Soleil cherche futur
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Soleil cherche futur
SOLEIL CHERCHE FUTUR La chanson en scène H U B E R T L E R AY Sous la direction de Véronique Guérin DESS Responsabilité de projets culturels Université de Rouen 2002 Téléphone : 05 55 06 96 70 Courriel : hubert . l e r a y @ l i b e rt y s u rf . f r Soleil cherche futur Banlieue Ta grisaille ne m’inspire Que l’envie de partir (Karim Kacel, Banlieue, circa 1984.) Aux portes de la capitale, le béton ne sait pas chanter Qu’est-ce qu’ils ont fait les architectes de nos cités ? Entendent-ils la détresse de tous les jours ? Y’a pas de lampions qui brillent sur les nuits de nos tours (Thomas Pitiot, Aux portes de la capitale , 2001.) La mochitude. À mes yeux, la banlieue c’était seulement cela. Des tours et des barres, des cités grises et du béton froid, du macadam sans chlorophylle. Alphaville. Le cauchemar. La mochitude poussée à l’extrême. Et puis j’ai passé plusieurs mois à Ivry sur Seine. J’ai rencontré ceux qui y habitent. Ivry, c’est dans le 94. Thomas Pitiot, lui, chante son 93 natal. C’est pas bien loin… d’être semblable. «Y’a des défilés de princesses tous les jours sur ma ligne de bus. » J’ai trouvé dans les chansons du 93, comme dans les cœurs du 94, toutes les couleurs qu’on a oublié de mettre sur les murs. Vous qui êtes un peu frileux, qui trouvez les gens curieux Regardez-les tout au fond des yeux. Si tu veux découvrir une palette de couleurs Suis-nous, suis-nous, suis-nous dans le tramway du bonheur : Direction Saint-Denis ou Bobigny Découvrir toutes les saveurs, faire le tour de tous les pays Dans le tramway du bonheur. (Thomas Pitiot, Le tramway du bonheur, 2001.) À tous ces gens rencontrés à Ivry-sur-Seine. Avec amitié. 1 Soleil cherche futur SO M M A I R E — Chacun a droit à son imaginaire personnel (Hors texte I) 03 — Introduction 14 I / Les cafés 15 a) Dans les bistrots 15 b) Le limonadier exploiteur d’artistes 17 c) L’amateur de musique dans l’illégalité pour raisons économiques 19 d) 1 — L’amateur de musique partiellement dans la légalité 24 d) 2 — Les « fous de chansons », le Pavillon d’Ivry 27 d) 3 — Les associations de bénévoles 30 e) Ailleurs le « café débranché » 32 f) Le 98-1143, un calibre qui tue ou les incidences du décret bruit 38 g) Des établissements éphémères 40 h) Le pousse-café, point de vue du spectateur 41 i) La rincette, point de vue artistique 42 i) Le der des ders, point de vue du programmateur ou producteur 44 46 — Chez Robert, Électron libre, le squat Rivoli (Hors-texte II) II / Les théâtres 49 a) Introduction 49 b) Le Sentier des Halles 50 c) Le Théâtre de dix heures 53 d) Le Tourtour 55 e) Chambre à louer ! Les théâtres en location 57 f) Pourquoi louer une salle ? 61 g) La nécessité des petites scènes (apprentissage, expérimentation et artisanat) 63 h) Une production type 66 i) Trois budgets de production 69 74 — Art ou business? (Hors texte III) III / Le projet culturel 80 a) Producteur et autoproduction 80 b) Pour une politique culturelle de la chanson 87 c) Le Théâtre aux Trois baudets 93 1 — Un théâtre subventionné 93 2 — La «grande » salle 95 3 — Le cabaret 96 4 — Les différents publics 96 5 — La programmation 97 6 — Les buts 100 d) Un financement public pour les Trois Baudets 102 d) La coopérative de production 105 e) De la notion de patrimoine de la chanson 108 — Personnes rencontrées 110 — Bibliographie 112 Titre emprunté à Hubert-Félix Thiéfaine. 2 Soleil cherche futur « C HACUN A D RO I T À S O N I M AG I N A I R E PE R S O N N E L » « Aussi longtemps qu’il y aura deux cultures dont l’une se prétendra la seule vraie, essayant de faire passer l’autre pour une inculture, aussi longtemps il n’y aura pas de cité. » I — L’action culturelle dans la cité, page 220, Éditions du Seuil, 1973. 2 — Voir La distinction, cri tique sociale du jugement , Éditions de Minuit, 1979. (Francis Jeanson) 1 Un débat agite depuis longtemps le monde culturel. D’un côté on parle de démocratisation culturelle. Il s’agit « d’amener », de « sensibiliser », « d’ouvrir » ou de « rendre curieux de la création ». En oubliant parfois de préciser que nous parlons là d’UNE culture, celle des privilégiés, celle des « héritiers » selon la formule de Bourdieu. 2 De l’autre côté les tenants de la démocratie culturelle ont plutôt pour objectif de favoriser l’expression de cultures fort diverses selon les origines sociales, professionnelles, géographiques, religieuses ou linguistiques, etc. et les goûts de chacun. Le même débat se retrouve posé en d’autres termes. D’un côté les légitimistes affirment la supériorité indiscutable de disciplines artistiques qui seraient nobles. De l’autre les relativistes pensent que les valeurs universelles ou les thèmes éternels sont traités aussi bien par le théâtre antique ou l’opéra classique que par le conte paysan ou la chanson ouvrière, par le théâtre d’ombres indonésien ou par les légendes des Hopis. Et pensent que l’on peut trouver des productions remarquables dans toutes les disciplines de toutes les classes sociales et sous toutes les latitudes. Remarquons en passant que les disciplines considérées comme « nobles » sont plutôt issues des classes riches, noblesse ou bourgeoisie, et qu’elles demandent des moyens financiers considérables pour s’exercer. Tandis que les disciplines « mineures » sont plutôt des modes d’expression des classes pauvres ou modestes et peuvent bien souvent s’exercer avec des moyens modestes. Remarquons aussi que la musique occidentale est « grande » tandis que la musique des Pygmées, de Tuva ou des pays andins est « ethnique ». Parce que, si la « haute culture » est celle des classes riches, elle est aussi occidentale. 3 Soleil cherche futur 1 — Rapport à Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communi cation, septembre 1998, page 17. Oublions rapidement que la volonté d’ouverture, manifestée parfois avec ostentation par la politique culturelle, s’arrête brutalement dès que l’on examine la comptabilité publique. Le rapport de la commission nationale des musiques actuelles 1 rappelle utilement quelques chiffres. Ainsi la TVA encaissée par l’État sur les ventes des seuls disques dits de « variétés » était de 1,86 milliard de francs quand le budget de la DMD (direction de la musique et de la danse) était de 1,973 milliard de francs dont 67 millions de francs alloués aux musiques dites « actuelles ». Délaissons la TVA sur les concerts, sur les droits d’auteur et droits voisins, sur les instruments de musique et autres fariboles, délaissons aussi les autres impôts et notons que « Certains membres de la commission […] ont parlé très abruptement […] d’une demande de réparation historique. » 2 2 — Idem, page 18. 3 — Cette généralisation laisse volontairement de côté les exceptions, tels le théâtre d’Ivry ou la scène nationale de Mâcon pour la chanson, qui ne font que confirmer la règle. 4 — N° 6, décembre 1998. 5 — cf. notamment Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée, Éditions Gallimard, 1987, Marc Fumaroli, L’État culturel, Éditions de Fallois, 1992 et Maryvonne de SaintPulgent, Le gouvernement de la culture, Éditions Gallimard, 1999. Oublions aussi rapidement la programmation maigrichonne des scènes généralistes 3 quand on chausse les lunettes de la chanson, du jazz, des musiques traditionnelles et autres mal-aimés des théâtres de l’institution. Ainsi Le fil d’Ariane 4 détaille la programmation chanson des dix scènes nationales d’Ile de France. On va de « rien » aux valeurs sûres comme Brassens, Ferré et Vian, non pas repris par des chanteurs de chanson, mais mis en scène par des gens de théâtre. Trois scènes seulement quittent un peu l’autoroute pour s’engager d’un pied précautionneux sur les drailles en proposant… de un à quatre spectacles dans l’année ! Oublions tout cela et adoptons un postulat très provisoire affirmant que ces débats entre relativisme et légitimisme, qui nous ont valu quelques fortes pensées d’auteurs de talent, 5 sont maintenant apaisés et que les acteurs culturels réservent aujourd’hui une place équitable à tous les modes d’expression. 4 Soleil cherche futur La loi N° 99533 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi N° 95115 du 4 février 1995 d’orientation pour le développement du territoire Journal officiel du 29 juin 1999, la LOADDT, ne manque pas d’intérêt. L’article 16 nous dit que « Le schéma des services collectifs culturels définit les objectifs de l’État pour favoriser la création et développer l’accès de tous aux biens, aux services et aux pratiques culturels, sur l’ensemble du territoire. » Une formulation qui semble de premier abord se fondre dans le paysage d’une France éternelle. On peut néanmoins s’interroger. De « l’accès » 1 — Cf. René Goscinny et Albert Uderzo, Œuvres complètes, Éditions AlbertRené; Pierre Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement, Éditions de Minuit, 1979. 2 — cf. Marc Fumaroli, L’État culturel, op. cité. Le schéma doit vaillamment permettre de « développer l’accès » à la culture, via les « services », les « biens » et tutti quanti. Ne pourrait-on pas voir dans cette notion « d’accès » une vision dichotomique du monde de la culture ? Où l’on aurait d’un côté ceux qui sont tombés dedans quand ils étaient petits 1 et de l’autre ceux que l’on se doit de convertir à une « religion moderne ». 2 On pourrait faire observer que depuis des temps immémoriaux nombre de petites voix ont entonné des refrains discordants qui nous offrent une partition un peu plus nuancée et nous montrent une grande diversité possible de parcours. « La première révélation que j’eus qu’il y a vraiment un autre monde, je pense bien l’avoir dû à la musique, je veux dire aux chansons, car c’est tout ce qu’en ce temps-là on savait d’elle chez les ouvriers. Mais on saisissait toute occasion de chanter. […] Les chansons quarante-huitardes de mon père avaient fait la justice sur la terre. Il y avait eu du bonheur dans la maison. […] Je comprends à présent que, ces soirs-là, je suis entré, par la porte des pauvres, dans le monde de la beauté. Ce n’est pas un monde que l’on apprend. On le découvre, on le crée, à partir de soi-même. On y entre sans maîtres, et je suis sûr que ces soirées où nous nous enchantions ensemble de chansons banales m’en ont beaucoup plus rapproché que tant de magistrales et savantes leçons que 5 Soleil cherche futur 1 — Jean Guéhenno, Changer la vie, Éditions Grasset, 1961, réédition cahiers rouges Grasset, 1990, pages 113 et 115. 2 — cf. Riccardo Montserrat, La femme jetable, pièce créée en 2000, texte inédit. plus tard j’ai entendues. Dans le chant le plus naïf, pour peu qu’il soit chanté d’une voix pure et naturelle, il peut se rencontrer telle note si exacte, si bien placée, si éloquente qu’elle semble contenir toute la vérité de l’homme et toute l’harmonie de l’univers. C’est un cri juste devant la création, et qui l’a une fois entendu, reconnu, est désormais hanté et n’a plus de cesse qu’il ne l’entende encore, comme au-dessus du monde, audessus des choses, comme leur résumé et leur explication. » 1 Ce refrain maintes fois entonné de « l’accès » implique aussi la certitude qu’il existe bien une culture de référence définissant l’honnête homme. Constitutives de la culture universelle ces références seraient indispensables à l’émancipation de ceux que l’origine sociale, un parcours scolaire semé d’embûches traîtresses ou les vicissitudes de la vie auraient privés de l’accès à de hautes valeurs de civilisation. La traduction concrète de ce présupposé se résume à favoriser la diffusion des activités des organismes culturels reconnus par le ministère de la culture. Désenvoûtons les « lieux magiques ». Quand la banalité trompeuse d’un article de loi disparaît on peut voir que l’objectif de « l‘accès » n’est peutêtre qu’une caution donnée aux institutions culturelles traditionnelles qui débouchera naturellement sur une consolidation financière pour qu’elles présentent plus de productions d’artistes. Mais vraiment pas l’émancipation de la caissière d’un supermarché exploitée jusqu’à son licenciement. 2 De la « création » La LOADDT fait référence à la « création ». On pourrait faire remarquer que la loi suppose que l’on peut trier, sans la moindre difficulté apparente, les productions qui auraient le statut de « créations » de nature artistique d’un ensemble d’autres productions qui ne sauraient revendiquer ce statut. Mais nous sommes ici face à une lacune : la LOADDT ne s’interroge pas sur les chemins et les moyens qui conduisent à décerner cette qualifica- 6 Soleil cherche futur tion. Une recherche approfondie dans notre appareil législatif risquerait fort de montrer que la loi reste muette sur cet aspect fondamental. La loi fait référence à une notion de « création » qui n’est jamais définie. Et, en droit, le flou artistique c’est l’arbitraire. Ou conduit aisément à l’arbitraire. Ce qui, sauf sous un régime autoritaire, sied plutôt mal à l’esprit législatif. « Il n’y a rien qui, autant que les goûts en musique, permette d’affirmer sa «classe », rien par quoi on soit infailliblement classé, (parce qu’) il n’est pas de pratique plus classante, du fait de la rareté des conditions d’acquisition des dispositions cor1 — La distinction, Éditions de Minuit, 1979, page 17. respondantes, que la fréquentation du concert ou la pratique d’un instrument de musique «noble ». (Pierre Bourdieu) 1 Faute de définir ce qu’est la « création » la loi ne fait qu’entériner un état de fait antérieur et les acquis d’une classe. Ou d’une caste. Ou des deux. La loi se contente d’entériner la hiérarchie instituée des valeurs artistiques. La qualification de « création artistique » d’une quelconque production plastique, musicale ou spectaculaire, reste une affaire de rapport de force. Mesurée à cette aune la LOADDT fait implicitement référence à une très vieille loi sans numéro matricule qui est la loi du plus fort. Où les productions issues des arts dits mineurs continueront à ne pas pouvoir prétendre à la qualification de « créations ». Le législateur n’est pourtant pas aveugle. Il sait bien que cette hiérarchie officielle des valeurs artistiques n’est guère en accord avec les demandes des citoyens dans une réalité plus complexe. Ce qui nous vaut, dans le même article, une phrase qui fait état de ce fossé abyssal. « Il [le schéma] renforce la politique d’intégration par la reconnaissance des formes d’expression artistiques, des pratiques culturelles et des langues d’origine. » Avec une formulation obscure — ce qui démontre l’embarras du législateur — on ne peut se livrer qu’à des tentatives d’interprétation proches de la lecture dans le marc de café. Parle-t-on de l’intégration urbaine des enfants d’immigrés victimes d’ostracisme ou de la revitalisation de campagnes en voie de désertification rapide ? Parle-t-on du raï, de la musique 7 Soleil cherche futur 1 — Cf. Stéphane Beaud & Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Éditions Fayard, 1999. 2 — cf. Pier re Sansot, Les gens de peu, Éditions Payot, 1995. 3 — Le métissage culturel, Politis, 29 octobre 1998. 4 — La jeunesse française est créative, elle a un droit à la parole, in Millénaire 3, supplément au cahier N° 19, février 2000. 5 — cf. Pier re Lieutaghi, La plante compagne, pratique et imaginaire de la flore sauvage, Actes Sud, 1998. juju, de Reinette l’Oranaise ou bien de kan ha diskan, de chabrette limousine et de la « môme » de Ferrat qui « travaille en usine à Créteil » ? Parle-t-on de tous ces gens qui se sentent totalement étrangers à une société qu’ils subissent plus qu’ils n’y participent ? Parle-t-on de la culture de la classe ouvrière 1 et de la culture des gens modestes ? 2 Jacques Bertin nous rappelle fort justement que « […] le peuple a besoin de trouver dans l’art de quoi se nommer. Nommer sa situation ici et maintenant. » 3 Et Jean-Pierre Thorn de surenchérir : « […] La priorité à combattre quand il est question des cultures populaires, c’est la dévalorisation. Comment un être humain peut-il construire sa place dans la société s’il doute de lui dès l’enfance, si le fils d’ouvrier par exemple a honte de son père ? » 4 Parle-t-on de l’entrée de l’ethnobotanique dans l’université française ? 5 Ou de la reconnaissance de la myriade des groupements d’études consacrés à telle ou telle autre discipline scientifique ? Parle-t-on de manifestations populaires à caractère régional ou apportées par des émigrants ? Parle-t-on de l’occitan et du catalan, langues de régions rurales françaises en déshérence, ou de l’arabe, du wolof et du sarakolé, langues de quartiers urbains périphériques en déshérence itou ? Toutes les suppositions, des plus censées aux plus folles, des plus pesées aux plus démagogiques, des plus passéistes aux plus à la mode, sont autorisées… On notera tout de même qu’on ne parle plus de « création » mais seulement de « reconnaissance ». La perspective d’une ouverture à d’autres cultures, ou à d’autres formes d’une même culture — qu’elles soient d’origine étrangère ou fruit d’un « métissage », qu’elles soient d’origine rurale ou qu’elles soient l’expression des classes urbaines modestes — n’est pas envisagée ici avec le même vocabulaire ou les mêmes moyens. « […] Nos professionnels de la culture, comme par hasard, se désintéressent totalement des populations pauvres de ce pays, si j’en crois les statistiques du ministère et l’affectation des budgets. » (Jacques Bertin, idem.) 8 Soleil cherche futur 1 — Affiche, signée atelier l’Atalante, sur un mur de Genève, 1998. De « tous » (les citoyens) Attention à la fermeture automatique des paupières. 1 Il y aurait de bons courriers à faire de France et de pays que nous croyons connus ; l’étrange n’est pas toujours au pays étranger; on ferait d’immenses découvertes chez soi; on obtiendrait de singuliers résultats si l’on savait regarder le pays habituel d’un regard inhabitué ; regarder la France comme si on n’en était pas. (Charles Péguy cité par Eugen Weber) La LOADDT, bonne fille, s’inquiète de voir l’ensemble des citoyens bénéficier des « créations » offertes par les institutions culturelles. Il est vrai que nous avons là un problème. « On n’observe aucune réduction significative des écarts entre les milieux sociaux depuis 1989 […] Les résultats de l’enquête dont nous faisons ici état ne peuvent en effet manquer d’inquiéter les acteurs de la vie culturelle en révélant que trente années de politique culturelle n’ont pas suffi pour atteindre l’objectif des origines, ni même pour réduire de manière significative la hiérarchisation sociale des comportements culturels : ceux qui lisent de la littérature, ceux qui vont au musée ou au théâtre présentent globalement les mêmes caractéristiques qu’il y a trente ans » 2 2 — Olivier Donnat, Les pratiques culturelles des Français, La Documentation française, 1998, page 218. 3 — O. Donnat, idem, page 11. Il est vrai, pour relativiser ce constat, qu’Olivier Donnat nous prévient que l’enquête « est incapable de déceler les évolutions concernant moins de 2 à 3 % de la population française, c’est-à-dire moins d’un million ou un million et demi de personnes. […] Elle s’avère aussi trop générale pour rendre compte, par exemple, des disparités régionales ou des univers culturels de groupes sociaux trop particuliers. » 3 Il reste peut-être du chemin à parcourir pour que l’institution culturelle s’ouvre à la culture de chacun des « groupes sociaux trop particuliers » qui composent notre « tous ». La pensée du microcosme culturel reste imprégnée par un état d’esprit ambiant de la société qui, à vouloir s’en tenir au plus grand nombre, gomme toutes les spécificités particulières qui forment le plus grand nombre. 9 Soleil cherche futur 1 — La fin des terroirs, Éditions Fayard & Recherches, 1984. 2 — Maria Lor y, ma grand-mère, paysanne née en 1895. Nous ne parvenons pas à sortir de l’état d’esprit où on accorde plus d’importance au petit cercle des puissants qu’à la majorité des citoyens humbles. Ce n’est pas propre à l’art. C’est l’héritage d’une culture où ce qui vaut la peine d’être raconté est ce qui concerne l’élite. Rappelonsnous les cours d’histoire de l’école primaire de naguère. La succession des rois et des batailles ou bien la Renaissance qui chasse le Moyen-Âge. Puis, quand Eugen Weber nous entretient de la vie d’ancêtres pas très lointains, 1 on mesure à quel point on a oublié de dire aux enfants qu’on leur enseignait l’histoire d’un pourcentage dérisoire de la population. Que nos ancêtres — sauf à être « bien nés » — ne vivaient pas dans le monde décrit par nos livres d’histoire. On continue aujourd’hui à écrire une histoire — à décrire le présent — avec les mêmes travers. Où les employés de la grande distribution, les ouvriers du bâtiment, les « agents d’entretien » ou les chauffeurs de bus, comme toutes « les petites gens », 2 sont des « groupes sociaux trop particuliers » pour que l’on s’y intéresse. Où l’on ne prête guère attention aux quatre-vingts pour cent de la population française qui ne sont pas connectés à Internet. De « l’ensemble du territoire » La LOADDT est censée, c’est à la fois son intitulé et son objet, se préoccuper de chaque territoire. Mais, en matière culturelle, s’agit-il de mettre en valeur les spécificités traditionnelles de chaque terroir ou les particularités exotiques de chaque quartier ? « Le schéma de services collectifs culturels définit les objectifs de l’État […] » Les citoyens libres votent avec leurs pieds. Ils refusent les références culturelles qui forment le cœur — tant en budget qu’en valeur symbolique — de la politique culturelle publique. Un problème majeur de la culture subventionnée est dans ce silence, ce refus, ce rejet franc et massif de la majorité de la population. La loi prend acte de ce rejet et — mais sans doute est-ce une lecture trop 10 Soleil cherche futur audacieuse ? — impose une norme — « les objectifs de l’État » — contre tout risque d’émergence d’une volonté collective locale ou d’initiatives de citoyens dissidents. Dans cette lecture la collectivité territoriale n’aurait pas d’autonomie vis-à-vis de la politique culturelle de l’État, son rôle se bornant à être le relais du pouvoir central. Toute politique locale qui s’aventurerait hors des chemins balisés — tout comme les initiatives de citoyens que l’on voit fleurir depuis quelques années — se verrait baptiser de sobriquets qui se voudront infamants. Les mots socio-culturel, éducation populaire, animation, amateur, communautaire, identitaire, ethnique ou folklorique, petit, marginal ou de seconde zone, local ou régional de l’étape — liste non limitative — permettraient de disqualifier toutes les aventures hors des normes officielles. Au travers de notre commentaire de deux phrases de la LOADDT nous avons souhaité montrer comment se heurtent des objectifs de démocratie et des objectifs d’experts. Des objectifs qui peuvent être fort hétérogènes ou contradictoires et que le législateur peine à tenter de concilier. Pour une réelle diversité culturelle La LOADDT permet de voir également que le législateur peine tout autant que le microcosme culturel institutionnel à sortir de la vieille stratégie coloniale. Nous vivons toujours sous la dure loi de l’offre imposée aux indigènes. Il faut coûte que coûte écouler les productions du centre chez les vassaux. Et ce n’est pas facile quand le peuple souverain vote. Au référendum proposé 80 à 90 % des citoyens votent non. Avec une belle constance que se plaisent à souligner tous les analystes des pratiques culturelles des Français. Il est certes difficile d’imaginer une sortie honorable à un vieux conflit colonial. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a fini par s’imposer. Hier les sauvages étaient de grands enfants. Aujourd’hui « les publics » ne sont pas majeurs. Comment sortir de cette politique de l’offre pour enfin aussi répondre à la demande ? Aujourd’hui répondre à 11 Soleil cherche futur la demande — il faudrait écrire « aux multiples demandes » — est stigmatisé comme une démarche « populiste » ou « clientéliste ». Le public n’est pas majeur. 1 — Entretien du 22avril 2002. « On peut aller dans une librairie et choisir un livre que personne ne lit. Raymond Roussel a vendu trois livres de son vivant et c’est pourtant un auteur intéressant de la littérature française. Chacun doit pouvoir avoir son imaginaire personnel. Si on ne peut pas l’avoir c’est parce que chercher un disque à la FNAC est un vrai parcours du combattant. Souvent on ne le trouvera pas à la FNAC mais seulement de main à la main à la sortie du spectacle. » Jean Favre 1 s’insurge contre un choix proposé qui est beaucoup trop restreint à son goût. Comment parler de choix quand on a seulement le choix entre des vedettes de télévision vite fabriquées et vite jetées ou un cercle restreint d’artistes subventionnés ? Dans les deux cas un très petit nombre d’artistes imposés par l’argent — du show-business ou des subventions. La petite librairie de Raùl Mora à Ivry sur Seine propose quelque 20 000 titres. Le gratin de la littérature mondiale avec une jolie section nordique et une section hispanophone obèse, un beau rayon guides de voyage, un mur de poésie et un mur de polars, L’École des loisirs et Rue du monde pour les enfants et tout Bourdieu dans un wagon de sciences humaines à côté d’une montagne de livres d’art. Comme les rayons frisent toujours l’apoplexie il y a au sol des piles instables d’un bon mètre de hauteur. Avec 20 000 titres on a le choix. Et si nous sommes à la recherche d’un mouton emplumé à cinq pattes, Raùl, juste avec son téléphone et son scooter, nous fournit en huit jours le titre le plus oublié de l’éditeur le plus confidentiel. Tandis que les grands théâtres subventionnés nous offrent, au mieux, quarante ou cinquante titres. Où ne figurent pas les milliers d’auteurs comme Raymond Roussel. 80 ou 90 % des citoyens passent leur chemin puisqu’il « n’y a jamais rien au théâtre ». Bien sûr un livre n’est pas la même chose qu’un spectacle. Mais on peut employer la métaphore. Le maître-mot pour justifier tous les choix est celui de la « qualité ». Les « professionnels » s’arrogent le pouvoir de décision, le pouvoir de contrô- 12 Soleil cherche futur 1 — Lire le coup de sang ravageur de Paul Gauguin, Qui trompe-t-on ici ?, in revue Le Moderniste, 1889, réédition l’Échoppe, collection Envois, 1996, la Lettre sur les concours, d’Eugène Delacroix, in revue L’Artiste, 1831, réédition l’Échoppe, collection Envois, 1985, ou bien l’Histoire de l’art d’Ernst Gombrich, Éditions Gallimard, 1997. le, le pouvoir d’évaluation. Au risque d’être regardés comme une caste de brahmanes par les citoyens. L’histoire de l’art nous enseigne pourtant que les jugements de valeur les mieux établis sont remis en cause avec une belle constance par les nouvelles générations de « spécialistes ». Voire déjà par leurs propres pairs. 1 Que cela devrait inciter à une certaine modestie. Mais pourtant les citoyens, dès lors qu’on les désigne sous le terme de « public », ne sont pas « compétents ». Le monde de l’art ne fait que refléter la société contemporaine où des « experts » décident bien souvent pour les citoyens au motif que la prise d’une décision relèverait non de la démocratie mais d’une gestion « scientifique » ou « technique » qui serait neutre. L’adolescent voue aux gémonies le professeur qui lui impose la lecture de telle ou telle « œuvre qu’il faut lire ». L’adolescent est en rébellion et le professeur est maladroit. Quand on est un grand garçon on ne se laisse plus dicter ses lectures. Mais on n’a guère que l’abstention pour le peu de spectacles que l’on nous propose. Le libre examen revendiqué par les huguenots depuis quelques siècles reste encore une citadelle à conquérir dans le domaine artistique. Les citoyens ne sont pas majeurs. Et pourtant, lire Raymond Roussel, ce n’est pas déshonorant… 13 Soleil cherche futur IN T R O D U C T I O N Dans le microcosme culturel, si les totems sont sacrés, les tabous sont très forts. Des disciplines artistiques et des esthétiques restent, ou bien proscrites, ou bien reléguées à un rang subalterne. Les pages qui suivent s’intéressent au domaine de la chanson. Selon Stéphane Beaud 1 les ouvriers suscitent bien souvent ou 1 — Stéphane Beaud & Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Éditions Fayard, 1999. le mépris ou la pitié. La chanson génère souvent les mêmes réactions de la part des institutions culturelles. On va s’occuper des « musiques rudimentaires » ou bien des « musiquettes et autres infra-musiques ». « Le niveau de bassesse de ces déjections culturelles atteint souvent des profondeurs abyssales. » « Il y a en 2 — Gérard Zwang, Le dia pason, Éditions Sauramps, 1998, pages 164 et 165. France 265 rues Jacques Brel (encore ne s’agit-il pas d’un des ‘’plus pires’’) » 2. On va malgré tout s’intéresser au sort des déjections culturelles. La chanson étant un domaine trop vaste on se cantonnera à l’étude économique des petites salles parisiennes de concert — moins de deux cents places — dans la période comprise entre 1995 et le printemps 2002. C’est une lunette étroite qui donne une assez bonne vue des conditions difficiles dans lesquelles survit cet art. Et puis la remarque de Joseph Canteloube semble judicieuse. « Nous ne saurions partager l’opinion de certains, notamment de ceux qui, au lieu d’étudier la chanson vivante, c’est-à-dire dans son milieu, se sont bornés à la connaître, uniquement ensevelie dans la cire des phonogrammes ou les recueils des bibliothèques. Oserait-on parler de parfum d’après les fleurs desséchées d’un herbier ? » 3 3 — Joseph Canteloube, Anthologie des chants populaires français, tomeI, Durand et Cie, 1951, page 8. Joseph Canteloube poursuit avec une phrase qui nous convient à merveille. « Nous ne saurions croire que le peuple ne crée point de chansons, sous prétexte qu’il n’a pas la culture suffisante. » À rapprocher de ce que disait Alain Souchon : « Les chanteurs ne sont pas des philosophes, ni des sociologues. On est des gens de la rue. Mais les gens de la rue pensent aussi. Ils sentent aussi. 4 — Alain Souchon, in Trente chansons qui ont changé la France, Mathias Goudeau et Patrice Tourne, Ed JCLattès, page 277. Ils ressentent et ils pensent, même s’ils n’ont pas la culture pour. » 4 Après notre petite promenade dans les bistrots puis dans les petits théâtres, on terminera sur quelques perspectives formulées dans le projet culturel qui clôt ces pages. 14 Soleil cherche futur D ANS LES BISTROTS D’origine confuse, le mot bistrot, selon certains, date de l’arrivée des Cosaques à Paris lors de l’invasion de 1814. Les hommes de troupe, qui n’avaient pas le droit de fréquenter les estaminets, déjouant toute surveillance, s’y précipitaient à chaque occasion en criant bistro ! (Vite !) […] Nous pensons que le terme litigieux est vraiment français et qu’il provient, après une suite de déformations, de mastroquet […] En louchébem (ce langage particulier aux bouchers) mistroquet devient listroquem. Reprenant le mot au vol, l’argot à son tour le malaxe et le refond pour en faire bistroquet, bistroque, troquet, et finalement le raccourci bistrot, avec un t, car il ne faut pas oublier que l’on dit en parlant de son tenancier ou de sa tenancière qu’il est un bistrotier ou une 1 — Robert Giraud, L’Argot du bistrot, Éditions Marval, 1989, page 23. bistrotière […] 1 Les bistrots programment des chanteurs ou musiciens qui sont en tout début de carrière ou qui tardent à prendre leur envol. Mysiane Alès s’intéresse aux artistes lorsqu’ils ont déjà franchi l’étape de cette première expérience. « Quand les gens sont à un stade où ils se sont fait les dents, où ils se sont fait le cuir, où ils se sont trempé le caractère, où ils ont fait leur propre expérience, dans tous ces endroits-là. Indispensables. Tous ces endroits valent toutes les écoles et tous les cours du monde. Pour expérimenter dans ces petits lieux il va falloir qu’ils déploient une énergie énorme : pour se faire accepter dans ces petits lieux, pour qu’il y ait du monde, pour conquérir le peu de gens qui seront venus. Et c’est ça qui est formateur. C’est comme ça qu’on fait un artiste de 2 — Mysianne Alès, pr oducteur, Le rideau bouge, entretien du 28mars 2002. 3 — Geneviève Girard, Azimuth, entretien du 22avril 2002. chanson qui est un art individuel. » 2 Nombre d’interlocuteurs tiennent ce même discours : « C’est une très bonne école, l’étape avant la professionnalisation. » 3 « Les petits lieux d’initiative privée sont indispensables. Ils renaissent de leurs cendres. Après les cabarets de la rive gauche sont arrivés les cafés théâtres. Cela a été un raz de marée qui a tout balayé. De ces cafés-théâtres sont nés des gens qui sont maintenant dans les grands théâtres. Les cafés-théâtres sont un peu en train de battre de l’aile et les cabarets de chansons repartent. Ils sont indispensables. C’est là qu’on se confronte au public. Combien y a-t-il de théâtres pour faire chanter les gens ? Très peu. Et combien y a-t-il de chanteurs ? Énormément. Une chanson c’est fait pour être écouté en direct par quelqu’un. On ne peut pas la mettre directement dans une boîte. La chanson est un art trop immédiat pour qu’on la mette comme cela dans un moule. Le jour où il n’y a 15 Soleil cherche futur 1 — Marie-Pierre de Porta, le Loup du faubourg, excabaret, toujours éditeur et producteur phonographique, entretien du 7 février 2002. 