14 champs libresdébats - Ouvrons-la
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vendredi 9 janvier 2015 LE FIGARO 14 CHAMPS LIBRES DÉBATS émotion submerge Paris, la France, le monde. Nous savions depuis longtemps que, renaissant sans cesse de ses cendres, la barbarie était à l’œuvre. Nous avions vu des images insoutenables de cruauté et de folie. Une compassion, encore lointaine, nous avait tous emportés. La sauvagerie, cette fois, nous frappe au L’ JEAN D’ORMESSON POUR « LE FIGARO » ont dénoncé et condamné cette horreur. Il faut leur être reconnaissants. La force des terroristes, c’est qu’ils n’ont pas peur de mourir. Nous vivions tous, même les plus malheureux d’entre nous, dans une trompeuse sécurité. Nous voilà contraints au courage. L’union se fait autour des martyrs libertaires d’un journal défendant des positions qui n’étaient pas toujours les nôtres. Des journalistes sont morts pour la liberté de la presse. Ils nous laissent un exemple et une leçon. Loin de tous les lieux communs et de toutes les bassesses dont nous sommes abreuvés, nos yeux s’ouvrent soudain sous la violence du coup. Nous sommes tous des républicains et des démocrates attachés à leurs libertés. Mieux vaut rester debout dans la dignité et la liberté que vivre dans la peur et dans le renoncement. Devant la violence et la férocité, nous sommes tous des Charlie Hebdo. son passage, les rêves et les pétitions de principe. L’attentat contre Charlie Hebdo est de ce point de vue un choc planétaire. Avec Soumission, on pouvait espérer voir s’enclencher d’utiles débats autour de l’islamisation réelle ou fantasmée de la France et notamment des thèmes suivants : le financement des mouvements islamiques, le rôle de l’Arabie, du Qatar et de l’Iran, qui ont beaucoup à voir avec l’expansion de l’islam politique, le soutien direct-indirect des pays arabes, de la Chine et de la Russie, le mode d’élaboration et d’adoption de la fatwa dans une république française laïque gouvernée par des islamistes, la place de l’islam Le fait est que l’islam sous dans la future ses différentes formes, douce, Constitution modérée, radicale, avance dans le monde (sera-t-il religion d’État comme comme un train dans la pampa dans les pays musulmans ?), la probable radicalisation de ce ne sait trop comment les appeler) gouvernement islamique sous l’effet se constituer en parti politique de la crise et des revendications puissant et déterminé, et partir, contre identitaires et communautaristes tous, à l’assaut du pouvoir par la voie des chrétiens et des juifs, les droits des urnes. Et le gagner en 2022. des femmes, des enfants et des Le livre a été bien annoncé, avec minorités, la réaction de l’Union tout le suspens voulu pour provoquer européenne (exclura-t-elle la un choc de réception, pour utiliser France ?), des États-Unis et celle très une expression à la mode – on parle symbolique du Pape… Mais tel ne beaucoup ces dernières années semble pas être le cas, on préfère de choc de compétitivité, de choc regarder ailleurs et parler de de confiance, de choc de Houellebecq, de ses provocations, simplification, etc –, pendant que la de ses manies, on s’offusque, réalité, doucement mais sûrement, on applaudit, on joue l’indifférent. et parfois tragiquement, balaie tout sur Il y a comme un culte de la personnalité qui ne dit pas son nom autour de lui. Un gouvernement musulman dans un pays comme la France n’est certes pas pour demain, mais comme la chose est plausible, en tout cas des gens déterminés y travaillent sérieusement, notamment en muselant la parole par le tabou et le politiquement correct, il est bon de se préparer ne serait-ce que par le débat. Oublions donc Houellebecq, le sujet n’est pas sa personne mais l’islamisation de la France. Est-elle réelle ? On ne sait pas, le fait est que l’islam sous ses différentes formes, douce, modérée, radicale, avance dans le monde comme un train dans la pampa. L’islamisation menacet-elle la France ? On ne sait trop, le fait est que les islamistes radicaux et les djihadistes font beaucoup de dégâts dans le monde et que parmi eux les convertis français commencent à bien remplir les rangs. La France saura-elle se rénover autrement que par l’islamisation ? Sans doute, mais peutêtre est-il trop tard. C’est toujours hier que commence le futur, mais la France continue de penser que tout commence demain. Voilà les thèmes à débattre. Il faut le tenir, ce débat, pour Charlie Hebdo, qui n’a jamais hésité à parler vrai et libre, même face à la barbarie islamiste. cœur. Douze morts, peut-être plus encore. Des journalistes massacrés dans l’exercice de leur métier. Des policiers blessés et froidement assassinés. La guerre est parmi nous. Chacun de nous désormais, sur les marchés, dans les transports, au spectacle, à son travail, est un soldat désarmé. Nous avions des adversaires. Désormais, nous avons un ennemi. L’ennemi n’est pas l’islam. L’ennemi, c’est la barbarie se servant d’un islam qu’elle déshonore et trahit. Les plus hauts responsables de l’islam en France * De l’Académie française. abominable attentat islamiste qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo a occasionné à la France, et au-delà au monde, une blessure qui ne se refermera pas de sitôt. Le crime a touché ce que les Français considèrent comme leur bien le plus précieux, la liberté de parole. Ce crime va certainement relancer, et de manière très clivée, le débat sur l’islamisation de la France amorcé dans les médias au moment de la sortie du dernier opus de Michel Houellebecq. Les Français savent déjà beaucoup sur l’islam, son histoire, son contenu et les mécanismes par lesquels il assure sa formidable expansion dans un monde qui a beaucoup perdu de son âme. Les livres pour parfaire leur information ne manquent pas. J’ai moi-même apporté ma petite pierre à l’œuvre de sensibilisation et de mise en garde avec un modeste opuscule publié en 2013 sous le titre Gouverner au nom d’Allah. Le titre dit ce qu’il veut dire, à savoir que la vocation de l’islam est de convertir et de gouverner, but que les islamistes modérés cherchent à atteindre par la prédication, l’action sociale et le grignotage politique et les islamistes radicaux par la terreur et la destruction. Le vrai islam, l’islam de paix et L’écrivain algérien* réagit à l’attentat de tolérance, hélas contre « Charlie Hebdo » et regrette l’absence très silencieux, de vrais débats en France sur l’islamisme radical. aspire lui aussi L’ BOUALEM SANSAL à gouverner mais à petite échelle, dans le cercle familial, la communauté, le quartier, le clan. Le fait est là, l’islam est devenu le sujet d’inquiétude numéro un des Français, au même niveau que la crise économique, le chômage, la pollution et les impôts de François Hollande. Avec tant de sujets anxiogènes, les Français se sentent cernés, humiliés. Houellebecq avait là tous les ingrédients d’un bon roman, il s’en est saisi et il l’a écrit avec l’art macabre et poétique qu’on lui connaît. Soumission est un livre de circonstance, il dit ce qu’il veut dire. Le contexte étant ce qu’il est, il imagine les musulmans de France (ou les Français musulmans, on * Dernier ouvrage: «Gouverner au nom d’Allah. Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe,» Éditions Gallimard. Entretien PROPOS RECUEILLIS PAR DESSINS DOBRITZ ALEXANDRE DEVECCHIO JEAN-FRANÇOIS KAHN L’essayiste et fondateur de l’hebdomadaire « Marianne » appelle à poursuivre le combat pour la liberté d’expression des journalistes de « Charlie Hebdo ». LE FIGARO. – En tant que défenseur de la liberté d’expression, que vous inspire l’attentat qui a visé Charlie Hebdo ? Jean-François KAHN. - Les journalistes de Charlie Hebdo sont morts au champ d’honneur. La seule manière d’être fidèle à leur combat et de manifester réellement notre solidarité, sans rester dans l’indignation incantatoire, c’est de reprendre à notre compte cette strophe du chant des partisans que je trouve formidable : « Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place. » Si certains sont encore dans l’ombre, ils doivent en sortir pour prendre la place de ceux qui sont tombés mercredi. Il faut être clair : si nous ne sommes pas capables de prendre le risque qu’ils ont pris, alors ce n’est pas la peine de singer un deuil absolu. Il faut avoir la force de les relever au front, de continuer le combat. Et comment le continuer ? En publiant tous les dessins qu’ils ont faits pour justement combattre le fanatisme et l’intolérance. Et pourtant, je précise que je n’étais pas favorable à certaines caricatures publiées par Charlie Hebdo. Je n’aime pas la provocation gratuite, et surtout je n’aime pas le blasphème, qui est pour moi un pur enfantillage. Mais à partir du moment où on est confronté à une monstruosité mentale qui consiste à transformer toute critique d’une croyance en blasphème, je suis même prêt à assumer celui-ci. Il ne faut pas oublier que la bataille contre l’obscurantisme a été symbolisée par le combat de Voltaire pour défendre le chevalier de La Barre, décapité et jeté au bûcher, après avoir été accusé, à tort d’ailleurs, d’avoir mutilé un crucifix. Vous avez regretté que le FN ait été le premier à avoir parlé de « terrorisme islamiste ». Pourquoi ? Dans l’heure qui a suivi l’attentat, il y a eu une cataracte de réactions indignées, nécessaires mais vagues. Cette horreur, cette barbarie que l’on dénonçait, d’où venait-elle ? Il a malheureusement fallu attendre un communiqué d’un des responsables du Front national pour que les coupables, de toute évidence les terroristes islamistes, soient désignés. N’importe qui d’autre aurait pu le dire. On se doutait bien que ce n’était pas un mari jaloux qui avait tué ces douze journalistes. Ce déni du réel est terriblement contre-productif. Comment pouvons-nous nous battre si nous intériorisons la peur de désigner l’adversaire ? Les islamistes veulent nous terroriser. Or, si on accepte la moindre prudence, la moindre compromission, on intègre leur stratégie de la terreur. Il y a une montée du radicalisme islamiste. Ce n’est pas la peine de le dissimuler, de le cacher. Il faut regarder la vérité en face, et l’affronter. Comme l’ont fait courageusement les journalistes de Charlie Hebdo. Sommes-nous justement en train de payer aujourd’hui une forme de politiquement correct face à l’islamisme radical ? Ce fameux « déni du réel » dont vous parliez ? Si le déni est une dérive, l’amalgame en est une autre. Je déteste l’islamisme, mais ce n’est pas l’islam. Il faut rappeler qui sont les victimes de cette idéologie : les journalistes qui sont morts, dont quatre m’étaient très proches, les policiers abattus dans l’exercice de leurs fonctions, mais aussi, ne l’oublions pas, des centaines de milliers de musulmans un peu partout dans le monde arabe. Ces derniers se battent pour les mêmes valeurs que nous, et ce serait une folie que de les rejeter dans les bras de l’ennemi. Nous devons nous battre aussi avec eux ! Par ailleurs, il faut se méfier du réflexe de l’autoculpabilisation. S’interroger sur notre part de responsabilité, c’est faire le jeu des agresseurs. Il y a une barbarie, point final. Ceux qui défendent aujourd’hui la liberté d’expression sont parfois les mêmes qui hier réclamaient la tête d’Éric Zemmour. N’est-ce pas un peu paradoxal ? Il est évident qu’on ne peut pas plaider le droit au blasphème et en même temps considérer que certains blasphèmes doivent être soumis à toutes les répressions. Si le droit à l’opinion est aussi un droit au blasphème, c’est un droit à tous les blasphèmes. Que ces derniers horrifient la droite ou la gauche. Que pensez-vous de la polémique naissante autour de l’unité nationale ? Faut-il inviter le FN à se joindre à celle-ci ? Pour commencer, je n’ai pas compris pourquoi le PS avait dans un premier temps appelé uniquement les partis de gauche à manifester de République à Nation, comme s’il s’agissait d’une manifestation syndicale de plus. Ce drame n’appartient à personne : pas plus au Parti socialiste qu’à l’UMP. Si on considère que la réponse au défi posé par le terrorisme islamique est l’union nationale, comme beaucoup l’ont dit avec courage, alors il fallait aller jusqu’au bout et faire corps : appeler d’emblée toutes les sensibilités républicaines à se rassembler à la Concorde. Pour ce qui est du Front national, c’est un faux problème, car personne ne pourra empêcher ses représentants de se joindre au cortège s’ils le souhaitent. Mais il est vrai qu’il est compliqué pour des formations qui appellent à faire front républicain contre le FN de le convier à une manifestation pour la défense de la République. Reste à démontrer que le FN, qui n’est pas interdit, n’est pas un parti républicain. Enfin, invoquer la République dans ce cas précis ne me paraît pas forcément approprié. Dieu sait si je suis attaché à ses principes, mais il ne faut pas la mettre à toutes les sauces. On peut très bien être monarchiste et être choqué par cet attentat. C’est l’humanisme, la tolérance, la lutte contre la barbarie, contre le fanatisme et l’obscurantisme, qui sont en cause. Cela dépasse la République. ■ éclairages | 19 0123 SAMEDI 10 JANVIER 2015 « Nous ne sommes pas comme eux » Pour « Charlie » | par adria fruitos L’ POLITIQUE | CHRONIQUE par fr ançoi se fr es s oz La redoutable ambiguïté du front républicain N’ en déplaise aux prophètes de malheur pour qui « la République est morte », ce qui se passe aujourd’hui dans le pays ressemble à un cinglant démenti. Le peuple d’ordinaire chamailleur fait bloc. Il est grave, digne, ému, rassemblé, recueilli pour dire non à la barbarie, défendre la liberté d’expression, clamer : « Nous sommes tous des Charlie. » Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré, Maris, lâchement assassinés mercredi 7 janvier aux côtés de six autres innocents, pour avoir défendu par leurs dessins et leurs écrits le droit de rire de tout et la libre-pensée, sont devenus une partie de lui-même. Charlie Hebdo n’est pas mort. Comme Voltaire il survivra, car le peuple l’a fait sien. La République n’est pas morte. Elle se régénère dans les manifestations, le deuil national et l’union qui s’est imposée comme une évidence, accouchant de l’improbable scénario d’un Nicolas Sarkozy gravissant, jeudi 8 janvier, les marches de l’Elysée pour s’entretenir avec « le président Hollande ». Le patron de l’UMP, en grande vigilance sé- curitaire, est prêt à participer, dimanche 11 janvier, avec ses troupes à « une marche républicaine » qui s’annonce comme une grande vague populaire contre « la barbarie », mais, à présent que le tripartisme est installé, se pose la question du Front national. Les organisateurs ne souhaitent pas sa présence. LE SEUL BOUCLIER QUI VAILLE Marine Le Pen redoute, quant à elle, de voir accoler l’étiquette FN à celles de l’UMP et du PS, dont elle dénonce la collusion à longueur de colonnes. Si elle pouvait dire non comme le faisait son père, cela arrangerait tout le monde. Mais elle ne dit pas non, elle se revendique républicaine, elle veut en être, renvoie sur les autres la responsabilité d’une exclusion qu’elle dit « politicienne ». Et tout cela complique la nature et l’interprétation du sursaut républicain qui est en train de se produire. Dans un pays en guerre contre le terrorisme, où chaque individu, civil et militaire, est exposé à un possible tir de mitrailles, l’union nationale, habile- ment encouragée par le président de la République, est le seul bouclier qui vaille. Il n’est pas seulement le rappel de tout ce qui fonde le modèle français – liberté, égalité, fraternité, laïcité –, il est un acte de résistance, un geste de légitime défense, le peuple considéré comme un seul bloc, rempart contre la division et les peurs recherchées par les terroristes. Celui qui la fissure prend un risque. Marine Le Pen l’a compris. Elle a tout fait pour rester dans le jeu, en limitant la surenchère, en rappelant son combat contre « l’islamisme radical », mais en récusant l’amalgame avec la population musulmane, elle qui, naguère, menait une lourde charge contre les minarets. Et à présent qu’elle est exclue de la marche républicaine, elle se pose en victime en faisant le pari que l’acte barbare qui vient de se produire lui donnera raison d’avoir dénoncé plus tôt, plus haut et plus fort que les autres les dangers de l’islam radical. C’est toute l’ambiguïté de ce moment républicain : tout le monde veut en être mais pas pour la même cause. p attentat contre Charlie Hebdo, mercredi 7 janvier à Paris, et l’assassinat odieux de nos collègues, farouches défenseurs de la libre pensée, ne sont pas seulement une attaque contre la liberté de la presse et la liberté d’opinion. C’est une attaque contre les valeurs fondamentales de nos sociétés démocratiques européennes. C’était déjà la liberté de penser et d’informer qui était visée, ces derniers mois, par la décapitation d’autres journalistes, américains, européens ou de pays arabes, enlevés et tués par l’organisation Etat islamique. Quelle que soit son idéologie, le terrorisme refuse la recherche de la vérité et récuse l’indépendance d’esprit. Le terrorisme islamique, plus encore. Refusant de céder à la menace après la publication, il y a près de dix ans, des caricatures de Mahomet, le magazine Charlie Hebdo n’avait rien changé à sa culture de l’irrévérence. De même, nous, journaux européens, qui travaillons ensemble régulièrement au sein du groupe Europa, continuerons à faire vivre les valeurs de liberté et d’indépendance qui sont le fondement de notre identité et que nous partageons. Nous continuerons à informer, à enquêter, à interviewer, à éditorialiser, à publier et à dessiner sur tous les sujets qui nous paraissent légitimes, dans un esprit d’ouverture, d’enrichissement intellectuel et de débat démocratique. Nous le devons à nos lecteurs. Nous le devons à la mémoire de tous nos collègues assassinés. Nous le devons à l’Europe. Nous le devons à la démocratie. « Nous ne sommes pas comme eux », disait l’écrivain tchécoslovaque Vaclav Havel, opposant victorieux du totalitarisme devenu président. C’est notre force. p le monde, the guardian, süddeutsche zeitung, el pais, la stampa, gazeta wyborcza On a tué « Charlie », et la gauche antiraciste avec jean birnbaum Le Monde des Livres E COMMENT FAIRE FACE À LA RÉALITÉ DE L’INTÉGRISME ISLAMIQUE TOUT EN DÉNONÇANT LA HAINE DE L’ISLAM ? n 2006, dans un livre intitulé On a tué Theo Van Gogh (Flammarion), l’essayiste Ian Buruma s’interrogeait sur le massacre du cinéaste hollandais, « enfant provocateur » des années 1960, par un jeune islamiste, en plein cœur d’Amsterdam. Qualifiant cet acte de « meurtre à principes », Buruma avait sous-titré son ouvrage Enquête sur la fin de l’Europe des Lumières. Près de dix ans plus tard, le carnage qui a eu lieu dans les locaux de Charlie Hebdo, autre « enfant provocateur » de l’après-68, apparaît également comme un crime à principes, qui pourrait bien menacer de mort, en France, la gauche antiraciste. Autrefois consensuelle, sûre de ses repères, cette tradition antiraciste est en crise depuis le début des années 1990. Au lendemain de la première « affaire du foulard », en 1989, les militants qui la portent commencent à se diviser sur la question du voile islamique et de sa signification pour les femmes. « Nous sommes entrés dans une zone d’ambiguïté », prévient en 1991 le politologue Pierre-André Taguieff, soulignant que le nouveau racisme n’invoque plus l’inégalité biologique mais la différence culturelle et l’incompatibilité des mœurs. Par la suite, de controverses sur les « émeutes de banlieue » en polémiques sur l’inconscient « postcolonial » de la République, les choses se seront déjà beaucoup dégradées quand surgira le traumatisme du 11 septembre 2001. Les associations traditionnelles de la gauche antiraciste, à commencer par la Ligue des droits de l’homme, la Licra, le MRAP ou encore SOS Racisme, sont alors en proie à de violents débats autour de l’islam, d’autant plus douloureux qu’ils mettent en lumière des points aveugles au cœur de la tradition antiraciste, mais aussi féministe, de la gauche française. « Universalistes » contre « Indigènes », partisans du « droit à l’indifférence » contre militants du « droit à la différence », tout le monde se déchire, les uns accusant les autres de relativisme et de complaisance à l’égard de l’islamisme, les autres rétorquant que leurs adversaires instrumentalisent la défense des femmes pour instiller l’islamophobie. C’est à la lumière de ces batailles intestines au sein de la gauche que s’éclaire le destin de Charlie Hebdo. Comme toute la sphère antiraciste, l’hebdomadaire satirique a dû affronter un double péril : à droite, la pression du Front national et le retour de flamme de la pensée réactionnaire fragilisaient le discours antiraciste, sans cesse fustigé comme une idéologie bienpensante, « politiquement correcte », bref dangereuse ; et à gauche, donc, ce même antiracisme était de plus en plus souvent accusé de dérive islamophobe. Parce qu’il a poussé très loin sa ligne « anticléricale », et surtout parce qu’après les attentats du 11 Septembre il a tendu à concentrer sur l’intégrisme musul- man l’essentiel de ses sarcasmes, Charlie Hebdo s’est retrouvé au milieu du front. « Non, Charlie Hebdo n’est pas raciste ! », proclamaient Charb, le directeur du journal, qui vient de mourir sous les balles, et son confrère Fabrice Nicolino. Dans une tribune publiée le 21 novembre 2013 par Le Monde, ils tenaient à réaffirmer : « Nous sommes des antiracistes de toujours. » Ce texte témoignait de la violence des attaques dont le journal avait fait continuellement l’objet, de la part de toute une partie de la gauche. Etaient particulièrement visés l’ancien directeur, Philippe Val, et Caroline Fourest, longtemps chroniqueuse à Charlie. HAINE TENACE En 2012, celle-ci fut gratifiée d’un « Y’a bon award », distinction infamante attribuée par Rokhaya Diallo et ses amis des « Indivisibles », censée « couronner » une figure du racisme contemporain. La même année, à la Fête de L’Humanité, des militants sabotèrent un débat auquel la journaliste avait été conviée en scandant « Fourest, raciste, dégage ! » Mais bien au-delà, c’est tout le collectif Charlie Hebdo qui s’est attiré la haine tenace de quelques blogueurs d’extrême gauche, jusqu’à devenir l’une de leurs cibles prioritaires. En témoignent deux épisodes emblématiques : en novembre 2011, quand un cocktail Molotov mit le feu aux locaux du journal, un groupe de militants se réclamant de l’antira- cisme lança une pétition intitulée « Pour la défense de la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo ! »… Deux ans plus tard, et alors que la France commémorait les 30 ans de la Marche contre le racisme et pour l’égalité, le rappeur Nekfeu réclamait « un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo » dans la bande-annonce du film intitulé, justement, La Marche. Autant d’épisodes qui montrent l’état de division et de confusion qui est désormais celui de la conscience antiraciste. Depuis des années maintenant, les femmes et les hommes qui persistent à se dire de gauche, et pour lesquels l’antiracisme fut longtemps l’un des rares repères solides, se posent la question : quand on se réclame de l’universalisme et de l’émancipation sociale, comment faire face à la réalité de l’intégrisme islamique tout en dénonçant la haine de l’islam ? Comment lutter à la fois contre la terreur islamiste et contre l’islamophobie ? Cette question, l’hebdomadaire satirique l’a prise en charge, dans son style propre, avec courage et outrance, pour le pire et pour le meilleur. Charlie Hebdo vivant, son équipe a voulu se maintenir sur la ligne de crête, quitte à s’exposer dangereusement. Si le journal ne s’en relevait pas, alors demeurerait seulement la trace sanglante d’une espérance assassinée. p [email protected] débats | 19 0123 DIMANCHE 11 - LUNDI 12 JANVIER 2015 Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Aucune balle ne tuera la lumière par caroline fourest Un collectif composé de personnalités comme Jamel Debbouze et Rachid Taha, appelle à défendre les valeurs portées par la France collectif E t maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? On regarde la télévision, en attendant que le temps passe ? On pense à autre chose jusqu’à ce qu’on ne pense à rien ? On se lève, on se couche ? On répète encore mille fois que ces furieux n’ont rien à voir avec nous ? Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait alors ? On s’énerve, on se tait ? Nous sommes Rachid, Melissa, Ramdane, Faiza, Bernard, Alice, Mohamed, Mouna, Philippe, Mouloud, Brigitte, Mehdi et Badrou, Mustapha et d’autres. Nous sommes artiste, galeriste, entrepreneur, chômeur, vendeur, étudiant, journaliste, en galère ou en réussite. Nous sommes nous tous. Français, chrétiens ou bouddhistes, musulmans ou juifs, shintoïstes ou athées. Terrifiés. Mais prêts à la mobilisation citoyenne contre les esprits sombres. Prêts aussi à apporter de la lumière, de la beauté, de l’amour, dans un pays où tout ça n’était pas forcément évident ces derniers temps. Prêts à résister, à se battre s’il le faut, par les mots, par la pensée, par l’art, par le travail. Nous avons chacun notre destin, nés ici ou arrivés de loin, en France. Nos parents ont aidé à reconstruire notre pays. Entretenons leurs rêves. Nous savons chacun que ce pays a contribué à nous construire, qu’il a nourri nos imaginai- res, nos fantasmes, nos possibilités, nos réussites. La France, notre pays, a été le moteur, nous avons fait le reste : écrire, créer, penser, vivre. Nous défendons son esprit, nous le portons. Nous contribuons à faire vivre la France d’aujourd’hui, à créer la France de demain avec nos idées, nos envies et nos passions. Nous continuerons. Ces assassinats sont l’expression du pire. Ces morts sont les nôtres. Mais nous ne devons pas pleurer dans notre coin, nous devons unifier nos larmes pour qu’elles deviennent un flux, une force. Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Ensemble, soyons solidaires. Restons debout ! p ¶ Les signataires de ce texte sont : Elena Amalou, étudiante ; Mouloud Achour, journaliste ; Mourad Belkeddar, producteur ; Malik Bentalha, humoriste ; Mustapha Bouhayati, directeur de centre culturel ; Abdel Bounane, éditeur ; Youness Bourimech, entrepreneur ; Alice Diop, cinéaste ; Jamel Debbouze, artiste ; Ihab Djaé, étudiant ; Hana El Hjeri, vendeuse ; Faiza Guène, écrivain ; Mohamed Hamidi, cinéaste ; Karim Idir, entrepreneur ; Rabih Kayrouz, créateur de mode ; Lyna Khoudri, étudiante ; Tariq Krim, entrepreneur ; Ladj Ly, cinéaste ; Laïla Marrakchi, cinéaste ; Mourad Mazouz, restaurateur ; Mehdi Meklat, journaliste ; Mouna Mekouar, commissaire d’exposition ; Ali Mrabet, entrepreneur ; Nordine Nabili, journaliste ; Philippe Parreno, artiste ; Djamila Said, comptable ; Badroudine Said Abdallah, journaliste ; Rachid Taha, musicien ; Melissa Theuriau, journaliste ; Ramdane Touhami, entrepreneur ; Bernard Zekri-Ouddir, journaliste. Ils ont tiré sur des clowns. Ils ont tiré sur l’humour. Ils ont tiré sur des poètes. Ils ont tiré sur la beauté. Ils ont tiré sur des journalistes. Ils ont tiré sur la démocratie. Ils ont tiré sur des policiers. Ils ont tiré sur la République. Ils ont tiré sur de grands enfants. Ils ont tiré sur notre enfance. Ils ont tiré sur des blasphémateurs. Ils ont tiré sur la laïcité. Ils ont tiré sur des antiracistes. Ils ont tiré sur l’égalité. Ils ont tiré sur des Juifs. Ils ont tiré sur la fraternité. Ils ont tiré au nom de l’islam. Ils ont tiré sur l’islam. C’est le Mahomet de Cabu qui avait raison… Ces obscurantistes sont vraiment des cons. Ils ont tué nos amis, nos compatriotes, mais aucune balle ne peut tuer la lumière. Pour un qu’ils tueront, nous serons cent à renaître pour la maintenir allumée. p ¶ Caroline Fourest est essayiste et ancienne collaboratrice à « Charlie Hebdo » Nous sommes tous des charlots Réparons l’injustice faite à la jeunesse Pour convaincre les déshérités de nos cités de ne pas verser dans le terrorisme, nous devons à tout prix les aider à s’intégrer. L’action doit prendre la place du racisme et de la cupidité par luc besson M on frère, si tu savais combien j’ai mal pour toi aujourd’hui, toi et ta belle religion ainsi souillée, humiliée, montrée du doigt. Oubliés ta force, ton énergie, ton humour, ton cœur, ta fraternité. C’est injuste et l’on va ensemble réparer cette injustice. On est des millions à t’aimer et on va tous t’aider. Commençons par le commencement. Quelle est la société que l’on te propose ? Basée sur l’argent, le profit, la ségrégation, le racisme. Dans certaines banlieues, le chômage des moins de 25 ans atteint 50 %. On t’écarte pour ta couleur ou ton prénom. On te contrôle dix fois par jour, on t’entasse dans des barres d’immeubles et personne ne te représente. Qui peut vivre et s’épanouir dans de telles conditions ? On fait passer le profit avant toute chose. On coupe et vend le bois du pommier, et après, on s’étonne de ne plus avoir de fruits. Le vrai problème est là, et c’est à nous tous de le résoudre. J’en appelle aux puissants, aux grands patrons, à tous les dirigeants. Aidez cette jeu- Si chacun s’empresse aujourd’hui de clamer « Je suis Charlie », qui aura le courage demain de dessiner comme le faisaient les artistes de « Charlie Hebdo » ? par nicolas-jean brehon N ous sommes tous des Charlie ? Ah oui, vraiment ? Personne n’est Charlie. Charlie avait une audace, une irrévérence, une liberté dont j’use et abuse aujourd’hui, mais dont personne n’est à la hauteur. Car si c’était le cas, toute la presse, nationale, européenne, mondiale, devrait publier les fameuses caricatures qui, sans nul doute, ont été à l’origine de la vengeance meurtrière. Mais qui osera ? Certes, on va tous se réunir pour une minute de silence, on va tous porter notre badge « Je suis Charlie ». Le fameux soir, des textos circulaient pour mettre des bougies aux fenêtres. Même les Américains sont des Parisiens, pour l’heure, et les symboles de cette bonne conscience hypocrite, en publiant des dessins floutés. Ces gestes de compassion ne doivent pas faire illusion. Non seulement Charlie a été lâché par de nombreux politiques, en son temps, mais, demain, qui osera dire, écrire, dessiner comme ces assassinés ? Maintenant que tout le monde sait que le premier qui le fait sera buté. Un jour. Même dix ans après. Ce n’est pas faire d’amalgame que dire qu’il existe un terrorisme islamique. C’est au contraire faire le partage entre le bon grain et l’ivraie, entre les hommes de bonne volonté et l’ivresse religieuse. J’espère être des premiers. Mais j’ai peur. Peur de la terreur bien sûr, mais peur de nos faiblesses surtout. Tellement limpides à l’examen des propos convenus des officiels. « Acte terroriste », « Neutraliser les criminels », qui relèvent de la psychiatrie, ajoutent même certains. L’affaire est traitée comme s’il s’agissait d’une attaque de bijouterie ou d’un attentat dans la rue, voire d’une maladie mentale. Alors qu’il s’agit d’une explosion d’un pilier de la démocratie. Il faut voir les choses en face. Seul Philippe Val, l’ancien patron de Charlie Hebdo, a eu les mots justes sur BFM : « Il faut apprendre à ne plus parler de la même façon de tout ça. » LA TERREUR IMPOSÉE DANS NOS TÊTES Mais qui dira les mots ? Qui redessinera ? Puisque la terreur, ou pire, l’autocontrôle, s’est imposée dans nos têtes. Il y a deux façons de lire cet événement. L’intellectuelle et la déjantée. La liberté de la presse est au fronton de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Elle a été assassinée en 2015. Le 7 janvier 2015 à 11 h 28. A cette heure, des Français ont tué ce que la France de 1789 avait su créer. Les auteurs du massacre avaient sans doute d’autres lumières en tête et avaient pour ressort un sens du sacré qui fait leur folie mais aussi leur force. Face à une société qui n’en a plus. Et puis, il y a la façon Charlie. Cette tuerie a été commise par des Pieds Nickelés grotesques qui n’ont aucune idée de ce que veut dire la liberté de la presse. Grotesques – qui perdent leur carte d’identité ! d’identité ? – mais armés. Rien à faire ce matin, tiens, si on allait buter Cabu ? Une idée pour conclure : changer le nom de la rue Nicolas-Appert en rue Cabu ou en rue Charlie-Hebdo. Un nom de rue, ça conserve. p ¶ Nicolas-Jean Brehon est initiateur du parcours du Paris arabe historique, créé à la demande de l’Institut du monde arabe nesse, humiliée qui ne demande qu’à faire partie de la société. Faire du bien est le plus beau des profits. Chers puissants, vous avez des enfants ? Vous les aimez ? Que voulez-vous leur laisser ? Du pognon ? Pourquoi pas un monde plus juste ? C’est ce qui rendrait vos enfants les plus fiers de vous. On ne peut pas construire son bonheur sur le malheur des autres. Ce n’est ni chrétien, ni juif, ni musulman. C’est juste égoïste, et ça entraîne notre société et notre planète droit dans le mur. Voilà le travail que nous avons à faire dès aujourd’hui pour honorer nos morts. Et toi mon frère, tu as aussi du boulot. Comment changer cette société qu’on te propose ? En bossant, en étudiant, en prenant un crayon plutôt qu’une kalachnikov. La démocratie a ça de bien qu’elle t’offre des outils nobles pour te défendre. Prends ton destin en main, prends le pouvoir. JOUE AVEC LES RÈGLES Ça coûte 250 euros d’acheter une kalachnikov mais à peine 3 euros pour acheter un stylo, et ta réponse peut avoir mille fois plus d’impact. Prends le pouvoir et joue avec les règles. Prends le pouvoir démocratiquement, aide tous tes frères. Le terrorisme ne gagnera jamais. L’histoire est là pour le prouver. Et la belle image du martyr marche dans les deux sens. Aujourd’hui il y a mille Cabu et mille Wolinski qui viennent de naître. Prends le pouvoir, et ne laisse personne prendre le pouvoir sur toi. Sache que ces deux frères sanglants ne sont pas les tiens, et nous le savons tous. Ce n’était tout au plus que deux faibles d’esprit, abandonnés par la société puis abusés par un prédicateur qui leur a vendu l’éternité… Les prédicateurs radicaux qui font leur business et jouent de ton malheur n’ont aucune bonne intention. Ils se servent de ta religion à leur seul avantage. C’est leur business, leur petite entreprise. Demain, mon frère, nous serons plus forts, plus liés, plus solidaires. Je te le promets. Mais aujourd’hui, mon frère, je pleure avec toi. p ¶ Luc Besson est réalisateur, producteur et scénariste français. GILLES RAPAPORT Intellectuels, l’heure du réveil a sonné Trop silencieux, les chercheurs doivent redonner enfin de la voix par aurélie quentin et stéphanie vermeersch L es manifestations un peu partout en France et dans le monde montrent que des milliers de citoyens se sont endormis et réveillés meurtris par cette tentative de repousser plus loin les limites de la connerie humaine si ardemment combattue par Charlie Hebdo. Ce carnage nous interpelle au même titre que bien des êtres humains et citoyens. Mais c’est en tant qu’intellectuelles travaillant au sein du système académique français que nous réagissons aujourd’hui. Ces faits sont une gifle qui nous punit de notre disparition collective. Ils nous montrent cruellement à quel point le rôle qui devrait être le nôtre dans la société n’a pas été tenu depuis plus de dix ans, quand les caricaturistes, eux, tenaient le terrain. Nous n’avons pas su prendre notre place dans le débat public. Elle nous a simultanément été déniée par les sphères médiatique et politique ainsi que par la destruction méthodique du système d’enseignement et de recherche à travers ses réformes successives. L’URGENCE D’UNE RÉACTION L’acte de barbarie commis à la rédaction de Charlie Hebdo et certaines réactions haineuses qu’il a suscitées sont aussi le produit d’une démocratie et d’une société qui dysfonctionnent. Ils viennent s’ajouter à la longue liste de propos et d’actes nauséabonds. Ils révèlent notre incapacité à former des citoyens tolérants et convaincus de l’égalité de toutes et de tous. Notre rôle n’est pas de pointer des coupables mais bien de dire l’urgence d’une réaction collective pour comprendre comment un climat aussi délétère a pu se banaliser. Il faut reconstruire un projet de société. Les événements du 7 janvier nous rappellent que la démocratie n’est pas seulement un régime politique, c’est un défi, une lutte, un bien public qui doit être défendu. Non pas contre des ennemis fantasmés mais contre nos propres faiblesses, nos propres limites, notre ré- signation. L’abandon de certaines thématiques ou plutôt leur circonscription à des cercles académiques fermés parce que trop polémiques, trop complexes, ou nécessitant trop de temps d’explication ont contribué au développement de l’intolérance, à la simplification et à la radicalisation des opinions. C’est pourquoi nous appelons les intellectuels français et plus spécifiquement les membres de la communauté universitaire, de recherche et d’éducation à tous les niveaux à prendre leurs responsabilités pour imaginer les conditions de notre redéploiement afin de retrouver une véritable utilité sociale. Notre mission et notre engagement personnel consistent à éduquer et à réfléchir sur le monde. Réinvestissons le débat public. Mettons cette pédagogie et cette capacité d’analyse au service de la société tout entière. Réagissons et organisons-nous. Imaginons. p ¶ Aurélie Quentin est maître de conférences à l’université de Nanterre Stéphanie Vermeersch est chargée de recherche au CNRS N¡ 5624 mardi 13 janvier 2015 Page 105 1181 mots OPINIONS La dŽmocratie fran•aise et rien d'autre Les mouvements citoyens montrent que la France reste profondŽment attachŽe aux valeurs de la RŽpublique. Pourtant, m•me les moments de communion et de cŽlŽbration massifs et rapides ne suffisent pas ˆ nous rassurer pour demain. par Bernard Cohen-Hadad, PrŽsident du Think Tank Etienne Marcel L es odieux attentats commis dans les locaux de Charlie Hebdo, dans la superette Casher, les sauvages assassinats ˆ l'encontre de civils et des personnels de police, sont un choc indicible et une vŽritable peine. Et les mots pour exprimer, sans passion, ce que nous ressentons ensemble et en paix sans nous attacher ˆ la la•citŽ, lutter contre des mots, la simplification extr•me des enjeux, la disparition de la notion l'antisŽmitisme et garantir durable- d'humanisme, le conservatisme de la ment la sŽcuritŽ de tous. pensŽe et la montŽe des violences physiques font que le principe de la•citŽ, fondement de notre vivre ensemble, est devenu une peau de cha- Nous ne sommes pas arrivŽs ˆ un tel degrŽ d'obscurantisme par hasard. Depuis des annŽes une partie de notre sociŽtŽ a perdu ses rep•res. Le grin voire une caricature. La France d'espoir, quand il n'y a plus d'espoir s'appelle l'espŽrance È Žcrivait JeanFran•ois Deniau. Les premi•res pen- monde est ˆ l'envers. La notion de doit retrouver, dans son espace public, les conditions du respect par bien commun, le sentiment de l'intŽr•t gŽnŽral sont devenus sus- chacun d'une la•citŽ partagŽe, condition de l'ŽgalitŽ. sŽes sont pour les victimes et leurs familles. Dans un sursaut salutaire, pects ou brocardŽs. Les partis politiques ont leur responsabilitŽ. Le res- Le cancer de l'antisŽmitisme tous les rassemblements du weekend ont su rŽunir l'Europe, la France, pect des valeurs religieuses, philoso- difficiles ˆ venir. Ç La volontŽ une partie du monde, en un hom- phiques ou morales ont ŽtŽ discrŽditŽs. Au nom de la tolŽrance, en rŽa- mage Žmouvant, sinc•re et rŽconfor- litŽ du laisser-faire, on assiste rŽgu- tant. L'immense majoritŽ des hommes et des femmes de notre pays, quelles que soient leur origines, leur religion ou leur philosophie, quels que soient leurs engagements li•rement ˆ un effondrement de pans entiers de ce qui fait de la France une terre de paix et d'Žpanouissement. partisans ont voulu exprimer le refus Les des intŽgrismes destructeurs. leurs r•gles moyen‰geuses Une partie de notre sociŽtŽ a per- Dans la mondialisation des rŽseaux, les communautarismes dictent leurs r•gles moyen‰geuses du repli sur soi du ses rep•res Les mouvements citoyens montrent que la France reste profondŽment attachŽe aux valeurs de la RŽpublique : la libertŽ, l'EgalitŽ, la FraternitŽ et la SolidaritŽ. Pourtant, m•me les moments de communion et de cŽlŽbration massifs et rapides ne suffisent pas ˆ nous rassurer pour demain. Nous devons dŽsormais affirmer, avec force, avec vigueur, que nous ne voulons pas vivre pas vivre C'est-ˆ-dire une sociŽtŽ de progr•s. communautarismes dictent et du jugement d'un Dieu exterminateur sur la terre. Ils grippent tous les niveaux de l'espace public, national ou territorial, mais aussi la vie associative et le monde de l'entreprise. Ce qui Žtait, hier, cantonnŽ au domaine intime ou privŽ est dŽsormais exhibŽ ou revendiquŽ au nom du droit ˆ la diffŽrence et de la libertŽ. La crise Žconomique n'explique pas tout. La violence permanente des attitudes et La lutte contre l'antisŽmitisme est devenu une cause nationale. Le dire est, dŽjˆ, reconna”tre un Žchec. Umberto Ecco avait cette belle formule Ç la limite de la tolŽrance est l'intolŽrable È. Depuis des si•cles juifs et musulmans, les gens du Livre, ont su se comprendre. Comment en est-on arrivŽ lˆ ? Au moindre grippage d'une situation, dans nos villes ou en dehors de nos fronti•res, le cancer de l'antisŽmitisme ressurgit au grand jour ou de mani•re rampante. Sur nos familles, nos enfants, dans les rues, dans les Žchanges commerciaux, m•me dans la reconnaissance de ce que nous faisons pour 1 justifier promotions, mŽrites ou les Les politiques carcŽrales aussi. Tous Ensuite, nous ne lutterons pas seuls bloquer. les professionnels mettent en Žvi- contre le terrorisme, qui cherche dence que les prisons ne sont plus avant toute