Soleil cherche futur

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Soleil cherche futur
SOLEIL
CHERCHE FUTUR
La chanson en scène
H U B E R T L E R AY
Sous la direction de Véronique Guérin
DESS Responsabilité de projets culturels Université de Rouen 2002
Téléphone : 05 55 06 96 70
Courriel : hubert . l e r a y @ l i b e rt y s u rf . f r
Soleil cherche futur
Banlieue
Ta grisaille ne m’inspire
Que l’envie de partir
(Karim Kacel, Banlieue, circa 1984.)
Aux portes de la capitale, le béton ne sait pas chanter
Qu’est-ce qu’ils ont fait les architectes de nos cités ?
Entendent-ils la détresse de tous les jours ?
Y’a pas de lampions qui brillent sur les nuits de nos tours
(Thomas Pitiot, Aux portes de la capitale , 2001.)
La mochitude. À mes yeux, la banlieue c’était seulement cela. Des tours et des barres, des cités
grises et du béton froid, du macadam sans chlorophylle. Alphaville. Le cauchemar. La mochitude
poussée à l’extrême.
Et puis j’ai passé plusieurs mois à Ivry sur Seine. J’ai rencontré ceux qui y habitent. Ivry, c’est dans
le 94. Thomas Pitiot, lui, chante son 93 natal. C’est pas bien loin… d’être semblable. «Y’a des défilés de princesses tous les jours sur ma ligne de bus. » J’ai trouvé dans les chansons du 93, comme
dans les cœurs du 94, toutes les couleurs qu’on a oublié de mettre sur les murs.
Vous qui êtes un peu frileux, qui trouvez les gens curieux
Regardez-les tout au fond des yeux.
Si tu veux découvrir une palette de couleurs
Suis-nous, suis-nous, suis-nous dans le tramway du bonheur :
Direction Saint-Denis ou Bobigny
Découvrir toutes les saveurs, faire le tour de tous les pays
Dans le tramway du bonheur.
(Thomas Pitiot, Le tramway du bonheur, 2001.)
À tous ces gens rencontrés à Ivry-sur-Seine. Avec amitié.
1
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SO M M A I R E
— Chacun a droit à son imaginaire personnel (Hors texte I)
03
— Introduction
14
I / Les cafés
15
a) Dans les bistrots
15
b) Le limonadier exploiteur d’artistes
17
c) L’amateur de musique dans l’illégalité pour raisons économiques
19
d)
1 — L’amateur de musique partiellement dans la légalité
24
d)
2 — Les « fous de chansons », le Pavillon d’Ivry
27
d)
3 — Les associations de bénévoles
30
e) Ailleurs le « café débranché »
32
f) Le 98-1143, un calibre qui tue ou les incidences du décret bruit
38
g) Des établissements éphémères
40
h) Le pousse-café, point de vue du spectateur
41
i) La rincette, point de vue artistique
42
i) Le der des ders, point de vue du programmateur ou producteur
44
46
— Chez Robert, Électron libre, le squat Rivoli (Hors-texte II)
II / Les théâtres
49
a) Introduction
49
b) Le Sentier des Halles
50
c) Le Théâtre de dix heures
53
d) Le Tourtour
55
e) Chambre à louer ! Les théâtres en location
57
f) Pourquoi louer une salle ?
61
g) La nécessité des petites scènes (apprentissage, expérimentation et artisanat)
63
h) Une production type
66
i) Trois budgets de production
69
74
— Art ou business? (Hors texte III)
III / Le projet culturel
80
a) Producteur et autoproduction
80
b) Pour une politique culturelle de la chanson
87
c) Le Théâtre aux Trois baudets
93
1 — Un théâtre subventionné
93
2 — La «grande » salle
95
3 — Le cabaret
96
4 — Les différents publics
96
5 — La programmation
97
6 — Les buts
100
d) Un financement public pour les Trois Baudets
102
d) La coopérative de production
105
e) De la notion de patrimoine de la chanson
108
— Personnes rencontrées
110
— Bibliographie
112
Titre emprunté à Hubert-Félix Thiéfaine.
2
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« C HACUN
A D RO I T À S O N I M AG I N A I R E PE R S O N N E L
»
« Aussi longtemps qu’il y aura deux cultures dont l’une se prétendra la seule vraie, essayant de faire passer l’autre pour une
inculture, aussi longtemps il n’y aura pas de cité. »
I — L’action culturelle dans
la cité, page 220, Éditions
du Seuil, 1973.
2 — Voir La distinction, cri tique sociale du jugement ,
Éditions de Minuit, 1979.
(Francis Jeanson) 1
Un débat agite depuis longtemps le monde culturel. D’un côté on parle
de démocratisation culturelle. Il s’agit « d’amener », de « sensibiliser »,
« d’ouvrir » ou de « rendre curieux de la création ». En oubliant parfois
de préciser que nous parlons là d’UNE culture, celle des privilégiés, celle
des « héritiers » selon la formule de Bourdieu. 2 De l’autre côté les tenants
de la démocratie culturelle ont plutôt pour objectif de favoriser l’expression de cultures fort diverses selon les origines sociales, professionnelles,
géographiques, religieuses ou linguistiques, etc. et les goûts de chacun.
Le même débat se retrouve posé en d’autres termes. D’un côté les légitimistes affirment la supériorité indiscutable de disciplines artistiques qui
seraient nobles. De l’autre les relativistes pensent que les valeurs universelles ou les thèmes éternels sont traités aussi bien par le théâtre antique
ou l’opéra classique que par le conte paysan ou la chanson ouvrière, par
le théâtre d’ombres indonésien ou par les légendes des Hopis. Et pensent
que l’on peut trouver des productions remarquables dans toutes les disciplines de toutes les classes sociales et sous toutes les latitudes.
Remarquons en passant que les disciplines considérées comme « nobles »
sont plutôt issues des classes riches, noblesse ou bourgeoisie, et qu’elles
demandent des moyens financiers considérables pour s’exercer. Tandis
que les disciplines « mineures » sont plutôt des modes d’expression des
classes pauvres ou modestes et peuvent bien souvent s’exercer avec des
moyens modestes. Remarquons aussi que la musique occidentale est
« grande » tandis que la musique des Pygmées, de Tuva ou des pays
andins est « ethnique ». Parce que, si la « haute culture » est celle des
classes riches, elle est aussi occidentale.
3
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1 — Rapport à Catherine
Trautmann, ministre de la
culture et de la communi cation, septembre 1998,
page 17.
Oublions rapidement que la volonté d’ouverture, manifestée parfois avec
ostentation par la politique culturelle, s’arrête brutalement dès que l’on
examine la comptabilité publique. Le rapport de la commission nationale des musiques actuelles 1 rappelle utilement quelques chiffres. Ainsi la
TVA encaissée par l’État sur les ventes des seuls disques dits de « variétés » était de 1,86 milliard de francs quand le budget de la DMD (direction de la musique et de la danse) était de 1,973 milliard de francs dont
67 millions de francs alloués aux musiques dites « actuelles ». Délaissons
la TVA sur les concerts, sur les droits d’auteur et droits voisins, sur les
instruments de musique et autres fariboles, délaissons aussi les autres
impôts et notons que « Certains membres de la commission […] ont
parlé très abruptement […] d’une demande de réparation historique. »
2
2 — Idem, page 18.
3 — Cette généralisation
laisse volontairement de
côté les exceptions, tels le
théâtre d’Ivry ou la scène
nationale de Mâcon pour
la chanson, qui ne font
que confirmer la règle.
4 — N° 6, décembre 1998.
5 — cf. notamment Alain
Finkielkraut, La défaite de
la pensée, Éditions
Gallimard, 1987, Marc
Fumaroli, L’État culturel,
Éditions de Fallois, 1992
et Maryvonne de SaintPulgent, Le gouvernement
de la culture, Éditions
Gallimard, 1999.
Oublions aussi rapidement la programmation maigrichonne des scènes
généralistes 3 quand on chausse les lunettes de la chanson, du jazz, des
musiques traditionnelles et autres mal-aimés des théâtres de l’institution.
Ainsi Le fil d’Ariane 4 détaille la programmation chanson des dix scènes
nationales d’Ile de France. On va de « rien » aux valeurs sûres comme
Brassens, Ferré et Vian, non pas repris par des chanteurs de chanson,
mais mis en scène par des gens de théâtre. Trois scènes seulement quittent un peu l’autoroute pour s’engager d’un pied précautionneux sur les
drailles en proposant… de un à quatre spectacles dans l’année !
Oublions tout cela et adoptons un postulat très provisoire affirmant que
ces débats entre relativisme et légitimisme, qui nous ont valu quelques
fortes pensées d’auteurs de talent, 5 sont maintenant apaisés et que les
acteurs culturels réservent aujourd’hui une place équitable à tous les
modes d’expression.
4
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La loi N° 99533 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le
développement durable du territoire et portant modification de la loi
N° 95115 du 4 février 1995 d’orientation pour le développement du territoire Journal officiel du 29 juin 1999, la LOADDT, ne manque pas d’intérêt. L’article 16 nous dit que « Le schéma des services collectifs culturels définit les objectifs de l’État pour favoriser la création et développer
l’accès de tous aux biens, aux services et aux pratiques culturels, sur l’ensemble du territoire. » Une formulation qui semble de premier abord se
fondre dans le paysage d’une France éternelle. On peut néanmoins s’interroger.
De « l’accès »
1 — Cf. René Goscinny et
Albert Uderzo, Œuvres
complètes, Éditions AlbertRené; Pierre Bourdieu, La
distinction, critique sociale
du jugement, Éditions de
Minuit, 1979.
2 — cf. Marc Fumaroli,
L’État culturel, op. cité.
Le schéma doit vaillamment permettre de « développer l’accès » à la culture, via les « services », les « biens » et tutti quanti. Ne pourrait-on pas
voir dans cette notion « d’accès » une vision dichotomique du monde de
la culture ? Où l’on aurait d’un côté ceux qui sont tombés dedans quand
ils étaient petits 1 et de l’autre ceux que l’on se doit de convertir à une
« religion moderne ». 2
On pourrait faire observer que depuis des temps immémoriaux nombre
de petites voix ont entonné des refrains discordants qui nous offrent une
partition un peu plus nuancée et nous montrent une grande diversité
possible de parcours. « La première révélation que j’eus qu’il y a vraiment
un autre monde, je pense bien l’avoir dû à la musique, je veux dire aux
chansons, car c’est tout ce qu’en ce temps-là on savait d’elle chez les
ouvriers. Mais on saisissait toute occasion de chanter. […] Les chansons
quarante-huitardes de mon père avaient fait la justice sur la terre. Il y
avait eu du bonheur dans la maison. […] Je comprends à présent que, ces
soirs-là, je suis entré, par la porte des pauvres, dans le monde de la beauté. Ce n’est pas un monde que l’on apprend. On le découvre, on le crée,
à partir de soi-même. On y entre sans maîtres, et je suis sûr que ces soirées où nous nous enchantions ensemble de chansons banales m’en ont
beaucoup plus rapproché que tant de magistrales et savantes leçons que
5
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1 — Jean Guéhenno,
Changer la vie, Éditions
Grasset, 1961, réédition
cahiers rouges Grasset,
1990, pages 113 et 115.
2 — cf. Riccardo
Montserrat, La femme
jetable, pièce créée en
2000, texte inédit.
plus tard j’ai entendues. Dans le chant le plus naïf, pour peu qu’il soit
chanté d’une voix pure et naturelle, il peut se rencontrer telle note si
exacte, si bien placée, si éloquente qu’elle semble contenir toute la vérité
de l’homme et toute l’harmonie de l’univers. C’est un cri juste devant la
création, et qui l’a une fois entendu, reconnu, est désormais hanté et n’a
plus de cesse qu’il ne l’entende encore, comme au-dessus du monde, audessus des choses, comme leur résumé et leur explication. » 1
Ce refrain maintes fois entonné de « l’accès » implique aussi la certitude
qu’il existe bien une culture de référence définissant l’honnête homme.
Constitutives de la culture universelle ces références seraient indispensables à l’émancipation de ceux que l’origine sociale, un parcours scolaire semé d’embûches traîtresses ou les vicissitudes de la vie auraient privés
de l’accès à de hautes valeurs de civilisation. La traduction concrète de ce
présupposé se résume à favoriser la diffusion des activités des organismes
culturels reconnus par le ministère de la culture.
Désenvoûtons les « lieux magiques ». Quand la banalité trompeuse d’un
article de loi disparaît on peut voir que l’objectif de « l‘accès » n’est peutêtre qu’une caution donnée aux institutions culturelles traditionnelles
qui débouchera naturellement sur une consolidation financière pour
qu’elles présentent plus de productions d’artistes. Mais vraiment pas
l’émancipation de la caissière d’un supermarché exploitée jusqu’à son
licenciement. 2
De la « création »
La LOADDT fait référence à la « création ». On pourrait faire remarquer
que la loi suppose que l’on peut trier, sans la moindre difficulté apparente, les productions qui auraient le statut de « créations » de nature artistique d’un ensemble d’autres productions qui ne sauraient revendiquer ce
statut.