2 — Au XIX e nombre de cafetiers ornaient leur établissement de cette inscription. plus de petits lieux, c’en est fini de la chanson. » 1 Nous ferons la distinction entre quatre catégories de postes de secours contre la soif 2 en fonction de l’attitude à l’égard des artistes qui s’y produisent bien qu’une telle classification soit un peu trop réductrice et trop cloisonnée pour être incontestable. Nous avons le limonadier exploiteur d’artistes, l’amateur de musique dans l’illégalité pour des raisons économiques, l’amateur de musique partiellement dans la légalité et enfin le légaliste rigoureux. Le travail d’enquête a été mené dans le seul domaine de la chanson. Néanmoins les mêmes schémas sont globalement applicables, à quelques détails près, aux cafés programmant conte, jazz tous styles confondus du classique à l’électro, musiques traditionnelles ou musiques populaires contemporaines de toutes esthétiques. 16 Soleil cherche futur LE L I M O N A D I E R E X P L O I T E U R D ’A RT I S T E S On ne s’attardera pas trop longuement sur les négriers sans vergogne. La taille, qui conditionne les moyens financiers, n’entre pas en considération pour faire ce classement. Le tout petit bistrot avec un patron âpre au gain concourt dans cette catégorie. On en connaît un qui faisait payer la bière cinquante francs, maintenant huit euros — c’est normal, il propose des concerts, ce n’est pas un café ordinaire — et les musiciens, qui ne sont pas payés, font tourner le chapeau à la fin. Mais on voit aussi de très grandes salles logeant de quatre cents à plus de mille personnes, vendant la bière par hectolitres, qui paient royalement les musiciens — au black of course ! — deux à trois cents francs la soirée. Au hit-parade du malheur il semble, mais c’est un peu subjectif, que la chanson soit détrônée par le jazz et les diverses musiques populaires contemporaines 1 — Nous n’entrerons pas dans les querelles byzan tines pour déterminer ce qui est «chanson» ou ce qui est « rock». Globalement l’usage semble indiquer que l’on parlerait plutôt de chanson quand l’auteur compositeur est — plus ou moins — seul et de rock quand c’est un groupe. Ainsi Kent ferait aujourd’hui de la chanson tandis qu’il faisait du rock avec le groupe Starshooter. On trouve aussi bien du rock à texte intelligent que de la chanson à texte affligeant. Et aussi bien du rock cloné que de la chan son à la musique innovan te. issues du rock 1 qui verraient les plus exécrables pratiques. Si les conditions sociales sont déplorables, les conditions artistiques le sont tout autant. La musique n’est vue ici que comme un produit d’ameublement, un fonds sonore, une décoration, pour les discussions autour de la consommation d’un repas ou d’une boisson. Un light & laser ou un video show informatisé asservi à un lecteur de disques ferait tout aussi bien l‘affaire. Difficile de se faire écouter quand la musique nage dans un mélange sonore de conversations, de bruits de vaisselle et de chaises avec un va et vient perpétuel. « C’est dur pour le moral de faire de la musique quand les gens ne sont pas là pour t’écouter mais pour manger ou pour rencontrer leurs copains. Quand tu es là pour faire un support musical à autre chose. Quand tu dois te dire « je suis un disque. » Dans une salle de spectacle ils s’assoient pour écouter ce que tu as à leur donner. Quand on est obligé de susciter leur intérêt pour parvenir à capter leur attention on ne fait pas la même chose musicalement que lorsque les 2 — Marianne Sunner, chanteuse, entretien du 11 avril 2002. gens sont tout ouïe. Ce sont deux situations très différentes » 2 Jean Favre résume bien ce que l’on pourrait en dire en s’étalant sur des pages. « S’il y a des artistes dans les bars ce n’est pas seulement parce qu’on veut développer la culture populaire, c’est aussi parce que les soirs où il y a des artistes il y a trois fois plus de gens pour boire un pot. C’est une façon d’attirer des consommateurs sans rémunérer les artistes. Avec des arguments comme : cela te permet d’apprendre ton métier, tu vas te faire connaître, tu pourras vendre 3 — Jean Favre, entretien du 22 avril 2002. ton disque (autoproduit) à la fin… » 3 17 Soleil cherche futur La catégorie des débitants de boissons plus soucieux d’arroser leur portefeuille que de participer à la croissance de jeunes pousses artistiques est assez bien répertoriée. Les artistes, pressurés une fois, ne s’y font pas reprendre. D’où la nécessité de trouver constamment de nouveaux et naïfs débutants ou provinciaux pas encore instruits de l’existence d’un bémol à la clé. D’où souvent aussi des plateaux de médiocre qualité qui n’incitent pas exagérément le public averti à venir. Deux grands cafés de ce type étaient à vendre au printemps 2002. Les suceurs de sève ne sévissent pas éternellement. Il y a tout de même une justice en ce bas-monde… 18 Soleil cherche futur L’AMATEUR D E M U S I Q U E D A N S L’ I L L É G A L I T É P O U R R A I S O N S É C O N O M I Q U E S Vivant de privations et encore pas tous les jours. (Alphonse Allais) Marie-Pierre de Porta a le verbe coloré pour parler des tenanciers de bistrot. « Les tauliers ne sont pas des voleurs à part quelques-uns et on le sait. À Paris, on connaît ceux qui ne se comportent pas bien, personne n’y va. Mais on sait que les autres sont respectueux des artistes. Il faut quand même être un peu maso pour travailler quinze heures par jour pour gagner juste le prix de sa limonade et être emmerdé par une myriade de choses. Je ne crois pas que ce soient vraiment de grands voleurs. Ou alors ce sont de grands malades. J’ai 1 — Entretien cité. beaucoup de respect pour les tauliers. » 1 On remarquera tout d’abord que l’amateur de musique se distingue bien souvent du vulgaire limonadier en cessant le service durant le spectacle. Cette marque de respect du travail des musiciens trace incontestablement une frontière avec la catégorie précédemment décrite. Il faudrait distinguer deux souscatégories dans le groupe des amateurs de musique qui sont dans l’illégalité quand ils accueillent des chanteurs ou des musiciens. — D’un côté le cafetier qui fait son métier de cafetier restaurateur mais est aussi un amateur désintéressé — oui, cela existe — et ouvre sa salle aux musiciens. On connaît ainsi un charmant couple de restaurateurs, accueillant occasionnellement concerts ou expositions, qui nourrit discrètement des artistes fauchés, musiciens ou peintres, en « oubliant » de leur présenter la note à la fin du repas. On a aussi rencontré au festival d’Avignon off un restaurateur qui offrait gratuitement sa salle pour un spectacle musical sans que l’on puisse même le soupçonner d’en tirer le moindre bénéfice secondaire : le groupe se produisait hors des heures d’ouverture du restaurant. Le restaurateur, présent aux concerts, donnait le coup de main à la caisse et à la régie. — D’autre part l’amateur de musique qui ouvre un café pour y programmer de la musique. Pour pouvoir payer son personnel la salle est obligée d’avoir une activité qui n’a rien à voir avec la mission qu’elle se donne. Si les conditions économiques le permettaient on s’abstiendrait volontiers de songer aux menus et aux verres. Mais c’est avec les repas et la boisson que l’on espère faire survivre le lieu et pas avec les artistes. Dans cette démarche le bistrot est un simple instrument au service du but à atteindre : donner une scène à des artistes et donner des artistes à un public à la recherche de telle ou telle forme d’art. 19 Soleil cherche futur Dans cette deuxième sous-catégorie nous allons nous intéresser au Limonaire. Parce qu’il est le plus ancien café-chanson en activité. Parce qu’il déploie une grande activité artistique qui en fait une importante salle pour la chanson à Paris. Ainsi du 3 au 15 septembre 2002 le festival On n’est pas des vedettes, 1 — Chaque soir un plateau différent de trois artistes, inconnus ou connus comme Isabelle Aubret, Allain Leprest ou François Béranger, dans un programme aveugle: le public ne sait pas qui passe quand. Les artistes s’engagent à ne pas dévoi ler la date de leur passage. 1 une entorse au programme habituel, affiche quarante-sept noms. Et enfin parce qu’il est soutenu par un groupe de sympathisants bénévoles assez nombreux. Avec ses différentes formules régulières — soirées avec première partie, plateaux de trois chanteurs, « cabarets soupes » avec dix à douze invités autour d’un artiste organisateur, etc. — le Limonaire, ouvert six jours sur sept et douze mois par an, programme chaque mois plusieurs dizaines d’artistes dont beaucoup reviennent généralement tous les trois à quatre mois. C’est l’archétype de la salle de découverte. Beaucoup de débutants s’y produisent en compagnie de plus anciens qui sont un peu dans l’ombre — nous parlerons à leur sujet de milieu de tableau ou de notoriété intermédiaire — et de quelques reconnus qui viennent ici dans le cadre de relations amicales. Outre la chanson, le Limonaire s’ouvre notamment à la poésie, au slam et à de petites formes théâtrales. Il y a aussi chaque mois un bal et une séance de cinéma muet accompagné en public par des musiciens. Le Limonaire reçoit de nombreuses candidatures. Les impétrants envoient une cassette ou un disque compact. Un collectif d’écoute se réunit chaque mois pour sélectionner ceux qui feront l’objet d’une programmation. Malgré le volume de programmation important le délai d’attente pour un candidat accepté est de plusieurs mois. Notons enfin que des candidats refusés nous ont appris qu’il est d’usage de recevoir une lettre du Limonaire notifiant la décision prise. Le fait est suffisamment rare pour être mentionné et salué. « Passer au Limonaire permet aux artistes d’apprendre à faire un spectacle, de monter un spectacle, de se former et aussi de se faire un public. De rencontrer d’autres personnes du même milieu. Les répétitions sont possibles pendant la journée puisqu’il ne s’y passe rien. Autant que les locaux servent. Ils sont mis à 2 — Noëlle Tartier, permanente du Limonaire, entretien du 5 avril 2002. disposition gratuitement. » 2 Le Limonaire a été créé en 1985 rue de Charenton (13e). Il y a eu un élan de solidarité des chanteurs après la mort de Daniel Tartier (1994) qui en était devenu le patron pour que le bistrot continue à vivre. L’expropriation dans le cadre d’une opération d’urbanisme a procuré le financement pour une réouverture en décembre 1995 cité Bergère (10e). Le « bar à vins et à chansons » avec ses bretelles, sa casquette et son accordéon, détonne dans cet ancien passage privé qui compte nombre d’hôtels trois ou quatre étoiles. Le pas de porte a été ache- 20 Soleil cherche futur té 500 000 F. Le loyer mensuel, qui était de 3 000 F en 1996, est maintenant d’un peu plus de 6 000 F. Noëlle Tartier considère que c’est encore un prix bas en regard des tarifs pratiqués aujourd’hui à Paris. Les deux étages de bureaux au-dessus du café sont compris dans le loyer. Ce fut d’ailleurs une raison importante du choix de ce local qui limite les problèmes liés au bruit. Néanmoins les luxueux hôtels voisins verraient d’un bon œil la disparition du pourtant bien discret Limonaire. Il faudrait une recette quotidienne de 5 500 F en bar et restauration pour équilibrer les comptes en payant tous ceux qui sont affectés au service mais les recettes sont souvent bien inférieures. Le Limonaire compte deux salariés à temps complet et trois salariés à temps partiel. Une centaine d’adhérents cotisent à l’association. Une vingtaine de bénévoles réguliers tournent sur deux mois pour le service du bar et de la restauration. On ne comptabilise pas non plus le temps des bénévoles qui s’occupent de la programmation, de la communication, du comité d’écoute qui a lieu une fois par mois et d’un peu de déplacements pour voir des chanteurs ici ou là. La salle peut accueillir une cinquantaine de personnes. Cette petite taille permet de passer des gens inconnus. Ceux qui sont un peu plus connus vont remplir et permettre un équilibre financier qui reste tout relatif. « Financièrement le Limonaire est sur le fil du rasoir. Avec tout ce qu’on devrait payer on ne peut pas se mettre dans la légalité. Il n’y a que deux ans qu’on est moins sur la corde raide parce qu’on a créé une association à côté du café qui prend en charge certaines dépenses dont la publicité. Les rentrées d’argent de l’association proviennent des cotisations des adhérents et des artistes qui rever1 — Noëlle Tartier, idem. sent 10 % de leur chapeau. » 1 « On ne paye pas de droits SACEM. Rue de Charenton on payait un forfait mensuel de 800 F. Ici on nous demande un forfait mensuel de 5 000 F. C’est l’une des raisons qui nous « interdisent » la billetterie. Les artistes font passer le chapeau à l’issue du concert. Le chapeau minimum est de 1 200 F et peut aller jusqu’à 3 500 F. (On recommande de laisser huit à dix euros par personne.) Avec une billetterie, nous avons une moyenne de trente-cinq spectateurs, nous ne pourrions pas payer trois cachets chaque soir. » 2 Et à ces cachets et charges sociales 2 — Noëlle Tartier, ibidem. afférentes, il faudrait de plus ajouter les droits d’auteurs, la taxe parafiscale sur les spectacles et la TVA. Nous pouvons dire que nous sommes ici dans une forme de travail au noir plus ou moins toléré. Le chapeau est cette ancienne pratique, vestige d’une époque où les saltimbanques morts n’étaient pas enterrés en terre chrétienne, où le spectateur ne 21 Soleil cherche futur paie pas un droit d’entrée fixé mais verse une obole qui reste à son appréciation à l’issue du spectacle. Une pratique qui ne fait pas l’unanimité. Jean Ferrat, qui s’inquiète du sort fait à la chanson, regrette que « [les héritiers des Coûté, Bruant, Rictus] chantent dans ces petits lieux aléatoires en subsistant comme au 1 — Qui veut tuer la chan son française ? tribune publiée dans le Monde, 7 janvier 2002. XIXe siècle : en faisant la quête ! » 1 « Ne jamais réduire un artiste à passer au chapeau. Le chapeau induit cette notion, maintient cette coutume, que les saltimbanques sont des mendiants. J’ai une préférence pour un minimum garanti, même faible. Il faut dire aux gens : vous allez entendre de la chanson. Alors vous payez un prix X, même bas, même si c’est un minimum, en plus de vos consommations. Parce qu’il faut faire admettre qu’il y a un prix à la chanson, un prix pour voir et écouter les artistes de chanson. Il y avait un petit ticket d’entrée au Loup du Faubourg et les gens ne rechignaient pas pour autant à venir. Je voudrais qu’on mette un peu de morale dans les cafés. J’entends que 2 — Christine Hudin, Édito-Hudin, producteur de spectacles, éditeur et producteur de disques, entretien du 9 avril 2002. 3 — Marianne Sunner, chanteuse, entretien du 11 avril 2002. tout travail mérite salaire. » 2 « Le système du chapeau c’est la mendicité. Je préfère qu’on m’offre un repas et une boisson avec partage de la recette. Je trouve cela plus honorable. » 3 Mais plus tard, dans le même entretien, Marianne Sunner fera aussi part de la « nécessité de se frotter au public pour intéresser des petites boîtes de production, de la nécessité de passer sur une scène même si c’est au chapeau. » Car l’une des clés de cette discussion toujours recommencée est que nous sommes ici dans une impasse économique. Dont beaucoup sont tout à fait conscients. Ainsi Jean Ferrat, qui regrette que les chanteurs en soient réduits à la pratique du chapeau, parraine néanmoins le festival On n’est pas des vedettes organisé par le Limonaire. « Les petits lieux ne sont économiquement pas viables. On leur reproche de faire des chapeaux mais je respecte ceux qui font des chapeaux parce que cela permet aux gens de vivre. Ces gens ne peuvent pas en même temps payer un loyer, payer les charges d’établissement et 4 — Marie-Pierre de Porta, entretien cité. 5 — Président du Pavillon, une association organisatrice de concerts que nous verrons un peu plus loin, entretien du 27 mars 2002. payer les artistes, c’est impossible. » 4 Christian Landrain 5 parle de « non-choix du noir à cause de la taille des lieux et de l’impossibilité économique. » Boris Bourdet, qui est pourtant un légaliste sourcilleux et un homme soucieux de sortir les chanteurs de l’impasse sociale — nous verrons plus loin que le café Ailleurs, qu’il dirigeait, payait des cachets déclarés et était aidé notamment par l’ADAMI — et qui a souvent longuement discuté avec des artistes pour les convaincre de la nécessité de déclarer leurs activités, fait la part des choses et prend lui aussi la défense de ceux qui sont dans l’illégalité. « Le discours officiel nous dit : si vous n’avez pas le choix [les cafés où circule le chapeau disent faire cela par contrainte économique] cela veut dire que ce sont des lieux qui ne sont pas viables. Ils sont donc voués à la disparition, il faut donc trouver autre chose. Mais Ailleurs, si on enlevait les aides, disparaissait. Alors que le 6 — Boris Bourdet, créateur de feu le café Ailleurs, entretien du 10 avril 2002. Limonaire, sans subvention, est toujours là. C’est le plus ancien lieu de chanson, et pour un truc pas viable, ce n’est pas si mal… » 6 22 Soleil cherche futur « Je me trouve bien dans l’illégalité. Même si c’est usant. Mais je ne crois plus à la démarche de la demande de quoi que ce soit auprès d’une instance officielle. L’illégalité ne nous empêche pas de fonctionner et de faire des choses 1 — Noëlle Tartier, entretien cité. alors… » 1 Tout en tenant ce discours résigné Noëlle Tartier propose malgré tout un certain nombre de pistes « pour que les chanteurs puissent bénéficier du régime des intermittents du spectacle, pour qu’ils puissent vivre de leur métier, pour que les lieux puissent vivre. » Un soir de fête de la musique Catherine Trautmann a inauguré son nouveau portefeuille de ministre de la culture avec une visite officielle au Limonaire — à la demande de son cabinet une table lui avait été réservée — où se produisaient Allain Leprest et ses invités. L’histoire ne raconte pas si madame la ministre a mis sa contribution dans le chapeau à la fin de la soirée. C’est de notoriété publique. Dans nombre de cafés comme le Limonaire les musiciens passent le chapeau à l’issue du concert. Rappelons que le chapeau est au regard de la loi une forme de travail au noir. Rappelons aussi que les droits d’auteurs ne sont pas versés. La puissance publique, comme la SACEM, se montrent fort rarement enclines au laxisme débridé que l’on constate ici. On peut s’interroger sur les raisons de cette tolérance ou de cette hypocrisie manifeste. Peut-on risquer l’assertion que cette tolérance du chapeau arrange bien les différents acteurs du monde culturel ? Cette zone de dérégulation est aussi une zone de liberté d’expression pour des esthétiques qui ont le double défaut d’être jugées non rentables par les industries culturelles et de ne pas entrer non plus dans les critères de sélection des institutions culturelles. Elle permet à des artistes de faire leur apprentissage. C’est une école gratuite pour la collectivité qui ne finance pas le coût de la formation. C’est aussi une scène gratuite pour la collectivité qui ne finance le coût d’une activité artisanale qui ne peut être rentabilisée. C’est un vivier nécessaire au renouvellement artistique tant des industries culturelles que des producteurs privés de spectacles et même des institutions culturelles. Privés de cette zone de tolérance qui n’occasionne pas de débours à la collectivité — bien qu’elle ait un coût par le non-paiement des charges sociales notamment — des artistes et des militants d’associations bénévoles pourraient remettre en cause le modus vivendi. L’espoir des artistes de se sortir individuellement d’une impasse peut acheter le silence et la passivité. Tolérer le chapeau élimine peut-être la discussion, les questions embarrassantes, la contestation de l’ordre des choses. 23 Soleil cherche futur L’ AMATEUR D E M U S I Q U E PA RT I E L L E M E N T D A N S L A L É G A L I T É L’influence des cabarets est funeste, s’indignaient les gens sensés. Ces lieux rendent l’épargne impossible. Ils détruisent les ménages; ils rongent l’intelligence. L’étudiant y perd ses forces et ses facultés, l’ouvrier le goût du travail, les enfants le respect de leur père. Eugène Sue, Les Mystères de Paris, cité par Louis Nucéra in Les contes du Lapin Agile . Le Loup du Faubourg, aujourd’hui fermé, est un bon exemple des bistrots qui fonctionnent dans la légalité. Une légalité qui reste, on le verra, sujette à quelques observations. Et un fonctionnement qui ne conduit pas moins à une impasse. « On voulait faire un cabaret, non seulement héritier de la rive gauche, mais aussi des cabarets de 1830 ou 1848 où l’art n’était pas coupé de la réalité, où l’art était vraiment en prise avec la réalité. Delacroix a peint de choses magnifiques en fréquentant des cabarets. On a envie de voir les gens réagir, d’être à côté du monde, de ne pas être coupé, d’être avec, d’être en religion dans le sens de ce qui relie, de ce qui lie les gens. J’aimais bien les endroits où l’on pouvait à la fois manger, boire et voir. C’est pour cela qu’on y a fait de la poésie, du polar et de la chanson. Des choses immédiates qui nous paraissaient importantes. On a fait un spectacle sur Arthur Rimbaud. Quelqu’un a dit : Rimbaud dans l’odeur des frites, c’est affreux. Le jour où cette bonne femme m’a dit cela, je savais que j’avais gagné. Parce que c’est bien, c’est ce que je voulais, ne pas couper l’art de la vie. Sinon on fait de la « culture » dans des « maisons ». C’est trop consensuel. Les gens ont envie de se parler. On le voit dans les petits lieux, comme chez nous, ils se parlaient tout le temps. Il y en a même qui se sont mariés ! C’est bien que les gens se parlent, la fonction de l’art c’est ça aussi, 1 — Marie-Pierre de Porta, co-responsable du Loup du faubourg, entretien du 7 février 2002. Sauf indication contraire toutes les citations de ce chapitr e proviennent de cet entretien. c’est une communication immédiate. » 1 « Notre ligne artistique est simple : on a toujours fait ce qu’on aimait, on n’a jamais fait ce qu’il fallait faire. On aimait la chanson française alors on en a fait. La chanson — la chanson qui veut dire quelque chose — comme la poésie ou la littérature, est un témoin immédiat de la vie. J’aimais la littérature policière alors j’en ai fait lire. J’aimais la poésie alors j’en ai fait lire. » Marie-Pierre de Porta parle de « raffinement dans le complot artistique. » 24 Soleil cherche futur Le dilemme de la gestion du Loup du faubourg est vite résumé. « Les recettes venaient du prix d’entrée mais aussi de la vente de limonade parce c’est aussi ça qui fait vivre. Avec cinquante-cinq personnes dans la salle on faisait assez d’entrées pour bien payer les artistes mais on ne pouvait pas servir de limonade parce qu’il y avait trop de monde dans la salle. Mais avec trente personnes on n’avait pas assez d’entrées et par conséquent on ne servait pas assez de limonade. C’est très difficile à gérer. » « Le cabaret, ouvert en 1996, a bien marché très vite. Nous avons eu plus de trente mille spectateurs pour une salle d’une cinquantaine de places et un peu plus de quatre années d’activité. On a arrêté pour une question de fatigue. C’était beaucoup de travail même si on y prenait un plaisir fou. » « On tombe dans des aberrations totales. Tout le monde sait ce qui est mal mais personne ne sait ce qui est bien. On cherche tous. Mais en attendant il faut bien que les chanteurs chantent. Et que le public puisse les écouter. Donc il y a des petits lieux. Qui ont des procès parce qu’ils ne payent pas ceci ou parce qu’ils ne font pas cela… Nous y avons échappé, parce que nous avons tout fait dans les règles, parce que nous étions un peu peureux mais j’admire les résistants comme le Limonaire. » Feu le Loup du Faubourg émettait une billetterie, pratiquait le partage de la recette avec la structure juridique de l’artiste accueilli et acquittait les droits d’auteur à la SACEM, tant sur la billetterie que sur les boissons. Tout est légal. Ou presque. En effet le partage de la recette ne permet pas toujours de couvrir le montant des cachets au barème minimum conventionnel. Surtout si le nombre de musiciens est important et la recette modeste. Et l’on doit garder à l’esprit que lorsque le producteur d’un spectacle — compagnie ou autre structure juridique — ne peut acquitter les salaires et charges sociales, le droit du travail permet de se retourner vers l’organisateur du spectacle pour suppléer à cette carence. Nous verrons plus loin dans ces pages que « l’oubli » de ce léger détail, qui engage pourtant les organisateurs, n’est pas chose si rare. Toujours au chapitre des impasses nous devons insister sur la masse du travail abattu par deux personnes qui ont mené une vie de bénédictin pendant plus de quatre années. Bien que l’affaire soit financièrement saine Marie-Pierre de Porta et Catherine Atlani ont jeté l’éponge. Elles travaillaient à deux — ce qui explique l’équilibre de leur comptabilité — quand leur part de travail au cabaret aurait peut-être nécessité cinq personnes à temps plein. 25 Soleil cherche futur Marie-Pierre de Porta ne garde pourtant aucune amertume de l’épisode cabaret. Si Le Loup du faubourg a délaissé le cabaret les activités de production de disques et d’édition perdurent. Elles avaient été lancées très rapidement après l’ouverture du cabaret. Marie-Pierre de Porta fait un certain nombre de suggestions pour améliorer la vie des petites scènes. Mais, comme chez presque tous mes interlocuteurs, ses propositions restent bien modestes et bien timides. Très en deçà de ce que demanderaient les tenants d’autres disciplines mieux loties. C’est pourtant elle qui regrette : « Comme si, dans la chanson, on était toujours périphérique à autre chose. » 26 Soleil cherche futur « LE S FOUS DE CHANSON » Depuis quelques années des associations de bénévoles de plus en plus nombreuses fleurissent dans le domaine de la chanson. Certaines de ces associations qui organisent des concerts sont finalement assez proches par certains traits des bistrots d’amateurs de chanson des pages précédentes. On les a classées, assez arbitrairement, à côté des bistrots parce que certaines trouvent l’hospitalité dans des cafés ou de restaurants, parce qu’elles ne sont pas ou très maigrement subventionnées, parce qu’elles agissent parfois dans une légalité relative qui appelle quelques remarques, parce que nombre de celles qui travaillent aujourd’hui dans une légalité parfaite ont débuté dans l’illégalité complète. Créé en 1994, le Pavillon — la partie de l’oreille externe — est une association de « fous de chanson » comme ils aiment eux-mêmes à se définir. Le Pavillon organise chaque mois des concerts dans les restaurants le Picardie — « la tanière de la bande à Leprest » selon Je chante ! — à Ivry sur Seine et les Jonquilles 1 — La matière de ce chapitre provient de la fréquentation des soirées du Picardie, de Chante !, bulletin bimestriel du Pavillon et d’un entretien avec Christian Landrain, président du Pavillon, le 27 mars 2002. à Champigny sur Marne. Les soirées comprennent un repas suivi d’un récital en deux parties. 1 Le Pavillon fonctionne essentiellement comme un cercle d’amis où les repas sont l’occasion de se retrouver. Si l’association fait un peu de publicité, (des tracts, un bulletin A4 recto verso bimestriel de belle tenue tant pour la forme que pour le fond et quelques affiches), c’est une forme de cooptation, le fruit des relations personnelles ou le bouche à oreille qui est une part notable du recrutement des spectateurs. L’association compte plus d’adhérents que les restaurants ne peuvent accueillir de convives. Le succès des associations comme le Pavillon vient en partie de l’aspect chaleureux apporté par ces grandes tablées où l’on se parle même si l’on ne se connaissait pas avant de franchir la porte. Le Pavillon émet une billetterie en bonne et due forme et acquitte les droits d’auteurs à la SACEM. Les droits versés à la SACEM sont calculés sur la billetterie mais aussi sur les repas. Notons au passage une curiosité. Le Pavillon acquitte les droits d’auteur sur le prix des repas alors qu’il ne perçoit pas le moindre centime sur ces repas. L’association à but non lucratif devrait en toute logique ponctionner une marge — lucrative ?… — sur les repas pour couvrir au moins les droits SACEM. Ou faire payer ces droits d’auteurs à des restaurateurs amis qui proposent les soirs de spectacle un repas à neuf euros cinquante. Repas dont l’observateur le plus myope remarquera qu’ils sont généralement propo- 27 Soleil cherche futur sés par leurs concur rents à un prix variant entre quinze et vingt euros. On peut faire une deuxième observation. Les repas ne sont pas une opération commerciale destinée à dégager un profit mais sont très clairement un moyen utilisé pour attirer et fidéliser un public. Les formes traditionnelles de publicité — tracts ou affiches — ou les formes usuelles d’action culturelles — rencontre d’un artiste — ne donnent pas lieu à rémunération des auteurs (« droits SACEM »). Il y aurait là matière à un débat sans doute agité : les repas organisés par le Pavillon, une méthode d’action culturelle qui montre son efficacité, doivent-ils faire l’objet d’une rémunération des auteurs comme s’il s’agissait d’une activité commerciale utilisant la musique à des fins lucratives ? Le Pavillon achète les spectacles avec un contrat de cession aux structures juridiques des artistes. Le prix de cession de la première partie est de 600 F. Le prix de cession de la seconde partie est de 2 500 F pour les artistes vivant en région parisienne et de 3 000 F pour les artistes venant d’ailleurs. Il n’y a pas de défraiement en sus pour le transport ou l’hébergement mais les artistes prennent leur repas au restaurant et sont élogieux sur l’accueil reçu. On remarquera tout d’abord que le prix de cession de la première partie ne permettrait pas de couvrir le cachet d’un seul salarié. Alors que l’on devrait toujours assurer un salaire aux artistes dès lors que le public acquitte un prix d’entrée. On doit tout de même préciser, bien que cela ne lève pas les obstacles juridiques, que les invités de cette première partie sont toujours des débutants dont on peut supposer qu’ils n’ont pas encore de statut professionnel. Conscients de la modestie de la rétribution donnée, les gens du Pavillon n’en n’accordent pas moins une grande importance aux premières parties qui permettent à des artistes de faire leurs premières armes. On remarquera ensuite que le prix de cession de la deuxième partie permet de payer deux à trois cachets au tarif conventionnel. Lorsque le plateau est constitué d’un nombre de musiciens plus important nous retrouvons le problème déjà évoqué à propos du Loup du faubourg. La petite scène, en légère surélévation, est équipée d’un bon piano droit. L’installation lumière permet un éclairage correct mais vraiment spartiate en regard de celui des forêts de projecteurs qui ornent aujourd’hui le ciel des théâtres. La sonorisation, en revanche, est irréprochable. Un ami technicien du son assure un travail de grande qualité avec une remarquable finesse de la balance entre les voix et les instruments. Toutes choses que l’on aimerait 28 Soleil cherche futur entendre plus souvent dans des salles qui disposent de moyens financiers d’une tout autre importance mais sont tyrannisées par des sonorisateurs qui confondent qualité de son et nombre de décibels. L’association est propriétaire du piano comme de la sonorisation et de l’éclairage. Tout a été acquis petit à petit pour garantir une certaine autonomie. Au Pavillon tout le monde, y compris les adhérents aussi actifs que le président, paie l’entrée aux concerts. Le point mort financier d’un spectacle est de quatrevingts entrées quand le restaurant ne peut — raisonnablement — accueillir que quatre-vingt-dix personnes. Il arrive que l’on dépasse parfois ce nombre. Ce qui veut dire que, même avec un bénévolat important, on ne peut se permettre de commettre des erreurs de gestion. Un petit bas de laine accumulé au fil des années permettrait néanmoins de faire face à un imprévu. Il permet aussi des opérations ponctuelles gratuites — comme lors de la fête de la musique — et l’organisation de soirées de soutien à des artistes en difficulté. La municipalité d’Ivry sur Seine verse une subvention de 10 000 F par an depuis l’année 2001. Le département verse une aide de 4 000 F pour quatre premières parties, somme rétrocédée en totalité à quatre « heureux » qui reçoivent un prix de cession supérieur à celui habituellement pratiqué. Après le spectacle les artistes vendent leurs disques. Les ventes sont loin d’être négligeables. Le Pavillon tient également un dépôt-vente, toujours sans prendre de marge bénéficiaire, des disques des artistes qui ont donné un concert dans le passé. Si, au départ, c’était le Pavillon qui sollicitait les chanteurs, maintenant ce sont les chanteurs qui demandent à être programmés par le Pavillon. Chaque mois un comité d’écoute examine la quinzaine d’offres reçues. Mais la liste d’attente est maintenant si longue qu’il s’écoule deux années entre une décision de principe et le passage sur la scène. Ici on répond à tout le monde. Quitte à aiguiller les groupes de chanson à couleur rock, qui ne peuvent être accueillis en raison de l’exiguïté de la scène et de l’absence d’insonorisation, vers des salles mieux adaptées. L’association ajoute à l’organisation de spectacles : un atelier d’écriture, un atelier guitare et une goguette chaque semaine, une chorale (Le grand chœur du Picardie) et diverses autres activités liées à la chanson. 