chose ˆ dŽtruire. C'est- l'Žcole du crime mais celle du fanatisme religieux. Au lieu de s'ouvrir, les esprits se radicalisent et se chargent de haine. Ç La libertŽ com- ˆ-dire sans renforcer urgemment les dispositifs d'informations et de renseignements avec nos partenaires europŽens. Et en multipliant nos Žchanges avec nos partenaires mon- Comment peut-on encore accepter, en France, la dŽlocalisation permanente de conflits armŽs qui nous sont Žtrangers et qui se dŽroulent tr•s loin de nous. Juifs pratiquants ou non, militants ou non, nous ne pouvons plus tolŽrer de voir remis en cause mence o• l'ignorance finit È Žcrit Victor Hugo. notre attachement ˆ notre identitŽ, Personne ne souhaite vivre dans un ˆ notre pays la France, ˆ notre reli- Etat policier. Mais quelle vie peut-on gion celle de nos p•res. L'Islam n'a jamais enseignŽ de torturer un jeune avoir, en temps de paix, dans un pays homme dans une cave, tuer des enfants ˆ la sortie d'une Žcole, sŽquestrer une famille parce qu'ils sont juifs. Ces actions visent en rŽalitŽ ˆ Žbranler nos principes dŽmocratiques et enterrer l'esprit des Lumi•res. Les rŽponses adaptŽes existent. Elles passent par le dialogue, l'Žducation, l'instruction et la connaissance. Et elles ne peuvent pas faire l'impasse de la fermetŽ et d'une soumis ˆ la loi de groupuscules terroristes ? Non, tirer sur des civils, des gendarmes ou des policiers ne va pas de soi. C'est pourquoi, il faut d'abord valoriser l'action des personnels de Police et de Gendarmerie. En terme image, de formations, en moyens matŽriels, humains et financiers. Leur permettre d'exercer pleinement leur mission c'est faire respecter diaux. Enfin, quand arr•terons-nous de crier ˆ la bavure, de souffler le chaud et le froid, ˆ l'occasion de la moindre arrestation de ceux qui bafouent nos lois et r•glements. La RŽpublique ne doit pas devenir une coquille vide. Sans la confiance en nos institutions, tout combat est perdu d'avance. Nous ne retrouverons pas notre tranquillitŽ en multipliant les lois de circonstances face ˆ ceux qui veulent nous emmener sur le chemin de la terreur, mais en affirmant avec courage le seul choix qui vaille : la dŽmocratie fran•aise. Bernard COHEN-HADAD lutte efficace contre l'insŽcuritŽ. l'ordre rŽpublicain. Ces derniers jours leur action, comme leur sacrifice, ont ŽtŽ exemplaires, on ne l'a pas assez Quelle vie dans un pays soumis ˆ dit. D'autant qu'ils ont subi, ces derniers mois, des pertes dans la dignitŽ PrŽsident du Think Tank Etienne Marcel la loi de groupuscules terroristes ? et dans une indiffŽrence quasi gŽnŽrale. par Bernard Cohen-Hadad Les politiques de sŽcuritŽ, pŽriodiquement au centre du dŽbat public, viennent de montrer leurs limites. Parution : Quotidienne Nous ne lutterons pas seuls contre le terrorisme Tous droits rŽservŽs La Tribune 2015 6E6A27758F60B90EB0110311B50DE10A7D457089056F0903CC51EFF 2 20 | les rassemblements du 11 janvier 0123 MARDI 13 JANVIER 2015 Qui est ciblé par le terrorisme ? Déjouer l’idéologie meurtrière des djihadistes impose de saisir les ressorts du fanatisme « C’est un 11-Septembre culturel » Selon le politologue Gilles Kepel, ces attaques montrent que nous sommes passés de l’ère d’Al-Qaida à celle de l’Etat islamique ENTRETIEN D eux jours après la Marche républicaine, qui a réuni plus de 4 millions de personnes en France en hommage aux victimes des attentats contre Charlie Hebdo le 7 janvier, à Paris, et en région parisienne les 8 et 9 janvier, Gilles Kepel, professeur à Sciences Po et auteur notamment de Passion française. Les voix des cités (Gallimard, 2014), analyse le sens des manifestations de solidarité organisées en France contre le terrorisme et pour la liberté d’expression, et décrypte la représentation du monde des djihadistes. Que vous inspire la marche républicaine organisée ce week-end à Paris et en France ? La marche est un sursaut vital de la société française, et de tous les peuples qui l’ont soutenue en envoyant défiler leurs dirigeants, contre un nouveau type de terrorisme djihadiste, celui de Daech [organisation Etat islamique; EI], qui s’est infiltré par les réseaux sociaux au cœur de l’Europe pour la détruire en déclenchant la guerre civile entre ses citoyens et résidents musulmans et non musulmans. Dessinateurs « blasphématoires », musulmans « apostats », policiers, juifs, sont les cibles de prédilection. La marche a senti ce défi mortel et a explicité un premier réflexe, massif, de résistance. Mais Daech a identifié précisément des clivages culturels, religieux et politiques, et s’est donné pour objectif d’en faire des lignes de faille. Et il ne faudrait pas sous-estimer le danger : une bataille a été gagnée hier, mais il reste beaucoup à faire. Comment reconstruit-on en France un pacte social après le 7 janvier ? Si une large majorité de nos concitoyens de confession musulmane sont convaincus de la nécessité du pacte républicain, d’intégration de l’islam à la culture française, de même que juifs, chrétiens ou libres-penseurs ont construit ce processus historiquement, il existe aujourd’hui un pôle d’attraction djihadiste hostile à ce pacte. Toute la difficulté est de relativiser les choses, sans amalgame, mais sans se dissimuler la réalité. Et dans ce cadre-là, l’enjeu de dire les normes sur ce que sont nos valeurs communes et ce qui est inacceptable est essentiel. C’était le grand défi des manifestations du week-end : car si la société civile ne dit ni ne fait rien, ce consensus peut s’effriter. La logique du clivage civilisationnel structure la vision du monde de Daech. Français et Européens, mais aussi les musulmans, doivent en avoir conscience, car ils sont les premiers concernés. Et le véritable débat est de savoir comment renforcer un pacte social qui identifie ce clivage comme un danger mortel et parvient à le contrer. C’est la seule manière de surmonter une situation où il faut le reconnaître, c’est l’Etat islamique et sa culture qui mènent le jeu – comme Al-Qaida le menait au soir du 11-Septembre, avant d’être vaincue quelques années plus tard. La tuerie de Charlie Hebdo, et de l’hypermarché casher de Vincennes, représente un remake culturel du 11-Septembre, selon les modes opérationnels qui sont désormais ceux de EI. Après le 11Septembre, il y a eu aux Etats-Unis une sorte de réar- LE PROBLÈME DU BLASPHÈME EST CENTRAL, SURTOUT QUAND IL PORTE SUR LA PERSONNE DU PROPHÈTE, INCARNATION DES VERTUS ISLAMIQUES FAITES HOMME mement moral au sens noble du terme : un nouveau consensus sur les valeurs, mais aussi des dérives. Il importe d’en tirer les leçons. Ce « réarmement moral » a tout de même conduit à des situations désastreuses (Irak, Guantanamo, etc.) de la part des Etats-Unis. Quel peut être le risque négatif pour notre société ? Justement, le défi, c’est d’éviter que la réponse maladroite à EI aboutisse à une polarisation de nos sociétés entre, d’un côté, la mouvance identitaire et d’extrême droite qui apparaîtrait comme le défenseur de valeurs menacées et, de l’autre côté, une prise en otage de type communautaire par des mouvements salafistes qui basculent vers le djihadisme. La morale commune, c’est d’arriver à faire vivre ensemble des gens qui ont des cultures et des références différentes, mais pour lesquelles ce qui est commun l’emporte sur ce qui est clivant. Aux Etats-Unis, on a vu que la projection de cette affaire s’est traduite par la « guerre contre la terreur ». Notre enjeu est de ne pas tomber là-dedans. L’émotion et l’horreur suscitées par le massacre de Charlie Hebdo et la prise d’otages porte de Vincennes nous empêchent d’entrer dans la logique des djihadistes. Pouvez-vous la reconstituer ? La Weltanschauung (« vision du monde ») du djihadisme de l’ère Daech, qui tire les leçons de l’échec politique d’Al-Qaida, a été formalisée dès la fin de 2004 par l’idéologue syrien Abou Moussab Al-Souri. A l’époque d’Al-Qaida, un corpus complexe, peu diffusé, faisait le lien entre action armée djihadiste et réinterprétation littéraliste des textes de l’islam. Avec Daech, on passe au domaine de la source ouverte et à la diffusion massive des manuels pour l’action sur les réseaux sociaux, avec la volonté d’inscrire celle-ci dans la lettre des textes sacrés. On l’a vu avec la persécution des yézidis d’Irak dont les hommes se sont retrouvés désignés comme des impies et massacrés ipso facto, et les femmes comme des captives (esclaves sexuelles). La protestation que cette pratique a suscitée jusque dans le monde musulman a contraint EI à recourir à l’un de ses « muftis on line » pour confectionner à partir du corpus médiéval un recueil juridique fondé sur la charia pour affirmer l’islamité de pareilles pratiques. L’attentat contre l’hebdomadaire satirique commis par Chérif et Saïd Kouachi a été revendiqué par Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) et le terroriste Amédy Coulibaly se réclamait de l’organisation Etat islamique, selon les sources. Y at-il des différences de méthode entre Al-Qaida et EI ? On est passé de l’ère Al-Qaida à l’ère Daech. Il y a une concurrence entre des individus qui se réclament des deux groupes, mais cela n’a globalement pas d’importance. La vidéo en ligne où Coulibaly justifie son action est placée par lui-même sous les auspices d’EI. On n’est plus dans l’ère d’Al-Qaida qui procédait selon une structure pyramidale, avec un état-major planifiant et finançant dans le détail des attentats lointains dont il missionnait les exécutants. Aujourd’hui, l’enjeu est l’« inspiration » en Irak ou en Syrie, voire au Yémen ou en Libye – et réinjectés dans l’espace européen. Le théoricien du djihadisme, Abou Moussab AlSouri l’avait prescrit il y a dix ans : mais ce qui l’a rendu possible aujourd’hui, c’est le développement massif des réseaux sociaux depuis lors, et des compagnies aériennes low cost qui mettent le champ de bataille djihadiste à portée de la bourse du tout-venant, via Istanbul, en Turquie. L’égorgement des pilotes syriens prisonniers, tout comme l’attaque de Charlie Hebdo, le meurtre de la policière de Montrouge ou la tuerie de l’hypermarché procèdent de la même scénographie : on y retrouve le noir de la voiture volée, la tenue blanche de Coulibaly censée le faire ressembler à un combattant de l’époque du Prophète. Dans cette mise en scène, la distinction classique faite par les oulémas entre Dar al-islam et Dar al-kufr (« territoire de l’islam » et « territoire des infidèles ») est abolie. Le monde entier devient pour EI le domaine de la guerre, Dar al-harb. Notre société, Paris, sont maintenant autant de prolongations du champ de bataille syrien… Wolinski et ses amis sont des impies pour les djihadistes. Ils ont blasphémé le Prophète. Al-Souri avait précisé, parmi les cibles à viser, les juifs – mais en dehors des synagogues – et les SILIO DURT apostats qui revêtent l’uniforme des impies. D’où les meurtres de soldats, notamment d’origine maghrébine, perpétrés à Montauban par Mohamed Merah avant qu’il s’en prenne à des écoliers juifs d’Ozar Hatorah. De même, l’assassinat délibéré du brigadier vététiste Ahmed Merabet boulevard Richard-Lenoir : terroriser tous les musulmans qui ne suivraient pas leur voie. La plupart des autorités et des pays musulmans ont condamné la tuerie. Sur quoi se fonde le radicalisme qui, selon vous, caractérise l’ère de l’Etat islamique ? Dans la logique d’EI, l’« autre » se réduit au statut d’impie ou d’apostat. L’espace de la cohabitation complexe de l’islam traditionnel avec les « religions du Livre » – le christianisme et le judaïsme, le zoroastrisme – s’est réduit dans la mentalité des djihadistes à l’affrontement contre les kuffar [« impies »] d’autant plus qu’ils proclament que les pays occidentaux sont déchristianisés et ne peuvent plus être comptés comme ressortissant des « religions du Livre ». Pour eux, soit on est musulman à leur manière, soit on mérite la mort. Leur salafisme absolu est en concurrence avec celui des Saoudiens qui vendent à l’Occident le pétrole dont celui-ci fait la base de sa puissance industrielle. Eux veulent détruire l’Occident hic et nunc. Les autorités traditionnelles de l’islam sunnite n’en imposent plus comme avant. Sont-elles en perte de vitesse et d’influence ? Dans l’islam sunnite, il y a une grande plasticité, car il n’y a pas de hiérarchie cléricale qui autorise des interprétations, contrairement à l’islam chiite. Chez les sunnites, toute personne qui peut s’autoriser d’une congrégation qui le reconnaît édicte de la norme. Et elle le fera d’autant plus facilement à l’ère de Twitter qu’elle se réfère littéralement et de manière simpliste aux injonctions des textes sacrés en 140 signes. C’est l’aboutissement paradoxal de la logique du salafisme. Là où le prédicateur Farid Benyettou agissait en 2003 dans le 19 arrondissement de Paris en réunissant des individus à la sortie de la mosquée dans un garage, aujourd’hui l’oumma est virtuelle, universelle. e La violence djihadiste n’est-elle pas aussi réactive à celle de l’Occident, aux attaques aveugles des drones, à la torture pratiquée par les Américains après le 11 septembre 2001 ? Il est certain que le discours djihadiste se nourrit des restes d’anti-impérialisme, de réactions aux interventions armées occidentales. A cet égard, il est significatif que les condamnés à mort de l’Etat islamique soient revêtus des mêmes uniformes orange que les détenus de Guantanamo. Mais, pour élargir la base de recrutement du djihad, les islamistes doivent identifier l’adversaire comme le mal absolu. Ces groupes djihadistes sont très minoritaires dans le monde musulman. Mais si ces dizaines de milliers de personnes, face à plus d’un milliard d’individus, sont endoctrinées et armées, cela devient extrêmement efficace. Beaucoup de commentateurs insistent sur les risques d’amalgame entre les islamistes et les musulmans en général. Vous dites pourtant que, sur certains sujets, la sensibilité ne peut être que différente. Pensez-vous que les islamistes de l’ère Daech puissent en profiter ? Ces groupes ont besoin de frapper des cibles qui suscitent le plus de soutien. Il est certain que les caricatures du Prophète publiées dans Charlie Hebdo ont suscité dans le monde musulman une vague de protestation. C’est un fait social et culturel. Dans l’assassinat des caricaturistes de Charlie Hebdo, nous voyons celui de la culture française contemporaine. Mais, dans le monde musulman, il est indéniable que le malaise existe : certes, on y manifeste de la compassion pour les victimes ; mais le problème du blasphème est central, surtout quand il porte sur la personne du Prophète, incarnation des vertus islamiques faites homme. Celui qui s’est montré capable d’exécuter ceux qui ont été désignés comme des blasphémateurs est donc susceptible d’attirer un courant de sympathie plus large que celui qui commet un attentat aveugle dans une gare dont les victimes sont « collatérales ». Là encore, la différence entre l’ère AlQaida et l’ère de l’Etat islamique est patente. Il faut bien voir que, dans la pensée de Moussab AlSouri, l’objectif, c’est d’ouvrir un front en Europe avec des guerres d’enclaves islamiques radicalisées qui s’identifient à leurs héros et leurs défenseurs, et face à cela une société qui surréagit. On se retrouve ainsi dans une situation où nous avons des identitaires de chaque côté, qui ont la même grammaire, mais dont le vocabulaire est différent. C’est ce qu’a assez bien vu Michel Houellebecq dans son dernier roman Soumission. p propos recueillis par gaïdz minassian et nicolas weill ¶ Gilles Kepel Politologue, professeur à Sciences Po, spécialiste de l’islam. Dernier ouvrage paru : « Passion arabe ; Journal 2011-2013 » (Gallimard 2014). N¡ 40087 jeudi 15 janvier 2015 1037 mots FRANCE ENTRETIEN. P. Christian Delorme, spŽcialiste du dialogue islamo-chrŽtien et pr•tre du Prado dans le dioc•se de Lyon (1) : Ç Nous n'avons pas ŽtŽ ˆ la hauteur du dŽfi de l'intŽgration È EngagŽ de longue date dans le dialogue islamo-chrŽtien, le P. Christian Delorme constate que les Fran•ais de confession musulmane se sont tenus ˆ l'Žcart de la manifestation nationale de dimanche. Pour lui, le fossŽ s'agrandit dans la sociŽtŽ fran•aise. Comment les ŽvŽnements de la semaine derni•re retentissent-ils chez les musulmans que vous d'antisŽmitisme. De plus en plus de juifs ont peur et pensent ˆ partir. Ce Ce sentiment de ne pas •tre aimŽ est prŽsent depuis longtemps. Jusqu'au malentendu connaissez ? tragique. Il y a, de fait, un antisŽmitisme des banlieues qui enfle. Il faut milieu des annŽes 1990, cette part de la population fran•aise se dŽfinissait judŽo-musulman est P. Christian Delorme : J'ai ŽtŽ frappŽ qu'on accepte que nous ayons des par la quasi-absence de nos conci- sensibilitŽs diffŽrentes, des solidari- toyens d'origine maghrŽbine dans le formidable rassemblement de Lyon, malgrŽ l'appel des responsables mu- tŽs diffŽrentes. Le drame israŽloarabe ne doit pas dŽchirer la sociŽtŽ sulmans. Les Žchos que j'ai eus venant de Paris sont semblables. Ma- plexitŽ de ce conflit qui n'est pas aussi schŽmatique qu'on le dit. Il y a en joritairement, la France musulmane n'a pas rejoint la manifestation. Cela Isra‘l plus de juifs qu'on le croit qui sont solidaires des Palestiniens. pose de graves questions. Plusieurs m'ont fait part de leur peur de sortir : ætes-vous inquiet ? fran•aise. Il faut montrer la com- plus comme maghrŽbine que musulmane ; l'islam Žtait peu visible, sans revendication d'identitŽ. Depuis les annŽes 1990, les courants musulmans vindicatifs, en rupture avec l'Occident, atteignent notre population maghrŽbine. Sans les courants du wahhabisme ou des Fr•res musulmans, la recherche d'une identitŽ digne ne serait pas forcŽment passŽe par l'islam. L'incomprŽhension se situe aussi sur Ç On est regardŽs de travers, on est stigmatisŽs. È Beaucoup m'ont dit aussi : Ç On ne se sent pas concer- P. C. D. : Je suis inquiet parce que le le registre culturel, et c'est le fossŽ s'approfondit dans la sociŽtŽ deuxi•me dŽfi. Nous n'avons pas per- nŽs. Cette sociŽtŽ est hypocrite. Elle fran•aise. Beaucoup de choses ont •u que les populations qui ont grandi avance en permanence des idŽaux de fraternitŽ, de dŽmocratie, or nous sommes sans cesse stigmatisŽs. On doit toujours montrer qu'on est plus rŽpublicains que les autres È, etc. ŽtŽ rŽalisŽes depuis trente ans en dans l'islam sont tr•s soucieuses de pudeur, une valeur centrale dans Il y a encore un sentiment tr•s fort Ð et c'est tr•s inquiŽtant Ð d'inŽgalitŽ de traitement en ce qui concerne les musulmans et les juifs de France. Plusieurs m'ont dit : Ç On transforme les journalistes de Charlie Hebdo en hŽros de la libertŽ mais mati•re de politique d'intŽgration, de politique de la ville, mais nous n'avons pas ŽtŽ ˆ la hauteur du dŽfi. Rattraper cela sera tr•s difficile. Je vois deux prioritŽs. La premi•re : construire en France un rŽcit national o• chacun a sa place. La France maghrŽbo-musulmane, qui reprŽsente environ 10 % de la population, doit pouvoir dire : Ç Nous l'islam. Elle fa•onne les mentalitŽs de mani•re tr•s profonde. Or l'Occident tient de son hŽritage grŽco-romain d'•tre une sociŽtŽ du dŽvoilement des corps. Beaucoup de jeunes de la troisi•me gŽnŽration ont le sentiment de vivre dans une sociŽtŽ impudique. Les dŽbats sur les caricatures du pro- DieudonnŽ est un pestifŽrŽ. On peut la passe par l'Žducation. Il faut caricaturer les musulmans et les mettre en valeur les grandes figures ph•te sont un autre point important d'incomprŽhension entre nous. Les sociŽtŽs musulmanes sont des sociŽ- chrŽtiens, on ne peut pas caricaturer les juifs. È maghrŽbines, les hŽros de l'histoire du Maghreb qui ont un lien avec la tŽs de la non-reprŽsentation, ˆ l'inverse des sociŽtŽs d'Occident. FranceÉ Les grands mŽdias ont un r™le ˆ jouer. Pour nous, les caricatures font partie de l'histoire de nos libertŽs depuis le Depuis 20 ans, je vois s'accentuer le ressentiment ˆ l'encontre des juifs, qui aboutit ˆ des actes sommes de la nation fran•aise. È Ce- XIX e si•cle. Elles ont contribuŽ ˆ la dŽfense de nos libertŽs. Les musul- 1 mans, m•me quand ils ne sont pas il y a eu un barrage. On ne peut plus pratiquants, s'identifient ˆ leur reli- en faire l'Žconomie. L'enseignement gion. Ils ont une relation fusionnelle du fait religieux, c'est justement une prise de distance critique et intelli- avec elle. Des soutiens actifs des rŽseaux terroristes soutenant les fr•res Kouachi avaient un bon niveau gente. C'est la seule mani•re de se prŽmunir contre le fanatisme reli- d'Žtude. gieux. Malheureusement, une partie Comment analysez-vous cela ? de la classe politique est analphab•te au plan religieux et habitŽe d'un fort anticlŽricalisme qui n'est pas en P. C. D. : Les connaissances ne suffisent pas ˆ dŽfinir un humanisme. Nous avons besoin de remettre au centre de l'Žducation notre culture humaniste. Voilˆ plus de trente ans qu'on dit que le fait religieux doit •tre enseignŽ ˆ l'Žcole Ð RŽgis Debray a fait un livre sur la question Ð, mais phase avec la rŽalitŽ de la sociŽtŽ. Le chantier est immense. La sociŽtŽ fran•aise est conservatrice, elle bouge difficilement. Mais quand il y a des drames, elle est capable de sur- par Chaland Christophe saut. On l'a vu ce dimanche, m•me si toute la France n'Žtait pas dans la rue. Parution : Quotidienne Tous droits rŽservŽs La Croix 2015 Diffusion : 93 668 ex. (Diff. payŽe Fr.) - © OJD DSH 2013/ 2014 1E6B07368B001A02605906F16B07A1B473959A8CE5630B30E6357EA 2 jeudi 15 janvier 2015 LE FIGARO 2 L'ÉVÉNEMENT littéraire LE CONTEXTE L’attentat contre Charlie Hebdo mercredi 7 janvier a reposé en France la question du droit à la satire et de la liberté d’expression. Un débat dans lequel Voltaire fait figure de précurseur. L’auteur du Traité sur la tolérance, actuel best-seller en librairies, s’est aussi illustré en prenant fait et cause contre les injustices de son temps. Ses biographies révèlent cependant que l’homme avait aussi ses contradictions et ses petitesses. Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire Cette formule célèbre, longtemps attribuée à Voltaire, n’a jamais été écrite ni prononcée par lui. L’Anglaise Evelyn Beatrice Hall avoua au conservateur du Musée Voltaire de Genève qu’elle en était l’auteur mais que cette phrase n’aurait jamais dû être mise entre guillemets dans la biographie qu’elle consacra à Voltaire, en 1906. Cette phrase était censée résumer la pensée de Voltaire au moment de sa prise de position dans l’affaire Helvétius, philosophe qu’il exécrait mais défendit pourtant au moment de la parution de son livre De l’esprit , violemment attaqué à l’époque. JACQUES DE SAINT VICTOR G AVROCHE avait beau dire que si le peuple français est ce qu’il est, « c’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau », le fait est que depuis les récents attentats, c’est Voltaire et non Rousseau qui triomphe. On s’arrache depuis jeudi son Traité sur la tolérance. 2015, année Voltaire ? Ce ne sera pas la première fois que le philosophe de Ferney incarne le combat contre l’obscurantisme. Un siècle avant le J’accuse de Zola, en faveur de Dreyfus, Voltaire a symbolisé le pouvoir de l’écrivain qui, par sa plume, s’est levé contre ceux qui tentaient de faire triompher les préjugés. Église catholique, monarques absolus, religion juive ou musulmane, il n’a épargné aucun pouvoir établi. La même raison qui en a fait le premier « panthéonisé » de la Révolution après Mirabeau explique pourquoi on se tourne aujourd’hui vers lui. L’islamisme radical nous replonge dans un monde qu’on aurait pu croire disparu en Occident depuis « le siècle de Voltaire ». Or, dès la révolution iranienne de 1979, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que l’esprit soit à nouveau objet d’inquisition ; que la religion l’emporte sur la liberté. La fatwa lancée par les mollahs contre Les Versets sataniques de Salman Rushdie, à la fin des années 1980, a d’abord surpris. En Europe, ce genre de « condamnations judiciaires » émanant « d’autorités » religieuses était oublié depuis les pires heures de l’Inquisition espagnole. Bien avant que Voltaire ne voie le jour. On s’interrogea. Fallait-il prendre vraiment au sérieux cette fatwa improbable en Occident ? Par peur du « choc des civilisations », beaucoup, tout en soutenant l’auteur des Versets sataniques, suggéraient de ne pas « provoquer » les islamistes. On espérait que les choses s’arrangent. Du respect des consciences à l’acceptation du pire… Car les « condamnations judiciaires » lancées par quelques autorités religieuses, ici ou ailleurs, n’ont cessé de se multiplier. Il y a eu l’interdiction de la pièce de Voltaire, Mahomet, à Genève en 1993, puis l’affaire Redecker, en 2006, où il a fallu cacher un professeur de lycée pour une tribune sur l’islam parue dans Le Figaro, et maintenant l’atroce massacre contre Charlie Hebdo, après un attentat au cocktail Molotov en novembre 2011. À cette époque, certains bons esprits étaient très loin de se déclarer « Je suis Charlie ». Un comique célèbre déclarait que « “Charlie Hebdo”, ce n’est pas mes copains » ; et certaines pétitions refusaient de s’apitoyer sur le sort du journal, en considérant qu’il participait « en publiant des dessins antimusulmans, à la confusion générale », voire « à la lepénisation des esprits ». Trop d’aveuglement, de déni... Il semble que, cette fois-ci, après le bilan macabre des tueries, une étape majeure soit franchie. Le voile se déchire sur les menaces de l’islamisme radical, et l’opinion ne veut plus céder aux intimidations univoques de certains. Dans ce contexte, Voltaire redevient une boussole. Face à l’intolérance ouverte ou larvée, celui qui préfigure « l’intellectuel » avant la lettre a fixé la route : l’ironie, la dérision, la remise en cause du sacré sont les seules réponses à tous ceux qui brandissent les foudres du « blasphème » ou de l’anathème. Plus de deux siècles après la mort de Voltaire, il n’y a plus de despotes éclairés, ni de monarques absolus, ni la Sainte Inquisition, ni, bien sûr, les totalitarismes effrayants du « court XXe siècle ». La tradition s’était prise en Occident de respecter les œuvres de l’esprit, plus ou moins raffinées, là n’est pas la question. On connaît le mot du général de Gaulle, lorsque des serviteurs zélés lui proposèrent de poursuivre Sartre après le Manifeste des 121 en faveur de l’insoumission durant la guerre d’Algérie. De Gaulle écarta cette intimidation judiciaire en affirmant : « On n’emprisonne pas Voltaire. » Mais notre société procédurière a oublié cette évidence. Et l’intolérance est de retour. Voltaire, ce « grand libérateur de l’esprit », comme disait Nietzsche, s’impose à nouveau. Plus que tout autre, il symbolise avec Zola la liberté d’opinion. C’est peut-être même son premier titre de gloire. On connaît le mot cruel de Paul Valéry : si Voltaire était mort à soixante ans, il serait à peu près oublié aujourd’hui. Il n’a ni la profondeur politique de CHRONOLOGIE 21 NOVEMBRE 1694 Naissance à Paris de François Marie Arouet, dit Voltaire. 1734 Parution des Lettres philosophiques. 1750-1753 Il s’installe à la cour de Prusse. Conseille Frédéric II. 1762 Affaire Calas. Il réside alors au château de Ferney. 1764 Affaire Sirven. Parution du Dictionnaire philosophique. 1778 Retour à Paris après vingt-huit ans d’absence. Meurt le 30 mai. 1791 Entre au Panthéon. Il est le deuxième après Mirabeau. Bibliographie express DE VOLTAIRE Autodictionnaire Voltaire, édité par André Versaille, Omnibus, 621 p., 28 €. Œuvres d’humour (contes, théâtre, textes philosophiques) de Voltaire, présenté par Clémentine Pradère-Ascione, Omnibus, 1 024 p., 26 €. Traité sur la tolérance, de Voltaire, « Folio », 143 p., 2 €. Le Fanatisme, ou Mahomet le prophète, tragédie de Voltaire, Mille et une nuits, 142 p., 3,60 €. Correspondance de Voltaire, 13 volumes dans la « Bibliothèque de la Pléiade ». Mélanges, de Voltaire, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 588 p., 50,50 €. SUR VOLTAIRE Romans et Contes, de Voltaire, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 316 p., 52 €. Voltaire, d’André Maurois, « Cahiers rouges », Grasset, 245 p., 8,75 €. Œuvres historiques, de Voltaire, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 816 p., 60,50 €. Voltaire en son temps, de René Pomeau, Fayard, 2 vol., 1920 p., 110 €. Portrait de Voltaire (1718). Copie d’après le tableau de Nicolas de Largillière. COLL. MUSÉE DU CHATEAUDEVERSAILLES/RUE DES ARCHIVES/RDA Rousseau ou de Montesquieu, ni la puissance philosophique de Kant, ni le génie romanesque de Laclos. C’est avant tout un styliste hors pair, comme en témoigne son immense correspondance qui a inspiré la plupart de nos grands écrivains, de Stendhal à Anatole France, en passant par Flaubert. Mais, à l’exception de quelques contes philosophiques, comme Candide ou Zadig, il faut bien dire qu’on le délaissait. Il n’est ni Balzac, ni Stendhal. Qui consulte encore ses hagiographies du Roi-Soleil (Le Siècle de Louis XIV) ou d’Henri IV avec son épopée en dix chants à la gloire de la tolérance (La Henriade) ? Et que dire de ses pièces de théâtre, dont il était si fier et qui sont presque toutes tombées dans l’oubli, à l’exception bien sûr de son Mahomet qui suscite un engouement biaisé. En réalité, le philosophe de Ferney a forgé sa statue de commandeur en se lançant, sur le tard, à près de soixante-dix ans, dans la défense de victimes d’erreurs judiciaires, avec l’avocat Élie de Beaumont. Il se mobilisa d’abord pour le protestant Calas, accusé par le parlement de Toulouse d’avoir assassiné son fils parce qu’il s’était converti au catholicisme. Il inondera l’Europe de courriers pour sensibiliser les grands au sort de cette famille de protestants qu’il tenait, en privé, pour des « imbéciles ». Et, miracle, cette frénésie littéraire portera ses fruits. Voltaire obtiendra de Louis XV une pension pour la veuve de Calas. Il récidivera avec Sirven, le chevalier de La Barre, le comte de Lally, etc. Courageux et clairvoyant, il deviendra le symbole du combat de la raison contre la barbarie. Et son message est d’une très grande lucidité. Ne partageant nullement l’optimisme de ses disciples comme Condorcet, il est obsédé par la fragilité du processus de civilisation. Il sait, comme il l’écrit dans ses Lettres philosophiques, que « toutes les académies de l’univers ne changeront rien à la croyance du peuple ». Et il n’a pas pour la « vile populace » beaucoup d’estime. La gauche a même longtemps eu du mal avec cet auteur qui fit l’éloge du luxe (contre la frugalité spartiate et républicaine de Rousseau) et spécula dans le trafic d’esclaves. Mais son combat pour la liberté d’opinion lui vaut d’être entièrement pardonné. Il entendait « écraser l’infâme », « Écrinf’ », comme il disait à propos des dog- piétiné Le Franc de Pompignan, le père naturel d’Olympe de Gouges. Il utilisait l’abbé Morellet pour ses croisades. « Mords-les » ! Musset a parlé du « sourire hideux » de Voltaire car le poète romantique n’appréciait pas ce ton caustique d’une star d’aujourd’hui - tout sourire sur scène et impitoyable en privé - qui a, selon lui, gâté l’esprit français, jadis plutôt franc et généreux. Et lorsqu’un étranger lance : « c’est un trait très français », notre orgueil national croit y percevoir un compliment. C’est au contraire souvent une pique contre notre légendaire mépris « voltairien ». Baudelaire écrivait dans Le Spleen de Paris : « Je m’ennuie en France car tout le monde y ressemble à Voltaire. » Tout le monde ? Peutêtre ne faudrait-il pas confondre les fils de Voltaire avec ses « bâtards » à la HoOn entend aujourd’hui mais. En 1992, par fanatisme une folie religieuse, l’écrivain John sombre et cruelle. C’est une maladie Saul faisait paraître un livre de l’esprit qui se gagne comme intitulé Les Bâla petite vérole. Les livres tards de Voltaire, dans lela communiquent beaucoup moins quel il dénonçait que les assemblées et les discours. la dictature de la VOLTAIRE, ARTICLE « FANATISME » raison en OcciDANS QUESTIONS SUR L’ENCYCLOPÉDIE, 1771. dent à travers le triomphe d’une pensée managériames. Et il le reconnaît : « Je fais la le déshumanisée. Il y voyait le fruit guerre. » Dans ces conditions, des héritiers abâtardis de la sèche qu’importe qu’il n’ait jamais proraison voltairienne. Il n’avait pas noncé la phrase fameuse laissant entièrement tort. Triste époque, croire qu’il se ferait tuer pour laisconfrontée aux derniers attentats ser à son adversaire le droit de s’exislamistes, qui nous ramène à des primer. La belle blague ! questions hélas trop simplistes. Voltaire était à l’opposé de ce Faut-il aujourd’hui se résigner à beau procédé libéral. Il était prêt à n’avoir d’autre choix que d’être les tous les mauvais tours pour pourbâtards de Voltaire ou ceux de la fendre ses adversaires. Il a persébarbarie ? ■ cuté Rousseau, humilié Fréron, LE FIGARO jeudi 15 janvier 2015 CHAMPS LIBRES IDÉES 15 $! $ ( $ # % $ $ UN CANDIDE À SA FENÊTRE. Régis Debray. Gallimard, 391 p., 21 €. CHRONIQUE Éric Zemmour [email protected] R égis Debray file un mauvais coton. Déjà, il y a quelques semaines, il avouait dans un texte bref mais saignant son incompatibilité farouche avec le libéralisme et l’économisme de la gauche au pouvoir. Il récidive en ce début d’année nouvelle avec un texte plus ample, plus charnu, chroniques jetées dans un savant désordre, qui lui permettent de revenir, au gré de l’actualité, de ses voyages, ou de ses lectures, sur la France qui s’affaisse et s’efface dans un monde qui le hérisse. Jeune homme, il fut un héros de Stendhal, ou plutôt d’Alejo Carpentier, fringant révolutionnaire rêvant de renverser l’ordre établi ; il vieillit en personnage de Flaubert, revenu de tout et surtout de ses illusions romantiques, regrettant moins ce qu’il avait fait que ce qu’il n’avait pas fait, rencontrer ses contemporains les plus brillants par exemple, de Pompidou à Malraux, en passant par Romain Gary ou Jean Giono, pour des mauvaises raisons, c’est-à-dire pour de trop bonnes, croyait alors le jeune homme dogmatique et un brin sectaire qu’il était : « Quand je fais la liste, et elle est longue, des personnes que je ne me pardonne pas de n’avoir pas voulu côtoyer, interroger, fréquenter – idéologie oblige -, je m’entends dire, in petto, que j’aurai été, le plus clair de ma vie, un sacré con. » Le jeune con a grandi, mûri, compris. L’échec des révolutions exotiques l’a ramené à la France. Une France qu’il aime à l’ancienne, comme on ne sait plus : de la Réaction les maîtres à penser de la gauche divine : « Conseil aux apprentis Spartacus : commencez par vous tenir sous la couette. Gardez-vous pour vos vieux jours. Faites-vous d’abord titulariser. Voyez comment Sartre, Foucault, Bourdieu, Blanchot et tant d’autres phares de l’intelligence sont venus à l’extrême gauche comme au démon de midi. Pour rattraper le temps perdu, ils ont mis les bouchées doubles. » Il ose brocarder l’exploitation à outrance de l’image de Mandela, « remarquable chef terroriste, devenu sur le tard grand-papa gâteau », à la fois par les dirigeants occidentaux Debray lit les anciens, se délecte (« destin final de ce grand Noir à la redes plus sulfureux, reconnaît traite : laver plus la prescience prophétique blanc les vilains ped’un Arnold Toynbee sur la révolte du tits Blancs du premonde »), « panislamisme » ou le génie littéraire des mier autant que par la cavieilles canailles Morand et Chardonne marilla noire au pouvoir en Afrique du Sud (« maffia de malandrins, avec ses on assiste en Europe même où se dire cibidonvilles à vau-l’eau et ses mineurs sutoyen commence à faire vieux jeu ?... » Et rexploités »). Il ne lâche pas ses cibles puis, quelques pages plus loin : « Les habituelles, « le journalisme épiscoFrères musulmans vont bientôt mettre pal », qui passe son temps à prêcher plus l’intelligentsia occidentale devant la qu’à informer, et l’avilissement du pou“réalité rugueuse à étreindre” (Hegel), voir sous Sarkozy, « la République en mais, en attendant, notre petit monde marcel », offrant et désacralisant son s’en donne à cœur joie dans Shéhérazade corps de roi dans la souffrance du sportif et le tapis volant. Il devra bien toucher en maillot. terre un jour. » Bien sûr, Debray ne renie pas tout ce C’est dans les vieux pots qu’on fait les qu’il a aimé ; ne brûle pas tous ses vaismeilleures soupes. Debray lit les anseaux. Il a encore des amis dans la liciens, se délecte des plus sulfureux, regne, qui le rattrapent par la manche connaît la prescience prophétique d’un dans le « camp du bien », vivants comArnold Toynbee sur la révolte du « pame Christiane Taubira ou défunts comnislamisme » ou le génie littéraire des me Jorge Semprun. Sa sincérité n’est vieilles canailles Morand et Chardonne : nullement en cause, mais ses dilections « très goûteux et très dégoûtant… le maintenues paraissent désormais sauculot, le sans-gêne des deux moralistes grenues, comme des queues de comète joyeusement immoraux… ». Il brocarde d’une planète disparue. L’ancien révomême avec des audaces de fieffé hussard « Pour aimer la France, disait Simone Weil, il faut sentir qu’elle a un passé. » Debray a fait le chemin inverse de nos éminences bien pensantes qui ont fini, à force de bons sentiments, par ramener en France des révolutions exotiques. « Et si la condition libanaise était la condition humaine de demain chauffée à blanc ? (…) Et si ce qu’on avait cru derrière nous était en réalité devant : le clan, le fief, la famille ? Et si la tribu était la glissade du post-moderne ? La glissade de l’État-nation à l’ethnie, de la citoyenneté à la communauté, n’est-ce pas ce à quoi lutionnaire est devenu depuis longtemps une des plus hautes et brillantes figures de réac magnifique. Il en a les convictions, la culture, le style, et même ce brin d’aigreur d’atrabilaire qui couronne le tout. Mais il ne l’assumera jamais tout à fait. C’est sa coquetterie, son clin d’œil à sa jeunesse. Son goût ultime pour les compromis, venu au radical-socialisme sur le tard. Il a encore des prudences matoises de jeune ambitieux qui craint la puissance de feu du qu’en dira-t-on médiatique : « Entre le nouveau matriarcat d’Occident et la remontée du pouvoir mâle à l’Orient (pas un ministre femme dans le gouvernement du Hamas), celui ou celle qui rêve de marier l’Occident à l’Orient ne peut s’empêcher de rêver à un point d’équilibre… une transaction sur le fil… Incorrect. Changeons de sujet. » On a envie de lui murmurer à l’oreille : cher Régis, ce point d’équilibre a existé ; il s’appelait le patriarcat d’Occident. Patriarcat hérité de Rome, mais adouci, féminisé, par le christianisme. Autorité du père, mais sans enfermement des femmes, avec monogamie et égalité des héritages. Mais ce patriarcat mesuré a été saccagé et est désormais objet d’opprobre. Mais comme dirait Debray : incorrect. Changeons de sujet. Un véritable écrivain écrit toujours le même livre et jamais le même. Un candide à sa fenêtre est une nouvelle pierre dans son superbe chemin de Damas. Régis Debray est trop lucide pour ne pas voir que la gauche est morte, et plus profondément que le monde accouché par les progressistes depuis deux siècles est cul par-dessus tête ; mais il se croit trop vieux pour assumer les nouveaux affrontements à venir, qui lui feraient coudoyer d’anciens ennemis héréditaires. Il reste ainsi entre deux eaux, immobile sur son gué, spectateur désengagé. ■ ' !