Mais nous sommes ici face à une lacune : la LOADDT ne s’interroge pas
sur les chemins et les moyens qui conduisent à décerner cette qualifica-
6
Soleil cherche futur
tion. Une recherche approfondie dans notre appareil législatif risquerait
fort de montrer que la loi reste muette sur cet aspect fondamental. La loi
fait référence à une notion de « création » qui n’est jamais définie. Et, en
droit, le flou artistique c’est l’arbitraire. Ou conduit aisément à l’arbitraire. Ce qui, sauf sous un régime autoritaire, sied plutôt mal à l’esprit
législatif.
« Il n’y a rien qui, autant que les goûts en musique, permette
d’affirmer sa «classe », rien par quoi on soit infailliblement
classé, (parce qu’) il n’est pas de pratique plus classante, du fait
de la rareté des conditions d’acquisition des dispositions cor1 — La distinction, Éditions
de Minuit, 1979, page 17.
respondantes, que la fréquentation du concert ou la pratique
d’un instrument de musique «noble ». (Pierre Bourdieu) 1
Faute de définir ce qu’est la « création » la loi ne fait qu’entériner un état
de fait antérieur et les acquis d’une classe. Ou d’une caste. Ou des deux.
La loi se contente d’entériner la hiérarchie instituée des valeurs artistiques. La qualification de « création artistique » d’une quelconque production plastique, musicale ou spectaculaire, reste une affaire de rapport
de force. Mesurée à cette aune la LOADDT fait implicitement référence
à une très vieille loi sans numéro matricule qui est la loi du plus fort. Où
les productions issues des arts dits mineurs continueront à ne pas pouvoir prétendre à la qualification de « créations ».
Le législateur n’est pourtant pas aveugle. Il sait bien que cette hiérarchie
officielle des valeurs artistiques n’est guère en accord avec les demandes
des citoyens dans une réalité plus complexe. Ce qui nous vaut, dans le
même article, une phrase qui fait état de ce fossé abyssal. « Il [le schéma]
renforce la politique d’intégration par la reconnaissance des formes d’expression artistiques, des pratiques culturelles et des langues d’origine. »
Avec une formulation obscure — ce qui démontre l’embarras du législateur — on ne peut se livrer qu’à des tentatives d’interprétation proches
de la lecture dans le marc de café. Parle-t-on de l’intégration urbaine des
enfants d’immigrés victimes d’ostracisme ou de la revitalisation de campagnes en voie de désertification rapide ? Parle-t-on du raï, de la musique
7
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1 — Cf. Stéphane Beaud &
Michel Pialoux, Retour sur
la condition ouvrière, Éditions Fayard, 1999.
2 — cf. Pier re Sansot, Les
gens de peu, Éditions
Payot, 1995.
3 — Le métissage culturel,
Politis, 29 octobre 1998.
4 — La jeunesse française
est créative, elle a un droit
à la parole, in Millénaire 3,
supplément au cahier
N° 19, février 2000.
5 — cf. Pier re Lieutaghi, La
plante compagne, pratique
et imaginaire de la flore
sauvage, Actes Sud, 1998.
juju, de Reinette l’Oranaise ou bien de kan ha diskan, de chabrette
limousine et de la « môme » de Ferrat qui « travaille en usine à Créteil » ?
Parle-t-on de tous ces gens qui se sentent totalement étrangers à une
société qu’ils subissent plus qu’ils n’y participent ? Parle-t-on de la culture de la classe ouvrière 1 et de la culture des gens modestes ? 2 Jacques
Bertin nous rappelle fort justement que « […] le peuple a besoin de trouver dans l’art de quoi se nommer. Nommer sa situation ici et maintenant. » 3 Et Jean-Pierre Thorn de surenchérir : « […] La priorité à combattre quand il est question des cultures populaires, c’est la dévalorisation. Comment un être humain peut-il construire sa place dans la société s’il doute de lui dès l’enfance, si le fils d’ouvrier par exemple a honte
de son père ? » 4 Parle-t-on de l’entrée de l’ethnobotanique dans l’université française ? 5 Ou de la reconnaissance de la myriade des groupements
d’études consacrés à telle ou telle autre discipline scientifique ? Parle-t-on
de manifestations populaires à caractère régional ou apportées par des
émigrants ? Parle-t-on de l’occitan et du catalan, langues de régions
rurales françaises en déshérence, ou de l’arabe, du wolof et du sarakolé,
langues de quartiers urbains périphériques en déshérence itou ? Toutes les
suppositions, des plus censées aux plus folles, des plus pesées aux plus
démagogiques, des plus passéistes aux plus à la mode, sont autorisées…
On notera tout de même qu’on ne parle plus de « création » mais seulement de « reconnaissance ». La perspective d’une ouverture à d’autres
cultures, ou à d’autres formes d’une même culture — qu’elles soient
d’origine étrangère ou fruit d’un « métissage », qu’elles soient d’origine
rurale ou qu’elles soient l’expression des classes urbaines modestes —
n’est pas envisagée ici avec le même vocabulaire ou les mêmes moyens.
« […] Nos professionnels de la culture, comme par hasard, se désintéressent totalement des populations pauvres de ce pays, si j’en crois les statistiques du ministère et l’affectation des budgets. » (Jacques Bertin, idem.)
8
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1 — Affiche, signée atelier
l’Atalante, sur un mur de
Genève, 1998.
De « tous » (les citoyens)
Attention à la fermeture automatique des paupières. 1
Il y aurait de bons courriers à faire de France et de pays que
nous croyons connus ; l’étrange n’est pas toujours au pays
étranger; on ferait d’immenses découvertes chez soi; on
obtiendrait de singuliers résultats si l’on savait regarder le pays
habituel d’un regard inhabitué ; regarder la France comme si
on n’en était pas. (Charles Péguy cité par Eugen Weber)
La LOADDT, bonne fille, s’inquiète de voir l’ensemble des citoyens
bénéficier des « créations » offertes par les institutions culturelles. Il est
vrai que nous avons là un problème. « On n’observe aucune réduction
significative des écarts entre les milieux sociaux depuis 1989 […] Les
résultats de l’enquête dont nous faisons ici état ne peuvent en effet manquer d’inquiéter les acteurs de la vie culturelle en révélant que trente
années de politique culturelle n’ont pas suffi pour atteindre l’objectif des
origines, ni même pour réduire de manière significative la hiérarchisation
sociale des comportements culturels : ceux qui lisent de la littérature,
ceux qui vont au musée ou au théâtre présentent globalement les mêmes
caractéristiques qu’il y a trente ans » 2
2 — Olivier Donnat, Les
pratiques culturelles des
Français, La Documentation
française, 1998, page 218.
3 — O. Donnat, idem,
page 11.
Il est vrai, pour relativiser ce constat, qu’Olivier Donnat nous prévient
que l’enquête « est incapable de déceler les évolutions concernant moins
de 2 à 3 % de la population française, c’est-à-dire moins d’un million ou
un million et demi de personnes. […] Elle s’avère aussi trop générale
pour rendre compte, par exemple, des disparités régionales ou des univers culturels de groupes sociaux trop particuliers. » 3
Il reste peut-être du chemin à parcourir pour que l’institution culturelle
s’ouvre à la culture de chacun des « groupes sociaux trop particuliers »
qui composent notre « tous ». La pensée du microcosme culturel reste
imprégnée par un état d’esprit ambiant de la société qui, à vouloir s’en
tenir au plus grand nombre, gomme toutes les spécificités particulières
qui forment le plus grand nombre.
9
Soleil cherche futur
1 — La fin des terroirs, Éditions Fayard & Recherches,
1984.
2 — Maria Lor y, ma
grand-mère, paysanne née
en 1895.
Nous ne parvenons pas à sortir de l’état d’esprit où on accorde plus d’importance au petit cercle des puissants qu’à la majorité des citoyens
humbles. Ce n’est pas propre à l’art. C’est l’héritage d’une culture où ce
qui vaut la peine d’être raconté est ce qui concerne l’élite. Rappelonsnous les cours d’histoire de l’école primaire de naguère. La succession des
rois et des batailles ou bien la Renaissance qui chasse le Moyen-Âge. Puis,
quand Eugen Weber nous entretient de la vie d’ancêtres pas très lointains, 1 on mesure à quel point on a oublié de dire aux enfants qu’on leur
enseignait l’histoire d’un pourcentage dérisoire de la population. Que
nos ancêtres — sauf à être « bien nés » — ne vivaient pas dans le monde
décrit par nos livres d’histoire.
On continue aujourd’hui à écrire une histoire — à décrire le présent —
avec les mêmes travers. Où les employés de la grande distribution, les
ouvriers du bâtiment, les « agents d’entretien » ou les chauffeurs de bus,
comme toutes « les petites gens », 2 sont des « groupes sociaux trop particuliers » pour que l’on s’y intéresse. Où l’on ne prête guère attention
aux quatre-vingts pour cent de la population française qui ne sont pas
connectés à Internet.
De « l’ensemble du territoire »
La LOADDT est censée, c’est à la fois son intitulé et son objet, se préoccuper de chaque territoire. Mais, en matière culturelle, s’agit-il de
mettre en valeur les spécificités traditionnelles de chaque terroir ou les
particularités exotiques de chaque quartier ? « Le schéma de services collectifs culturels définit les objectifs de l’État […] »
Les citoyens libres votent avec leurs pieds. Ils refusent les références culturelles qui forment le cœur — tant en budget qu’en valeur symbolique — de la politique culturelle publique. Un problème majeur de la culture subventionnée est dans ce silence, ce refus, ce rejet franc et massif de
la majorité de la population.
La loi prend acte de ce rejet et — mais sans doute est-ce une lecture trop
10
Soleil cherche futur
audacieuse ? — impose une norme — « les objectifs de l’État » — contre
tout risque d’émergence d’une volonté collective locale ou d’initiatives de
citoyens dissidents. Dans cette lecture la collectivité territoriale n’aurait
pas d’autonomie vis-à-vis de la politique culturelle de l’État, son rôle se
bornant à être le relais du pouvoir central. Toute politique locale qui
s’aventurerait hors des chemins balisés — tout comme les initiatives de
citoyens que l’on voit fleurir depuis quelques années — se verrait baptiser de sobriquets qui se voudront infamants. Les mots socio-culturel,
éducation populaire, animation, amateur, communautaire, identitaire,
ethnique ou folklorique, petit, marginal ou de seconde zone, local ou
régional de l’étape — liste non limitative — permettraient de disqualifier toutes les aventures hors des normes officielles.
Au travers de notre commentaire de deux phrases de la LOADDT nous
avons souhaité montrer comment se heurtent des objectifs de démocratie et des objectifs d’experts. Des objectifs qui peuvent être fort hétérogènes ou contradictoires et que le législateur peine à tenter de concilier.
Pour une réelle diversité culturelle
La LOADDT permet de voir également que le législateur peine tout
autant que le microcosme culturel institutionnel à sortir de la vieille stratégie coloniale. Nous vivons toujours sous la dure loi de l’offre imposée
aux indigènes. Il faut coûte que coûte écouler les productions du centre
chez les vassaux. Et ce n’est pas facile quand le peuple souverain vote. Au
référendum proposé 80 à 90 % des citoyens votent non. Avec une belle
constance que se plaisent à souligner tous les analystes des pratiques culturelles des Français.
Il est certes difficile d’imaginer une sortie honorable à un vieux conflit
colonial. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a fini par s’imposer. Hier les sauvages étaient de grands enfants. Aujourd’hui « les
publics » ne sont pas majeurs. Comment sortir de cette politique de
l’offre pour enfin aussi répondre à la demande ? Aujourd’hui répondre à
11
Soleil cherche futur
la demande — il faudrait écrire « aux multiples demandes » — est stigmatisé comme une démarche « populiste » ou « clientéliste ». Le public
n’est pas majeur.
1 — Entretien du 22avril
2002.
« On peut aller dans une librairie et choisir un livre que personne ne lit.
Raymond Roussel a vendu trois livres de son vivant et c’est pourtant un
auteur intéressant de la littérature française. Chacun doit pouvoir avoir
son imaginaire personnel. Si on ne peut pas l’avoir c’est parce que chercher un disque à la FNAC est un vrai parcours du combattant. Souvent
on ne le trouvera pas à la FNAC mais seulement de main à la main à la
sortie du spectacle. » Jean Favre 1 s’insurge contre un choix proposé qui
est beaucoup trop restreint à son goût. Comment parler de choix quand
on a seulement le choix entre des vedettes de télévision vite fabriquées et
vite jetées ou un cercle restreint d’artistes subventionnés ? Dans les deux
cas un très petit nombre d’artistes imposés par l’argent — du show-business ou des subventions.