29 Soleil cherche futur L ES A S S O C I AT I O N S D E B É N É V O L E S En raison de son ancienneté, de sa capacité à équilibrer durablement ses finances, de sa capacité à maintenir depuis longtemps une activité bénévole, 1 — Lors de notre entr etien Christian Landrain s’est livré à une rapide « leçon » de marketing culturel à l’usage des associations tout à fait remarquable. de son savoir-faire pour remplir une salle, 1 le Pavillon est aujourd’hui fré- quemment sollicité pour jouer un rôle d’expertise — bénévole — auprès d’associations, débutantes ou en proie à quelque difficulté, dispersées un peu partout en France. Certaines, telles Di dou da à Arras ou le Pavillon de Chalons, sont même directement issues du Pavillon d’Ivry. C’est une caractéristique remarquable du monde de la chanson. Après une longue période de repli les associations renaissent depuis quelques années. 2 — cf. Chorus, Je chante ! et les nombreuses petites publications plus ou moins régulières de ces associations. 3 — Christian Landrain, entretien cité. Elles se présentent clairement 2 comme des initiatives de citoyens insatisfaits de l’insuffisance ou de l’absence d’offre de chanson. « Il y a une frustration du public qui n’a plus la possibilité d’écouter de la chanson et ne trouve pas son compte dans ce qui est programmé [par les institutions]. » 3 On entend souvent un discours appelant de ses vœux un public actif, dynamique, autonome. Un public qui n’adopte pas un comportement de consommateur avalant tout ce qu’on lui propose. Un public qui pense, réfléchit, analyse, qui a un jugement critique sans complaisance. La démarche de ces associations devrait satisfaire les plus exigeants des acteurs culturels. À ceci près que l’on souhaite voir ce jugement critique éclairé s’appliquer à la télévision mais peut-être pas à la programmation de l’établissement que l’on dirige… Nous avons là des citoyens qui prennent eux-mêmes en charge le développement culturel, qui deviennent les propres acteurs de leur culture. En d’autres temps on aurait parlé d’autogestion. Ces nombreuses initiatives de bénévoles mériteraient une étude de fond. Hormis en région parisienne, un peu à la traîne de ce mouvement selon Christine Hudin, bien que le Pavillon soit un exemple « historique » et que l’on y trouve quelques autres associations très dynamiques, ce tissu de nouvelles associations est très important. Elles représentent même pour certains artistes une part non négligeable de l’activité. Pour nombre de « petits chanteurs » c’est un chemin presque unique pour être vus du public. Et, même pour des chanteurs à la notoriété plus établie, les associations constituent un vivier qui 4 — Producteur régulier de cinq chanteurs dont Serge Utgé-Royo et Marie-José Vilar. n’est pas négligeable. Ainsi Christine Hudin 4 les place-t-elle en premier dans la typologie de sa clientèle, devant le circuit des MJC, Maisons pour tous ou centres culturels de quartier, et très loin devant les théâtres ayant pignon sur rue. Et de saluer l’une de ces associations, Chant’Essonne, pour la qualité de 30 Soleil cherche futur son activité : « des bénévoles qui travaillent comme des professionnels. » Beaucoup de ces associations, même lorsqu’elles font le choix de travailler dans une légalité irréprochable et de demander des aides auprès des collectivités publiques et des sociétés civiles, restent dans une très grande précarité. Chant’Essonne, qui fonctionne d’une façon assez proche de celle du Pavillon et reçoit des subventions, paie des cachets déclarés à tous les musiciens. La nonreconduction de la petite subvention de la DRAC en 2000 a bien failli sonner le glas de Chant’Essonne. « Les chanteurs ont chanté gratuitement pour soutenir l’association. Alors que Chant’Essonne demande des subventions pour pouvoir payer des cachets déclarés aux artistes ! » Christian Landrain se fait là le portevoix de nombre de militants de ces associations, un peu méfiants à l’égard d’un système de subventions qu’ils ne maîtrisent pas toujours très bien, désemparés par un ensemble de codes et une phraséologie de l’institution culturelle qui leur semblent souvent byzantins, échaudés par des réductions drastiques ou des suppressions d’aides — dont les motifs sont restés obscurs aux yeux de ces militants associatifs — qui ont coûté la vie à nombre d’initiatives qui auraient mérité de perdurer. 31 Soleil cherche futur A ILLEURS, « LE CAFÉ DÉBRANCHÉ » Où ai-je lu que Dante était un petit rondouillard, que Shakespeare n’a jamais existé, que Mozart pétait et rotait sans retenue, que Cythère est une île pelée, que le Rubicon n’a qu’un filet d’eau, que Troie était une bourgade sans importance ? Eh bien, tant pis! Le Lapin Agile n’est qu’une petite baraque, une boîte à musique et à mélancolie comme à l’écart du monde, mais sur quel piédestal ses amoureux le placent! C’est le pouvoir des mythes. Louis Nucéra 1 — Les contes du lapin Agile, Cherche-Midi Éditeur, 2001, page210. 1 Le lecteur attentif se souvient qu’on a classé les cafés diffusant de la musique en quatre groupes. Et que le quatrième groupe est constitué de ceux qui sont dans la légalité, payent des salaires déclarés avec les charges sociales afférentes et tout le saint-frusquin. Ce quatrième groupe se compose d’un unique lieu héroïque qui est feu le café Ailleurs mort au champ d’honneur. Quand on enquête sur les petits lieux de chanson à Paris, tous les interlocuteurs — ce n’est pas une figure de style, vraiment tous les interlocuteurs — parlent spontanément d’Ailleurs. Pour saluer le travail de l’équipe de Boris. Pour regretter 2 — Surnom donné au café par l’équipe d’Ailleurs. la disparition d’une entreprise comme exemplaire. « Le café débranché » 2 considérée unanimement était l’unique café à payer des cachets déclarés à tous les chanteurs et musiciens qui étaient programmés, faisait scrupuleusement ses déclarations pour la SACEM comme pour la collecte de la taxe parafiscale. C’était l’unique café programmant de la musique à être en conformité totale avec la législation et le droit du travail. De plus, d’un 3 — François Chesnais, directeur de l’action culturelle de l’ADAMI, entretien du 26avril 2002. point de vue artistique, « Ailleurs était très important pour la jeune création. » 3 Nombre de jeunes talents ont fait leurs premières armes à Ailleurs. Un travail de découverte reconnu par les pairs puisque les Francofolies, parmi d’autres festivals et institutions de renom, ont donné des cartes blanches à Ailleurs. Hélas Boris, le créateur du café débranché, apporte une note discordante au concert. « On a buté sur un manque de reconnaissance 4 — Sauf indication contraire toutes les citations de ce chapitre proviennent d’un entretien avec Boris Bourdet en date du 10 avril 2002.entretien cité. RÉELLE de l’in- térêt d’un lieu comme Ailleurs. On reconnaît, APRÈS, que c’était bien… » 4 « Au départ on a voulu faire simple. Un bar avec des spectacles. Puis, en discutant, on a pris conscience des problèmes des artistes et on a commencé à changer en entrant dans un cadre plus professionnel, plus officiel et on a voulu voir si un petit lieu pouvait fonctionner dans la légalité. On a essayé de trouver des solutions pour rémunérer les artistes. On a mis en place une billetterie. » Si Ailleurs est devenu un café au légalisme rigoureux Boris ne cherche pas à 32 Soleil cherche futur cacher les libertés prises. Il n’hésite pas à dire que pourtant « nous étions parfois malgré tout hors la loi. Comment refuser l’entrée au directeur de Sony qui arrive alors que la salle est déjà trop pleine ? Comment faire quand la salle est pleine et qu’il y a tout un groupe dans la rue qui souhaite entrer ? Il nous est arrivé de péter la jauge autorisée. Pour éviter le bruit dans la rue source de conflits avec le voisinage. » Quand on parle d’Ailleurs, Boris est intarissable. « Il a fallu créer une double structure, commerciale pour le bar restaurant, et associative pour rémunérer les artistes. C’était le montage proposé par le ministère de la culture aux cafés musique. C’est l’une des très graves erreurs du ministère d’avoir poussé à faire ce montage. Les gens du ministère, pas plus que nous, n’avaient conscience des conséquences : au lieu de gérer une seule structure, on en gère deux. Mais avec le même personnel et les mêmes moyens. Un casse-tête et une lourdeur de gestion. Un surcroît de travail phénoménal. Et une bidouille de la rue de Valois qui n’a pas été conçue en concertation avec Bercy. Il y a un manque de clarté légale avec des difficultés aux yeux des impôts. Deux structures travaillent ensemble, l’une est censée générer des bénéfices et par voie de conséquence de l’IS, impôt sur les sociétés, tandis que l’autre, est censée faire l’inverse, ne pas faire de bénéfices et être financièrement désintéressée. Quand, sous un même toit, on a une structure commerciale et une structure associative, avec des liens étroits, dans le même but social et culturel, les gens du fisc trouvent qu’il y a une ambiguïté très forte et que ça sent mauvais. Et ils épluchent… Pourquoi l’association paie ceci ou cela et pas la société ? Nombreuses heures d’explication en perspective. La nouvelle loi sur les associations apporte certes une transparence mais, pour ces doubles structures, alourdit encore la gestion de l’association et nécessite un comptable et un expert-comptable. Le ministère et la DRAC nous présentaient ce montage comme une obligation en disant qu’on ne peut donner des subventions qu’à des structures associatives ou publiques. Depuis on a découvert que c’est faux et que, par exemple, des centres dramatiques nationaux subventionnés ont un statut de S.A.R.L et sont des entreprises commerciales [au regard de la loi]. On a malgré tout gardé la 1 — Boris Bordet, entretien cité. double structure jusqu’au bout. » 1 Le regret essentiel de Boris est le travail supplémentaire occasionné par la double structure juridique. Ce qui, dans le cas d’Ailleurs, signifiait un contingent d’heures supplémentaires pour les membres de la petite équipe qui travaillait déjà beaucoup trop. « L’activité commerciale (bar et restauration) n’a jamais été bénéficiaire. Elle a toujours stagné. Ailleurs se donnait pour obligations : un service très rapide, pas de service pendant le spectacle. Il y avait des gens qui venaient à 19 heures 33 Soleil cherche futur et repartaient à minuit en ayant consommé un café. On n’a jamais râlé. On ne poussait pas à la consommation, parce qu’on n’avait pas le temps, parce qu’on n’avait pas le goût à cela, parce que ce qui nous intéressait c’était avant tout le spectacle et qu’on voulait être considéré d’abord comme un lieu de spectacle. Avec tout cela on était identifié non comme un bar restaurant mais comme une salle de spectacle dans laquelle on pouvait boire un coup. Or un bar restaurant vit parce qu’il sert des repas le midi et le soir, parce que le matin et l’après midi les gens peuvent venir y boire. Identifié comme une salle de spectacle on n’y vient que pour le spectacle. De ce fait l’activité commerciale n’avait lieu qu’avant et après le spectacle c’est-à-dire au plus quatre heures par jour pour les meilleures soirées. Tu m’expliqueras comment rentabiliser un bar avec 1 — Boris Bourdet, entretien cité. quatre heures de vente quotidienne… » 1 « Chez nous il y avait aussi la volonté d’avoir des prix abordables. On n’a pas fait de dîner-spectacle au champagne. Ce qui nous aurait permis de rentabiliser l’activité de la société tout en finançant les spectacles mais aurait sélectionné une clientèle aisée et nous aurait coupés de tout le public des couches popu- 2 — Boris Bordet, idem. laires. » 2 « Et avec tout cela tu prends dans la gueule que tu es un bar qui profite des artistes pour faire ton beurre alors que tu as 800 000 F de dettes, alors que tu ne peux payer que le SMIC aux salariés — selon les périodes cela allait de un salaire et demi à trois salaires — alors que tous les autres bossent bénévolement en émargeant éventuellement aux ASSEDIC, ce qui est interdit, alors que 3 — Boris Bordet, ibidem. tu te payes 3 000 F par mois les mois où il y a de l’argent. Ça énerve… » 3 « Tout notre travail de développement du lieu est allé vers le spectacle : avoir une programmation travaillée, réfléchie, s’occuper du démarrage de carrière de beaucoup d’artistes. Nous voulions faire d’Ailleurs un lieu de découverte pour amener des gens, qui n’en ont pas forcément l’habitude, vers la chanson et les jeunes artistes. » Les prophètes — professionnels et autres spécialistes — prédisaient volontiers que personne ne voudrait acquitter un billet d’entrée pour un spectacle dans un bar. La faillite du café déserté était proche. « L’entrée payante, contrairement à toutes les prédictions, est ce qui a le mieux marché à Ailleurs. Infiniment mieux que le bar. Les problèmes financiers d’Ailleurs sont venus d’une méconnaissance et d’une mauvaise appréhension des problèmes. La société a accumulé trop de dettes. Il nous a fallu du temps pour réaliser d’où venaient les déséquilibres. Pour voir que l’activité culturelle, censée perdre de l’argent, était 34 Soleil cherche futur équilibrée — en partie grâce aux aides et aux spectacles de soutien. Mais que par contre, la société, censée faire des bénéfices, plongeait tous les ans. Nous aurions dû faire un montage inverse avec une activité de bar-restauration accessoire. L’activité principale étant le spectacle. On le savait puisque, ce que nous voulions, c’était faire une salle de spectacle et non un bistrot, mais on a pris conscience trop tard de notre erreur de stratégie quant à la gestion. À la fin l’association, plus solide que la société, prenait en charge des frais pour soulager la société. Ce n’était pas un détournement de fonds. Les factures d’électricité, par exemple, étaient salées mais nos quatre kilowatts de projecteurs au plafond pour éclairer les spectacles tiraient salement sur le compteur. C’est l’as1 — Boris Bordet, entretien cité. sociation qui nous a sauvés du dépôt de bilan. » 1 « Le chiffre d’affaires de la société était de 700 à 800 000 F, le chiffre d’affaires de l’association était de 600 à 700 000 F dont plus de 400 000 F de billetterie avec un billet à 30 F. Ce qui est énorme ! Le prix du billet était au choix de 30 F, 50 F ou 80 F. Nous sommes partis d’une moyenne de 37 F pour aller à une moyenne de 47 F le billet. » Ce qui prouve que le spectateur lambda peut être 2 — Boris Bordet, idem. bien conscient de certaines réalités. 2 L’ouverture a nécessité 800 000 F de travaux. Les travaux ont été réalisés par les porteurs du projet et leur entourage très largement bénévole. Quatre personnes travaillaient à temps complet mais trois seulement étaient rémunérées au SMIC, Boris ne se payant (3 000 F par mois) que s’il restait de l’argent. Cinq bénévoles réguliers, plus un réseau énorme d’irréguliers ou d’occasionnels. Le travail bénévole équivalait à trois personnes à temps plein. Il concernait la technique et la caisse chaque soir, les travaux tant pour la création du café que pour la maintenance, la plonge, une aide à la gestion et la comptabilité, la PAO et une myriade d’aides ponctuelles. Boris souligne ici encore les difficultés d’un montage juridique. Comment apporter de l’argent personnel en compte courant dans une association ? D’un autre côté la masse considérable de travail des bénévoles pour Ailleurs ne peut être mise au profit d’une société à but lucratif. 3 — Cette société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes a pris son essor avec la loi de 1985 sur les droits voisins en faveur des interprètes. Lorsqu’Ailleurs a décidé de mettre en place une billetterie et de payer des cachets aux artistes l’ADAMI 3 a été la première institution à aider. Elle a versé une première subvention de 40 000 F pour une opération de deux mois. Les aides de l’ADAMI ont ensuite augmenté au motif qu’Ailleurs était à Paris la seule petite salle payant les artistes en cachets déclarés. 35 Soleil cherche futur Les subventions de la DRAC 1 étaient beaucoup plus difficiles à obtenir. « Nous 1 — Direction Régionale des Affaires culturelles, issue de la déconcentration du ministère de la culture. avons eu une subvention de 25 000 F par an pour 330 spectacles par an. 2 Il a 2 — Ce qui fait une aide de 75,75 F par spectacle. la fin de faire d’abord nos preuves pour envisager plus tard… » Il n’y avait pas été impossible d’obtenir une aide pluriannuelle. On nous demandait encore à de volonté politique de la DRAC d’aider Ailleurs. Boris Bourdet ressentait un conflit latent entre la DRAC Île de France et le ministère de la culture qui regardait l’activité du « café débranché » d’un œil très favorable. D’autre part l’aide à l’équipement proposée par la DRAC n’a été que très partiellement utilisée parce qu’elle était inadaptée. 3 — Devenu le Centr e national des variétés le 1 er octobre 2002 le Fonds de soutien est essentielle ment financé par la taxe parafiscale sur les spectacles musicaux. Les producteurs munis d’une licence y disposent d’un droit de tirage proportionnel à leur taxe versée. Le Fonds dispose d’un certain nombre de programmes d’aide à la production. Ce qui permet de monter des opérations à risque ou dépassant les capacités financières des producteurs. Le Fonds de soutien 3 a apporté une aide en nature en finançant la promotion du café. Ailleurs n’aurait jamais pu se payer une campagne d’affichage dans le métro, même au tarif bonifié par le Fonds de soutien. Ailleurs a obtenu une fois une aide de la SACEM « parce que la pression était devenue très forte. On était au bord du scandale. Pourquoi la SACEM n’aide-t-elle pas Ailleurs alors que ce sont eux qui font le plus gros travail de découverte de chanson aujourd’hui à Paris ? Ailleurs a involontairement été le révélateur d’un clivage profond entre les sociétaires et l’administration de la SACEM. » L’aide reçue était du même montant que la somme des droits à payer en souffrance. Il y a eu un simple échange de chèques. Les relations entre la SACEM et Ailleurs étaient difficiles. « Nous n’avons jamais pu négocier un taux de droits plus faible. Nous étions, parmi tout le réseau 4 — Association de petites salles — cafés ou associa tions organisant des concerts dans des cafés — qui a négocié avec le minis tère pour trouver des solu tions en vue de légaliser leurs activités musicales. Zinc’Arts, 4 le lieu qui payait le taux le plus élevé. Les taux, différents pour chaque salle, variaient du simple au double malgré le discours officiel disant que tout le monde paie la même chose. Selon les termes d’un administrateur de cette société civile nous avions un contrat SACEM inadapté à notre activi té. Que nous n’avons jamais pu renégocier. Et pourtant nous avons toujours défendu le principe même de la SACEM et du droit d’auteur face à de jeunes 5 — Boris Bourdet, suite de l’entretien cité. artistes qui n’en voient pas toujours l’intérêt. » 5 « Nous aurions pu frapper à la porte de l’Europe, de la région, du département, etc. Mais rechercher des subventions était pour nous un problème de temps, on était peu nombreux, il fallait s’occuper du lieu avec un spectacle tous les soirs. » 6 — Le code de la propriété intellectuelle a instauré, parmi les droits voisins du droit d’auteur, un droit de suite qui est un pourcentage perçu par un artiste plasticien sur la plus value réalisée à l’occasion de la revente de son œuvre. Dans le cas présent le droit de suite serait institué par un contrat. « Pour équilibrer les comptes on peut être éditeur, tourneur, coproducteur en prenant des points sur la carrière future de l’artiste. Il y a plein de moyens qui auraient pu remplacer ou conforter les aides reçues. Le droit de suite 6 apporte de l’argent, c’est un retour sur investissement, mais c’est aussi une reconnaissance de notre travail. Nous y avons songé, nous avons même fait des calculs qui montraient que l’on pouvait à terme financer la salle avec le droit de 36 Soleil cherche futur suite comme unique complément de la billetterie. Nous avons arrêté avant de mettre cela en place. C’est le manque de personnel qui ne nous a pas permis d’aller plus loin, tant pour la recherche de financement que pour la mise en 1 — Boris Bourdet, entretien cité. place d’un droit de suite. Il y a eu un phénomène d’usure. » 1 Ailleurs, branché sur le secteur en mars 1993 pour un projet né début 1992, est définitivement débranché depuis le 13 juillet 2001. Le fonds de commerce a été vendu 450 000 F. À cette date il restait 450 000 F de dettes. Boris a pu rembourser les prêts consentis par sa famille et son entourage. La plus importante raison de l’arrêt du « café débranché » est cette usure d’une équipe qui travaillait durant un nombre d’heures trop important pour qu’un tel fonctionnement puisse perdurer. L’exemple d’Ailleurs vient confirmer les raisons de l’échec assez général des cafés-musique. On aurait pu penser que la formule consistant à unir sous le même toit une activité de bar et restauration à une activité de spectacle allait permettre d’assurer plus facilement la pérennité d’un établissement. C’était oublier que le bar d’un théâtre municipal apporte certes un peu de convivialité mais ne génère pas un chiffre d’affaires permettant de payer le plus clair du personnel du théâtre. Y compris dans le cas où il serait ouvert toute la journée. Dans une salle de spectacle on vient pour le spectacle mais pas pour boire un verre… même si l’on y boit un verre. 37 Soleil cherche futur L E 98-1143, UN CALIBRE QUI TUE OU LES INCIDENCES DU DÉCRET BRUIT Le décret N° 98-1143 du 15 décembre 1998 a des incidences fâcheuses sur la vie des petites scènes. Connu chez les professionnels sous le nom de « décret 1 — Cf. par exemple www. bruit » irma. asso. fr. blissements ou locaux recevant du public et diffusant à titre habituel de la 1 il n’est en réalité que « relatif aux prescriptions applicables aux éta- musique amplifiée, à l’exclusion des salles dont l’activité est réservée à l’enseignement de la musique et de la danse. » Ce décret souhaite assurer la bonne santé des oreilles des spectateurs en limitant le niveau moyen de pression acoustique à 105 dB et le niveau de crête à 120 dB. (Article 2). Et souhaite assurer un environnement vivable au voisinage en limitant l’émergence hors des locaux à 3 dB. (Article 3). L’application, même lato sensu, de ce décret semble ne relever que de la salubrité publique et ne prête pas à discussion. L’association AGISON, AGIr pour une bonne gestion SONore, va d’ailleurs bien 2 — Texte de la charte et liste des administrateurs d’AGISON disponibles à www. irma. asso. fr. au-delà du décret dans sa charte. 2 Mais, si l’on ne discute pas son bien-fondé, l’isolation phonique est coûteuse. La seule isolation phonique d’Ailleurs a coûté 350 000 F en 1993. Alors que tous les travaux ont été réalisés par les porteurs du projet. Réalisée par une entreprise spécialisée cette isolation se serait montée à environ un million de francs. Il est vrai qu’il s’agissait là d’une isolation irréprochable. Comment un bistrot musical, dont on a vu combien l’économie est précaire, et même dans le cas où il parviendrait à obtenir une subvention d’équipement qui couvre cinquante pour cent du débours, peut-il financer une telle somme ? On voit que « les petits lieux sont beaucoup plus exposés au décret bruit 3 — Boris Bourdet, Ailleurs, entretien du 10 avril 2002. comme aux normes de sécurité, et c’est beaucoup plus dur, plus violent. » 3 C’est humain : il est plus aisé à un policier de faire preuve de sévérité face à un petit bistrotier que face au directeur du théâtre municipal. Le plus ennuyeux est que ce décret, dont aucun citoyen ou policier lambda ne connaît la teneur, devient « la loi bruit » et est trop souvent « utilisé » en dépit du bon sens. Et que la maréchaussée, à la suite d’une plainte d’un voisin grincheux, va tancer vertement notre bistrotier ou notre directeur de petit théâtre — qui n’y peuvent mais — pour des portières de voitures qui claquent ou pour des conversations trop bruyantes sur un trottoir. C’est ainsi qu’Ailleurs a fait l’objet d’une plainte de cette nature un 22 août. Pendant sa fermeture pour congés annuels ! 38 Soleil cherche futur En septembre et octobre 2002 le site Internet du Centre de la chanson nous informe de la suspension de la programmation de Les uns les autres, Chez Driss. « Ce restaurant proposait une programmation chanson régulière jusqu’à ce qu’un voisin grincheux fasse donner la maréchaussée. Souhaitons que l’entente revienne entre les voisins pour retrouver la programmation chanson et les 1 — www. centredelachanson. com. bancs d’essai du Centre de la chanson. » 1 Nous connaissons un autre bistrot, dont on comprendra que nous taisions le nom, qui connaît des ennuis similaires. Aucun bruit ne sort de ce café à doubles portes, relativement isolé, qui ne programme guère que des instruments acoustiques amplifiés à un niveau sonore très raisonnable. Il est pourtant depuis deux années sous le coup d’un arrêté préfectoral lui interdisant de diffuser de la musique. Un commerçant voisin, qui souhaite réduire le passage nocturne dans la rue, ne connaît toujours pas l’existence de l’arrêté dont ses plaintes répétées sont pourtant la source… Entre les scènes qui ont fait l’objet d’une fermeture autoritaire, celles qui après avoir effectué les travaux d’insonorisation ont continué à faire l’objet de plaintes de voisinage et celles qui ont renoncé devant le coût de ces travaux et 2 — cf. Maya Lebas, Les cafés-concerts réduits au silence, Zurban, 27septembre 2000. ont préféré fermer, la liste des faire-part de deuil ne cesse de s’allonger. 2 On comprend bien le souci de sécurité du public qui fait édicter des normes pour éviter les accidents. Mais la peur d’éventuelles actions en justice incite toute personne responsable pouvant être jugée coupable à se montrer plus exigeante que la réglementation. Pour son aménagement le Forum Léo Ferré d’Ivry a ainsi été contraint à des dépenses imprévues par l’architecte qui avait 3 — Entretien avec Geneviève Métivet, permanente bénévole, 15 février 2002. pourtant respecté les normes en vigueur. 3 Premier surcoût. Et la mairie ne s’est pas contentée de l’avis de la commission de sécurité pour délivrer l’autorisation d’ouverture. Elle a exigé en supplément trois rapports d’expertise pour le son, l’électricité et la sécurité. Trois rapports qui étaient un nouveau surcoût de quarante-cinq mille francs pour cette association de bénévoles. Cette surenchère dans la recherche de sécurité génère des surcoûts qui frappent bien plus durement celui qui a de petits moyens que celui qui est mieux doté. 39 Soleil cherche futur DE S É TA B L I S S E M E N T S É P H É M È R E S Plutôt que de faire une photo panoramique très éphémère nous avons choisi de prendre des exemples représentatifs de différentes approches pour résoudre les difficultés économiques inhérentes aux cafés-concerts. Le lecteur en état d’ébriété encore raisonnable après cette tournée générale aura remarqué qu’Ailleurs et Le Loup du faubourg ont maintenant leur rond de serviette au cimetière des estaminets disparus. La grande instabilité qui caractérise le paysage des cafés musicaux montre à qui en douterait encore les difficultés dans lesquelles ils se débattent. Jacques Vassal a consacré un article aux petites salles parisiennes dans un dos1 — Les «petites salles » : renouveau ou désillusion ?, Jacques Vassal, in Le retour des chansons de parole, Politis N° 558, 22juillet 1999. sier chanson paru en juillet 1999. 1 Toutes les scènes passées en revue dans son article sont aujourd’hui disparues. Un encadré dresse une liste de onze salles, cafés ou théâtres, qui avaient alors une bonne programmation chanson. Aujourd’hui quatre de ces salles sont disparues, deux ne programment plus de chanson, quatre vivent toujours mais avec un fonctionnement hors de la légalité. La dernière salle survit dans une légalité qui a tout de même fait l’objet de remarques désagréables de la part des syndicats d’artistes. Après cette longue tournée dans les cafés il nous reste encore quelques bouteilles à terminer avant de passer à une autre tisane. Ce n’est pas parce qu’on leur reconnaît une utilité que l’on va peindre un tableau idyllique des bistrots qui programment de la musique. On va ajouter encore quelques bémols et dièses à la clé, assortis de bécarres traîtres et fourbes, qui compliquent salement la lecture de la partition par l’utilisateur du Déliateur mais apportent ce petit supplément indispensable à la poursuite de l’étude après la Méthode rose. 40 Soleil cherche futur LE P O U S S E-C A F É , P O I N T D E V U E D U S P E C TAT E U R Pascale Bigot résume en une phrase tous les griefs que le spectateur lambda peut faire à l’encontre des cafés. « Je ne vais plus dans ces lieux-là. J’en ai assez de leurs pratiques, des horaires qui ne sont pas respectés, de la fumée, des 1 — Pascale Bigot, entretien du 23avril 2002. mauvaises conditions d’écoute. » 1 Bien que beaucoup de cabaretiers soient conscients de chasser une partie importante de la clientèle, ils ont une grande réticence à s’imposer des règles de bonne conduite. Le Forum Léo Ferré est ainsi le seul lieu visité à disposer d’une zone fumeur correctement équipée d’extracteurs de fumée efficaces et silencieux. Le seul à être en conformité avec 2 — Loi de 1991 et décret d’application de 1992 dite « loi Évin». la loi Évin… 2 Nous avons rencontré plusieurs programmateurs — fumeurs compris ! — qui disent volontiers ne pas se rendre dans les cafés X ou Y en raison de la fumée. Une femme me disait ainsi « la programmation du café Z est excellente mais je n’y vais plus du tout parce que le plafond est trop bas ! On a la tête dans un nuage de fumée opaque. » Les horaires sont souvent de la plus haute fantaisie sans que l’on en comprenne très bien les raisons. On arrive à un concert annoncé pour vingt heures alors qu’il est presque vingt heures. Le caissier arrive — après nous… — pour ouvrir la caisse et nous dit que le concert aura lieu « d’ici une heure et demie à deux heures ». Bien évidemment tout le monde s’en va. Une fille franchement agacée lance qu’elle ne va « quand même pas rester là deux heures à se faire chier ». Et notre caissier de se désoler. J’essaie de lui expliquer qu’il faudrait un peu de rigueur et annoncer l’heure réelle des concerts. Mais tout ce que je parviens à tirer du bonhomme est que « l’on ne fait pas les concerts à vingt heures parce qu’il n’y a pas assez de monde. » Et de se lamenter : « C’est toujours comme ça. Les gens repartent parce qu’ils ne veulent pas attendre ! » Ah ! ce monde moderne où l’on est toujours pressé ! Lui faire entendre qu’il serait préférable d’annoncer les concerts à vingt-deux heures s’ils ont lieu à vingt-deux heures semble être une tâche titanesque. 41 Soleil cherche futur LA R I N C E T T E , P O I N T D E V U E A RT I S T I Q U E Le béotien pourrait penser que la qualité fait défaut, que seuls les nanards, les ringards et les tocards se produisent dans les bars ou les petits théâtres. Que nenni ! Bien sûr tout n’est pas d’égale qualité. On trouve des jeunes qui ont encore à apprendre ou doivent se débarrasser de tics et de clichés copiés. On trouve aussi — curieusement beaucoup plus à Paris que dans les métropoles régionales — des vieilleries tout à fait surannées. Mais on voit globalement une maîtrise technique remarquable. Tout comme en danse ou en musique classiques, on demande sans doute plus à un chanteur débutant d’aujourd’hui qu’à un professionnel chevronné d’il y a trente ans. Tant de la part du bistrot que de celle du spectateur. « Même dans une petite salle les gens sont très exigeants. Que c’est dur ! Comment un artiste qui démarre, en dehors de l’aspect écono1 — Dominique Dumont, producteur, Polyfolies, entretien du 9 avril 2002. mique, peut-il faire son apprentissage d’artiste ? » 1 A cette exigence artistique il faut ajouter les exigences techniques. Un éclairage de scène se doit d’être au minimum un peu élaboré. Révolue l’époque où Maguy Marin faisait un ballet éclairé par quatre projecteurs. Et on n’accepte plus la moindre défaillance de la sonorisation. Le problème artistique des bistrots — outre les médiocres conditions d’écoute il y en a bien un — n’est pas dans la qualité mais plutôt dans la nature de la musique. « Il y a des styles musicaux qui ne vont pas du tout dans les bars. Il y 2 — Président de Life Live, association de production à but non lucratif, entretien du 24 avril 2002. en a au contraire qui collent très bien. » Éclairons ces phrases un peu sibyllines de Julien Bassouls. 2 Dans un bistrot où les gens viennent d’abord pour vivre en société la musique passera d’autant mieux qu’elle sera festive, rythmée, entraînante. De même qu’il y a un accueil direct, spontané, pour l’humour et la légèreté. « On ne touche pas que des jeunes dans les bars. Mais aussi des gens de quarante à soixante ans, plus ou moins seuls, plus ou moins paumés, qui ne par- 3 — Julien Bassouls, idem. ticipent pas habituellement à une culture musicale populaire. » 3 C’est-à-dire que la musique créatrice de liens immédiats parce qu’elle fait bouger ou danser dans un lieu où l’on peut danser, se déplacer et faire des rencontres en allant d’une table à l’autre, aura un impact beaucoup plus fort que la musique qui s’adresse à la réflexion et s’écoute bien calé dans un fauteuil de théâtre. Si ce n’est pas une impasse artistique c’est tout de même une limitation du champ sur laquelle butent les cafés. Les cafés à vocation clairement artistique tels ceux auxquels nous avons rendu visite dans ces pages sont dans une position médiane étrange, un peu bancale. Bien qu’attirant un public très hétérogène ils ont une image intermédiaire entre la salle de concert ou de théâtre et le café musi- 42 Soleil cherche futur cal plus festif décrit par Julien Bassouls. Pour relativiser ce constat on peut aussi remarquer la musique ou la chanson « festive » — comme les spectacles « festifs » de toutes les disciplines — trouvent, d’une manière très générale, beaucoup plus facilement une place, et sur toutes les scènes, et dans le cœur des spectateurs. Les comédies de Molière séduisent plus aisément que les tragédies de Racine. On laissera à plus savant le soin de nous en expliquer les raisons. 