& TÊTE À TÊTE Charles Jaigu [email protected] C et homme a l’œil rieur, même si les temps sont endeuillés. Ces jours-ci, il court de médias en médias en costume cravate. Car il est de ces musulmans des lumières qu’on s’arrache entre le Flore et le Café de la Paix. À lui seul un condensé de cet islam de France qui reste pour l’essentiel un islam en chambre. Il a publié récemment un gros livre intitulé L’Érotisme arabe, où il affirme que les préliminaires ont été inventés en terre musulmane. On est d’emblée bien prédisposé à son égard. Même si cet Islam de Shéhérazade n’existe pour le moment que dans les rêves iconoclastes des trop peu nombreux lecteurs d’Averroès. Malek Chebel est né en 1953, dans une Algérie encore française. Il a été élevé par les instituteurs. « Ma vraie religion, c’est l’école républicaine », nous dit-il. Chebel n’est pas un croyant fervent. « Je garde mon libre arbitre », nous confie-t-il. Il fait partie de ces personnalités qui ont grandi au croisement de l’islam et des lumières. D’autres sont sortis de ce moule hybride, à la jointure de la présence française et des premières indépendances. Nous les avons croisés dans cette chronique : le Séné- galais Souleymane Bachir Diagne, remarquable philosophe, qui démontre texte à l’appui que le Coran n’est pas un système clos, ou Faouzia Charfi, qui enseigne la physique théorique en Tunisie et a participé au premier gouvernement de la révolution dite « de jasmin ». Elle nous avait annoncé avec courage la résistible ascension des fondamentalistes dans son pays. Malek Chebel, lui, a d’abord étudié en arabe à l’université de Constantine, puis il s’est transporté à Paris. « Je suis un francophone accidentel et un arabophone contrarié », résume-til. Il a étudié la psychanalyse avec Jean Laplanche – grand ponte du freudisme – et multiplié les thèses, jonglant avec les « ismes » et les sciences humaines. Non sans parfois verser dans un sabir analytique compris de lui seul. Mais, depuis quinze ans, il est avant tout laïque de combat. En 2004, lors du débat sur le voile, il militait pour cette loi, affirmant « entre le voile et l’école, je préfère l’école ». « Je n’ai jamais cherché à occuper une place à l’intérieur de l’islam : ce qui m’intéresse, c’est la marche des idées. Je suis avant tout un militant fou de la raison », nous annonce-t-il. Un fou de la raison en accepte les excès, et cette passion française pour le blasphème – rage rentrée à l’égard d’une institution ecclésiastique dont on ne se souvient plus aujourd’hui combien elle pesait sur tous les aspects de la vie. « Je défends le droit au blasphème en France, je n’en parle pas dans les pays musulmans, ce n’est pas la peine de créer de désordres inutiles », re- F. BOUCHON/LE FIGARO veut Chebel « fendre la mer gelée en nous » et entreprendre « la déconstruction de l’être-arabe ». Car un pays qui « n’accepte pas la transgression ne peut pas évoluer » connaît-il. Un propos roué, qui montre une partie de son embarras. « La liberté d’expression est absolue, mais cela n’exclut pas le talent qui trouve le moyen de provoquer sans heurter », nuance Chebel. Est-ce à dire que le talent suppose une dose d’autocensure ? Chebel s’en tire par une habile pirouette : « On s’autocensure tout le temps ! Regardez la psychanalyse, elle nous montre qu’il n’y a pas de civilisation sans censure, sans refoulement de nos désirs. » C’est vrai, mais en France le blasphème est consubstantiel à la liberté d’expression. Ainsi, pour illustrer la définition du mot, Le Petit Robert, vénérable institution de la langue française, cite cette phrase de Renan : « Le blasphème des grands esprits est plus agréable à Dieu que la prière intéressée de l’homme vulgaire. » Chebel, lui aussi irrévérencieux, s’en accommode : n’a-t-il pas été l’un des premiers à soutenir le philosophe Robert Redeker qui a fait l’objet d’une quasi-fatwa pour une tribune publiée en 2006 dans Le Figaro ? Reste que la solitude du musulman voltairien est grande. Pour qu’un islam de France émerge, il faudrait que ceux qui le représentent osent pointer du doigt les intégristes de leur camp. « Les imams sont ainsi car ils n’ont pas confiance en eux. Et cette confiance leur manque car ils n’ont pas de légitimité. C’est pour cette raison que je me bats pour faire émerger une autorité démocratiquement élue, comme le consistoire juif. C’est l’élection qui donne le charisme », avance Chebel. Une idée à laquelle s’était attelé Nicolas Sarkozy, en 2003. Pour finalement échouer. « J’ai suivi de près la grande épopée des ministres de l’Intérieur, depuis Joxe jusqu’à Sarkozy, se souvient-il, elle s’est fracassée sur la communauté musulmane ! » Il y a quelques années, il a publié une traduction du Coran, « un travail de dix ans ». Depuis, ses propos sont mieux acceptés dans les milieux religieux. L’Arabie saoudite l’a même très officiellement invité à un pèlerinage à La Mecque. « Je suis traduit en quinze langues, j’ai de l’influence partout, y compris dans les pays arabes », fanfaronne-t-il gentiment, en ajoutant que « les jeunes filles viennent me baiser la main pour me remercier de ce que je dis sur la femme musulmane ». C’est en effet la spécialité de Chebel. Il l’aborde dans un livre intitulé L’In- conscient de l’islam, où il traite en érudit de la structure du harem. Son grand-père était bigame. Son père ne l’était déjà plus. Mais il se souvient d’avoir été, jeune homme, entouré d’une noria féminine le comblant d’affection. Il évoque avec émotion « toutes ces poitrines de femmes, leur chair, leur peau, leur tendresse ». Selon lui, cette hypervalorisation du garçon est la cause du machisme pathologique de l’homme et de la femme arabes. La société patriarcale européenne, aujourd’hui démantelée, était en effet du jus de chaussette face au modèle musulman, beaucoup plus épicé. Citons ce passage surprenant : « Tout-puissant, le petit enfant arabe ? Tous les indices le laissent entendre, à commencer par la valorisation excessive de son pénis, tantôt embrassé, mordu, titillé, sucé, caressé, ou happé par l’amour incandescent des femmes » ! Chebel nous regarde, rieur, et nous confirme que cela faisait partie des mœurs. On comprend qu’il ne reste après tout ça que l’illusion d’une « toute-puissance masculine », une « addiction au paradis de l’enfance, et une immaturité affective ». L’histoire ne dit pas si les djihadistes ont, d’une façon ou d’une autre, été imprégnés de ce machisme-là. Peu orthodoxe, cette psychanalyse du mâle musulman a pour ambition de rompre avec le « harem mental » qui cadenasse, selon l’auteur, « l’inconscient culturel de l’islam ». Chebel veut « fendre la mer gelée en nous » et entreprendre « la déconstruction de l’être-arabe ». Car un pays qui « n’accepte pas la transgression ne peut pas évoluer ». Rien de moins. Un milliard huit cents millions de musulmans à transformer du tout au tout. Les révolutions arabes ont mis en mouvement quelque chose. Il a une chance : à Tunis et au Caire, certains l’écoutent. ■ L’INCONSCIENT DE L’ISLAM Malek Chebel CNRS Éditions, 120 p., 15,90 euros. "$% ! " $! ! % ( 4 | france 0123 JEUDI 15 JANVIER 2015 Pourquoi un Patriot Act à la française est impossible Une bonne partie de la sécurité de la France ne dépend plus de Paris mais de Bruxelles Q uelques heures, à peine, après la tuerie perpétrée, mercredi 7 janvier, dans les locaux de Charlie Hebdo, le mot « Patriot act » apparaissait déjà dans les échanges informels entre certains conseillers présidentiels et ministériels sur les conséquences politiques d’une telle violence pour le pays. Cette loi, votée aux Etats-Unis, dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, donnait, notamment, tout pouvoir au monde du renseignement face au judiciaire. Le deuxième pilier du « Patriot act » consistait à réviser en profondeur le contrôle des frontières de manière à empêcher la menace de rentrer sur le sol américain. Quatre jours après le dénouement d’une crise qui a fait vingt morts (dont les trois terroristes), Manuel Valls a livré, mardi 13 janvier, devant les députés, une première réponse visant à mieux protéger le pays du terrorisme. Son intervention a montré que la France n’était pas en mesure de dupliquer une forme de « Patriot act » à l’américaine car une bonne partie de sa sécurité ne dépend plus de Paris mais de Bruxelles et de ses partenaires occidentaux. M. Valls a ainsi prié, avec insistance, les parlementaires européens d’adopter le système sur les échanges de données des passagers européens dit « PNR » (Passenger name record). « J’appelle solennellement le Parlement européen à prendre enfin toute la mesure de ces enjeux, et à voter, comme nous le lui demandons depuis deux ans, avec l’ensemble des gouvernements, ce dispositif qui est indispensable », a-t-il lancé avant d’en souligner l’urgence, « nous ne pouvons plus perdre de temps ». « Droits fondamentaux » Fin novembre, le Parlement européen a gelé l’accord conclu avec le Canada dans l’attente d’un avis de la justice européenne, montrant ainsi sa défiance envers cet instrument réclamé pour lutter contre les djihadistes. Il a été accepté, sous conditions, en 2012, avec les Etats-Unis. Les données « PNR » comportent des informations sur les passagers aériens, noms, dates et itinéraire du voyage, adresses, numéros de téléphone, moyens de paiement, numéro de carte de crédit et de siège ainsi que des éléments sur les bagages. La commission des libertés civiles, de la justice et des affaires in- LES CHIFFRES 30 voix contre le « PNR » En avril 2013, au sein de la commission des libertés civiles du Parlement européen, la proposition de création d’un fichier commun des données des passagers aériens (PNR, pour « passenger name record »), présentée en 2011 par la Commission européenne, a reçu 30 voix contre et 25 pour. 500 000 inscrits sur la « no fly list » Un demi-million de personnes du monde entier sont inscrites par les autorités américaines sur la liste d’interdiction de séjour sur le sol américain, appelée la « no fly list ». une lutte plus efficace contre le terrorisme aurait dû mentionner la question centrale du renseignement. Le silence du premier ministre illustre la situation de porte-àfaux dans lequel se trouvent les Etats-membres. Si le président du conseil italien Matteo Renzi a souhaité, vendredi 9 janvier, la « création d’une agence européenne du renseignement », ses partenaires ne veulent pas en entendre parler. Ils ont fait inscrire, en 2007, dans le Traité de Lisbonne, que cette matière relevait de la stricte souveraineté nationale. térieures du Parlement européen a expliqué, le 21 février 2014, les raisons de cette méfiance dans son rapport d’enquête sur « l’incidence des programmes de surveillance de la NSA et des Etats membres sur les droits fondamentaux des citoyens européens ». Selon elle, « les mesures de sécurité, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, doivent s’inscrire dans l’Etat de droit et respecter les obligations en matière de droits de l’homme, y compris celles qui ont trait à la vie privée et à la protection des données ». Les traités relatifs aux transferts de données personnelles ou financières européennes vers les Etats-Unis sont jugés « dépassés » par la commission. « Le cadre juridique des Etats-Unis en matière de protection des données, dit-elle, ne garantit pas à un niveau adéquat les citoyens de l’Union européenne ». Pour cette commission, souvent en pointe sur le terrain des libertés, les quinze dernières années d’antiterrorisme ont vu surgir des « programmes de surveillance [qui] constituent une nouvelle étape vers la mise en place d’un Etat ultra-préventif s’éloignant du modèle du droit pénal en vigueur dans les sociétés démocratiques ». Pour les rapporteurs de l’enquête, « un mélange d’activités de répression et de renseignement avec des garanties juridiques floues et affaiblies allant bien souvent à l’encontre des freins et contrepoids démocratiques se substitue à la loi ». De dépit, M. Valls a annoncé que la France lancerait son propre système « PNR » en septembre avant d’appeler aussi l’Europe « à une plus forte contribution aux opéra- « Schengen est une affaire européenne, ce n’est pas un problème, c’est la solution » GILLES DE KERCHOVE coordinateur européen de la lutte antiterroriste tions militaires menées par la France contre le djihadisme au Sahel ». Interrogé par Le Monde, Gilles de Kerchove, coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, a soutenu la demande de M. Valls sur le « PNR » mais rappelé que « l’Europe fait déjà beaucoup pour le Sahel avec des centai- nes de millions d’euros pour le développement » qui ont un impact sur la sécurité des pays en les stabilisant. Bruxelles dépense aussi, dit-il, « des dizaines de millions d’euros pour soutenir les polices et les armées régionales ». Enfin, si le Premier ministre ne l’a pas évoqué directement, le contrôle des entrées et sorties dans l’espace Schengen, au sein duquel 26 Etats européens ont déclaré la totale liberté de circulation, soustend le débat. Paris reproche aux frontières extérieures d’être poreuses. « Schengen est une affaire européenne, ce n’est pas un problème, c’est la solution, répond M. de Kerchove. C’est le cadre dans lequel on doit bâtir cette sécurité européenne en harmonisant tout d’abord les indicateurs de risque. » Pour être complète, la liste de M. Valls des moyens nécessaires à « Renforcer l’existant » Interrogé par Le Monde, Jean-Paul Laborde, directeur du Comité contre le terrorisme au Conseil de sécurité des Nations unies, constate également que « les Etats ont chacun leurs méthodes et privilégient la coopération bilatérale » en matière de renseignement. Ce qui compte, ajoute-t-il, « c’est qu’ils mettent cette menace au premier rang de leur travail national de renseignement. Ne serait-il donc pas plus judicieux, si cela est nécessaire, de renforcer les structures existantes plutôt que d’en créer de nouvelles et d’ajuster leurs méthodes de travail aux menaces actuelles. (…) Personne n’a le monopole de la lutte contre le terrorisme, mais tout le monde doit faire face à ses responsabilités ». p jacques follorou et franck johannès « L’islam doit s’imprégner de la réalité de la société » Le socialiste Julien Dray regrette qu’une partie de la population des quartiers ne soit pas descendue dans la rue dimanche ENTRETIEN J ulien Dray, vice-président PS du conseil régional d’Ile-deFrance et proche de François Hollande, appelle la gauche à mener une « bataille idéologique » pour promouvoir les valeurs républicaines. Vous avez fondé SOS-Racisme et organisé beaucoup de manifestations. Qu’est ce qui était différent dimanche ? Ce qui est fort, c’est que ceux qui doutaient de la France républicaine capable de se mobiliser, ceux qui, commercialement ou intellectuellement, menaient le débat politique sur le déclin, ont eu une réponse qui dépassait les espérances. Le monde a été surpris de la façon dont la France s’est ressaisie. Avez-vous trouvé le cortège représentatif de la société ? C’est difficile d’avoir une vision globale. D’abord une remarque : on a tellement décrié les jeunes, soi-disant peu intéressés par la chose publique. Et là d’un coup, on a retrouvé la jeunesse que j’aime, mobilisée, concernée, fraternelle. L’avenir du pays se joue là. En revanche, on n’a pas vu dans la manifestation l’ampleur de la diversité de la société. J’ai le sentiment qu’il y a des gens qui, au dernier moment, n’ont pas franchi le pas en allant jusqu’au bout de leur dénonciation et en descendant dans la rue. Ceux qui dans les dernières heures ont fait campagne sur le thème « Nous ne sommes pas Charlie » ont pesé sur cette hésitation. Il faut qu’on combatte pied à pied les arguments qui ont creusé cette hésitation. Quels sont-ils selon vous ? Il y a deux personnes qui ont dit ça en premier : Jean-Marie Le Pen et Tariq Ramadan. Le premier n’avait de toute façon pas sa place dans cette manifestation. Le second a donné le sentiment à un certain nombre de familles, dans les cités notamment, qu’elles ne devaient pas se mélanger, qu’elles ne devaient pas être là. On a vu cette argumentation sur Internet puis dans certaines classes : « Ils nous ont provoqués » ; « Ils ont caricaturé notre Prophète » ; ou, plus grave encore : « Puisqu’ils font les caricatures, on a le droit de faire nos quenelles. » Là, il y a une bataille idéologique qui doit se mener. Sans ultimatum mais sans complaisance. La gauche a-t-elle les armes pour mener ce débat ? Nous avons un joyau qui s’appelle la laïcité. La laïcité, c’est la séparation de la sphère publique et de la sphère privée, et la volonté que la religion reste dans la seconde. Mais la République discute avec les cultes et ne peut pas les ignorer. Quand une religion comme l’islam apparaît comme une composante majeure de la République, elle doit s’imprégner de la réalité de la société française. Il y a un dialogue respectueux mais nécessaire pour moderniser et faire évoluer cette religion. Si l’islam reste dans une théologie du prosélytisme dans un monde qui ne peut pas le supporter, il y aura conflit. Ce n’est pas faire injure à l’islam ou la désigner à la vindicte populaire que de lui demander de mener ces débats nécessaires. On a aussi beaucoup entendu « la crainte de l’amalgame »… Il y a besoin de lever l’ambiguïté qui se crée autour de cette formule. Evidemment, il ne faut pas d’amalgame, ni d’injonction à l’égard des uns plus que des autres. Nous sommes tous les égaux les uns des autres. Mais il ne faut pas non plus que la notion d’amalgame soit un prétexte pour rester à part et ne pas se mé- langer. Attention à l’argumentaire spontanément victimaire. Le dialogue n’a pas été suffisant avec cette partie de la société ? On pourra avoir tous les systèmes de répression mais si on veut éradiquer cette violence djihadiste, on a besoin d’une société totalement mobilisée. Une part importante de la bataille se joue dans un certain nombre de cités. Il faut éviter les mots qui blessent et qui empêchent la discussion, servant d’alibis pour ne pas répondre aux questions posées. Mais il faut dire la vérité. Il y a par exemple un antisémitisme nouveau qui existe. Et ceux qui ont expliqué qu’ils ne venaient pas dimanche à cause de la présence de Benyamin Nétanyahou en tête de la manifestation, ont oublié qu’il y avait au même moment Mahmoud Abbas. Ils étaient plus palestiniens que les Palestiniens eux-mêmes. En ce sens, quelle belle leçon ont donné nos amis kurdes en descendant dans la rue, malgré la présence du premier ministre turc. Quelles réponses la gauche peut-elle apporter dans les quartiers ? On est confronté à une crise sociale qui a généré une ghettoïsation et des discriminations qui sont autant de blessures qui ne se cicatriseront pas d’un coup de baguette magique. Il faut bien cibler les personnages-clés. Il y a les mères, qui restent des personnages centraux et à qui nous n’avons pas assez parlé ces dernières années, il y a les professeurs et les travailleurs associatifs. On a abandonné le tissu associatif en lui appliquant une logique comptable. Travailleurs sociaux et enseignants, sont les héros de notre temps. Ils n’ont pas besoin de mots. Ils ont besoin de moyens. p propos recueillis par nicolas chapuis vendredi 16 janvier 2015 Page 2 1876 mots FRANCE Ç L'Žcole ne peut pas rŽsoudre tous les probl•mes de la sociŽtŽ È Se sentant mis en cause, ayant le sentiment que leurs Žl•ves ont ŽtŽ pointŽs du doigt, des professeurs racontent dŽbats et contestations Tous les enseignants se souviennent de ce qu'ils faisaient, jeudi 8 janvier ˆ midi, vingt-quatre heures apr•s vent, mais pas uniquement. Dans un lycŽe parisien, on a vu des Žl•ves porter un badge Ç Je suis Sa•d È. l'attentat contre Charlie Hebdo. Dans sa classe de coll•ge ˆ Montreuil (Seine-Saint-Denis), Benjamin Marol a Žcrit quelques mots au tableau : Ç Les offenses commises vis-ˆ-vis des contre heures apr•s Charlie Hebdo, l'institution Žtait mise en accusation. Ç Comment avons-nous pu laisser nos Žl•ves devenir des assassins ? È, s'interrogeaient quatre professeurs les enseignants qui les relatent. Quelques minutes avant midi, Isa- d'Aubervilliers dans Le Monde datŽ premier si•cle de notre •re. " Pour moi, •a correspondait bien au dessin de vert les grilles de l'Žtablissement. " Tignous : celui o• Dieu dit ˆ un djiha- Je voulais que cette minute de silence diste : ÒAllah est assez grand pour dŽ- soit sinc•re, ŽclairŽe et solennelle, fendre Mahomet tout seulÓ ", explique l'enseignant.Le dessinateur Tignous, explique-t-elle. phrase de Tacite, historien romain du quelques l'attentat Tous les souvenirs ne sont pas aussi durs. Certains bouleversent encore belle Lagadec, la proviseure du lycŽe professionnel Jean-Moulin de Portde-Bouc (Bouches-du-Rh™ne), a ou- dieux sont l'affaire des dieux. È Une peine Les Žl•ves qui du 14 janvier. Une telle question blesse beaucoup d'enseignants, prompts ˆ dŽnoncer, sur les forums de discussion, une stigmatisation de leurs Žl•ves et des territoires o• ils sont engagŽs. Prompts, aussi, ˆ rappeler que devait l'entendre, ils pouvaient partir. Ç l'immŽdiate compassion Èn'est pas un exercice aisŽ.Sans compter que Ils n'ont ŽtŽ qu'une dizaine ˆ le faire. " Ç les Žl•ves ne sont face ˆ leurs profs Beaucoup moins que ce que redoutait l'Žquipe. que 10 % du temps, les 90 % restants qui est tombŽ. È L'institution en accusation Six jours sont passŽs depuis que ce quartier, les rŽseaux sociaux È, relativise Benjamin Marol. A Saint-Denis, l'Žmotion a ŽtŽ tout moment national de recueillement a aussi forte ; les dŽbats, parfois, vifs. ŽtŽ entachŽ de rŽticence, voire dans Ç L'Žcole ne peut rŽsoudre tous les pro- " J'Žtais ŽpuisŽ nerveusement, se rappelle Iannis Roder, professeur certains cas de franche opposition. bl•mes de la sociŽtŽ È : le constat fait l'unanimitŽ des personnels interro- l'une des douze victimes de l'attaque du 7 janvier, Žtait connu de tous ˆ Montreuil, poursuit, Žmu, M. Marol. Ç Pour mes collŽgiens, c'est un proche d'histoire-gŽographie en coll•ge. Jeudi au petit matin, le principal nous avait tenu un discours de combat en n'Žtaient pas dans cette dŽmarche, on Combien ? O• ? Le dŽcompte officiel est en cours. De 70 incidents annoncŽs le 12 janvier, le minist•re de l'Žducation nationale Žtait passŽ, sont consacrŽs ˆ la famille, les amis, le gŽs. Une petite musique reprise ˆ l'unisson par les syndicats d'enseignants, convoquŽs en urgence le 12 janvier par la ministre, pour bl•mes, mais il faudrait accepter le dŽ- mercredi 14, au chiffre de 200. Ce m•me jour, la ministre de l'Žducation bat. Des gamins de 11-12 ans, qui me- nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a sation de l'Žcole pour les valeurs de la na•aient de ne pas faire la minute de dŽclarŽ ˆ l'AssemblŽe qu'" une qua- RŽpublique È. Et pourtant, des voix se silence, ont ŽtŽ convoquŽs dans le bu- rantaine - d'incidents - ont ŽtŽ trans- font entendre pour dŽnoncer Ç une reau du principal. " Iannis Roder compte parmi les enseignants qui mis aux services de police, de gendar- instrumentalisation de l'Žcole dans un merie, de justice, parce que pour cer- dŽbat qui n'est pas le sien È, comme confient avoir entendu le pire : " tains, il s'agissait m•me d'apologie du l'Žcrit Bernard Girard, professeur Charlie Hebdo l'a bien cherchŽ " ; les terrorisme ". d'histoire en coll•ge, sur son blog le 8 salle des profs. On allait avoir des pro- une tr•s mŽdiatique Ç grande mobili- janvier. caricaturistes Ç n'Žtaient pas tout sure, mais pas les dessinateursÉ È. Quoi qu'il en soit, la contestation ne concerne qu'une minoritŽ. Mais que MobilisŽs, tous ne l'ont pas ŽtŽ. Des propos entendus en ZEP, sou- dit-elle, cette minoritŽ, de l'Žcole ? A Ç Moi, ce sont les sciences physiques blancs È ; Ç DieudonnŽ, lui, on le cen- 1 que j'enseigne, pas les sujets de sociŽ- chantant les louanges de Ben Laden. pour nous ! È tŽ È, confie sous couvert d'anonymat un enseignant de N”mes. Dans son Aujourd'hui, ce sont leurs petits fr•res ThŽorie du complot Ç Mes Žl•ves sont en vase clos, mais la lycŽe de centre-ville, Ç plusieurs di- qui partent faire le djihad. È En 2004, M. Obin a rŽdigŽ un rapport Ð lui zaines d'Žl•ves ont quittŽ les lieux jeudi aussi critiquŽ Ð sur les signes la dŽcrŽter È, soupire Benjamin Marol. pour ne pas avoir ˆ faire la minute de d'appartenance religieuse dans l'Žcole. RestŽ plusieurs mois dans les tiroirs du ministre, il mettait en Žvi- Pour l'enseignant de Montreuil, ce dence la montŽe des communauta- faillite du langage. Ils n'arrivent pas ˆ silence È. Il n'a pas ouvert le dŽbat pour autant. Ç Comme si de rien n'Žtait È mixitŽ, ce n'est pas nous qui pouvons n'est peut-•tre pas le plus grave : Ç Le probl•me central, le nÏud, c'est la D'autres ont visiblement reculŽ de- rismes. dŽcoder, ˆ ma”triser les concepts, faire vant la difficultŽ. " Ce jeudi matin-lˆ, Le dŽfi du vivre-ensemble la diffŽrence entre blasph•me et ra- de nombreux coll•gues sont venus voir Comment relever le dŽfi du vivre-en- cisme, entre offense et prŽjudice ou la principale pour lui dire qu'ils entre peur que •a se passe mal en classe ou semble en l'absence de mixitŽ sociale et scolaire ? Dans le coll•ge des quartiers nord de Marseille o• Seta Kilnd- que ce soit mal interprŽtŽ, raconte jian enseigne depuis quinze ans, 95 l•ge un contingent d'Žl•ves qui se dŽ- Ç Monsieur Le Prof È, qui tŽmoigne quotidiennement Ð et anonymement % des Žl•ves sont musulmans. Plus battent avec 500 mots. Sur eux, tout de la moitiŽ sont des Comoriens. " C'est tr•s difficile de les dŽtacher du glisse. Ils sont incapables d'abstraction Ð sur Twitter de sa vie de jeune enseignant dans un coll•ge de l'Ouest seul rapport avec le quartier, explique et manichŽen qui n'est pas celui dans parisien. L'Žtablissement n'a donc rien la jeune femme. Ils y frŽquentent les lequel ils vivent. È organisŽ. Chacun des profs faisait associations, les Žcoles coraniques, les comme il voulait. Beaucoup ont fait mosquŽesÉ Je ne porte aucun juge- Mais comme ils sont aussi Ç hyper- comme si de rien n'Žtait. C'Žtait assez ment, mais la difficultŽ, pour nous en- connectŽs È, ils se nourrissent de ce dŽprimant. " seignants, c'est que nous ne savons pas que Benjamin Marol appelleÇ une comment nous y associer. Avec les fa- sous-littŽrature È laissant libre cours n'avaient pas les mots, qu'ils avaient opinion et dŽlitÉ È M•me constat chez Iannis Roder, ˆ SaintDenis : Ç Nous avons dans notre col- et ils se construisent un monde simple Ce renoncement, m•me s'il n'Žtait le fait que de quelques-uns, Barbara Le- milles, la communication est souvent aux thŽories les plus fumeuses. Celle g•nŽe par le barrage de la langue. du complot fait des ravages. Ç Lutter febvre ne s'y rŽsout pas. Ç Quand un Quand on pose une question aux contre le complotisme est l'un des dŽfis Žl•ve vous dit que la loi sacrŽe est supŽ- Žl•ves, ils rŽpondent ÒOui, MadameÓ, ˆ relever È, estime M. Marol. rieure ˆ la loi de la RŽpublique, le r™le mais on a parfois l'impression que cela d'un fonctionnaire, de n'importe quel glisse sur eux, qu'on n'a pas de prise Il y en a bien d'autres, ˆ commencer enseignant, est de lui rŽpondre È, sur ce qu'ils pensent. " s'indigne cette enseignante d'histoire-gŽographie dans un coll•ge des Hauts-de-Seine, coauteure par la formation des professeurs, auxquels on demande d'enseigner la Lundi 12 janvier, Seta Kilndjian en a fait l'am•re expŽrience. Apr•s un jeu- la•citŽ et le fait religieux mais aussi (avec Iannis Roder, notamment) des di tr•s difficile Ð Ç la minute de si- Territoires RŽpu- lence avait ŽtŽ contestŽe dans toutes blique(Mille et une nuits, 2002). A sa les classes du coll•ge È, dit-elle Ð, sortie, l'ouvrage collectif, qui dŽnon•ait la montŽe de l'antisŽmitisme, du l'enseignante avait eu le sentiment, vendredi, de parvenir ˆ faire passer l'utilisation d'Internet, les mŽdiasÉ Tous le reconnaissent : c'est une rŽponse prŽcise, argumentŽe, documentŽe, tenant l'Žmotion ˆ distance, sexisme et de l'homophobie ˆ l'Žcole, ˆ sa classe le sens d'une caricature. a fait polŽmique, dans les rangs de la gauche notamment. Douze ans apr•s, Ç Mais lundi, ces m•mes Žl•ves sont arrivŽs les poings serrŽs. Avant m•me de Apr•s une nuit blanche suite ˆ Barbara Lefebvre ne constate Ç au- me dire bonjour, ils m'ont signifiŽ qu'ils cune amŽlioration sur le terrain È. n'Žtaient pas d'accord, que les images l'attaque de Charlie Hebdo, passŽe ˆ relire l'histoire de la RŽpublique, Zimba Benguigui, enseignante d'arts appliquŽs dans le 20e arrondisse- perdus de la des attentats Žtaient un mon- d'•tre incollables sur le droit, qui fait avancer le dŽbat et permet aux jeunes de s'Žlever. Jean-Pierre Obin, inspecteur gŽnŽral honoraire de l'Žducation nationale, tageÉ ÈUne rŽunion de toute l'Žquipe a ŽtŽ convoquŽe en urgence pour dŽplore, lui, Ç une aggravation, car, au passer Ç du constat ˆ l'action È, pour- ment de Paris, est arrivŽe dans son Žtablissement avec une conviction : niveau international, •a c'est aggra- suit Mme Kilndjian : Ç Faire le lien la nŽcessitŽ de se donner du temps vŽ È.Ç Il y a dix ans, on m'a racontŽ que avec les familles, sortir les jeunes du Ç pour Žcouter les Žl•ves È. Ç Et c'est des Žl•ves Žtaient arrivŽs au coll•ge en quartier, c'est vital autant pour eux que eux qui ont pris l'initiative de se re- 2 cueillir. È Dans cet Žtablissement chargŽ de prendre en charge des adolescents en grande difficultŽ scolaire et sociale, parfois handicapŽs, le temps est, depuis, comme suspendu. " Impossible de faire cours depuis mer- d'Žloquence. Je suis Žblouie. " credi, raconte Mme Benguigui. Les jeunes ont besoin de parler, ils oublient Mattea Battaglia et Beno”t Floc'h la rŽcrŽÉ La prise de conscience a jailli. On fr™le parfois le concours Parution : Quotidienne Tous droits rŽservŽs Le Monde 2015 Diffusion : 274 887 ex. (Diff. payŽe Fr.) - © OJD DSH 2013/ 2014 3F6667398CD07B02B07A0021FF00D1B37A05858645A109F7C59E8DB Audience : 2 023 000 lect. - © AudiPresse One 2013/2014 3 N¡ 21857 vendredi 16 janvier 2015 Page 3 851 mots FRANCEÑLE DƒBAT SUR LA LAìCITƒ EN FRANCE PHILIPPE WATRELOT (PRƒSIDENT DES CAHIERS PƒDAGOGIQUES, ENSEIGNANT DANS UN LYCƒE DE SAVIGNY-SUR-ORGE (ESSONNE) ) Philippe Watrelot : Ç L'Žcole n'a pas su prendre la mesure de ce que sont les Žl•ves d'aujourd'hui È Question : Parleriez-vous d'un Žchec de l'Žcole, apr•s les difficultŽs survenues dans les Žtablissements suite les valeurs, il faut les faire vivre. C'est le plus important. La pŽdagogie, ce Il faut construire l'Žcole d'apr•s. sont des valeurs mises en action. rŽunissant tous les mouvements complŽmentaires de l'Žcole, la ministre, Najat Vallaud-Belkacem, montre qu'elle a compris qu'il fallait faire Žvoluer l'Žcole. aux attentats ? C'est une dŽfaite Žducative, quand on Question : Sur le papier, la France est exemplaire pour l'enseignement ci- pense au refus de certains Žl•ves de vique, mais c'est une Ç fa•ade È, dit le faire la minute de silence. L'Žcole n'est pas seule responsable, mais la responsabilitŽ existe. Elle n'a pas ŽtŽ suffisamment ˆ la hauteur des en- Cnesco (1)É L'Žcole doit •tre amŽliorŽe. En Question : Apr•s les attentats de 1995, on avait dit aussi qu'il fallait que l'Žcole changeÉ Qu'est-ce que jeux, ni permis ˆ certains Žl•ves de se Oui, car l'Žducation civique a ŽtŽ dŽvoyŽe, pour rattraper des heures d'histoire-gŽographie ou d'autres sentir intŽgrŽs. disciplines. Or il faut des cours Question : L'Žcole produit elle-m•me d'Žducation civique et sociale fondŽs sur le dŽbat et la confrontation des L'Žcole a toujours ŽtŽ ˆ la recherche d'un Žl•ve idŽal qui n'existe plus ou des discriminationsÉ idŽes. Plus on am•nera les Žl•ves ˆ faire des dŽmarches actives, plus on n'a jamais existŽ. Elle n'a pas su prendre la mesure de ce que sont les L'Žchec de l'Žcole fran•aise est bien leur permettra de se sentir entendus, Žl•ves d'aujourd'hui. Et la formation celui-lˆ. Les inŽgalitŽs existent dans reconnus, et mieux on Žvitera les phŽnom•nes de rejet et de stigmati- des enseignants manque singuli•rement de connaissances sociolo- sation vŽcus par certains. L'Žcole doit giques. Quand j'entends des enseignants s'Žtonner que des Žl•ves ne connaissaient pas Ç Charlie Hebdo È, c'est pour moi un choc culturel. Cela la sociŽtŽ, mais sont renforcŽes ˆ l'Žcole, qui en produit d'autres. On a le triste record d'•tre le pays o• l'origine sociale joue le plus dans l'acc•s aux dipl™mes. Certains Žl•ves se sentent exclus. Pour eux, l'Žcole ne fait pas sens. Question : Que faire contre cela ? retrouver sa fonction et la promesse dŽmocratique, car elle est lˆ pour intŽgrer et faire rŽussir tous les Žl•ves. Si on n'a plus confiance dans l'Žcole, alors Žvidemment il ne faut pas veut dire qu'ils n'ont pas intŽgrŽ que s'Žtonner qu'on ne respecte pas ce les Žl•ves n'Žtaient pas comme eux, qu'ils n'ont pas les m•mes rŽfŽ- que l'Žcole propose, y compris les mi- rences. L'Žcole a continuŽ avec un nutes de silence. mod•le d'enseignants qui n'a gu•re ŽvoluŽ. Je vois aussi le dŽsarroi L'Žcole doit d'abord arr•ter de produire de l'Žchec ! Et l'instruction fait d'enseignants rencontrŽ au moment partie de nos missions. Les thŽories du complot sont tr•s en vogue chez de la minute de silence comme le signe d'un enseignant centrŽ sur l'approche individuelle du mŽtier et sur sa discipline. On n'a pas su rŽflŽchir collectivement sur la pŽdagogie, certains de nos Žl•ves, elles rendent encore plus nŽcessaire la formation ˆ l'esprit critique, le travail sur la presse, l'enseignement moral et civiqueÉ Tous ces ŽlŽments doivent l'Žcole a ratŽ ? Question : L'Žcole est-elle crŽdible sur ce que cela veut dire de gŽrer une reposer sur une pŽdagogie active qui pour transmettre les valeurs de la RŽpublique, alors qu'elle-m•me n'est fasse que l'Žl•ve se sente reconnu, et qu'il ne re•oive pas une parole des- pas exemplaire ? classe et des conflits. Et la formation actuelle dans les Žcoles supŽrieures du professorat et de l'Žducation (Espe) n'est pas ˆ la hauteur. cendante. Il ne suffit pas d'Žnoncer 1 Question : Les annonces ministŽ- par Marie-Christine Corbier rielles vont-elles dans le bon sens ? Je l'esp•re. Mais elles sont un peu cosmŽtiquesÉ J'ai surtout entendu des grandes dŽclarations de principe. Il faut aller plus loin, Il faut une vraie PrŽsident des Cahiers pŽdagogiques, enseignant dans un lycŽe (1) Conseil national d'Žvaluation du syst•me scolaire (Cnesco) de Savigny-sur-Orge (Essonne) Philippe Watrelot refondation de l'Žcole. Parution : Quotidienne Tous droits rŽservŽs Les Echos 2015 Diffusion : 124 422 ex. (Diff. payŽe Fr.) - © OJD DSH 2013/ 2014 596A67908A405A0020D70E718D08917F72B53A87A5820C0FB6B3436 Audience : 558 000 lect. - © AudiPresse One 2013/2014 2 samedi 17 - dimanche 18 janvier 2015 LE FIGARO 16 CHAMPS LIBRES DÉBATS ENTRETIEN Le philosophe* explique ce qu’est la notion de blasphème dans les différentes religions. Il s’interroge sur les limites de la liberté d’expression et sur ce qu’il reste de sacré dans nos sociétés modernes. PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-LAETITIA BONAVITA @mlbo LE FIGARO. - L’attentat contre Charlie Hebdo prétend prendre appui sur des motifs religieux. Y a-t-il une violence inhérente à la religion en général ? Rémi BRAGUE. - Le mot de « religion » est déjà trompeur en soi. Notre idée d’une religion est calquée, même chez le bouffeur de curés le plus recuit, sur celle que nous nous faisons du christianisme. Nous allons donc dire : dans l’islam, il y a du religieux (les prières, le jeûne, le pèlerinage, etc.) et du non-religieux, la charia, dont les règles vestimentaires, alimentaires, etc. Et nous avons le culot de dire aux musulmans : renoncez à la charia et nous acceptons votre religion ! Mais ils ne voient pas les choses comme nous ; pour eux, la charia sous ses différentes formes, et avec toutes ses règles, fait partie intégrante de la religion. La mystique, elle, est certes permise, mais facultative. Tout le système de l’islam, si l’on peut dire, repose sur la révélation faite à Mahomet. Attaquer le Prophète, c’est mettre en danger tout l’édifice. Allah est de toute façon bien au-dessus de tous les blasphèmes, c’est pourquoi le nier est presque moins grave… La violence, inhérente à une religion ? Il faut distinguer les adhérents à une religion qui ont pu se laisser aller à des violences. Ils ont même pu les justifier au nom de leur religion. Ainsi Charlemagne convertissant de force les Saxons ou, bien sûr, ceux dont on parle toujours, les croisés et les inquisiteurs. Mais aussi les généraux japonais de la Seconde Guerre, bouddhistes zen. Ou Tamerlan, qui s’appuya au début sur les soufis de la confrérie des naqchbandis, dont les massacres, au XIVe siècle, surpassèrent ceux de Gengis Khan. Et rappelons que le plus grand pogrom antichrétien de notre siècle, en 2008, à Kandhamal (Odisha), a été le fait d’hindouistes, qui ne sont pas tendres envers les musulmans non plus. Ceci dit, reste à se demander si l’on peut attribuer des actes de violence au fondateur d’une religion, à celui qui en reste le modèle et à son enseignement. Pour Jésus et Bouddha, on a du mal. Or, malheureusement, nous avons les recueils de déclarations attribuées à Mahomet (le hadith) et ses biographies anciennes, et avant tout celle d’Ibn Ishaq-Ibn Hicham (vers 830). Il faut la lire et se méfier des adaptations romancées et édulcorées. Or, ce qu’on y raconte comme hauts faits du Prophète et de ses compagnons ressemble beaucoup à ce que l’on a vu chez nous et à ce qui se passe à une bien plus grande échelle au Nigeria, sur le territoire de l’État islamique, ou ailleurs. Mahomet a en effet fait décapiter quelques centaines de prisonniers, torturer le trésorier d’une tribu juive vaincue pour lui faire avouer où est caché le magot (on pense au sort d’Ilan Halimi) et, ce qui ressemble fort à notre affaire, commandité les assassinats de trois chansonniers qui s’étaient moqués de lui. Il ne sert de rien de répéter « contextualiser ! contextualiser ! » Un crime reste un crime. Comment a évolué la notion de blasphème en France ? La dernière condamnation pour sacrilège, chez nous, a été celle du chevalier de La Barre, en 1766. Je rappelle d’ailleurs qu’il avait été condamné par des tribunaux civils, les parlements d’Abbeville, puis de Paris, alors que les gens d’Église avaient essayé de le sauver… Nul doute que c’est en reconnaissance de ces efforts que l’on a donné son nom à la rue qui longe la basilique de Montmartre ! Une loi sur le sacrilège, votée en 1825 au début du règne de Charles X, a été abrogée dès 1830, au début de la monarchie de Juillet. Depuis lors, on pense davantage à des délits verbaux ou picturaux qu’à des profanations d’objets considérés comme sacrés. Ce qui n’empêche pas des crétins de combiner le verbal et le matériel en taguant des insultes sur des églises ou des synagogues et aujourd’hui sur des mosquées. LOUIS WITTER POUR LE FIGARO La représentation de Dieu n’est pas autorisée par toutes les religions. La figuration de Dieu permet-elle plus facilement sa caricature ? La figuration de Dieu dans le christianisme repose elle-même sur l’idée d’incarnation. Le Dieu chrétien n’est pas enfermé dans sa transcendance. On ne peut monter vers lui, mais il a voulu descendre vers nous. Il est d’une liberté tellement absolue qu’il peut, pour ainsi dire, transcender sa propre transcendance et se donner lui-même une figure visible en Jésus-Christ. Les icônes, ta- Ceci dit, reste à se demander si l’on peut attribuer des actes de violence au fondateur d’une religion, à celui qui en reste le modèle et à son enseignement. Pour Jésus et Bouddha, on a du mal RÉMI BRAGUE Aucune croyance ne mérite le respect, même pas les miennes. C’est que les croyances sont des choses, alors que le respect ne peut avoir pour objet que des personnes. Et ce dernier respect, le seul qui mérite ce nom, est sans limite RÉMI BRAGUE bleaux, fresques, statues, etc., bref les neuf dixièmes de l’art plastique européen, sont, en divers styles, la petite monnaie de cette première entrée dans la visibilité. Quant à se moquer de lui une fois qu’il a pris le risque de prendre une figure humaine, cela a été fait depuis longtemps, et en abondance. Les caricatures de Charlie, et les autres, ne sont rien à côté de ce qu’a dû subir, en vrai, le Crucifié. Leurs tentatives pour blasphémer sont donc moins du scandaleux que du réchauffé. Il est en tout cas intéressant que l’on se moque dans ce cas, non des tortionnaires, mais de leur victime… Peut-on dire que « l’esprit Charlie » est héritier de Voltaire ? « Esprit » me semble un bien grand mot pour qualifier ce genre de ricanement et cette manie systématique, un peu obsessionnelle, de représenter, dans les dessins, des gens qui s’enculent… Voltaire savait au moins être léger quand il voulait être drôle. Ceci dit, Voltaire est pour moi, outre l’un des plus enragés antisémites qui fut, celui qui a fait deux fois embastiller La Beaumelle, qui avait osé critiquer son Siècle de Louis XIV. Plus que ses tragédies, c’est l’affaire Calas qui lui a permis de devenir un de nos totems. Elle n’était pas la seule erreur judiciaire de l’époque. Pourquoi Voltaire a-t-il choisi de s’y consacrer ? Ses premières lettres, au moment où il apprend l’histoire, fin mars 1762, le montrent à l’évidence : parce qu’il voulait avant tout attaquer le christianisme. On se souvient du cas : un père protestant soupçonné d’avoir tué son fils qui aurait voulu se faire catholique. On pouvait donc gagner à coup sûr. Si le père Calas était coupable, honte au fanatisme protestant ; s’il était innocent, haro sur le fanatisme catholique… Mais attaquer les vrais puissants, les riches fermiers généraux ou les souverains, comme le régent ou le roi, pas question. Donc, en ce sens, oui, il y a bien une filiation. Et n’avons-nous rien d’autre à offrir à nos concitoyens, et en particulier aux musulmans, qu’« être Charlie » ? Leur proposer, que dis-je, les sommer de s’identifier à cet irrespect crasseux comme résumant la France, n’est-ce pas les encourager dans le mépris de notre pays et dans le repli identitaire ? J’aurais préféré qu’on défilât en scandant : « Je suis Descartes », « Je suis Cézanne », « Je suis Proust », « Je suis Ravel »… La liberté d’expression étant inhérente à la démocratie, peut-on imaginer un islam modéré qui en accepte la règle, au point d’accepter la représentation de Mahomet ? Je préférerais parler des musulmans de chair et d’os, non de l’« islam », mot ambigu qui désigne à la fois une religion, une civilisation millénaire et des hommes. Il est clair que bon nombre d’entre eux s’accommodent très bien de la démocratie et de la liberté d’expression qu’elle permet en France, liberté qui est plus limitée dans leurs pays d’origine. D’ailleurs, même les extrémistes en profitent, à leur façon, pour répandre leur propagande. Parler d’islam « modéré » me semble de toute façon insultant pour les musulmans. Car enfin, si l’islam est une bonne chose, alors aucune dose ne sera trop forte. Il y a des musulmans que je ne dirais pas « modérés », mais tout simplement, pour employer un mot qui fera sourire, « vertueux »… N’y a-t-il pas, en France, une contradiction entre les usages du politiquement correct, la novlangue qui l’accompagne et l’affirmation que l’on a le droit de tout dire ? Elle est manifeste, et pas seulement en France. On a effectivement le droit de tout dire, sauf ce qui fâche… Appeler un chat un chat est devenu difficile. On préfère des euphémismes, au moyen de divers procédés, les sigles par exemple. On dira IVG pour ne pas dire « avortement », et GPA pour ne pas dire « location d’utérus », etc. Ou alors, on dilue en passant au pluriel : on dira « les religions » alors que tout le monde pense « l’islam ». Ce n’est pas d’hier : on disait naguère « les idéologies » pour ne pas dire « le marxisme-léninisme ». En Allemagne, en Autriche, en Irlande, les lois proscrivent les atteintes au sacré. En France, le principe de laïcité, âprement défendu, les autorise. Comment concilier l’irrespect, le droit de ridiculiser, avec le respect des croyances ? Les lois dont vous parlez sont très variées selon les pays. Et elles visent avant tout à protéger non les croyances, mais les personnes concrètes qui les professent. Elles ne se distinguent guère de lois contre la diffamation en général. En tout cas, les règles qui régissent notre chère laïcité n’autorisent pas les atteintes au sacré, au sens où elles les recommanderaient ; je préférerais dire qu’elles les tolèrent. Le christianisme n’est pas une religion du sacré, mais de la sainteté. Un objet peut être sacré : un « lieu où souffle l’esprit », un monument, un arbre vert, une source, un animal – une vache par exemple -, mais il ne peut en aucun cas être saint. Seule une personne peut être sainte et, en elle, ce qu’elle a de plus personnel, sa volonté libre. Pour le christianisme, Dieu seul est saint. Ceux que nous appelons des saints ne le sont que par participation, par reflet. Aucune croyance ne mérite le respect, même pas les miennes. C’est que les croyances sont des choses, alors que le respect ne peut avoir pour objet que des personnes. Et ce dernier respect, le seul qui mérite ce nom, est sans limite. Souhaitons qu’il soit réciproque… « Nous vivons un temps de profanation généralisée », disait Alain Finkielkraut au mois de janvier 2013, au moment de l’affaire Dieudonné. Que reste-t-il de sacré dans nos sociétés modernes ? Nous payons le prix d’une vision des choses selon laquelle « ce qui est juste, c’est ce que dit la loi, voilà, c’est tout », comme l’a rappelé le 14 février 2013 le sénateur Jean-Pierre Michel, faisant d’ailleurs écho, sans le savoir, au système de défense des accusés du procès de Nuremberg. La conséquence de cette façon de voir est que ce que les hommes font, ils peuvent le défaire. En conséquence, ce qui sera solennellement décrété « inviolable et sacré » à un moment donné pourra très bien devenir par la suite un « tabou » qu’il faudra « dépasser ». Rien n’est donc à l’abri de la profanation. Bon nombre de gens font de la profanation leur fonds de commerce. Je ne les envie pas, car leur tâche devient de plus en plus difficile. Sans parler du « politiquement correct » déjà mentionné, ils ont à affronter une baisse tendancielle du taux du profit, car il ne reste plus beaucoup de choses à profaner, faute de sacré encore capable de servir de cible. On a déjà dégommé tant de baudruches… Et à la longue, on s’ennuie à tirer sur des ambulances. On ne peut plus, par exemple, se moquer des gens qui se croient distingués, collet monté, comme on le faisait encore dans les films d’avant-guerre, car tout le monde, et surtout les grands bourgeois, a adopté des mœurs cool, décontract, etc. Bien des symboles n’ayant pas ou plus de divisions blindées pour les défendre, on pourra donc cracher dessus sans danger. Mais alors, « on triomphe sans gloire ». Quand on persiste à s’en prendre à eux, il faudra constamment renchérir sur le blasphème précédent, aller de plus en loin, par exemple dans le scatologique. En revanche, on voit apparaître de nouvelles idoles, que l’on reconnaît à une sorte d’interdiction d’en rire. ■ * Dernier ouvrage paru : « Modérément moderne. Les temps modernes ou l’invention d’une supercherie », Flammarion, mars 2014. 