La petite librairie de Raùl Mora à Ivry sur Seine propose quelque 20 000
titres. Le gratin de la littérature mondiale avec une jolie section nordique
et une section hispanophone obèse, un beau rayon guides de voyage, un
mur de poésie et un mur de polars, L’École des loisirs et Rue du monde
pour les enfants et tout Bourdieu dans un wagon de sciences humaines à
côté d’une montagne de livres d’art. Comme les rayons frisent toujours
l’apoplexie il y a au sol des piles instables d’un bon mètre de hauteur.
Avec 20 000 titres on a le choix. Et si nous sommes à la recherche d’un
mouton emplumé à cinq pattes, Raùl, juste avec son téléphone et son
scooter, nous fournit en huit jours le titre le plus oublié de l’éditeur le
plus confidentiel. Tandis que les grands théâtres subventionnés nous
offrent, au mieux, quarante ou cinquante titres. Où ne figurent pas les
milliers d’auteurs comme Raymond Roussel. 80 ou 90 % des citoyens
passent leur chemin puisqu’il « n’y a jamais rien au théâtre ». Bien sûr un
livre n’est pas la même chose qu’un spectacle. Mais on peut employer la
métaphore.
Le maître-mot pour justifier tous les choix est celui de la « qualité ». Les
« professionnels » s’arrogent le pouvoir de décision, le pouvoir de contrô-
12
Soleil cherche futur
1 — Lire le coup de sang
ravageur de Paul Gauguin,
Qui trompe-t-on ici ?, in
revue Le Moderniste, 1889,
réédition l’Échoppe, collection Envois, 1996, la Lettre
sur les concours, d’Eugène
Delacroix, in revue L’Artiste,
1831, réédition l’Échoppe,
collection Envois, 1985, ou
bien l’Histoire de l’art
d’Ernst Gombrich, Éditions
Gallimard, 1997.
le, le pouvoir d’évaluation. Au risque d’être regardés comme une caste de
brahmanes par les citoyens. L’histoire de l’art nous enseigne pourtant que
les jugements de valeur les mieux établis sont remis en cause avec une
belle constance par les nouvelles générations de « spécialistes ». Voire déjà
par leurs propres pairs. 1 Que cela devrait inciter à une certaine modestie. Mais pourtant les citoyens, dès lors qu’on les désigne sous le terme de
« public », ne sont pas « compétents ».
Le monde de l’art ne fait que refléter la société contemporaine où des
« experts » décident bien souvent pour les citoyens au motif que la prise
d’une décision relèverait non de la démocratie mais d’une gestion « scientifique » ou « technique » qui serait neutre.
L’adolescent voue aux gémonies le professeur qui lui impose la lecture de
telle ou telle « œuvre qu’il faut lire ». L’adolescent est en rébellion et le
professeur est maladroit. Quand on est un grand garçon on ne se laisse
plus dicter ses lectures. Mais on n’a guère que l’abstention pour le peu de
spectacles que l’on nous propose. Le libre examen revendiqué par les
huguenots depuis quelques siècles reste encore une citadelle à conquérir
dans le domaine artistique. Les citoyens ne sont pas majeurs.
Et pourtant, lire Raymond Roussel, ce n’est pas déshonorant…
13
Soleil cherche futur
IN T R O D U C T I O N
Dans le microcosme culturel, si les totems sont sacrés, les tabous sont très forts.
Des disciplines artistiques et des esthétiques restent, ou bien proscrites, ou bien
reléguées à un rang subalterne. Les pages qui suivent s’intéressent au domaine de la chanson. Selon Stéphane Beaud 1 les ouvriers suscitent bien souvent ou
1 — Stéphane Beaud &
Michel Pialoux, Retour sur
la condition ouvrière, Éditions Fayard, 1999.
le mépris ou la pitié. La chanson génère souvent les mêmes réactions de la part
des institutions culturelles. On va s’occuper des « musiques rudimentaires » ou
bien des « musiquettes et autres infra-musiques ». « Le niveau de bassesse de
ces déjections culturelles atteint souvent des profondeurs abyssales. » « Il y a en
2 — Gérard Zwang, Le dia pason, Éditions Sauramps,
1998, pages 164 et 165.
France 265 rues Jacques Brel (encore ne s’agit-il pas d’un des ‘’plus pires’’) » 2.
On va malgré tout s’intéresser au sort des déjections culturelles.
La chanson étant un domaine trop vaste on se cantonnera à l’étude économique des petites salles parisiennes de concert — moins de deux cents places
— dans la période comprise entre 1995 et le printemps 2002. C’est une lunette
étroite qui donne une assez bonne vue des conditions difficiles dans lesquelles
survit cet art. Et puis la remarque de Joseph Canteloube semble judicieuse.
« Nous ne saurions partager l’opinion de certains, notamment de ceux qui, au
lieu d’étudier la chanson vivante, c’est-à-dire dans son milieu, se sont bornés à
la connaître, uniquement ensevelie dans la cire des phonogrammes ou les
recueils des bibliothèques. Oserait-on parler de parfum d’après les fleurs desséchées d’un herbier ? » 3
3 — Joseph Canteloube,
Anthologie des chants
populaires français, tomeI,
Durand et Cie, 1951,
page 8.
Joseph Canteloube poursuit avec une phrase qui nous convient à merveille.
« Nous ne saurions croire que le peuple ne crée point de chansons, sous prétexte qu’il n’a pas la culture suffisante. » À rapprocher de ce que disait Alain
Souchon : « Les chanteurs ne sont pas des philosophes, ni des sociologues. On
est des gens de la rue. Mais les gens de la rue pensent aussi. Ils sentent aussi.
4 — Alain Souchon, in
Trente chansons qui ont
changé la France, Mathias
Goudeau et Patrice Tourne,
Ed JCLattès, page 277.
Ils ressentent et ils pensent, même s’ils n’ont pas la culture pour. » 4
Après notre petite promenade dans les bistrots puis dans les petits théâtres, on
terminera sur quelques perspectives formulées dans le projet culturel qui clôt
ces pages.
14
Soleil cherche futur
D ANS
LES BISTROTS
D’origine confuse, le mot bistrot, selon certains, date de l’arrivée des Cosaques à Paris lors de l’invasion de 1814. Les
hommes de troupe, qui n’avaient pas le droit de fréquenter
les estaminets, déjouant toute surveillance, s’y précipitaient
à chaque occasion en criant bistro ! (Vite !) […] Nous pensons que le terme litigieux est vraiment français et qu’il provient, après une suite de déformations, de mastroquet […]
En louchébem (ce langage particulier aux bouchers) mistroquet devient listroquem. Reprenant le mot au vol, l’argot à
son tour le malaxe et le refond pour en faire bistroquet, bistroque, troquet, et finalement le raccourci bistrot, avec un t,
car il ne faut pas oublier que l’on dit en parlant de son
tenancier ou de sa tenancière qu’il est un bistrotier ou une
1 — Robert Giraud, L’Argot
du bistrot, Éditions Marval,
1989, page 23.
bistrotière […]
1
Les bistrots programment des chanteurs ou musiciens qui sont en tout début
de carrière ou qui tardent à prendre leur envol. Mysiane Alès s’intéresse aux
artistes lorsqu’ils ont déjà franchi l’étape de cette première expérience.
« Quand les gens sont à un stade où ils se sont fait les dents, où ils se sont fait
le cuir, où ils se sont trempé le caractère, où ils ont fait leur propre expérience,
dans tous ces endroits-là. Indispensables. Tous ces endroits valent toutes les
écoles et tous les cours du monde. Pour expérimenter dans ces petits lieux il va
falloir qu’ils déploient une énergie énorme : pour se faire accepter dans ces
petits lieux, pour qu’il y ait du monde, pour conquérir le peu de gens qui seront
venus. Et c’est ça qui est formateur. C’est comme ça qu’on fait un artiste de
2 — Mysianne Alès, pr oducteur, Le rideau bouge,
entretien du 28mars 2002.
3 — Geneviève Girard,
Azimuth, entretien du
22avril 2002.
chanson qui est un art individuel. » 2
Nombre d’interlocuteurs tiennent ce même discours : « C’est une très bonne
école, l’étape avant la professionnalisation. » 3
« Les petits lieux d’initiative privée sont indispensables. Ils renaissent de leurs
cendres. Après les cabarets de la rive gauche sont arrivés les cafés théâtres. Cela
a été un raz de marée qui a tout balayé. De ces cafés-théâtres sont nés des gens
qui sont maintenant dans les grands théâtres. Les cafés-théâtres sont un peu en
train de battre de l’aile et les cabarets de chansons repartent. Ils sont indispensables. C’est là qu’on se confronte au public. Combien y a-t-il de théâtres
pour faire chanter les gens ? Très peu. Et combien y a-t-il de chanteurs ? Énormément. Une chanson c’est fait pour être écouté en direct par quelqu’un. On
ne peut pas la mettre directement dans une boîte. La chanson est un art trop
immédiat pour qu’on la mette comme cela dans un moule. Le jour où il n’y a
15
Soleil cherche futur
1 — Marie-Pierre de Porta,
le Loup du faubourg, excabaret, toujours éditeur
et producteur
phonographique, entretien
du 7 février 2002.
2 — Au XIX e nombre de
cafetiers ornaient leur
établissement de cette
inscription.
plus de petits lieux, c’en est fini de la chanson. » 1
Nous ferons la distinction entre quatre catégories de postes de secours contre
la soif 2 en fonction de l’attitude à l’égard des artistes qui s’y produisent bien
qu’une telle classification soit un peu trop réductrice et trop cloisonnée pour
être incontestable. Nous avons le limonadier exploiteur d’artistes, l’amateur de
musique dans l’illégalité pour des raisons économiques, l’amateur de musique
partiellement dans la légalité et enfin le légaliste rigoureux. Le travail d’enquête a été mené dans le seul domaine de la chanson. Néanmoins les mêmes
schémas sont globalement applicables, à quelques détails près, aux cafés programmant conte, jazz tous styles confondus du classique à l’électro, musiques
traditionnelles ou musiques populaires contemporaines de toutes esthétiques.
16
Soleil cherche futur
LE
L I M O N A D I E R E X P L O I T E U R D ’A RT I S T E S
On ne s’attardera pas trop longuement sur les négriers sans vergogne. La taille,
qui conditionne les moyens financiers, n’entre pas en considération pour faire
ce classement. Le tout petit bistrot avec un patron âpre au gain concourt dans
cette catégorie. On en connaît un qui faisait payer la bière cinquante francs,
maintenant huit euros — c’est normal, il propose des concerts, ce n’est pas un
café ordinaire — et les musiciens, qui ne sont pas payés, font tourner le chapeau à la fin. Mais on voit aussi de très grandes salles logeant de quatre cents
à plus de mille personnes, vendant la bière par hectolitres, qui paient royalement les musiciens — au black of course ! — deux à trois cents francs la soirée.
Au hit-parade du malheur il semble, mais c’est un peu subjectif, que la chanson
soit détrônée par le jazz et les diverses musiques populaires contemporaines
1 — Nous n’entrerons pas
dans les querelles byzan tines pour déterminer ce
qui est «chanson» ou ce
qui est « rock».
Globalement l’usage
semble indiquer que l’on
parlerait plutôt de chanson
quand l’auteur
compositeur est — plus ou
moins — seul et de rock
quand c’est un groupe.
Ainsi Kent ferait
aujourd’hui de la chanson
tandis qu’il faisait du rock
avec le groupe Starshooter.
On trouve aussi bien du
rock à texte intelligent que
de la chanson à texte
affligeant. Et aussi bien du
rock cloné que de la chan son à la musique innovan te.
issues du rock 1 qui verraient les plus exécrables pratiques.
Si les conditions sociales sont déplorables, les conditions artistiques le sont tout
autant. La musique n’est vue ici que comme un produit d’ameublement, un
fonds sonore, une décoration, pour les discussions autour de la consommation
d’un repas ou d’une boisson. Un light & laser ou un video show informatisé
asservi à un lecteur de disques ferait tout aussi bien l‘affaire. Difficile de se faire
écouter quand la musique nage dans un mélange sonore de conversations, de
bruits de vaisselle et de chaises avec un va et vient perpétuel.
« C’est dur pour le moral de faire de la musique quand les gens ne sont pas là
pour t’écouter mais pour manger ou pour rencontrer leurs copains. Quand tu
es là pour faire un support musical à autre chose. Quand tu dois te dire « je suis
un disque. » Dans une salle de spectacle ils s’assoient pour écouter ce que tu as
à leur donner. Quand on est obligé de susciter leur intérêt pour parvenir à capter leur attention on ne fait pas la même chose musicalement que lorsque les
2 — Marianne Sunner,
chanteuse, entretien du
11 avril 2002.
gens sont tout ouïe. Ce sont deux situations très différentes » 2
Jean Favre résume bien ce que l’on pourrait en dire en s’étalant sur des pages.