43 Soleil cherche futur LE D E R D E S D E R S, P O I N T D E V U E D U P R O G R A M M AT E U R O U P R O D U C T E U R Si tous les interlocuteurs rencontrés reconnaissent l’utilité des cafés pour y faire ses premières armes, il faut tout de même remarquer qu’ils ne s’y rendent pas toujours. Ainsi une productrice m’a dit qu’elle ne fréquentait plus guère les cafés à chanson depuis la fermeture d’Ailleurs dont la programmation correspondait plus à ses goûts que celle du Limonaire. Il ne faut pas cacher qu’il y a une réelle difficulté pour le chanteur à passer de cette première étape du café à une autre. Thibaud Couturier, un chanteur qui « a fait des wagons de bistrots » et qui commence maintenant à être programmé par de grandes institutions festivalières, a une formule percutante pour illustrer la difficulté à sortir de cette marge : « On n’invite pas un directeur de théâtre à venir dans un 1 — Thibaut Couturier, entretien du 2 mars 2001. PMU ! » 1 Noëlle Tartier du Limonaire : « Les producteurs et les tourneurs ne viennent pas ici parce qu’on n’offre pas des conditions de spectacle. Les professionnels nous disent qu’ils ne viennent pas ici parce que ce n’est pas une salle 2 — Entretien du 5 avril 2002. de spectacle. » 2 Maintenant habitués à des conditions de théâtre — fauteuils face à la scène, public silencieux dans le noir — la disposition cabaret connaît une désaffection de la part des professionnels. Alors que l’on voit de plus en plus souvent des théâtres revenir à cette disposition pour certains spectacles afin d’attirer un public sensible à son aspect plus convivial. Rien n’est simple… Et pourtant le Limonaire offre malgré tout des conditions de spectacle assez correctes pour un cabaret. Mais il faut aussi reconnaître que peu de cafés offrent vraiment des conditions d’écoute à peu près satisfaisantes. « J’ai commencé à produire un artiste et une nuée d’artistes m’est tombée dessus en me disant : je chante. Ne voudriez-vous pas me produire ? Ne voulez-vous pas m’aider à rencontrer un public ? D’où mon aide bénévole à des artistes qui s’autoproduisent. Mais je le fais pour un passage dans un théâtre, le plus souvent en location, et non pour un passage dans un bistrot avec des bruits de vaisselle et de conversations. Si des professionnels viennent les voir dans un théâtre ils verront quelque chose qui tient la route. Je préfère éviter que des professionnels se déplacent dans des lieux d’où ils repartiront en se disant qu’il faut attendre encore un peu. Parce que les conditions sont parfois si indécentes que le spectacle en souffre forcément. » 3 3 — Christine Hudin, entretien du 9 avril 2002. « Un artiste me dit : je passe dans tel café. Tu ne pourrais pas prévenir le festival de X ? (Une de ces grosses institutions qui engagent de nombreux artistes sur de vraies scènes avec de bonnes conditions et qui ont un écho important.) 44 Soleil cherche futur Je dis parfois oui parce que je ne veux pas le décevoir. Et au moment où je prends le téléphone pour appeler le festival de X je me demande si je ne suis pas en train de desservir l’artiste. Ne vaudrait-il pas mieux attendre le jour où il passera sur une vraie scène ? Si tu veux rendre service à quelqu’un il vaut mieux le présenter dans de bonnes conditions que dans de mauvaises. » 1 1 — Christine Hudin, idem. 45 Soleil cherche futur C HEZ ROBERT, ÉLECTRON LIBRE, 59, RU E D E RIVOLI On quitte un instant le monde de la chanson qui nous occupe ici pour rendre visite à une bande de frappadingues. Il est surtout question de jazz mais on va voir que bien des faits et réflexions peuvent être transposés dans le petit monde de la chanson en scène. Une horde d’artistes — squatters expérimentés — s’est un jour invitée au 59, rue de Rivoli, vaste bâtiment de six étages appartenant au Crédit Lyonnais qui servait depuis dix ans au stockage d’air frais et à la nidification des pigeons. Une dizaine de personnes vivent et trente-quatre artistes travaillent ici. Les locaux, ateliers ou salles d’exposition, sont occupés pour l’essentiel par des plasticiens. Un studio est utilisé par des danseurs. L’Ego théâtre, une compagnie, a installé ici ses pénates. 1 — Julien Caumer assur e la programmation jazz de la cave du 59, rue de Rivoli et du Calvi Jazz festival, entretien du 24 avril 2002. Une salle dans les caves a été aménagée au départ pour le théâtre. Les gradins ont été fabriqués avec des palettes et on est assis sur des bancs assez confortables. Tout a été fait à partir de matériaux de récupération qui, pour être gratuits, me semblent néanmoins avoir une excellente capacité de combustion. Je ne jurerais pas non plus que les normes d’issues de secours soient tout à fait respectées. N’oublions pas que nous sommes en sous-sol. Il y a un assez joli éclairage comme on n’en voit guère dans les boîtes de jazz qui n’ont pas encore découvert cet aspect du spectacle. Bon, ne dis pas cela non plus aux pompiers qui en auraient des vapeurs, c’est en fait une installation bricolée avec de simples spots et… des variateurs de lampes halogènes ! L’Ego assure une programmation avec essentiellement du théâtre et un peu de chanson. Et la cave reçoit des musiciens de jazz du jeudi au samedi. Cinq concerts, souvent de très bonne qualité, suivis par un public dense un peu trop tassé parce qu’il n’y a pas assez d’espace. Sûrement beaucoup trop tassé au goût d’une commission de sécurité… Julien Caumer a quelques réflexions, qui, bien que concernant le jazz, nous semblaient intéressantes. 1 « Dans le triangle d’or du jazz autour de la rue des Lombards tous les petits clubs sont au bord du dépôt de bilan. Tu paies l’entrée de quatre- 46 Soleil cherche futur vingts à cent vingt francs. Le vestiaire coûte deux euros. Non seulement il règne une chaleur terrible qui pousse à boire mais, sitôt arrivé, une serveuse te tombe dessus pour te fourguer une consommation. Ils ont besoin que tu consommes sinon ils ne s’en sortent pas. Oui, on te pousse à la consommation alors que l’on t’a déjà fait payer une entrée chère ! On se sent mal accueilli aussi parce que les gens qui y travaillent sont fatigués. Le résultat est qu’il n’y a pas grand-monde et qu’on voit seulement des hommes riches âgés de plus de quarante ans. Avec tout cela tu te sens mal à l’aise. » « Par contre les gens aiment beaucoup le 59 et s’y sentent très à l’aise. Ici, ce qui plaît, aux musiciens comme aux spectateurs, c’est une qualité d’écoute avec des gens plongés dans le noir, assis face à la scène, qui ne fument pas, qui n’ont rien à boire. On n’est pas dans un bar, il n’y a pas de va-et-vient, pas de fumée et pas de bruit, tu es tranquille. Les musiciens aiment la diversité du public. On y rencontre des spectateurs beaucoup plus jeunes, des jeunes mais aussi des vieux, des femmes comme des hommes, des gens de toutes nationalités. Je pense qu’une salle pleine rend la musique plus belle. Il y a une bonne ambiance. Ce n’est pas habituel dans le jazz. Les musiciens jouent plutôt devant des salles de vieux qui se font un peu chier. Le bouche-à-oreille dans le milieu du jazz dit que le 59 est un endroit génial avec une superbe écoute, qu’on est très bien accueilli, qu’il n’y a pas d’argent mais qu’il n’y a rien à vendre et qu’on ne se fait pas d’argent sur notre dos parce que c’est entièrement bénévole. Cette salle a été une réponse à la fois au désir des musiciens et au désir du public. C’est pour cela que ça marche si bien. » « Mon principal critère de sélection des musiciens est qu’ils soient sympas, le second est qu’ils soient bons, et le troisième est qu’ils acceptent de jouer gratuitement. Ils ont la totalité du chapeau qui va de six cents à mille francs. » « On voit bien ici qu’il y a un désir de jazz qui ne peut être assouvi parce que c’est très cher ou trop cher. Il y a une carence de petites salles de jazz qui est criante. Si, en six mois, nous avons une salle qui a un tel succès c’est bien qu’il y a une demande. On dit que le jazz est mort mais c’est 47 Soleil cherche futur de la couille. C’est une vague impression superficielle qui est infondée. Le parc floral de Vincennes à dix balles l’entrée fait trois à six mille personnes pendant tout le festival. Tous les départements ont un festival qui marche très bien. Il y a des festivals partout. En fait le jazz vit comme il n’a jamais vécu. Ça va très bien ! C’est une musique qui plaît. C’est paradoxal parce que ce n’est pas avec le jazz qu’on vend beaucoup de disques. Mais c’est un univers de concert. » « Dans le cadre du théâtre nous avons une fois par mois des spectacles autour de la chanson. Ce sont les spectacles qui ont le plus de succès, bien plus que le théâtre. Le succès le plus fort qu’on ait eu dans le squat depuis le début c’était trois filles qui chantaient. C’était extraordinaire. Dans la disposition de l’époque on logeait cinquante à soixante personnes. Il est arrivé d’avoir trois mille francs dans le chapeau. Les gens étaient tellement enthousiastes qu’ils décidaient de payer pour de bon. Ils mettaient dans le chapeau une somme équivalente au prix d’une entrée dans un théâtre normal. » Les artistes du 59, rue de Rivoli ont soumis le projet Essaim d’art qui a été retenu par la mairie de Paris. Le bâtiment deviendrait la propriété de la ville. Les squatters quitteraient les lieux. Essaim d’art fonctionnerait comme aujourd’hui — ateliers et expositions de plasticiens — mais les résidences de chacun seraient d’une durée limitée de manière à garantir une diversité et une ouverture permanente à de nouveaux venus. On ne sait pas trop ce que deviendra la cave à jazz dans cette légalisation. 48 Soleil cherche futur L ES THÉÂTRES Comme pour les bistrots nous avons retenu une salle représentative d’une méthode de travail et d’une situation économique. Le Sentier des Halles est une cave qui pratique volontiers la production et la coréalisation mais fait aussi de la location pour survivre avec des difficultés liées à son économie fragile. Tandis que le Théâtre de dix heures est une salle à l’assise économique solide. On verra ensuite comment le Tourtour, petite scène et petite économie, a mené sa vie sans jamais pratiquer la location. On ira rendre visite aux théâtres en location pure, une pratique devenue le plus souvent systématique dans des conditions — du moins dans les petites salles — qui laissent trop souvent à désirer. On verra quelles raisons conduisent à louer un théâtre et, au travers de budgets détaillés, à combien revient cette aimable plaisanterie quand on fait bien les choses pour amortir son investissement. 49 Soleil cherche futur L E SE N T I E R DES HA L L E S La longue virée dans les assommoirs pourrait avoir laissé au lecteur une casquette en plomb et un désagréable mal aux cheveux. Changeons un peu d’air et allons à la cave. Mais, cher et intrépide lecteur, nous n’allons pas rendre une pieuse visite à la crypte de Notre-Dame des barriques. Avant la Révolution l’activité théâtrale ne pouvait être exercée qu’avec la permission du roi. La disparition des privilèges a transformé le théâtre. On ne parle pas ici de la nuit du quatre août abolissant les privilèges de la noblesse et du clergé mais du privilège — acte administratif — donnant l’autorisation à un théâtre d’ouvrir ses portes ou à un imprimeur de faire fonctionner ses presses. La loi du 13 janvier 1791 a proclamé le principe de liberté du théâtre et permis une large ouverture des salles. Des formes de spectacle qui ne se donnaient alors que dans la rue vont pouvoir s’installer sur des scènes fixes. Et c’est ainsi que deux siècles plus tard la musique trouve un abri dans des caves… Le Sentier des Halles est une cave aménagée en théâtre de cent vingt places. La chanson entre pour cinquante à soixante pour cent dans la programmation. Le reste est composé de presque toute la palette de la musique hors classique. On y trouve des groupes de rock, des bidouilleurs d’électronique, du hip-hop 1 — Sauf indication contraire les éléments de ce chapitre proviennent d’un entretien avec Caroline Fichot, administratrice, et Isabel Jimenez, directrice de production, Sentier des halles, le 24 avril 2002. comme des musiques traditionnelles d’un peu partout. 1 Une diversification musicale qui fait dire à certains que le Sentier a perdu, sinon son âme, du moins son image de marque initiale. « Environ la moitié de la programmation est constituée de coréalisations à 50 % des recettes pour l’artiste et 50 % pour la salle. Le prix du billet d’entrée va de huit à quinze euros. Il y a une obligation pour le groupe programmé de réaliser une prévente minimum de soixante entrées. Cette obligation a été établie à la suite d’un différent avec les syndicats d’artistes qui reprochaient au Sentier de ne pas générer des recettes suffisantes pour payer des cachets au tarif conventionnel. Cela permet d’assurer un minimum de rentrées autant pour le théâtre que pour les artistes. Ce système n’est pas toujours très bien perçu, pas toujours compris. Nous le trouvons imparfait. Certains le regardent comme un minimum garanti alors que nous mettons un point d’honneur à ne 2 — On parle bien ici, contrairement à d’autres usages, d’un minimum garanti en faveur du théâtre et non en faveur de l’artiste. pas avoir de minimum garanti. 2 Mais c’est un système qui demande aux individus ou aux groupes de travailler à la recherche de public. C’est un effort à faire dans un domaine où ils n’ont pas forcément envie de travailler en tant qu’artistes. » 50 Soleil cherche futur « Pour assurer l’équilibre financier nous sommes obligés de faire de la location. Le théâtre est loué avec l’équipement lumière et sonorisation. Les tarifs vont approximativement de 3 000 F à 6 500 F (pour la soirée complète) avec des tarifs dégressifs. Notre coût d’exploitation quotidien se situe actuellement entre 6 000 F et 7 000 F. Nous avons l’obligation de louer parce que même avec une salle pleine les coréalisations sont déficitaires : les rentrées restent en dessous du point mort journalier. Pour faire une coréalisation sans perte il faut remplir la salle à plein tarif et vendre une consommation par personne. C’est le cas de 3 à 5 % des coréalisations. Pour huit sur dix il y a environ soixante entrées payantes. Ce qui est déjà bien pour les artistes. » Le troisième mode de fonctionnement est la production directe (deux à trois par an) ou la production exécutive. Le département de production d’artistes, qui dispose d’une comptabilité séparée, est encore en phase de démarrage. Il alourdit les charges sans véritablement dégager de nouvelles rentrées. « Ce sont pour l’essentiel des artistes en démarrage de carrière. Même quand on commence à amortir la production d’un spectacle parisien — sur lequel on a perdu de l’argent — les marges restent très faibles. Il nous faut du temps pour amortir la production parisienne et du temps pour gagner de l’argent sur chaque date. » Le Sentier des Halles reçoit de la DRAC une subvention annuelle de fonctionnement de 150 000 à 180 000 F. Cette aide au fonctionnement, bien que fort modeste, est tout à fait inhabituelle. Très rares en effet sont les salles programmant de la musique non classique qui en bénéficient. Les aides de l’ADAMI, de la SACEM ou du Fonds de soutien financent des opérations ponctuelles comme la semaine hip hop et des productions maison. Le droit de tirage de la taxe parafiscale sur les spectacles est de 300 % pour la salle (droit de tirage renforcé pour les petites salles) et d’un peu plus de 80 % pour les productions en tournée. On fait environ deux demandes par an quand le volume de droits acquis est suffisant. Le recours à des salariés intermittents du spectacle et à des emplois aidés — via l’association satellite de la SARL — permet également de parvenir à boucler les fins de mois. Le Sentier des Halles est une cave. Si les conditions sont bonnes pour le vieillissement du vin, l’humidité provoque une dégradation rapide du matériel, consoles, piano, circuits électriques, d’où des frais d’entretien qui alourdissent les coûts usuels d’une salle de cette taille. La cave présente également un autre inconvénient. Elle garde une image héritée des années d’après-guerre qui peut très facilement donner une idée vieillotte des spectacles accueillis. Alors que les producteurs accordent le plus 51 Soleil cherche futur grand soin à présenter leurs artistes, non seulement dans de bonnes conditions, mais aussi dans un environnement bien adapté à leur style musical. « La chanson que faisait Juliette pouvait trop facilement être cataloguée de « rive gauche » avec une connotation vraiment très négative, avec tout ce que cela peut avoir de péjoratif, de dépassé, de rétrograde, d’ancien. Je ne voulais pas de cave, je voulais qu’elle soit en surface dans un tacle, d’où le choix du Théâtre de dix heures. » THÉÂTRE, dans un lieu de spec- 1 1 — Mysiane Alès, entretien du 28mars 2002. Depuis deux ans le propriétaire du bâtiment, qui demande une augmentation de loyer exorbitante (23 000 F mensuels), a engagé une procédure devant le tribunal. L’issue en sera de toute façon une augmentation du loyer. On constitue une provision pour payer la majoration qui court pendant la durée de la procédure, ce qui alourdit encore les charges d’exploitation. Si le propriétaire obtenait le loyer demandé ce serait la fermeture du Sentier des Halles. Isabel Jimenez : « J’ai envie de résumer en une phrase : Est-ce qu’une petite salle gagne de l’argent ? Non. » Et de s’interroger : « Une petite salle à Paris est-elle nécessaire à la profession, au développement de carrière ? Oui, si on décide de revenir au fait qu’un artiste apprend son travail sur scène plutôt que de lui programmer un show case dans une salle d’un minimum de 300 à 500 places à la sortie d’un premier album. Oui, si on décide de lui construire un public, de construire dans le long terme, de l’installer plus longtemps, de le faire travailler pour qu’il peaufine son spectacle. Pour les salles qui ont cette démarche il faut prévoir une vraie subvention au fonctionnement ou une aide sur plusieurs années. Le problème n’est ni dans la foi des personnes, ni dans les compétences, ni dans les envies, il est économique. » « Comment envisage-t-on l’avenir à long terme ? Ou bien il y aura une aide financière sous une forme ou une autre, ou bien la salle deviendra un garage loué ou bien elle fermera. » Tout cela n’est pas très réjouissant ? Notre lecteur fait une moue dédaigneuse. C’est une petite salle, nous sommes dans une cave, la structure économique n’a pas une assise suffisamment solide, etc. « Ce sont de toute façon des économies précaires. Il n’y a pas de recette miracle. Tous les petits lieux qui programment de la chanson à Paris sont dans des économies difficiles. Comment font-ils pour s’en sortir ? Chacun a son système même si, au fond, on retrouve toujours le même problème de quelque chose qui est à la limite de la légalité. » 2 Le lec2 — Pascale Bigot, entretien du 23avril 2002. teur en a peut-être un peu marre de tous ces gens à qui il manque toujours quatre-vingts centimes pour faire un euro. Nous allons voir dans un autre arrondissement si l’herbe est plus verte, l’eau plus humide et le soleil plus brillant. 52 Soleil cherche futur LE THÉÂTRE DE DIX HEURES Plus que centenaire le Théâtre de dix heures est l’un des plus vieux music-halls de Paris. Nous parlons bien de « music-hall » puisque cette salle n’est pas un théâtre privé et ne bénéficie pas d’un dispositif juridique propre aux théâtres privés qui assure la protection du devenir de la salle en interdisant au propriétaire des murs de convertir les locaux à un usage autre que le théâtre. Malgré tous les aléas de son existence un théâtre privé reste un théâtre et ne peut voir ses locaux se dévoyer à un autre usage. Les Démons de dix heures, qui gèrent le Théâtre de dix heures, gèrent également Bobino, une salle de six cents places, mais c’est l’activité de producteur et tourneur qui est dominante dans cette structure. Cette activité diversifiée et à chiffre d’affaires respectable permet de réduire les coûts de gestion. Sans que l’on se trouve dans un monde bien différent du petit Sentier des Halles. « Le Théâtre de dix heures a un coût d’exploitation minimum de cent à cent vingt mille francs par mois en frais fixes pour une capacité de cent quarante places. On ne pourrait pas s’en sortir avec cent quarante fauteuils. C’est pour cela qu’on offre deux spectacles par soirée. Les deux horaires sont dictés par les impératifs économiques. On ne peut pas faire autrement. C’est pour cela également qu’on joue très souvent les lundis et les jours de relâche, les dimanches en matinée, parce qu’il faut amortir. » La salle est louée le dimanche plutôt pour des manifestations privées et le lundi pour des présentations à l’occasion de sorties de disques. Présentations ou mini-récitals que le milieu professionnel nomme volontiers show cases. « Un théâtre ne peut jamais s’arrêter 1 — Jean-Michel Joyeau, codirecteur du Théâtre de dix heures, entretien du 12 avril 2002. et nous jouons pratiquement 365 jours par an à cause des charges fixes. » 1 Le Théâtre de dix heures fait peu de location — hors dimanches et lundis — mais souvent de la coréalisation « avec un minimum garanti puisque nous ne pouvons pas récupérer sur l’avenir du spectacle quand on n’est pas le producteur en titre. On n’a aucune raison de perdre de l’argent si on n’a pas un droit de suite. » Pour la plupart des producteurs, qui utilisent la salle afin de promouvoir un artiste, cela revient à une location en termes comptables. On va en effet distribuer nombre de places gratuites pour remplir la salle, pour faire marcher le bouche-à-oreilles, pour inciter la presse à venir et à chroniquer le spectacle, pour accueillir des programmateurs. Le pourcentage de places vendues sera finalement assez faible. Et on devra régler à la sortie une coquette facture pour que le théâtre rentre dans ses fonds. Et puisse continuer à vivre. 53 Soleil cherche futur Jean-Michel Joyeau ne parle pas de location mais de coréalisation parce qu’il ne se comporte pas en loueur accueillant tout ce qu’on lui propose, le chèque étant le seul critère de sélection. Il faut entrer « dans les objectifs de programmation de la maison : de la chanson de qualité, plutôt à texte, avec une bonne interprétation, avec un accompagnement acoustique de deux ou trois musiciens, qui n’est pas du show, qui relève du récital. » Au Théâtre de dix heures la production maison occupe vingt à trente pour cent de la programmation pour deux spectacles produits chaque année. Un spectacle de la maison va généralement rester à l’affiche de deux à quatre mois. Au Théâtre de dix heures, comme au Sentier des Halles, comme dans beaucoup de salles parisiennes, on a deux spectacles par soirée. Pas toujours facile de coordonner les deux spectacles, les deux équipes et le fonctionnement de la salle. Christine Hudin a spontanément cité le dix heures comme un exemple. « Il y a des théâtres qui arrivent à moduler ce découpage assez bien, comme le Théâtre de dix heures, parce que tu as affaire à des gens qui aiment le spec1 — Christine Hudin, entretien du 9 avril 2002. tacle, qui aiment ce qu’ils font et manifestement tu n’es pas dans un garage. » 1 Nous verrons plus loin que cela n’est pas toujours le cas. Mysianne Alès se souvient avoir utilisé le Théâtre de dix heures pour les débuts de Juliette. « C’est un théâtre en parfait état. On n’avait pas l’impression de rentrer dans un bouge. Il y a un système de billetterie professionnel, propre, pas des tickets de tombola. C’est une petite salle qui fonctionne avec les mêmes principes de qualité qu’une grande salle. C’était alors à un prix accessible — à une production — qui est aujourd’hui introuvable avec ce niveau de services proposés. » On peut remarquer que les coûts de location ont très fortement augmenté, tant à Paris qu’à Avignon, au fil de cette dernière décennie. 54 Soleil cherche futur L E TOURTOUR Jean Favre a dirigé pendant des années le Tourtour, une petite salle en cave de cent vingt places. Sans recourir à la location. Le Tourtour a fermé ses portes à l’automne 2000. Le propriétaire des murs demandait tout bonnement une augmentation faramineuse du loyer afin de récupérer les locaux. « Quel comportement adopter quand on est directeur de salle ? On n’a pas beaucoup de choix. Il faut travailler au coup de cœur et équilibrer les comptes en multipliant les activités. Les petites salles font en moyenne entre 700 et 800 représentations par an. Cela veut dire des spectacles pour enfants deux fois par jour le mercredi et souvent aussi le samedi après-midi. Et bien sûr tous les jours pendant les vacances scolaires qui sont une aubaine pour les théâtres. Cela veut dire au moins deux spectacles par soirée cinq jours par semaine. On y ajoute des présentations de spectacles avec des amateurs. Juin est un mois excellent où l’on bourre la salle deux ou trois fois avec chaque spectacle d’école ou d’atelier. On fait des événements ou la sortie d’un disque les dimanches et les lundis. Et pendant l’été vous ferez un Feydeau, un Cocteau ou une autre chose un peu 1 — Jean Favre, entretien du 22 avril 2002. connue qui vous amènera un peu de monde en vacances. » 1 C’est la méthode Jean Favre où on ne choisit pas la facilité. Ce n’est pas la plus simple. Une méthode où l’on travaille beaucoup, où l’on est très organisé et prévoyant, où l’on est respectueux du travail des artistes. Puis Jean Favre nous explique comment on peut aussi faire vivre un théâtre avec peut-être un peu moins de travail. « Ou bien vous faites des choses plus utilitaires. [Comprendre : plus alimentaires.] Ou bien vous travaillez avec des compagnies qui ont des moyens pour faire de la publicité, des moyens pour faire des demandes d’aides auprès de THÉCIF, de l’ADAMI, etc. qui leur permettront de rémunérer les artistes. Vous faites des choses où vous n’aurez pas à payer les artistes. Vous trichez plus ou moins pour faire vivre la salle en renvoyant sur les structures juridiques qui s’occupent des artistes la rémunération des artistes. Vous ne prenez que des structures qui sont titulaires d’une licence. Elles sont ainsi responsables des salaires des artistes. Et dans ce cas vous avez un risque en principe limité. Puisque depuis 1972 vous êtes en principe coresponsable du paiement des charges et des salaires. » Voilà comment la coréalisation peut permettre de glisser dans l’illégalité si la compagnie ou le groupe producteur du spectacle ne peut assurer le paiement des cachets des salariés. « Oublier » de payer les cachets serait d’ailleurs une pratique plus usuelle qu’il n’y paraît aux dires de certains observateurs des nuits théâtrales parisiennes. 55 Soleil cherche futur Revenons à Jean Favre qui conserve sa foi dans les jeunes talents et continue vaille que vaille à aider des débuts de carrière. « Tout cela permet de financer vos deux coups de cœur de l’année qui vont faire deux entrées payantes par jour mais au moins vous allez permettre à un artiste d’apprendre son métier. » « Avec tous ces petits trucs on arrive bon an mal an à faire vivre une salle sans la louer. Je n’ai jamais loué. Je regrette que la plupart des salles ne s’affolent plus du tout et se contentent de faire de la location. On transfère le risque de fonctionnement de la salle sur la compagnie théâtrale ou le groupe musical. C’est une dérive tout à fait dramatique : il n’y a plus de salles à Paris où l’on peut chanter gratuitement. Toutes les salles de Paris se louent. Dans des conditions incroyables. » 56 Soleil cherche futur 1 — Titre et refrain d’une chanson de Plume Latraverse, années 1970. L’abondante discographie de Latraverse est hélas à peu près introuvable en France. CH A M B R E À LOUER ! 1 LE S T H É Â T R E S E N L O C AT I O N Il n’y a plus de théâtres consacrés à la chanson à Paris. L’Olympia, naguère temple consacrant tant les valeurs sûres que les débutants prometteurs, n’a plus l’image d’une scène vouée à la chanson. On ne voit plus de séries à l’Olympia. C’est trop cher pour les producteurs et il n’y a pas de prise de risque d’un gérant qui est un loueur. Quant aux premières parties — qui naguère contribuèrent largement à établir la réputation de l’Olympia — quand il y en a, elles sont à la bonne volonté de producteurs qui font déjà un effort financier considérable pour louer la salle et y apporter le matériel lumière, la sonorisation avec le personnel qui va monter tout cela pour un soir ou deux. Arrivé à ce point de notre visite de Paris by night on doit préciser qu’aujourd’hui toutes les salles, petites comme grandes, anonymes ou prestigieuses, sont louées. Si les bistrots connaissent la faveur des musiciens et chanteurs, malgré des conditions dont nous avons vu qu’elles ne sont pas optimales, c’est aussi parce qu’on ne se ruine pas en location de théâtres hors de prix. « Si on peut dire de la chanson d’aujourd’hui qu’elle est riche, variée, inventive, on peut aussi se poser la question de savoir qui le sait. Les jeunes auteurs compositeurs interprètes sont contraints de louer des lieux pour se faire entendre. […] S’ils n’ont pas une production pour amortir cet investissement, les chanteurs ont le choix de s’endetter ou de ne pas chanter. » 2 De la cave de trente places au 2 — Éditorial de Chante ! Bulletin de l’association le Pavillon, N° 29, mars 2002. 3 — Bernard Joyet, chanteur, entretien du 15 février 2002. Zénith toutes les salles sont louées. « Pour chanter à Paris il faut avoir de l’argent. On risque plus d’être payé en passant n’importe où en province qu’en passant à Paris. » 3 « Le dernier passage de Sarclo aux Sentier des halles a coûté 87 500 F de location de salle [en décembre 2001] et ne les a pas réalisés en recettes alors que c’est quelqu’un qui a tout de même une petite réputation. Quand le prix de location de la salle dépasse la recette potentielle ce n’est plus de la programmation : c’est du commerce. Cela me gêne. Surtout quand cela s’adresse à des gens modestes. Quand cela s’adresse à un artiste individuel qui se dit que s’il passe au Sentier ou dans une autre salle on va entendre parler de lui. Avec plus ou moins 25 000 F de location de salle pour une semaine, on sait qu’il ne peut pas payer les musiciens, qu’il ne peut pas payer la publicité nécessaire et que cela ne servira à rien même au niveau des professionnels. Quand cela s’adresse à une maison de disques qui veut faire un show case, c’est différent, c’est un 4 — Jean Favre, entretien du 22 avril 2002. investissement. » 4 57 Soleil cherche futur « Évidemment un théâtre coûte de l’argent. Et comment faire pour en couvrir les frais fixes ? On sait que la recette n’y suffit pas. Une seule façon de faire : demander aux compagnies de participer financièrement aux dépenses de fonctionnement que le théâtre doit assumer pour les accueillir dans de bonnes 1 — Rappel utile : ce minimum garanti est en faveur de la salle et non de l’artiste. conditions. Le fameux minimum garanti. 1 Qui ne doit servir — au sens strict du terme — qu’à permettre au théâtre de rester ouvert. Une confusion telle règne aujourd’hui dans le réseau des petits lieux que, loueurs de salle ou coréalisateurs, on ne sait plus très bien qui est qui, et de ce fait une méfiance naturelle 2 — Alain Boublil, directeur du Théâtre de proposition, Plaidoyer pour les petits lieux, La Scène N° 8, mars 1998. s’établit. » 2 Le mot méfiance résume bien la nature des relations des locataires à l’égard des salles. C’est le sentiment général que nous laisse le travail d’enquête. « Les petites salles sont souvent des espaces récupérés. On a pris la place pour mettre du public mais il n’y a pas de loges, pas de lieu de stockage de matériel, pas d’espace pour l’accueil du public — au Point-virgule le public attend dehors avant d’entrer dans la salle —, pas de locaux de répétition — cela va de soi —, pas d’espace pour la technique, pas de régisseur permanent et par voie de conséquence pas de sécurité sérieuse, le résultat de tout cela est que l’on n’a pas de vraies salles mais un couloir avec une scène au bout. Les artistes sont debouts derrière un rideau noir au fond de la scène et ne doivent pas bouger pendant le spectacle en attendant de rentrer en scène parce qu’il n’y a pas d’espace pour les artistes. Ce n’est pas normal. Les gens ne peuvent pas être 3 — Jean Favre, entretien cité. bien. » 3 Une anecdote vient confirmer les paroles de Jean Favre. Début sep- tembre 2002 France-Inter nous apprend qu’un comédien en a boxé un autre pendant une représentation qui a dû être interrompue. Le boxé, évanoui, nez cassé, a été admis au service des urgences voisin. Le boxeur était excédé par le bruit venant chaque soir des coulisses pendant qu’il était en scène. C’était à la Comédia, une salle qui a une plutôt bonne réputation, membre de l’association des théâtres privés, qui vient de rouvrir après une période de fermeture pour travaux. Où l’on donnait une pièce qui a obtenu le Molière de la meilleure pièce d’humour en 2001. C’est-à-dire que nous ne sommes sans doute pas ici dans les pires conditions que l’on puisse trouver à Paris. Néanmoins, si un comé- 4 — L’expression est de la directrice de la Comédia interrogée par France-Inter. dien a « pété les plombs », 4 on peut imaginer que l’environnement n’y est pas pour rien. « Les théâtres ouvrent et ferment sans que personne ne s’en inquiète. Reste un 5 — Stephan Boublil, op. cité. grand vide dans lequel se sont engouffrés les loueurs de salle. » 5 58 Soleil cherche futur 1 — On passe les noms sous silence parce qu’il ne sert à rien de les jeter en pâture quand bon nombre de salles parisiennes ont des fonctionnements plus ou moins similaires. On s’attache ici à dépeindre un fonctionnement et non à faire de la dénonciation de cas précis. 