse, on pourrait alors entendre, à travers la cadence visuelle qu'elle impose, la voix de Bruce Nauman : !e true artist is an amazing luminous fountain1. Œuvre ventriloque et métonymique, Le Doute, lettre après lettre, reprend l'énoncé mis en place par l'artiste américain dans une pièce de 1966. Mais la phrase, lancée dans l'espace, se cogne invariablement contre les murs voûtés, manquant de rencontrer l'interlocuteur qui pourra la lire et donc la valider. Le vrai artiste, brillant, surprenant, fructueux, celui qui engrange les qualités de l'excellence, entrevoit l'échec. Avec humour, Le Doute réenvisage la figure du démiurge étincelant et lui oppose, pour tempérer, celle du looser incompris. Trivial et défaillant, l'objet sculptural s'efface au profit d'un espace sensibilisé par la lumière blanche d'une affirmation hésitante. Pierre Malphettes n'a jamais porté une attention particulière aux médiums, on pourrait même dire qu'il organise une production qui tend à désespérer les catégories. La sculpture dessine, peint, installe, elle se contorsionne pour expérimenter, pour s'attaquer au régime de l'image, à l'environnement. L'immobilité figure l'achèvement, à l'inverse, déréguler la nature des choses permet d'engager une relation active à l'art, au monde. Le travail de l'artiste cherche alors le point de réversibilité des matériaux. Les lourdes poutres d'acier dessinent de la dentelle, le frêle tube de verre traverse la brutalité d'un cube de béton, la rugosité mate d'une plaque d'acier se mue en miroir lustré... Tout se joue dans le déplacement, contre la finalité. À défaut d'être un terme, la traversée d'un paysage est une échappée2, et La Ligne peut être considérée comme un territoire à arpenter. Se déployant dans l'espace, une ligne de lumière blanche, imparfaite, dessine des creux et des pics, elle s'avance et recule, se déplace visuellement quand le spectateur le fait physiquement. Elle fluctue et ne dit rien de ce qu'elle est. Crête autant que courbe mathématique ou rythme, elle appelle toutes les représentations dans la sienne. Sa légèreté ondoyante contredit la masse orthonormée des nécessaires pieds qui la soutiennent. Au détour de leur arborescence d'angles droits, ils font ressurgir la gravité là ou le néon l'omettait. D'emblée, ils posent la lutte du fonctionnel et du figural. Et de cette opposition naît un système, un rapport singulier qui invente une écriture. « Ce que nous appelons une “carte”, dit Gilles Deleuze, c'est un ensemble de lignes fonctionnant en même temps. (…) Il y a des lignes qui représentent quelque chose, et d'autres qui sont abstraites. Il y a des lignes dimensionnelles et d'autres directionnelles. Il y a des lignes qui, abstraites ou non, font contour, et d'autres qui ne font pas contour. Celles-là sont les plus belles.3 » Il y a des lignes qui plantent dans le sol la réalité d'un objet, il y a des lignes de lumière artificielle qui flottent dans l'air. La rencontre de ces lignes, qui font ou non contour, met en place un dialogue, crée un langage formel qui invite au mouvement et s'adresse par l'œil au corps. On pourrait presque considérer La Ligne comme une œuvre chorégraphiée tant la gestualité transparaît. En fait de ligne, c'est un tracé, alliant posture et déplacement, qui se donne à voir. Contre l'immobilité, Pierre Malphettes porte également une attention particulière aux principes d'apparition d'éléments volatils. Paradoxalement, c'est dans ce qui se résout en vapeur qu'il situe la substance de ce qui doit faire œuvre. Le brouillard, le nuage, l'arc-en-ciel, le ruissellement de l'eau, la trajectoire d'une mouche, la chute d'une feuille... sont autant de phénomènes dans lesquels il chasse l'infime moment d'un commencement. La fumée blanche se donne à voir comme une de ces origines. La sculpture dessine les volutes aériennes d'un feu électrique essoufflé, celles-ci s'entrelacent et virevoltent, répondant par la verticalité à l'horizontalité de La Ligne. Il y a quelque chose de contre-nature à figurer la fumée par le rayonnement de gaz néon en tube, mais reproduire par l'artifice un phénomène ordinaire c'est aussi tenter, avec les moyens de l'art, l'expérience de l'événement. L'artiste dénature afin de reconstruire un visible intelligible. Il synthétise (à comprendre dans tout les sens