8 | france 0123 SAMEDI 17 JANVIER 2015 « C’est à chaque citoyen de protéger la démocratie » Joël Mergui, le président du Consistoire central, appelle les musulmans à dénoncer l’islamisme radical ENTRETIEN L es quatre assassinats commis dans l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris, par Amedy Coulibaly, vendredi 9 janvier, ont ravivé l’inquiétude déjà lancinante de beaucoup de Français juifs, qui pousse un nombre croissant d’entre eux à faire leur « alya » – s’installer en Israël. Joël Mergui, le président du Consistoire central, appelle la France à « briser l’indifférence ». Pourquoi les victimes de l’Hyper Cacher ont-elles été enterrées en Israël ? D’abord en raison du lien spirituel très fort avec Jérusalem. Ensuite, en Israël, le repos est éternel, les concessions aussi. Ce n’est pas le cas en France dans les carrés confessionnels, où les sépultures sont exhumées à échéance de la concession. En outre, les familles des victimes du terrorisme s’inquiètent du risque de profanation des tombes en France. Comment expliquez-vous la forte progression du nombre de Français juifs vers Israël ? Nous sentons ce mouvement prendre de l’ampleur depuis plusieurs années. Il y a l’antisémitisme, mais il y a aussi, ce qu’on oublie un peu en ce moment : une laïcité plus rigide. Les concours et les examens programmés les jours de fête et de shabbat, le débat sur l’abattage casher ou sur la circoncision sont pour des juifs pratiquants des raisons de partir vivre ailleurs leur judaïsme. L’alya a concerné les familles les plus impliquées dans la communauté, celles qui se sont senties les plus menacées dans leur vie religieuse et aussi par l’antisémitisme, parce qu’ils mettent leurs enfants à l’école juive, vont à la synagogue, achètent casher. Ces personnes se sont senties d’abord mal comprises, puis mal écoutées, finalement inquiètes et indignées par l’augmentation continue des actes antisémites. C’est donc d’abord cette partie de la communauté qui est tentée par l’alya ? « Depuis juillet 2014, j’ai vu des juifs moins impliqués [dans la communauté] s’interroger sur leur avenir en France » Au départ, oui. Mais je sens un changement depuis juillet 2014, quand des synagogues ont été attaquées et que l’on a crié « mort aux juifs » dans les rues de Paris en présence de certains élus dans la quasi-indifférence de la société. Les 4 millions de personnes qui ont marché dimanche, on ne les a hélas pas vues à ce moment-là, ni après l’assassinat de soldats à Montauban et de quatre personnes – dont trois enfants – dans une école juive à Toulouse en 2012. Le pic de départs de 2014 correspond à l’après Toulouse car c’est le temps nécessaire pour préparer une alya. Depuis juillet 2014, j’ai vu des juifs beaucoup moins impliqués [dans la communauté] s’interroger également sur leur avenir en France. Cette interrogation s’est étendue à une très grande partie de la communauté juive, mais fait aussi partie d’un mouvement de migration plus vaste motivé par un manque de perspectives. Que dites-vous à ceux qui s’interrogent sur un départ ? On ne peut pas juger des parents qui s’inquiètent pour leurs enfants. Quand un enfant à mal au ventre car il a peur d’aller à l’école, peur de mourir, qui ne serait pas bouleversé ? N’importe quel citoyen du monde a envie de mettre sa famille en sécurité. C’est à nous, représentants de la communauté juive avec l’Etat, de faire en sorte, avec des mesures concrètes, que les citoyens de confession juive aient plus confiance en l’avenir. Ils savent pouvoir compter sur moi pour dire les choses telles qu’elles sont. A l’inverse, certains disent : on ne va pas laisser les terroristes nous faire peur et transformer cette belle démo- 7 000 Français juifs qui ont immigré en Israël en 2014 Selon l’Agence juive, l’organisme mandaté par l’Etat d’Israël pour organiser les retours vers le pays (l’alya), plus de 7 000 Français juifs ont immigré en Israël en 2014 (3 293 en 2013). La France est devant la Russie pour la première fois (4 830) et devant les Etats-Unis (3 870). Les retours d’Israël en France ne sont pas comptabilisés. Au total, en 2014, Israël a accueilli 26 500 nouveaux immigrants. #& '.)$,(!+"& '& -%.)* %* 3*2%6 )* ($2%/$%6 7 ,!#" )($& 462&$2+ 06/$+. 51*/2)36-+$ )* '12%$ avec IVAN GUILBERT/COSMOS cratie qu’est la France. Nous sommes attachés à notre pays, nous avons contribué à son histoire. Il y a un mélange d’émotion entre la protection des enfants et l’esprit de résistance face aux terroristes. Dimanche, les manifestants disaient « je suis Charlie » mais aussi « je suis juif » comme « je suis policier ». La communauté ne s’est-elle pas sentie soutenue cette fois ? Oui et non. Beaucoup de juifs se sont posé la question : s’il n’y avait eu que l’attentat de l’Hyper Cacher, y aurait-il eu 4 millions de personnes dans la rue ? On a beaucoup vu « je suis Charlie », on a beaucoup moins vu « je suis juif », il faut être honnête. Cela étant, il y a eu un réveil rassurant de la société. Je veux penser que la mobilisation intégrait toutes nos valeurs, y compris la lutte contre l’antisémitisme. L’histoire a donné aux juifs des réflexes rapides. Nous avons compris qu’il se passait quelque chose de grave depuis le début des années 2000, avec la montée de l’antisémitisme, de l’islam radical et de l’antisionisme. Mais nous n’étions pas entendus et c’est ce qui nous mettait en rage. Il faut maintenant qu’on retrouve en France les valeurs des justes, capables de briser l’indifférence dans laquelle s’enfonçait notre pays et qui conduisait certains à se dire : « on s’attaque à des juifs, à des soldats, cela ne me concerne pas », comme après Montauban et Toulouse. Il faut maintenant que ce qui arrive à l’autre préoccupe chacun. C’est ce qui doit surgir du moment que nous traversons. Avez-vous eu des témoignages en ce sens depuis l’attentat à l’Hyper Cacher ? Plus qu’avant. Quelqu’un m’a dit : « Si vous partez, c’est qu’il n’y a plus de démocratie. » Les gens sentent que si beaucoup de juifs partent, cela veut dire qu’eux-mêmes ne sont plus en sécurité non plus. Je sens aussi comme une responsabilité de ne pas donner la victoire à la haine et au terrorisme. Nous avons contribué à ce pays et aussi longtemps qu’on nous en donnera les moyens, nous continuerons à y contribuer. La démocratie nous a protégés. Aujourd’hui, c’est à chaque citoyen de protéger la démocratie. Qu’attendez-vous concrètement ? Le seul espoir qui naît de ces drames, c’est la mobilisation internationale contre l’islamisme radical. Enfin on entend les mots justes : islamisme radical, et non plus seulement « terrorisme » ou « barbarie ». Il faut appeler les choses par leur nom. C’est l’espoir d’un réveil des consciences, d’une mobilisation de la société. Ce qu’on n’entend pas assez, en revanche, c’est le lien entre ce terrorisme et la volonté de détruire l’Etat d’Israël. Pourtant, c’est la même chose, la même haine qui refuse l’existence d’un Etat juif et qui, ailleurs, attaque les juifs et la démocratie. Il faut que le droit à l’existence de l’Etat d’Israël fasse partie intégrante de la lutte contre l’islamisme radical. Si on ne fait pas ce lien, on ne pourra pas gagner ce type de combat contre ce terrorisme. Les mesures annoncées par Manuel Valls sont-elles à la hauteur ? Oui, les mesures vont dans le bon sens. Elles doivent maintenant être accompagnées des « Je répète depuis des années qu’il faut s’occuper de la prison. C’est une école de terrorisme » Le pape n’est pas « Charlie » ans l’avion qui le conduisait du Sri Lanka aux Philippines, jeudi 15 janvier, le pape François a exposé sa conception de la liberté d’expression dans le contexte de l’attentat commis contre Charlie Hebdo mercredi 7 janvier. Si la liberté religieuse et la liberté d’expression sont « deux droits humains fondamentaux », a-t-il dit en réponse à une question, « on ne peut provoquer, insulter la foi de l’autre » ni « la tourner en dérision ». Le pape a condamné les meurtres commis au nom de la religion, au siège du journal satirique qui ne s’est jamais privé de caricaturer le pape et le clergé catholique : « Tuer au nom de Dieu est une aberration », a-t-il dit. Mais il a aussi affirmé que la liberté d’expression n’autorise pas tout et doit s’exercer « sans offenser ». Le pape a illustré son propos par un exemple inattendu. « Il est vrai qu’il ne faut pas réagir violemment mais si M. Gasbarri [l’organisateur du voyage en Asie au Vatican, présent à côté de lui] parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, et c’est normal. On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision ! » Le pape a profité de cette question pour reconnaître que l’Eglise catholique est loin d’avoir été toujours exemplaire sur le respect de la liberté religieuse. « Ce qui se Qu’avez-vous pensé des réactions dans la communauté musulmane ? Il est important que la partie culturellement musulmane de notre société soit à l’unisson de la communauté nationale et dénonce l’islamisme radical. Si elle le dénonce de façon massive, il n’y aura pas d’amalgame, au contraire. Mais il faut que la dénonciation vienne de partout, pas seulement de quelques responsables qui ne sont pas forcément écoutés par les jeunes. J’appelle les autorités musulmanes à faire en sorte que la parole des responsables soit relayée à divers niveaux (imams, artistes, intellectuels, sportifs). Je sens qu’il y a un frémissement. p propos recueillis par cécile chambraud ATTEN TATS Douze interpellés pour « soutien logistique » Pour François, la liberté d’expression doit s’exercer « sans offenser » D moyens concrets pour être à la hauteur des enjeux. Depuis des années, je répète qu’il faut s’occuper de la prison. C’est une école de terrorisme. Il y a donc un travail essentiel à y faire, comme pour l’éducation nationale, Internet et les réseaux sociaux. Certes, il faut de très gros moyens mais c’est indispensable. Ces terroristes sont nés et ont grandi en France, ont été éduqués dans les écoles, sont passés par les prisons. On ne peut plus se contenter de discours. passe actuellement [avec les attentats] nous étonne, mais pensons à notre histoire : combien de guerres de religion nous avons eues ! Pensons à la Nuit de la Saint-Barthélémy [le massacre déclenché par les catholiques contre les protestants en France en 1572]. Nous avons été aussi pécheurs. » Ce second périple du pape argentin en Asie après son voyage en Corée du Sud est destiné à encourager une région perçue comme une terre d’avenir pour l’Eglise catholique. 80 % des 100 millions d’habitants des Philippines, ancienne colonie espagnole, pratiquent un catholicisme extrêmement fervent. p cé. c. Douze personnes ont été interpellées dans la nuit du 15 au 16 janvier en région parisienne pour « soutien logistique » dans le cadre de l’enquête sur les attentats de Paris et Montrouge (Hautsde-Seine). Ces neuf hommes et trois femmes ont été placés en garde à vue. Des perquisitions étaient en cours vendredi matin. Les interpellations se sont notamment déroulées à Montrouge, Fleury-Mérogis et Grigny (Essonne), Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) et ChâtenayMalabry (Hauts-de-Seine). D’après une source judiciaire, il s’agirait de personnes « gravitant dans l’entourage d’Amedy Coulibaly » et suspectées notamment d’avoir fourni des armes et des véhicules au terroriste. culture | 17 0123 SAMEDI 17 JANVIER 2015 A l’IMA, répondre à la terreur par la culture L’institut organise deux jours de débats sur les Renouveaux du monde arabe REPORTAGE Fleur Pellerin, ministre de la culture, et Jack Lang, président de l’IMA, jeudi 15 janvier, à l’Institut du monde arabe. J Des tensions policées Les tensions, bien que policées, se sont exprimées avec force. Dans l’équipe de la fondation qatarie World International Summit for Education (Wise), une étudiante voilée s’est dite choquée par les caricatures : « Je choisis de vivre en France, avec la loi française. Mais pourquoi la caricature des juifs est interdite et pas celle des musulmans ? [Ce qui est faux selon la loi française] Je suis une avocate de la liberté d’expression, dans la responsabilité de chacun. » Si le président de la République a été ovationné, dans les couloirs de l’IMA, les avis restaient partagés Jack Lang, le président de l’IMA, tempère : « Il y a des confusions, un amalgame. La mission est de tenter d’introduire intelligence, raison, compréhension, analyse, dans un univers où la passion, l’ignorance, l’immédiateté, l’emportent. Les pays arabes m’ont apporté leur soutien, une solidarité antiterroristes, antidjihadistes, antifanatisme. La question de la représentation du Prophète, qui n’est pas acceptée dans le monde arabe d’aujourd’hui, a été occultée par les actes de barbarie. Charlie Hebdo, c’est son droit, sa tradition », rappelle l’ancien ministre de la culture qui plaide pour la singularité du pays de Rabelais, des Lumières : « On devrait un peu plus souvent rappeler la violence de Voltaire contre les clercs catholiques. » De la même manière, Aïcha EchChenna, présidente et fondatrice de l’association Solidarité féminine, avoue sans détour : « On ne peut pas rire de tout au Maroc. Nous sommes dans l’étape de la chouma [la honte], ne pas regarder l’homme dans les yeux, ne pas montrer ses atours. Dans les années 1970, j’ai connu un Maroc, où on sortait tranquillement. On commence à voir venir les enseignements de l’arabisation. On ne peut pas dessiner le Prophète, il est sacré. » « Aujourd’hui, on est dans une approche monolithique du modèle dont on ne doit pas sortir, se désole Jamal Belahrach, président de la Fondation Zakoura Education. La philosophie n’est plus enseignée dans tout le monde arabe. La philosophie, c’est réfléchir sur le rapport à l’autre. Il n’y a pas de démocratie sans éducation, sans liberté d’expression. Charlie Hebdo est la cristallisation de tout cela. » Un seul dessein Du Maghreb aux Emirats, le constat est mêlé d’inquiétude, « face à l’ignorance et à l’obscurantisme qui détournent religion et culture avec un seul dessein, vindicatif, violent, nihiliste. Il faut reprendre possession de nos propres valeurs… c’est la responsabilité la plus urgente de notre génération, plaide Zaki Nusseibeh, conseiller culturel à la présidence des Emirats à Abou Dhabi. Nous n’avons rien à faire de ce qui est publié dans la presse française », ajoute-t-il. Dans le Golfe, les femmes investissent avec beaucoup d’inventivité la sphère artistique, espace prometteur de liberté : le secteur des galeries d’art, florissant à Dubaï (on en compte quarante), comme les foires et biennales, à Dubaï, Chardja ou à Abou Dhabi, les musées en devenir (Louvre, Guggenheim et Al Zayed) ou encore la Fondation consacrée à la musique et aux arts d’Hoda Al Khamis-Kanoo. Ne pas être dans la confrontation, mais dans la nuance, savoir que les radars de la censure sont braqués sur des standards, opter pour des modules légers, tel est le credo de Lina Lazaar, 31 ans, qui a fait ses classes chez Sotheby’s. A Djedda, près de La Mecque, en Arabie saoudite, la Tunisienne a fait « travailler les invisibles » – gardiens, chauffeurs, nounous, philippins – dont elle avait repéré les talents de photographes. Elle leur demanda comment ils voyaient la ville. L’opération baptisée « Jaou » (« la fête »), dans une galerie éphémère, fut un succès : 5 000 visiteurs, la royauté, l’élite, les ar- tistes philippins, des ouvriers. Hommes et femmes mêlés sous la bannière de la culture, une exception. Même la police religieuse fut de la partie, photographiée dégustant des glaces. Agir contre le fanatisme est un véritable défi de civilisation des deux côtés de la Méditerranée. Pour le politologue Gilles Kepel et pour Bassma Kodmani, directrice du Centre pour une initiative arabe de réforme, qui introduisaient le débat, explorer le champ de la culture est prioritaire. En France, « il vaut mieux articuler recherche, éducation et action publique. Il y a l’impérieuse nécessité de permettre l’étude de la langue arabe, pour renforcer la connaissance des savoirs, comme on le fait pour l’espagnol, l’anglais ou l’allemand », insiste le spécialiste, qui va remettre au premier ministre un rapport sur le sujet. Le temps de l’action presse. L’exposition de l’IMA consacrée au Maroc contemporain, montrant des œuvres d’artistes qui travaillent loin des regards, porte l’espoir. p florence evin D’APRÈS PHOTO MICHAEL CROTTO - CRÉDITS NON CONTRACTUELS eudi 15 janvier, à Paris. Sur la façade irisée de l’Institut du monde arabe (IMA) rayonne un monumental « Nous sommes tous Charlie », lettres rouges, en arabe et en français. Cette déclaration choc des vingt et un pays arabes qui siègent à l’IMA accueille la centaine de personnalités – ministres, économistes, intellectuels, chercheurs, universitaires, écrivains… venus des Emirats arabes unis, d’Arabie saoudite, du Koweït, du Maghreb, du Proche-Orient… –, invités à participer à deux jours de débats sur les « Renouveaux du monde arabe ». Un forum prévu de longue date, revu à la lumière d’une actualité douloureuse. La scène est d’autant plus incongrue que, derrière ce message d’union sacrée face au terrorisme qui a endeuillé la France, la fracture culturelle reste à vif entre les deux rives de la Méditerranée. Du Maroc au Liban, à l’Egypte, jusqu’en Jordanie ou en Iran, les manifestants ont fait entendre leur fureur contre Charlie Hebdo qui a réitéré, dans son édition de mercredi 14 janvier, la publication de caricatures de Mahomet. François Hollande, qui inaugurait ce forum, a rappelé, dans son discours – placé sous le signe d’une « renaissance possible », portée par les entrepreneurs et les artistes –, que « la France est un pays qui a des règles, des principes, des valeurs, dont l’une n’est pas négociable, la liberté ». Si le président de la République a été ovationné, dans les couloirs de l’IMA, les avis restaient partagés. MUSIQUE ORIGINALE NICK CAVE ET WARREN ELLIS LIBREMENT INSPIRÉ DE LA NOUVELLE «L’HÔTE» ISSUE DU RECUEIL «L’EXIL ET LE ROYAUME» D’ALBERT CAMUS ÉDITIONS GALLIMARD©1957 WWW.PATHEFILMS.COM ACTUELLEMENT AU CINÉMA • IDÉES GRAND FORMAT IDÉES 26 Recueilli par MARC SEMO Dessin YANN LEGENDRE vec le mouvement planétaire «Je suis Charlie» et la manifestation historique du 11 janvier contre les attentats qui ont touché Paris, la France est redevenue, un temps, et aux yeux du monde, la patrie des droits de l’homme et de la République. Jeune historien, rattaché au Conservatoire national des arts et métiers, Samuel Hayat a particulièrement travaillé sur la révolution de 1848 qui fut un moment d’affrontements sur la citoyenneté, la représentation, le social. Autant de sujets aujourd’hui au cœur des débats sur la République. A l’automne dernier, Samuel Hayat a publié 1848 : Quand la République était révolutionnaire (Seuil, 2014). Face au défi jihadiste, la France se mobilise au nom de la République. Pourquoi? Avec la manifestation du 11 janvier, il y a bien eu une communion autour de la République sur un mode clairement fraternel. Les craintes que l’on aurait pu avoir d’un possible rassemblement haineux d’une partie de la société contre une autre n’a pas eu lieu. On a vu dans ces jours tragiques l’attachement des Français aux valeurs républicaines. Cela fait écho aux grandes proclamations unanimes de 1848. Mais aujourd’hui, comme alors, cette unité se fait sur l’oubli des profondes divisions de la société et sur une mésentente à propos du sens des mots dont, en premier lieu, celui même de République. Les slogans qui ont réuni des millions de manifestants – «Je suis Charlie», «Vive la République», «Vive la liberté d’expression», etc. – ne veulent pas dire la même chose pour les uns et les autres. Ces grandes manifestations d’union risquent d’être éphémères et les dé- A LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 Historien spécialiste des représentations politiques et des mouvements ouvriers, Samuel Hayat réévalue le sens du mot «République» à travers la révolution de 1848. saccords qui vont suivre risquent d’être d’autant plus difficiles à accepter que l’unanimité précédente se fondait sur le refoulement des différences. A cet égard aussi, l’exemple de 1848 est à méditer : en février, le peuple célébrait la République fraternelle, en juin, c’était la guerre civile. La révolution de 1848 fascina Marx comme Tocqueville, puis elle fut longtemps négligée. Pourquoi? Sous la IIIe République, la révolution de 1848 est volontiers présentée comme une simple étape entre 1789 et l’instauration définitive en France du système républicain. C’est «la révolution oubliée». Jules Ferry ou Gambetta, comme tant d’autres, étaient gênés par cette révolution, notamment les événe- ments de juin 1848 où, pour le dire crûment, la République massacra ses enfants, ces républicains qui, quatre mois plus tôt, étaient sur les barricades la portant au pouvoir. Mais la fascination que cette révolution exerça pour des raisons opposées, aussi bien sur le jeune Karl Marx, alors journaliste, que sur Tocqueville ou Flaubert, s’explique avant tout par son caractère social. Pour la première fois, la classe ouvrière fait irruption en tant que telle dans l’histoire. Il ne s’agit plus, comme en 1793, du peuple comme une masse indistincte. Les révolutionnaires de 1848 ouvrent la question sociale et ils veulent changer le fonctionnement même de la société. Et cette révolution fascine d’autant plus que les troubles ont secoué l’Europe entière. Dans les débats de 1848 se retrouvent déjà les grands thèmes des décennies suivantes ? C’est justement ce qui m’a intéressé dans ces événements. La question était, et reste, de dépasser l’alternative entre, d’un côté, la démocratie représentative, dont on voit aujourd’hui toutes les limites, voire les impasses, et, de l’autre, une démocratie directe en gestation, mais alors finalement non advenue. Pendant ces mois de tumulte, on voit en effet apparaître une conception de ce qu’est la politique, la représentation, la citoyenneté qui n’existait pas avant et qui, ensuite, après l’écrasement du mouvement, sera portée en avant par des acteurs hors du champ politique. Au début, ces deux conceptions marchaient ensemble. Pour ceux qui se disaient républicains sous la monarchie de juillet, la République était synonyme d’émancipation sociale. La révolution en février 1848 les met au pouvoir. L’idée républicaine est ainsi mise à l’épreuve de faits. Il y a ceux pour qui la République c’est le suffrage universel, un point c’est tout. Et ceux qui disent que la République, c’est la République démocratique et so- «En février 1848, le peuple célébrait la République, en juin, c’était la guerre civile» LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 ciale avec le droit au travail. Ces deux conceptions deviennent vite inconciliables. Pourquoi ? Victor Hugo écrit par exemple dans une profession de foi électorale: «Deux Républiques sont possibles. L’une abattra le drapeau tricolore sous le drapeau rouge […], ajoutera à l’auguste devise –liberté, égalité, fraternité– l’option sinistre –ou la mort, fera banqueroute, ruinera les riches sans enrichir les pauvres […], abolira la propriété et la famille, promènera des têtes sur des piques.» Le reste du texte est à l’avenant. Il est d’autant plus significatif que Victor Hugo, même s’il n’était pas encore à l’époque le grand écrivain engagé qu’il deviendra ensuite, n’est pas un obscurantiste haïssant le peuple. Les gens qui, face à lui, défendent la République démocratique et sociale lui semblent incompréhensibles: ils ont le suffrage universel, que peuvent-ils vouloir de plus ? Et la plupart des leaders du mouvement partagent ce point de vue. Cette opposition entre les deux conceptions de la République continue tout au long du XIXe siècle ? La commune de Paris est la résurgence de la République démocratique et sociale. Elle trouve en face d’elle les mêmes forces, parfois les mêmes hommes, que ceux qui ont écrasé le peuple en juin 1848. Il y a aussi tous ceux qui, depuis 1848, tel Ledru-Rollin, étaient restés dans l’ambiguïté, et qui seront à l’origine de la gauche politique. Ils parlent de la République démocratique et sociale, ils en font un argument de campagne électorale, mais ils acceptent les institutions de la République modérée contre laquelle les ouvriers s’étaient levés, demandant un autre usage des institutions. Pour les partisans de la République sociale, la République modérée détruit le sens même du mot «République» et les promesses dont il était porteur depuis 1830. Le débat en 1848 porte aussi sur le gouvernement du peuple et ses modalités ? C’est en effet la grande question. Les partisans de la République démocratique et sociale se satisfont des institutions républicaines, mais en veulent une autre interprétation. Leur problème n’est pas qu’il y ait une Assemblée nationale élue, mais que cette dernière puisse se permettre de ne tenir aucun compte de ce que disent les citoyens et qu’elle GRAND FORMAT IDÉES agisse comme si elle était souveraine alors que, pour eux, le seul véritable souverain est le peuple. Ils veulent une autre représentation, une représentation «inclusive» où les députés soient leurs serviteurs et non leurs maîtres. Dans les débats de l’époque, il y a aussi des propositions un peu folles comme une convention nationale réunissant les clubs pour contrôler l’Assemblée nationale. La question du tirage au sort pour désigner les représentants n’est pourtant abordée que marginalement. Les révolutions du XVIIIe siècle, dont les révolutionnaires de 1848 sont les héritiers, ont mis en avant le principe: tout pouvoir doit faire l’objet d’un consentement de la part des gouvernés. Pour cela, l’élection –malgré ses défauts, car elle est moins démocratique et moins égalitaire que le tirage au sort– permet l’expression du choix. Pouvoir choisir, c’est aussi pouvoir démettre. Il ne faut pas oublier que, pendant la révolution de 1848, on n’élit pas seulement les députés, mais aussi les officiers de la garde nationale, les juges de paix. Certains proposent même d’élire les artistes dont les œuvres doivent être exposées aux divers salons afin d’éviter toute forme d’élitisme. La volonté de choisir est au cœur même de l’idée républicaine. Il y a aujourd’hui une redécouverte de ces débats ? Oui, justement à cause de la crise générale des formes de la représentation et des modalités de choix des gouvernants. Le système actuel ne fonctionne • 27 plus. Il y a une évidente désaffection vis-àvis du gouvernement représentatif né d’une tradition monarchique constitutionnelle et républicanisé en 1848. Là où on voit une vigueur démocratique à gauche et dans le camp progressiste en général, comme en Amérique latine, cela passe par l’expérience de formes alternatives de représentation donnant notamment de l’importance aux diverses minorités. L’inventivité démocratique se fait aujourd’hui contre le gouvernement représentatif. Ce dernier se fonde sur le refoulement et l’empêchement de la participation populaire. Il se crée contre la démocratie et l’élection sert avant tout à une monopolisation du pouvoir par les gouvernants. Ces réalités ont été longtemps masquées par l’émergence puis l’affirmation des grands partis de masse. La participation populaire était réelle dans de telles structures politiques tout en étant canalisée dans la lutte pour le pouvoir des élites dirigeantes. Ces partis n’en représentaient pas moins un outil de formation du citoyen. Je ne suis pas nostalgique de cette époque même si ces partis de masse permettaient au système représentatif de fonctionner sous perfusion grâce à cette illusion. Par la suite, ces structures, pour diverses raisons, ont perdu leur pouvoir de mobilisation, notamment avec l’effondrement du communisme. Le voile a été levé. Aujourd’hui la démystification de tout l’édifice construit en 1848 par la républicanisation du gouvernement représentatif et l’écrasement de la démocratie sociale est totale. La dénonciation de l’oligarchie politique est devenue un lieu commun. Comment répondre à cette crise actuelle ? L’une des leçons de 1848 est que les institutions existent avant tout par leur pratique, au-delà des normes juridiques. Ni le tirage au sort, ni l’instauration d’une VIe République dont le concept reste flou, ni tout autre réforme institutionnelle ne suffisent en euxmêmes à résoudre cette crise de la représentation. Changer les institutions sans changer la société ne règle rien. Mais les espoirs de 1848 et de la République sociale nous ont aussi laissé un héritage auquel nous référer. Il nous faut aujourd’hui retisser les fils épars d’une tradition qui avait essaimé dans des mouvements syndicaux, autogestionnaires et associatifs. Les vaincus de 1848 ont compris qu’il était impossible de s’emparer de l’appareil de l’Etat et qu’il était nécessaire de travailler à l’émancipation autrement, en commençant ici et maintenant à impulser des changements. Cela a débuté sous le Second Empire, malgré la répression avec les associations de producteurs et les coopératives. Puis cela a donné la Première Internationale et l’émergence du mouvement ouvrier. Cette grande leçon de 1848 reste vraie. Nous devons, nous aussi, mettre en avant un «anarchisme stratégique». L’arène du pouvoir reste aujourd’hui verrouillée par les partis malgré la crise qui les traverse alors que la catastrophe guette. Mais, à la différence de 1848, on ne peut s’appuyer seulement sur le monde du travail, même si son rôle reste central. Des mouvements comme les Indignés ou les zadistes sont emblématiques. Ou les mouvements féministes qui ont montré qu’il était possible de changer tout une vision du monde sans devoir s’emparer des leviers du pouvoir de l’Etat. • Revue de presse Page 1 sur 2 © Dna, Lundi le 19 Janvier 2015 Droits de reproduction et de diffusion réservés Strasbourg Après les attentats, le colonel Aziz Meliani veut nourrir le débat La République pour horizon Aziz Meliani est l'élu chargé entre autre de la mémoire et du monde combattant au sein de la municipalité strasbourgeoise. En cette période d'inquiétude, il rappelle l'apport à la nation des Algériens, Marocains et Tunisiens. Et plaide pour une nouvelle politique de la ville et un retour de la République dans les quartiers, via un service civil universel par exemple. Pendant la guerre d'Algérie, Aziz Meliani a commandé un « commando de chasse » du 3e régiment de tirailleurs algériens. Il est l'arrière-petit-fils d'un militaire venu d'Algérie combattre à Woerth, durant la guerre de 1870. Aujourd'hui, il est soucieux. « En trois jours, après les attentats des 7 et 9 janvier, il y a eu plus de soixante-dix actes anti-musulmans en France », commence-t-il. « Le pays souffre, il a besoin d'apaisement », considère le colonel. « Notre belle France, pour laquelle ces « La France souffre, elle a besoin tirailleurs se sont battus, est traversée par la confusion. Il d'apaisement », considère Aziz faut rappeler que des Maghrébins ont franchi à trois Meliani. reprises la Méditerranée [lors des trois guerres contre l'Allemagne, N.D.L.R.], pour contribuer à défendre, puis libérer la France ». « Des moments difficiles » Souligner les sacrifices des soldats de l'empire colonial pour la France pourrait contribuer à « éviter l'amalgame », le fameux amalgame. « Les musulmans français vivent des moments difficiles ; une peur s'installe », note l'élu. Que la population de confession musulmane qui vit en France soit stigmatisée, c'est justement ce que souhaitent les auteurs des actes terroristes, considère Aziz Meliani. « Les musulmans sont aussi divers que le reste des Français. Je n'aime pas beaucoup le terme de communauté musulmane », ajoute-t-il. En guise de contribution à la future conférence citoyenne suscitée par le maire, Aziz Meliani distingue plusieurs domaines de réflexion et d'action. « Il faut une nouvelle politique de la ville. Il nous faut réintégrer la République dans les quartiers. » Pour que les valeurs républicaines soient mieux diffusées, Aziz Meliani soutient la mise en place d'un service civil universel ou le rétablissement d'un service militaire court. Aziz Meliani souhaite clairement que la croyance religieuse reste dans le domaine privé. « Il y a le culte et la culture », souligne l'élu. Il plaide en faveur d'une séparation entre les instances représentatives de l'islam en France, entre celles qui traitent de la vie en société et de la politique et celles qui se préoccupent des questions religieuses. D'autre part, « il faut réfléchir à la formation des religieux. Actuellement, 50 % des imams parlent mal ou pas du tout le français ». Sans angélisme, l'ancien militaire considère qu'il faut conduire « une réflexion sur les raisons qui font que des enfants de France s'attaquent à ses valeurs ». Conduire cette réflexion incombe à la classe politique, souligne-t-il. http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=10433&journal... 19/01/2015 Revue de presse Page 2 sur 2 « Les réseaux djihadistes veulent nous enfermer dans une rhétorique guerrière. Il n'y a pas de guerre des religions, ni de guerre des civilisations », avance l'élu strasbourgeois. Propos recueillis par P. Séjournet http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=10433&journal... 