2 — On parle tout de même dans ce cas précis d’une location d’un montant total de cinq mille euros hors taxe et hors frais techniques… 3 — Christine Hudin, entretien du 9 avril 2002. 4 — Entretien du 28mars 2002. « Le Théâtre X, 1 c’est Avignon Off ou Bourges — des conditions effroyables — avec jusqu’à quatre tranches horaires louées chaque jour. X est loué dans la journée aussi. Le matin pour des stages, l’après-midi pour des cours, à vingt heures et vingt-deux heures pour un spectacle. Ça n’arrête pas. Même pour t’installer, tu dois jongler. Alors tu jongles. On te « donne » 2 très royalement trois heures pour monter ton spectacle. Tu demandes une heure supplémentaire parce que, vraiment, c’est infaisable. On te compte un supplément. Cent francs ou cent euros, peu importe. C’est un esprit marchand qui passe avant toute considération artistique. Et je ne te parle pas du théâtre Y qui, lui, loue chacune de ses deux salles quatre fois dans la même après-midi et soirée pour des spectacles. » 3 Selon Mysiane Alès 4 le Théâtre Z est une très jolie salle de cent vingt places avec un grand plateau. Mais le spectateur est très mal assis, les conditions techniques sont déplorables et les conditions de sécurité à faire frémir. L’installation électrique est très dangereuse, « catastrophique » pour utiliser le mot de Mysiane Alès. Par exemple des câbles électriques plus ou moins dénudés sont en vadrouille ici et là ! Les techniciens aiment follement… L’ampérage est insuffisant et le disjoncteur saute quand la femme du propriétaire met en marche sa machine à laver dans leur appartement qui se trouve au dessus ! La productrice a adoré… Il n’y a bien sûr pas de personnel technique ou de personnel d’accueil, pas de billetterie. Toujours selon Mysiane Alès le directeur n’est même pas un escroc, il est seulement d’une incompétence poussée à un point rare. Les journaux nous ont appris que la salle Z, menacée de fermeture au printemps 2002, a demandé et obtenu des aides pour faire des travaux de mise en conformité. Les spectateurs seront sans doute toujours aussi mal assis mais la sécurité sera peut-être un peu moins aléatoire… Jean Favre souhaiterait une réglementation obligeant les salles à avoir un régisseur permanent. Pour assurer un entretien courant qui laisse à désirer. Faute d’un suivi régulier, et sans même aller jusqu’à l’exemple — extrême ? — du Théâtre Z, on peut en effet voir des salles où des lampes grillées ne sont pas remplacées ou bien des projecteurs sont en panne depuis des mois. On n’ose imaginer l’état général des installations électriques… On ajouterait volontiers à la demande de Jean Favre l’obligation d’avoir un personnel d’accueil régulier. Une caissière d’un soir connaît-elle les emplacements des extincteurs ou le plan d’évacuation des locaux ? 59 Soleil cherche futur « Si un peu plus de lieux pouvaient vivre décemment on ne serait pas dans cette situation où des artistes se ruinent en sous-louant des salles à des prix effrayants. Jouer un spectacle dans une salle parfois pas plus grande qu’un café où la communication n’est pas faite, où il n’y a aucune aide ou entourage technique, des salles garages qui louent, louent, louent, sans aucune promotion, sans résultat final pour l’artiste… Si on développait un peu plus les petits lieux cela se passerait mieux pour les artistes. Des artistes qui ont du mal à s’en remettre, pas seulement financièrement, mais aussi psychologiquement. On 1 — Noëlle Tartier, entretien du 5 avril 2002. casse des gens. » 1 Parmi les loueurs il y a sans aucun doute beaucoup de requins. Des gens pour qui le premier, que dis-je, le seul objectif est la rentabilité optimale d’un investissement bien réfléchi. Les garages d’Avignon en sont un bon exemple. Quand nous parlons de garages — ce n’est pas ici le vieux cliché du milieu artistique employé parfois à mauvais escient — nous parlons bien de locaux affectés onze mois par an à l’abri des voitures et transformés en « théâtres » pendant le mois de juillet. « J’ai actuellement l’exemple d’un groupe de quatre personnes qui achètent un local pour en faire une salle qui sera louée. Ils ont prévu un chiffre d’affaires de 700 000 F pour la première année d’exploitation. Uniquement en location. Et dans le lot il y a deux artistes qui achètent la salle pour exploiter les autres artistes. Je trouve cela choquant. » 2 — Jean Favre, entretien cité. 2 On pourrait parler de « syndrome Avignon » pour résumer la situation parisienne. Enfin, même si beaucoup de loueurs profitent de la situation et de la nécessité fréquente de montrer son spectacle à Paris pour pouvoir le vendre, on ne peut pas systématiquement accuser les petites salles d’étrangler tout le monde. Elles ont un coût d’exploitation important. On peut jeter un œil dans le rétroviseur. À Paris depuis 1966 un peu plus de 400 salles ont ouvert et disparu. Ce qui nous fait grosso modo une ouverture et une fermeture chaque mois. 3 Un chiffre qui 3 — Selon Jean Favre qui cite Charles Joyon auteur d’un ouvrage sur l’histoire des salles parisiennes à paraître début 2003. démontre à qui en douterait que la vie des salles n’est pas un long fleuve tranquille se jetant dans la mer de la sérénité. 60 Soleil cherche futur PO U R Q U O I LOUER UNE SALLE ? Mais pourquoi casser la tirelire et dilapider les économies de la grand-mère pour louer une salle à Paris ? se demande le lecteur intrépide qui ne s’est pas encore assoupi sur le papier. On va élargir la question et se demander aussi pourquoi donner un spectacle dans une petite salle dont on sait que le nombre de fauteuils ne permettra pas et de rentabiliser la mise de fonds et de rétribuer normalement les joyeux partenaires qui rament. Mais que diable allaient-ils 1 — Pour un questionne ment contemporain il nous faut un Molière pluriel… faire dans cette galère ? 1 La première raison de la location, sans aucun doute la motivation la plus importante, est la nécessité de se montrer. « Un passage à Paris est un effet de vitrine, une promotion. Il donne un second souffle, il permet de trouver un autre réseau pour sortir du circuit des salles où l’on est abonné. C’est une nécessité. Tourner dans un unique petit réseau de petits lieux est une politique à court terme qui s’essouffle assez rapidement. Paris est nécessaire, incontournable, inévitable, si on veut progresser, conquérir du public. Sinon on stagne et dans 2 — Pascale Bigot, entretien du 23 avril 2002. ce métier, si on stagne, on recule. » 2 C’est ainsi que l’on voit des artistes qui savent utiliser leur passage dans les réseaux évoqués de petites salles pour s’ouvrir de nouvelles portes. Jean Lafitte, chargé de mission pour les musiques actuelles au sein de Musique et danse en Limousin, 3 — Entretien du 22 juillet 2002. 3 remarque la grande difficulté des artistes à sortir de leur région. Il estime que les concerts à Paris sont nécessaires, indispensables, pour sortir de ces réseaux régionaux trop étroits. Et déplore au passage le manque de structures de production avec des moyens pour organiser ces concerts, déplore que les producteurs de concerts ne poussent que les gens déjà connus tout en remarquant que l’économie très précaire du secteur explique cet état de fait. Jean Lafitte déplore aussi la très grande difficulté à obtenir des subventions pour faire ce travail de promotion et de vente de concerts. Si la création est parfois aidée, ce n’est pas le cas de la diffusion. Il constate que c’est une grande différence avec la musique classique à qui l’on donne aussi les moyens de promouvoir sa diffusion. Si, pour les débutants, se montrer est une absolue nécessité, il en va de même pour les chanteurs qui ont acquis une notoriété. Les positions ne sont en effet jamais définitivement acquises. Il faut continuer à montrer pour vendre. Même quand l’artiste est reconnu, même quand il a un long passé professionnel qui 61 Soleil cherche futur plaide pour lui. Romain Didier, auteur-compositeur-interprète et arrangeur au talent reconnu depuis des lustres, sera l’invité de la résidence-chanson du Théâtre d’Ivry en 2003. Leila Cukierman, directrice, justifie cette invitation en disant qu’il en a vraiment besoin pour relancer sa carrière. On peut être à la fois l’heureux coloriste du Regard de Vincent (van Gogh) et dans une situation professionnelle en noir et blanc. Jean-Michel Joyeau, qui produit notamment les concerts de Nicole Croisille et Henri Tachan : « Pourquoi produit-on ? Quand on produit à Paris on ne rentre jamais dans nos frais. Même en cas de succès ou de triomphe, même à cent quarante payants par jour [dans une salle de cent quarante fauteuils]. Même avec un théâtre plein c’est très rare qu’on fasse fortune à Paris. Un spectacle coûte entre 300 000 F et un million de francs si vous comptez toute la promotion qu’il faut y adjoindre. La publicité a le même coût — de Pariscope aux colonnes Morris en passant par l’attachée de presse — pour une petite salle que pour une grande salle. Quand on produit un spectacle cela veut dire que l’on va le commercialiser après. Paris est une vitrine. Si on fait le Théâtre de dix heures ou l’Olympia c’est tout simplement pour vendre le récital ensuite. Tous les producteurs se servent de Paris comme d’une vitrine pour vendre leurs produits. Le produit est le spectacle qui tourne en France. Tous les spectacles de nos producteurs tournent ensuite pendant un ou deux ans. Le passage à Paris est avant 1 — Jean-Michel Joyeau, entretien du 12 avril 2002. tout un outil de travail pour promouvoir. » 1 Dans un paysage où l’offre est très abondante on serait fort tenté d’écrire que 2 — Producteur, entretien du 29 mai 2002. l’artiste n’existe que par son exposition. Thierry Chenavaud 2 a ainsi payé une coûteuse campagne de publicité (affiches sur les panneaux anti-fraude du métro, affiches grand format dans les gares, un pavé dans Le Monde le jour des Victoires de la musique) pour le passage de Joël Barret durant trois semaines au Ciné-théâtre 13. Pourquoi une dépense de 250 000 F en publicité pour une salle de cent places seulement ? Cette publicité est en fait plus destinée aux professionnels qu’au public. « Un artiste existe, acquiert une légitimité artistique, si un producteur investit sur son nom. La valeur artistique devient paral- 3 — Thierry Chenavaud, entretien cité. lèle à la dépense consentie par le producteur. » 3 Cynisme ? Au vu des difficultés sur lesquelles butent les chanteurs autoproduits on pencherait plutôt pour un simple réalisme exprimé sans détour. 62 Soleil cherche futur LA NÉCESSITÉ DES PETITES SCÈNES « Ces dernières années, l’avènement de groupes comme Louise Attaque, Tryo ou Matmatah a valorisé l’importance des concerts dans la progression et la diffusion des artistes, soulignant la nécessité de préserver un tissu de lieux adaptés. » Stéphane Davet 1 — Le rôle des réseaux pour les nouveaux talents , Le Monde, 12 avril 2001, page 5. 1 Comment faire l’apprentissage du métier sans les petites scènes ? On a vu que les cafés-chansons sont considérés comme une école bonne bien que rude. La petite scène de théâtre constitue l’étape suivante dans un parcours de formation. « On dit qu’un artiste, pour apprendre son métier, doit chanter au moins cinq semaines d’affilée. Ce qui est vrai en chanson l’est tout autant en théâtre. Un artiste qui chante une fois dans une salle, puis une fois dans une autre salle huit ou dix jours après devient un artiste capable de faire des coups. Et cela se passe relativement bien. Mais si vous lui demandez de chanter cinq ou six semaines de suite il faut qu’il place sa voix, qu’il ait un exercice vocal, que le spectacle se rôde, il faut souvent une mise en scène, il faut souvent un cadre de spectacle très différent de celui qui sert à faire des coups. C’est l’intérêt des résidences de Leila Cukierman. Globalement ceux qui sont passés chez elle ont une autre vue, d’autres ressources professionnelles. L’artiste a appris son métier. C’était aussi le cas de ceux qui passaient au Tourtour. [Mano Solo et Éric Lareine 2 — Parmi les nombreux ouvrages de qualité traitant de l’histoire des cabarets on ne citera que le dernier paru : Louis Nucéra, Les contes du Lapin Agile, Cherche-midi Éditeur, 2001, où l’on voit notamment un Georges Brassens débutant sujet à un tel trac qu’il en est incapable d’accorder luimême sa guitare. 3 — Jean Favre, entretien du 22 avril 2002. 4 — Jouer dans le Off, c’est irremplaçable ! entretien in La lettre du spec tacle N°77, 18 juillet 2002. 5 — Leila Cukierman in Chanson et mise en scène , C’est comme ça! Compterendu des Rendez-vous avec la scène chanson, Maison de la musique de Nanterre, 27 janvier 2002, disponible sur le site de Thécif. sont parmi les plus connus.] Ils étaient forgés à leur métier. C’était aussi l’avantage des cabarets. 2 En faisant peu de chansons mais souvent dans trois ou quatre cabarets et ceci pendant plusieurs mois. » 3 Si on n’était pas gentil on pourrait citer nommément un certain nombre de chanteurs ou de comédiens devenus célèbres qui, faute de cet apprentissage, ont dû interrompre précipitamment une belle tournée en cours pour cause d’extinction de voix… Alain Léonard, d’Avignon Public Off, défend lui aussi la nécessité « vitale » de jouer pour un comédien. « Jouer tous les soirs pendant trois semaines d’affilée, il n’y a qu’ici que c’est possible. » 4 « Il faut prendre le temps de travailler la scène. Voici quelques années, c’était possible grâce à l’expérimentation dans de nombreux petits lieux. Aujourd’hui les résidences de création prennent le relais, encore faut-il que les pouvoirs publics maintiennent leur existence. » 5 Les résidences de création, bien plus confortables et financées par les subventions publiques, sont certes des limousines à côté des vélos des petits théâtres plus ou moins bien agencés. Mais il n’y a actuellement qu’une quinzaine de résidences par année. Consolons-nous : au prix actuel des locations — hors 63 Soleil cherche futur quelques petites salles pas trop onéreuses qui se raréfient — la nécessité de l’apprentissage devient une raison marginale dans une location. Après la nécessité de l’apprentissage une deuxième justification de l’existence de petites scènes est la volonté d’essayer, d’expérimenter. Le chanteur a plutôt intérêt à démarrer son nouveau spectacle sur une petite scène où il pourra voir les réactions du public que dans un vaste paquebot aussi tempéré qu’une banquise antarctique. Avant de passer devant cinq cents personnes il vaut mieux passer devant cinquante. Qu’il soit débutant ou confirmé l’artiste peut souhaiter faire des essais ou bien revenir à un répertoire plus intimiste. Un cas de figure fréquent : après avoir labouré des années dans les grandes salles avec trois semi-remorques de matériel — instruments, décors, etc. — un chanteur — ou un metteur en scène — connu veut revenir à une petite forme. En théâtre cela signifie abandonner l’utilisation d’un volumineux décor. En chanson cela signifie être accompagné par un ou deux musiciens. Bernard Joyet se livre à un plaidoyer pour les petits lieux. Avec des arguments qui ne manquent pas d’intérêt. « Un petit lieu, pour l’artiste, remet les choses à leur place. On retourne à la base même de l’art. La création n’exprime toute sa richesse que dans la découverte, dans la virginité de l’artiste. On se retrouve devant des gens qui ne nous connaissent pas, qui ne sont pas venus forcément pour ce qu’on va leur donner et qui vont faire une découverte à l’état pur. Dès qu’il s’agit de plus grandes salles il y a une petite pollution commerciale où on arrive déjà en terrain conquis. L’essence de notre travail d’artiste c’est dans les 1 — Bernard Joyet, chanteur, entretien du 15 février 2002. petits lieux qu’on la trouve. » 1 Bernard Joyet oppose un artisanat des petites scènes au show business comme au gigantisme. « Avec Star Academy on veut nous prouver qu’on peut faire n’importe quoi avec n’importe qui en deux mois et qu’on va le vendre. Sur les petites scènes on vous montre qu’on ne fait pas n’importe quoi… et que cela va être long ! En deux mois Star Academy vend une montagne de disques alors que je fais mon premier disque en solo après des années de métier. Pour moi il y a dix-sept ans que cela dure. On peut donner rendez-vous à Star Academy dans dix-sept ans… Ce n’est pas le même métier et les petites scènes sont là pour prouver que ce n’est pas le même métier. Quand on est dans un stade à deux cents mètres ou plus d’un écran géant c’est impersonnel. Plus le lieu est petit et plus c’est personnel. Plus les gens sont directement touchés au cœur. Quand ils vous voient dans les yeux ils ressentent la sincérité ou son absence. On ne peut pas tricher dans un petit lieu. Alors qu’on peut faire du play-back dans un stade. Ne faites pas de play-back dans un bistrot, vous vous feriez 64 Soleil cherche futur jeter ! Je préfère passer dans mille petits lieux que dans un hall qui va avoir la taille de mille petits lieux. L’impact sera beaucoup plus grand sur les spectateurs. Cela leur laissera un plus beau souvenir. En tout cas cela me laissera un 1 — Bernard Joyet, entretien du 15février 2002. plus beau souvenir. » 1 Les petites scènes suppléent aussi — dans les limites de leurs très modestes moyens — la carence des media qui ne diffusent qu’une infime partie de la production musicale. Un sondage commandé en 1999 par Chorus et La Scène montre que le renouveau de la chanson française passe par la scène et non par le disque. Quatre artistes seulement sur les vingt premiers cités par les professionnels comme « incarnant le renouveau de la chanson en France » sont normalement médiatisés. « Le grand public, celui qui reste passif devant son petit écran, qui n’écoute et ne regarde que ce qu’il connaît déjà, qui ne se déplace que pour assister aux spectacles des vedettes les plus médiatisées, ce public-là — qui forge l’audimat et détermine donc, par défaut, le contenu des programmes audiovisuels — n’a plus aucune possibilité de découvrir de nouveaux talents… Si bien que la relève de la chanson française ne dispose plus, aujour2 — Fred Hidalgo & Éric Fourreau, Éditorial, Chorus, N° automne 1999 et La relève en question(s), La Scène N° 10, septembre 1999. d’hui, que de la scène pour seule vitrine. » 2 On imagine, sans risquer une entorse du cervelet, que ce ne sont pas les gigantesques halls privés où l’on parque les spectateurs debouts ou les grands théâtres publics qui ont programmé tous ces gens alors qu’ils étaient tout à fait inconnus. 65 Soleil cherche futur UN E PRODUCTION TYPE Dominique Dumont, producteur, propose une simulation pour une petite production parisienne. Il s’agit ici de présenter le concert d’un trio (on est resté modeste) que l’on souhaite vendre aux programmateurs. À cet effet on a loué une (modeste) salle de 100 à 150 places pour quatre (modestes) semaines. « Il y a un vrai temps d’inertie à Paris. Si on veut faire une production sérieuse, même en petite salle, il faudrait pouvoir tenir deux mois. En tout cas on ne 1 — Entretien avec Dominique Dumont en date du 9 avril 2002. peut pas faire moins d’un mois. » BUDGET- TYPE 1 D E P R O D U C T I O N D ’ U N S P E C TA C L E ( E N F R A N C S ) Location salle 2 000 F x 20 jours 40 000 Attachée de presse plus frais (dossiers, affranchissement, etc.) 40 000 Publicité kit forfaitaire du Fonds de soutien (métro et cie) 45 000 Publicité diverse (par exemple : Pariscope, Officiel, Starter plus) 25 000 Total publicité 2 — Commentaire amusé de Dominique Dumont : « à 500 F bruts, minimum conventionnel, ça râle, ce n’est pas la paix sociale ! » 3 — L’assurance annulation, indispensable si on ne veut pas déposer le bilan pour cause de grippe ou entorse, couvre les risques maladie et accident des artistes. La base de calcul normale est de 2 à 3 % du budget global. 4 — On n’a pas parlé des techniciens ou du personnel d’accueil (caisse, contrôle des billets) dont on a supposé qu’ils étaient compris dans le coût de location de la salle. On n’a pas compté non plus de location de matériel en pensant à un concer t acoustique. Il s’agit bien d’une production modeste… 110 000 Cachets artistes 2 500 F bruts x 20 jours x 3 pour un trio 30 000 Charges sociales sur cachets (43 %) 13 000 Assurance annulation 3 Frais de régie (piles, fumée, autres consommables) 100 F x 20 jours Total des dépenses 4 5 000 2 000 200 000 Après les dépenses faisons le tour des rentrées. Pour la commodité on va se baser sur un prix d’entrée de cent francs. [Un prix qui est peut-être trop élevé pour inciter à venir découvrir des inconnus.] De ce prix il faut sortir la TVA à 2,10 %, la taxe parafiscale de 3,5 % et les droits d’auteurs (SACEM) qui se montent à 10 %. Le total des débours de la billetterie est de 15,6 %. Ce qui nous fait une rentrée nette de 84,40 F par place. Le total des dépenses étant de 200 000 F pour vingt représentations il nous faudrait une recette quotidienne de 10 000 F, c’est-à-dire à peu près cent vingt entrées, pour équilibrer les comptes. N’oublions pas le fameux temps d’inertie. On peut fort bien, même en étant un bon producteur qui connaît bien son métier et sait faire la publicité de son artiste, démarrer à deux entrées payantes par jour. Dominique Dumont dit sans fard avoir commencé un spectacle à sept payants par jour. Au fur et à mesure des parutions d’articles dans la presse et du développement du bouche à oreille on va améliorer le nombre d’entrées payantes. Une moyenne de trente à cin- 66 Soleil cherche futur quante entrées payantes par jour est selon lui une prévision raisonnable si on a fait une bonne publicité. « Dans une petite salle même si on fait un carton le week-end cela ne remonte pas beaucoup la moyenne. Si on a une grosse demande, on ne peut pas la satisfaire. On ne peut pas mettre deux cents personnes dans une salle de cent vingt places. » Dans l’hypothèse de trente entrées à 84,40 F x 20 jours on a 50 640 F de recette nette. Le déficit arrondi est de 150 000 F. Dans l’hypothèse de cinquante entrées à 84,40 F x 20 jours on a 84 800 F de recette nette. Le déficit arrondi est de 115 000 F. Sur ce budget, « qui n’a vraiment pas été gonflé », le risque de perte pour un mois va de 115 000 F à 150 000 F. « Pour compenser la perte les subventionneurs les plus actifs sont le Fonds de soutien, l’ADAMI, la SPEDIDAM, et un peu moins la SACEM, le FCM et THÉCIF ». Les maisons de disques sont la deuxième source possible de financement. L’apport se fait en budget de publicité « que l’on nomme tour support en langage magnifique. On peut décider d’utiliser la publicité de la maison de disque en plus du budget propre parce qu’on a été vraiment très léger avec un budget minimal. » Les autres aides que l’on peut obtenir sont les petits partenariats (un grand partenariat est Télérama) par exemple en offrant des places en échange d’annonces. « Que se passe-t-il quand tu as tout fait mais que tu as trente mille ou quarante mille francs de déficit ? On a passé un contrat de deux à cinq ans avec les artistes. Ce qu’on va avoir perdu, c’est comme de l’investissement, on va le récupérer plus tard. Mais c’est générateur de grands conflits avec les artistes dans le développement de leur carrière. Imaginons que tu as accumulé deux cent mille francs de dettes sur le compte d’un artiste en un an et demi ou deux ans, — n’oublions pas la possibilité de faire des tournées déficitaires en plus de la production parisienne déficitaire — et ça se met à marcher. Là tu récupères ton investissement, mais lui, il n’est pas beaucoup plus payé qu’il ne l’était auparavant. Et c’est l’explosion… Le moment psychologique où l’artiste décolle est très difficile à gérer. » « Il faut vraiment y croire fort. Les producteurs anciens sont de moins en moins à faire du démarrage de carrière à ce niveau parce qu’avec le savoir-faire que nous avons, nous sommes aussi sollicités par des artistes qui en sont déjà à un autre stade. Je t’explique tout cela mais je ne fais plus de tels passages dans des petites salles. Je n’ai pas travaillé avec une petite salle depuis longtemps. On peut faire la comparaison avec Avignon, c’est la même économie très difficile. » 67 Soleil cherche futur « Comment récupérer l’argent perdu à Avignon ? C’est le même principe. Tu les récupères plus tard sur l’exploitation, sur les tournées éventuelles. D’où la complexité des contrats de production. Dans l’inconscient d’un artiste il est normal qu’un producteur perde de l’argent. C’est normal qu’un producteur investisse mais il ne peut pas survivre s’il perd tout le temps de l’argent. D’autant plus que dans le budget que je t’ai montré on n’a pas valorisé le coût de fonctionnement du bureau de production. C’est curieux mais en France on ne le valorise pas. Alors que c’est au minimum quinze pour cent du budget du spectacle. Les frais généraux représentent huit à dix pour cent auxquels il faut bien ajouter le nécessaire pour que l’entreprise de production vive. Avec un petit budget de spectacle comme celui que nous venons de voir il faudrait compter plutôt de vingt à vingt cinq pour cent. Par exemple pour notre structure [assez solide] avec bureau et salariés, il nous faut quatre mille francs par jour pour le moindre spectacle en province. Sinon on travaille à perte. À moins de considérer qu’on fait un investissement. » « Produire un artiste pendant deux mois au Sentier des Halles [cent vingt places], c’est autant de travail, d’énergie et d’implication personnelle que produire un artiste deux mois au Casino de Paris [mille cinq cents places]. Il n’y a que les zéros au bout qui changent. Quand tu fais trente mille entrées payantes avec un artiste tu n’as guère plus de travail qu’avec un artiste qui va faire trois cents entrées payantes. Le coût de l’attaché de presse est le même, la publicité n’est qu’une question d’argent et comme tu es financièrement à l’aise tu peux déléguer une partie du travail. D’un point de vue purement économique il est plus intéressant pour une société de production de s’occuper de trois artistes qui marchent bien que de s’occuper de dix petits. C’est une évidence. C’est pour cela que les artistes ont tous tant de mal à démarrer. Et c’est pour cela qu’il y a autant d’autoproduction qui reste un bon système puisque c’est ainsi que nous, de temps en temps, nous arrivons à les voir. Comme c’est monstrueusement risqué, et que l’on est des entreprises privées, on ne prend pas le risque. Et encore, moi je le fais de temps en temps par conviction mais il y a des producteurs qui ne le font plus jamais. On ne peut pas leur jeter la pierre en tant qu’entre1 — Dominique Dumont, entretien cité. preneurs privés. » 1 68 Soleil cherche futur T ROIS BUDGETS DE PRODUCTION Il n’est pas de parole d’évangile en gestion et les méthodes de travail des producteurs connaissent des variantes. On verra ainsi que Daniel Gasquet, producteur des groupes Évasion et Entre deux caisses ne tâte pas le cul de ses poules pour compter les œufs qu’il aura peut-être demain. Il nous a communiqué trois budgets de productions de spectacle. Deux ont trouvé place dans le festival off d’Avignon et la troisième à Paris. En faisant un détour par Avignon on ne s’écarte pas de notre étude puisque le producteur a utilisé des petits théâtres 1 — Éléments fournis par Daniel Gasquet, Vocal 26, entretien du 18septembre 2002. en location dans le but de vendre des représentations. B UDGET ENTRE DEUX CAISSES AVIGNON JUILLET 2002 ( EN 1 E U R O S) Dépenses Location salle Logement gratuit Restauration (faite à la maison d’où un coût dérisoire) Salaires bruts des quatre artistes Salaire brut du régisseur Charges sociales artistes Charges socailes régisseur Frais de déplacement (dérisoires car on vit dans le voisinage) 7318 0 351 13800 1288 6900 721 180 Cartes de publicité Demi-page publicité dans La Scène Sets de table Cartes d’invitation Expédition Mise sous pli Graphiste et films Sous total publicité 2266 522 325 207 1718 274 302 5614 SACEM et taxe parafiscale Entretien costumes Administration 862 773 5000 Total 42807 Recettes ADAMI Fonds de soutien Billetterie Fonds propres Total 8000 11000 6071 17736 42807 69 Soleil cherche futur Entre deux Caisses est un groupe de quatre chanteurs qui interprètent des chansons de grande qualité tirées du répertoire francophone et bien souvent connues des seuls initiés. On peut évoquer les Frères Jacques pour décrire leur spectacle mis en scène et interprété avec beaucoup de soin et d’amour pour la belle ouvrage au détail près que nos interprètes s’accompagnent d’un instrumentarium acoustique diversifié. Ce passage d’Entre deux caisses au Petit Chien (cent places) a été prévu plus d’un an à l’avance. On arrive ainsi à Avignon avec une réserve. Elle est constituée par les économies réalisées sur la création pour laquelle on a reçu des aides et par les sommes non affectées des ventes de représentations. C’est la stratégie de l’écureuil. On prend un risque malgré tout car on s’engage — chèque de réservation du théâtre — avant d’avoir les réponses des financeurs potentiels. La recherche de financement se fait alors que le projet est déjà sur les rails. Néanmoins la règle de Vocal 26 est de ne pas compter sur les rentrées futures. On ne se place pas dans la logique de l’amortissement d’un investissement. On raisonne en examinant la trésorerie et l’objectif est que les comptes ne soient pas déficitaires après le passage à Avignon. L’intérêt d’une telle stratégie est de ne pas prendre des risques économiques très lourds, de ne pas avoir de frais financiers qui font le bonheur du banquier, de ne pas être trop dépendant des ventes futures, de ne pas avoir l’obligation de récupérer l’investissement du lancement sur les ventes ultérieures. Cela évite de devoir gonfler le prix de vente. Le prix de vente ne sera pas pénalisé par un amortissement et cela permet de rester plus aisément en phase avec la demande. On pourra ainsi vendre des concerts à de petites structures culturelles qui n’ont pas de gros moyens et la machine n’en tournera que mieux. Ici on s’entend très bien avec le réseau Chaînon dont les membres d’Entre deux caisses disent volontiers partager les idées. Le bilan provisoire du passage d’Entre deux caisses à Avignon est bon puisque plus de 170 programmateurs ont vu le spectacle. 70 Soleil cherche futur C OMMENTAIRE SUR LE BUDGET ÉVASION AVIGNON JUILLET 2002 (EN EUROS ) Évasion est un groupe de six chanteuses accompagnées d’un pianiste et d’un accordéoniste. Le spectacle Étranges étrangers est constitué de chansons en français, espagnol, arabe et autres langues parlées par ces chanteuses de Romans (Drôme) issues de l’immigration. Il accorde une place importante aux poètes ou écrivains et le nom de Nâzim Hikmet résume assez bien le niveau des auteurs. Le spectacle a été mis en scène, éclairé et chorégraphié avec un bonheur certain. Le budget beaucoup plus élevé du passage d’Évasion à Avignon tient d’une part à l’importance du groupe — huit personnes sur scène contre quatre pour Entre deux caisses —, à des défraiements plus importants, à la location d’une salle plus grande et plus chère — le Chien qui fume, deux cents places — et à une imputation des coûts de gestion proportionnelle au chiffre d’affaires du groupe qui est plus ancien et tourne beaucoup plus. On remarquera également, cela vaut pour Évasion comme pour Entre deux caisses, que la billetterie ne représente qu’une petite partie des rentrées. Cela est dû à des tarifs modestes pour être attractifs alliés à un grand nombre de tickets exonérés. Le bilan provisoire des trois semaines à Avignon est bon puisque le spectacle a été vu par les programmateurs de 250 structures. Comme pour le groupe Entre deux caisses on connaîtra en début d’année 2003 le bilan définitif de ce passage à Avignon lorsque les achats de représentations seront effectués pour la programmation de l’année 2003-2004. 71 Soleil cherche futur BUDGET ÉVASION AVIGNON JUILLET 2002 (EN EUROS ) Dépenses Location salle Location piano 10671 686 Hébergement 4 756 Défraiements 960 Transports 654 Salaires bruts six chanteuses 18900 Salaires bruts musiciens 4620 Charges sociales chanteuses 7361 Charges sociales musiciens 1848 Salaires bruts régisseurs 1921 Charges sociales régisseurs 1076 Honoraires répétiteur Cartes publicitaires 265 2266 Sets de tables 975 Page de publicité dans La Scène 711 Expédition 1718 Cartes d’invitation 426 Sous-total publicité 6096 SACEM et taxe parafiscale 1796 Administration 15000 Divers 1590 Total 78200 Recettes Billetterie Vente de disques SPEDIDAM 14600 2500 11000 Ville de Romans 2900 Fonds de soutien 20000 ADAMI 11000 FCM 7800 Fondation France Télécom 8400 Total 78200 72 Soleil cherche futur LE PA S S A G E D ’É VA S I O N A U CAFÉ DE LA DANSE À PARIS EN SEPTEMBRE 2002 Nous faisons une petite entorse à la règle fixée pour notre mémoire avec ce passage dans une salle de trois cent cinquante places. Hors le coût de la location, plus élevé, (six mille euros avec les frais techniques) cette taille ne modifie pas sensiblement les autres postes de dépense. Et ne change rien au sens de la démarche entreprise. On remarquera tout d’abord — avec une dépense totale de trente et un mille euros — que trois soirées à Paris coûtent proportionnellement beaucoup plus cher qu’un passage de trois semaines à Avignon. Mais le passage au Café de la danse est complémentaire du passage à Avignon Off. Si seulement une trentaine de programmateurs sont venus au Café de la danse le but était d’abord de générer du battage médiatique. D’où le recours à une attachée de presse. Sept mille euros. Auxquels on ajouté six mille trois cents euros pour toute la communication et la publicité. Les soirées au Café de la danse ont permis d’obtenir un passage au Treize-quatorze — très écouté — de France Inter et des articles notamment dans l’Express et dans le Parisien. Des media très certainement intéressés par le fait que les trois soirées parisiennes accompagnaient la sortie du nouveau disque correspondant au spectacle. Suite à ce passage sur les ondes de France-Inter les programmateurs appellent le producteur. Paris a bien servi à conforter le passage à Avignon. 