« S’il y a des artistes dans les bars ce n’est pas seulement parce qu’on veut développer la culture populaire, c’est aussi parce que les soirs où il y a des artistes il
y a trois fois plus de gens pour boire un pot. C’est une façon d’attirer des
consommateurs sans rémunérer les artistes. Avec des arguments comme : cela
te permet d’apprendre ton métier, tu vas te faire connaître, tu pourras vendre
3 — Jean Favre, entretien
du 22 avril 2002.
ton disque (autoproduit) à la fin… » 3
17
Soleil cherche futur
La catégorie des débitants de boissons plus soucieux d’arroser leur portefeuille
que de participer à la croissance de jeunes pousses artistiques est assez bien
répertoriée. Les artistes, pressurés une fois, ne s’y font pas reprendre. D’où la
nécessité de trouver constamment de nouveaux et naïfs débutants ou provinciaux pas encore instruits de l’existence d’un bémol à la clé. D’où souvent aussi
des plateaux de médiocre qualité qui n’incitent pas exagérément le public
averti à venir. Deux grands cafés de ce type étaient à vendre au printemps
2002. Les suceurs de sève ne sévissent pas éternellement. Il y a tout de même
une justice en ce bas-monde…
18
Soleil cherche futur
L’AMATEUR
D E M U S I Q U E D A N S L’ I L L É G A L I T É P O U R R A I S O N S É C O N O M I Q U E S
Vivant de privations et encore pas tous les jours.
(Alphonse Allais)
Marie-Pierre de Porta a le verbe coloré pour parler des tenanciers de bistrot.
« Les tauliers ne sont pas des voleurs à part quelques-uns et on le sait. À Paris,
on connaît ceux qui ne se comportent pas bien, personne n’y va. Mais on sait
que les autres sont respectueux des artistes. Il faut quand même être un peu
maso pour travailler quinze heures par jour pour gagner juste le prix de sa
limonade et être emmerdé par une myriade de choses. Je ne crois pas que ce
soient vraiment de grands voleurs. Ou alors ce sont de grands malades. J’ai
1 — Entretien cité.
beaucoup de respect pour les tauliers. » 1
On remarquera tout d’abord que l’amateur de musique se distingue bien souvent du vulgaire limonadier en cessant le service durant le spectacle. Cette
marque de respect du travail des musiciens trace incontestablement une frontière avec la catégorie précédemment décrite. Il faudrait distinguer deux souscatégories dans le groupe des amateurs de musique qui sont dans l’illégalité
quand ils accueillent des chanteurs ou des musiciens.
— D’un côté le cafetier qui fait son métier de cafetier restaurateur mais est
aussi un amateur désintéressé — oui, cela existe — et ouvre sa salle aux musiciens. On connaît ainsi un charmant couple de restaurateurs, accueillant occasionnellement concerts ou expositions, qui nourrit discrètement des artistes
fauchés, musiciens ou peintres, en « oubliant » de leur présenter la note à la fin
du repas. On a aussi rencontré au festival d’Avignon off un restaurateur qui
offrait gratuitement sa salle pour un spectacle musical sans que l’on puisse
même le soupçonner d’en tirer le moindre bénéfice secondaire : le groupe se
produisait hors des heures d’ouverture du restaurant. Le restaurateur, présent
aux concerts, donnait le coup de main à la caisse et à la régie.
— D’autre part l’amateur de musique qui ouvre un café pour y programmer de
la musique. Pour pouvoir payer son personnel la salle est obligée d’avoir une
activité qui n’a rien à voir avec la mission qu’elle se donne. Si les conditions économiques le permettaient on s’abstiendrait volontiers de songer aux menus et
aux verres. Mais c’est avec les repas et la boisson que l’on espère faire survivre
le lieu et pas avec les artistes. Dans cette démarche le bistrot est un simple instrument au service du but à atteindre : donner une scène à des artistes et donner des artistes à un public à la recherche de telle ou telle forme d’art.
19
Soleil cherche futur
Dans cette deuxième sous-catégorie nous allons nous intéresser au Limonaire.
Parce qu’il est le plus ancien café-chanson en activité. Parce qu’il déploie une
grande activité artistique qui en fait une importante salle pour la chanson à
Paris. Ainsi du 3 au 15 septembre 2002 le festival On n’est pas des vedettes,
1 — Chaque soir un
plateau différent de trois
artistes, inconnus ou
connus comme Isabelle
Aubret, Allain Leprest ou
François Béranger, dans un
programme aveugle: le
public ne sait pas qui passe
quand. Les artistes
s’engagent à ne pas dévoi ler la date de leur passage.
1
une entorse au programme habituel, affiche quarante-sept noms. Et enfin
parce qu’il est soutenu par un groupe de sympathisants bénévoles assez nombreux.
Avec ses différentes formules régulières — soirées avec première partie, plateaux de trois chanteurs, « cabarets soupes » avec dix à douze invités autour
d’un artiste organisateur, etc. — le Limonaire, ouvert six jours sur sept et douze
mois par an, programme chaque mois plusieurs dizaines d’artistes dont beaucoup reviennent généralement tous les trois à quatre mois. C’est l’archétype de
la salle de découverte. Beaucoup de débutants s’y produisent en compagnie de
plus anciens qui sont un peu dans l’ombre — nous parlerons à leur sujet de
milieu de tableau ou de notoriété intermédiaire — et de quelques reconnus qui
viennent ici dans le cadre de relations amicales. Outre la chanson, le Limonaire
s’ouvre notamment à la poésie, au slam et à de petites formes théâtrales. Il y a
aussi chaque mois un bal et une séance de cinéma muet accompagné en public
par des musiciens.
Le Limonaire reçoit de nombreuses candidatures. Les impétrants envoient une
cassette ou un disque compact. Un collectif d’écoute se réunit chaque mois
pour sélectionner ceux qui feront l’objet d’une programmation. Malgré le volume de programmation important le délai d’attente pour un candidat accepté
est de plusieurs mois. Notons enfin que des candidats refusés nous ont appris
qu’il est d’usage de recevoir une lettre du Limonaire notifiant la décision prise.
Le fait est suffisamment rare pour être mentionné et salué.
« Passer au Limonaire permet aux artistes d’apprendre à faire un spectacle, de
monter un spectacle, de se former et aussi de se faire un public. De rencontrer
d’autres personnes du même milieu. Les répétitions sont possibles pendant la
journée puisqu’il ne s’y passe rien. Autant que les locaux servent. Ils sont mis à
2 — Noëlle Tartier, permanente du Limonaire, entretien du 5 avril 2002.
disposition gratuitement. » 2
Le Limonaire a été créé en 1985 rue de Charenton (13e). Il y a eu un élan de solidarité des chanteurs après la mort de Daniel Tartier (1994) qui en était devenu
le patron pour que le bistrot continue à vivre. L’expropriation dans le cadre
d’une opération d’urbanisme a procuré le financement pour une réouverture
en décembre 1995 cité Bergère (10e). Le « bar à vins et à chansons » avec ses
bretelles, sa casquette et son accordéon, détonne dans cet ancien passage privé
qui compte nombre d’hôtels trois ou quatre étoiles. Le pas de porte a été ache-
20
Soleil cherche futur
té 500 000 F. Le loyer mensuel, qui était de 3 000 F en 1996, est maintenant
d’un peu plus de 6 000 F. Noëlle Tartier considère que c’est encore un prix bas
en regard des tarifs pratiqués aujourd’hui à Paris. Les deux étages de bureaux
au-dessus du café sont compris dans le loyer. Ce fut d’ailleurs une raison importante du choix de ce local qui limite les problèmes liés au bruit. Néanmoins les
luxueux hôtels voisins verraient d’un bon œil la disparition du pourtant bien
discret Limonaire. Il faudrait une recette quotidienne de 5 500 F en bar et restauration pour équilibrer les comptes en payant tous ceux qui sont affectés au
service mais les recettes sont souvent bien inférieures.
Le Limonaire compte deux salariés à temps complet et trois salariés à temps
partiel. Une centaine d’adhérents cotisent à l’association. Une vingtaine de
bénévoles réguliers tournent sur deux mois pour le service du bar et de la restauration. On ne comptabilise pas non plus le temps des bénévoles qui s’occupent de la programmation, de la communication, du comité d’écoute qui a lieu
une fois par mois et d’un peu de déplacements pour voir des chanteurs ici ou
là.
La salle peut accueillir une cinquantaine de personnes. Cette petite taille permet de passer des gens inconnus. Ceux qui sont un peu plus connus vont remplir et permettre un équilibre financier qui reste tout relatif.
« Financièrement le Limonaire est sur le fil du rasoir. Avec tout ce qu’on devrait
payer on ne peut pas se mettre dans la légalité. Il n’y a que deux ans qu’on est
moins sur la corde raide parce qu’on a créé une association à côté du café qui
prend en charge certaines dépenses dont la publicité. Les rentrées d’argent de
l’association proviennent des cotisations des adhérents et des artistes qui rever1 — Noëlle Tartier, idem.
sent 10 % de leur chapeau. » 1
« On ne paye pas de droits SACEM. Rue de Charenton on payait un forfait mensuel de 800 F. Ici on nous demande un forfait mensuel de 5 000 F. C’est l’une des
raisons qui nous « interdisent » la billetterie. Les artistes font passer le chapeau
à l’issue du concert. Le chapeau minimum est de 1 200 F et peut aller jusqu’à
3 500 F. (On recommande de laisser huit à dix euros par personne.) Avec une
billetterie, nous avons une moyenne de trente-cinq spectateurs, nous ne pourrions pas payer trois cachets chaque soir. » 2 Et à ces cachets et charges sociales
2 — Noëlle Tartier, ibidem.
afférentes, il faudrait de plus ajouter les droits d’auteurs, la taxe parafiscale sur
les spectacles et la TVA. Nous pouvons dire que nous sommes ici dans une
forme de travail au noir plus ou moins toléré.
Le chapeau est cette ancienne pratique, vestige d’une époque où les saltimbanques morts n’étaient pas enterrés en terre chrétienne, où le spectateur ne
21
Soleil cherche futur
paie pas un droit d’entrée fixé mais verse une obole qui reste à son appréciation à l’issue du spectacle. Une pratique qui ne fait pas l’unanimité. Jean Ferrat,
qui s’inquiète du sort fait à la chanson, regrette que « [les héritiers des Coûté,
Bruant, Rictus] chantent dans ces petits lieux aléatoires en subsistant comme au
1 — Qui veut tuer la chan son française ? tribune
publiée dans le Monde,
7 janvier 2002.
XIXe siècle : en faisant la quête ! » 1 « Ne jamais réduire un artiste à passer au
chapeau. Le chapeau induit cette notion, maintient cette coutume, que les saltimbanques sont des mendiants. J’ai une préférence pour un minimum garanti, même faible. Il faut dire aux gens : vous allez entendre de la chanson. Alors
vous payez un prix X, même bas, même si c’est un minimum, en plus de vos
consommations. Parce qu’il faut faire admettre qu’il y a un prix à la chanson,
un prix pour voir et écouter les artistes de chanson. Il y avait un petit ticket
d’entrée au Loup du Faubourg et les gens ne rechignaient pas pour autant à
venir. Je voudrais qu’on mette un peu de morale dans les cafés. J’entends que
2 — Christine Hudin,
Édito-Hudin, producteur de
spectacles, éditeur et
producteur de disques,
entretien du 9 avril 2002.
3 — Marianne Sunner,
chanteuse,
entretien du 11 avril 2002.
tout travail mérite salaire. »
2
« Le système du chapeau c’est la mendicité. Je
préfère qu’on m’offre un repas et une boisson avec partage de la recette. Je
trouve cela plus honorable. »
3
Mais plus tard, dans le même entretien,
Marianne Sunner fera aussi part de la « nécessité de se frotter au public pour
intéresser des petites boîtes de production, de la nécessité de passer sur une
scène même si c’est au chapeau. »
Car l’une des clés de cette discussion toujours recommencée est que nous
sommes ici dans une impasse économique. Dont beaucoup sont tout à fait
conscients. Ainsi Jean Ferrat, qui regrette que les chanteurs en soient réduits à
la pratique du chapeau, parraine néanmoins le festival On n’est pas des
vedettes organisé par le Limonaire. « Les petits lieux ne sont économiquement
pas viables. On leur reproche de faire des chapeaux mais je respecte ceux qui
font des chapeaux parce que cela permet aux gens de vivre. Ces gens ne peuvent pas en même temps payer un loyer, payer les charges d’établissement et
4 — Marie-Pierre de Porta,
entretien cité.