19/01/2015 N¡ 2253 lundi 19 au dimanche 25 janvier 2015 Page 3 449 mots EDITORIAL Pour que vive lÕesprit du 11 janvier Apr•s lÕattentat contre Ç Charlie rement lÕAmŽrique r™le au service de lÕintŽr•t gŽnŽral et Hebdo È et lÕexceptionnelle mobilisation du 11 janvier, il est difficile pour chacun dÕentre nous de reprendre une vie normale. La rŽaction ˆ de tels post-11-Septembre, Žvitons le pi•ge dÕun Ç Patriot Act È ˆ la fran•aise, qui doterait lÕEtat de trop larges moyens de la dŽfense des principes rŽpublicains. Ç Oui, les politiques publiques mises en Ïuvre par les collectivitŽs ŽvŽnements ne peut pas se limiter au de surveillance, sans transparence. DÕautres leviers existent, quÕil nous ont le pouvoir de faire Žvoluer les choses, lance-t-elle. Elles ont cette seul sursaut citoyen, aussi fort et em- faut mobiliser. La rŽponse ˆ la haine capacitŽ dÕamener les citoyens ˆ se blŽmatique de passe forcŽment par une lutte renfor- construire une identitŽ et des opi- conscience doit se poursuivre, pour redonner du sens au fameux vivre- cŽe contre la radicalisation, en prison mais pas seulement. La premi•re prioritŽ est celle de lÕŽcole, avec la nions. È Un constat dÕautant plus vrai dans les quartiers, comme le souligne dŽlicate t‰che dÕapprendre aux Žl•ves plaide notamment pour dŽvelopper la participation des citoyens et don- soit-il. La prise ensemble. Une fois lÕŽmotion retombŽe, il faut la transformer en actions de fond, durables et ˆ la hauteur des ˆ lÕassociation Ville et banlieue, qui de lÕart difficile du dŽbat et du respect de lÕautre. Les actions de prŽvention sÕengager au plus vite, tout le monde et de civisme, lÕinsertion et lÕemploi, doit y participer. Et il y a urgence, afin que la pŽriode qui sÕannonce nÕattise pas les peurs, ne nourrisse lÕŽducation populaire, les projets autour de la mŽmoire, la culture et le dialogue, la politique de la ville sont La ville de Strasbourg va par exemple organiser une Ç confŽrence citoyenne È chargŽe dÕŽlaborer des propositions concr•tes pour Žviter pas les exclusions et ne fasse pas lÕamalgame inacceptable entre terro- indispensables pour amŽliorer le vivre-ensemble. R™le des collectivi- que la prise de conscience ne sÕessouffle. LÕesprit du 11 janvier doit risme et islam. tŽs. Les collectivitŽs sont en premi•re perdurer. LÕart difficile du dŽbat. Attention ligne de ces diffŽrents combats. Dans une tribune publiŽe cette semaine toutefois ˆ ce que la rŽponse ne soit pas uniquement sŽcuritaire, m•me si dans Ç La Gazette È (lire p. 106), une fonctionnaire territoriale les appelle ce volet est indispensable. Contrai- avec raison ˆ sÕinterroger sur leur enjeux. Le dŽbat a besoin Parution : Hebdomadaire Diffusion : 26 294 ex. (Diff. payŽe Fr.) - © OJD DSH 2013/ 2014 ner les moyens de Ç faire ensemble È. par Philippe PottiŽe-Sperry, RŽdacteur En Chef 2268071883C07C0D809605F1B10041D96EC4151194774CEE65C3700 1 12 | débats 0123 MARDI 20 JANVIER 2015 Un islam à réformer ? Comment forger une théologie islamique qui, tout en restant fidèle à l’esprit de la foi, offrira un contre-modèle convaincant face au djihadisme et autres interprétations violentes des textes sacrés ? Des intellectuels musulmans ou non musulmans s’interrogent La vraie sagesse de l’imam Le djihadisme dissimule la véritable apocalypse de notre temps : la mutation écologique par bruno latour L es artistes donnent parfois d’avance la clé de l’actualité. Je ne fais pas allusion au roman de qui vous savez, mais au film Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako. On y voit un imam local s’opposer aux djihadistes d’importation. Islam contre islam ? Non, un très vieil islam confronté à des étrangers incapables de comprendre les mœurs du pays sur lequel ils mettent la main. Si cela vous rappelle quelque chose, c’est que les djihadistes agissent contre la cité vénérable comme les colonisateurs de jadis. Au nom de l’autorité indiscutable des modernisateurs : « Il faut changer votre vie, radicalement, et tout de suite. » Pauvres habitants, moulinés par la colonisation et remoulinés par les djihadistes. Avec deux différences, il est vrai capitales. Ce que les colonisateurs détruisaient, c’était au nom d’un futur imaginaire, alors que les terroristes actuels le font pour revenir à un passé lui aussi utopique. Mais surtout, il y avait encore parmi les modernisateurs de jadis des conflits entre les différentes instances. Les djihadistes qui occupent Timbuktu ont unifié en une seule certitude ce que demande le droit, le pouvoir, Dieu et le profit. Pour eux le jugement et l’exécution sont dans la même main : celle de Dieu, à savoir la leur. Les efforts du vieil imam pour différencier les sources d’autorité échouent parce que les djihadistes les ont toutes télescopées en un seul fléau qu’ils manient sans trembler. Ne leur parlez pas de pluralisme. Ils savent, ils décident, et ils tuent. Tout en un. ARCHAÏQUES ET SANGUINAIRES L’imam permet de tirer deux leçons sur les événements récents. Contre ce genre d’assassins, impossible d’en appeler à une « guerre de civilisation » : c’est notre civilisation, ce sont nos enfants, ils nous appartiennent. Il faut s’y faire : les tueurs sont de « bons Français ». Oui, c’est une plaie, mais elle ne nous est pas étrangère. Ceux qui défilent avec raison contre les crimes des assassins n’ont-ils jamais célébré les « sacrifices indiscutables » auxquels il faut tous nous soumettre au nom de « l’inévitable modernisation », au besoin par la violence ? Certains s’arrogent le droit au nom de l’utopie d’un paradis sur terre de créer l’enfer pour ceux qui doutent ou n’obéissent pas. On ne pourra pas lutter contre les nouveaux criminels tant qu’on ne comprend pas que, derrière leur archaïsme de façade, ce sont avant tout des modernisateurs forcenés. On objectera qu’on ne doit pas comparer l’idéal de modernisation toujours renaissant avec ces militants archaïques et sanguinaires puisqu’ils agissent au nom de Dieu et que la religion est une affaire terminée. Oui, la religion joue un rôle. Il est possible que l’idée d’un Dieu unique pousse à télescoper les sources d’autorité. Pourtant, plus que la quantité de religion, ce serait plus utile de considérer la différenciation dont une civilisation est capable. Le vieil imam est bien plus religieux que ceux qu’il combat mais il est surtout plus articulé. S’il est lui aussi dans la main de Dieu, il ne la confond pas avec la sienne. C’est toute la différence. Le djihad, explique-t-il, c’est sur lui qu’il le fait sans lui apporter aucune certitude. Au contraire, ça le fait trembler. La modernité commence quand la religion perd son incertitude et devient la réalisation sur terre de ce qui doit rester dans l’au-delà. Le modernisateur devient certain de pouvoir achever les fins de la religion par la politique. Et plus tard, on oubliera tout à fait la religion ; il ne restera que le droit de faire de la politique au nom d’une certitude absolue empruntée à tort au sentiment religieux. D’où notre stupéfaction de voir revenir le religieux dans l’assassinat politique. En fait, il ne nous avait pas quittés ; les antireligieux modernisateurs ou révolutionnaires sont religieux de part en part puisqu’ils connaissent le sens de l’Histoire et par quels violents arrachements il faut y mener les rétifs ou les infidèles. Le vieil imam de Timbuktu insiste en dodelinant de la tête que Dieu peut-être le sait, mais pas lui ; et qu’il ne veut donc pas risquer de commettre le crime juridique, le péché religieux, la faute politique, de confondre les deux. Au fond, sa leçon revient à découvrir comment extirper le religieux de la politique, mais c’est un devoir d’examen de conscience, qui s’adresse à tous, aussi bien aux djihadistes bien de chez nous. Il faut redifférencier les sources d’autorité ; ce qui revient à attendre moins de la politique. Contre le nihilisme, il faut apprendre à dire « non ». Non, la politique ne peut pas faire le paradis sur terre. Non, ce n’est pas à l’Etat de procurer une identité protectrice. Non, la religion n’est pas là pour apporter des certitudes. Non, il n’y a pas un front de modernisation. Non, il n’y a pas de sens de l’Histoire. Déceptions nécessaires pour redonner du sens au mot civilisation, un simple modus vivendi. Ce n’est pas assez ? En voulant plus, on a toujours fait pire. Ce que l’imam ne dit pas, c’est à quel point ces décharges de violence sont inintéressantes. Au chagrin de pleurer les morts, s’ajoute le désespoir de voir des actions survenir à contretemps. Car enfin, quand les djihadistes nous menacent de l’apocalypse, ils ne semblent pas s’apercevoir qu’une autre apocalypse nous menace pour laquelle, pas plus que leurs prédécesseurs, ils n’ont le plus petit début de réponse. S’il faut défiler en masse, ce devrait être aussi pour affronter la mutation écologique dont tous les modernisateurs sont cette fois directement responsables. Avonsnous pour cela une civilisation assez articulée, au sens du vieil imam ? p ¶ Bruno Latour est sociologue, anthropologue et philosophe des sciences. Il est directeur adjoint et directeur scientifique de Sciences Po ALINE BUREAU Aux élites musulmanes de créer une alternative libérale crédible Le débat intellectuel sur l’islam brille par son indigence. Il faut renouveler l’étude des textes traditionnels de la foi islamique en les confrontant au monde contemporain par zafer şenocak A ujourd’hui, le public ne perçoit pratiquement plus l’islam que comme une alerte au terrorisme. C’est l’élite musulmane dans son ensemble qui en porte la responsabilité. Depuis plus d’un siècle, elle n’est pas parvenue à concilier les sources traditionnelles de la foi islamique et le monde contemporain, elle n’est même pas arrivée à les engager dans un face-à-face qui aurait entraîné un débat fécond. De nos jours, dans ses traits les plus aimables, la culture islamique a plutôt des airs de Disneyland. Des fragments de la philosophie occidentale, des textes anciens de maîtres soufis musulmans, de rationalistes et de métaphysiciens traversent les sphères intellectuelles musulmanes en vol désordonné et, le plus souvent, sans aucun lien les uns avec les autres. Ces exercices intellectuels sont aussi dénués de confrontation créative et originale avec les défis de notre temps que d’examen critique des sources. Un islam du pamphlet s’est imposé : il emploie une langue réduite à sa plus simple expression pour résoudre les conflits mondiaux, définit l’ordre des relations entre l’homme et la femme, règle les rapports avec les adeptes d’autres croyances. Le langage des représentants d’associations et des religieux musulmans ressemble à un message en morse sur un navire qui coule. Un tel édifice confessionnel ne pèse d’aucun poids face à un islam paria qui assume ouvertement son inculture. L’écriture brute de la terreur pèse lourdement sur les proclamations bien intentionnées. Le gouvernement turc, d’inspiration islamique, a récemment supprimé l’enseignement de la philosophie dans les écoles destinées aux futurs imams. Les responsables de cet extrême amaigrissement de la culture islamique ne sont pas moins dangereux que ceux qui transforment leur foi en arme à feu. Car ils doivent leur supériorité à l’ignorance et à la paresse intellectuelle des musulmans paisibles et modérés. Ce que nous vivons est aussi un étiolement de la doctrine islamique. Que sont devenus les théologiens islamiques à l’université d’Ankara, ceux qui développaient des approches stimulantes afin de porter une lumière historique et critique sur les sources de la religion islamique ? Une nouvelle génération de scientifiques très qualifiés existe bien, mais elle travaille dans le plus grand silence, souvent reléguée dans l’isolement, loin des regards de l’opinion. MASSES INCULTES Là où le discours universitaire est faible, là où les ressources spirituelles et intellectuelles sont chiches, la puissance supérieure du langage des réseaux sociaux, un langage victime de l’abrutissement et au mieux porteur d’une fausse culture, devient le véritable foyer du conflit. Les terroristes ne cessent de recruter dans une communauté de plus en plus nombreuse, formée de masses musulmanes incultes qui attendent en permanence de pouvoir convertir leur frustration en une cause jugée supérieure. Voilà longtemps qu’il ne suffit plus aux musulmans de condamner la terreur exercée en leur nom. Il est temps que les questions portant sur les valeurs de la civilisation, sur l’avenir de la coexistence dans un monde globalisé, bref sur le temps présent, entrent dans les univers existentiels musulmans. Nous avons besoin pour cela de fonder une institution qui mènera son action dans le monde entier. Une institution qui n’entravera pas la pensée, mais l’encouragera. Un centre d’études qui remémore les penseurs à l’esprit libre de la civilisation islamique et renoue avec leur travail. Une scène accueillant l’échange, le discours interculturel et interreligieux. On pourrait imaginer une école de pensée, un collège international de musulmans, un conseil des érudits dont la tâche serait aussi de surmonter la querelle entre sunnites et chiites. Cette institution pourrait travailler à une charte musulmane pour les temps modernes. En n’utilisant pas la langue du pamphlet, en se situant au contraire à un niveau intellectuel qui fermerait la porte à toute barbarie. Le travail d’une institution de ce type pourrait remettre la culture islamique et la foi musulmane à la place qui leur revient : dans le patrimoine culturel de l’humanité. p Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni ¶ Zafer Şenocak est écrivain. Il est l’auteur, avec Colette Strauss-Hiva, de « Parenté dangereuse » (L’esprit des péninsules, 2000) débats | 13 0123 MARDI 20 JANVIER 2015 Le Coran est un texte à repenser Il faut que les musulmans éclairés s’unissent pour délivrer l’islam de la déformation congénitale du djihadisme par waleed al-husseini, E n analysant les événements qui ont endeuillé la France, il est aisé de comprendre que ceux qui ont attaqué Charlie Hebdo sont idéologiquement liés à ceux qui m’ont emprisonné et torturé pour outrage à la religion en Cisjordanie, à ceux qui ont condamné Raëf Badawi en Arabie saoudite et à ceux qui ont condamné à la peine capitale Mohamed Al-Cheïk en Mauritanie. Les tueurs des attentats du 7 au 9 janvier à Paris ont puisé leur idéologie radicale à la même source qui nourrit mes tortionnaires et tous les autres oppresseurs de la librepensée. Tous confisquent la liberté, combattent la libre-pensée, interdisent la liberté d’expression. Ils veulent briser nos stylos, plus percutants que leurs armes. Ils veulent soumettre l’humanité et ramener les hommes et les femmes à l’état de brebis dociles. Ces oppresseurs n’ont pas seulement visé Charlie Hebdo, ils ont ciblé le concept et la valeur même de la liberté. Paradoxalement, ils s’octroient la liberté de juger et d’exécuter quiconque ose les critiquer. Ce qui a été moins dit, c’est que les extrémistes puisent leur idéologie dans certains passages du texte coranique qui véhiculent la haine et prônent l’assassinat de l’autre. Ils s’appuient sur une kyrielle de fatwas, elles-mêmes inspirées du Coran ou présentées comme son interpréta- tion. Ils disent appliquer les enseignements des oulémas. Il est dangereux de continuer à caresser le monstre dans le sens du poil pour éviter de le provoquer. Il est temps d’abandonner le politiquement correct qui ne fait que renforcer ces ultras. Il est de notre devoir d’ouvrir les yeux, de retrouver les textes violents qui répandent cet extrémisme, d’en débattre et d’engager une profonde réforme de l’islam. A défaut de les interdire, il est indispensable d’étudier ces textes et de prouver qu’ils permettent plusieurs interprétations. A l’instar de la traduction œcuménique de la Bible, il est urgent de procéder à une traduction œcuménique du Coran pour le rendre conforme à la laïcité et aux libertés. C’est un travail qui incombe aux musulmans éclairés, pourvu qu’ils osent affirmer leur laïcité, la vivre et respecter le droit à la différence d’autrui et son droit à la vie. Il est urgent que les musulmans cessent leur double langage qui consiste à présenter uniquement les versets « révélés » à La Mecque pour prôner un islam pacifique, une religion d’amour et de miséricorde, et à omettre sciemment les versets de Médine, guerriers et violents, qui appellent à tuer les mécréants. DU PROSÉLYTISME À L’ÉPÉE En réalité, le prophète Mahomet a une double personnalité. Pendant son séjour à La Mecque, il était en position de faiblesse, persécuté par les tribus athées. Il a fait profil bas et utilisé sa docilité comme N’ignorons pas la violence dans les textes sacrés Dirigeants et chercheurs ont créé une religion qui n’existe pas à force de répéter que l’islam est synonyme de paix par edward n. luttwak U n nombre toujours croissant des immigrés de culture musulmane qui vivent aujourd’hui en Amérique du Nord et en Europe refusent d’empoisonner l’esprit de leurs enfants avec les idées intolérantes, voire fanatiques, qui ont cours dans leurs villes et villages d’origine. Ils le font pour permettre à la nouvelle génération de se saisir des opportunités qu’offre la liberté individuelle. Sans répudier l’islam, la plupart des parents qui s’engagent dans la modernité veillent à tenir leurs enfants éloignés de toute éducation religieuse, laquelle est le plus souvent prodiguée par des immigrés récents, moins intégrés. Beaucoup ont déjà effectué la transition – on rencontre très souvent des individus parfaitement modernes portant des noms musulmans, mais dépourvus de tout ressentiment ou préjugés violents liés à l’islam. TRAHISON DE LA LIBERTÉ Ces parents attentionnés et droits se voient aujourd’hui déstabilisés, voire discrédités par des présidents, premiers ministres, professeurs et prêtres qui s’entêtent à affirmer que l’islam est une magnifique religion de paix, et qui vont répétant que les moros du Mindanao aux Philippines, les djihadistes de la province thaïlandaise du Jala, les conglomérats pakistanais de la terreur, les talibans afghans, les différentes variantes djihadistes syriennes, l’ex-EIIL devenu Etat islamique, le Hezbollah libanais, le Hamas, les filiales d’Al-Quaida au Yémen, en Afrique du Nord et au Niger, ou encore Boko Haram au Nigeria ne représentent pas le « véritable islam ». Mais non ! le vrai islam, c’est cet élégant imam à la voix douce et à la barbe bien taillée qui ne rate aucune rencontre inter-religieuse, où il embrasse juifs et chrétiens (et même bouddhistes ou hindous) tout en décla- mant des vertus pacifiques de l’islam. Quant aux professeurs, ils ont créé aux Etats-Unis une religion toute neuve que l’on pourrait baptiser « islam universitaire américain » dans laquelle on a supprimé du Coran tous les passages appelant à décapiter les apostats et les incroyants et à réduire leurs femmes en esclavage. Alors que ces présidents, premiers ministres, professeurs et prêtres s’enfoncent de plus en plus dans le ridicule en tressant, après chaque nouvel acte de violence islamiste, de nouveaux lauriers à la gloire de la « beauté » de l’islam et de sa nature si profondément pacifique, l’effet de ces déclarations sur ces parents qui souhaitent l’intégration de leurs enfants est beaucoup moins réjouissant. Lorsqu’ils énumèrent les raisons qui les ont poussés à immigrer – attentats, décapitations, tueries de masse et enlèvements, des Philippines au Nigeria, de Boston à Paris –, ils se voient contredits par leurs propres enfants qui refusent de voir l’islam imaginaire autrement que ne le décrivent ces présidents, premiers ministres, professeurs et prêtres. C’est une trahison de la liberté. Laissons aux prêcheurs musulmans le soin de défendre leur religion, même s’ils feraient œuvre plus utile en expurgeant le Coran de ses appels au crime et en supprimant de leurs propres sermons toute approbation de la violence. Les personnalités non musulmanes doivent cesser de légitimer l’islam tel qu’il est, car cela signifie légitimer la violence islamique. p Traduit de l’anglais par Gilles Berton ¶ Edward N. Luttwak est chercheur associé au think tank américain Center for Strategic and International Studies. Il a notamment été conseillé de Newt gingrich, figure de proue de la droite conservatrice américaine vecteur de prosélytisme pour répandre une religion de paix. Mais après sa migration vers Médine et le début des conquêtes, sa puissance l’a transformé. Il a alors troqué la docilité pour la violence et le prosélytisme pour l’épée. Il a fait décapiter les poètes qui osaient le critiquer par le verbe, tout en encourageant d’autres poètes à dénigrer ses adversaires. A l’image de son auteur, Mahomet, le Coran contient beaucoup d’appels au meurtre, à la destruction et à l’exclusion. Cette violence, enseignée depuis quatorze siècles, a accompagné toutes les conquêtes islamiques et marqué des générations entières de fidèles. Evidemment, tous les musulmans ne sont pas des terroristes, même s’ils sont trop nombreux à ne pas s’en désolidariser. Mais presque tous les terroristes de la foi sont des musulmans. Il devient urgent que les musulmans éclairés s’unissent pour délivrer l’islam de cette déformation congénitale. Nous sommes tous invités à nous unir contre l’extrémisme et à défendre la liberté. Tous les pays musulmans sont invités à défendre la liberté chez eux et à abandonner la schizophrénie héritée du double langage du Coran. Car comment tolérer que Mahmoud Abbas puisse défiler à Paris contre le terrorisme qui a frappé Charlie Hebdo alors qu’il m’a fait emprisonner, torturer et juger par une cour martiale au nom de l’islam ? Comment accepter la présence du premier ministre turc Ahmet Davutoglu à la manifestation parisienne alors que la Turquie nourrit la haine contre les caricaturistes danois ? Comment supporter la participation de l’ambassadeur saoudien à la marche pour Charlie alors que son pays vient de condamner à 1 000 coups de fouets Raëf Badawi, accusé d’avoir manqué de respect à l’islam ? Comment prendre au sérieux les condamnations de la tuerie formulées par l’Iran, la Syrie et le Hezbollah, en sachant que Téhéran a été le premier à avoir émis une fatwa contre Salman Rushdie en 1989 pour son livre Les Versets sataniques, qu’il renouvelle périodiquement cette fatwa, et qu’il vient de traduire un journal devant la justice ? Les condamnations syriennes sont aussi intéressées, Damas tentant une récupération politique des attentats à Paris pour diaboliser l’islam sunnite et réhabiliter son propre régime au nom de la lutte contre le terrorisme, en dépit des crimes commis contre son peuple. Les condamnations par le Hezbollah, qui représente le pendant chiite de l’extrémisme sunnite, sont motivées par les mêmes considérations géopolitiques. Il est urgent d’unifier nos discours à l’échelle internationale et d’unir nos efforts pour assécher cette idéologie qui favorise la barbarie. Il faut une vraie réforme profonde de l’islam, telle que préconisée par le président égyptien Abdelfattah Al-Sissi, pour sauver l’islam d’abord, et épargner à l’humanité tout entière les dérives haineuses de cette idéologie. Les récalcitrants seront alors placés sur la liste des organisations terroristes et combattus à ce titre. Ces mesures doivent aussi comprendre la gestion des mosquées et autres institutions islamiques et la surveillance des prêches, afin que les lieux de culte restent voués à la prière et que les institutions islamiques cessent d’être des foyers d’endoctrinement et d’enrôlement de terroristes. Il faut veiller à ce que la démocratie ne profite pas aux théocrates, par définition ennemis de la démocratie. « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », disait Saint-Just. Soyons unis pour mener à bien notre prochain combat pour la liberté, et cessons de nous cacher la tête dans le sable. p ¶ Waleed Al-Husseini, fondateur du Conseil des ex-musulmans de France, vient de publier « Blasphémateur ! Les prisons d’Allah », Grasset, 240 p., 18 euros. Le Prophète, lui, avait de l’humour Les djihadistes se trompent de religion, car Dieu n’a nul besoin de martyr par malek chebel P eut-on encore mourir pour une image ? Au XXIe siècle, la guerre des iconoclasmes fait encore rage. Comment expliquer que les musulmans s’interdisent aujourd’hui les images du Prophète et de Dieu, alors même qu’aucun texte interne à la doctrine ne le prescrit ? Durant des siècles, les créateurs musulmans ont réussi, grâce à la calligraphie, à détourner cette clause en se refusant consciemment ou inconsciemment à figurer des êtres humains. Un déplacement significatif s’est produit entre deux visions, deux doctrines : la saine compréhension du Coran et d’hadith [dits du Prophète non retenus dans le Coran], d’un côté ; l’instance du fiqh (jurisprudence islamique) de l’autre, qui a posé un magistère particulier et une règle de droit. Ce déplacement est le nœud du blocage actuel. Aujourd’hui nous devons défendre notre amour des images, notre définition des notions de liberté individuelle et la séparation des prérogatives religieuses et publiques. Ce combat, qui se poursuit depuis la chute du califat en 1923, tient en quelques lignes : le créateur musulman ne veut plus s’agenouiller devant l’imam qui n’est pas, contrairement à ce qu’il prétend, dépositaire d’une légitimité religieuse supra humaine, car la religion ne conduit plus les nations comme par le passé et ne confie son destin qu’à des cœurs purs, sans ancrage dans le réel. Concrètement, il y a dans le monde arabe des écrivains, des cinéastes, des dramaturges, des plasticiens et d’autres créateurs qui doivent restreindre la puissance de leur talent de peur d’être jetés dans les enfers. Il y a encore des écrivains qui sont l’objet de fatwas malveillantes et venimeuses issues de cerveaux ensauvagés par l’émergence du fondamentalisme religieux et guidés à distance par des idéologues arrogants. L’islam est-il donc devenu l’otage des images diffractées et coupables que chacun dans sa vision intime, dans sa représentation assumée ou dans son délire se fait de lui ? MISÈRE PHILOSOPHIQUE Ce que les censeurs ne savent pas, c’est que Dieu est plus subtil que leur « ministère du culte et de la vertu ». Parce que c’est Dieu, tout simplement, et qu’il n’a pas besoin de porte-étendards ni de thuriféraires, et pas même de martyrs. S’agit-il seulement d’une fusion entre le réel et l’irréel, ou d’un monde courant plus vite que le temps qu’il secrète, d’une dérision de la dérision ou d’une obscure histoire qui bégaie ? Que pouvons-nous attendre pour demain, un progrès ou une régression ? Cette quête de sens est un manifeste du non-sens absolu auquel se nourrit aujourd’hui l’islam. L’islam est désormais le déversoir de la misère philosophique, il est le réceptacle de tous les réprouvés de la terre. L’islam est le bouc émissaire de toutes les exaspérations, mais les jeunes embrigadés au nom de promesses paradisiaques ne savent pas qu’ils profanent la religion pour laquelle ils se battent. En vérité, Mahomet, le Prophète, avait de l’humour, ce sont ses zélateurs qui n’en n’ont pas. L’islam est formel, il récuse le titre de martyr à celui qui assassine des civils, car si tous les tueurs sont admis dans la bénédiction d’Allah, cela signifie tout simple- ment que le paradis est plein d’assassins. La morale commune réprouve le meurtre et l’assassinat, elle ne peut être complice de la lâcheté de ceux qui acquièrent une quelconque réputation en s’adonnant à de si sales pratiques. Le refus de l’image laisse de nombreuses victimes sur le carreau. Or la réforme de l’islam à laquelle tant de penseurs musulmans s’adonnent exige d’emblée que la question de la représentation des puissances divines soit libérée du carcan de l’invisibilité. Ne pas représenter le Prophète, c’est faire de lui une idole païenne, un Anti-Dieu. Les chiites représentent déjà leur saints tutélaires, les mystiques musulmans en font de même. On fait de la non-représentation du Prophète un secret mais si nous lisons les traités de théologie, Mohamed est décrit avec force détails. Au fond, l’interdit de la représentation du Prophète est une façon détournée de laisser chacun libre de se faire sa cuisine individuelle. Ne pas accepter le Prophète de tous les musulmans pour mieux se construire son panthéon personnel, sa mosquée, ses rites déambulatoires, ses satisfactions coupables et autant d’arrangements possibles. Libérer l’image est une nécessité devant la prolifération maligne des images individuelles, forcément solipsistes. Dans tous les cas de figure, la question d’associer un petit dieu à un grand ne se pose plus depuis que d’autres dieux plus matérialistes, l’argent, le pouvoir, la vitesse des rotatives, les tweets ont pris le pas sur le Dieu de compassion qu’est Allah. p ¶ Malek Chebel anthropologue des religions et psychanalyste. Il vient de publier aux Editions du CNRS « L’Inconscient de l’islam », 124 p., 15,90 € mardi 20 janvier 2015 Page 8 845 mots FRANCE Ç Il faut prŽserver les principes rŽpublicains tout en s'adressant aux minoritŽs È Benjamin Stora, historien spŽcialiste du Maghreb, Žvoque la Ç fracture È avec les jeunes des banlieues issus de l'immigration Benjamin Stora est historien, spŽcialiste du Maghreb contempo- sociŽtŽs de culture musulmane prises entre des Etats autoritaires et des op- celle de la France et des Ç pays du Sud È. C'est une bataille longue, dif- rain. Auteur de nombreux ouvrages, il a rŽcemment publiŽ, avec Abdel- positions islamistes, la tragŽdie ter- ficile, complexe, mais il n'y a pas rible des ŽvŽnements algŽriens des annŽes 1990 juste apr•s la chute du mur de Berlin, etc. Ajoutons la montŽe de l'antisŽmitisme et d'autre choix. Sinon, existe le risque l'aggravation de la crise Žconomique, C'est lˆ le grand probl•me. Les ensei- Vous avez participŽ, dimanche 11 avec pr•s de 4 millions de ch™meursÉ janvier, ˆ la marche rŽpublicaine Vous Žvoquez un Ç risque de prise ˆ Paris en hommage aux victimes de distance È au sein de la population fran•aise. Comment le prŽve- gnants ne sont pas assez formŽs en la mati•re. Il y a de fa•on gŽnŽrale un dŽficit de connaissance des pays du Maghreb chez nos Žlites intellec- wahab Meddeb, une Histoire des relations entre juifs et musulmans(Albin Michel, 2013). Il prŽside depuis aožt 2014 le conseil d'orientation du MusŽe de l'histoire de l'immigration. des attentats des fr•res Kouachi et d'Amedy Coulibaly. Que retenezvous de cette mobilisation ? La force du nombre et la volontŽ de se retrouver ensemble dans l'Žpreuve nir ? L'aspect dŽcisif, c'est la crise de la transmission culturelle dans une partie importante des immigrations ont masquŽ une dimension essentielle : la faible prŽsence dans la d'origine maghrŽbine. Toute la richesse d'une histoire islamique antŽ- marche des jeunes de banlieues, des rieure (langue, cultures, civilisation) populations issues des immigrations maghrŽbines. Certains groupes Žtaient prŽsents place de la RŽpu- reste peu connue dans les nouvelles gŽnŽrations. Ne survivent que des blique, mais j'ai ŽtŽ surpris : j'ai vu lˆ un risque de prise de distance nette ˆ l'intŽrieur m•me de la population fran•aise. Comment l'expliquez-vous ? Cette faible prŽsence nous dit plusieurs choses. D'abord, la crise du lien rŽpublicain, crise installŽe depuis plus de dix ans. Et dix ans tr•s exactement apr•s les Žmeutes de 2005, la fracture ne s'est pas rŽsorbŽe. On en conna”t l'origine : l'effondrement des idŽologies collectives, le refuge dans le religieux comme idŽologie de substitution aux engagements nagu•re menŽs par les gauches (politiques ou syndicales), les retards pris dans le regard portŽ sur le passŽ colonial, les crises des de l'enfermement, de la sŽparation. Selon vous, les enseignants sontils armŽs pour cela ? tuelles. Ce dŽsarmement fait que les Žl•ves et les Žtudiants d'origine maghrŽbine ont parfois le sentiment qu'ils connaissent mieux leur histoire que leurs ma”tres. C'est une alternative rŽpublicaine ˆ cette histoire communautarisŽe, qui depuis trente ans fait la part de plus en plus belle aux aspects religieux, qu'il faut proposer. bribes de connaissances religieuses, apprises sous l'angle du combat ˆ li- Vous •tes un homme de gauche. vrer contre l'autre, entretenues comme des slogans, diffusŽes par Internet avec une extraordinaire rapi- moyens de relever ce dŽfi ? ditŽ. Il faut ˆ ce propos souligner que cette connaissance par Internet se fait bien souvent individuellement, en rupture avec les traditions familiales et religieuses. La fabrication identitaire de ces jeunes se construit par bricolage idŽologique, fascination pour la violence, mise en accusation des autres sans concevoir sa propre responsabilitŽ. A cela, il y a une alternative : si l'on ne veut pas d'une guerre des mŽmoires, il faut mener une bataille culturelle pour conna”tre l'histoire, La gauche au pouvoir a-t-elle les L'aspect sŽcuritaire est une rŽponse ˆ apporter dans l'immŽdiat ˆ une opinion publique inqui•te. Mais le vŽritable chantier, dans la longue durŽe, a pour objet le renforcement du mod•le rŽpublicain, ce qui passe par sa redŽfinition. Or, pour cela, il faut reconna”tre que les partis de gauche ne sont pas armŽs idŽologiquement. L'enjeu est de prŽserver les principes rŽpublicains, comme la la•citŽ, tout en s'adressant aux minoritŽs. C'est une question d'Žquilibre, mais il faut tenir les deux bouts d'une m•me histoire : on ne peut ignorer la diversitŽ des communautŽs, mais on ne peut pas non plus basculer dans le com- 1 munautarisme. C'est tout l'objet de la moires qui l'emportera. Ce qu'il faut Propos recueillis par Thomas Wie- bataille culturelle qui est ˆ mener. Si Žviter. der on y renonce, c'est la guerre des mŽ- Parution : Quotidienne Tous droits rŽservŽs Le Monde 2015 Diffusion : 274 887 ex. (Diff. payŽe Fr.) - © OJD DSH 2013/ 2014 6769B7968F705506A07A01117709017D75E7646B83F35D31B72A7BD Audience : 2 023 000 lect. - © AudiPresse One 2013/2014 2 N¡ 10473 mardi 20 janvier 2015 Page 22 907 mots REBONDS Quelle la•citŽ ˆ l'Žgard de l'islam ? C ertaines voix ont rŽcemment imputŽ aux journalistes deCharlie Hebdo une attitude Ç imprudente È dans leur traitement de l'islam. Mais la verve de Charlie Hebdo s'est exercŽe contre toutes les religions, sans en Žpargner aucune. Soit on estime qu'ils ont ŽtŽ imprudents ou provocateurs aussi par rapport au christianisme et au juda•sme, soit on leur accorde la m•me libertŽ ˆ l'Žgard de l'islam. La premi•re posture est sans doute dŽfendable, et alors il faut l'expliciter et l'argumenter. Mais demander plus de Ç prudence È spŽcialement ˆ l'Žgard de l'islam rel•ve d'une dangereuse singularisation et Žquivaut ˆ considŽrer que ce n'est pas une religion Ç comme les n™tres È, ce qui est exactement la position de ceux qui stigmatisent l'islam en tant que tel - m•me si c'est parfois avec de bonnes intentions (de la Ç stigmatisation positive È ?). Il faut certes prendre en compte le sentiment d'humiliation et de sŽgrŽgation ŽprouvŽ dans notre pays par des millions d'hommes et de femmes d'origine arabo-musulmane. Pour autant, il importe de rappeler que la plupart d'entre eux n'ont, de longtemps, ni ŽprouvŽ ni exprimŽ ce sentiment sur le mode religieux, mais d'abord, ˆ juste titre, sur le mode politique. La lutte nationale du peuple algŽrien ni aucune des luttes anticoloniales ne s'est menŽe fondamentalement en tant que revendication religieuse. Et le conflit israŽlo-palestinien n'a rien d'une guerre de religion. RŽciproquement, c'est sous-estimer le racisme anti-arabe et anti-africain que de l'identifier ˆ un anti-islamisme. L'islamophobie est un terme trop commode qui sert souvent ˆ voi- ler un racisme pur et simple. C'est une rŽgression relativement rŽcente, liŽe bien sžr aux avatars des politiques nŽo-impŽrialistes, mais aussi aux formes de domination des pŽtrooligarchies arabes, que d'avoir fini par dŽporter les conflits sociaux, Žconomiques et politiques sur leur dimension religieuse. Nous devons rŽcuser ce rabattement plut™t que d'y cŽder. Oui, ces peuples, comme ces gamins de banlieue, ont bien des raisons de se rŽvolter, mais pas au nom de l'islam. Ce serait une forme de paternalisme que de faire en leur faveur des entorses ˆ notre la•citŽ fondamentale. La RŽpublique (fran•aise) doit garantir la libertŽ des cultes (et, certes, elle est, ˆ cet Žgard, coupable de graves nŽgligences vis-ˆ-vis des musulmans), mais elle garantit aussi la libertŽ de l'athŽisme et de la critique antireligieuse, tant que celle-ci reste sur le plan des idŽes. Les libertins du XVIIe et les philosophes des Lumi•res, dans la violence de leur expression, qui a certainement ŽtŽ vŽcue comme une provocation par bien des chrŽtiens du bon peuple, ont-ils l'affaire de la sociŽtŽ fran•aise en tant que telle, ni de son Etat. La critique thŽologique et la rŽforme religieuse ne peuvent •tre menŽes que par des croyants de l'intŽrieur de la communautŽ. Notre t‰che comme citoyens n'est nullement de dŽbattre des moyens d'un aggiornamento de l'islam, mais de faire en sorte que nous n'en dŽpendions pas. Concr•tement, cela veut dire qu'il faut clairement sŽparer le culturel du cultuel, ce qui est le fondement m•me d'une la•citŽ ˆ la fois ferme et ouverte. Oui, il existe une ancienne et prestigieuse culture arabo-islamique, ˆ laquelle nous devons beaucoup, et que nous ne reconnaissons pas assez (en particulier au sein du syst•me Žducatif, dans nos cours d'histoire, de philosophie et de sciences, ce qu'illustre aussi la pathŽtique insuffisance de notre enseignement de la langue arabe). Que historiquement cette culture ait eu partie liŽe avec l'islam ne nous oblige nullement, aujourd'hui, ˆ tolŽrer les formes insupportables, anciennes ou nouvelles, de cette religion. Ayons tout simplement la ŽtŽ imprudents ? m•me attitude par rapport ˆ l'islam que par rapport aux christianismes : C'est dans la m•me perspective qu'on ne doit pas exiger ni attendre que l'islam fasse preuve de sa capacitŽ de rŽforme, voire en venir ˆ affirmer que que la culture fran•aise soit largement marquŽe par le catholicisme, y compris dans ses plus nobles rŽalisations, n'oblige aucunement ˆ excu- Ç notre sort est entre les mains des musulmans È. Car, si nous croyons que nos valeurs (libertŽ, ŽgalitŽ, fra- ser pour autant les persŽcutions et oppressions passŽes de l'Eglise, ni ˆ tolŽrer de la part de ses intŽgristes ternitŽ), toutes abstraites qu'elles soient et trop peu effectives (surtout les deux derni•res) ont quelque force, une quelconque infraction au prin- ce n'est pas en liant leur maintien ˆ l'Žvolution de l'islam que nous les dŽfendrons. Certes, cette rŽforme est souhaitable, mais ce n'est pas cipe moderne de la•citŽ. C'est pourquoi, de m•me, plut™t que de mettre sur le m•me plan la religion et la culture (au demeurant multiple) des musulmans, il est essentiel de les sŽparer : on peut, on doit, reconna”tre 1 et partager les apports de cette par Jean-Marc LŽvy-Leblond Par culture, sans que cela implique Jean-Marc LŽvy-Leblond Physicien, quelque attitude que ce soit ˆ l'Žgard essayiste de cette religion : ni rejet ni faveur. Parution : Quotidienne Tous droits rŽservŽs LibŽration 2015 Diffusion : 96 834 ex. (Diff. payŽe Fr.) - © OJD DSH 2013/ 2014 BE6B778884706100E0E40091950FA13A71F7706D938D53054FBBD6D Audience : 896 000 lect. - © AudiPresse One 2013/2014 2 mardi 20 janvier 2015 1064 mots Arr•tons de laisser les intŽgrismes gagner du terrain en France culturelles. Et le trafic des armes dans les quartiers ? La mis•re et le Par Nadia Hamour, historienne ch™mage, ˆ coup sžr Dormez-en paix braves gens. des hommes et enfin, l'effacement de la dŽmocratie. Or, au non de la paix sociale, on a prŽservŽ le silence, on a ŽtouffŽ les Le 11 janvier, quelques jours apr•s le carnage que la France a vŽcu, un for- Non ! Ce qui est arrivŽ ne rel•ve pas cris, on a laissŽ les intŽgrismes ga- midable Žlan de solidaritŽ a rassemblŽ plus de deux millions de Fran•ais. uniquement de conditions sociales et Žconomiques difficiles. Les discours A Paris, j'ai vu des gens de tous ho- de haine et d'appel au meurtre ne sont pas nourris par les difficultŽs so- gner du terrain pour ne pas froisser les susceptibilitŽs. Pire, ici et lˆ, on a composŽ avec lui et on lui a fait des concessions, ˆ l'Žcole ou encore ˆ la rizons, dans leurs diversitŽs religieuses, sociales et politiques sinc•rement ŽprouvŽs et dŽterminŽs ˆ faire bloc contre la b•te immonde qui menace le pays tout entier. Alors oui, cela fait chaud au cur. Mais l'indignitŽ et la solidaritŽ, aussi ciales. Je suis issue de parents ouvriers immigrŽs algŽriens, venus en piscine France pour trouver du travail et donner une chance ˆ leurs enfants. Aujourd'hui, il est temps d'en finir Les difficultŽs sociales n'ont pas fait de moi une terroriste en puissance et voir-avec-l'islam È. A un moment donnŽ, il faut prendre ses responsa- ne m'ont pas emp•chŽe de faire de bilitŽs et appeler un chat un chat. Si, comme disait Voltaire, l'intolŽrance fut la maladie du catholicisme, si le nazisme fut la maladie de fortes soient-elles, ne doivent pas nous emp•cher de rŽflŽchir enfin, hautes Žtudes. sans fausse pudeur, pour rŽpondre ˆ la question : comment en est-on ar- Oui ! Ce qui s'est passŽ a un lien avec l'islam. La trame idŽologique des terroristes est bien religieuse. Ces massacres portent la signature de Ç l'islam È, mais d'un islam dŽvoyŽ par des terroristes pour justifier l'injustifiable. Ce qui s'est passŽ porte rivŽ lˆ ? Il est grand temps aujourd'hui, sinon urgent, de se poser les vraies questions. C'est une condition de l'efficacitŽ du combat contre l'obscurantisme. avec cette litanie du Ç •a-n'a-rien-ˆ- l'Allemagne, l'intŽgrisme est bien, comme l'a dŽmontrŽ feu Abdelwahab Meddeb, la maladie de l'islam. COMBATTRE L'IGNORANCE le sceau de ces pr•cheurs du Moyen- J'entends •a et lˆ que l'islam doit ac- CE QUI S'EST PASSƒ A UN LIEN åge qui prennent en otage la foi et AVEC L'ISLAM la mis•re des gens, en distillant une idŽologie mortif•re faite de bric et de La vague de terreur qui s'est abattue sur notre pays en quelques jours a fait voler en Žclat tout un courant de pensŽe installŽ confortablement broc. Ces discours ouvrent la voie ˆ la radicalisation intŽgriste et font le lit complir son Ç ijtihad È (Ç effort de rŽflexion È) et son aggiornamento. Sans doute. Mais laissons ce travail aux thŽologiens et aux spŽcialistes de l'exŽg•se coranique. Le devoir de nos d'actes barbares pensŽs par des cerveaux contaminŽs. gouvernants aujourd'hui est d'abord de cesser de culpabiliser l'opinion LES INTƒGRISMES GAGNENT DU TERRAIN publique et d'arr•ter de penser qu'ˆ chaque fois qu'une personne dans notre pays dŽclare son rejet du voile Depuis des annŽes, des associations ou de la burqa, elle est nŽcessairement islamophobe ou raciste. comme Ç Ni Putes ni Soumises È n'ont cessŽ d'alerter contre ce venin rampant de l'islamisme qui dŽjˆ in- Cessons d'avoir honte d'Žvoquer ce qui nous spŽcifie comme nation, dans l'angŽlisme et la bienveillance coupable. Depuis quelques annŽes, la place de ces analyses et de ces discours, qui collent si bien ˆ la bienpensance parigo-parisienne n'a fait que grandir. Les incivilitŽs dans les Žcoles ? Une manifestation symptomatique des difficultŽs sociales, pourtant rŽelles, rencontrŽes par les familles. Le prosŽlytisme religieux et la diabolisation des femmes dans les quartiers ? Une histoire de coutumes et de traditions fectait notre sociŽtŽ malade. Elles n'ont eu de cesse de dŽnoncer les discours qui portent un projet politique pr™nant d'abord l'inŽgalitŽ des sexes comme projet France et comme hŽritage politique et culturel. Faisons de nos Žcoles, lieu de la transmission et l'effacement des femmes en tant qu'entitŽ politique, puis l'effacement pect de l'ŽgalitŽ entre le sexe et de celui du droit des femmes, le bras ar- de la tolŽrance, de la la•citŽ, du res- 1 de dŽnigrer une bonne fois pour mŽ de la reconqu•te rŽpublicaine de nos territoires perdus ! Comment Faisons de la la•citŽ, qui Ç forme les toutes ce qui fonde nos valeurs et nos peut-on accepter que des enfants puissent donner raison ˆ ceux qui ont assassinŽ des journalistes ? RŽintroduisons l'apprentissage du respect esprits sans les conformer, les enrichit sans les endoctriner, les arme sans les enr™ler È, comme le disait idŽaux rŽpublicains, au nom d'une des r•gles et de l'autoritŽ, de notre Histoire, celle de la Nation, de ses institutions comme le respect de Jean Rostand, une la•citŽ de combat pour faire reculer l'inf‰me. RŽquisitionnons les crŽneaux dŽgagŽs par la notre hymne et de notre drapeau ! Contre l'ignorance, gŽnŽralisons rŽforme des rythmes scolaires pour expliquer et inculquer aux enfants le sens de nos valeurs et un esprit ci- l'histoire du fait religieux dans les vique et citoyen. programmes, afin de dŽcrisper et dŽpassionner le sujet. L'urgence aujourd'hui est de cesser idŽologie communautaire qui lamine notre pacte social. Contre le communautarisme, m•re de l'obscurantisme, notre idŽal rŽpublicain, universaliste et Žmancipateur doit •tre rappelŽ et expliquŽ avec force, en de•ˆ comme au-delˆ du pŽriphŽrique. Parution : Continue Tous droits rŽservŽs Le Monde.fr 2015 Diffusion : 65 446 588 visites (France) - © OJD Internet oct. 2014 2061B76988A01107D03D02A1390E31D855502C38B2AB38C8EABF338 2 jeudi 22 janvier 2015 1222 mots LÕislam critique dÕAbdennour Bidar Mondialement diffusŽe depuis les attentats de Paris, une Ç Lettre ouverte au monde musulman È appelle lÕislam ˆ •tre Ç au niveau des dŽfis de lÕŽpoque È.Rencontre avec son auteur, le philosophe Abdennour Bidar L delˆ lÕimpensable. Et lui, encore mieux que les autres, puisquÕil a boucler une page pour Le Figaro. En dŽbut dÕannŽe, il critiquait le dernier lÕoriginalitŽ dÕavoir un pied dans cha- Houellebecq dans LibŽration. ÇJÕai ri- braises et de sang qui a vu lÕEtat islamique dŽployer son empire du mal cun des deux mondes qui se regardent en chiens de fa•ence, lÕislam golŽ, mais sa reprŽsentation de lÕislam Ç modŽrŽ È, femmes voilŽes et sur lÕIrak et la Syrie. CÕest dÕabord et lÕOccident, et que sa pensŽe a ŽtŽ fa•onnŽe ˆ la rigueur de deux Žcoles que tout oppose, celle de la rationalitŽ, la philosophie, et celle de polygamie, me reste en travers de la lÕintuition, le soufisme. Ç Je consid•re quÕil est de ma responsabilitŽ dÕintervenir pour apaiser les esprits, condamnent pas plus vigoureusement Ç le cap de barbarie È franchi haut la main par lÕEtat islamique. ÇIl y a eu de lÕindignation, certains se Õimpulsion lui est venue par un Ç effet de trop-plein È, un hautle-cÏur provoquŽ par cet ŽtŽ de pour lui, Ç comme •a È, quÕAbdennour Bidar couche par Žcrit les rŽflexions tirŽes de son malaise dans une Ç Lettre ouverte au monde musulman È. Il nÕy va pas de main morte : ÇDÕo• viennent les crimes de ce soi-disant Ç Etat islamique È ? Je vais te le dire, mon ami [le monde musulman, ndlr]. [É] Les racines de ce mal qui te vole aujourdÕhui ton visage sont en toi-m•me, le monstre est sorti de ton propre ventre, le cancer est dans ton propre corps.