du terme), fait apparaître la possibilité de capter par les sens ce qui se joue d'essentiel dans la fragilité de moments déjà dissous. Il ne faut pas prendre le travail de Pierre Malphettes pour une démonstration, ses œuvres et ses sujets ne se situent jamais sur le même plan. Si l'artiste s'intéresse à la science, son langage reste indéfectiblement lié à l'expérience artistique. En même temps qu'il travaille aux frontières d'une mutation des médiums et des matériaux, il s'attache à déterritorialiser ses sujets afin d'accorder qualité d'œuvre aux regards curieux et poétiques qu'il porte sur le monde. Symbolically, working with electric light is also thinking about awakening precisely where darkness remains, and making the half-light the seed of possibilities. Neon is not opposed to night, it makes it alive, just as it makes it bright. Although basically different, the works of White Neon seem to display their desire to make darkness the favoured place of their appearance. As if there were something there to be revealed more keenly. In the shadow theatre, light sculptures overtake each other and irradiate the world, grappling with the space of life. Although there may be no funerary function here, no one will be really surprised to encounter one or two human skulls in the half-buried space of a cryptoporticus dating from the end of the 1st century BCE. 0e imagination does the work by putting historical reason to one side, and the Two Skulls or !e Kiss then find in this context the site of something obvious. A neon on an ovoid plane takes up the sketched drawing of two interlocked skulls which seem to be embracing one other. 0e work puts the vanitas or still life as the precondition of the exhibition. In allegorically translating the ephemeral nature of human life, the vanitas becomes dialectical, here, through a kiss. In Pierre Malphettes’ piece, what makes life links up with what erodes it, the passion of time rubs shoulders with the resignation of its lack. 0e symbolic antagonism that is displayed refers to the duality of the feeling of life (fragility, immortality). If the vanitas has always conveyed a philosophy of the present instant, it here acquires a determinedly romantic dimension. It would probably help to know what a subject can entertain by way of intimate relations with an author in order to proffer a perceptible interpretation of the work, but one can recognize, without any trouble, in this bony interlacing, a form of universal uncertainty. 0e Two Skulls and !e Kiss express the point of balance on which Man tries to exist, somewhere between allpowerfulness and insignificance. 1 — See the works presented as part of the exhibition Road Movies at the Parc Saint-Léger, Centre d’art contemporain in Pougues-les-Eaux, in 2007. 2 — Gilles Deleuze, Pourparlers 1972-1990, Les Editions de Minuit, 2003, p. 50. Related to the figure of the artist, this point of balance is presented in a piece with the evocative title of Doubt. An apparently standard fluorescent tube flashes, suggesting that it is not working properly 0e work links up with the object’s original form, and, in a lesser measure, with its function, because, in the guise of lighting, it alternates light and its opposite. It would be as well to be sufficiently conscientious, attentive and knowledgeable to be able to decipher the phrase that stammers in morse code, one might then hear, through the visual cadence that it imposes, the voice of Bruce Nauman saying: “0e true artist is an amazing luminous fountain.” As a ventriloquistic and metonymic work, Doubt, letter after letter, borrows the statement introduced by the American artist in a 1966 piece. But the phrase, launched into space, invariably collides with the vaulted walls, failing to meet the interlocutor who will be able to read and thus validate it. 0e true artist, brilliant, surprising, and productive, the one who gathers the qualities of excellence, glimpses failure. In a witty way, Doubt re-sees the figure of the glittering demiurge and contrasts it, to temper things, with that of the misunderstood loser. 