5 — Président du Pavillon,
une association organisatrice de concerts que nous
verrons un peu plus loin,
entretien du 27 mars 2002.
payer les artistes, c’est impossible. » 4 Christian Landrain 5 parle de « non-choix
du noir à cause de la taille des lieux et de l’impossibilité économique. » Boris
Bourdet, qui est pourtant un légaliste sourcilleux et un homme soucieux de sortir les chanteurs de l’impasse sociale — nous verrons plus loin que le café
Ailleurs, qu’il dirigeait, payait des cachets déclarés et était aidé notamment par
l’ADAMI — et qui a souvent longuement discuté avec des artistes pour les
convaincre de la nécessité de déclarer leurs activités, fait la part des choses et
prend lui aussi la défense de ceux qui sont dans l’illégalité. « Le discours officiel nous dit : si vous n’avez pas le choix [les cafés où circule le chapeau disent
faire cela par contrainte économique] cela veut dire que ce sont des lieux qui
ne sont pas viables. Ils sont donc voués à la disparition, il faut donc trouver
autre chose. Mais Ailleurs, si on enlevait les aides, disparaissait. Alors que le
6 — Boris Bourdet,
créateur de feu le café
Ailleurs, entretien du
10 avril 2002.
Limonaire, sans subvention, est toujours là. C’est le plus ancien lieu de chanson,
et pour un truc pas viable, ce n’est pas si mal… » 6
22
Soleil cherche futur
« Je me trouve bien dans l’illégalité. Même si c’est usant. Mais je ne crois plus
à la démarche de la demande de quoi que ce soit auprès d’une instance officielle. L’illégalité ne nous empêche pas de fonctionner et de faire des choses
1 — Noëlle Tartier,
entretien cité.
alors… »
1
Tout en tenant ce discours résigné Noëlle Tartier propose malgré
tout un certain nombre de pistes « pour que les chanteurs puissent bénéficier
du régime des intermittents du spectacle, pour qu’ils puissent vivre de leur
métier, pour que les lieux puissent vivre. »
Un soir de fête de la musique Catherine Trautmann a inauguré son nouveau
portefeuille de ministre de la culture avec une visite officielle au Limonaire
— à la demande de son cabinet une table lui avait été réservée — où se produisaient Allain Leprest et ses invités. L’histoire ne raconte pas si madame la
ministre a mis sa contribution dans le chapeau à la fin de la soirée.
C’est de notoriété publique. Dans nombre de cafés comme le Limonaire les
musiciens passent le chapeau à l’issue du concert. Rappelons que le chapeau est
au regard de la loi une forme de travail au noir. Rappelons aussi que les droits
d’auteurs ne sont pas versés. La puissance publique, comme la SACEM, se montrent fort rarement enclines au laxisme débridé que l’on constate ici. On peut
s’interroger sur les raisons de cette tolérance ou de cette hypocrisie manifeste.
Peut-on risquer l’assertion que cette tolérance du chapeau arrange bien les différents acteurs du monde culturel ? Cette zone de dérégulation est aussi une
zone de liberté d’expression pour des esthétiques qui ont le double défaut
d’être jugées non rentables par les industries culturelles et de ne pas entrer non
plus dans les critères de sélection des institutions culturelles. Elle permet à des
artistes de faire leur apprentissage. C’est une école gratuite pour la collectivité
qui ne finance pas le coût de la formation. C’est aussi une scène gratuite pour
la collectivité qui ne finance le coût d’une activité artisanale qui ne peut être
rentabilisée. C’est un vivier nécessaire au renouvellement artistique tant des
industries culturelles que des producteurs privés de spectacles et même des institutions culturelles.
Privés de cette zone de tolérance qui n’occasionne pas de débours à la collectivité — bien qu’elle ait un coût par le non-paiement des charges sociales notamment — des artistes et des militants d’associations bénévoles pourraient
remettre en cause le modus vivendi. L’espoir des artistes de se sortir individuellement d’une impasse peut acheter le silence et la passivité. Tolérer le chapeau
élimine peut-être la discussion, les questions embarrassantes, la contestation
de l’ordre des choses.
23
Soleil cherche futur
L’ AMATEUR
D E M U S I Q U E PA RT I E L L E M E N T D A N S L A L É G A L I T É
L’influence des cabarets est funeste, s’indignaient les gens
sensés. Ces lieux rendent l’épargne impossible. Ils détruisent
les ménages; ils rongent l’intelligence. L’étudiant y perd ses
forces et ses facultés, l’ouvrier le goût du travail, les enfants
le respect de leur père.
Eugène Sue, Les Mystères de Paris, cité par Louis Nucéra in
Les contes du Lapin Agile .
Le Loup du Faubourg, aujourd’hui fermé, est un bon exemple des bistrots qui
fonctionnent dans la légalité. Une légalité qui reste, on le verra, sujette à
quelques observations. Et un fonctionnement qui ne conduit pas moins à une
impasse.
« On voulait faire un cabaret, non seulement héritier de la rive gauche, mais
aussi des cabarets de 1830 ou 1848 où l’art n’était pas coupé de la réalité, où
l’art était vraiment en prise avec la réalité. Delacroix a peint de choses magnifiques en fréquentant des cabarets. On a envie de voir les gens réagir, d’être à
côté du monde, de ne pas être coupé, d’être avec, d’être en religion dans le
sens de ce qui relie, de ce qui lie les gens. J’aimais bien les endroits où l’on pouvait à la fois manger, boire et voir. C’est pour cela qu’on y a fait de la poésie,
du polar et de la chanson. Des choses immédiates qui nous paraissaient importantes. On a fait un spectacle sur Arthur Rimbaud. Quelqu’un a dit : Rimbaud
dans l’odeur des frites, c’est affreux. Le jour où cette bonne femme m’a dit cela,
je savais que j’avais gagné. Parce que c’est bien, c’est ce que je voulais, ne pas
couper l’art de la vie. Sinon on fait de la « culture » dans des « maisons ». C’est
trop consensuel. Les gens ont envie de se parler. On le voit dans les petits lieux,
comme chez nous, ils se parlaient tout le temps. Il y en a même qui se sont
mariés ! C’est bien que les gens se parlent, la fonction de l’art c’est ça aussi,
1 — Marie-Pierre de Porta,
co-responsable du Loup
du faubourg, entretien du
7 février 2002. Sauf
indication contraire toutes
les citations de ce chapitr e
proviennent de cet
entretien.
c’est une communication immédiate. »
1
« Notre ligne artistique est simple : on a toujours fait ce qu’on aimait, on n’a
jamais fait ce qu’il fallait faire. On aimait la chanson française alors on en a fait.
La chanson — la chanson qui veut dire quelque chose — comme la poésie ou
la littérature, est un témoin immédiat de la vie. J’aimais la littérature policière
alors j’en ai fait lire. J’aimais la poésie alors j’en ai fait lire. » Marie-Pierre de
Porta parle de « raffinement dans le complot artistique. »
24
Soleil cherche futur
Le dilemme de la gestion du Loup du faubourg est vite résumé. « Les recettes
venaient du prix d’entrée mais aussi de la vente de limonade parce c’est aussi
ça qui fait vivre. Avec cinquante-cinq personnes dans la salle on faisait assez
d’entrées pour bien payer les artistes mais on ne pouvait pas servir de limonade parce qu’il y avait trop de monde dans la salle. Mais avec trente personnes
on n’avait pas assez d’entrées et par conséquent on ne servait pas assez de
limonade. C’est très difficile à gérer. »
« Le cabaret, ouvert en 1996, a bien marché très vite. Nous avons eu plus de
trente mille spectateurs pour une salle d’une cinquantaine de places et un peu
plus de quatre années d’activité. On a arrêté pour une question de fatigue.
C’était beaucoup de travail même si on y prenait un plaisir fou. »
« On tombe dans des aberrations totales. Tout le monde sait ce qui est mal mais
personne ne sait ce qui est bien. On cherche tous. Mais en attendant il faut
bien que les chanteurs chantent. Et que le public puisse les écouter. Donc il y a
des petits lieux. Qui ont des procès parce qu’ils ne payent pas ceci ou parce
qu’ils ne font pas cela… Nous y avons échappé, parce que nous avons tout fait
dans les règles, parce que nous étions un peu peureux mais j’admire les résistants comme le Limonaire. »
Feu le Loup du Faubourg émettait une billetterie, pratiquait le partage de la
recette avec la structure juridique de l’artiste accueilli et acquittait les droits
d’auteur à la SACEM, tant sur la billetterie que sur les boissons. Tout est légal.
Ou presque. En effet le partage de la recette ne permet pas toujours de couvrir le montant des cachets au barème minimum conventionnel. Surtout si le
nombre de musiciens est important et la recette modeste. Et l’on doit garder à
l’esprit que lorsque le producteur d’un spectacle — compagnie ou autre structure juridique — ne peut acquitter les salaires et charges sociales, le droit du
travail permet de se retourner vers l’organisateur du spectacle pour suppléer à
cette carence. Nous verrons plus loin dans ces pages que « l’oubli » de ce léger
détail, qui engage pourtant les organisateurs, n’est pas chose si rare.
Toujours au chapitre des impasses nous devons insister sur la masse du travail
abattu par deux personnes qui ont mené une vie de bénédictin pendant plus
de quatre années. Bien que l’affaire soit financièrement saine Marie-Pierre de
Porta et Catherine Atlani ont jeté l’éponge. Elles travaillaient à deux — ce qui
explique l’équilibre de leur comptabilité — quand leur part de travail au cabaret aurait peut-être nécessité cinq personnes à temps plein.
25
Soleil cherche futur
Marie-Pierre de Porta ne garde pourtant aucune amertume de l’épisode cabaret. Si Le Loup du faubourg a délaissé le cabaret les activités de production de
disques et d’édition perdurent. Elles avaient été lancées très rapidement après
l’ouverture du cabaret. Marie-Pierre de Porta fait un certain nombre de suggestions pour améliorer la vie des petites scènes. Mais, comme chez presque
tous mes interlocuteurs, ses propositions restent bien modestes et bien timides.
Très en deçà de ce que demanderaient les tenants d’autres disciplines mieux
loties. C’est pourtant elle qui regrette : « Comme si, dans la chanson, on était
toujours périphérique à autre chose. »
26
Soleil cherche futur
« LE S
FOUS DE CHANSON
»
Depuis quelques années des associations de bénévoles de plus en plus nombreuses fleurissent dans le domaine de la chanson. Certaines de ces associations
qui organisent des concerts sont finalement assez proches par certains traits
des bistrots d’amateurs de chanson des pages précédentes. On les a classées,
assez arbitrairement, à côté des bistrots parce que certaines trouvent l’hospitalité dans des cafés ou de restaurants, parce qu’elles ne sont pas ou très maigrement subventionnées, parce qu’elles agissent parfois dans une légalité relative qui appelle quelques remarques, parce que nombre de celles qui travaillent aujourd’hui dans une légalité parfaite ont débuté dans l’illégalité complète.
Créé en 1994, le Pavillon — la partie de l’oreille externe — est une association
de « fous de chanson » comme ils aiment eux-mêmes à se définir. Le Pavillon
organise chaque mois des concerts dans les restaurants le Picardie — « la tanière de la bande à Leprest » selon Je chante ! — à Ivry sur Seine et les Jonquilles
1 — La matière de ce
chapitre provient de la
fréquentation des soirées
du Picardie, de Chante !,
bulletin bimestriel du
Pavillon et d’un entretien
avec Christian Landrain,
président du Pavillon, le
27 mars 2002.
à Champigny sur Marne. Les soirées comprennent un repas suivi d’un récital en
deux parties. 1 Le Pavillon fonctionne essentiellement comme un cercle d’amis
où les repas sont l’occasion de se retrouver. Si l’association fait un peu de publicité, (des tracts, un bulletin A4 recto verso bimestriel de belle tenue tant pour
la forme que pour le fond et quelques affiches), c’est une forme de cooptation,
le fruit des relations personnelles ou le bouche à oreille qui est une part
notable du recrutement des spectateurs. L’association compte plus d’adhérents
que les restaurants ne peuvent accueillir de convives. Le succès des associations
comme le Pavillon vient en partie de l’aspect chaleureux apporté par ces
grandes tablées où l’on se parle même si l’on ne se connaissait pas avant de
franchir la porte.