È Mioctobre, le magazine Marianne est le premier ˆ repŽrer ce texte plein de souffle, le Hufftington Post QuŽbec le publie ˆ son tour sur son site. La lettre fait parler dÕelle, mais rien ˆ voir, alors, avec lÕengouement quÕelle sÕest mise ˆ susciter apr•s lÕŽquipŽe terroriste des fr•res Kouachi et dÕAmŽdy Coulibaly ˆ Paris. Depuis le 7 janvier, elle a enregistrŽ des centaines de milliers de clics ; elle sÕaffiche partout sur Facebook et rebondit de bo”te mail en bo”te mail. Elle est dorŽnavant en cours de traduction en anglais, en italien et en arabe et son auteur a prŽvu de lÕenrichir. Ç CÕest une Žnorme sur- et Žviter que se perpŽtue cette logique dÕaccusation rŽciproque entre la France et ses musulmans. Elle est gorge.È Comme il nÕa pas digŽrŽ que les musulmans du monde entier ne sont ŽlevŽs pour dire Ç #NotInMyName È. CÕŽtait bien, mais pas assez. mortif•re. È CÕest Le Temps lÕa rencontrŽ au Minist•re de lÕŽducation nationale, ˆ Paris, o• il est chargŽ de mission sur la pŽda- membre de sa famille en vrille sans gogie de la la•citŽ. Bureau vaste, lumi•re bl•me. Il nÕy a quÕune seule tache de couleur au mur, la couverture du Charlie Hebdo dÕavant la tuerie, celle qui croque Michel Houel- vaillŽe par des annŽes de soufisme, lebecq en mage sarcastique. Cette pi•ce est son Ç havre de tranquillitŽ È, o• il reprend ses esprits apr•s tant que philosophe de culture musulmane, il se fait un devoir dÕ•tre Ç dans une rŽflexion critique È. Cri- lÕeffervescence des jours prŽcŽdents. Co•ncidence sinistre, au moment m•me o• lÕHyper Cacher Žtait pris en tique, cÕest peu dire. DÕapr•s lui, lÕislam est Ç tr•s malade È, prisonnier de ses archa•smes et bouffi de certi- otage, il animait en direct sur France tudes quÕil est incapable de remettre en cause pour se rŽinventer. En deux mots : Ç Pas du tout au niveau de sa Culture son premier numŽro de Cultures dÕislam, Žmission hebdomadaire quÕil a hŽritŽe dÕAbdelwahab Meddeb, lÕessayiste et po•te dŽcŽdŽ lÕan passŽ. On lÕa vu aussi sur les pla- comme laisser partir un prendre ses responsabilitŽs.È En tant que croyant, sa force intŽrieure, tralÕemp•che de cŽder au doute : Ç Je suis certain que les choses peuvent sÕarranger, m•me si les signaux extŽrieurs sont tous dŽcourageants. È En propre histoire et des dŽfis de prise, jÕŽtais ˆ mille lieues de mÕattendre ˆ une telle rŽaction È, teaux, la rage au ventre et le front lÕŽpoque. È Sous dÕautres plumes et dans dÕautres bouches, de telles admones- contractŽ, vomir les bourreaux de tations vaudraient a minima ˆ leurs confesse Abdennour Bidar.Plume alerte, verbe clair et physique tŽlŽgŽnique, ce normalien de 44 ans est lÕintellectuel fran•ais que les mŽdias sÕarrachent ces jours, de ceux dont on attend quÕils trouvent du sens par- Charlie Hebdo et leurs consorts, ces Ç voleurs de lÕidentitŽ musulmane auteurs de sŽrieux soup•ons dÕislamophobie. Abdennour Bidar l‰che un sourire crispŽ : ÇLe r™le du quÕils ne mŽritent pas È. Ç Fini, maintenant je filtre les sollicitations. JÕai besoin de rŽflŽchir et de me remettre ˆ Žcrire. È Il vient de philosophe, cÕest dÕ•tre un poil ˆ gratter. Socrate a ŽtŽ condamnŽ ˆ boire la cigu‘, Spinoza a ŽtŽ Ç excom- 1 muniŽ È. Ce que je tiens ˆ dire, cÕest que lÕislam doit sortir de lÕautosatisfaction. Sinon, on stagne, puis on rŽgresse.È A ce titre, il assume son rapport de Ç fidŽlitŽ infid•le È par rapport ˆ sa religion. Et il Lahore auquel il a consacrŽ sa th•se, dŽfend livre apr•s livre* sa vision dÕun islam sans soumission et fraternel. Ç CÕest bien beau, dit-il des musulmans de France, de rŽclamer la libertŽ de pratiquer sa religion. Encore rant littŽraliste aux antipodes du soufisme. Ç CÕŽtait une situation tr•s difficile. Pour mes copains fran•ais, jÕŽtais Abdennour, donc Arabe. Pour les Arabes, je ne pouvais pas •tre musulman, puisque je nÕen avais pas la culture. Mes tentatives dÕexplication commentaires faut-il se donner ˆ soi le droit dÕ•tre libre vis-ˆ-vis de sa religion. È Lui-m•me a bataillŽ dur pour trouver le point de conciliation entre ses diffŽrents univers. Il y est parvenu ˆ ses acerbes, sa lettre ouverte ne lui a pas 30 ans, au moment m•me o• les dŽ- week-end, il rejoint son grand-p•re, un ancien rŽsistant communiste, fa- attirŽ de menaces. Ç Je ne suis ni dans la haine, ni dans lÕagressivitŽ. bats sur lÕislam se sont enflammŽs sous le souffle des attentats du rouchement athŽe et cultivateur de vignes. Ç Gr‰ce ˆ lui, je nÕai jamais eu JÕaimerais croire que cela me prot•ge È, dit-il, en concŽdant une certaine na•vetŽ. Ce dernier texte, qui rŽsonne si fort avec lÕactualitŽ, nÕa rien dÕun coming out. Cela fait une 11-Septembre. Abdennour Bidar est nŽ musulman, ˆ Clermont-Ferrand, dÕune m•re auvergnate, une intellec- les pieds dans le m•me sabot, ou, si jÕose dire, dans la m•me babouche. È * Dernier ouvrage publiŽ : Ç Histoire tuelle catholique qui sÕŽtait tournŽe vers le soufisme. Il doit son nom de famille ˆ lÕŽpoux marocain de sa m•re, un adepte du tabligh, un cou- de lÕhumanisme en Occident È, Armand Colin, 2014. rappelle quÕil a toujours menŽ ses critiques sur un double front, les dŽrives de lÕislam et celles de la modernitŽ occidentale. SÕil a ŽcopŽ de dŽcennie que ce spŽcialiste de Mohamed Iqbal, le penseur rŽformiste de Parution : Quotidienne Žtaient perdues dÕavance. È Tous les vendredis, il se rend ˆ la mosquŽe, sa petite djellaba dans un sac. Et le Tous droits rŽservŽs Le Temps 2015 AF61D7AB83D07E0ED0690CB1580EC11253F0393662EA39C2BB9CC16 2 N¡ 21861 jeudi 22 janvier 2015 Page 4 671 mots FRANCEÑLE PLAN ANTITERRORISME RENAUD EPSTEIN (SOCIOLOGUE, MAëTRE DE CONFƒRENCES EN SCIENCES POLITIQUES Ë L'UNIVERSITƒ DE NANTES) Renaud Epstein : Ç On n'a jamais vraiment cherchŽ ˆ lutter contre les discriminations È Question : Le mot apartheid qu'a utilisŽ Manuel Valls pour dŽcrire quartiers. A Paris et dans certaines communes limitrophes, on assiste ˆ tectionniste vis-ˆ-vis de la politique de la ville. Elle a dŽveloppŽ ses pro- l'Žtat des banlieues est-il juste ? des processus de gentrification qui grammes d'Žducation prioritaire ˆ contribuent ˆ la mixitŽ sociale re- l'Žcart de cette politique portŽe par les autres acteurs, mairies, minist•re Cela n'a aucun sens. L'apartheid est un rŽgime politique, un syst•me de racisme institutionnalisŽ inscrit dans le droit. Il n'y a rien de tel en France, o• les discriminations sont de fait et non de droit. M•me si d'autres l'ont fait avant lui, je suis extr•mement choquŽ d'entendre ce mot prononcŽ par celui qui, ˆ la t•te du minist•re de l'IntŽrieur, avait rŽussi ˆ faire capoter la seule mesure antidiscrimination proposŽe par le candidat Fran•ois Hollande. Je parle des rŽcŽpissŽs cherchŽe, mais au prix de l'Žviction des pauvres. Plus encore, la question de la Ville. de la mixitŽ ne devrait pas •tre posŽe ˆ partir des citŽs, qui regroupent des populations d'origines et de conditions tr•s diverses, mais des quartiers Question : Qu'est-ce qui n'a pas encore ŽtŽ tentŽ ? riches. Les vrais ghettos, ceux o• on La France n'a toujours pas engagŽ de ne fait pas l'expŽrience de l'altŽritŽ, sont les quartiers riches. Enfin, il faut rŽelle politique de lutte contre les rappeler que les vertus de la mixitŽ qu'on se dote d'instruments spŽci- sociale sont loin d'•tre Žtablies scientifiquement, sauf ˆ l'Žcole o• c'est un enjeu fort. fiques, comme les statistiques ethniques. En les refusant, on s'oblige ˆ faire un dŽtour territorial tr•s gros- discriminations. Le faire supposerait sier, en ciblant les quartiers de mino- pour lutter contre les contr™les au faci•s. Question : L'Žcole a-t-elle ŽchouŽ ? ritŽs. L'autre option qui mŽrite d'•tre approfondie est celle de Question : Pour votre part, quel Il n'y a pas faillite de l'Žcole, mais de la sociŽtŽ dans son ensemble. Nous l'empowerment, qui n'a ŽtŽ que timidement envisagŽe au dŽbut des an- sommes tous collectivement responsables. Qui ne cherche pas ˆ scolari- nŽes 1980. Il s'agit de s'appuyer sur la mobilisation des forces vives et des ser ses enfants dans le meilleur Žtablissement ? Nos comportements in- communautŽs des quartiers pour dŽ- constat faites-vous ? Tout d'abord que le dŽbat sur les quartiers populaires s'engage de la pire des mani•res, en partant de la dŽrive mortif•re de trois individus. L'amalgame est d'autant plus absurde que les fr•res Kouachi ont passŽ leur adolescence en Corr•ze ! S'agissant de la politique de la ville, dividuels produisent des situations que nous dŽnon•ons ensuite collectivement dans la rueÉ l'assistanat. Jusqu'ˆ prŽsent, on a fait l'inverse, en cassant les mobilisations collectives des quartiers populaires toujours suspectŽes de communautarisme. toutes les donnŽes disponibles indiquent que l'objectif de mixitŽ sociale qui lui est assignŽ depuis les annŽes 1990, et plus nettement encore depuis 2003, n'a pas ŽtŽ atteint. La spŽcialisation sociale et ethno-raciale des quartiers n'a cessŽ de se renforcer. Mais cette dynamique nationale s'accompagne de fortes variations en fonction des villes et des finir et mettre en oeuvre des solutions qui ne rel•vent pas que de par Jo‘l Cossardeaux Question : L'Žcole a-t-elle assez Renaud Epstein comptŽ dans la politique de la ville ? Sociologue, ma”tre de confŽrences en sciences politiques ˆ L'Education nationale a toujours eu l'universitŽ de Nantes un comportement extr•mement pro- Parution : Quotidienne Tous droits rŽservŽs Les Echos 2015 Diffusion : 124 422 ex. (Diff. payŽe Fr.) - © OJD DSH 2013/ 2014 516F07FC8BF05F02208A02119902E11745E27B55E0A5019CCBDC425 Audience : 558 000 lect. - © AudiPresse One 2013/2014 1 Revue de presse Page 1 sur 2 © L'alsace, Vendredi le 23 Janvier 2015 Droits de reproduction et de diffusion réservés Onfray : « On a cassé la République » Recueilli par Olivier Brégeard Sollicité par de nombreux médias après les attentats du 7 janvier, vous vous êtes démarqué du « compassionnel » dominant : pourquoi ? Michel Onfray, hier à Mulhouse. Photo L'Alsace/Darek Szuster Cela faisait des années que je m'attendais à ce que le monde musulman se défende un jour. Depuis 1991, on le bombarde partout sur la planète, en Irak, en Afghanistan, en Lybie, au Mali... Sous prétexte de lutter contre le terroris-me, la France mène une politique étrangère islamophobe qui crée le terrorisme. On monte les populations musulmanes contre nous, on peut comprendre qu'elles en aient assez. Mais les auteurs des attentats du 7 janvier étaient des Français, pas des Arabes ou des Africains venus se venger... C'est la vengeance de « l'oumma ». Les musulmans pensent en terme de communauté planétaire. Pour un musulman, le monde se sépare entre musulmans et non-musulmans. En regard des juifs, avec la question d'Israël, et des chrétiens, avec la question de l'Europe et des États-Unis qui leur balancent des bombes en permanen-ce, les terroristes musulmans activent la riposte du faible au fort. Il ne faut pas mépriser l'islam en considérant que les musulmans seraient des barbares et nous des civilisés. Vous ne croyez pas à l'interventionnisme pour des raisons morales, de soutien aux populations locales... Si la morale faisait la loi, pourquoi n'interviendrions-nous pas à Cuba, en Corée du Nord, en Chine, au Pakistan, au Venezuela, voire aux États-Unis, où les armes à feu tuent chaque année 30 000 personnes ? Le néocolonialisme nourrit la haine des musulmans contre les Occidentaux. La France paie aujourd'hui le prix de deux erreurs paradoxales : d'un côté, cette politique extérieure islamophobe ; de l'autre, une politique intérieure islamophile. Car à l'intérieur de nos frontières, nos gouvernants nous disent que l'islam est une religion de tolérance, de paix et d'amour. On ment. Il existe un certain nombre de musulmans toxiques et dangereux sur le territoire français, dans les prisons, dans les banlieues, mais on s'empresse de dire que ça n'a rien à voir avec l'islam, qu'il ne faut pas faire d'amalgames. Il aurait fallu depuis très longtemps que la République interdise que l'islam fasse la loi dans certains quartiers, mélangé aux trafics de drogue et d'armes. Pourquoi cette « islamophilie » à usage domestique, selon vous ? Les raisons sont multiples. Il existe depuis très longtemps un antisémitisme latent à gauche, l'opposition à l'argent, au capital, qu'on associe fautivement à Israël et aux États-Unis. Il y a toujours une tentation de l'islam à gauche. Plus généralement, on ne veut pas d'ennuis avec la communauté musulmane dans sa totalité. On fait donc silence sur sa frange délinquante et terroriste. Quand on nous dit que toute la France était dans la rue le 11 janvier, ce n'est pas vrai : Benjamin Stora et Alain Finkielkraut ont souligné qu'elle n'était pas très « black-blanc-beur ». Et quand le ministère de l'Éducation nationale affirme qu'il y aurait eu 200 « incidents » dans les http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=10045&journal... 23/01/2015 Revue de presse Page 2 sur 2 écoles lors des hommages aux victimes du 7 janvier, on peut douter du nombre. Ce délire généralisé de la gauche qui refuse la réalité qui contrarie son idéologie a laissé de côté la République en abandonnant sa défense à Marine Le Pen. Vous qui avez écrit en 2005 un « Traité d'athéologie », pensez-vous qu'au lieu de vouloir enseigner « le fait religieux », la République serait plus fidèle à ses valeurs en portant un athéisme actif ? Je suis athée, l'idéal serait que les autres le soient aussi, mais il ne faut pas rêver. Je défends donc la laïcité. Si les gens ont besoin de religion, ils doivent comprendre que, sur le territoire national, la souveraineté est populaire : en France, depuis 1789, la démocratie fait la loi, plus la théocratie. Ça vaut ce que ça vaut, ça ne fonctionne pas toujours bien, mais la volonté générale fait la loi. Au contraire, l'islam non républicain croit à la loi du Coran, à la charia, à la théocratie. Ce sont deux visions du monde radicalement différentes. Si cette religion est pratiquée intégralement, elle est incompatible avec la République, puisqu'il y a dans le Coran des propos antisémites, bellicistes, misogynes, phallocrates, homophobes, des invitations à égorger les gens, à les massacrer... À un moment donné, il faut donc se demander ce que l'on fait avec ce texte. Il faut un islam républicain, en liaison avec l'État : le ministre de l'Intérieur, qui est aussi en charge des cultes, devrait envisager la formation des imams, leur paiement, éventuellement aussi le financement des mosquées par l'État, avec un droit de regard sur les prêches. Chaque fois qu'un imam se ferait remarquer par des propos incompatibles avec la République, le gouvernement réagirait en conséquence. Vous avez démissionné de l'Éducation nationale en 2002 : quel rôle peut encore jouer l'école dans le contexte actuel ? L'école, c'est fini ! En 1983, Mitterrand s'est converti au libéralisme, on nous a dit que le marché devait faire la loi partout. C'est le cas à l'école depuis un quart de siècle. Les enfants ne savent plus ni lire, ni écrire, ni compter, ni penser. Ils sont formatés par les médias de masse. Et depuis des années, les enseignants sont désavoués chaque fois qu'ils mettent une mauvaise note à un élève et que les parents se plaignent. On ne rétablira pas leur autorité du jour au lendemain... Vous semblez bien pessimiste... En effet, je n'y crois plus. Depuis 1983, la gauche a renoncé à être de gauche, tous les gens responsables de la situation actuelle évitent soigneusement toute autocritique et renvoient la responsabilité à Houellebecq et à Zemmour. Ils ont cassé la République. C'est même notre civilisation tout entière qui s'effondre. C'est un mouvement, que l'on pouvait accélérer ou ralentir, et on a tout fait pour l'accélérer depuis 25 ans. « Il n'y a pas de liberté d'expression en France, estime Michel Onfray. Minute et Charlie Hebdo ne sont pas traités sur un pied d'égalité. La liberté d'expression, c'est pour tout le monde. Si la rédaction de Minute avait été ravagée par des tueurs, je ne suis pas sûr que la mobilisation aurait été comparable. Toutefois, je ne pense pas que la liberté d'expression soit le pouvoir de dire tout ce qu'on veut, quand on veut. Je suis athée, mais je ne crois pas que le blasphème soit la meilleure façon de lutter contre les religions. Il faut défendre la satire, l'ironie, mais le propre de la liberté, c'est qu'elle n'est pas illimitée. A-t-on la liberté de violer ? De massacrer ? De mentir ? Nous vivons dans une société d'irresponsables, où n'importe qui fait n'importe quoi, sans souci des conséquences. Charlie Hebdo, c'était la tyrannie de l'enfant-roi : je dessine ce que je veux, comme je veux, quand je veux, avec force scatologie. Mais si votre dessin met le feu à tous les pays musulmans de la planète, si à cause de lui on brûle des chrétiens et leurs églises, faut-il continuer comme si de rien n'était ? Certains dessins et certains propos tuent. La responsabilité n'est pas un vain mot. » http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=10045&journal... 23/01/2015 26 • REBONDS LIBÉRATION VENDREDI 23 JANVIER 2015 L’antisémitisme chrétien de droite nourrit indirectement l’antisémitisme islamiste Par AVRAHAM B. YEHOSHUA Ecrivain es propos adressés, à Paris, aux juifs de France par Benyamin Nétanyahou ont provoqué une controverse non seulement en France, mais aussi en Israël, et je voudrais essayer de réfléchir ici à leur caractère complexe. La teneur de son discours se résume à ceci: l’antisémitisme que certains musulmans fanatiques manifestent à votre égard en France, par des actes meurtriers et de terreur, doit vous inciter à venir dans votre véritable pays, Israël. Ce n’est que là que vous vous sentirez en sécurité… Cette affirmation recèle une part de vérité qu’on ne peut occulter. En effet, une partie des juifs de France, et sans doute une part non négligeable d’entre eux, sont repérables aujourd’hui non seulement par leurs caractéristiques religieuses, calotte, chapeau noir, barbes et papillotes, mais surtout à cause de leurs institutions visibles à l’œil nu: synagogues, écoles, magasins spécialisés, centres communautaires et, parfois, cités ou quartiers d’habitations communs. Des fanatiques musulmans bénéficiant de la pleine citoyenneté française, maîtrisant la langue et les coutumes françaises, sont ainsi en mesure, facilement, de perpétrer leurs desseins diaboliques presque sans entraves. Car, après tout, il est impossible d’affecter un policier à chaque juif, et ce serait sans effet sur un terrorisme dont l’auteur est prêt à mourir et dont la puissante destructrice est L énorme. C’est pourquoi cet appel de Nétanyahou aux juifs pour assurer leur propre sûreté peut paraître assez réaliste. Certes, la sécurité des Israéliens est loin d’être parfaite, que ce soit pour les individus (surtout dans les territoires occupés) ou que ce soit au plan collectif, avec les attaques de missiles de pays ennemis, mais, grosso modo, le cadre général de la défense nationale demeure plus solide et plus appliqué. A rebours, un tel discours fustige la France comme un pays incapable de dé- au retour ou à la délivrance en terre d’Israël. «L’an prochain à Jérusalem» n’est pas qu’un vain mot. Aussi, quand Nétanyahou tient ces propos, il n’a pas en tête, me semble-t-il, uniquement le problème sécuritaire, mais aussi la question identitaire. Et son discours reflète ces deux préoccupations. Cependant, il nous faut reconnaître, hélas, que la motivation profonde et flagrante du retour des juifs en terre d’Israël et de la création de l’Etat d’Israël tirait son origine de l’antisémitisme, en particulier l’antisémitisme séculier et Le sionisme de la fuite et de la peur nationaliste né au midemeure plus fort que le sionisme mû lieu du XIXe siècle en par l’identité, la spiritualité Europe. Sans cet antiou la religion. sémitisme ravageur, qui atteignit son point fendre convenablement ses citoyens, ce d’orgue avec la Shoah, on peut douter qui revient à infliger un affront à la que Theodor Herzl (1860-1904), le vidémocratie française. Et c’est pourquoi sionnaire de l’Etat juif et fondateur du Daniel Shek, ancien ambassadeur Congrès sioniste, se serait employé à d’Israël en France, a eu raison d’opposer populariser ses idées. que si, au cours de la dernière campagne C’est pourquoi le sionisme de la fuite et à Gaza, le Premier ministre français de la peur demeure plus fort que le sioavait conseillé aux Israéliens citoyens nisme mû par l’identité, la spiritualité français demeurant à Ashdod ou à Ash- ou la religion. Et c’est pourquoi, aussi, kelon de revenir en France pour échap- si le Premier ministre français, Manuel per à la menace des missiles tirés depuis Valls, avec une grande générosité d’esGaza, ce qui pourrait sembler non moins prit, a proclamé que le départ de cent logique, cette proposition aurait suscité mille juifs infligerait un coup plus dur à la France que celui de cent mille chréun tollé en Israël… Néanmoins, il existe une certaine diffé- tiens, il a le devoir, ainsi que son gourence entre ces deux affirmations. Car, vernement, de lutter non seulement au long de l’histoire, les juifs ont aspiré contre les fanatiques islamistes, mais aussi contre les dérives antisémites qui ont cours parmi les ennemis jurés de ces fanatiques, c’est-à-dire l’extrême droite française. Car l’antisémitisme chrétien de droite nourrit indirectement l’antisémitisme islamiste. Mais Benyamin Nétanyahou ne doit pas être exempté d’un examen de conscience politique. Car il ne fait aucun doute que le conflit prolongé avec les Palestiniens alimente la flamme de l’antisémitisme. Aussi, parallèlement à ses conseils aux juifs de France, il est de son devoir d’assurer la sécurité des Israéliens et des juifs en déployant un effort sérieux pour mettre fin à l’occupation et à la colonisation, et pour parvenir à la résolution du problème palestinien, tout en garantissant la sécurité d’Israël, selon la formule bien connue et acceptée par le monde entier, y compris par une grande partie du monde arabe. Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche. • SUR LIBÉRATION.FR Après les attentats de Paris, des intellectuels et des écrivains réagissent, parmi lesquels Etienne Balibar, Dalibor Frioux, Pierre Nora, Didier Fassin, Marc Weitzmann, David Grossmann, Roberto Saviano… La France est mon foyer epuis quelques années, la migration des juifs de France vers Israël est un phénomène en constante augmentation. Tant et si bien qu’en 2014, l’Hexagone fut le premier pays de départ pour ce que l’on nomme l’alyah, le voyage sans retour vers la Terre promise. Ces derniers jours, après l’attaque contre l’Hyper Cacher de Vincennes, la question se pose avec plus de force encore. La peur et le sentiment d’abandon par la nation rendent pour certains plus vive la tentation du départ. Benyamin Nétanyahou ne s’y est pas trompé, qui a rappelé dans la foulée qu’Israël serait notre «foyer», à nous, juifs de France. Oui, je dis «serait», car ce qui est Non, Israël n’est pas le foyer de tous les présenté par cercomme une juifs. Ce n’est pas ancré dans nos gènes. tains évidence est pour C’est un choix personnel, moral, moi une hérésie. politique et, pour beaucoup, religieux. Non, Israël n’est pas le foyer de tous les juifs. Ce n’est pas ancré dans nos gènes. C’est un choix personnel, moral, politique et, pour beaucoup, religieux. Ce n’est pas mon choix. Juive de famille et de cœur, je suis laïque, républicaine et française jusqu’au fond de mes tripes. Je refuse l’ostracisme dans lequel notre supposé lien à Israël nous entraîne. Et je me sens presque insultée lorsque j’entends dire que là est mon foyer. Comme si je n’étais finalement Par CORALIE MILLER Auteure D qu’une étrangère dans mon propre pays. Comme si cette France que je chéris ne m’était pas totalement acquise, bien que ma famille y ait déposé ses bagages voilà près de quatre-vingts ans. Comme si planait toujours sur moi la menace d’en être un jour expulsée. Si nous, juifs de France, considérons qu’Israël est notre vrai foyer, alors comment empêcher ceux qui nous haïssent de nous renvoyer à notre statut d’étrangers de l’intérieur? De nous envisager comme des traîtres potentiels? Nous portons, nous aussi, la responsabilité du vivre-ensemble. Ce n’est pas parce qu’une part infime de la population française ressent à notre encontre une abjecte détestation que nous devons remettre en cause notre appartenance à la communauté nationale. Ce n’est pas la France qui est antisémite, ce sont certains de ses membres, certes bruyants, certes violents, mais minoritaires. Ne les laissons pas gagner. Nous sommes plus forts que ça. Je suis plus forte que ça. Je suis française, que cela leur plaise ou non. Je suis française et je ne tolérerai jamais que quiconque puisse remettre cette évidence en question. Je suis française avant d’être juive, résolument, fondamentalement, envers et contre tout. Je suis fille des Lumières et de la Révolution, je suis l’héritière de Voltaire et de Victor Hugo, je suis l’enfant de Mai 68 et de la Libération, je suis le produit de mes écoles et de tous mes professeurs, et chaque jour, par mon métier, je célèbre la langue et la culture qui m’ont été inculquées… Ma terre est celle qui a accueilli mon grand-père venu de sa Pologne natale pour devenir le médecin qu’il n’avait pas le droit d’être dans son pays. Celle pour qui il a combattu, membre de la Résistance, et qui a déposé sur son cercueil un drapeau bleu-blanc-rouge, symbole de la patrie reconnaissante. Celle qui a aidé ma famille à se construire, celle qui m’a vue naître et grandir, et qui désormais couve mon fils de sa main chaleureuse. Mon fils qui, du haut de ses 4 ans, n’a eu de cesse ces derniers jours de me dire que les méchants avaient attaqué son pays, et qu’il fallait le protéger –allant jusqu’à organiser un plan de bataille avec ses jouets, protégeant une tour Eiffel par des bonshommes «Transformers»… N’oublions pas que, de Charlie Hebdo à l’Hyper Cacher, en passant par Montrouge, c’est la France sous toutes ses couleurs que l’on a voulu réduire au silence. La France dans son intégralité, avec ses grandes gueules blasphématoires, ses policiers, ses Blacks, ses Blancs, ses Beurs et ses Juifs. Alors, si hier nous nous sommes parfois sentis abandonnés face aux antisémites de tous bords, levons-nous aujourd’hui avec nos compatriotes pour que cela ne se reproduise plus. Marchons ensemble vers notre idéal. C’est assez de fuir, assez de se cacher et de se laisser exclure. L’heure est venue de se redresser et de dire à ceux qui en douteraient encore: «Je suis français et fier de l’être. Dans mon pays, je suis, je reste.» REBONDS LIBÉRATION VENDREDI 23 JANVIER 2015 Vu du Kurdistan Par NORELDIN WAISY Journaliste kurde basé dans le Kurdistan irakien, directeur général de Kurdistan 24, chaîne de télévision kurde qui sera lancée dans les mois qui viennent avec l’aide de France 24 es réactions à l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo ont été différentes au Kurdistan irakien. La majorité des gens l’ont fermement condamné et témoigné leur soutien à la France, ainsi que leur compassion vis-àvis des victimes. Massoud Barzani, le président de la région autonome du Kurdistan irakien, a vivement dénoncé cet attentat. Dans un message adressé au président François Hollande, il a présenté ses condoléances au peuple français et aux familles des victimes, et qualifié cette attaque d’«acte inhumain et lâche». Par ailleurs, des journalistes kurdes se sont rassemblés dans plusieurs villes de la région pour afficher leur solidarité avec le peuple français et dénoncer cet attentat. De nombreux militants kurdes ont rappelé l’éditorial signé par Stéphane Charbonnier, directeur de la publication de Charlie Hebdo, paru dans le numéro du 22 octobre 2014, qui chante les louanges des Kurdes. Stéphane Charbonnier y salue la résistance kurde et déclare : «Je ne suis pas kurde, je ne connais pas un mot de kurde, je serais incapable de citer un nom d’auteur kurde. La culture kurde m’est totalement étrangère. Ah, si ! Il m’est arrivé de manger kurde… Passons. Aujourd’hui, je suis kurde. Je pense kurde, je parle kurde, je chante kurde, je pleure kurde.» Les Kurdes ont largement diffusé cet article sur les réseaux sociaux, accompagné d’une photo de la rédaction de Charlie Hebdo brandissant un drapeau kurde. Cependant, certains Kurdes ont reproché à l’hebdomadaire satirique d’avoir «insulté le Prophète de l’islam», et certains accusent également les autorités françaises de ne pas s’être donné beaucoup de mal pour retrouver les auteurs présumés du meurtre de trois militantes du PKK commis le 9 janvier 2013 à Paris. Les responsables de cet homicide courent toujours et, bien que la police française ait appréhendé deux suspects, peu après l’assassinat, l’un d’eux a prétendu avoir des liens avec les services de renseignement turcs. A mon humble avis, l’attentat contre Charlie Hebdo puis les fusillades perpétrées à Paris constituent un échec total pour les extrémistes islamiques, car ces atrocités ne feront qu’exacerber la haine à l’encontre des musulmans dans le monde entier. Si les musulmans ne joignent pas leur voix à celles qui appellent à mettre un terme à cette folie, le terrorisme gagnera du terrain et les premières victimes en seront les musulmans. Malheureusement, le silence de nombreux musulmans face à ces crimes vaut approbation car, en pareil cas, il peut être considéré comme de la complicité. L Traduit de l’anglais par Architexte, Paris (Marie-Paule Bonnafous, Martine Delibie et Marielle Santoni). • 27 Comment dire Charlie en turc Par AHMET INSEL Professeur émérite à l’université Galatasaray (Istanbul) a Turquie certes n’est pas l’Iran où un journal a été interdit simplement pour avoir mis sur sa couverture la photo de George Clooney déclarant «Je suis Charlie». Ce n’est pas non plus le Pakistan, le Niger ou la Tchétchénie, où les manifestations anti-Charlie Hebdo se sont transformées parfois en émeutes visant la France et faisant des morts. Mais… Les camions sortant d’une grande imprimerie à Istanbul ont été bloqués par la police mercredi 14 janvier, à 2 heures du matin. Les policiers, sans mandat de perquisition, ont ouvert les paquets et se sont jetés sur les exemplaires du journal Cumhuriyet. Depuis la veille, on savait que ce vieux journal mythique du kémalisme allait publier en supplément la traduction du dernier numéro de Charlie Hebdo. Les policiers scrutent toutes les pages du supplément, les photographient et les envoient à leur donneur d’ordre. Non, il n’y a pas de représentation du Prophète. Ouf, les camions peuvent partir. La direction du journal Cumhuriyet avait au dernier moment décidé de ne publier qu’une large sélection du numéro de Charlie Hebdo, sans sa couverture. Le gouvernement AKP a justifié cette violation manifeste de la liberté de la presse par l’urgence de l’action préventive en vue d’empêcher, «au nom de la responsabilité sociale», qu’un crime ne soit commis. Ainsi, il reconnaît implicitement que si la couverture avait été publiée, il avait la ferme intention de faire saisir les exemplaires du journal, sans attendre une quelconque décision de justice. Un aveu en bonne et due forme de l’état de la liberté de la presse et de la liberté d’expression dans la Turquie d’Erdogan, et qui vient en confirmation du très sévère rapport portant sur ce sujet, accepté au Parlement européen il y a quelques jours. Entre-temps, c’est l’agitation dans les milieux islamistes de Turquie. Et on découvre avec horreur que deux journalistes ont incorporé dans leurs colonnes la vignette de cette fâcheuse couverture. Le procureur ouvre immédiatement une enquête contre les impétrants pour incitation à la haine et blasphème. Depuis ce jour, le siège du journal est sous la protection de la police. Les manifestations se multiplient, il est vrai avec peu de participants, mais avec partout l’apologie publique et sans ambiguïté des crimes commis à Paris et sans que leurs auteurs soient inquiétés par la justice. Ragaillardis par cette impunité, certains manifestants annoncent devant la presse internationale que, «désormais, les musulmans prendront leur vengeance de n’importe quel mécréant»! Sur les réseaux sociaux, les menaces et les injures fusent évidemment. Si les procureurs, d’ordinaire si prompts en Turquie pour ouvrir des enquêtes contre le moindre mot de travers prononcé contre le chef de l’Etat, ne bougent pas devant ces apologies du crime et des criminels, et les menaces ouvertement proférées, c’est parce que le président de la République, comme le Premier ministre, accusent les survivants de Charlie Hebdo et les journalis- L tes de Cumhuriyet de provoquer délibérément ces réactions, qu’ils évitent bien sûr de condamner. «C’est vous qui ouvrez la porte de la provocation, affirme Tayyip Erdogan contre les journalistes de Cumhuriyet. Votre démarche vise à détruire l’unité nationale.» Et grand amateur des théories du complot, il affirme que «les positions prises après l’attentat, le fait que les caricatures soient imprimées en millions d’exemplaires ne sont pas en rapport avec la liberté de pensée. rupture en Turquie. Un de plus après les événements du parc Gezi, mais qui révèle une évolution bien plus profonde. Au lieu d’alimenter un débat tout à fait légitime sur les limites de la liberté d’expression, Tayyip Erdogan, le gouvernement et leurs médias ont porté le débat sur un terrain théologique et proclamé, comme des théologiens, ce que l’islam ne peut tolérer. Or, leur maître à penser, le théologien Hayrettin Karaman, avait proposé la solution dans une de ses chroniques au journal proL’affaire Charlie Hebdo est un nouveau gouvernemental Yeni Safak, il y a plus d’un an : «A mon avis, dans moment de rupture en Turquie. cette société presque cent pour cent Un de plus après les événements musulmane, la première solution du parc Gezi, mais elle révèle serait de mettre en place une démocratie qui accepte comme réféune évolution bien plus profonde. rence fondamentale l’islam. Mais Certains jouent ici des jeux dangereux». Ah- si l’on insiste à maintenir une démocratie libémet Davutoglu, le Premier ministre, ne rale, dans ce cas, les gouvernements ne doipeut que surenchérir: «Nous ne pouvons ac- vent pas prendre des décisions contraires à un cepter les insultes faites au Prophète et nous tel régime, mais les individus doivent aussi, ne resterons pas inactifs contre celles-ci, ni en pour respecter la majorité dont ils sont dépenTurquie ni dans le monde !» Et d’accuser dants, ne pas utiliser volontairement certaines ceux qui publient des caricatures infaman- de leur liberté.» C’est grosso modo ce que tes exprès pour qu’on les attaque. Entre- propose aujourd’hui le pouvoir de l’AKP. temps, les tribunaux ont déjà interdit l’ac- Une démocratie dont les libertés sont délicès à tous les sites internet qui ont reproduit mitées selon les desiderata de la majorité cette couverture devenue célèbre. L’affaire sociologique du pays, les Turcs mâles et Charlie Hebdo est un nouveau moment de pratiquants sunnites. DEMAINENKIOSQUE WEEK-END avec IDÉES Crise: James K. Galbraith prône l’Etat-providence plutôt que l’austérité CULTURE Catherine Baÿ: il était dix fois Blanche-Neige au centre Pompidou NEXT Riccardo Tisci se donne corps et hommes chez Givenchy FOOD Le ramequin, un fromage aussi bon cru que fondu, qui l’eût cru? VOYAGES Quand Senlis s'éveille avec Séraphine Louis GRAND ANGLE Les écodétectives de Londres ...ettoutel’actu! I D É E S • D É B A T S • O P I N I O N S • E S S A I S • D O C U M E N T S e Parallèlement à l’action politique, « l’après-Charlie » doit conduire à une réflexion philosophique sur les rapports entre l’islam et la République. Spécialiste du monde musulman, Abdennour Bidar inaugure pour nous cette voie. omment le philosophe que vous êtes analyse-t-il l’escalade de la violence que nous venons de vivre ? Abdennour Bidar – Je tiens d’abord à dire que la violence terroriste qui vient de nous frapper a violenté non seulement la liberté d’expression et nos valeurs, aussi bien républicaines qu’humanistes, que l’islam comme culture et civilisation. C’est pour cela que les musulmans doivent aujourd’hui se mobiliser pour manifester leur indignation ; ils doivent le faire non seulement en tant que citoyens français ou membres de la société française, mais aussi pour affirmer l’islam comme civilisation, c’est-àdire comme matrice culturelle de femmes et d’hommes civilisés, et comme tels attachés sans aucun « oui mais » à la liberté d’expression, à la tolérance, à une fraternité qui ne se limite pas seulement aux frontières d’une communauté. Je pense en disant cela au livre de Michel Houellebecq, qui imagine un Président musulman arriver au pouvoir en France en 2022, à la tête d’un parti que Houellebecq appelle la « Fraternité musulmane ». Or il n’y a rien de plus terrible qu’une fraternité qui ne serait que « musulmane » ! Nous n’avons pas besoin de fraternités communautaires mais d’une fraternité universelle… C’est « l’amour du genre humain » que réclamait déjà Henri Bergson au début du XXe siècle, et notre civilisation humaine n’a fait aucun progrès de ce côté-là. On continue d’écouter à ce sujet les cyniques qui ricanent, les soi-disant réalistes qui se moquent de cela comme d’une utopie ! Et on continue de faire comme si la fraternité universelle devait rester perpétuellement un bel idéal de fronton, alors qu’elle devrait être au cœur !"