0e sculptural object, trivial and defective, is deleted in favour of a place sensitized by the white light of a hesitant affirmation. Pierre Malphettes has never paid particular attention to media; we might even say that he organizes a production which tends to exasperate categories. Sculpture draws, paints, and installs, it contorts itself to experiment and grapple with the system of the image, and with the environment. Immobility portrays completion; conversely, deregulating the nature of things makes it possible to engage in an active relation to art and the world. 0e artist’s work thus seeks the point at which materials can be reversed. Heavy steel girders draw lace, a frail glass tube traverses the brutality of a concrete cube, the matt roughness of a sheet of steel turns into a glazed mirror… Everything is played out in displacement, against finality. For want of being a term, the traverse of a landscape is an outlet,1 and !e Line may be regarded as a territory to be criss-crossed. Developing in space, an imperfect line of white light draws dips and peaks, it moves forward and backward, shifts visually when the spectator does so physically. It fluctuates and says nothing about what it is. As a ridge as much as a mathematical curve or a rhythm, it summons all representations in its own. Its undulating lightness contradicts the orthonormal mass of the necessary feet supporting it. Around their arborescence of right angles, they bring out solemnity where the neon omitted it. Right away, they posit the struggle of the functional and the figural. And from this contrast comes a system, a special relation which invents a writing. “What we call a ‘map’”, says Gilles Deleuze, “ is a set of lines functioning at the same time. […] 0ere are lines which represent something, and others which are abstract. 0ere are dimensional lines and there are other directional lines. 0ere are lines which, abstract or not, make outlines , and others which do not. 0e former are the most beautiful.”2 0ere are lines which plant the reality of an object in the ground, there are lines of artificial light which float in the air. 0e meeting of these lines, which make outlines or don’t, sets up a dialogue, creates a formal language which invites movement and addresses the body through the eye. One might almost consider !e Line as a choreographed work, to such a degree does the gesturality show through. As a line, it is a layout, combining posture and displacement, which is presented. Versus immobility, Pierre Malphettes also pays special heed to the principles of appearance of volatile elements. Paradoxically, it is in what is resolved as vapour that he situates the substance of what must make a work. Fog, cloud, rainbow, trickling water, the trajectory of a fly, a falling leaf… all are phenomena in which he hunts the tiny moment of a beginning. White smoke is presented as one of these origins. Sculpture draws the aerial volutes of a weakened electric fire, these latter intertwine and whirl about, responding by verticality to the horizontality of !e Line. 0ere is something anti-natural in depicting smoke by the radiance of neon gas in a tube, but reproducing by artifice an ordinary phenomenon is also to try out, with the means of art, the experience of the event. 0e artist adulterates in order to reconstruct an intelligible visibility. He synthesizes (to be understood in every sense of the term), brings forth the possibility of capturing through the senses what is essentially played out in the fragility of already dissolved moments. Pierre Malphettes’ work is not be taken for a demonstration, his works and subjects are never situated on the same plane. If the artist is interested in science, his language remains unfailingly linked to the artistic experience. At the same time as he works on the borderlines of a mutation of media and materials, he strives to deterritorialize his subjects so as to give the quality of a work to the curious and poetic eye that he casts over the world. Deux Crânes, ou Le Baiser, 2012, acier, néon blanc, câble électrique – steel, white neon, electrical cable, 200 x 200 x 50 cm. Deux Crânes, ou Le Baiser, 2012, acier, néon blanc, câble électrique – steel, white neon, electrical cable, 200 x 200 x 50 cm. Le Doute (d’après Bruce Nauman), 2012, deux tubes fluorescents – two fluorescent tubes. La Fumée blanche, 2012, néon blanc – white neon, 350 x 85 x 85 cm. La Fumée blanche, 2012, néon blanc – white neon, 350 x 85 x 85 cm.