Le Pavillon émet une billetterie en bonne et due forme et acquitte les droits
d’auteurs à la SACEM. Les droits versés à la SACEM sont calculés sur la billetterie mais aussi sur les repas. Notons au passage une curiosité. Le Pavillon acquitte les droits d’auteur sur le prix des repas alors qu’il ne perçoit pas le moindre
centime sur ces repas. L’association à but non lucratif devrait en toute logique
ponctionner une marge — lucrative ?… — sur les repas pour couvrir au moins
les droits SACEM. Ou faire payer ces droits d’auteurs à des restaurateurs amis
qui proposent les soirs de spectacle un repas à neuf euros cinquante. Repas
dont l’observateur le plus myope remarquera qu’ils sont généralement propo-
27
Soleil cherche futur
sés par leurs concur rents à un prix variant entre quinze et vingt euros.
On peut faire une deuxième observation. Les repas ne sont pas une opération
commerciale destinée à dégager un profit mais sont très clairement un moyen
utilisé pour attirer et fidéliser un public. Les formes traditionnelles de publicité — tracts ou affiches — ou les formes usuelles d’action culturelles — rencontre d’un artiste — ne donnent pas lieu à rémunération des auteurs (« droits
SACEM »). Il y aurait là matière à un débat sans doute agité : les repas organisés par le Pavillon, une méthode d’action culturelle qui montre son efficacité,
doivent-ils faire l’objet d’une rémunération des auteurs comme s’il s’agissait
d’une activité commerciale utilisant la musique à des fins lucratives ?
Le Pavillon achète les spectacles avec un contrat de cession aux structures juridiques des artistes. Le prix de cession de la première partie est de 600 F. Le prix
de cession de la seconde partie est de 2 500 F pour les artistes vivant en région
parisienne et de 3 000 F pour les artistes venant d’ailleurs. Il n’y a pas de
défraiement en sus pour le transport ou l’hébergement mais les artistes prennent leur repas au restaurant et sont élogieux sur l’accueil reçu.
On remarquera tout d’abord que le prix de cession de la première partie ne
permettrait pas de couvrir le cachet d’un seul salarié. Alors que l’on devrait toujours assurer un salaire aux artistes dès lors que le public acquitte un prix d’entrée. On doit tout de même préciser, bien que cela ne lève pas les obstacles juridiques, que les invités de cette première partie sont toujours des débutants
dont on peut supposer qu’ils n’ont pas encore de statut professionnel.
Conscients de la modestie de la rétribution donnée, les gens du Pavillon n’en
n’accordent pas moins une grande importance aux premières parties qui permettent à des artistes de faire leurs premières armes.
On remarquera ensuite que le prix de cession de la deuxième partie permet de
payer deux à trois cachets au tarif conventionnel. Lorsque le plateau est constitué d’un nombre de musiciens plus important nous retrouvons le problème
déjà évoqué à propos du Loup du faubourg.
La petite scène, en légère surélévation, est équipée d’un bon piano droit.
L’installation lumière permet un éclairage correct mais vraiment spartiate en
regard de celui des forêts de projecteurs qui ornent aujourd’hui le ciel des
théâtres. La sonorisation, en revanche, est irréprochable. Un ami technicien du
son assure un travail de grande qualité avec une remarquable finesse de la
balance entre les voix et les instruments. Toutes choses que l’on aimerait
28
Soleil cherche futur
entendre plus souvent dans des salles qui disposent de moyens financiers d’une
tout autre importance mais sont tyrannisées par des sonorisateurs qui confondent qualité de son et nombre de décibels. L’association est propriétaire du
piano comme de la sonorisation et de l’éclairage. Tout a été acquis petit à petit
pour garantir une certaine autonomie.
Au Pavillon tout le monde, y compris les adhérents aussi actifs que le président,
paie l’entrée aux concerts. Le point mort financier d’un spectacle est de quatrevingts entrées quand le restaurant ne peut — raisonnablement — accueillir que
quatre-vingt-dix personnes. Il arrive que l’on dépasse parfois ce nombre. Ce qui
veut dire que, même avec un bénévolat important, on ne peut se permettre de
commettre des erreurs de gestion. Un petit bas de laine accumulé au fil des
années permettrait néanmoins de faire face à un imprévu. Il permet aussi des
opérations ponctuelles gratuites — comme lors de la fête de la musique — et
l’organisation de soirées de soutien à des artistes en difficulté. La municipalité
d’Ivry sur Seine verse une subvention de 10 000 F par an depuis l’année 2001.
Le département verse une aide de 4 000 F pour quatre premières parties,
somme rétrocédée en totalité à quatre « heureux » qui reçoivent un prix de
cession supérieur à celui habituellement pratiqué.
Après le spectacle les artistes vendent leurs disques. Les ventes sont loin d’être
négligeables. Le Pavillon tient également un dépôt-vente, toujours sans
prendre de marge bénéficiaire, des disques des artistes qui ont donné un
concert dans le passé.
Si, au départ, c’était le Pavillon qui sollicitait les chanteurs, maintenant ce sont
les chanteurs qui demandent à être programmés par le Pavillon. Chaque mois
un comité d’écoute examine la quinzaine d’offres reçues. Mais la liste d’attente est maintenant si longue qu’il s’écoule deux années entre une décision de
principe et le passage sur la scène. Ici on répond à tout le monde. Quitte à
aiguiller les groupes de chanson à couleur rock, qui ne peuvent être accueillis
en raison de l’exiguïté de la scène et de l’absence d’insonorisation, vers des
salles mieux adaptées.
L’association ajoute à l’organisation de spectacles : un atelier d’écriture, un atelier guitare et une goguette chaque semaine, une chorale (Le grand chœur du
Picardie) et diverses autres activités liées à la chanson.
29
Soleil cherche futur
L ES
A S S O C I AT I O N S D E B É N É V O L E S
En raison de son ancienneté, de sa capacité à équilibrer durablement ses
finances, de sa capacité à maintenir depuis longtemps une activité bénévole,
1 — Lors de notre entr etien Christian Landrain s’est
livré à une rapide « leçon »
de marketing culturel à
l’usage des associations
tout à fait remarquable.
de son savoir-faire pour remplir une salle,
1
le Pavillon est aujourd’hui fré-
quemment sollicité pour jouer un rôle d’expertise — bénévole — auprès d’associations, débutantes ou en proie à quelque difficulté, dispersées un peu partout en France. Certaines, telles Di dou da à Arras ou le Pavillon de Chalons,
sont même directement issues du Pavillon d’Ivry.
C’est une caractéristique remarquable du monde de la chanson. Après une
longue période de repli les associations renaissent depuis quelques années.
2 — cf. Chorus, Je chante !
et les nombreuses petites
publications plus ou moins
régulières de ces
associations.
3 — Christian Landrain,
entretien cité.
Elles se présentent clairement 2 comme des initiatives de citoyens insatisfaits de
l’insuffisance ou de l’absence d’offre de chanson. « Il y a une frustration du
public qui n’a plus la possibilité d’écouter de la chanson et ne trouve pas son
compte dans ce qui est programmé [par les institutions]. » 3
On entend souvent un discours appelant de ses vœux un public actif, dynamique, autonome. Un public qui n’adopte pas un comportement de consommateur avalant tout ce qu’on lui propose. Un public qui pense, réfléchit, analyse, qui a un jugement critique sans complaisance. La démarche de ces associations devrait satisfaire les plus exigeants des acteurs culturels. À ceci près
que l’on souhaite voir ce jugement critique éclairé s’appliquer à la télévision
mais peut-être pas à la programmation de l’établissement que l’on dirige…
Nous avons là des citoyens qui prennent eux-mêmes en charge le développement culturel, qui deviennent les propres acteurs de leur culture. En d’autres
temps on aurait parlé d’autogestion. Ces nombreuses initiatives de bénévoles
mériteraient une étude de fond.
Hormis en région parisienne, un peu à la traîne de ce mouvement selon
Christine Hudin, bien que le Pavillon soit un exemple « historique » et que l’on
y trouve quelques autres associations très dynamiques, ce tissu de nouvelles
associations est très important. Elles représentent même pour certains artistes
une part non négligeable de l’activité. Pour nombre de « petits chanteurs »
c’est un chemin presque unique pour être vus du public. Et, même pour des
chanteurs à la notoriété plus établie, les associations constituent un vivier qui
4 — Producteur régulier de
cinq chanteurs dont
Serge Utgé-Royo et
Marie-José Vilar.
n’est pas négligeable. Ainsi Christine Hudin 4 les place-t-elle en premier dans la
typologie de sa clientèle, devant le circuit des MJC, Maisons pour tous ou
centres culturels de quartier, et très loin devant les théâtres ayant pignon sur
rue. Et de saluer l’une de ces associations, Chant’Essonne, pour la qualité de
30
Soleil cherche futur
son activité : « des bénévoles qui travaillent comme des professionnels. »
Beaucoup de ces associations, même lorsqu’elles font le choix de travailler dans
une légalité irréprochable et de demander des aides auprès des collectivités
publiques et des sociétés civiles, restent dans une très grande précarité.
Chant’Essonne, qui fonctionne d’une façon assez proche de celle du Pavillon et
reçoit des subventions, paie des cachets déclarés à tous les musiciens. La nonreconduction de la petite subvention de la DRAC en 2000 a bien failli sonner le
glas de Chant’Essonne. « Les chanteurs ont chanté gratuitement pour soutenir
l’association. Alors que Chant’Essonne demande des subventions pour pouvoir
payer des cachets déclarés aux artistes ! » Christian Landrain se fait là le portevoix de nombre de militants de ces associations, un peu méfiants à l’égard d’un
système de subventions qu’ils ne maîtrisent pas toujours très bien, désemparés
par un ensemble de codes et une phraséologie de l’institution culturelle qui
leur semblent souvent byzantins, échaudés par des réductions drastiques ou
des suppressions d’aides — dont les motifs sont restés obscurs aux yeux de ces
militants associatifs — qui ont coûté la vie à nombre d’initiatives qui auraient
mérité de perdurer.
31
Soleil cherche futur
A ILLEURS, «
LE CAFÉ DÉBRANCHÉ
»
Où ai-je lu que Dante était un petit rondouillard, que
Shakespeare n’a jamais existé, que Mozart pétait et rotait
sans retenue, que Cythère est une île pelée, que le Rubicon
n’a qu’un filet d’eau, que Troie était une bourgade sans
importance ? Eh bien, tant pis! Le Lapin Agile n’est qu’une
petite baraque, une boîte à musique et à mélancolie comme
à l’écart du monde, mais sur quel piédestal ses amoureux le
placent! C’est le pouvoir des mythes. Louis Nucéra
1 — Les contes du lapin
Agile, Cherche-Midi
Éditeur, 2001, page210.
1
Le lecteur attentif se souvient qu’on a classé les cafés diffusant de la musique
en quatre groupes. Et que le quatrième groupe est constitué de ceux qui sont
dans la légalité, payent des salaires déclarés avec les charges sociales afférentes
et tout le saint-frusquin. Ce quatrième groupe se compose d’un unique lieu
héroïque qui est feu le café Ailleurs mort au champ d’honneur.
Quand on enquête sur les petits lieux de chanson à Paris, tous les interlocuteurs
— ce n’est pas une figure de style, vraiment tous les interlocuteurs — parlent
spontanément d’Ailleurs. Pour saluer le travail de l’équipe de Boris. Pour
regretter
2 — Surnom donné au
café par l’équipe d’Ailleurs.
la
disparition
d’une
entreprise
comme exemplaire. « Le café débranché »
2
considérée
unanimement
était l’unique café à payer des
cachets déclarés à tous les chanteurs et musiciens qui étaient programmés, faisait scrupuleusement ses déclarations pour la SACEM comme pour la collecte
de la taxe parafiscale. C’était l’unique café programmant de la musique à être
en conformité totale avec la législation et le droit du travail. De plus, d’un
3 — François Chesnais,
directeur de l’action
culturelle de l’ADAMI,
entretien du 26avril 2002.
point de vue artistique, « Ailleurs était très important pour la jeune création. » 3 Nombre de jeunes talents ont fait leurs premières armes à Ailleurs. Un
travail de découverte reconnu par les pairs puisque les Francofolies, parmi
d’autres festivals et institutions de renom, ont donné des cartes blanches à
Ailleurs. Hélas Boris, le créateur du café débranché, apporte une note discordante au concert. « On a buté sur un manque de reconnaissance
4 — Sauf indication
contraire toutes les
citations de ce chapitre
proviennent d’un entretien
avec Boris Bourdet en date
du 10 avril 2002.entretien
cité.