#$"$%!" & de nos enfants. Cette fraternité reste, au fin fond de notre devise républicaine, la grande oubliée, et nous n’avons toujours pas compris qu’elle ne reste abstraite, irréalisable, qu’aussi longtemps seulement que nous n’y éduquons pas nos enfants dès le plus jeune âge. C’était l’une des grandes intuitions de nos humanistes classiques : Erasme disait, au tout début du XVIe siècle, qu’« on ne naît pas homme, mais on le devient ». C’est exactement ce type d’héritage que nous n’assumons plus aujourd’hui et le prix que nous payons est celui de cette infidélité : nous n’assumons plus que l’homme puisse et doive s’humaniser en cultivant sa capacité de fraternité, sa capacité à considérer tout être humain comme son frère ou sa sœur, comme son semblable, comme son prochain, sans aucune distinction de couleur ou d’origine. Souvenons-nous aussi – c’est le moment – de l’évêque de Digne dans Les Misérables : à Jean Valjean qui s’étonne et s’émeut d’être aussi bien accueilli en disant à l’évêque : « Vous me recevez chez vous avec cette confiance alors que vous ne me connaissez même pas », l’évêque répond : « Si, je te connais, tu t’appelles mon frère. » Et, il faut le dire aussi, cette culture de la fraternité sans frontières n’est plus un héritage assez vivant du côté de l’islam et des familles musulmanes. Combien éduquent leurs enfants selon ce principe ? Combien éduquent à considérer le juif, le chrétien, l’athée, etc., comme frères tout autant que leurs frères en religion ? Combien ont une culture de l’islam assez solide pour savoir que la fraternité est une vertu infiniment plus importante que le fait de respecter mécaniquement des règles alimentaires ou de porter tel ou tel vêtement ? Combien de temps encore, dans l’islam, des musulmans vont-ils ainsi choisir l’extérieur au lieu de l’intérieur, la règle au lieu de la vertu, la loi au lieu du cœur ? On me dira que la fraternité ne fait pas partie de l’histoire de l’islam. Mais je répondrai, comme Paul Valéry, que « l’histoire donne des exemples de tout », du meilleur et du pire dans chaque civilisation : celle de l’islam comme celle de l’Occident. C’est aux musulmans, en l’occurrence, de choisir dans le Coran et la sunna l’exemple du Prophète, et dans toute l’histoire de l’islam ce qui exalte cette fraternité, et de rompre définitivement avec ce qui la nie. Mais les musulmans sont-ils prêts à cette relecture critique de leurs sources et de leur histoire ? J’insiste bien ici sur le fait que nous avons tous – non-musulmans et musulmans – la même responsabilité aujourd’hui : retrouver l’inspiration de nos héritages humanistes. L’escalade de la violence nous met d’urgence, et de façon décisive pour l’avenir, face à ce rendez-vous avec le passé. Il y a, des deux côtés, des héritages qui dorment et qu’il faut mettre en partage. Quels sont les enjeux de la nation, en ces heures où certains craignent l’amorce d’une guerre civile ? Je ne me risquerai pas à ce type de pronostic ! Un adage romain dit « Si vis pacem, para bellum », si tu veux la paix, prépare la guerre. Je crois que ce type de devise est à LEA CRESPI/PASCO - de notre projet de civilisation et de l’éducation morale consommer avec modération. Oui, il faut une politique de sécurité exceptionnelle face à la réalité de la menace terroriste, dont nous venons de prendre conscience. Mais il faut aussi un discours et une action politiques qui dépassent cette indispensable réaction sécuritaire. Abdennour Bidar, Celle-ci est nécessaire mais pas agrégé de philosophie, suffisante en soi. « Si tu veux la membre de l’Observatoire paix, prépare la paix », voilà me de la laïcité, initiateur semble-t-il ce qu’il faut ajouter à du groupe Facebook l’adage romain. Cela veut dire en l’occurrence qu’il ne faut pas seu« Repenser l’islam avec lement « lutter contre » mais Abdennour Bidar », « lutter pour », non pas seulement est l’auteur, notamment, se défendre contre les terroristes de « L’islam sans mais recommencer à promouvoir soumission. Pour nos valeurs de façon beaucoup plus un existentialisme forte. La laïcité, la liberté d’expresmusulman » sion, la fraternité dont j’ai parlé (Albin Michel, 2008), précédemment. Ce sont des outils et de « Histoire de paix qui requièrent maintenant de l’humanisme – cela devrait enfin être devenu en Occident » évident pour tous – notre engagement maximal et collectif. Il faut (Armand Colin, 2014). en finir avec les « oui mais », avec les renoncements, avec les atermoiements. Si nous voulons éviter cette guerre civile dont vous parlez, il faut d’urgence nous remobiliser tous, nous solidariser tous, dans le combat pour ces valeurs et la fermeté dans leur mise en œuvre. C’est le rôle de l’Etat et celui de chacun des citoyens que nous sommes. N’est-il pas temps de créer un ministère de la Fraternité constitué, autour d’un ministre, d’un collège dans lequel siégera un représentant de chacune des familles philosophiques et spirituelles qui composent notre société ? Ce ministère ayant pour fonction prioritaire de mettre en place le service civique dont a parlé récemment François Hollande, et d’aider toutes les initiatives citoyennes en faveur de cette fraternité dans les relations au travail, dans l’enseignement moral et civique transmis par l’école, entre les communautés culturelles et religieuses, entre les classes sociales et les territoires… Car, dans cette question de la fraternité, il y a non seulement celle de l’amitié entre les cultures, mais aussi celle de la solidarité entre ceux qui ont beaucoup et ceux qui n’ont pas assez – que ce soit en termes de capital économique ou culturel. Le vrai enjeu pour notre nation, dans ce qui vient de se passer, est là : allons-nous savoir nous saisir de cet événement comme d’un électrochoc suffisant pour nous ressaisir ? Pour être à la hauteur de nos défis de fond ? Lesquels sont tous relatifs au vivre-ensemble – menacé aussi bien par les « guerres culturelles » que nous avons laissées se développer que par l’accroissement prodigieux et scandaleux des inégalités sociales ? Quelles sont les réflexions à tenir pour les musulmans eux-mêmes ? Je voudrais, pour commencer, insister sur la laïcité. Nous avons trop laissé se développer à son sujet deux contrevérités absolument désastreuses. Première contre-vérité : la laïcité serait « l’ennemie de la religion », elle serait « liberticide et stigmatisante » à l’égard de l’islam. C’est faux, car elle est ce principe d’organisation politique et sociale qui permet aux non-croyants comme aux croyants de toutes confessions de jouir des mêmes droits et d’être astreints aux mêmes devoirs – fixés par la loi. On peut donc parfaitement être croyant et laïque. Les musulmans, qui sont trop nombreux à avoir intériorisé une image fausse de la laïcité, par ignorance, devraient tout autant que les autres en reconnaître enfin le prix au moment où dans le monde musulman, depuis les Printemps arabes de 2011, c’est justement une forme de laïcité qui se cherche vis-à-vis de tous les autoritarismes politiques et religieux. Je ne voudrais donc pas que les musulmans de France, qui ici ont la chance d’être dans un pays laïque qui respecte leurs droits, commettent un immense contresens historique en étant à contre-courant de l’évolution qui se joue dans le monde musulman ! Ce qui me paraît particulièrement ruineux, stérile et contreproductif, c’est la logique d’accusation de la France que j’entends trop souvent : la France qui n’aimerait pas les musulmans, qui serait raciste, islamophobe, etc. Oui il y a des actes anti-musulmans inquiétants, mais notre fermeté vis-à-vis d’eux doit aller de pair avec notre fermeté sur la laïcité. A l’inverse, je constate les ravages de cette même logique d’accusation de l’autre côté par tous ceux qui voudraient faire de l’islam le bouc émissaire désigné de tous nos problèmes de société. Quand donc allons-nous, là encore, nous ressaisir collectivement, en passant d’une logique d’accusation de l’autre à une logique de responsabilité ? Responsabilité pour les musulmans de penser leur foi et leur pratique dans le cadre de la laïcité, ce qui en réalité ne leur impose rien du tout de liberticide mais qui, tout au contraire, donne ici aux musulmans une chance formidable, peut-être unique, de repenser leur culture en rééquilibrant son extérieur et son intérieur, en trouvant l’intelligence de l’adapter, etc. Responsabilité pour la France de voir que le « problème de l’islam » n’est pas seulement celui d’une religion et d’une culture qui ont encore tout à apprendre de leur inscription dans une société multiculturelle, mais aussi le problème propre d’une société tout entière, la nôtre, qui doit lutter beaucoup plus énergiquement contre les discriminations, la formation de ghettos sociaux où n’existe plus de mixité culturelle, et aussi contre le détournement de sa laïcité par une extrême droite qui voudrait en faire une arme de destruction massive de la diversité. Un mot encore sur le sujet : je suis toujours stupéfait par ces intellectuels qui prennent la défense des musulmans « stigmatisés » mais qui ne connaissent pas grand-chose aux questions d’islam… Leur sentiment est bon, mais leur ignorance est grande. Car aujourd’hui, en France, la stigmatisation et les actes anti-musulmans sont le résultat de deux facteurs conjugués : d’une part les préjugés et les fantasmes sur l’islam – que certains confondent toujours avec l’islamisme –, mais d’autre part aussi l’incapacité ou la réticence d’un certain nombre de musulmans à adapter leurs pratiques à une société française dont ils ne maîtrisent toujours pas la culture et les valeurs. C’est le choc des ignorances. Toutes choses que vous avez développées dans votre « Lettre ouverte au monde musulman »… * Oui, une lettre où je lui dis notamment : je te vois en train d’enfanter un monstre qui prétend se nommer Etat islamique et auquel certains préfèrent donner un nom de démon : Daech. Mais le pire est que je te vois te perdre – perdre ton temps et ton honneur – dans le refus de reconnaître que ce monstre est né de toi, de tes errances, de tes contradictions, de ton écartèlement entre passé et présent, de ton incapacité trop durable à trouver ta place dans la civilisation humaine. « LA » grande question est celle-ci : pourquoi ce monstre t’a-t-il volé ton visage ? Pourquoi ce monstre ignoble a-t-il choisi ton visage et pas un autre ? En tant que philosophe de l’islam, ma contribution plus spécifique à nos débats me conduit à alerter les musulmans sur le travail d’autocritique qui les attend toujours, du côté d’une culture gangrenée par de trop nombreux maux : dogmatisme, intolérance, antisémitisme, littéralisme, formalisme, machisme, et tous les « ismes » d’un obscurantisme dont la religion islamique n’a certes pas le monopole, mais vis-à-vis duquel il lui reste à faire l’effort civilisationnel d’un aggiornamento radical. En faisant attention au piège de tous ceux qui, comme Tariq Ramadan – avec lequel nous avons perdu beaucoup de temps et d’énergie en vain –, parlent de « réforme radicale » en détournant méthodiquement et habilement de leur sens tous les concepts de la modernité (démocratie, liberté de conscience, etc.) au service d’une pure et simple réaffirmation du système de l’orthodoxie islamique, ou bien en prétendant retourner vers une supposée « pureté des origines », ce qui est le vice du salafisme. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICE DE MÉRITENS * Publiée le 13 octobre 2014. Consultable sur le site de Marianne, rubrique « Agora » (http://www.marianne.net/Lettre-ouverte-au-monde-musulman_a241765.html). Revue de presse Page 1 sur 2 © Dna, Lundi le 26 Janvier 2015 Droits de reproduction et de diffusion réservés STRASBOURG Charlie Hebdo, et maintenant ? Débat Vivre ensemble, au Neuhof « Je suis de Strasbourg, j'habite au Neuhof, je suis indigné ». Ce slogan annonçait la soirée de partage et de discussion de mercredi dernier, sur le thème des attentats terroristes. Musique, chant, danse, la soirée était rythmée par des performances artistiques pluriculturelles. L'événement était organisé par un collectif d'associations, oeuvrant au Neuhof. Vers 21 h, ils étaient plus d'une soixantaine à franchir les portes de l'Espace culturel Django-Reinhardt, pour venir écouter les allocutions d'une dizaine d'intervenants issus de différents milieux : religieux, associatifs, habitants, acteurs du quartier. « Le but de cette manifestation est de rendre hommage aux 17 victimes, mais aussi de condamner la violence », souligne Khoutir Khechab, le directeur du centre socioculturel du Neuhof. Des messages de solidarité et d'union Et pour défendre la liberté d'expression, l'art a aussi son mot à dire : musique, chant, danse, la soirée était rythmée par des performances artistiques pluriculturelles, véhiculant des messages de solidarité et d'union. « En affirmant Nous sommes tous Charlie, nous refusons la barbarie », entend-on clamer sur scène. Mais ce n'est pas le seul message que souhaite porter l'ensemble des associations présentes. C'est aussi la bêtise et l'obscurantisme qu'il faut combattre, tout comme les amalgames, et les idéologies qui stigmatisent certaines populations. « Nous souhaitons exprimer notre profonde indignation », déclare Habiba Douai Alabkari, venue représenter la mosquée du Neuhof, « Nous condamnons ces actes barbares et inqualifiables qui ne peuvent se réclamer d'aucune religion, et d'aucune autre cause ! En tant que musulmans, nous suivons notre prophète Mahomet, qui a fait un pacte de vivre ensemble avec toutes les autres confessions ». Elle ajoute que le Coran invite au pardon, à la miséricorde et à l'amour, au même titre que la Bible. À sa droite, le prêtre Jean-Paul Wihlm approuve son message : « Personne ne peut se prévaloir de Dieu pour tuer » ! Pour lui, une question devient cruciale : quelle société voulons-nous bâtir ensemble ? : « Si nous voulons que la solidarité soit plus forte que la violence, nous devons créer des lieux de rencontre et de dialogue, pour apprendre à se connaître ». Au terme de la soirée, un débat d'une vingtaine de minutes a permis aux habitants d'exprimer leur ressenti, mais aussi leurs interrogations et leurs craintes. Comment éviter les amalgames ? Comment sensibiliser les jeunes et empêcher l'endoctrinement ? Comme l'a souligné Jacques Schweitzer, le principal du collège Solignac, « la vraie victoire du terrorisme serait qu'on ne fasse rien ». Bientôt un collectif oecuménique Agir, donc. Multiplier les échanges et les débats pacifiques. Au Neuhof, un collectif est sur le point http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=14999&journal... 26/01/2015 Revue de presse Page 2 sur 2 de se former. Il réunira la paroisse catholique et protestante, ainsi que des associations musulmanes. Le but : construire une société qui renoue le dialogue interreligieux, et où la différence est une richesse. J.W http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=14999&journal... 26/01/2015 REBONDS LIBÉRATION VENDREDI 30 JANVIER 2015 L’enseignement supérieur se mobilise après les attentats 25 Le poids des mots, la faiblesse des idées Par ABDEL YASSINE Conseiller municipal de FleuryMérogis et ULYSSE RABATÉ Conseiller municipal de Corbeil-Essonnes Par SOPHIE BÉJEAN Ex-présidente de l’université de Bourgogne et présidente du comité pour la Stratégie nationale de l’enseignement supérieur et BERTRAND MONTHUBERT Président de l’université Toulouse-III Paul-Sabatier et rapporteur général de la Stranes. crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître: pendant cet interrègne, on observe les phénomènes morbides les plus variés.» Il nous semble, de notre côté, pouvoir nourrir le débat et apporter des réponses, au moins pour ce qui concerne l’enseignement supérieur, puisque nous allons remettre notre rapport sur la stratégie nationale de l’enseit après? Quatre millions de personnes qui gnement supérieur. Nos propositions placent en marchent dans les rues après les événe- premier lieu le besoin d’une élévation du niveau ments tragiques que l’on sait, et après? La de qualification et de compétences dans notre nation tout entière qui se mobilise après pays et d’un nouvel élan pour l’égalité, alors que ces attentats sanglants pour dire, mais quoi au trop de nos concitoyens voient leur horizon lijuste ? Au-delà du nécessaire rassemblement, mité aux portes de leur quartier. Il s’agit de sortir quelles actions ? du désespoir ceux qui vivent la relégation, l’abCette question, ces questions, combien sommes- sence d’avenir, le sentiment d’injustice, tout ce nous à nous les poser ? En tant que citoyens, en dont se nourrissent ceux qui sont en guerre contant qu’universitaires, en tant que responsables tre nous. institutionnels, nous avons été choqués, inquiets, Nos propositions s’inscrivent également dans la et nous nous sommes dit qu’il n’est pas possible notion de responsabilité sociale des universités, de continuer à travailler comme si de rien n’était. comme le reconnaît pour la première fois la loi En quoi l’enseignement supérieur est-il concerné du 22 juillet 2013. A ce titre, le développement du par ces attentats ? En quoi peut-il apporter des service civique, pouvant peut-être même aller réponses pour que cesse la barbarie ? Il est trop jusqu’à une généralisation et être renommé «sertôt pour donner des réponses largement étayées, vice républicain», pourrait être piloté par le miil faudra prendre plus de recul. Il serait également nistère de l’Education nationale, de l’Enseigneabsurde de considérer que l’enseignement supé- ment supérieur et de la Recherche afin de porter rieur détient seul la solution : ce sont de vérita- une composante importante d’éducation au sens large, de développer un sentiment de Les universités doivent jouer un rôle majeur fraternité, de contribuer à la consde la citoyenneté. Les unidans le déploiement du service civique par truction versités doivent jouer un rôle majeur l’accueil sur les campus de jeunes engagés dans dans le déploiement du service civicette mission et en accompagnant ce dispositif. que par l’accueil sur les campus de jeunes engagés dans cette mission et bles actes de guerre qui ont été commis. Mais par l’accompagnement du dispositif. En tant nous devons, et nous devrons, apporter notre qu’établissements publics, garants de neutralité, contribution à la mobilisation pour une société de respect de la laïcité, en tant que symbole fort rassemblée, contre l’obscurantisme et la haine. de la connaissance et de l’élévation intellectuelle, La liberté d’expression a été visée. En ce sens, elles constituent un véritable creuset permettant l’enseignement supérieur est aussi une cible pour le brassage social, culturel, générationnel, nécesles fondamentalistes qui ne respectent que leur saire à la réussite d’un projet de renforcement du façon de penser, qui disqualifient celle des autres lien républicain. et, de fait, récusent les fondements de la science. Proposer un avenir collectif, s’attaquer aux raciLes derniers événements doivent donc nous nes de la misère et de la reproduction sociale, pousser à la vigilance contre toutes les tentatives poursuivre l’effort d’éducation à tous les nid’atteinte à l’expression dans les établissements veaux, ne sont certes pas les seules réponses face d’enseignement supérieur. La construction du aux actes de guerre que nous subissons. Mais savoir et sa transmission ne sauraient avoir l’enseignement supérieur et la recherche doivent d’autres limites que celles des règles épistémolo- prendre part à la «grande mobilisation de l’école giques et de l’éthique scientifique. pour les valeurs de la République», que, sans attenMais nous devons aussi tenter de comprendre dre, la ministre de l’Education, de l’Enseignecomment nous en sommes arrivés à une telle si- ment supérieur et de la Recherche a lancée lundi. tuation. A cet égard, l’impact de la crise dans le La question de l’éducation est au centre de la pomonde, qu’elle soit économique, sociale ou poli- litique républicaine, désormais la stratégie de tique, doit être pris en compte. Une célèbre cita- l’enseignement supérieur doit y prendre une tion de Gramsci est d’une actualité terrible: «La place de premier plan. ans la suite des événements tragiques des 7, 8 et 9 janvier, notre Premier ministre s’est fendu d’une déclaration choc, que l’on aurait pu considérer comme un simple coup de communication, si elle n’en disait pas beaucoup sur les intentions du pouvoir et sur son analyse de la situation dans nos banlieues. C’est ainsi que, dans un contexte de grande inquiétude de la société française, Manuel Valls a proclamé l’existence en France d´un «apartheid territorial, social, ethnique». A alors débuté le film que les habitants des quartiers connaissent par cœur : les opposants politiques affirment que c’est une honte de comparer la République à l’apartheid, et monsieur Valls leur rétorquera qu’il faut regarder la réalité en face… Bref, le débat s’emballe et on oublie le sujet de départ, pour la simple et bonne raison que les premiers intéressés ne sont pas appelés à y participer. Tout roule. Sauf qu’il dépend de nous de ne pas changer tout de suite de sujet. Entendons-nous. Comme beaucoup, nous avons plutôt bien accueilli la sortie du Premier ministre. Qui, en banlieue, ne peut accueillir avec une forme de soulagement ces constats enfin à la hauteur de l’urgence de la situation de nombre de quartiers ? Nous ne pouvons qu’aller dans le sens de ces chocs sémantiques qui ont pour mérite d’alerter l’opinion sur la vie quotidienne dans ces territoires pauvres, stigmatisés, et dont les habitants font l’objet d’une ségrégation manifeste. Ceux qui disent que ce discours met en danger la République n’ont pas arpenté les trottoirs de nos quartiers depuis bien longtemps. Manuel Valls utilise le mot d’«apartheid», suggérant que cette situation dramatique est le résultat d’une politique délibérée, dont est responsable l’ensemble de la classe politique qui se partage le pouvoir d’Etat. Là encore, de notre point de vue, on ne peut qu’acquiescer. Mais il y a un os. Puis un cadavre. En choisissant de pointer de cette manière la situation dans les ban- D E FLORIAN • lieues, dix jours après les attentats, Manuel Valls accentue le coup de projecteur médiatique blafard sur leurs habitants. En utilisant un terme fort et connoté négativement, il entretient autour de cette question un climat d’inquiétude et de séparation, justement au moment où notre société a besoin de dirigeants qui en prennent le contre-pied. Oui, jeunes élus de banlieue, nous avons été marqués non par l’absence des populations colorées de banlieues dans les cortèges, mais par l’aveuglement général des participants à l’égard de cette absence; un aveuglement que nous interprétons comme une forme de rejet tacite et inconscient. La magnifique marche pour la liberté, l’union de tout un pays, s’est donc faite sans ces populations. Si les habitants des banlieues n’étaient pas dans les cortèges, ce n’est pas parce qu’ils ne condamnaient pas les actes terroristes. C’est simplement que les manifs font partie d’un package républicain discrédité depuis longtemps dans les quartiers. Pour manifester, encore faut-il avoir une place et une légitimité dans le corps social. Oui, sur nos territoires, nous ressentons la présence du cocktail explosif de la misère sociale et affective qui rend possibles des passages à l’acte effrayants. Si les événements récents mettent dramatiquement en lumière la dérive intégriste, ils n’effacent pas les autres formes et épisodes de violence extrême qui jalonnent les parcours individuels d’autres «écorchés vifs» – près de sombrer, à leur manière, dans l’illusion héroïque. Oui, que le mot d’apartheid soit le bon ou non, nous affirmons que la violence qui nous a accablés en ce début du mois de janvier trouve ses causes dans une violence sociale et institutionnelle profonde, qui s’exprime dans et contre les quartiers populaires de France. Et maintenant que les mots sont lâchés, place aux actes. Manuel Valls a choisi : ce seront, pour l’instant, 736 millions pour la sécurité. Curieuse manière de lutter contre les maux qu’il a jetés à la vindicte populaire : dans les exemples historiques récents que nous connaissons, la surenchère sécuritaire n’a jamais été, loin de là, le signal d’un recul de l’apartheid. / 11H-12VHENDREDI D’U I D E R D N E E NDI AU V ON CHAQU DU LU LA PARTICIPATI DELORME C AVE iat avec en partenar ISTE DE N JOURNAL LIBÉRATIO N lture.fr francecu Impression Un appel à inscrire la fraternité dans les agendas politiques - Localtis.info un service Caiss... 1 sur 1 http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/Print/Actualite&cid=1250268379441 Un appel à inscrire la fraternité dans les agendas politiques Vie citoyenne Publié le vendredi 30 janvier 2015 Le collectif Appel à la fraternité souhaite prolonger l'"immense élan collectif" qui s'est manifesté le 11 janvier dernier, suite aux attentats. "Ce mouvement, pour être durable, doit s'organiser et impliquer chacun d'entre nous", interpelle ce collectif qui, depuis un premier "appel" signé en 1999 par quelque 500 personnalités de sensibilités politiques différentes, s'attache à revaloriser le concept de fraternité. En 2004, suite à la désignation de la fraternité comme "grande cause nationale", l'Association des maires de France, de grandes associations nationales de solidarité et près de 700 communes avaient rejoint la démarche. "La fraternité n'est pas gravée au fronton des mairies de France par hasard mais parce qu'elle a vocation à imprégner la réalité de la vie locale," peut-on lire dans ce nouvel appel. Pour cela, il est nécessaire que les responsables publics nationaux et locaux inscrivent "le volet fraternité de la République dans leurs toutes premières priorités", élaborent "sans attendre des plans d'action ambitieux sur le terrain éducatif, culturel, social, économique" et s'attachent à "favoriser toutes les dynamiques individuelles, associatives ou institutionnelles aptes à construire de nouvelles relations d'écoute, d'entraide et de respect entre les cultures, les âges et les territoires". "Il pourrait, par exemple, être organisé dès cette année une semaine nationale de la Fraternité", proposent les premiers signataires de cet appel, dont Ghaleb Bencheikh (Conférence mondiale des religions pour la paix), Jean-Baptiste de Foucauld (Pacte civique), Jérôme Vignon (Onpes et Semaines sociales de France), Dominique Balmary (Uniopss), Louis Gallois (Fnars) et Atanase Périfan (Fête des voisins). Coordonné par Jean-Louis Sanchez, également délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, le Collectif appel à la Fraternité anime notamment la démarche des "Ateliers du vivre ensemble". Déjà organisées dans une dizaine de territoires dont SaintPriest, Valenciennes ou encore Quimper, ces journées de réflexion et d'échange d'expériences visent à impulser une dynamique locale impliquant élus, professionnels, responsables associatifs et habitants autour de l'engagement citoyen et du lien social. C. Megglé 02/02/2015 09:05 débats | 11 0123 SAMEDI 31 JANVIER 2015 Après les attentats des 7, 8 et 9 janvier, le gouvernement a engagé une « grande mobilisation » de l’éducation nationale pour transmettre les « valeurs de la République ». Juste mesure pour combattre le fanatisme ou repli sur soi ? Quelle laïcité faut-il adopter à l’école ? Laisser la croyance hors des établissements scolaires Notre pays ne doit pas céder à la tentation de la religion laïque Confrontée à des adolescents qui revendiquent leurs appartenances identitaires, l’école doit tenir toutes les religions à distance et arracher les élèves à toutes les déterminations grâce à l’exercice de l’esprit critique Les mesures ministérielles cherchent à impliquer davantage les parents dans l’école mais refusent toujours que les mères portant le foulard accompagnent les élèves lors des sorties scolaires. L’école doit faire son autocritique par danièle sallenave O n n’en finit plus de s’interroger sur le comportement de ces élèves qui, dans quelques écoles de quartiers, de cités, de banlieue, ont refusé de s’associer à la minute de silence décrétée après les affreux massacres perpétrés à Charlie Hebdo et dans une épicerie casher. L’école est sommée de répondre. Mais répondre à quoi, et comment ? Comme les assassins, ces enfants sont la plupart du temps d’origine ou de confession musulmane. Pointer les rattachements ethniques et religieux de ces élèves dissidents comme la cause unique ou essentielle de leur comportement présente de graves dangers. D’abord parce que c’est évacuer toutes les autres explications. En particulier le sentiment explicite ou diffus d’exclusion, justifié ou non, qu’éprouvent des jeunes qui se sentent promis au chômage et à la discrimination du fait de leur naissance. N’en déplaise à ceux pour qui le recours à l’explication sociale et économique est tout simplement un refus de la responsabilité individuelle. Les politiques successives de la ville ont, dans les « quartiers », réhabilité des logements, aménagé les transports, parfois bien mieux que dans des zones de la France périphérique, qui en conçoit du ressentiment. Cela n’a pas toujours suffi : ce sont toujours des lieux « séparés ». Car multiples sont les facteurs d’un sentiment d’exclusion. Sans doute certains utilisent-ils ou instrumentalisent-ils des mémoires antagoniques de la colonisation ; le passé colonial n’en est pas moins « un passé qui ne passe pas ». Et il est vrai aussi que ces jeunes sont indirectement touchés par le pourrissement de situations qui se dégradent chaque jour au Moyen-Orient, et par le sentiment d’humiliation que causent dans le monde arabe les divers modes de l’actuelle intervention occidentale contre le terrorisme. TOLÉRANCE RÉCIPROQUE Le rattachement religieux est alors tout ce qui reste d’une identité qui se dérobe. Est-il raisonnable d’en profiter cependant pour grossir le trait, comme lors des émeutes de 2005, et agiter le spectre d’un choc de civilisations entre la République et ses « territoires perdus » ? Au reste, si vraiment la religion était à l’origine de ces rébellions à l’école, suffirait-il pour ramener la paix d’y faire venir des représentants des « religions du Livre », donnant le spectacle de leur supposée fraternité ? Cela ne ferait que réaffirmer l’assignation de chacun à ses origines et rendrait plus incertaine encore la place des enfants de familles agnostiques ou athées. De même si l’on décidait de confier l’enseignement du fait religieux à des prêtres de toutes obédiences : qu’au moins on en donne la charge aux professeurs, et plutôt à l’occasion des cours de français ou d’histoire… Il faudrait bien plutôt opérer un changement d’orientation radical, comme du reste le propose le président de la République en rappelant que « les religions n’ont pas leur place à l’école ». Définition claire et sans équivoque de ce qu’est l’école « laïque », et qui lui permet d’être l’école de tous : une école qui tient les religions à distance. « Laïcité » signifie en effet deux choses différentes selon qu’on l’applique à la sphère publique ou à l’école. Dans la sphère publique, la laïcité, c’est pour tous les citoyens le droit d’avoir une religion ou de n’en pas avoir, de le manifester sans crainte, et le devoir de se respecter entre eux dans une tolérance réciproque. Mais à l’école, ce qui doit régner, c’est la réserve à l’endroit des questions religieuses, le « suspens » des affiliations durant les quelques heures par jour qui doivent être consacrées aux apprentissages scolaires. Pourquoi ? Parce qu’on a affaire à des enfants et à des adolescents chez qui l’affirmation d’un rattachement religieux n’est pas forcément un choix propre, personnel, raisonné, mais en règle générale la conséquence d’un choix familial. Toute attaque (ou supposée telle) envers « sa » religion est d’abord vécue par lui comme une attaque envers sa famille. Ensuite parce que l’affirmation entre les murs de l’école d’un rattachement religieux (ou politique) n’est pas compatible avec la sérénité des apprentissages. LES EXERCICES DE LA RAISON La laïcité, à l’école, c’est toute la place à l’instruction, et rien qu’à l’instruction. A l’école, c’est la laïcité qui, même aujourd’hui où l’école se veut « ouverte à la vie », doit dessiner le périmètre protégeant les enfants et les adolescents de tout ce qui viendrait parasiter leur attention (et cela vaut aussi pour les téléphones portables). Et il y a plus : en arrachant momentanément l’enfant, l’adolescent, aux rattachements religieux ou politiques de sa famille, de son groupe, de son quartier, pour le ramener vers les objets de l’instruction, l’école l’arrache à sa condition « d’enfant » pour en faire un élève : comme disait Alain, « quelqu’un qui veut qu’on l’élève ». Utopie ? Peut-être. Mais c’est cette utopie qui doit régler l’action de l’école, et la concentrer sur ses objets propres et ses missions spécifiques : l’étude de la langue, des mathématiques, des sciences, de l’histoire. Sous la direction de professeurs qui guident l’élève dans le maquis des ressources numériques, et lui apprennent la distance et l’esprit critique face à tous les mirages auxquels on peut se prendre. Face aux dérives fanatiques qui menacent les croyances ou les adhésions sans recul, il y a pour s’en prémunir toute la gamme des grands textes, notamment ceux des philosophes des Lumières. Oui, ce dont nous avons le plus urgent besoin, c’est un retour à l’esprit des Lumières, toujours vivace malgré les cruels démentis de l’histoire, et à une formation raisonnée aux exercices de la raison. François Jacob, qui, il y a juste cinquante ans, recevait pour ses travaux le prix Nobel de médecine, avait vu juste quand il écrivait en 1987 : « Les Lumières et le XIXe siècle eurent la folie de penser que la raison n’était pas seulement nécessaire, mais aussi suffisante pour résoudre tous les problèmes. Aujourd’hui, il serait plus fou encore de décider, comme certains le voudraient, que sous prétexte qu’elle n’est pas suffisante, elle n’est pas non plus nécessaire. » p ¶ Danièle Sallenave est écrivaine et membre de l’Académie française par jean baubérot P renant le relais du président, François Hollande, annonçant l’« acte II » de la refondation de l’école, la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a indiqué, jeudi 22 janvier, un ensemble de mesures en réponse aux tragiques attentats des 7, 8 et 9 janvier. Au cœur de ces dispositions, on trouve la laïcité dont les deux finalités principales (liberté de conscience et principe de nondiscrimination), ont été ciblées par les terroristes. Mais on ne peut qu’être frappé par le déséquilibre entre ce qui concerne les élèves et leurs parents, où les projets sont précis, exécutoires dans le court terme, et le flou de ce qui se rapporte aux dysfonctionnements de l’institution. Là, il semble urgent d’attendre. Il est proposé d’établir un état des lieux de la mixité sociale, comme si les maux n’étaient pas connus et comme si des spécialistes n’avaient pas, depuis longtemps, proposé des solutions. Plusieurs propositions comportent le risque d’entraîner la laïcité vers une religion civique, à laquelle élèves et parents devraient faire allégeance. Ainsi, les familles devront signer la charte de la laïcité. Son article 4 énonce : « La laïcité permet l’exercice de la citoyenneté en conciliant la liberté de chacun avec l’égalité et la fraternité de tous dans le souci de l’intérêt général. » Et l’article 5 précise : « La République assure dans les établissements scolaires le respect de chacun de ces principes. » Or ladite République consacre plus d’argent à l’instruction d’un élève d’un milieu favorisé qu’à celle d’un élève d’un milieu défavorisé. Pour chacun des articles de cette charte, il serait souhaitable de le compléter par un volet critique du fonctionnement de l’institution scolaire. DÉMARCHE DE CONNAISSANCE Enseigner plus fortement la laïcité correspond au souhait que je formule depuis des années. Mais il faut qu’il s’agisse d’un enseignement laïque de la laïcité (comme on parle d’« enseignement laïque du fait religieux », à développer également à l’école). Qu’est-ce à dire ? Qu’un tel enseignement doit se fonder sur une démarche de connaissance. Ainsi, apprendra-t-on aux élèves que la France a été le seul pays démocratique où a existé un siècle d’écart entre l’instauration du suffrage masculin (1848) et le suffrage universel (1944) ? Or c’est en invoquant la laïcité que des parlementaires ont régulièrement refusé d’accorder la citoyenneté politique aux femmes, considérées comme « soumises » au clergé. Un silence sur ce point serait très significatif. Second exemple : le Conseil d’Etat a indiqué, lors du centenaire en 2005, que la loi de séparation des Eglises et de l’Etat se situait dans la filiation du philosophe britannique John Locke. Sans cette influence, on comprend mal l’orientation philosophiquement très libérale de la loi de 1905. Or cette loi est très souvent rattachée aux seules Lumières françaises, plutôt adeptes du gallicanisme, quand ce n’est pas à une tradition jacobine dont les juristes ont montré qu’elle s’écarte notablement. Là encore, l’orientation adoptée dans l’enseignement de la laïcité sera un test décisif. Va-t-on privilégier une vision étroitement nationale ou montrer que la laïcité française s’est construite en profitant de plusieurs expériences ? Il serait possible de multiplier les exemples. Si elle veut être véritablement laïque, l’institution scolaire doit réfléchir de façon critique à son propre fonctionnement. Depuis des décennies, on déplore que les jeunes enseignants, juste après leurs diplômes, se retrouvent dans les établissements les plus difficiles. Sans grand résultat. On souhaite davantage d’implication des parents, mais sans abolir la circulaire Chatel, qui exclut des mères de famille portant le foulard des sorties scolaires. Pourtant, la mère du soldat tué par Mohamed Merah, Latifa Ibn Ziaten, donne actuellement beaucoup d’interventions dans les écoles sur la citoyenneté en portant un foulard. Suivant son exemple, d’autres mères de famille, qui souhaitent s’impliquer dans l’école, pourraient être sollicitées. Certaines propositions de la ministre rappellent le projet de la commission Langevin-Wallon de… 1947 (le « groupe scolaire à structure démocratique auquel l’enfant participe comme futur citoyen »). Il n’est jamais trop tard pour bien faire, mais l’éducation nationale applique trop souvent la phrase du roman Le Guépard, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa : que « tout change pour que rien ne change » ! On comprend que les événements récents aient renforcé un besoin de communion, mais attention de ne pas sacraliser un être-ensemble collectif, dont élèves et parents ressentiront d’autant plus durement qu’ils en sont plus ou moins exclus. On ne peut demander le respect de principes républicains sans poser, dans le même mouvement, la question de leurs interprétations et de leurs concrétisations. Sinon, on transforme, comme le craignait déjà Jules Ferry, la laïcité en « religion laïque »… et on continue d’envoyer les enseignants au casse-pipe ! p ¶ Jean Baubérot est historien et sociologue. Il a fondé et dirigé le Groupe sociétés religions laïcités (CNRS-EPHE). Il est l’auteur de La Laïcité falsifiée, La Découverte-Poche, 2014 SU NAIRE IS LUTION O rps V É R r votre co ÉRIAU gie NA S A ssion su orpholo UN MAT RCHES DE LA re p m e e d tr o HE àv oints relle DES REC parfaitement ge les p ion natu re > Allè pte sa posit > S’ada votre températu rtébrale dans à ve > Réagit votre colonne t n e ti > Sou Du 7 janvier au 17 février Pour un sommeil plus réparateur que jamais REVENDEUR TEMPUR ® AGRÉÉ BÉNÉFICIEZ DE CES OFFRES À PARIS : RIVE DROITE (12e) 60 cours de Vincennes • 01 43 41 80 93 • 7j/7 • M° Nation. RIVE GAUCHE (15e) 66 rue de la Convention • 01 40 59 02 10 • 7j/7 M° Boucicaut • P. gratuit • www. topper.fr Revue de presse Page 1 sur 2 © Dna, Samedi le 31 Janvier 2015 Droits de reproduction et de diffusion réservés Strasbourg Début des conférences citoyennes L'éducation ? Populaire ! La première des conférences citoyennes d'après Charlie, hier à l'Esplanade, a fait émerger ceci : pour éduquer et enseigner, il faut, certes, des idées, mais aussi et surtout des moyens, à l'école et en dehors. L'Ares, à Esplanade a accueilli hier la première réunion, six sont organisées. Pour la forme, le public assis en cercles entourait Jean-Louis Fournier, chargé d'animer et de faire circuler la parole. Puisque les conférences sont organisées par la Ville, le maire Roland Ries en a rappelé le principe en préambule, soit convertir l'élan populaire de la manifestation du 11 janvier dernier en quelque chose de durable. Une centaine de personnes sont venues « l'ouvrir » mais le temps était compté. « Que l'enfant devienne un adulte critiquequi ne se fera pas avoir » L'objectif n'est pas que d'échanger : le maire a précisé qu'il faudra ensuite « peut-être passer par le conseil municipal, peut-être par des financements, pour mettre en oeuvre des idées nouvelles. » Il y avait dans l'assemblée des élus (restés discrets), des représentants du monde éducatif et associatif (ce dernier s'est beaucoup exprimé), ainsi que des parents d'élèves, en partie invités directement à assister à cette soirée consacrée à l'éducation. Les jeunes, sujets des interventions, étaient quasiment absents. « Quelque chose manque pour ces jeunes partis en Syrie. Les jeunes issus du Maghreb, d'Afrique, ne retrouvent pas leur histoire à l'école », a regretté un représentant du MRAP. Un inspecteur académique lui a répondu qu'on « ne peut pas tout aborder mais que les livres on fait des progrès significatifs depuis 2010, avec une ouverture sur la période coloniale ou l'esclavage. » Un militant de l'éducation populaire, du réseau éducatif Francas, a lancé : « Tant qu'on sera dans la morale injonctive, on perdra son temps. Il faut des espaces où écouter les jeunes, créer des lieux d'éducations populaires. » Astrid Ruff a elle donné le point de vue de l'artiste en rappelant les vertus de l'enseignement artistique, qui n'est pas une « injonction ». La question des moyens en baisse, notamment pour les associations, avec pour effet de déserter le terrain, a été pointée par un membre de l'association Astu (Actions citoyennes interculturelles). Paul Souville, vice-président de l'Ares, qui ne peut que souscrire à la réaffirmation du bienfait de l'éducation populaire, a pointé lui aussi du doigt le contexte économique difficile : « Trop souvent le critère est financier, mais l'important, ce n'est pas ce que ça coûte, c'est le résultat concret obtenu. » http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=18873&journal... 02/02/2015 Revue de presse Page 2 sur 2 Un père a parlé du lexique qu'il est en train de créer pour sa fille de cinq ans, dont les questions abondent depuis les attentats. Une parente d'élève du groupe scolaire Jacques-Sturm, de l'Esplanade, a, elle, livré un témoignage sur les débats philosophiques qui ont lieu depuis cinq ans dans l'établissement, dès le CP : « Les enfants ont pris l'habitude de poser un regard critique sur des sujets très différents. Ils ont aussi énormément d'activités en lien avec l'environnement, la citoyenneté. Ce qu'il faut c'est une bonne mixité, pas mal d'activités, que l'enfant devienne un adulte critique qui ne se fera pas avoir. » Prochain rendez-vous, le 4 février à 18 h 30 à l'espace Django-Reinhardt, au Neudorf. M. A.-S. http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=18873&journal... 