73 Soleil cherche futur ART O U BU S I N E S S ? Parler de chanson dans le monde culturel c’est s’infliger l’obligation d’un parcours initiatique avec meurtre rituel. Tordre le cou — au minimum pour la cent millième fois — au réflexe conditionné par une idéologie de pacotille du « cultureux de base » (Bernard Joyet) pour qui la chanson est synonyme de montagne de pognon accouchée par le disque. Eh bien tordons encore une fois ce cou si résistant au torticolis. 1 — Jean Paul Sermonte, livret de C’est toujours la première fois, compilation de chansons de Jean Ferrat, Barclay/Polygram, 1998. 2 — Gilles Bleiveis, créa teur de Sibécar, maison d’édition et de L’Escargot, maison de disques, in Chanson N° 26, mai 1977. 3 — Bernard Joyet, chan teur, entretien du 15février 2002. « Si la musique est un bruit qui pense, comme l’a écrit Victor Hugo, en revanche dans les années soixante la musique était justement un bruit qui ne pensait pas. La chanson était devenue un « produit ». Mouloudji qui venait de fonder sa propre maison de disques dénonçait : Il est temps que cessent le scandale de la chanson et l’abêtissement du yé-yé… Le métier est tombé aux mains des mercantis. Tout était déjà truqué en 1954, on nous traitait comme des marques d’apéritifs. Maintenant, c’est pis ! On pratique la ségrégation de l’âge. On exploite les jeunes et le plus gros du fric qu’on leur soutire, ce sont des quinquagénaires qui l’empochent… » 1 « La chanson est un mode d’expression méprisé. Je ne suis pas d’accord avec l’attitude du monde culturel par rapport à la chanson. Il ne voit que son côté méprisable — truc à fric — alors qu’elle est le moyen par excellence de communiquer entre les hommes. Un moyen, à mon avis, aussi important que le cinéma. Mais elle est entre les mains de puissances financières, le plus souvent étrangères, qui pensent chiffres avant la qualité des matériels qu’elles exploitent et rabaissent au rang de produits. » 2 Pas mal d’années et presque autant de ministres de la culture plus tard plus tard ce vieux thème est toujours furieusement contemporain et continue à faire l’objet de reprises de la part de nombreux interprètes. « Les petites salles sont considérées comme des commerces. Et ne le devraient pas. Les artistes sont considérés comme des profiteurs d’un commerce, comme des commerçants. » 3 Un thème hélas inusable qui inspire d’innombrables refrains. « En France les collectivités publiques 74 Soleil cherche futur 1 — François Chesnais, entretien du 26 avril 2002. 2 — Rapport de la Commission nationale des Musiques Actuelles à Catherine Trautmann, Ministre de la Culture et de la Communication, 1998, page 27. considèrent la chanson comme un business. Dans la tête de nos énarques, la chanson égale industries phonographiques, égale show-biz, égale gros profits. » 1 Avec ces couplets où le galant se désole de constater que l’amour n’est toujours pas partagé. « Les acteurs économiques de la filière musicale ne se sentent absolument pas reconnus par les différents services du Ministère de la Culture. Tout se passe comme si éternellement le livre et le cinéma devaient être les deux secteurs économiques légitimes, la musique classique et contemporaine représentant pour leur part la légitimité culturelle. » 2 La chanson, toutes esthétiques confondues, souffre trop souvent aux yeux du monde culturel de cette image « commerciale ». Il ne saurait être question de nier que des productions sont motivées par l’appât du gain. Que des cachets princiers sont exigés par des étoiles du jour. Ou qu’il rôde autour des artistes une faune nombreuse qui est là pour des raisons tout sauf philanthropiques. Mais ramener la chanson à un « truc à fric » ou à un « business » c’est faire une généralisation excessive. C’est faire bon marché de ceux qui écrivent, composent, interprètent, parce qu’ils portent en eux cette poussière d’étoile, ce soleil incandescent. C’est oublier qu’à côté des productions industrielles standardisées existent aussi des artisans amoureux de la belle ouvrage. C’est oublier qu’à côté de quelques noms richissimes, pas nécessairement géniaux, survivent parfois dans la difficulté mille artistes au talent méconnu. 3 — Castafiore Bazooka sous la direction d’Elizabeth Wiener, Au cabaret des illusions per dues, disque Lucie, 1996. « Cet album a été réalisé dans des conditions matérielles d’une délicate modestie mais dans le plus grand luxe qui soit : la liberté. Pas de concession ni de condition, pas de P.-D. G. ni de directeur artistique aux angoisses métafric, juste de la confiance, de la patience et de l’amour qui sont les seuls signes intérieurs de richesse que nous sommes fières d’afficher. » 3 Faire d’un genre, la chanson, un synonyme de pompe à fric, c’est faire une généralisation outrancière et abusive. Combien de fois avons-nous entendu opposer l’ensemble indifférencié des « musiques actuelles », 75 Soleil cherche futur « commerciales » comme il se doit, à la musique « sérieuse » ? 1 — Selon Rappels, la revue des théâtres privés, N° 4, février 2002. 2 — François Chesnais, entretien du 26 avril 2002. La musique classique, au sens le plus large de ce terme, serait un îlot de désintéressement dans ce bas monde voué au dieu argent. Hâtons-nous de jeter un voile pudique — tissé avec de la tôle de blindage de coffrefort helvétique — sur les cachets astronomiques des chanteurs lyriques, des pianistes, des violonistes, des chefs d’orchestre célèbres… Et pourtant on ne réduit pas la musique classique à des salaires aussi scandaleux que faramineux. Pas plus qu’on ne réduit le théâtre public aux détournements de fonds d’un Planchon, aux dépenses somptuaires d’un centre dramatique national ou à la gestion calamiteuse d’un Nordey. Pas plus qu’on ne réduit le théâtre au seul théâtre de boulevard ou aux 17 000 représentations de Boeing boeing de Marc Camoletti 1 ce qui doit tout de même faire un assez joli paquet de droits d’auteur. Pas plus qu’on ne réduit les arts plastiques au montant des enchères lors de la vente d’un tableau de Vincent van Gogh. Ne me demandez pas combien ça fait en euros. « Il y a des comédiens qui vivent de la scène et ne font pas de cinéma ou de télévision. Pourquoi ne pas se poser la question d’un chanteur qui ferait de la scène sans se préoccuper d’une carrière phonographique ? En outre le disque peut aussi — au même titre que le recueil de poésie par exemple — être un document, un livre sonore qui conserve une certaine confidentialité, qui ne rentre pas forcément dans une logique de profit. Beaucoup d’artistes vendent des disques à la sortie de leurs spectacles mais peu — ou souvent pas du tout — dans les bacs des disquaires. On est dans une économie artisanale et complètement différente de celle des grands tirages. Tant qu’on sera pas sortis de cette vision fric les petits lieux ne seront pas considérés comme des lieux d’expérimentation. Ils ne seront pas subventionnés au même titre que des théâtres peuvent l’être. » 2 Quand on parle de gastronomie française on ne pense pas nécessairement aux boîtes de raviolis Leader Price. « On mélange la musique de danse chantée avec la chanson. La musique de danse où la voix est un instru- 76 Soleil cherche futur 1 — Bernard Joyet, entretien du 15 février 2002. 2 — Christine Hudin, entretien du 9 avril 2002. 3 — Serge Utgé-Royo, entretien du 25février 2001. ment de musique comme les autres. Que le texte dise la la la ou je t’aime on se fout des paroles. Dans le même ordre de confusion si on parlait de peinture on mélangerait Ripolin et Rembrandt. Pour repeindre son mur on n’a pas besoin, et c’est même difficile, d’entendre une chanson de Brel. Il vaut mieux avoir Claude François. Parce que ça s’en va et ça revient. Et pour le pinceau c’est très bien. Par contre, si c’est Brel, on pose le pinceau. La chanson, pour moi, c’est quand on pose le pinceau. » 1 « Je ne parle pas d’une chanson faite pour les intellectuels mais une chanson INTELLIGENTE qui te prend non par le plus bas mais par le plus haut. Qui fait appel à ce qu’il y a de meilleur en nous. Qui va nous ouvrir d’autres horizons. » 2 « C’est triste que le même vocable — chanson — puisse regrouper autant de choses si dissemblables. Les petites nanas et les gars qui bêlent des chansons fabriquées pour faire des tubes pour passer à la télé. Ce ne sont pas uniquement des tubes, c’est aussi de la chanson en tube. Céline Dion marche très fort et pof ! il y a dix clones de Céline Dion. Et on trouve d’un autre côté des concerts dont les auditeurs se disent que ce sont des spectacles qu’on ne verra pas à la télévision, que ce ne sont pas des produits manufacturés en boîte avec un ruban rose. » 3 Il se trouve, même si on peut le regretter, que le mot chanson sert à désigner des productions très disparates. Mais c’est la même chose pour le mot cinéma et pourtant il est acquis depuis belle lurette que dans cette discipline il y a un cinéma d’art et d’essai à côté d’un cinéma ouvertement commercial avec, entre les deux, un cinéma grand public de qualité. On ne considère pas l’ensemble du cinéma comme commercial. Il est étrange que ce soit un argument toujours ressassé pour la chanson. Cela dénote une faiblesse de la pensée, une inaptitude à distinguer les nuances, une remarquable absence d’analyse. « Il est sans grand intérêt de raisonner en productions commerciales opposées aux productions non-commerciales. On ne s’en sort pas si on aborde la discussion en ces termes. De toute façon on produit quelque chose que l’on vend. Même quand ce n’est pas rentable il y a 77 Soleil cherche futur un acte de commerce ou un échange monétaire. Si vous retirez un revenu d’une activité vous êtes dans une forme de commerce puisqu’il y a de l’argent en jeu. On ne peut opposer que le bénévolat à cette 1 — Marianne Valkenburg, conseillère musique et danse, entretien du 6 octobre 2002. vision simpliste. » 1 « Il vaut mieux raisonner en opposant industrie et artisanat. On dit « pas commercial » seulement parce que ce n’est pas fabriqué à grande échelle. Et il faudrait encore nuancer. Car même dans les industries culturelles c’est la reproduction qui est industrielle. Et pas la production elle-même. Quand on donne des subventions on doit réfléchir. Pourquoi donner ou ne pas donner des subventions ? Pour quelles raisons soutient-on certaines formes de production artistique ? En général c’est parce que l’on veut soutenir une activité artisanale et que l’on sait qu’aujourd’hui l’artisanat est difficilement rentable. Il est plus intéressant d’explorer cette volonté de soutien d’activités artisanales, d’activités non rentables. Parce que cela vaut aussi pour d’autres domaines et pas seulement pour l’art. Par exemple la collectivité finance l’entretien de chemins qui ne servent aujourd’hui que pour la randonnée ou la promenade — une utilisation non rentable — alors 2 — Idem. que naguère l’agriculture assurait un entretien qu’elle rentabilisait. » 2 « On peut parler de production commerciale dans un cas précis. Lorsque le seul ou le principal motif de la production — le mobile du crime ! — est de générer de l’argent. Ce que Jacques Prévert nommait par dérision la musique de droits d’auteur. » 3 — Ibidem. 4 — c f. Étude d’implantation d’une salle de grande capacité, dossier de la société Pointbleu, commande du Fonds de soutien, décembre 2001. Notre spectacle, aussi distrayant soit-il, se veut aussi éducatif. Un petit détail, bien qu’un tantinet dispendieux, ne manquera pas d’amuser le contribuable qui sommeille en toi, cher et vaillant lecteur qui souhaite t’instruire. Le coût actuel de la construction d’un Zénith varie de 120 à 200 millions de francs. 4 Coût entièrement pris en charge par la collectivité. De même que le déficit chronique d’exploitation qui frappe cruellement à peu près tous les Zéniths hormis celui de Paris. Du conseil régional à la municipalité, tout le monde casque. Le ministère de la cul- 78 Soleil cherche futur ture donne dix-sept millions de francs pour la construction de chaque Zénith. Le contribuable est sympa. Et le ministère pas trop regardant. Un Zénith n’accueille que de très grosses productions — remplir une salle de trois à huit mille places n’est pas chose si aisée — dont nombre de chèvres bêlant en cadence regarde mes seins et dis moi si je chante bien et autres boys bands à torses épilés, huilés, bronzés et body-buildés dont on ne jurerait pas que l’amour de l’art soit le moteur de la brève mais lucrative carrière musicale. Les beaux esprits qui nous objectent toujours l’aspect commercial de quelques productions pour refuser trois euros et cinquante centimes aux petites scènes de chanson devraient s’émouvoir lorsque la collectivité claque sans sourciller deux ou trois millions d’euros pour donner un nid douillet aux couvées les plus commerciales et clairement racoleuses, non seulement en musique, mais aussi en danse et en théâtre. 1 — Pascale Bigot, in Le fil d’Arianne N° 6, décembre 1998. 2 — Bertrand Cantat, chanteur du groupe Noir Désir, raconte avec une véhémence certaine qu’une journaliste d’Europe de l’Est a entamé un entretien avec lui par : « Vous êtes dans le music business depuis… » 3 — Emmanuel Dupuy, Diapason N° 477, janvier2001, page 15. Autre petit détail tordant. Ami contribuable, désolé, mais tu vas encore être essoré. Quand un grand théâtre public subventionné programme un récital de chanson — en général c’est une fois dans l’année — que programme-t-il ? L’un de ces très nombreux inconnus ou méconnus talentueux qui rament habituellement sur de petites scènes ? Ben non, faut pas rêver, on a droit une fois de plus à une « vedette » — certes à la production de bonne qualité mais aussi et surtout bien médiatisée — qui vend les disques par palette. Et demande des cachets croquignolets. Pascale Bigot nomme cette pratique « le prestige consensuel ». « […] Le nom sert à ouvrir la saison ou à vendre l’abonnement — comme un produit d’appel en supermarché. » 1 Et c’est drapé dans la toge immaculée de sa belle pratique si loin des us du vil commerce moderne que notre programmateur de disciplines nobles nous administre de belles leçons de morale au sujet de la chanson qui est forcément du « music business ». 2 Tiens, histoire de se consoler après ces sinistrosi en clusters compacts, on termine sur une mesure qui nous met un allegretto entre les oreilles. Musique ! maestro : « Plus que la musique dite « sérieuse », c’est probablement la chanson qui a le mieux exprimé tout au long du siècle qui vient de s’achever l’esprit du temps, ses doutes, ses espoirs et ses incertitudes. » 3 Merci Diapason. 79 Soleil cherche futur PR O D U C T I O N ET AUTOPRODUCTION Mais où est la sortie de secours ? On voit bien que, pour assurer à la fois un revenu décent à des artistes et une diffusion raisonnable de leur spectacle, les sommes mises en jeu sont hors de portée de la plupart des individus. Le recours à une entreprise de production n’est pourtant pas toujours bien perçu. Il y a des clichés qui ont la vie dure. Pour le monde culturel le producteur est consubstantiellement affublé d’un gros cigare. On ne va pas s’attarder sur cette image convenue. D’autant que les producteurs de cet ordre ont généralement déserté la chanson depuis belle lurette au profit de prairies show biziques autrement plus grasses où les chèvres vendent leur compact crottin par centaines de milliers d’exemplaires et remplissent de vastes Zéniths [généreusement subventionnés comme on l’a vu]. Nous parlons plutôt ici de gens qui ont un savoir-faire et ont recours aux petites salles pour la promotion des artistes. Le producteur peut être l’alter-ego de l’administrateur de compagnie dramatique ou chorégraphique. Mais le producteur compétent fait tout un travail d’accompagnement d’artistes, de développement de carrière, de développement artistique, qui embrasse un champ plus large que celui de l’administrateur de compagnie inféodé aux demandes de l’artiste. On voit depuis quelque temps apparaître des bureaux de théâtre qui ont des fonctions qui se rapprochent de celles des producteurs avec l’administration de plusieurs compagnies théâtrales qui permet de faire des économies d’échelle et cette même indépendance critique à l’égard de l’artiste qui permet de le faire progresser. Dominique Dumont donne un exemple concret de son travail d’accompagnement d’artistes. « Un aspect artistique qui est une injustice folle : arriver à Paris trop tôt par rapport à la maturité du projet c’est se faire dézinguer alors qu’il faut bien commencer un jour ou un autre. Quand tu es à Paris, même dans une petite salle, on estime automatiquement que c’est un spectacle abouti. C’est un enfer pour l’artiste ! Comment rôder un spectacle, comment l’améliorer ? Tu ne peux pas le faire sans public. Et si tu le fais à Paris avec les moyens habituels d’un producteur on te dit : ce n’est pas mal, mais c’est trop long, ou ce n’est pas prêt. On te fait part de ses réticences. Avec cela tu repars pour un an, deux ans, voire trois ans de supplément [avant de vraiment pouvoir vendre le spectacle]. J’ai une petite méthode personnelle pour surmonter cet obstacle. Des théâtres me prêtent leur petite salle pour des auditions privées. C’est une sorte de show case, une répétition publique, ce qu’on appelle en théâtre une lecture. Avec ce 80 Soleil cherche futur système d’audition en matinée on sait que l’on est convié à voir un travail en cours et c’est psychologiquement très différent pour les professionnels. Tu vois les réactions du public et tu écoutes des avis compétents. On te dit que le début n’est pas bon mais que, par contre, telle autre partie est superbe. Tu retravailles et cela te permet de gagner beaucoup de temps dans le domaine artistique. Tu peux multiplier ces auditions. Je fais ainsi travailler le spectacle solo d’une comédienne depuis un an. Nous avons déjà fait une dizaine d’auditions à raison d’environ une par mois. Mais pouvoir faire de telles auditions demande une antériorité d’années de travail. Ce qui donne un réseau de relations, la chance de se faire prêter un théâtre, de pouvoir trouver cinquante personnes — dont des professionnels — qui vont venir voir un spectacle à la suite d’un simple appel téléphonique. Le coût est dérisoire. Et c’est une opération très motivante pour l’artiste. Car même un metteur en scène ne peut pas tout faire. Il y a quelque chose d’inexplicable dans la nécessité d’avoir un public. Quand tu mets un artiste devant vingt ou trente personnes cela suffit pour voir si artistiquement ton spectacle tient le choc. L’audition remplace aussi des semaines de location coûteuse parce que tu peux inviter de façon informelle des journa1 — Dominique Dumont, entretien du 9 avril 2002. listes et des programmateurs. » 1 Être producteur c’est savoir accompagner un artiste dans tous les domaines, avoir un œil critique sur chaque aspect du spectacle. « Les prestations techniques ont énormément augmenté depuis que je fais ce métier. Aujourd’hui même un spectacle qui débute est foutu s’il n’a pas de bonnes lumières et un bon son. Il ne peut même pas être catalogué comme spectacle. Le niveau global des spectacles a incroyablement monté depuis vingt ans. » 2 2 — Dominique Dumont, idem. Un bon producteur est le moteur d’un développement de carrière. Nous avons vu combien est essentielle sa capacité à mettre en place le plan de financement nécessaire à chaque opération de ce développement, sa capacité à réunir les moyens de ses actions. « Sans le Fonds de soutien il n’y aurait plus rien. C’est l’outil le plus efficace. Il y a toute une panoplie de programmes d’aide : aide au show case, aide au développement de carrière, aide à la tournée, aide à la pré3 — Dominique Dumont, ibidem. sentation à Paris. » 3 « La différence entre le petit spectacle de Bruno Darraquy [avec un pianiste accompagnateur] pendant cinq jours aux Déchargeurs [cent places] et le gros spectacle de Serge Utgé-Royo [avec trois musiciens accompagnateurs] pendant cinq jours à l’Européen [trois cent cinquante places], c’est que je vais perdre plus d’argent à la fin. Je mise sur le long terme. Pour Serge nous récupérerons vite [l’important déficit] avec la vente de disques. Pour Bruno, si j’arrive à vendre dix à quinze fois son spectacle en France, si on y ajoute quelques spectacles en Belgique, si on y ajoute un peu de ventes de disques, je ne vais pas 81 Soleil cherche futur 1 — Christine Hudin, entretien du 9 avril 2002. gagner d’argent mais je vais finir par ne pas en perdre. » 1 Christine Hudin prévoit un déficit de vingt à vingt cinq mille euros pour Serge Utgé-Royo, somme qui sera récupérée en quelques mois. Elle prévoit un déficit de cinq mille à six mille cinq cents euros pour Bruno Darraquy pour qui elle prend beaucoup plus de risques et mettra un an, voire beaucoup plus, à récupérer la somme investie. On voit par cet exemple combien la volonté de promouvoir un chanteur qui interprète Gaston Coûté (poète mort en 1911) est importante dans la décision du producteur « militant » et dépasse le seul calcul économique à court terme. « Ce qui a tué la chanson d’expression, la chanson d’auteur, la chanson de création ou autres noms pour la qualifier comprenant les plus méchants, [Christine Hudin parle volontiers de « chanson chiante » pour désigner la production des chanteurs qu’elle soutient !] c’est la volonté de rentabilité rapide et à tout prix. La différence avec nous, petit îlot, dernier des Mohicans ou village gaulois irréductible, c’est qu’on ne mise pas pour que cela rapporte vite et gros. On mise pour que ce type d’expression puisse exister. Universal ou EMI sont des gens pressés. À l’image du capitalisme dans lequel on vit, à l’image des hommes politiques qui ne s’interrogent pas sur ce qui va se passer après eux dans dix ou vingt ans. Nous, nous sommes fous, mais nous avons le temps. » 2 2 — Christine Hudin, idem. L’aspect économique n’est qu’une partie d’un vaste ensemble de savoir-faire. On a vu avec Mysiane Alès que le choix de la salle est déterminant. Et c’est aussi l’accumulation de mille petits détails qui fait le succès ou l’échec d’un passage parisien. Thierry Chenavaud a ainsi obtenu de bons résultats en choisissant de donner le récital de Joël Barret à 19 heures. Nombre de programmateurs sont venus les vendredis et samedis avant d’aller voir un autre spectacle plus tard en soirée. On a su ainsi habilement compenser une notoriété peut-être insuffisante pour attirer certains programmateurs. Le système des entreprises de producteurs montre rapidement ses limites. Les producteurs qui s’attachent à promouvoir des concerts de qualité ne sont pas très nombreux. Si l’on souhaite faire un bon travail — de longue haleine — on ne peut s’occuper d’un grand nombre d’artistes. Ainsi Mysiane Alès ne s’occupe que de Juliette et de Dikès. Et Christine Hudin n’a que cinq chanteurs dans son catalogue. On bute aussi sur des limites économiques. Comme on est toujours sur le fil du rasoir on a l’obligation de savoir mesurer les risques encourus même si chacun a ses méthodes pour les limiter afin d’assurer sa simple survie. Bien souvent chez un producteur c’est la tête d’affiche — celui qui fait tourner la boutique avec une bonne partie du chiffre d’affaires — qui permet le lancement des nouveaux ou le maintien de ceux à petite audience — qui, même lors- 82 Soleil cherche futur qu’ils ne font pas de déficit, ne génèrent pas un chiffre d’affaires suffisant pour assurer la simple survie de l’entreprise. « Vous vous servez de nous pour faire grandir ceux qui nous foutront bientôt à la porte. » Selon Dominique Dumont c’est un trait d’humour que l’on prête à Eddy Mitchell. Ce ratio entre artiste confirmé assurant la vie de la maison de production et artistes nouveaux venus ou restant dans une zone intermédiaire très fragile est une autre limitation économique. Bien des producteurs expérimentés comme Jean-Michel Joyeau le disent ouvertement : « En tant que producteurs nous ne faisons pas de lance1 — Entretien du 12 avril 2002. ment de carrière. » 1 Ce sont les novices qui le font et qui en assument les risques. Nombre des artistes qui ont émergé ces dernières années ont été lancés par de jeunes provinciaux inconnus des gens de métier. Rappelons-nous que Dominique Dumont disait qu’il est plus intéressant pour un producteur, d’un point de vue économique, d’avoir seulement trois artistes qui marchent bien plutôt que dix moyens. De plus beaucoup de chanteurs parvenus à une forte notoriété se produisent eux-mêmes. Ce qui implique qu’ils ne « subventionnent » plus un producteur qui va utiliser sa marge de manœuvre pour investir dans des lancements ou des maintiens de carrière. Peu de producteurs impliqués dans la chanson de qualité qui s’occupent de peu d’artistes et nous voilà devant un goulet d’étranglement. À cette situation tendue des entreprises de production Jean Favre ajoute d’autres raisons expliquant les problèmes rencontrés par les chanteurs. « On le ressent de plus en plus. Il y a une énorme difficulté à professionnaliser les artistes en raison de l’incroyable inertie du ministère de la culture et des grosses opérations télévisées qui font des artistes qu’on fabrique et qu’on jette très vite. Entre les deux une génération et des types d’artistes ont beaucoup de mal à vivre de leur métier. Ils n’arrivent souvent à survivre que parce que le régime ASSEDIC des intermittents du spectacle est assez protecteur ou bien ils ne vivent pas de leur métier. » 2 Chanter René-Guy Cadou comme le fait Môrice 2 — Jean Favre, entretien du 22 avril 2002. Bénin, chanter les poèmes inédits de Louis Aragon comme le fait GérardAndré, faire un disque mettant Paul Éluard en musique comme Gérard Pitiot ne nourrit pas son homme. En outre avoir plus de quarante ans est un handicap aussi lourd pour un chanteur que pour une comédienne de cinéma. La conséquence de cette situation économique tendue est que beaucoup de chanteurs — dont la quasi-totalité de ceux qui commencent et de ceux qui, ayant dépassé la quarantaine, n’ont pas acquis une notoriété indiscutable — sont contraints à l’autoproduction. C’est paradoxal. On a cité longuement des producteurs alors que les chanteurs, dans leur immense majorité, travaillent en autoproduction et se débrouillent dans la solitude. Les mieux aguerris — ils sont sans doute assez nombreux mais ce ne sont pas eux que l’on verra se lancer dans un passage parisien hasardeux — savent diriger leur peti- 83 Soleil cherche futur te barque hors des grandes routes maritimes. Quitte à consacrer plus de temps à la gestion lato sensu qu’à leur activité proprement artistique. Ou en utilisant les services d’un agent rétribué à la commission pour la vente des concerts et d’une association de services pour l’établissement des cachets et des déclarations afférentes. Beaucoup de ces artistes n’utilisent que peu ou pas les aides du Fonds de soutien et des sociétés civiles. « Elles sont mal connues des artistes autoproduits. C’est un vrai problème : le Fonds de soutien n’est ouvert qu’aux producteurs munis d’une licence. Ce n’est pas faire de la délation de dire que souvent les artistes sont autoproduits à la sauvette. Pas de respect des minima salariaux, pas de licence, etc. L’accès des grands subventionneurs — ADAMI, Fonds de soutien, etc. — est un peu verrouillé. Il nécessite d’être professionnel. Mais cet accès est verrouillé pour professionnaliser une activité. Pour dire que c’est un métier et que même si des gens démarrent il faut par exemple qu’ils paient des 1 — Dominique Dumont, entretien cité. charges sociales pour avoir une couverture sociale. » 1 Pour pouvoir être éligible à une aide du Fonds de soutien — devenu CNV, Centre national des variétés, depuis le 1er octobre 2002 — un producteur doit avoir un an d’existence, doit avoir acquitté la taxe parafiscale, etc. « C’est non seulement le spectacle mais aussi la structure de production qui est examinée à la loupe. Finalement un producteur ne doit pas être un débutant. Alors que l’on pourrait penser qu’il faut aider ceux qui débutent. Ce n’est pas le cas. Il 2 — Jean-Michel Joyeau, entretien du 12 avril 2002. faut déjà avoir fait ses preuves. » 2 Les artistes épaulés par un producteur bénéficient de son savoir-faire qui leur évite bien des erreurs. Les artistes autoproduits qui tentent une aventure parisienne n’ont souvent pas de vision globale de l’économie de la chanson, du fonctionnement du milieu professionnel public comme privé et des nécessités de ce passage. Obtenir une réflexion un peu poussée et argumentée sur l’autoproduction de la part de ces chanteurs est chose assez malaisée. Le chanteur autoproduit qui a fait l’effort financier d’une location parisienne et a essuyé un échec est souvent peu loquace hormis pour dire que la pilule est amère. Cela semble — à première vue — un peu étrange mais les producteurs ont souvent une meilleure analyse de l’autoproduction, de ses avantages et de ses fréquentes carences, que les artistes autoproduits. Ainsi Mysiane Alès émet des doutes sur l’utilité des locations de caves et se demande qui a démarré à la cave X ou à la cave Y. Il y a bien quelques noms 84 Soleil cherche futur quand on cherche. Mais ils ne sont pas très nombreux. « Par contre des gens qui se sont noyés en investissant beaucoup d’argent qu’ils n’avaient pas, en mettant leurs derniers espoirs là-dedans, alors là, j’en connais des paquets. » 1 — Entretien du 28 mars 2002. 1 Le fait de se produire dans une cave n’est sans doute pas la seule cause de l’échec de ces autoproductions. Si les producteurs rechignent souvent à louer une cave, c’est d’une part en raison de la médiocre qualité de certaines, en raison de l’image démodée « rive gauche » qui leur colle aux fesses et va déteindre sur un récital de chanson dite « classique » alors que si ça groove grave y’a pas d’embrouille. Mais si les caves n’ont pas toujours la faveur des producteurs expérimentés c’est peut-être aussi en raison de leur location fréquente par des chanteurs autoproduits qui n’ont pas mis toutes les chances de leur côté en proposant un spectacle irréprochable, tant sur la scène que dans l’accueil du public. Si le Théâtre de dix heures a une excellente réputation c’est aussi parce que les spectacles qui y sont programmés sont toujours de qualité et parce qu’il y a une certaine homogénéité dans la programmation. Il faut aussi ajouter le défaut d’investissement en communication du chanteur autoproduit qui trouve que la facture de location est suffisamment salée pour ne pas y ajouter une somme très supérieure en publicité, relations avec la presse et avec les professionnels. Et pourtant… « C’est un investissement tellement lourd, c’est évident, il faut une attachée de presse qui travaille en amont. Le producteur doit faire son travail de producteur qui est d’amener tous les programmateurs, c’est le b a ba, sinon ce n’est pas la peine de faire une longue durée [de passage dans un théâtre]. Combien d’artistes a-t-on vu faire l’effort d’une location sans avoir l’entourage professionnel ? C’est une catastrophe. Au 2 — Geneviève Girard, entretien du 22avril 2002. bout il n’y a que la frustration, le temps et l’argent perdus. » 2 Dans les régions les DRAC reçoivent des demandes de subventions pour financer des passages à Paris de chanteurs autoproduits. L’examen des budgets prévisionnels fait ressortir divers éléments. Tout d’abord une importante surestimation de la billetterie dans les recettes. Alors que l’on a vu combien est dérisoire l’apport de la billetterie dans les budgets cités. Ensuite les cachets sont payés au tarif minimum conventionnel. Certainement parce que l’on ne veut pas « gonfler » un budget qui affole déjà l’impétrant par la dernière ligne sous le trait en bas à gauche… Enfin un montant dérisoire est consacré à la communication. On a ainsi pu éplucher le budget de plus de 200 000 F d’un projet de passage à Paris durant trois semaines d’un spectacle musical qui réservait un peu moins de 10 000 F à l’ensemble de la communication. 85 Soleil cherche futur Thibaud Couturier, chanteur autoproduit : « La leçon : il faut arrêter d’essayer de faire ce qu’on ne sait pas faire. Tu fais des chansons : tu les chantes. Mais 1 — Entretien du 2 mars 2001. moi, je suis incapable de vendre un spectacle. » 1 Être conscient de ses limites, c’est très bien, mais comment sortir de l’impasse ? Comment répondre aux difficultés rencontrées par les artistes pour donner des concerts et par le public à la recherche de chanson vivante ? L’état des lieux nous incite à penser qu’il n’y a pas d’issue de secours quand on reste dans la recherche de solutions individuelles. Ce qui nous conduit à proposer un projet culturel qui s’éloigne de simples aménagements techniques. 