RÉELLE
de l’in-
térêt d’un lieu comme Ailleurs. On reconnaît, APRÈS, que c’était bien… » 4
« Au départ on a voulu faire simple. Un bar avec des spectacles. Puis, en discutant, on a pris conscience des problèmes des artistes et on a commencé à changer en entrant dans un cadre plus professionnel, plus officiel et on a voulu voir
si un petit lieu pouvait fonctionner dans la légalité. On a essayé de trouver des
solutions pour rémunérer les artistes. On a mis en place une billetterie. »
Si Ailleurs est devenu un café au légalisme rigoureux Boris ne cherche pas à
32
Soleil cherche futur
cacher les libertés prises. Il n’hésite pas à dire que pourtant « nous étions parfois malgré tout hors la loi. Comment refuser l’entrée au directeur de Sony qui
arrive alors que la salle est déjà trop pleine ? Comment faire quand la salle est
pleine et qu’il y a tout un groupe dans la rue qui souhaite entrer ? Il nous est
arrivé de péter la jauge autorisée. Pour éviter le bruit dans la rue source de
conflits avec le voisinage. »
Quand on parle d’Ailleurs, Boris est intarissable. « Il a fallu créer une double
structure, commerciale pour le bar restaurant, et associative pour rémunérer
les artistes. C’était le montage proposé par le ministère de la culture aux cafés
musique. C’est l’une des très graves erreurs du ministère d’avoir poussé à faire
ce montage. Les gens du ministère, pas plus que nous, n’avaient conscience des
conséquences : au lieu de gérer une seule structure, on en gère deux. Mais avec
le même personnel et les mêmes moyens. Un casse-tête et une lourdeur de gestion. Un surcroît de travail phénoménal. Et une bidouille de la rue de Valois qui
n’a pas été conçue en concertation avec Bercy. Il y a un manque de clarté légale avec des difficultés aux yeux des impôts. Deux structures travaillent
ensemble, l’une est censée générer des bénéfices et par voie de conséquence
de l’IS, impôt sur les sociétés, tandis que l’autre, est censée faire l’inverse, ne
pas faire de bénéfices et être financièrement désintéressée. Quand, sous un
même toit, on a une structure commerciale et une structure associative, avec
des liens étroits, dans le même but social et culturel, les gens du fisc trouvent
qu’il y a une ambiguïté très forte et que ça sent mauvais. Et ils épluchent…
Pourquoi l’association paie ceci ou cela et pas la société ? Nombreuses heures
d’explication en perspective. La nouvelle loi sur les associations apporte certes
une transparence mais, pour ces doubles structures, alourdit encore la gestion
de l’association et nécessite un comptable et un expert-comptable. Le ministère et la DRAC nous présentaient ce montage comme une obligation en disant
qu’on ne peut donner des subventions qu’à des structures associatives ou
publiques. Depuis on a découvert que c’est faux et que, par exemple, des
centres dramatiques nationaux subventionnés ont un statut de S.A.R.L et sont
des entreprises commerciales [au regard de la loi]. On a malgré tout gardé la
1 — Boris Bordet, entretien
cité.
double structure jusqu’au bout. » 1 Le regret essentiel de Boris est le travail supplémentaire occasionné par la double structure juridique. Ce qui, dans le cas
d’Ailleurs, signifiait un contingent d’heures supplémentaires pour les membres
de la petite équipe qui travaillait déjà beaucoup trop.
« L’activité commerciale (bar et restauration) n’a jamais été bénéficiaire. Elle a
toujours stagné. Ailleurs se donnait pour obligations : un service très rapide,
pas de service pendant le spectacle. Il y avait des gens qui venaient à 19 heures
33
Soleil cherche futur
et repartaient à minuit en ayant consommé un café. On n’a jamais râlé. On ne
poussait pas à la consommation, parce qu’on n’avait pas le temps, parce qu’on
n’avait pas le goût à cela, parce que ce qui nous intéressait c’était avant tout le
spectacle et qu’on voulait être considéré d’abord comme un lieu de spectacle.
Avec tout cela on était identifié non comme un bar restaurant mais comme une
salle de spectacle dans laquelle on pouvait boire un coup. Or un bar restaurant
vit parce qu’il sert des repas le midi et le soir, parce que le matin et l’après midi
les gens peuvent venir y boire. Identifié comme une salle de spectacle on n’y
vient que pour le spectacle. De ce fait l’activité commerciale n’avait lieu
qu’avant et après le spectacle c’est-à-dire au plus quatre heures par jour pour
les meilleures soirées. Tu m’expliqueras comment rentabiliser un bar avec
1 — Boris Bourdet,
entretien cité.
quatre heures de vente quotidienne… » 1
« Chez nous il y avait aussi la volonté d’avoir des prix abordables. On n’a pas
fait de dîner-spectacle au champagne. Ce qui nous aurait permis de rentabiliser l’activité de la société tout en finançant les spectacles mais aurait sélectionné une clientèle aisée et nous aurait coupés de tout le public des couches popu-
2 — Boris Bordet, idem.
laires. »
2
« Et avec tout cela tu prends dans la gueule que tu es un bar qui profite des
artistes pour faire ton beurre alors que tu as 800 000 F de dettes, alors que tu
ne peux payer que le SMIC aux salariés — selon les périodes cela allait de un
salaire et demi à trois salaires — alors que tous les autres bossent bénévolement en émargeant éventuellement aux ASSEDIC, ce qui est interdit, alors que
3 — Boris Bordet, ibidem.
tu te payes 3 000 F par mois les mois où il y a de l’argent. Ça énerve… » 3
« Tout notre travail de développement du lieu est allé vers le spectacle : avoir
une programmation travaillée, réfléchie, s’occuper du démarrage de carrière
de beaucoup d’artistes. Nous voulions faire d’Ailleurs un lieu de découverte
pour amener des gens, qui n’en ont pas forcément l’habitude, vers la chanson
et les jeunes artistes. »
Les prophètes — professionnels et autres spécialistes — prédisaient volontiers
que personne ne voudrait acquitter un billet d’entrée pour un spectacle dans
un bar. La faillite du café déserté était proche. « L’entrée payante, contrairement à toutes les prédictions, est ce qui a le mieux marché à Ailleurs. Infiniment
mieux que le bar. Les problèmes financiers d’Ailleurs sont venus d’une méconnaissance et d’une mauvaise appréhension des problèmes. La société a accumulé trop de dettes. Il nous a fallu du temps pour réaliser d’où venaient les
déséquilibres. Pour voir que l’activité culturelle, censée perdre de l’argent, était
34
Soleil cherche futur
équilibrée — en partie grâce aux aides et aux spectacles de soutien. Mais que
par contre, la société, censée faire des bénéfices, plongeait tous les ans. Nous
aurions dû faire un montage inverse avec une activité de bar-restauration
accessoire. L’activité principale étant le spectacle. On le savait puisque, ce que
nous voulions, c’était faire une salle de spectacle et non un bistrot, mais on a
pris conscience trop tard de notre erreur de stratégie quant à la gestion. À la
fin l’association, plus solide que la société, prenait en charge des frais pour soulager la société. Ce n’était pas un détournement de fonds. Les factures d’électricité, par exemple, étaient salées mais nos quatre kilowatts de projecteurs au
plafond pour éclairer les spectacles tiraient salement sur le compteur. C’est l’as1 — Boris Bordet, entretien
cité.
sociation qui nous a sauvés du dépôt de bilan. » 1
« Le chiffre d’affaires de la société était de 700 à 800 000 F, le chiffre d’affaires
de l’association était de 600 à 700 000 F dont plus de 400 000 F de billetterie
avec un billet à 30 F. Ce qui est énorme ! Le prix du billet était au choix de 30 F,
50 F ou 80 F. Nous sommes partis d’une moyenne de 37 F pour aller à une
moyenne de 47 F le billet. » Ce qui prouve que le spectateur lambda peut être
2 — Boris Bordet, idem.
bien conscient de certaines réalités. 2
L’ouverture a nécessité 800 000 F de travaux. Les travaux ont été réalisés par les
porteurs du projet et leur entourage très largement bénévole. Quatre personnes travaillaient à temps complet mais trois seulement étaient rémunérées
au SMIC, Boris ne se payant (3 000 F par mois) que s’il restait de l’argent. Cinq
bénévoles réguliers, plus un réseau énorme d’irréguliers ou d’occasionnels. Le
travail bénévole équivalait à trois personnes à temps plein. Il concernait la technique et la caisse chaque soir, les travaux tant pour la création du café que pour
la maintenance, la plonge, une aide à la gestion et la comptabilité, la PAO et
une myriade d’aides ponctuelles. Boris souligne ici encore les difficultés d’un
montage juridique. Comment apporter de l’argent personnel en compte courant dans une association ? D’un autre côté la masse considérable de travail des
bénévoles pour Ailleurs ne peut être mise au profit d’une société à but lucratif.
3 — Cette société civile
pour l’administration des
droits des artistes et
musiciens interprètes a pris
son essor avec la loi de
1985 sur les droits voisins
en faveur des interprètes.
Lorsqu’Ailleurs a décidé de mettre en place une billetterie et de payer des
cachets aux artistes l’ADAMI 3 a été la première institution à aider. Elle a versé
une première subvention de 40 000 F pour une opération de deux mois. Les
aides de l’ADAMI ont ensuite augmenté au motif qu’Ailleurs était à Paris la
seule petite salle payant les artistes en cachets déclarés.
35
Soleil cherche futur
Les subventions de la DRAC 1 étaient beaucoup plus difficiles à obtenir. « Nous
1 — Direction Régionale
des Affaires culturelles,
issue de la déconcentration
du ministère de la culture.
avons eu une subvention de 25 000 F par an pour 330 spectacles par an. 2 Il a
2 — Ce qui fait une aide
de 75,75 F par spectacle.
la fin de faire d’abord nos preuves pour envisager plus tard… » Il n’y avait pas
été impossible d’obtenir une aide pluriannuelle. On nous demandait encore à
de volonté politique de la DRAC d’aider Ailleurs. Boris Bourdet ressentait un
conflit latent entre la DRAC Île de France et le ministère de la culture qui regardait l’activité du « café débranché » d’un œil très favorable. D’autre part l’aide
à l’équipement proposée par la DRAC n’a été que très partiellement utilisée
parce qu’elle était inadaptée.
3 — Devenu le Centr e
national des variétés le
1 er octobre 2002 le Fonds
de soutien est essentielle ment financé par la taxe
parafiscale sur les
spectacles musicaux. Les
producteurs munis d’une
licence y disposent d’un
droit de tirage
proportionnel à leur taxe
versée. Le Fonds dispose
d’un certain nombre de
programmes d’aide à la
production. Ce qui permet
de monter des opérations à
risque ou dépassant les
capacités financières des
producteurs.
Le Fonds de soutien 3 a apporté une aide en nature en finançant la promotion
du café. Ailleurs n’aurait jamais pu se payer une campagne d’affichage dans le
métro, même au tarif bonifié par le Fonds de soutien.
Ailleurs a obtenu une fois une aide de la SACEM « parce que la pression était
devenue très forte. On était au bord du scandale. Pourquoi la SACEM n’aide-t-elle pas Ailleurs alors que ce sont eux qui font le plus gros travail de
découverte de chanson aujourd’hui à Paris ? Ailleurs a involontairement été le
révélateur d’un clivage profond entre les sociétaires et l’administration de la
SACEM. » L’aide reçue était du même montant que la somme des droits à payer
en souffrance. Il y a eu un simple échange de chèques.
Les relations entre la SACEM et Ailleurs étaient difficiles. « Nous n’avons jamais
pu négocier un taux de droits plus faible. Nous étions, parmi tout le réseau
4 — Association de petites
salles — cafés ou associa tions organisant des
concerts dans des cafés —
qui a négocié avec le minis tère pour trouver des solu tions en vue de légaliser
leurs activités musicales.
Zinc’Arts,
4
le lieu qui payait le taux le plus élevé. Les taux, différents pour
chaque salle, variaient du simple au double malgré le discours officiel disant
que tout le monde paie la même chose. Selon les termes d’un administrateur
de cette société civile nous avions un contrat SACEM inadapté à notre activi té. Que nous n’avons jamais pu renégocier. Et pourtant nous avons toujours
défendu le principe même de la SACEM et du droit d’auteur face à de jeunes
5 — Boris Bourdet, suite de
l’entretien cité.
artistes qui n’en voient pas toujours l’intérêt. » 5
« Nous aurions pu frapper à la porte de l’Europe, de la région, du département,
etc. Mais rechercher des subventions était pour nous un problème de temps, on
était peu nombreux, il fallait s’occuper du lieu avec un spectacle tous les soirs. »
6 — Le code de la propriété intellectuelle a instauré,
parmi les droits voisins du
droit d’auteur, un droit de
suite qui est un
pourcentage perçu par un
artiste plasticien sur la plus
value réalisée à l’occasion
de la revente de son
œuvre. Dans le cas présent
le droit de suite serait
institué par un contrat.