02/02/2015 16 • FRANCE LIBÉRATION LUNDI 2 FÉVRIER 2015 Quartier de l’Esplanade, à Strasbourg (à gauche). La réunion du 30 janvier consacrée à l’éducation se tenait au Centre social et culturel (à droite). Après-Charlie:«Ondoittoutentendre, ycompriscequinenousfaitpasplaisir» Afin de prolonger la mobilisation du 11 janvier, la mairie de Strasbourg organisait vendredi soir une première «conférence citoyenne». Entre groupe de parole et démocratie participative. Par NOÉMIE ROUSSEAU Correspondante à Strasbourg Photos PASCAL BASTIEN torts», comme «tous les acteurs de terrain». Elles sont tiraillées. «On est encore dans l’émotion et l’émotion empêche de penser. Il ne faut pas agir à la hâte. Mais il faut faire quelque chose, il y a urgence.» es devoirs terminés, des collégiens s’attardent dans le hall du centre socioculturel de l’Esplanade, quar- «INSULTES». Une pédiatre comtier de grands ensembles de l’Est mence : «On doit profiter de cette strasbourgeois. A côté d’eux, un faille de civilité pour créer des espaces où les jeunes pourhomme attend, petit cartable à ses pieds. Il REPORTAGE raient venir jeter leurs slogans et insultes. Toute est inspecteur de l’Education nationale et vient pour cette haine et cette rage peuvent rela réunion publique sur le thème de descendre si elles sont exprimées.» l’éducation. C’est la première des Elle propose de délaisser la forme, «conférences citoyennes» lancées pour «entrer dans la signification par le maire (PS) Roland Ries au des termes». Analyser les mots violendemain de la mobilisation du lents pour ensuite, «par analogie, 11 janvier. Cinq autres suivront, sur interroger le rapport à soi et à la culture, l’emploi, la laïcité… l’autre». Certains lèvent un sourcil L’opération s’étale sur un mois, perplexe, beaucoup hochent la histoire de «ne pas s’enliser», ni «se tête. Dans les rangs, on ironise sur répéter», précise Ries. «Il s’agit de l’affaire de l’écolier de 8 ans entirer les leçons de ce qui s’est passé et tendu par la police. Et sur Najat d’utiliser cette matière première pour Vallaud-Belkacem, qui a qualifié nos politiques publiques, de réorienter d’«insupportables» certaines quesnos objectifs, mettre en œuvre des tions d’élèves sur la minute de siidées nouvelles». L’invitation lancée lence. «Je vois difficilement comment aux citoyens tient en deux mots : un jeune peut entendre ce qu’on lui dit «Ouvrons-la!» Vendredi, ceux qui tant qu’on ne l’écoute pas. La morale sont venus l’ouvrir sont ceux qui injonctive, ça ne marche pas !», savent déjà l’ouvrir. Militants asso- martèle Claude, membre des Franciatifs, bénévoles, universitaires : cas, une association d’éducation des gens engagés, plutôt de gauche, populaire. «Et on doit tout entendre, plutôt poivre et sel. Deux dames y compris ce qui ne nous fait pas plaibavardent, disent leur embarras, sir». Applaudissements nourris. «Il expliquent avoir «certainement des faut le faire avec des gamins qui en L ont vraiment besoin, pas avec ceux pour lesquels ça marche et qui nous donne un sentiment de satisfaction». Une jeune femme se lance dans un plaidoyer pour l’éducation populaire: «L’école et la méritocratie sont des mensonges d’Etat pour les jeunes des quartiers sans emploi. Il faut agir pour de vrai, apprendre à débattre, éduquer aux médias et sortir des postures éducatives.» On réclame plus d’éducation civique, de l’histoire des religions et des programmes d’histoire dans lesquels les enfants d ’ i m m i g ré s se reconnaîtraient. Vice-président de l’université, Mathieu Schneider dit «battre sa coulpe». «On débat trop souvent entre nous, en cercle clos. Nous allons mettre nos chercheurs, nos savoirs, au service des associations.» STAGES. Des associations «qui s’en prennent plein la gueule et sont en train de crever, faute de financement!», s’insurge Haydar Kaybaki, éducateur spécialisé et militant de l’Astu (Actions citoyennes interculturelles). Il proposerait bien des stages aux futurs profs «pour qu’ils n’arrivent plus devant leur classe terrifiés, comme s’ils allaient être mangés par le jeune de banlieue». Abel-Abdallah, lui, «fabrique des définitions». Ce commerçant inter- REPÈRES «C’est de ma responsabilité de maire de lancer un tel processus réunissant des experts et des généralistes, qui dialoguent peu.» Roland Ries maire PS de Strasbourg 45 000 personnes ont participé, selon la préfecture, à la manifestation qui s’est déroulée le dimanche 11 janvier à Strasbourg, après les attentats de Paris ayant visé le journal Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. «Il y a eu une certaine improvisation dans les classes au lendemain des attentats.» Eric Debarbieux délégué à la prévention et la lutte contre les violences scolaires, mi-janvier roge sa fille de 6 ans sur le sens des mots : «liberté», «laïcité»… Mais il s’est aperçu que les enfants avec lesquels il fait de l’aide aux devoirs sont moins loquaces. «Pour l’instant, on est trois, ma fille, sa maman et moi. On cherche des volontaires pour fabriquer des définitions avec nous». Une petite dame au caractère bien trempé s’émeut de «l’effondrement de langage». «Quand on écoute les jeunes, on ne comprend même pas ce qu’ils disent!» Elle propose, avec son association Espace dialogue, de «faire aimer la langue partout où on voudra bien nous recevoir». Un autre propose une initiation pratique à la politique : «ils réfléchissent, débattent et prennent des décisions qui changent leur environnement. Aujourd’hui, trop souvent, ils élisent un délégué qui aura le droit d’effacer le tableau et choisir la couleur des poubelles.» Son garçon lui a demandé qui décidait de la date des vacances. «Le ministre», a-t-il répondu. Le fils: «c’est un adulte ou un enfant ?» La salle sourit. Un quinqua enchaîne : de sa scolarité il se souvient surtout qu’interne, il «surveillait un dortoir de plus jeunes». «Quel pouvoir d’agir laissonsnous à nos jeunes ?» La réunion s’achève, on échange les contacts. Le papa des cours du soir a pris le numéro de portable du vice-président de l’université. • N¡ 10484 lundi 2 fŽvrier 2015 Page 27 873 mots REBONDS Etre ˆ la hauteur du dŽfi du 11 janvier F rappŽe au plus profond de ce qu'elle est et de ce qu'elle in- D'autres Ç rŽformes structurelles È, le financement de l'Žconomie rŽelle par ˆ ces risques, il nous semble que le prŽsident de la RŽpublique doit rapi- carne aux yeux du monde, la France a su se redresser et se rassembler au- les banques, la stimulation effective dement prendre une initiative de ras- de la recherche, de l'investissement privŽ, du logement, de la transition Žcologique et numŽrique, seraient infiniment nŽcessaires. Nous les semblement national, en commen- tour de ses valeurs fondamentales. Ce moment national que des circonstances tragiques nous ont amenŽs ˆ vivre a remis en pleine lumi•re les avons proposŽes au dŽbat public ces fractures du pays, ses territoires oubliŽs, ses jeunesses aux marges. Cette jours-ci. A l'inverse, nous assistons ˆ l'empilement de micromesures, en situation nous oblige, non pas simplement ˆ commenter l'Žtat de la sociŽtŽ, mais bien ˆ produire des actes ressentis durablement dans leurs vies Žcho ˆ ceux qui, ˆ Paris ou ˆ par nos concitoyens. Bruxelles, oubliant les le•ons du crash de 2008, pensent que le monde irait mieux s'il y avait moins de r•gles. Nous rŽinventons l'autobus et le centre commercial, comme s'ils synonymes de libertŽ, •ant par sa majoritŽ. Apr•s avoir su pleinement incarner l'unitŽ de la France autour des valeurs rŽpublicaines, il doit se donner les moyens de renouer avec les Žlecteurs qui lui ont fait confiance en 2012, et de rŽunir l'ensemble de la gauche autour d'une politique Žconomique et sociale ˆ la fois ambitieuse et ŽquilibrŽe. Soucieux de dŽmocratie sociale, il sait que les organisations de salariŽs ne reprendront plus vraiment le Les manifestations extraordinaires Žtaient du 11 janvier ne suffisent pas ˆ elles d'innovation ou de progr•sÉ Et nous seules ˆ tourner la page et ˆ produire les rem•des espŽrŽs. Beaucoup l'ont ne parlons pas ici de la rŽorientation beaucoup plus profonde encore de la l'Žcart d'un tel projet. dit depuis, les rŽponses de long terme politique budgŽtaire que devraient En retirant de cette loi ses disposi- aux dŽfis lancŽs ˆ notre RŽpublique - imposer, si l'on veut passer sans re- tions les plus contestables, l'exŽcutif pas seulement dans les quartiers dits Ç dŽfavorisŽs È - rŽsident plus que jamais dans notre capacitŽ ˆ lutter efficacement contre le ch™mage et les inŽgalitŽs. Mais aussi ˆ dessiner au- tard des paroles aux actes, le retour effectif des services publics et la lutte contre les inŽgalitŽs scolaires dans saurait faire de cette annŽe 2015 le les territoires relŽguŽs de notre RŽpublique. nouvelles rŽformes rŽellement ˆ la hauteur des dŽfis une nouvelle fois rŽveillŽs par ce mois de janvier. trement les traits de la France dans laquelle nous invitons ˆ vivre la gŽ- Cette loi contient en outre des dispo- nŽration qui vient. sitions contestables, notamment en mati•re de licenciement Žconomique La loi dont la discussion se dŽroule au Parlement avec Emmanuel Macron nous para”t ŽloignŽe de cette et de travail dominical. Elle entra”ne ambition. Il faut d'importants reculs pour le droit du travail et la protection des salariŽs, chemin du dialogue au cours de ce quinquennat si elles sont laissŽes ˆ point de dŽpart d'une relance rŽussie du quinquennat, pour conduire de Ces questions arrivent dans quelques jours en discussion dans l'hŽmicycle. Il nous semble nŽcessaire de retirer du projet de loi les modifications prŽjudiciables du droit du travail, en beaucoup que les corrections apportŽes par les commen•ant par l'extension du tra- d'optimisme ou d'aveuglement pour parlementaires en commission n'ont se convaincre que des modifications des r•gles d'installation des notaires ou la possibilitŽ de cinq ˆ douze di- pas suffi ˆ Žvacuer. Sous prŽtexte de secret des affaires, elle est porteuse vail dominical. Son efficacitŽ Žconomique est tr•s contestŽe. Les risques pour les familles et les territoires les de danger pour la libertŽ d'informer. plus fragiles sont indŽniables. Com- manches travaillŽs, quand le pouvoir d'achat des Fran•ais ne progresse plus, vont rŽpondre ˆ ces dŽfis ma- Elle contribue, de ce fait, ˆ entretenir ment Žviter la gŽnŽralisation progressive sur l'annŽe, quand jeurs en crŽant des milliers d'emploi. nouvelle expŽrience du pouvoir, et l'heure o• il est plus que jamais nŽ- s'Žloigne des raisons de son acc•s aux responsabilitŽs. Face ˆ ces enjeux et cessaire de rŽaffirmer des valeurs et le sentiment que la gauche agit ˆ contre-emploi, ˆ la faveur de cette l'exception aura ŽtŽ banalisŽe ? A des rep•res, la Ç sociŽtŽ de marchŽ È 1 ne saurait l'emporter sur celle du temps choisi et du vivre ensemble. Il n'y aura ni recul, ni dŽfaite, dans cet exercice de sagesse collective. Nous y voyons l'amorce de ce compromis historique pour le redressement du pays, voulu depuis 2012 et que les Fran•ais attendent. Daniel Goldberg, Philippe Nogu•s, Christian Paul, Barbara Romagnan, GŽrard SŽbaoun et Suzanne Tallard Par Pouria Amirshahi, Laurent Baumel, Philippe Baumel, FanŽlie Carrey-Conte, Jean-Marc Germain, DŽputŽ(e)s socialistes Parution : Quotidienne Tous droits rŽservŽs LibŽration 2015 Diffusion : 96 834 ex. (Diff. payŽe Fr.) - © OJD DSH 2013/ 2014 446AE77C8E30570030340711D10B114001942396A515552C66C1292 Audience : 896 000 lect. - © AudiPresse One 2013/2014 2 N¡ 2255 lundi 2 au dimanche 8 fŽvrier 2015 Page 8 2243 mots ACTUALITE / EVENEMENT APRéS-ATTENTATS La•citŽ, Žducation, ville : les acteurs locaux rŽagissent Trois semaines apr•s lÕattentat contre Ç Charlie Hebdo È, le gouvernement a annoncŽ des mesures qui sollicitent les collectivitŽs. Entre satisfaction et scepticisme, leurs Žquipes sont partagŽes. rŽpublicaines, nom de la la•citŽ È. Or Ç la la•citŽ Ecole La rŽussite Žducative au pre- apprentissage de la citoyennetŽ, rŽduction des inŽgalitŽs : le gouverne- nÕest pas une opinion, ni une option È, affirme Agn•s Le Brun, maire mier plan ment veut tirer les le•ons des atten- (UMP) de Morlaix (15 500 hab., Finis- La ministre de lÕEducation nationale, tats des 7, 8 et 9 janvier dernier et dŽ- t•re), qui souhaiterait une clarifica- Najat Vallaud-Belkacem, a annoncŽ ployer une sŽrie de mesures en direction des jeunes et des quartiers po- tion, regrettant que Ç les maires soient souvent mal ˆ lÕaise face aux une sŽrie de mesures portant sur pulaires. Sur le terrain, le plan gou- demandes confessionnelles des usa- vernemental suscite autant de satisfaction que dÕinterrogations. QuÕil gers, au point dÕy rŽpondre en Žchange dÕune certaine paix so- temps pŽriscolaires. Les programmes sÕagisse de la dŽfinition de la la•citŽ, ciale È. Ç Pour beaucoup, la la•citŽ est de la prioritŽ accordŽe ˆ la rŽussite un instrument agressif, offensif, car •tre gŽnŽralisŽs et contenir un volet Ç la•citŽ et citoyennetŽ È. La ministre Žducative, de la rŽorientation de la politique de la ville ou encore de la les seules explications qui en sont donnŽes sont orientŽes contre la volontŽ dÕamŽliorer la prŽvention de communautŽ musulmane. Il nous la radicalisation, le programme annoncŽ fait rŽagir. faut de vrais dispositifs de lutte contre les discriminations, qui concourent ˆ lÕŽmancipation intel- La•citŽ Une dŽfinition encore floue lectuelle, Žconomique, culturelle È, La•citŽ et valeurs La la•citŽ aura ŽtŽ au cÏur de tous les discours et de toutes les annonces du gouvernement depuis les attentats de janvier, posŽe et Žtablie comme le socle de la RŽpublique et du vivreensemble. Mais personne ne sÕaventure ˆ lui donner une dŽfinition. MalgrŽ son omniprŽsence dans les textes, de la circulaire ˆ la Constitution, la la•citŽ est dŽfinie tant™t comme le respect de la libertŽ religieuse, tant™t comme une interdic- estime Khalid Ida-Ali, prŽsident de lÕantenne champenoise de lÕInterrŽseaux des professionnels du lÕŽducation ˆ la citoyennetŽ et ˆ la la•citŽ ˆ lÕŽcole, ainsi que sur les Žducatifs territoriaux devraient ainsi a aussi indiquŽ que les dispositifs de rŽussite Žducative seraient gŽnŽralisŽs ou amplifiŽs, ce qui a parfois surpris les professionnels du secteur. Ç Ces annonces sont importantes mais semblent partir tous azimuts, souligne Khalid Ida-Ali. Je suis surpris par le lien direct qui para”t •tre Žtabli entre la rŽussite Žducative et des thŽmatiques aussi complexes. La dŽveloppement social urbain (IRDSU) et chef de projet Ç dŽveloppe- rŽussite Žducative peut certes jouer ment social È ˆ Vitry-le-Fran•ois (13 la vie en sociŽtŽ, mais au m•me titre que toutes les politiques en lien avec du public. È Ç Nous pratiquons une 100 hab., Marne). LÕinstabilitŽ juridique sur la notion de la•citŽ a conduit lÕAssociation des maires de France ˆ accŽlŽrer un r™le positif sur lÕapprentissage de certaine Žcoute qui peut apaiser des tensions, nous accompagnons les fa- lÕinstallation de son groupe de travail dŽdiŽ ˆ ce sujet et composŽ de 18 milles membres. Ses rŽflexions seront ali- aussi beaucoup moins que ne doit le faire un travailleur social È, explique sans leur imposer dÕinjonction. Mais nous en suivons tion dÕexprimer publiquement sa foi. mentŽes Normal donc que les Žlus locaux dÕexpŽriences des maires sur le terrain, tant sur les difficultŽs rencontrŽes que sur les initiatives locales Audrey mises en Ïuvre dans les services publics quels quÕils soient. Un rapport Ces professionnels de la politique de est prŽvu pour le mois dÕavril pro- quÕune telle gŽnŽralisation permette de prŽvenir les radicalisations. Si aient eux aussi leur propre interprŽtation quand il sÕagit de lÕappliquer au quotidien. En mati•re de restauration scolaire par exemple, certains maires vont opter pour un repas unique Ç au nom de la la•citŽ È, alors par chain. A suivre donc. les retours Brichet, prŽsidente de lÕAssociation nationale des acteurs de la rŽussite Žducative (AnarŽ). la ville ont donc du mal ˆ croire que dÕautres instaureront des repas lÕAnarŽ milite pour que la rŽussite sans viande de porc, toujours Ç au Žducative rejoigne les politiques de 1 droit commun, le rŽseau soul•ve aussi la question des moyens : comment gŽnŽraliser les programmes de rŽussite Žducative dans un contexte de baisse des dotations ? Plus globalement, des interrogations se font jour : Ç On ne peut pas sŽparer la la•citŽ des questions dÕŽgalitŽ. Pour respecter la la•citŽ, il faut dŽjˆ respecter lÕŽgalitŽ. Or nous ne disposons dÕaucune politique nationale de lutte contre les discriminations È, regrette Sophie Ebermeyer, chargŽe de mission Ç ŽgalitŽ et lutte contre les dis- nÕexistent plus dans certains dŽpartements, ou sont en sommeil. È Ce directeur gŽnŽral chargŽ de la cohŽsion sociale ˆ Rennes mŽtropole (38 communes, 406 700 hab.) enjoint ses coll•gues, apr•s le prochain co- sŽgrŽgations des prioritŽs, les acteurs locaux sont Žgalement sollicitŽs pour dŽtecter les jeunes en voie de radicalisation en relayant les fameux Ç signaux faibles È. Ç Nous faisons face aujourdÕhui ˆ un phŽnom•ne nou- mitŽ (lire veau. Il nous faut nous appuyer sur lÕencadrŽ p. 8), de Ç sÕassurer de la ˆ jouer : un certain nombre de questions, comme lÕemploi, appellent des notre expŽrience et b‰tir des discours, des argumentaires, des modes de faire, sur ce sujet prŽcis de la radicalisation È, affirme Roger Vicot, prŽsident du Forum fran•ais pour la sŽcuritŽ urbaine. Selon lui, les Žlus doivent sÕinspirer Ç des rŽseaux prŽ- criminations È ˆ Grenoble-Alpes mŽ- rŽponses dont existants qui ont ŽtŽ structurŽs ces tropole (28 communes, 402 900 hab.) et membre de lÕIRDSU. souffrent le plus les maires de banlieue, cÕest de lÕabsence des moyens derni•res annŽes dans les conseils locaux de sŽcuritŽ et de prŽvention de interministŽriel mise en Ïuvre concr•te des objectifs qui seront fixŽs, ce qui nÕa pas toujours ŽtŽ le cas, notamment apr•s les Žmeutes de 2005 È. Ç LÕEtat a un r™le nationales. Ce de droit commun de lÕEtat È, atteste la dŽlinquance (CLSPD), dans les Lutte contre les inŽgalitŽs Une ba- le secrŽtaire gŽnŽral de lÕassociation communes, au travers des contrats taille qui promet dÕ•tre longue Ville et banlieue, Gilles Leproust (lire p. 10). locaux de sŽcuritŽ È.Ç Les professionnels en premi•re ligne sont surtout Soucieux de revoir Ç les politiques de Dubitatif sur lÕajout dÕun quatri•me ceux de la protection de lÕenfance, de peuplement È pour favoriser la mixitŽ volet Ç citoyennetŽ et la•citŽ È aux contrats de ville - une rŽponse ter sur le soutien des acteurs locaux. Sans souscrire ˆ lÕemploi controversŽ Ç technocratique È quÕil ne juge pas lÕŽducation ou de lÕinsertion professionnelle È, fait remarquer une coordonnatrice de CLSPD, qui se de- Ç ˆ la hauteur des enjeux È -, Etienne mande Ç quels outils et quels inter- du terme Ç apartheid È, le vice-prŽ- Varaut estime que Ç notre premier devoir est de redonner du sens ˆ la locuteurs vont •tre mobilisŽs pour sÕattaquer ˆ des phŽnom•nes aussi politique de la ville È. Comment ? En difficiles ˆ apprŽhender È. Premier faisant participer les citoyens aux dŽbats : Ç A lÕheure o• nous rŽpŽtons rempart face ˆ la marginalisation, les Žducateurs de rue, ˆ travers le ComitŽ avant tout lÕexistence de ghettos de riches, tels que le 16e arrondisse- notre libertŽ national de liaison des acteurs de la dÕexpression, nÕayons pas peur des prŽvention spŽcialisŽe, se disent ment de Paris. Notre plus grand dŽsaccords et clarifions notre dŽfinition de la la•citŽ, interrogeons-nous pr•ts ˆ sÕengager dans Ç une politique publique de prŽvention Žduca- sur lÕŽgalitŽ rŽpublicaine dans les tive et sociale de la radicalisation È. quartiers. DŽvelopper le pouvoir dÕagir des habitants permettra de DÕores et dŽjˆ, le gouvernement a annoncŽ que le fonds interministŽriel contrecarrer les groupes salafistes de prŽvention de la dŽlinquance bŽ- antirŽpublicains. È nŽficierait dÕune rallonge de 60 mil- PrŽvention de la radicalisation Le lions dÕeuros sur trois ans pour financer des actions de prŽvention de la travail social mobilisŽ radicalisation. Sans donner plus de sociale, le gouvernement peut comp- sident de lÕIRDSU, Etienne Varaut, Ç constate au quotidien une Žnorme sŽgrŽgation spatiale et sociale : le communautarisme, cÕest dÕabord et chantier reste de nous battre contre la sŽgrŽgation des consciences È. Craignant une montŽe des amalgames susceptible de provoquer Ç une coupure totale entre deux mondes È, Patrice Allais, prŽsident attachement ˆ la du rŽseau Amadeus, rŽunissant les directeurs de la politique de la ville, regrette le faible Žcho rencontrŽ au sein de lÕEtat par la lutte contre les dŽtails. discriminations : Ç Les commissions Si les chantiers ouverts par le gou- pour la promotion de lÕŽgalitŽ des chances et de la citoyennetŽ vernement font de lÕŽducation, de la citoyennetŽ et de la lutte contre les par La RŽdaction 2 ENCADRƒS DE L'ARTICLE Les moyens dŽployŽs par lÕEtat Le gouvernement a annoncŽ la crŽation de 2 680 postes, dont 1 400 en faveur du minist•re de lÕIntŽrieur (1 100 pour le seul renseignement), 950 pour la Justice et pr•s de 250 pour la DŽfense. Soixante aum™niers musulmans supplŽmentaires prendront leur poste dans les prisons. SÕy ajoutent aussi 425 millions dÕeuros de crŽdits sur trois ans pour du matŽriel (informatique, armes, gilets pare-balles, vŽhicules). La carte scolaire en question En concertation avec les dŽpartements, un Žtat des lieux de la mixitŽ sociale au sein des coll•ges publics et privŽs sous contrat sera Žtabli en 2015-2016. Le but est de dŽfinir des objectifs en la mati•re au niveau infradŽpartemental. Une circulaire du 7 janvier 2015 dŽtaille les modalitŽs de la concertation entre lÕEtat et les dŽpartements. Des dŽcisions attendues en mars Le Premier ministre, Manuel Valls, a annoncŽ la tenue, dŽbut mars, dÕun comitŽ interministŽriel consacrŽ ˆ la lutte contre les inŽgalitŽs et au combat pour lÕŽgalitŽ dans les quartiers. Ç CÕest ensuite que nous prendrons les dŽcisions qui sÕimposent en mati•re budgŽtaire, mais aussi de politiques de peuplement ou dÕemploi È, a-t-il expliquŽ, chargeant le ministre de la Ville, Patrick Kanner, et la secrŽtaire dÕEtat ˆ la politique de la ville, Myriam El Khomri, dÕorganiser dÕici lˆ une Ç phase de dŽbats È, afin de rŽflŽchir ˆ la traduction concr•te de la volontŽ gouvernementale. A la suite des attentats de Paris, ce tandem ministŽriel avait dŽjˆ rŽuni ˆ plusieurs reprises les associations dÕŽlus, les rŽseaux de professionnels, ainsi que des associations de lutte contre le racisme, de mŽdiation sociale ou encore dÕŽducation populaire. Entretien - Gilles Leproust, secrŽtaire gŽnŽral de Ville et banlieue, maire (PCF) dÕAllonnes (11 100 hab., Sarthe) Ç AccŽlŽrons de toute urgence les rŽponses sociales et le soutien ˆ lÕEducation nationale ! È Comment jugez-vous les premi•res rŽponses apportŽes par le gouvernement ? Ce sont des engagements plus que des propositions prŽcises. Les probl•mes de peuplement et de mixitŽ sociale ne se r•glent pas en deux mois. Si le gouvernement est dŽcidŽ ˆ mener cette bataille, tant mieux. En attendant, mon discours sur les valeurs rŽpublicaines restera inaudible tant que je ne garantirai pas aux habitants le droit de vivre dŽcemment. AccŽlŽrons de toute urgence les rŽponses sociales, le soutien ˆ lÕEducation nationale et lÕaccompagnement des associations ! Le volet Ç social È de la politique de la ville nÕest-il pas dŽjˆ en cours de rŽŽquilibrage ? En effet, en instaurant un contrat unique, la loi Ç Lamy È de programmation pour la ville a actŽ que la rŽno- 3 vation urbaine nÕavait pas rŽpondu ˆ la crise sociale. CÕest bien. Mais, du fait de la cure dÕaustŽritŽ imposŽe aux collectivitŽs, certains maires de banlieue pourraient prŽsenter des budgets en dŽsŽquilibre. Avec de nombreux services publics et une tarification rŽduite permettant lÕacc•s au plus grand nombre, ils ont des dŽpenses plus ŽlevŽes que les autres villes et moins de recettes. MalgrŽ cela, lÕaugmentation et la sanctuarisation de la dotation de solidaritŽ urbaine nÕattŽnuent m•me pas la baisse de la dotation globale de fonctionnement. Le plan pour lÕŽcole prŽsentŽ par Najat Vallaud-Belkacem vous convient-il ? CÕest tr•s bien que lÕEtat souhaite favoriser la mixitŽ ˆ lÕŽcole en sÕattaquant au contournement de la carte scolaire. Mais il pourrait aussi montrer lÕexemple en envoyant des enseignants aguerris dans les banlieues. Les quelques millions supplŽmentaires accordŽs ˆ lÕEducation nationale pour dŽvelopper la citoyennetŽ sont intŽressants, mais il aurait fallu dŽvelopper en prioritŽ des modules de formation pour les enseignants Žvoluant dans nos territoires. QuÕattendez-vous de la concertation qui va prŽparer le comitŽ interministŽriel ? Nous avons lÕhabitude de travailler en bonne intelligence avec Patrick Kanner et Myriam El Khomri, et nous continuerons ainsi. Mais le gouvernement ne pourra pas toujours se payer de mots. Une partie des probl•mes des banlieues sÕexplique par lÕabsence des moyens de droit commun de lÕEtat. Il est anormal que les administrations publiques se soient progressivement dŽsengagŽes. Parution : Hebdomadaire Diffusion : 26 294 ex. (Diff. payŽe Fr.) - © OJD DSH 2013/ 2014 C66BD7448EA05503E0FB03E1C809E1615D296C2305A32B65B325B19 4 En couverture Par Claire Chartier, avec Libie Cousteau, Delphine Saubaber et Anne Vidalie En France, nombre de personnes de 18 à 50 ans se disant... (estimations, la loi française interdisant de recenser les populations par religion) ... catholiques 11,5 millions ... musulmanes ... protestantes 4 millions ANAGRAPH 44 / 500 000 Sources : enquête « trajectoire traj ajec jecttoiire et origine », réalisée é en 2008, 22008 réévaluée éé l é en 2013. 2013 Insee/INED. I ... bouddhistes ... juives 150 000 125 000 PARADOXE La pratique musulmane est enracinée en France depuis plus de quarante ans, mais l’islam suscite toujours une profonde méfiance. S. BOZON/AFP Les attentats ont jeté une lumière crue sur un débat qui, au-delà des discours et des passions, appelle d’abord raison et pragmatisme : comment ancrer la place de la religion musulmane dans la société française ? Réflexions sur une laïcité rénovée, rôle de l’école, formation des imams, prévention du fanatisme... Le chantier est ardu. Etat des lieux. 46 / En couverture /Islam ’était un beau dimanche. 4 millions de Français descendus dans les rues pour dire leur attachement à la liberté d’expression. Mais, au lendemain de ce mémorable 11 janvier, d’autres Français ont parlé. Ils ont confié qu’ils n’étaient pas Charlie, même s’ils condamnaient les attentats. Ils ont expliqué pourquoi les caricatures du journal satirique les blessaient dans leur foi. Ces voix discordantes, comme les éclats verbaux d’élèves musulmans légitimant les attentats, ont braqué les projecteurs sur la place de l’islam dans la société française. Et la France s’est remise à jouer à son jeu préféré : disserter sur la laïcité. Mais les déclarations emphatiques sur notre monument national, rempart certain contre l’intégrisme, risquent bien, une nouvelle fois, d’évincer l’un des éléments centraux du débat. Car, qu’on le veuille ou non, l’islam questionne, depuis longtemps déjà, notre façon de penser les rapports de l’Etat avec les religions. Il s’agit aussi, aujourd’hui, d’affronter cette réalitélà, avec moins de passion que de pragmatisme. La tâche, il est vrai, est ardue. La France, comme la plupart des pays étrangers, est confrontée à ce paradoxe : bien que la pratique musulmane y soit enracinée depuis la sédentarisation des immigrés maghrébins, à partir des années 1970, l’islam en tant que religion suscite toujours une profonde méfiance. En trente ans, les lieux de culte sont passés de 900 à 2 300 dans l’Hexagone. Les musulmans représentent désormais 4 à 5 millions de personnes, soit 8 % de la population. Dans une enquête menée par l’institut américain Pew Research Center en 2014, 74 % des Français déclaraient avoir une bonne opinion des fidèles de la religion du Prophète. Pourtant, 51 % d’entre eux estiment aujourd’hui que l’islam est incompatible avec les valeurs de la société française, selon un sondage effectué par Ipsos peu après les attentats à Paris. « Une partie de l’opinion publique ne voit pas l’enracinement de l’islam en France et perçoit N° 3318 / 4 février 2015 L. ABIB/SIGNATURES C cette religion comme une religion d’importation », relève le chercheur du CNRS Franck Fregosi (1). On peut le comprendre : les mosquées bénéficient de financements étrangers à hauteur de 20 % en moyenne, et 80 % des 1 800 imams officiant sur le territoire ne sont pas français. Les autres proviennent de pays liés aux diasporas musulmanes implantées sur notre sol – essentiellement l’Algérie et le Maroc – qui les rémunèrent. Comment ne pas douter, par ailleurs, d’une religion au nom de laquelle les djihadistes prétendent agir et dont le texte sacré, parfois violent ou en rupture totale avec les valeurs démocratiques, exige une interprétation que les théologiens musulmans tardent à fournir ? Les pratiquants revendiquent un droit à la visibilité A cet aspect du débat s’ajoute, en France, un élément particulier : le poids de l’Histoire, et pas seulement coloniale. Notre pays entretient avec les religions et le religieux au sens large un rapport historiquement compliqué, d’où découlent en partie les réactions passionnées autour de la laïcité. « Il existe un impensé de la culture française, selon lequel la croyance est l’inverse de la raison ; un sentiment relevant de la su- perstition, voire du fanatisme, explique l’historien Philippe Portier, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études. On ne trouve dans aucun autre pays européen cette distinction, qui nous vient de la Révolution, et qui a été réaffirmé par la IIIe République.S’il est très rare que cet impensé s’exprime encore aujourd’hui à propos du judaïsme ou du catholicisme, il est très présent dans les discours sur l’islam. » Rien d’étonnant, là encore. L’islam, religion d’implantation récente dans l’Hexagone à la différence du catholicisme, avec lequel l’Etat ferrailla dur jusqu’à la loi de 1905, doit encore prouver qu’il peut s’intégrer dans une société française profondément sécularisée. Exigence d’autant plus forte qu’il est travaillé par une minorité fondamentaliste – les salafistes sont à la tête d’une centaine de mosquées. Et que les fidèles musulmans revendiquent, depuis le début des années 1990, un droit à la visibilité – voile, nourriture halal – en contradiction avec l’universalisme républicain. Cette démarche identitaire heurte aussi notre conception strictement cultuelle des religions, qui ne tient pas compte de leur dimension subjective et culturelle, renvoyant à une vision du monde et à une manière d’être dans la société. L’EXPRESS / 47 L. ABIB/SIGNATURES CULTE A g., la grande mosquée de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), de tradition soufie. A dr., prière du vendredi devant la mairie d’Epinaysur-Seine (Seine-Saint-Denis), en 2010, après la fermeture de la mosquée de la ville à la suite de divers incidents. ANAGRAPH On voit le piège : si l’on en conclut que projet reste dans les cartons. Huit ans l’université publique s’ouvre à des l’islam est, « en soi », incompatible avec plus tard, dans la foulée de la loi sur le cursus d’éducation civique axés sur le la République, un islam français est voile à l’école, un diplôme universitaire juridique et une approche universitaire inconcevable et il devient, dès lors, inutile « Société et civilisation de la France du fait religieux. Des cursus sont aude chercher à l’accompagner dans son contemporaine » est annoncé à Paris-IV jourd’hui proposés à Strasbourg, Lyon, processus d’adaptation, comme le fit Sorbonne. Las, le conseil des études et Aix, Montpellier et Bordeaux. Certains, Napoléon pour les juifs avec le Concor- de la vie universitaire coule l’initiative, tel Bernard Godard, consultant auprès dat. C’est la thèse de Marine Le Pen, au nom du respect de la laïcité. L’Institut du bureau central des cultes du minislaquelle a transformé la laïcité en arme catholique de Paris reprend le flam- tère de l’Intérieur, souhaiteraient désorde guerre électorale. Ce n’est pas celle beau. Il faut attendre 2010 pour que mais pousser plus loin la réflexion et des pouvoirs publics, qui, définir les contours acadédepuis le très républicain Degré de pratique des personnes de culture miques d’un enseignement Jean-Pierre Chevènement, musulmane et catholique de la théologie musulmane ont tenté d’institutionnaliser à l’université publique, afin Personnes l’islam en France. En 2003, 50 % d’aider les représentants de culture Nicolas Sarkozy, alors mimusulmans à établir une musulmane nistre de l’Intérieur, inaugunorme islamique « répurait ainsi le Conseil français 40 % blicano-compatible » pour Personnes de culture du culte musulman (CFCM), les fidèles français. « L’encatholique d’emblée critiqué par les jeu dépasse les imams, tenants d’une laïcité stricte 30 % explique ce fin connaisseur n’appréciant guère pareil inde l’islam en France. Il terventionnisme (voir p. 56). faut former des cadres La formation « citoyenne » 20 % religieux : les recteurs, les des imams, aujourd’hui dirigeants d’associations, d’une actualité brûlante, a les enseignants dans les fait, elle, l’objet d’un traite- 10 % écoles coraniques, où il ment nettement plus amn’existe aucune maquette bigu. Dès 1997, Jean-Pierre pédagogique modèle ! » Chevènement, encore lui, 0 C’est peu dire que cette Croyants Croyants Sans religion lance l’idée d’un institut pour approche fait bouger les et pratiquants mais non pratiquants « former des cadres musullignes en matière de laïcité. mans modernistes ». Le Sondage Ifop-La Croix, 2011. Cumul de 70 vagues d’enquêtes auprès de 950 personnes. Reste à savoir où sont ••• N° 3318 / 4 février 2015 48 / En couverture /Islam 1989 L’exclusion de trois collégiennes musulmans demandent à pouvoir prier sur leur lieu de travail. ••• ces lignes. « La laïcité ! Oui, la laïcité ! […] Arborons fièrement ce principe », lançait Manuel Valls à l’Assemblée nationale au lendemain des attentats. Mais, à droite comme à gauche, le terme donne lieu à des empoignades sans fin sur sa définition (voir p. 52). Nul ne semble vouloir admettre qu’il existe deux types de laïcité : « La laïcité narrative, celle invoquée par la plupart des leaders politiques, en vertu de laquelle le religieux n’a sa place que dans la sphère privée ; et la laïcité pratique, qui passe des compromis constants avec le monde religieux », analyse l’historien Philippe Portier. Le double discours sur la laïcité alimente le flou S’agissant de l’islam, la pénurie des lieux de culte musulmans – il en faudrait environ un millier de plus, d’après le CFCM – invite les élus à pencher pour le pragmatisme. De nombreuses municipalités aident à l’édification des mosquées en concédant un bail emphytéotique ou en finançant la partie du bâtiment consacrée aux activités culturelles. Certaines versent même discrètement leur écot pour les frais de fonctionnement (eau, électricité), comme a pu le vérifier Philippe Portier, qui mène actuellement une enquête sur ce sujet avec son équipe auprès de 10 métropoles françaises. « La laïcité était souvent un prétexte, par le passé, pour ne pas satisfaire certaines demandes, ajoute le politologue Franck Fregosi.Aujourd’hui, certains élus sont passés d’une totale ignorance à une implication totale. » N° 3318 / 4 février 2015 P. VERDY/AFP 2003 Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, installe le Conseil français du culte musulman. Visiblement, tout est question de lexique et de contexte. A Argenteuil, l’Observatoire de la laïcité du Val-d’Oise a obtenu l’abrogation d’une délibération municipale adoptée sous l’ère de l’ancien maire (PS) Philippe Doucet, qui instaurait un conseil des cultes. Motif : aucun représentant laïque n’y figurait. Dans la ville de Jean-Claude Gaudin, pourtant, « Marseille espérance », un groupe informel rattaché directement au maire depuis le début des années 1990, ne comprend aucun libre-penseur aux côtés des représentants des grandes religions locales, sans que nul y trouve à redire. A Nantes, Rennes ou Nice, un adjoint au maire est officiellement chargé des cultes. « Depuis une vingtaine d’années, on observe un peu partout en France une institutionnalisation des relations entre le politique et le religieux », confirme Philippe Portier. Malheureusement, le double discours sur la laïcité alimente le flou. Pour preuve, l’interminable feuilleton des mères voilées accompagnant les enfants lors des sorties scolaires. Contredisant la circulaire Chatel de 2012, qui empêchait les parents de manifester leurs convictions religieuses lors de ces déplacements, Najat Vallaud-Belkacem a récemment déclaré que la mise à l’écart des mères portant le foulard devait être l’« exception », laissant aux chefs d’établissement la liberté de trancher. Exactement ce que les professionnels en question ne Nombre de lieux de culte musulmans en France depuis 2000 2 500 2 000 1 500 1 000 500 ANAGRAPH Années 1960 Certains ouvriers G. LEIMDORFER/AFP J. NIEPCE/ROGER-VIOLLET voilées d’un établissement de Creil (Oise) déclenche les premières manifestations en France pour le port du foulard à l’école. 2000 2002 Source : ministère de l’Intérieur 2004 2006 2008 2010 2012 L’EXPRESS / 49 2014 La justice confirme le licenciement prohibe le port des tenues et des signes manifestant une appartenance religieuse dans les établissements scolaires. d’une salariée voilée de la crèche Baby-Loup, dirigée par Natalia Baleato. P. DESMAZES/AFP 2004 La loi dite « sur le voile » voulaient plus avoir à faire, après s’être colletés, seuls, pendant des années, à la montée du port du voile à l’école… Le débat est-il lancé ? Alors que Gérald Darmanin, le maire (UMP) de Tourcoing, « propose la création d’une commission d’enquête parlementaire pour repenser la place des religions dans la République », les pouvoirs publics entendent désormais mieux former les professeurs à l’enseignement du fait religieux (voir p. 54). Et entament une collaboration avec les représentants musulmans dans la lutte contre la radicalisation (voir p. 50). La difficulté n’est pas mince. « Depuis 1905, on demandait aux religieux de rester dans leurs paroisses, leurs temples, leurs synagogues, pointe Mohammed Moussaoui, président de l’Union des mosquées de France.Aujourd’hui, on presse les imams de sortir dans l’espace public prêcher la bonne parole contre les radicaux. Disons clairement que cela va au-delà du simple service du culte. » Et l’ancien président du CFCM de réclamer des subventions pour recruter davantage d’imams.A supposer qu’ils acceptent, les pouvoirs publics seraient bien en peine de savoir à qui s’adresser. Les fédérations musulmanes n’ont jamais su ou voulu faire monter les jeunes du terrain. Leurs dirigeants, décrédibilisés, ont maintes fois montré leur incapacité à s’entendre. Pour arpenter la ligne de crête qui est la sienne, entre nouvelles libertés religieuses et valeurs républicaines non négociables, l’Etat doit aussi pouvoir compter sur des interlocuteurs à la hauteur du défi. • C. C. (1) Penser l’islam dans la laïcité. Fayard, 2008. B. LANGLOIS/AFP B. GUAY/AFP J. GUEZ/AFP 2010 Le port du niqab, ou voile intégral, est interdit sur la voie publique. « Des occasions manquées » Avant même la décolonisation, l’islam aurait pu avoir rendez-vous avec la République, explique l’historien Benjamin Stora (1). « La déchirure de la guerre d’Algérie a joué un rôle majeur dans la mise en place de souvenirs douloureux, rancunes, méfiances que les Français entretiennent avec l’islam. Pour autant la sécularisation de cette religion aurait pu se produire à l’occasion de moments clefs de l’histoire de la colonisation française en Algérie. Des occasions manquées. Ainsi le Sénatus-consulte du 14 juillet 1865, destiné à donner un statut aux Algériens de souche, précise dans l’un de ses cinq articles que : “L’indigène musulman est français ; néanmoins il continuera à être régi par la loi musulmane.” La France renvoie donc alors les Algériens au pouvoir religieux dans la gestion des affaires publiques (mariage, héritage, etc.). En 1905, alors que la séparation de l’Eglise et de l’Etat est imposée par la loi, les départements algériens échappent à cette réforme. Des voix se sont pourtant manifestées, côté musulman, pour en bénéficier. L’Association religieuse des oulémas réformistes du cheikh Ben Badis formula, quelques années plus tard, un ensem- ble de propositions destinées à appliquer à l’islam algérien le statut de droit commun des religions. Sans succès. Ferhat Abbas, fondateur de l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA), rallié au Front de libération nationale (FLN) durant la guerre d’Algérie et qui sera élu président de l’Assemblée nationale constituante après l’indépendance, avait, en 1931, publié un livre intitulé Le Jeune Algérien. Dans ce manifeste, Ferhat Abbas prônait l’assimilation des “indigènes” dans la société française et l’égalité de droit entre Français et musulmans. Il avait tenté de définir ainsi un statut de Français musulman dans le cadre de la République. Mais le pouvoir de l’époque s’opposa à cette possibilité d’évolution, laissant passer l’occasion, en refusant de faire des Algériens des citoyens à part entière. Reléguée dans la sphère privée, la religion déborde alors dans la sphère publique et devient une arme politique. » • (1) Il a dirigé, avec Abdelwahab Meddeb, une Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours. Albin Michel, 2014. N° 3318 / 4 février 2015 N¡ 10486 mercredi 4 fŽvrier 2015 Page 24 465 mots REBONDS Moi, musulman, je m'engage sur la la•citŽ N ous sommes encore sous le choc des immondes assassinats sinc•re au principe de la•citŽ sur lequel repose la RŽpublique fran•aise. 3) Respecter aussi bien les juifs et les chrŽtiens, ainsi que les non-croyants. commis par les terroristes islamistes C'est pourquoi j'estime que les mu- Et donc dŽclarer nulles et non ave- qui ont ciblŽ la rŽdaction de Charlie sulmans devraient s'engager sur 3 nues toutes les discriminations et in- Hebdo et les clients juifs de l'Hyper points essentiels : jures contenues dans le Coran ˆ l'Žgard des juifs, des chrŽtiens et des non-croyants. fanatiques. 1) Respecter et dŽfendre le droit de tout musulman ˆ changer de religion, son droit ˆ ne plus professer l'islam ; garantir sa libre sortie de l'islam, sans qu'il ne soit menacŽ ou discriminŽ. Ce qui garantit la libertŽ de conscience. Il reste que la fameuse question de l'Ç apr•s È 11 janvier doit aussi •tre 2) Renoncer ˆ l'interdit fait ˆ la musulmane d'Žpouser un juif, un chrŽ- pourrait aussi les amener ˆ choisir d'•tre enterrŽs ici, ˆ c™tŽ de leurs posŽe ˆ ceux que l'on appelle les tien ou un non-musulman. A travers concitoyens, quelles que soient la Ç musulmans modŽrŽs È. Pour ma part je leur sugg•re, en m'adressant cet engagement, adhŽrer au creuset confession ou les convictions de ces qui a constituŽ la Nation fran•aise et au principe d'ŽgalitŽ entre tous les derniers. ici tout particuli•rement aux reprŽsentants officiels en France du culte hommes, jusque dans le cÏur et dans Auteur deÇ BlasphŽmateur ! Les pri- musulman, quelques pistes d'une rŽflexion qui pourrait •tre menŽe en le lit de la musulmane. Reconna”tre sons d'Allah È, Žditions Grasset, pu- ainsi la devise de fraternitŽ entre tous les humains, indŽpendamment de leurs croyances ou de leurs bliŽ le 14 janvier Cacher. De nombreuses et indispensables mesures prŽventives ont ŽtŽ ou seront prochainement prises par le gouvernement, que ce soit sur le terrain policier ou dans le cadre de l'Žducation nationale, afin d'Žviter que surgissent de nouveaux tueurs association avec les parlementaires et les minist•res concernŽs. Mon souci est de contribuer ˆ l'av•nement d'un Ç islam des Lumi•res È, ce qui convictions. Proclamer que, dorŽnavant, la femme musulmane est tout ˆ passe par la nŽcessitŽ, de la part des fait libre d'Žpouser qui elle aime. A travers ces trois principaux engagements, les musulmans de France tŽmoigneraient donc de leur renoncement aux errements du passŽ, afin de vivre en paix avec leur conscience tout autant qu'avec leur pays. Cela Par Waleed Al-Husseini blogueur palestinien, fondateur du Conseil des ex-musulmans de France. fid•les, d'une adhŽsion profonde et Parution : Quotidienne Tous droits rŽservŽs LibŽration 2015 Diffusion : 96 834 ex. (Diff. payŽe Fr.) - © OJD DSH 2013/ 2014 316B673F8FE03003C01401A1BB09316E5B69C92905F220DB47D979B Audience : 896 000 lect. - © AudiPresse One 2013/2014 1