86 Soleil cherche futur PO U R U N E P O L I T I Q U E C U LT U R E L L E D E L A C H A N S O N Un entrefilet du Monde en date du 4 juin 2001 nous apprend qu’une plaque commémorative vient d’être posée sur la maison natale de Barbara. On rencontre des mauvais coucheurs pour exploser à ce type de nouvelles aussi anodines de premier abord. « Comme on disperse les biens de Barbara dans des ventes publiques, Jérôme Garcin, du Nouvel Observateur, et quelques autres ont écrit au ministère de la culture pour demander qu’il se porte acquéreur. Je ne veux pas troubler les amateurs du souvenir napoléonien dans leur fascination […] Moi, je cherche seulement des artistes, des œuvres, des hommes. Mais chacun son goût. Le ministère a affirmé, à ce qu’il paraît, sa volonté de faire jouer un droit de préemption. Alors ça, ça me scandalise. Car le ministère n’a jamais rien fait de sérieux pour la chanson d’auteur. Rien. Et maintenant pas plus qu’hier. Ni non plus pour le patrimoine. Je veux dire, pas les boas, les dentiers, les petites culottes, mais la vie réelle des chefs-d’œuvre de la chanson (pas des tubes, ni même des succès, mais des chefs-d’œuvre). Rien. C’est pourquoi cet intérêt soudain me 1 — Jacques Bertin, Malin plaisir, Politis N° 585, 27 janvier 2000. paraît un petit peu obscène, les gars. » 1 On pourrait faire une volumineuse anthologie des coups de sang de cet acabit qu’on peut résumer en disant que bien longtemps, pour la puissance publique, un bon chanteur était un chanteur mort. Quand on revient à la sérénité le constat reste accablant. « Il [l’auteur de chanson] ressemble à ses pairs du roman, de la poésie, de la peinture, du cinéma, du théâtre. Sauf que dans chacune de ces disciplines on a, depuis la guerre, inventé des systèmes d’encadrement et de financement. Les auteurs de chansons, eux, sont, depuis toujours, sensés se démerder tout seuls dans le libéralisme absolu et ne se sauver de la mort et du silence que par la célébrité, — hits, charts et play-lists. Être célèbre, c’est être connu de ceux qui ne s’intéressent pas à ce que vous faites. Telle est la logique sur 2 — Jacques Bertin, Malin plaisir, Politis, 9 décembre 1993. quoi est fondé notre système de la chanson française. » 2 En 2002, si tout n’est pas rose pour la chanson, on note tout de même des avancées timides dans l’institution. Les choses évoluent doucement. Depuis longtemps le Théâtre d’Ivry est un théâtre vraiment pluridisciplinaire, un théâtre qui a une belle programmation chanson et pas un spectacle alibi annuel, un théâtre qui fait des résidences de création, bref un théâtre qui traite la chanson à égalité avec les autres disciplines comme elle devrait être traitée par tous les théâtres. Et ce n’est plus la seule exception à la règle. Jacques Toubon a créé un label ministériel « résidence chanson » assorti d’un financement. 87 Soleil cherche futur Catherine Trautmann, en insistant sur la nécessité d’ouverture et en parlant de chanson, a enclenché un début de programmation dans des théâtres précédemment fermés à cet art. Le Réseau Chaînon, « le vilain petit cygne » 1 — In Résister, Éditions Autrement, 1994. selon la belle expression de Dominique Noguez, 1 dont la chanson est un axe important, bénéficie à nouveau d’une subvention du ministère de la culture perdue depuis longtemps. « Il y a un frémissement. Deux ou trois scènes nationales s’intéressent à la chanson. C’est très important pour la reconnaissance. Puisque pour l’instant notre travail est de faire entrer dans les esprits que la chanson est un art de la scène 2 — François Chesnais, directeur de l’action culturelle de l’ADAMI, entretien du 26avril 2002. aussi honorable que le théâtre, la danse ou les autres arts vivants. » 2 Mais il reste encore du pain sur la planche. La commune — terme juridique — de Paris est propriétaire du Théâtre aux Trois Baudets. C’était le théâtre de Jacques Canetti, directeur artistique, producteur de disques et de concerts, découvreur d’une longue liste de talents dont on ne mentionnera que Jacques Brel et Serge Reggiani. La salle aux Trois Baudets est devenue, après Jacques Canetti, un « théâtre érotique ». Ce n’est peut-être pas un passage brillant dans le firmament artistique mais cet emploi a tout de même permis de sauvegarder le théâtre de la destruction ou d’une transformation en (né) faste foude. La mairie de Paris souhaiterait refaire du Théâtre aux Trois Baudets une scène vouée à la chanson mais ne semble pas avoir aujourd’hui, selon les renseignements obtenus, une notion très claire de ce qu’il pourrait être. L’option privilégiée jusqu’à présent serait de faire un appel d’offre pour trouver un concessionnaire privé qui devrait acquitter un droit d’entrée et un loyer. Charge à lui de rentabiliser une belle entreprise qui se devrait d’être lucrative pour assurer sa survie. Le fichier du Centre de la chanson recense environ deux cents lieux à Paris intra muros programmant de la chanson. Même si l’importance de la programmation est très hétérogène, le site Internet du Centre recense un peu plus de quarante scènes qui offrent de la chanson régulièrement. Cela donne une idée de la vigueur de la chanson à Paris. « Paris est l’exemple le plus criant. C’est une ville de tradition de la chanson. Il y a des théâtres d’arrondissement ou des théâtres spécialisés dans les différentes disciplines qui sont subventionnés. Le Théâtre aux Trois Baudets va rouvrir. La Mairie de Paris va faire un appel d’offre — gestion privée — et les gestionnaires devront sortir une certaine somme d’argent pour en avoir la concession. Est-ce que le cas s’est déjà présenté pour 3 — François Chesnais, idem. le théâtre à Paris ? » 3 88 Soleil cherche futur En effet on imagine aisément les cris courroucés, les réactions indignées, les discours enflammés et les pétitions signées de tout le monde et son père ! Voilà un exemple qui illustre bien cette différence fondamentale de perception entre disciplines artistiques. « Même pour un petit lieu — le Théâtre aux trois Baudets est un petit lieu — il n’y a aucune volonté de la mairie d’en faire une salle subventionnée pour la chanson au même titre que pour une autre discipline. Il y a un véritable problème de prise de conscience d’une politique culturelle. Il faut reconnaître la chanson au même titre que le théâtre ou que les autres arts de la scène. Dire que cela fait partie de notre culture, qu’il y a des artistes, qu’il y a des créations. Reconnaître la chanson, c’est un enjeu artistique, c’est un enjeu culturel, pas seulement un enjeu financier ou économique. Il faut sortir de la logique commerciale. Il faut qu’il y ait des théâtres qui soient subventionnés pour la chanson. Cela implique des règles du jeu avec un contrôle, un cahier des charges, une insertion dans une véritable démarche culturelle avec un travail de fond 1 — François Chesnais, ibidem. comme pour les autres salles de spectacle subventionnées. » 1 « Il y a une responsabilité de la collectivité dans l’absence de petits lieux parce que ce n’est pas viable économiquement. Et cela ne peut pas l’être. Se pose-ton la question de la rentabilité financière d’un théâtre d’arrondissement ou de quartier ? La chanson est sinistrée parce que les petits lieux ne peuvent pas être rentables. » 2 2 — François Chesnais, ibidem. Ailleurs, « le café débranché », a montré toute la difficulté à assurer la survie économique d’une petite scène travaillant avec sérieux et rigueur. « Si la passion, qui nous a fait tenir et exister hors des réalités, nous a permis de continuer ces sept ans, c’est la réalité économique des lieux de spectacles petits ou grands et du rapport de notre société à la création artistique, à la fonction sociale des artistes, de leur travail et de leurs conditions de survie qui est la cause principale de notre fin. L’équation est simple et peut se résumer facilement : charges/pouvoir d’achat. En clair : doit-on — peut-on — laisser le soin au seul secteur marchand de diffuser sans aide, ou si peu, auprès du public le travail des jeunes artistes inconnus (dans le domaine de la chanson comme dans d’autres) alors qu’on sait très bien que la rentabilité n’est pas assurée et qu’une entreprise commerciale de diffusion artistique, même honnête et de bonne volonté (si, si, ça existe) ne peut pas se permettre de dépenser plus qu’elle ne 3 — Ce sont les auteurs qui soulignent. 4 — Boris Bourdet et Dom, éditorial du programme de mars 2000 annonçant la fermeture d’Ailleurs, repris dans Je chante ! N°26, juin 2000. gagne ? Doit-on condamner les jeunes artistes à, faire la manche dans le métro ou tourner le chapeau ? Doit-on choisir de ne vous vendre que ce dont on est certain que vous allez l’acheter ? 3 Comment renouvellera-t-on le « cheptel » et découvrira-t-on les artistes qui en-chanteront nos lendemains ? » 4 89 Soleil cherche futur « Les jeunes artistes ont besoin de lieux pour se fabriquer, se développer ou simplement mettre en place un nouveau spectacle. Ils ne sont évidemment pas tout de suite « rentables » et pourtant nous avons tous besoin d’eux pour garder une culture populaire vivante. Même si une inévitable décantation n’en retient, à la finale, que quelques-uns. Qui offrira un tel lieu de maturation et de décantation ? Pourquoi la chanson, confondue avec la variété, est-elle considérée comme faisant uniquement partie du « show business » et doit-elle être contrainte de séduire les circuits commerciaux pour survivre ? Aujourd’hui les pouvoirs publics semblent partager la musique et les arts entre ceux qui relèvent de la Culture et du Patrimoine et doivent survivre à n’importe quel prix (et c’est vrai !) et ceux qui relèvent du business, et qu’ils se débrouillent sans 1 — Boris Bourdet et Dom, idem. nous. » 1 « C’est dans les petits lieux que se fait l’expérimentation, que se fait le démarrage des carrières. C’est là que le jeune artiste fait ses premières armes. Nos politiques sont les premiers à se revendiquer de Brassens, de Brel et de Trenet. Mais tous ces gens-là ont appris leur métier dans de petits cabarets. Ils ont fait des premières parties, des levers de rideau, ils sont passés en vedette américaine, etc. Aujourd’hui le jeune artiste n’a qu’une solution : louer une salle. Ce qui est cher. Ce qui signifie un endettement. Ce qui impose de faire un spectacle d’au moins une heure et quart. Mais un artiste qui démarre est dans l’incapacité totale de faire une heure et quart. De plus le public s’ennuie, ne vient pas ou ne vient plus. Il y avait naguère une progression logique où l’on en apprenait le métier et où l’on augmentait progressivement le nombre de chansons données en concert. Faire vingt ou trente dates dans un petit lieu loué tous les deux ou trois ans dessert l’artiste plutôt que cela ne le sert. Il va au cassepipe. » 2 2 — François Chesnais, entretien cité. Si les interlocuteurs sont unanimes à souligner l’importance des petites scènes pour l’apprentissage et le démarrage de carrière, ils sont peu nombreux, hors ceux que nous venons de citer, à demander clairement un système de subventions publiques et non des aides ponctuelles « à la limite du 3 — Boris Bourdet et Dom, op. cité. caritatif ». 3 On peut voir quatre types de raisons aux réticences ou aux doutes concernant un secteur public subventionné de la chanson. — Certains producteurs et professionnels relevant plus ou moins du show business n’ont peut-être pas très envie de se trouver confrontés à un secteur public offrant une production artistique qui serait tout de même une « concurrence » prenant une « part du marché ». Le secteur public permettrait aussi au public de faire des comparaisons sur la qualité proposée. 90 Soleil cherche futur Pour accréditer cette thèse les artistes autoproduits font volontiers remarquer que les organisations de producteurs ne revendiquent guère l’instauration de systèmes de subventions. La construction par les pouvoirs publics de salles de grande capacité type Zénith et l’aide apportée par le ministèr e de la culture au Centre national des variétés (ex Fonds de soutien) semblent leur suffire. Les demandes des organisations de producteurs relèvent en effet le plus souvent de simples aménagements techniques. — Les artistes de la chanson ou leurs proches sont presque toujours dans une situation — économique comme symbolique — d’une telle précarité que beaucoup n’osent appeler de leurs vœux des améliorations substantielles qui leur semblent tout simplement relever du rêve fou. Ils ont un sentiment d’abandon de la part des pouvoirs publics. Ce mot abandon revient d’ailleurs assez souvent dans les entretiens comme dans les écrits sur la situation générale de la chanson. — Ensuite nous remarquons bien souvent une méfiance plus ou moins forte à l’égard de l’institution. Elle est accusée par Jacques Bertin, Fred Hidalgo et d’autres auteurs d’avoir démoli le réseau des MJC (maisons des jeunes et de la culture), FJT (foyers de jeunes travailleurs) et autres petites scènes socioculturelles, « le vivier naturel de la chanson », après l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981. Un reproche « historique » toujours ravivé par la difficulté pour beaucoup de ces petites scènes à obtenir encore aujourd’hui des aides significatives pour la diffusion. — Enfin et toujours au chapitre de la méfiance on reproche, parfois confusément il est vrai, à l’institution culturelle son inclination à se cantonner à des choix esthétiques réduits qui ne refléteraient pas la diversité des goûts. Boris Bourdet et Dom du café Ailleurs traduisent bien cette méfiance de la part de gens qui souhaitent pourtant des subventions publiques pour la chanson. « La systématisation du subventionnement n’est pas non plus la solution, avec le risque qu’elle entraînerait de tenir de moins en moins compte des choix du public. Ce que nous réclamons, c’est la mise en place de manière systématique d’un cadre technique et budgétaire de prise en charge permettant aux jeunes artistes d’éclore au monde 1 — Boris Bourdet et Dom, op. cité. Ce sont les auteurs qui soulignent. avec le public mais sans le marché. » 1 91 Soleil cherche futur Nous avons également remarqué que les artistes de notoriété intermédiaire restent étrangement absents de la quasi-totalité des discours. Comme si l’artisanat ne devait être qu’une étape transitoire. Comme si tout artiste talentueux devait mathématiquement accéder un jour ou l’autre au paradis de la consécration. Alors que l’on sait bien que la célébrité — lorsqu’elle est méritée — ne fait que sceller une rencontre tout à fait fortuite entre le talent d’un artiste et une attente — confuse, inexprimée, fort difficile à dépeindre mais bien réelle — d’un public à un moment précis de l’histoire. Pour nous c’est cette célébrité bien aléatoire qui est un rêve fou. 92 Soleil cherche futur L E T HÉÂTRE AUX TR O I S B A U D E T S Ne vous lamentez pas, organisez-vous ! Joe Hill (1879-1915) Le vocable des Trois Baudets est utilisé par commodité. Néanmoins le projet n’est pas lié indissolublement aux murs de ce respectable théâtre chargé d’histoire. Qu’un mauvais coup du sort — mais une décision politique que l’on regrette en est-elle pour autant un mauvais coup du sort ? — en fasse une salle louée supplémentaire ne bouleverserait pas le paysage actuel, ne modifierait pas l’analyse de la situation et ne changerait rien à la nécessité de créer un théâtre échappant à une logique marchande. Dans les années soixante Jacques Douai souhaitait déjà créer un théâtre subventionné spécialisé dans la chanson. On a imaginé un projet pour le Théâtre aux Trois Baudets. Un projet, selon le Petit Robert est une « image d’une situation, d’un état que l’on pense atteindre ». Regardons l’image en oubliant de l’inverser et, pour ce faire, passons de l’autre côté du miroir. Créons un nouveau genre : l’art-fiction. Nous sommes maintenant en automne 2008. Un étudiant consacre son mémoire de fin d’études aux Trois Baudets, le théâtre parisien consacré à la chanson. Son mémoire s’appuie sur les entretiens réalisés auprès de personnes qui coiffent différentes casquettes dans le monde de la chanson. En cohérence avec les pages qui précèdent on a continué à utiliser nos bonnes vieilles recettes rédactionnelles… « La création — il faudrait dire la renaissance — du Théâtre aux trois Baudets est un peu étrange. Elle s’est faite un peu hors de l’air du temps. Même si on verra qu’il faut nuancer le propos. On a conservé le nom aux Trois Baudets en hommage à Jacques Canetti et aussi parce qu’on a appris qu’il faut des ânes 1 — Sauf indication contraire les citations de ce chapitre proviennent d’un entretien du 25février 2008 avec Michel Ruisseau, directeur du Théâtre aux trois Baudets. pour porter les prophètes. » 1 Un théâtre subventionné « Tout d’abord le projet divergeait de la politique de la municipalité qui songeait à vendre la concession du théâtre à un entrepreneur privé. S’il s’agissait bien, pour nous aussi, de faire des Trois Baudets un théâtre voué à la chanson, on mettait en avant la notion de théâtre subventionné de service public. Parce 93 Soleil cherche futur que l’étude des petites scènes de chanson montrait leurs difficultés économiques génératrices d’impasses. Parce qu’il semblait normal qu’il existe, à côté du secteur marchand, un secteur public subventionné où la rentabilité des artistes n’est pas un critère dominant ou du moins si important qu’il conditionne la pérennité de l’existence de tous — artistes, producteurs ou salles de spectacles. » « On a voulu créer un outil collectif au service de la chanson. Mettre enfin en place une possibilité pour les auteurs de se produire et de vivre dans des conditions décentes. Se passer de l’obligation de faire un triple six pour aller à la case célébrité sans quoi on séjourne aux cases mort, silence ou éternelle galère du chansonopoly. » « On créait un théâtre subventionné spécialisé dans la chanson comme il existe des salles vouées à d’autres disciplines artistiques. Faire un théâtre spécialisé était contradictoire avec la tendance générale allant vers des théâtres pluridisciplinaires. Mais il faut dire que malgré cette tendance on a bien vu la création de La Colline, un théâtre qui ne s’occupe que de théâtre, ou que la danse est devenue l’une des deux spécialités de Chaillot. Faire un théâtre spécialisé était aussi contradictoire avec la propre opinion de son créateur qui n’aimait guère les cloisonnements ! Mais c’était particulier à Paris qui sert de vitrine pour toute la France. » « Nous n’avons pas voulu de solutions de facilité consistant par exemple à demander une baisse du cachet minimum conventionnel, des exonérations de charges ou de taxes, à demander des zones franches. C’est un discours que peuvent tenir des employeurs ou des producteurs. Nous ne devons pas oublier que beaucoup d’artistes n’ont pas de producteur. Nous ne voulons pas de dérogation au droit. Les théâtres subventionnés payent des charges sociales comme tout employeur et des cachets et des droits d’auteurs comme les théâtres privés ou les entreprises commerciales de spectacle. Ce n’est pas avec du bricolage que l’on va sauvegarder les petites scènes ou améliorer la situation générale de la chanson. François Chesnais disait souvent que la chanson ne doit pas être considérée comme une exception, qu’elle doit être dans l’exception cultu relle, qu’elle ne doit pas être une exception dans l’exception culturelle. » Le Théâtre aux trois baudets est composé de la « grande salle » (350 fauteuils), du « cabaret » (60 à 90 personnes selon la disposition) et du « bistrot » où l’on peut boire et manger. 94 Soleil cherche futur La grande salle « 350 places ce n’est pas énorme. La petitesse relative de la grande salle empêche que l’on soit tenté d’y suivre la mode. On ne s’intéresse pas aux gens très connus qui vont remplir un Olympia voire un Zénith, ils naviguent dans d’autres eaux, ils n’ont pas besoin de nous. Elle permet aussi de ramener la relation entre artiste et spectateurs à ce qu’elle doit être quand parle de « spectacle vivant » : une affaire de proximité physique qui est la source d’une sensibilité que l’on ne peut avoir devant un écran ou à cent mètres de la scène. La grande salle s’adresse à un créneau très diversifié avec beaucoup de noms — et ce n’est pas très rentable — alors que la « clientèle » potentielle d’un Zénith c’est très peu de noms. Dans la grande salle nous programmons ceux que nous aidons à gagner en notoriété et surtout la grande cohorte de tous ceux qui sont dans « le milieu de tableau ». On peut en faire un portrait robot : un nom un peu connu au moins dans un petit cercle, un public de fidèles, peu ou pas de diffusion par les radios. Notre travail consiste souvent à consolider la carrière ou à remettre le pied à l’étrier à un chanteur qui a dix ou vingt ans de métier, voire beaucoup plus, qui peut même parfois avoir eu une période de « gloire » avant d’être considéré comme démodé. Dans ce cas la remarque fréquente est : Il existe encore celui-là ? Même si sa production actuelle est aussi bonne voire meilleure que ce qu’il faisait à ses débuts parce qu’il a acquis du savoir-faire. C’est une spécificité propre à la musique. Dans le théâtre ou le cinéma on trouve normal de faire une carrière de plusieurs dizaines d’années. En musique on est ringard au bout de quelques années ! On fait assez souvent des plateaux bicéphales avec deux chanteurs dont c’est l’addition des petites notoriétés qui permet d’espérer un taux de remplissage suffisant. Un autre trait caractérise la programmation de la grande salle : nous avons toujours une première partie. Ici, c’est obligatoire, cela fait partie des règles de fonctionnement. Le débutant prometteur ou le méconnu va bénéficier de la deuxième partie qui attire les spectateurs. » C’est un vieux truc qui a été utilisé très longtemps et auquel les Trois Baudets s’appliquent à donner une nouvelle jeunesse. « Un spectacle de Brassens avait fait d’une chanteuse quasi inconnue, Barbara, une vedette de premier plan. Un spectacle de Barbara va, pour le grand public, transformer un acteur en chanteur. Serge Reggiani n’est certes pas un inconnu au moment où la gloire « chansonnière » le happe. Comédien depuis l’adolescence, il a multiplié les 1 — Lucien Rioux, Cinquante ans de chanson française, L’Archipel, 1992, page 197. rôles au cinéma […] » 1 95 Soleil cherche futur Le cabaret Si la grande salle est, hors premières parties, consacrée à des chanteurs consacrés, le cabaret s’intéresse plus aux débutants, aux faux débutants qui ont déjà fait un petit parcours, aux méconnus qui ne pourraient remplir la grande salle avec leur nom mais aussi aux petites formes ou à l’expérimentation. « Dans la petite salle nous avons toujours des plateaux composites. D’où l’utilisation du mot cabaret. On raisonne en nombre de chansons. Les débutants sont là pour apprendre son métier sans ennuyer le public. Et mieux vaut trois chansons parfaites qu’un récital qui se traîne. Ce qui permet de se faire la voix, de constater ce qui marche ou ne marche pas en le montrant au public et de modifier, améliorer, peaufiner. Il s’agit aussi de répondre concrètement à la question : que faire avec un chanteur qui n’a que cinq bonnes chansons à son répertoire ? Cela pourrait inspirer un passage en scène de courte durée à d’autres disciplines. Combien a-t-on vu de chorégraphies dont on se dit qu’elles auraient été très bonnes en un quart d’heure sont ennuyeuses parce qu’elles durent une heure ? Une heure ou plus parce que c’est la demande du « marché » des théâtres publics. Un même plateau passe chaque soir durant plusieurs semaines. » « La programmation de la petite salle permet aussi d’élargir le public de chanteurs confirmés qui, pour des raisons diverses, restent trop confidentiels. Nous accordons notamment une attention toute particulière à ceux qui n’ont pas de producteurs. Il ne faut pas oublier qu’ils sont le plus grand nombre. » Il y a régulièrement des scènes ouvertes où se fait la sélection de ceux qui seront invités à participer aux soirées du cabaret. Les différents publics « La vocation des Trois baudets n’a jamais été de s’adresser seulement au public parisien. Nous avons toujours visé deux ou plutôt trois publics. Tout d’abord le public des professionnels, programmateurs mais aussi journalistes, à qui nous devons montrer ce qui se fait en chanson. Ils vont à leur tour donner un écho à la chanson en écrivant, en parlant ou en programmant des chansons en direct ou enregistrées. Ensuite le public des amateurs de chanson qui est un public d’initiés comparable à celui des amateurs de théâtre ou de danse, une élite de connaisseurs qui lit Chorus ou Je chante ! qui sont des revues pour initiés. C’est un cercle restreint par définition. Même s’il vient de la France entière pour voir Monsieur A qui chante Éluard et Aragon ou Madame B qui a un répertoire humoristique. » 96 Soleil cherche futur « Nous avons aussi visé très largement, et c’est là une clé très importante pour la compréhension de la fréquentation du théâtre, le public des non-spécialistes, des spectateurs qui viennent ici plus ou moins régulièrement, ou un peu par hasard, ou parce qu’ils sont déjà venus une fois attirés par un nom précis. Parce qu’on sait qu’on va passer un bon moment même si on ne connaît pas un nom sur l’affiche du programme du cabaret ou parce qu’il y a une bonne ambiance, parce qu’on peut passer une heure au bistrot, parce qu’on peut draguer ou simplement faire des rencontres. Des raisons « périphériques » que l’on n’ose pas toujours exprimer ouvertement parce qu’elles n’ont rien à voir avec la chanson mais qui pèsent dans la décision de venir. » « Les Trois Baudets organisent régulièrement des journées ininterrompues à destination des programmateurs. Ces journées permettent de voir plusieurs spectacles complets en un seul déplacement. Elles sont appréciées des programmateurs qui se déplacent bien plus aisément pour venir voir tout un groupe de concerts qui se succèdent pendant une ou deux journées complètes que pour un seul concert en soirée. Le programmateur vient voir dix concerts le même jour. Il fait l’effort de venir parce qu’il se dit que sur les dix il y en aura au moins un ou deux qui vont l’intéresser. C’est une technique copiée sur les plateformes de danse organisées en Allemagne et aux Pays-Bas. » « Les Trois Baudets organisent aussi des concerts en matinée destinés à l’ensemble des professionnels. Sur la scène se succèdent pendant deux à trois heures des chanteurs qui ne donnent que deux ou trois chansons. Cet aperçu a pour but d’inciter les professionnels intéressés par tel ou tel nom à venir voir le spectacle complet quand il est programmé. Cela permet notamment aux journalistes de faire une présélection et de ne venir voir que les artistes susceptibles de les intéresser. Là aussi la méthode vise à éviter de trop solliciter des gens qui sont très sollicités et n’ont qu’une soirée par jour. » La programmation « La programmation est très ouverte. Elle concerne toute la chanson, qu’elle soit accompagnée d’instruments acoustiques, électriques ou électroniques. On s’occupe de la chanson où il y a réellement un texte. C’est un critère de sélection important parce qu’il y a beaucoup de chansons où le texte relève plutôt de la suite d’onomatopées ou de la musique instrumentale. » « Le directeur artistique pourrait difficilement être un artiste. D’abord ce théâtre n’a de sens que parce qu’il est porté par une légitimité de principe. Une légitimité qui dépasse totalement la personnalité de son fondateur ou celles de 97 Soleil cherche futur ses directeurs actuels et futurs. Ensuite nous n’avons pas de ligne artistique. La programmation est ouverte à toutes les esthétiques. Elle ne peut pas être le fruit d’une seule personne ou d’un seul goût. Nous avons un groupe de programmation qui fonctionne comme un comité de lecture dans certaines maisons d’édition. Il suffit que deux personnes veuillent programmer quelqu’un pour que le groupe entérine la décision. Nous sommes très attachés à la notion de diversité des genres et des styles. Une politique culturelle doit créer des conditions pour permettre à cette diversité d’exister. Et de se voir. Parce que si elle n’existe que dans des caves et des bistrots c’est tout de même un peu limité… Pour accentuer cette ouverture le théâtre accueille aussi des programmations extérieures qui sont l’expression de goûts différents de ceux de notre groupe de programmation. » « Nous recevons systématiquement tous les chanteurs qui ont fait une résidence chanson quelque part en France. Cela leur donne une exposition au lieu de devoir payer une location de salle à Paris. Nous jouons la complémentarité avec les résidences de création dispersées en France. Notre rôle est ici d’être un moteur de la diffusion. Nous avions une situation ubuesque. Un exemple : le groupe Évasion fait une résidence de création à l’Hexagone, scène nationale de Meylan. Quand le spectacle est au point le producteur d’Évasion paie des locations à Avignon pour être vu des programmateurs et à Paris pour présenter le travail à la presse ! » Même si on le regrette on ne peut guère espérer une couverture médiatique nationale hors de Paris. Tout le monde se souvient de la phrase d’Homéopatix disant à son beau-frère Abraracourcix : « […] On ne peut 1 — René Gosciny et Albert Uderzo, Les lau riers de César, éditions Dargaud, 1972. vivre qu’à Lutèce, tu sais. Le reste de la Gaule, c’est bon pour les sangliers. » 1 « De la même façon, quand on donne une carte blanche au festival de Montauban, au Chaînon manquant ou au festival de Barjac, on accroît notre ouverture et on met en valeur le travail de ces festivals. On aide aussi les artistes qui ont été reconnus par ces festivals en les présentant à Paris. Ils n’ont pas l’obligation de ramer une nouvelle fois pour acquérir la reconnaissance d’une deuxième structure. Cela aide beaucoup des chanteurs qui vivent dans toutes les régions et pour qui l’éloignement de Paris accentue les difficultés. » « Du côté de la découverte on regarde attentivement ceux qui ont été retenus par les différents réseaux : bancs d’essai et bancs publics du Centre de la chanson, découvertes du Printemps de Bourges, FAIR. On reste toujours dans l’idée de complémentarité avec ceux qui œuvrent pour la chanson comme dans l’idée de consolider des artistes débutants ou fragiles parce que hors de la mode du jour. » 98 Soleil cherche futur « On ne s’occupe pas uniquement de chanson française. Pour être précis on devrait plutôt parler de chanson francophone. En dehors de la musique, que l’on ne néglige pas, le texte est un critère de sélection important. Quand on parle de théâtre en France, on programme quand même essentiellement du théâtre en français faute de quoi le nombre de spectateurs susceptibles de comprendre est limité… Comme le théâtre on programme essentiellement des œuvres en français quelqu’en soit l’origine. Néanmoins les langues régionales de France entrent dans la programmation. D’autant plus aisément que ceux qui chantent en occitan ou en breton en donnent volontiers la traduction et offrent bien souvent un programme panaché entre langue régionale et français. » « Nous avons, hors de la création contemporaine, mis en avant la notion de patrimoine de la chanson. Nous voulions redonner une place aux chansons de naguère. Qu’elles soient des œuvres signées d’auteurs illustres ou des chansons traditionnelles anonymes provenant de collectages. Non dans une démarche de musée — respectable — mais plutôt dans une démarche d’art vivant. Certains chanteurs se font une spécialité de reprendre les chansons d’une époque, d’une esthétique, d’un auteur, voire d’un interprète. Ils ont aussi leur place dans notre programmation. Encore une fois je rapproche cette notion patrimoniale du théâtre où l’on ne peut ignorer Sophocle, Molière ou Beaumarchais. Où on peut continuer à les jouer sans faire obligatoirement de la reconstitution historique. » Les buts « Notre travail est d’aider des débutants qui semblent prometteurs à démarrer, de consolider des faux débutants, de conforter la situation de ceux qui sont un peu installés. On s’adresse à un créneau très large avec beaucoup de noms d’où cette nécessité d’avoir une ligne artistique extrêmement floue de façon à couvrir la totalité du champ et pas seulement un courant esthétique au détriment des autres. Ce qui fonde est la qualité du texte, la qualité de la musique, l’artisanat en opposition aux productions aseptisées ou clonées. Et c’est vraiment notre rôle de scène subventionnée : si on a une politique culturelle de laisser faire dans le domaine de la chanson, on a seulement une poignée de chanteurs imposés par l’argent ou le hasard de l’individu épousant l’air du temps. » 99 Soleil cherche futur Au Théâtre aux Trois Baudets on agit à l’opposé de la démarche citée par Fred Hidalgo : « On m’a fait passer la note de service d’un directeur des programmes d’un grand réseau à l’attention de ses animateurs : Notre fonction est de diffuser à nos auditeurs ce qu’ils réclament, connaissent et aiment déjà, pas 1 — Fred Hidalgo, éditorial, Chorus N°33, octobre 2000, page 5. de chercher à leur faire découvrir ce qu’ils ne connaissent pas. » 1 100 Soleil cherche futur UN FINANCEMENT PUBLIC POUR LES TROIS BAUDETS « Le ministère de la culture finance le Théâtre aux Trois Baudets. Ce qui est normal puisque ce théâtre sert de vitrine pour la France entière et même l’étranger, parce que son action entre dans le cadre d’un développement culturel national. Le financement de la DRAC Île de France relève de ses compétences territoriales comme ceux de la ville de Paris et de la région. Les aides des sociétés civiles sont également dans la logique de leur fonctionnement puisque l’activité des Trois Baudets fait travailler des artistes, dans le théâtre mais aussi à l’extérieur. Cela génère des ventes de concerts et de disques par ricochet qui font entrer de l’argent dans les caisses de ces 1 — Jacques Noir, conseiller musiques actuelles à la DRAC Île de France, entretien du 15 mars 2008. sociétés civiles. » 1 « En gros nous avons le financement d’un centre dramatique national de taille moyenne. Je ne compte pas en pourcentage de subventions et de ressources propres. Je préfère dire que les charges fixes (le théâtre en ordre de marche : chauffage, administration, régie, etc.) sont couvertes par les subventions publiques. Par contre les charges variables (cachets et défraiements des artistes pour l’essentiel) doivent être couvertes par la billetterie. Pour que notre activité ne soit pas artificielle. Pour qu’il reste un rapport entre une demande réelle des spectateurs et l’activité de la salle. Pour conserver une souplesse et une capacité de programmation puisqu’il suffit qu’il y ait des gens dans la salle pour programmer. Pour que l’on ne soit pas arrêté par un manque de subventions pour programmer alors que la demande des spectateurs existe. Pour que les artistes n’attrapent pas la grosse tête et en viennent à demander des cachets supérieurs au montant de la billetterie. On tient à se prémunir de 2 — Michel Ruisseau, directeur du Théâtre aux trois Baudets, entretien du 25 février 2008. dérives économiques toujours possibles. » 2 « Dans ce cadre la grande salle s’autofinance sans trop de problèmes. Les artistes sont payés, modestement peut-être au regard de certaines pratiques, mais ils sont payés au lieu de payer. Dans une autre salle, que ce soit le chanteur ou son éventuel producteur qui paye, de toute façon un passage à Paris 3 — Michel Ruisseau, idem. coûte de l’argent. » 3 « Pour la petite salle, le cabaret, c’est un peu plus complexe. Tout d’abord les plateaux composites ne sont possibles que parce que nous avons négocié avec les syndicats d’artistes une convention qui nous ouvre droit à un système de cachets raisonnables. Le principe de base, qui subit parfois quelques aménagements en faveur des artistes, est qu’il faut chanter cinq fois trois chansons pour percevoir un cachet. C’est cette convention qui ouvre la possibilité économique 101 Soleil cherche futur de multiplier les premières parties et d’avoir cette myriade de passages pour quelques chansons. La billetterie ne couvre pas toujours les charges variables parce que nous augmentons régulièrement notre activité de découverte et de soutien de carrière. Le droit de suite sur la future carrière des chanteurs apporte un financement après coup qui peut devenir important avec le temps. Mais l’aide des sociétés civiles comme l’ADAMI permet de faire le travail de démarrage et de soutien sans attendre ce retour sur investissement qui est toujours long et un peu aléatoire. C’est l’aide des sociétés civiles qui nous permet d’aug1 — Michel Ruisseau, ibidem. menter constamment cette activité. » 1 Le droit de suite est beaucoup critiqué par certains qui y voient un système marchand. Le droit de suite figure pourtant parmi les droits voisins dans le code de la propriété intellectuelle. Il est vrai que c’est au bénéfice des plasticiens. Mais est-il si mauvais que l’on puisse autofinancer tout ou partie de son activité en retirant une rémunération de cette activité ? Certains artistes manifestent une réticence face à cette aide apportée par les sociétés civiles. Ils craignent qu’elles puissent demander un droit de regard sur le fonctionnement des Trois Baudets. Parce que ce théâtre s’est créé dans une règle absolue de rupture totale avec les intérêts privés. Cette règle, qui prévaut dans l’ensemble du secteur public de la culture, a été difficile à faire accepter ici. Pourtant, pour la gestion d’un centre dramatique national, on ne demande pas l’avis du patron des Folies Bergère ou du syndicat des théâtres privés. Et on n’invite pas le concepteur du calendrier de la poste ou un représentant de l’association des galeries parisiennes quand on parle de l’exposition d’un musée d’art moderne. L’Etat a en effet longtemps agi comme s’il estimait que dans le domaine de la chanson — et on remarquera que ce n’est le cas pour aucune autre discipline artistique — les intérêts privés — « le marché » — pouvaient suffire pour avoir une vie artistique répondant à toutes les exigences que l’on peut avoir. Alors que la chanson est une discipline où les intérêts privés sont un bulldozer ravageur et que c’est pour cela qu’il faut un système public totalement indépendant du secteur privé comme de tout organisme du « métier ». « Apporter un financement public important à un théâtre spécialisé dans la chanson ce n’est pas seulement une mesure économique. Il ne faut pas en négliger la valeur symbolique. Cela hausse l’image de cette discipline aux yeux des directeurs de salles qui la connaissent souvent mal, qui jugent que c’est un genre mineur ou bien qui pensent que cela relève forcément du show business. Les Trois Baudets sont une vitrine subventionnée qui incite les programmateurs de théâtres pluridisciplinaires à venir voir cette discipline et à la programmer. Il fallait remettre cet art à égalité avec le théâtre. Le groupe Octobre ou les Comédiens routiers passaient indifféremment du théâtre à la 102 Soleil cherche futur 1 — Jacques Noir, conseiller musiques actuelles à la DRAC Île de France, entretien du 15 mars 2008. chanson. Nous avons traversé une longue période où nous l’avions oublié. » 1 « Les Trois Baudets permettent de montrer qu’il y a encore aujourd’hui des auteurs qui savent écrire des textes de la même tenue que ceux de leurs prédécesseurs. Cela permet de montrer qu’il y a encore aujourd’hui des chanteurs poétiques comme Mouloudji, populaires comme Francis Lemarque, humoristiques comme Ricet Barrier ou révoltés comme Leni Escudero, des artistes de talent à la notoriété intermédiaire qui n’avaient plus la possibilité d’être reconnus hors d’un petit cercle de spécialistes. Quand on chante Beaudelaire, Verlaine, Villon, Hugo, Rimbaud, Desnos, Apollinaire ou n’importe quel autre poète, on n’intéresse pas beaucoup de 2 — Antonin Maillet, chanteur, entretien du 26 mars 2008. théâtres parisiens quand on enlevé le Molière et les Trois Baudets. » 2 103 Soleil cherche futur LA C O O P É R AT I V E D E P R O D U C T I O N C’est une vieille idée. Guy Béart, en 1963, proposait déjà de créer une coopérative d’artistes. Avec sensiblement les mêmes arguments et les mêmes idées que l’on peut retrouver aujourd’hui. « C’est une coopérative de production au service de ses membres. Vous avez affaire à des chanteurs qui ont mutualisé des moyens pour se produire. Au lieu d’avoir une administration pour chaque individu ou pour chaque compagnie, nous avons une seule administration, un seul service de promotion ou de vente des concerts pour l’ensemble des artistes. N’avoir qu’une seule équipe à payer permet de réduire les coûts de gestion. Une bonne partie de la publicité est collective et cela réduit considérablement les coûts de fabrication et d’envoi. Nous avons un compte par personne qui permet d’avoir une clarté des comptes tant pour les artistes qui savent toujours où ils en sont que pour les bailleurs de fonds qui ne versent pas le 1 — Philippe Glace, directeur de La coop, entretien du 15 mars 2008. moindre centime sans en connaître le devenir. » 1 « Les chanteurs membres de La coop sont des débutants qui n’intéressent pas les producteurs privés et des chanteurs de notoriété intermédiaire qui n’intéressent pas grand monde non plus. Nous représentons souvent des gens pas très rentables ou pas rentables du tout pour un producteur privé. À côté de cette sélection d’ordre économique il y a des membres qui sont aussi parmi nous par choix délibéré. Ils ne souhaitent pas travailler avec un producteur privé. Ils refusent les pratiques qui ont cours chez certains producteurs ou les contrats léonins qui leur sont proposés. » 2 2 — Philippe Glace, idem. « La coop a été mise en place par le Théâtre aux Trois Baudets. Au départ l’activité de production était confondue avec celle du théâtre. C’était le personnel du théâtre qui travaillait dans les locaux du théâtre et s’occupait notamment de la vente des concerts pour ceux qui chantaient au cabaret. Nous avons commencé à embaucher du personnel spécialisé et à séparer les deux activités quand nous avons eu les moyens de le faire. » 3 3 — Philippe Glace, ibi dem. « La coop est une association à but non lucratif. C’est un point très important. Il y a parmi nous des chanteurs qui sont rétifs au mot même de producteur qu’ils assimilent au monde du show business dont ils ne veulent pas (ou dont ils ne veulent plus…) entendre parler. La coop n’a pas cette image « commerciale » que l’on reproche souvent aux producteurs. Notre statut juridique et notre fonctionnement transparent permettent d’aller deman- 104 Soleil cherche futur der des subventions pour la création, la promotion ou la diffusion dans les différentes régions de France où vivent chacun des artistes. Exactement 1 — Antonin Maillet, chanteur, membre du conseil d’administration de La coop, entretien du 26 mars 2008. comme une compagnie de théâtre ou de danse. » 1 « Je suis un salarié de l’association qui fait le travail qu’on lui demande de faire, un administrateur qui exécute les décisions prise par le conseil d’administration de l’association. Je ne peux rien décider d’important sans l’avis des membres de La coop. Vous avez raison de dire que mon travail s’apparente parfois à celui d’un producteur du show business mais je faisais exac tement le même travail quand j’étais administrateur d’une compagnie de danse. Avant j’envoyais des vidéos aux programmateurs qui se montraient intéressés. Maintenant j’envoie des disques. Avant on ne parlait jamais de show biz ! Maintenant… La gestion, l’invitation ou la relance des programmateurs ne changent guère, que l’on soit dans le show biz ou dans la poésie chantée. La grande différence, ce ne sont pas les moyens — il y a du show biz pauvre et du théâtre d’art riche — mais la nature du spectacle proposé. » 2 2 — Philippe Glace, entretien cité. « Depuis longtemps, dans le domaine des musiques actuelles, le ministère souhaitait financer des groupements, des réseaux ou des activités de production organisées et pas un seul artiste ou une production isolée. Lorsque l’activité de production a commencé aux Trois Baudets on a aidé très vite parce que c’était intéressant. Et on a encouragé, avec des subventions, la mise en place de La coop parce que cela entrait dans les objectifs du ministère qui étaient de favoriser des initiatives collectives et non de faire du saupoudrage. On nous reproche parfois la montant de la subvention versée à La coop qui serait trop élevée pour une seule structure. Mais, quand on divise par le nombre des gens qui en bénéficient, cela redevient très modeste. » 3 — Jacques Noir, conseiller musiques actuelles, DRAC Île de France, entretien du 15 mars 2008. 3 « La coop, c’est le regroupement de nos petites forces. On pratique beaucoup l’entraide. Par exemple le pianiste du groupe passant en deuxième partie va accompagner le chanteur solitaire qui fait la première partie. Et c’est cette économie d’un cachet et d’un défraiement qui permet souvent de faire passer une première partie auprès d’un théâtre pas trop riche. Et, qui sait ? le groupe donnera peut-être un concert dans la petite ville nata- 4 — Antonin Maillet, entretien cité. le de ce chanteur qui connaît bien le directeur du centre culturel… » 4 Comment entre-t-on dans La coop quand on est chanteur ? Au vu de la difficulté à trouver un producteur on peut imaginer que les candidats sont nombreux. « Les premiers arrivés ont été choisis par les Trois Baudets. Ils passaient au cabaret où ils chantaient seulement quelques chansons. 105 Soleil cherche futur Quand La coop a été créée on est passé progressivement à une formule de cooptation. Pour devenir membre il faut être adopté par une partie des membres et accepté lors d’une assemblée générale. Il n’y a pas vraiment de règles établies. Mais notre mode de gestion élimine ceux qui recherchent une formule clé en mains. Mieux vaut être prêt à aider les autres si on souhaite être aidé. On se base sur les relations personnelles — c’est important de bien s’entendre — et sur la nature de la production artistique. On est assez sensible à la dimension littéraire ou poétique des chansons. Mais on peut aussi bien coopter quelqu’un qui met Ronsard en musique qu’un 1 — Antonin Maillet, entretien cité. chanteur qui écrit des trucs hilarants à base de calembours. » 1 « Bien sûr nous sommes heureux que le théâtre aux Trois Baudets existe. La plupart d’entre nous [les chanteurs membres de La coop] lui doivent de pouvoir chanter. Cela dit, notre situation est loin d’être idyllique, c’est l’unique théâtre français subventionné spécialisé dans la chanson. Combien y en a-t-il en théâtre ? La coop est subventionnée par les pouvoirs publics. On trouve encore de bonnes âmes pour penser que c’est trop. Mais combien avons-nous de centres dramatiques nationaux ? Je ne jalouse pas le sort du théâtre. Je ne fais que remettre les aides que nous recevons dans l’ensemble du paysage artistique. » 2 2 — Antonin Maillet, idem. 106 Soleil cherche futur DE L A N O T I O N D E PAT R I M O I N E D E L A C H A N S O N Nous avons vu que le Théâtre aux trois Baudets s’intéresse, non seulement à la création contemporaine, mais aussi au répertoire. Nous voulions en savoir plus et nous avons interrogé Joseph Pichon, historien et amateur de chanson, qui s’est fait une spécialité de recherche dans ce domaine. « Qu’entendons-nous par patrimoine de la chanson ? Ce ne sont pas les succès ou des tubes d’une époque qui constituent le patrimoine. À ce compte Christian Jacq serait l’un des écrivains majeurs de ces dernières années et Marc Camoletti l’un des plus grands auteurs dramatiques de la deuxième moitié du XXe siècle… Un succès peut entrer dans le patrimoine tel que nous l’entendons. Mais on sait combien le succès peut être fonction d’un investissement publicitaire, d’une mode passagère, des rapports de force dans une profession [cf. l’attribution des prix littéraires] et de ses intérêts financiers. On sait bien qu’un auteur édité par une grande maison parisienne a beaucoup plus de chances de rencontrer le succès qu’un auteur publié par un petit éditeur savoyard. Les critères de succès [commercial] existent dans tous les autres arts mais il n’y a peutêtre que dans la chanson qu’ils ont pu acquérir une légitimité indiscutée par les gens de goût, une valeur absolue éclipsant toute autre considération. Si on suit de tels critères, la plus grande partie de l’histoire de la chanson tombe dans l’oubli — y compris les succès des époques passées — dès lors que les industries culturelles de l’époque présente n’en ont plus besoin. Qu’entend-on habituellement par répertoire ? Quelques chansons d’Edith Piaf, Charles Trenet, Boris Vian, Brel, Brassens et Ferré. C’est bien mais c’est très peu. Pour nous, le patrimoine francophone de chanson de qualité est riche de milliers de chefs1 — Toutes les citations de ce chapitre proviennent de l’entretien du 25avril 2008 avec Joseph Pichon. d’œuvre. Mais qui les connaît ? » 1 « On regroupe sous le terme patrimoine l’ensemble des œuvres qui, pour des raisons historiques [La chanson de Craonne et La Madelon, Le Chant des parti sans et Maréchal, nous voilà !] ou artistiques [des chansons de Coûté, de Brassens ou de Vasca], ont franchi ou méritent de franchir le temps. Comme on parle des « grands écrivains » pour qualifier ceux dont les œuvres restent après que le temps a fait son lent travail de sélection. On parle d’œuvre du patrimoine quand, hors de tout critère de notoriété, de mode ou de résultat financier, on peut démontrer la valeur de l’œuvre en analysant la qualité du texte, de la musique, l’originalité de la thématique, la richesse de l’inspiration, des trouvailles verbales, scéniques ou musicales. Une telle définition recouvre aussi bien la chanson dite d’auteur que le fonds traditionnel populaire [le folklore] et que la chanson de rue. Puisque nous accordons au temps une vertu qui aide 107 Soleil cherche futur à faire la sélection nous ne parlons de patrimoine que pour des chansons qui ont été écrites il y a plus de trente ans. » « Nous estimons important de faire connaître ces chansons au public. La méconnaissance par les jeunes générations de notre passé artistique donne de la force au show business. Le show business n’aime pas le patrimoine. Il veut une rotation rapide des stocks et une consommation massive. Le patrimoine est une machine à créer des critères de jugement. Il œuvre pour l’éducation du goût, pour la formation du jugement en donnant des éléments de comparaison. Cela entrave les modes, gêne la rotation rapide des productions. En bref cela dessert les intérêts des industries culturelles. Si notre connaissance du théâtre se limite à Marc Camoletti on sera beaucoup plus indulgent pour Olivier Lejeune que si on connaît aussi Molière, Beaumarchais et Feydeau. En chanson, à peu de choses près, on ne connaît pas ce qui s’est fait avant notre génération. L’absence de référence est désastreuse pour la formation du jugement. L’Etat se préoccupe de l’intérêt du public dans les autres secteurs artistiques. Il a très longtemps oublié la chanson alors que cet art est pourtant parmi les plus importants, aussi bien du point de vue de la pratique individuelle — regardez les statistiques ou les enquêtes du ministère sur les pratiques culturelles — que dans la constitution de l’imaginaire collectif. » « Faire interpréter les chansons du patrimoine par les artistes d’aujourd’hui, c’est aussi intéressant pour la formation des artistes et cela permet d’élever le niveau général de la création. » « C’est paradoxal mais on trouve encore bien plus facilement un théâtre pour monter Les mains sales que pour chanter Dans la Rue des BlancsManteaux. Et si tout directeur de théâtre connaît La guerre de Troie n’au ra pas lieu on en trouve peu qui sachent que La chanson de Tessa, pourtant considérée comme l’un des chefs-d’œuvre du XXe siècle, est du même auteur… » 108 Soleil cherche futur PERSONNES RENCONTRÉES Mysiane Alès, productrice, Le Rideau bouge (Juliette, Dikès). Producteur tourneur, édite et produit elle-même les disques dont les ventes permettent d’équilibrer une activité spectacles souvent déficitaire. Claude Astier, chanteur (Professeur Astier et les sœurs Karamazov). Produit par Productions spéciales, petit éditeur et producteur (disques et spectacles). Julien Bassouls, producteur bénévole, président association Life Live. Produit une vingtaine de groupes de chanson/rock ou chanson/électro dont La grande Sophie, Le Maximum Kouette, Jean-Jacques Nyssen et son orchestre de sa chambre. Pascale Bigot, conseillère chanson, THÉCIF (théâtre et cinéma en Ile de France) Boris Bourdet, feu Ailleurs, « le café débranché ». Voir chapitre consacré à ce café de la Bastille. Julien Caumer, squatt Chez Robert Électron libre (59, rue de Rivoli) et Calvi Jazz Festival. Accueille chaque semaine Yaron Herman, jeune prodige du piano. Voir chapitre consacré au squatt. Thierry Chenavaud, producteur, Enluminures, Limoges. Production phonographique et spectacle Joël Barret (chanson) et Christina Rosmini (chanson hispanophone). François Chesnais, directeur action culturelle, ADAMI, société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens-interprètes. Thibaud Couturier, chanteur. Autoproduction avec l’aide de copains à structuration en cours. Leila Cukierman, Théâtre d’Ivry Antoine Vitez. On lui doit « l’invention » de la résidence-chanson. Marie-Pierre de Porta, Le Loup du faubourg. Le cabaret est mort (voir chapitre consacré à ce cabaret). Le Loup est toujours éditeur et producteur phonographique de chanson, musiques traditionnelles, poésie. Didier Desmas, Centre de la chanson. Le centre de ressources et de conseils pour les chanteurs organise également les Bancs d’essai, les Bancs publics, Vive la reprise ! et Recherche auteur (dés)espérément. 109 Soleil cherche futur Dominique Dumont, Polyfolies, producteur de spectacles d’humour (Alex Métayer et Gustave Parking) et musicaux (Le Quatuor, Les Escrocs, La Framboise frivole, Chanson plus bifuorée). Jean Favre, directeur de feu le Théâtre du Tourtour, président Fédération des petites scènes de Paris, secrétaire du SYNAPSS, syndicat national des petites structures de spectacle. Caroline Fichot, administratrice, Isabelle Gimenez, directrice de production, Sentier des Halles. Théâtre (voir chapitre consacré au Sentier) et production de spectacles (Lio, Rachel des Bois, Vincent Baguian, etc.) Daniel Gasquet, Vocal 26, producteur de Évasion (chanson du monde), Entre deux caisses (« chanson pur jus » — souvent alcoolisée — du répertoire francophone) et Gérard Morel et les garçons qui l’accompagnent (chanson de l’auteur qui écrit lui-même). Geneviève Girard, Azimuth, producteur et tourneur de spectacles de plus de trente artistes en chanson, pop/rock, variétés et musiques traditionnelles. Christine Hudin, Edito-Hudin. Editeur et producteur phonographique. Producteur de récitals de « chanson chiante » (Serge Utgé-Royo, Lulu Borgia, Bruno Darraquy, Marie-José Vilar, Fabienne Elkoubi). Jean-Michel Joyeau, producteur Démons de dix heures, directeur Théâtre de dix heures et Bobino. Bernard Joyet, chanteur « fidèlement absent de la bande FM » (Le Figaro) Jean Laffite, chargé de mission musiques actuelles, Musique et danse Limousin. Christian Landrain, président association le Pavillon, Ivry sur Seine. Geneviève Métivet, programmatrice bénévole à temps plein, Forum Léo Ferré, Ivry sur Seine. Noëlle Tartier, Le Limonaire, « bar à vins et à chansons ». Serge Utgé-Royo, chanteur. Produit (spectacles et disques) par Édito-Hudin. Cathy Sabroux, comédienne, dirige le Sous-sol, petite salle de répétitions et spectacles. Marianne Sunner, chanteuse. Vit de son activité de chanteuse classique (spécialisée dans le répertoire baroque). Tout début de son activité de chanteuse de chansons. Mes remerciements à tous pour le temps qu’il ont bien voulu m’accorder. 110 Soleil cherche futur BI B L I O G R A P H I E Avignon, un festival rentable… pour les propriétaires de salles — La course du « off » à travers Avignon, Didier Méreuze, La Croix, 17 juillet 2002 — La gestion budgétaire des saltimbanques, Anne Constant, Le Dauphiné Vaucluse, 17 juillet 2002 — Rufus pour le festival off, « peut-être plus efficace contre l’inertie », Aude Brédy, L’Humanité, 13 juillet 2002. — Locations de salles. Le fric, c’est pas que chic…, L. J., La Provence, 12 juillet 2002 — Un festival de théâtre et ses compagnies, le off d’Avignon, Anne-Marie Green et alii, L’Harmattan, 1992. Art ou business ? — La télévision est une prostituée qui ouvre les cuisses devant les gens commercialement reconnus, Henri Tachan, Marianne, 4 février 2002. Petites scènes et chanson en scène — Ailleurs, le Café Concert débranché , Jacques Roussel, Je chante! N° 19, hiver 1995. — L’esprit caf’conc’, Pascale Bigot, Le fil d’Arianne N° 2, novembre 1997. — Le Loup du Faubourg, Jacques Roussel, Je chante ! N° 22, décembre 1997. — Plaidoyer pour les petits lieux , Stephan Boublil, La Scène N° 8, mars 1998. — Ivry, une ville pour la chanson, dossier de Pascale Bigot, Le fil d’Arianne N° 5, juin 1998. — Les scènes nationales d’Ile de France et la chanson, dossier de Pascale Bigot, Le fil d’Arianne N°6, décembre 1998. — Les petites scènes de Paris, péril en la demeure, dossier de Valérie Lehoux in Chorus N° 27, avril 1999. — Le nouveau contexte de la diffusion de la chanson, 5es journées professionnelles Chorus des Hauts de Seine, in supplément au N° 13 de La Scène, juin 1999. — Les « petites salles » : renouveau ou désillusion ?, Jacques Vassal, dans le dossier Le retour des chansons de parole, Politis N° 558, 22 juillet 1999. — Projet pour une charte des diffuseurs de la chanson en Ile de France, IRMA, août 1999. — Les petits lieux sont d’autant plus précarisés qu’ils sont sortis du maquis, table ronde dans La Scène N° 14, septembre 1999. — Monter sa production à Paris : le passage capitale, dossier de La Scène N° 14, septembre 1999. — Lettre ouverte à Madame la ministre de la culture et de la communication, Bernard Lacotte, Je chante ! N° 25, septembre 1999. — Les aides à la création scénique, dossier de Pascale Bigot, Le fil d’Arianne N° 8, janvier 2000. — Ailleurs jette l’éponge, in Je chante! N° 26, juin 2000. — Les nouvelles règles de financement public favorisent-elles la diffusion et le développement du spectacle vivant ? 6es journées professionnelles Chorus des Hauts de Seine, hors série La Scène, mai 2000. — La création en chanson, Actes de la journée professionnelle du 2 mars 2000 au théâtre d’Ivry, supplément au N° 17 de La Scène, juin 2000. — Les cafés-concerts réduits au silence , Maya Lebas, Zurban, 27 septembre 2000. — Les petites salles de Paris : l’hécatombe, Valérie Lehoux, Chorus N° 34, janvier 2001. 111 Soleil cherche futur Presse spécialisée en chanson — Chorus, les cahiers de la chanson, trimestriel. — Je chante ! discographies, parution sporadique (environ une fois par an). — Le petit format, bimestriel du Centre de la chanson. — Une autre chanson, bimestriel de Belgique. — Chante !, Chant’Essonne, Di dou da, Récréaction, et la myriade des publications d’associations. Économie et gestion — Le management des entreprises culturelles et artistiques, coordonné par Yves Evrard, Éditions Economica, 1993. — Bilan Économie et programmation des cafés-musiques en 1995, sous la direction de Bruno Colin, Éditions Opale, octobre 1996. — Ouvrir un lieu de spectacles, dossier réalisé par Olivier Hacquin et Nicolas Meurin, La Scène N° 12, mars 1999. — Les organisations, État des savoirs, ouvrage coordonné par Philippe Cabin, Sciences humaines Éditions, 1999. — L’économie de la culture, Françoise Benhamou, Éditions La Découverte, 3 e édition octobre 2001. Droit — Le guide social des entreprises culturelles, Michel Magien, Édition Juris Service/AGEC, 1993 — Profession organisateur, Pascal Chevereau et Luc Daniel, IRMA, 1995 — La chanson française et les pouvoirs publics, Dorian Kelberg, Presses Universitaires d’AixMarseille, 1997. — Les contrats de la musique , Pierre-Marie Bouvery, IRMA, 1999. — Les droits des musiciens, guide pratique, Guy et Éric Caumont, Éditions Seconde, octobre 2000. — Profession entrepreneur de spectacles, Philippe Audubert et Luc Daniel, 2e édition, IRMA, octobre 2001. — Le guide du droit d’auteur et des droits voisins, spécial spectacle vivant, Cyrille Planson, supplément à La Scène, juin 2002. — Les fiches pratiques de l’IRMA, vingt-six fiches régulièrement remises à jour qui vont du statut de l’interprète aux droits d’auteur, de la licence d’entrepreneur de spectacles aux conventions collectives. Téléchargeables sur le site www. irma. asso. fr. Politique culturelle — L’État, le rock et la chanson, Daniel Roussel, in Regards sur l’actualité, édité par la Documentation française, novembre 1995. — Les moyens d’une culture «ascendante » et non « condescendante », Claude Sicre, in Carnets culture N° 3, Région Nord-Pas de Calais, janvier 1996. — Mesures nouvelles en faveur de la chanson, mardi 30 janvier 1996. Allocution lors des semaines de la chanson 1996, Philippe Douste-Blazy, texte polycopié. — Yves Duteil, prendre la chanson par la main…, entretien in La lettre bimestrielle de la SACEM, N° 15, mai 1997. — Quel gouffre entre les domaines de la création ! Tribune de Théo Hakola, in La Scène N° 12, mars 1999. 112 Soleil cherche futur — Soyons utopistes, exigeons le possible…, Pierre Barouh, texte accompagnant l’envoi à la presse de son nouveau disque, reproduit dans Je chante ! N° 24, mars 1999. — « Nous assistons à l’émergence de communautés choisies », entretien de Claude Sicre par David Langlois-Mallet, Politis, 5 janvier 2001. — Les petits lieux musicaux dans les secteurs du rock et des variétés. Description — Propositions. Bruno Lyon, novembre 1989. Polycopié sans nom d’éditeur. Bruno Lyon était alors chargé de mission auprès du ministre de la culture. — Diffusion des musiques actuelles et dimension régionale: une politique à définir, Frédéric Grivolat, mémoire DESS 1996 Lyon II/ARSEC. — État des lieux de la création en Europe, le tissu culturel déchiré, Joost Smiers, avec une préface d’Ignacio Ramonet, Éditions l’Harmattan, 1998. — Rapport de la commission nationale des musiques actuelles à Catherine Trautmann ministre de la culture et de la communication, suivi de Rapports & annexes des groupes de travail, Alex Dutilh, président, Didier Varrod, rapporteur général, septembre 1998. — L’exportation des musiques actuelles et l’intérêt général. Une approche par styles des musiques actuelles constitutives de l’offre française, Jacques Raynaud, mémoire DESS 1999 Lyon II/ARSEC. — L’État culture, Essai sur une religion moderne, Marc Fumaroli, Éditions de Fallois 1992, Édition augmentée Livre de poche, 1999. — Qui trompe-t-on ici ? Paul Gauguin, in revue Le Moderniste, 1889, réédition l’Échoppe, collection Envois, 1996. — Lettre sur les concours, Eugène Delacroix, in revue L’Artiste, 1831, réédition l’Échoppe, collection Envois, 1985. Chanson et société — Français si vous chantiez, Jacques Vassal, Éditions Albin Michel et Rock & Folk, 1976. — Le 9e Art, la chanson française contemporaine, Angèle Guller, Éditions Vokaer, Bruxelles, 1978. — Chanson et société, Louis-Jean Calvet, Éditions Payot, 1981. — Chante toujours tu m’intéresses, ou les combines du show-biz, Jacques Bertin, Éditions du Seuil, 1981. — Cent ans de chanson française, Chantal Brunschwig, Louis-Jean Calvet et Jean-Claude Klein, Éditions du Seuil, 1981. — La chanson française, France Vernillat et Jacques Charpentreau, P.U.F. Que sais-je ?, 1971-1983. — Show Biz, ouvrage collectif sous la direction de Louis-Jean Calvet, Jules Chancel et Frank Tenaille, Autrement N° 54, mars 1984. — Histoire de la littérature prolétarienne de langue française, Michel Ragon, Éditions Albin Michel, 1974, édition revue et augmentée, Albin Michel, 1986. Chansons de métiers, poésie populaire et argotique, écrivains ouvriers et paysans du XVIe siècle aux années 1980. — Putain de chanson, Fred Hidalgo, Éditions du petit véhicule, 1991. — Cinquante ans de chanson française , Lucien Rioux, Éditions de l’Archipel, 1992. — Chanteurs à l’affiche, Jacques Vassal, Albin Michel, 1996. — La révolution en chantant , Patricia Latour, Éditions le Temps des Cerises, 1996. — La chanson mondiale depuis 1945 , sous la direction de Yann Plougastel, Larousse-Bordas, 1996. — La parole en chantant, Show-business et idéologie, Thierry Maricourt, Éditions EPO, 1996. — Si on chantait… Partir à la conquête des publics, Marie-Jeanne Nicollet, mémoire DESS, Rouen, 1996. — Questions pour la chanson, Pascale Bigot, IRMA, 1996. 113 Soleil cherche futur — La chanson contemporaine française, Actes du symposium de l’université d’Innsbruck 1993, ouvrage collectif sous la direction d’Ursula Mathis, Verlag ders Instituts für Sprachwissenschaft der Universität Innsbruck, réédition 1996. — Fonctions sociales du blues, Robert Springer, Éditions Parenthèses, 1999. — La chanson poétique en résistance, entretien avec Jacques Bertin, dans le dossier La chanson, version française, revue Esprit, juillet 1999. — Les contes du Lapin Agile, Louis Nucéra, Cherche-midi Éditeur, 2001. Un siècle d’histoire du plus ancien des cabarets. Art, culture et société — Les règles de l’art, Génèse et structure du champ littéraire, Pierre Bourdieu, Éditions du Seuil, 1992. — La distinction, critique sociale du jugement, Pierre Bourdieu, Éditions de Minuit, 1979. — L’art : pour quoi faire ? Michel Ragon, Éditions Casterman, collection Mutations-Orientations, 1971. — Mais qu’est-ce que la musique ? Henri Heine, Babel Actes Sud, 1997. — Le sens du beau, aux origines de la culture contemporaine, Luc Ferry, Livre de poche, 2001. — La haine de la musique , Pascal Quignard, Calmann-Lévy, 1996 et Folio, 1998. — Histoire de l’art, Ernst H. Gombrich, seizième édition, Éditions Gallimard, 1995. — Changer la vie, Jean Guéhenno, Éditions Bernard Grasset, 1961, réédition cahiers rouges Grasset 1990. Adresses électroniques utiles — www.adami.org site de l’ADAMI — www.centredelachanson.com site du Centre de la chanson. Liens avec de nombreux sites de chanson — www.chorus-chanson.fr site de la revue Chorus. Liens avec de nombreux sites de chanson — www.culture.fr site du ministère de la cultur e — www.irma.asso.fr site de l’IRMA, information et ressources pour les musiques — www.fondsdesoutien.fr site du Centre national des variétés ex Fonds de soutien. En actuelles reconstruction en octobre 2002 — www.lefcm.org site du Fonds pour la création musicale — www.legifrance.gouv.fr site du journal officiel, «l’essentiel du droit français » — www.sacem.fr site de la SACEM — www.scpp.fr site de la SCPP, société civile des producteurs de phonogrammes — www.sesam.fr Site des droits d’auteurs dans le multimédia Ai-je suffisamment dit que le monde, comme il va, ne peut pas aller ? José Valverde, La culture n’est pas un musée ! entretien avec David Langlois-Mallet, Politis N° 670, 11octobre 2001. 114