« Pour équilibrer les comptes on peut être éditeur, tourneur, coproducteur en
prenant des points sur la carrière future de l’artiste. Il y a plein de moyens qui
auraient pu remplacer ou conforter les aides reçues. Le droit de suite 6 apporte de l’argent, c’est un retour sur investissement, mais c’est aussi une reconnaissance de notre travail. Nous y avons songé, nous avons même fait des calculs qui montraient que l’on pouvait à terme financer la salle avec le droit de
36
Soleil cherche futur
suite comme unique complément de la billetterie. Nous avons arrêté avant de
mettre cela en place. C’est le manque de personnel qui ne nous a pas permis
d’aller plus loin, tant pour la recherche de financement que pour la mise en
1 — Boris Bourdet,
entretien cité.
place d’un droit de suite. Il y a eu un phénomène d’usure. »
1
Ailleurs, branché sur le secteur en mars 1993 pour un projet né début 1992, est
définitivement débranché depuis le 13 juillet 2001. Le fonds de commerce a été
vendu 450 000 F. À cette date il restait 450 000 F de dettes. Boris a pu rembourser les prêts consentis par sa famille et son entourage. La plus importante
raison de l’arrêt du « café débranché » est cette usure d’une équipe qui travaillait durant un nombre d’heures trop important pour qu’un tel fonctionnement puisse perdurer.
L’exemple d’Ailleurs vient confirmer les raisons de l’échec assez général des
cafés-musique. On aurait pu penser que la formule consistant à unir sous le
même toit une activité de bar et restauration à une activité de spectacle allait
permettre d’assurer plus facilement la pérennité d’un établissement. C’était
oublier que le bar d’un théâtre municipal apporte certes un peu de convivialité mais ne génère pas un chiffre d’affaires permettant de payer le plus clair du
personnel du théâtre. Y compris dans le cas où il serait ouvert toute la journée.
Dans une salle de spectacle on vient pour le spectacle mais pas pour boire un
verre… même si l’on y boit un verre.
37
Soleil cherche futur
L E 98-1143,
UN CALIBRE QUI TUE OU LES INCIDENCES DU DÉCRET BRUIT
Le décret N° 98-1143 du 15 décembre 1998 a des incidences fâcheuses sur la vie
des petites scènes. Connu chez les professionnels sous le nom de « décret
1 — Cf. par exemple www.
bruit »
irma. asso. fr.
blissements ou locaux recevant du public et diffusant à titre habituel de la
1
il n’est en réalité que « relatif aux prescriptions applicables aux éta-
musique amplifiée, à l’exclusion des salles dont l’activité est réservée à l’enseignement de la musique et de la danse. » Ce décret souhaite assurer la bonne
santé des oreilles des spectateurs en limitant le niveau moyen de pression
acoustique à 105 dB et le niveau de crête à 120 dB. (Article 2). Et souhaite assurer un environnement vivable au voisinage en limitant l’émergence hors des
locaux à 3 dB. (Article 3). L’application, même lato sensu, de ce décret semble
ne relever que de la salubrité publique et ne prête pas à discussion.
L’association AGISON, AGIr pour une bonne gestion SONore, va d’ailleurs bien
2 — Texte de la charte et
liste des administrateurs
d’AGISON disponibles à
www. irma. asso. fr.
au-delà du décret dans sa charte. 2
Mais, si l’on ne discute pas son bien-fondé, l’isolation phonique est coûteuse.
La seule isolation phonique d’Ailleurs a coûté 350 000 F en 1993. Alors que tous
les travaux ont été réalisés par les porteurs du projet. Réalisée par une entreprise spécialisée cette isolation se serait montée à environ un million de francs.
Il est vrai qu’il s’agissait là d’une isolation irréprochable. Comment un bistrot
musical, dont on a vu combien l’économie est précaire, et même dans le cas où
il parviendrait à obtenir une subvention d’équipement qui couvre cinquante
pour cent du débours, peut-il financer une telle somme ?
On voit que « les petits lieux sont beaucoup plus exposés au décret bruit
3 — Boris Bourdet,
Ailleurs, entretien du
10 avril 2002.
comme aux normes de sécurité, et c’est beaucoup plus dur, plus violent. »
3
C’est humain : il est plus aisé à un policier de faire preuve de sévérité face à un
petit bistrotier que face au directeur du théâtre municipal.
Le plus ennuyeux est que ce décret, dont aucun citoyen ou policier lambda ne
connaît la teneur, devient « la loi bruit » et est trop souvent « utilisé » en dépit
du bon sens. Et que la maréchaussée, à la suite d’une plainte d’un voisin grincheux, va tancer vertement notre bistrotier ou notre directeur de petit théâtre
— qui n’y peuvent mais — pour des portières de voitures qui claquent ou pour
des conversations trop bruyantes sur un trottoir. C’est ainsi qu’Ailleurs a fait
l’objet d’une plainte de cette nature un 22 août. Pendant sa fermeture pour
congés annuels !
38
Soleil cherche futur
En septembre et octobre 2002 le site Internet du Centre de la chanson nous
informe de la suspension de la programmation de Les uns les autres, Chez Driss.
« Ce restaurant proposait une programmation chanson régulière jusqu’à ce
qu’un voisin grincheux fasse donner la maréchaussée. Souhaitons que l’entente revienne entre les voisins pour retrouver la programmation chanson et les
1 — www. centredelachanson. com.
bancs d’essai du Centre de la chanson. »
1
Nous connaissons un autre bistrot, dont on comprendra que nous taisions le
nom, qui connaît des ennuis similaires. Aucun bruit ne sort de ce café à doubles
portes, relativement isolé, qui ne programme guère que des instruments acoustiques amplifiés à un niveau sonore très raisonnable. Il est pourtant depuis
deux années sous le coup d’un arrêté préfectoral lui interdisant de diffuser de
la musique. Un commerçant voisin, qui souhaite réduire le passage nocturne
dans la rue, ne connaît toujours pas l’existence de l’arrêté dont ses plaintes
répétées sont pourtant la source…
Entre les scènes qui ont fait l’objet d’une fermeture autoritaire, celles qui après
avoir effectué les travaux d’insonorisation ont continué à faire l’objet de
plaintes de voisinage et celles qui ont renoncé devant le coût de ces travaux et
2 — cf. Maya Lebas, Les
cafés-concerts réduits au
silence, Zurban, 27septembre 2000.
ont préféré fermer, la liste des faire-part de deuil ne cesse de s’allonger. 2
On comprend bien le souci de sécurité du public qui fait édicter des normes
pour éviter les accidents. Mais la peur d’éventuelles actions en justice incite
toute personne responsable pouvant être jugée coupable à se montrer plus exigeante que la réglementation. Pour son aménagement le Forum Léo Ferré
d’Ivry a ainsi été contraint à des dépenses imprévues par l’architecte qui avait
3 — Entretien avec
Geneviève Métivet, permanente bénévole, 15 février
2002.
pourtant respecté les normes en vigueur. 3 Premier surcoût. Et la mairie ne s’est
pas contentée de l’avis de la commission de sécurité pour délivrer l’autorisation
d’ouverture. Elle a exigé en supplément trois rapports d’expertise pour le son,
l’électricité et la sécurité. Trois rapports qui étaient un nouveau surcoût de quarante-cinq mille francs pour cette association de bénévoles. Cette surenchère
dans la recherche de sécurité génère des surcoûts qui frappent bien plus durement celui qui a de petits moyens que celui qui est mieux doté.
39
Soleil cherche futur
DE S
É TA B L I S S E M E N T S É P H É M È R E S
Plutôt que de faire une photo panoramique très éphémère nous avons choisi
de prendre des exemples représentatifs de différentes approches pour
résoudre les difficultés économiques inhérentes aux cafés-concerts. Le lecteur
en état d’ébriété encore raisonnable après cette tournée générale aura remarqué qu’Ailleurs et Le Loup du faubourg ont maintenant leur rond de serviette
au cimetière des estaminets disparus. La grande instabilité qui caractérise le
paysage des cafés musicaux montre à qui en douterait encore les difficultés
dans lesquelles ils se débattent.
Jacques Vassal a consacré un article aux petites salles parisiennes dans un dos1 — Les «petites salles » :
renouveau ou désillusion ?,
Jacques Vassal, in Le retour
des chansons de parole,
Politis N° 558, 22juillet
1999.
sier chanson paru en juillet 1999. 1 Toutes les scènes passées en revue dans son
article sont aujourd’hui disparues. Un encadré dresse une liste de onze salles,
cafés ou théâtres, qui avaient alors une bonne programmation chanson.
Aujourd’hui quatre de ces salles sont disparues, deux ne programment plus de
chanson, quatre vivent toujours mais avec un fonctionnement hors de la légalité. La dernière salle survit dans une légalité qui a tout de même fait l’objet de
remarques désagréables de la part des syndicats d’artistes.
Après cette longue tournée dans les cafés il nous reste encore quelques bouteilles à terminer avant de passer à une autre tisane. Ce n’est pas parce qu’on
leur reconnaît une utilité que l’on va peindre un tableau idyllique des bistrots
qui programment de la musique. On va ajouter encore quelques bémols et
dièses à la clé, assortis de bécarres traîtres et fourbes, qui compliquent salement la lecture de la partition par l’utilisateur du Déliateur mais apportent ce
petit supplément indispensable à la poursuite de l’étude après la Méthode
rose.
40
Soleil cherche futur
LE
P O U S S E-C A F É , P O I N T D E V U E D U S P E C TAT E U R
Pascale Bigot résume en une phrase tous les griefs que le spectateur lambda
peut faire à l’encontre des cafés. « Je ne vais plus dans ces lieux-là. J’en ai assez
de leurs pratiques, des horaires qui ne sont pas respectés, de la fumée, des
1 — Pascale Bigot, entretien du 23avril 2002.
mauvaises conditions d’écoute. »
1
Bien que beaucoup de cabaretiers soient
conscients de chasser une partie importante de la clientèle, ils ont une grande
réticence à s’imposer des règles de bonne conduite. Le Forum Léo Ferré est
ainsi le seul lieu visité à disposer d’une zone fumeur correctement équipée
d’extracteurs de fumée efficaces et silencieux. Le seul à être en conformité avec
2 — Loi de 1991 et décret
d’application de 1992 dite
« loi Évin».
la loi Évin… 2 Nous avons rencontré plusieurs programmateurs — fumeurs compris ! — qui disent volontiers ne pas se rendre dans les cafés X ou Y en raison
de la fumée. Une femme me disait ainsi « la programmation du café Z est excellente mais je n’y vais plus du tout parce que le plafond est trop bas ! On a la
tête dans un nuage de fumée opaque. »
Les horaires sont souvent de la plus haute fantaisie sans que l’on en comprenne très bien les raisons. On arrive à un concert annoncé pour vingt heures alors
qu’il est presque vingt heures. Le caissier arrive — après nous… — pour ouvrir
la caisse et nous dit que le concert aura lieu « d’ici une heure et demie à deux
heures ». Bien évidemment tout le monde s’en va. Une fille franchement agacée lance qu’elle ne va « quand même pas rester là deux heures à se faire
chier ». Et notre caissier de se désoler. J’essaie de lui expliquer qu’il faudrait un
peu de rigueur et annoncer l’heure réelle des concerts. Mais tout ce que je parviens à tirer du bonhomme est que « l’on ne fait pas les concerts à vingt heures
parce qu’il n’y a pas assez de monde. » Et de se lamenter : « C’est toujours
comme ça. Les gens repartent parce qu’ils ne veulent pas attendre ! » Ah ! ce
monde moderne où l’on est toujours pressé ! Lui faire entendre qu’il serait préférable d’annoncer les concerts à vingt-deux heures s’ils ont lieu à vingt-deux
heures semble être une tâche titanesque.
41
Soleil cherche futur
LA
R I N C E T T E , P O I N T D E V U E A RT I S T I Q U E
Le béotien pourrait penser que la qualité fait défaut, que seuls les nanards, les
ringards et les tocards se produisent dans les bars ou les petits théâtres. Que
nenni ! Bien sûr tout n’est pas d’égale qualité. On trouve des jeunes qui ont
encore à apprendre ou doivent se débarrasser de tics et de clichés copiés. On
trouve aussi — curieusement beaucoup plus à Paris que dans les métropoles
régionales — des vieilleries tout à fait surannées. Mais on voit globalement une
maîtrise technique remarquable. Tout comme en danse ou en musique classiques, on demande sans doute plus à un chanteur débutant d’aujourd’hui qu’à
un professionnel chevronné d’il y a trente ans. Tant de la part du bistrot que de
celle du spectateur. « Même dans une petite salle les gens sont très exigeants.
Que c’est dur ! Comment un artiste qui démarre, en dehors de l’aspect écono1 — Dominique Dumont,
producteur, Polyfolies,
entretien du 9 avril 2002.
mique, peut-il faire son apprentissage d’artiste ? » 1 A cette exigence artistique
il faut ajouter les exigences techniques. Un éclairage de scène se doit d’être au
minimum un peu élaboré. Révolue l’époque où Maguy Marin faisait un ballet
éclairé par quatre projecteurs. Et on n’accepte plus la moindre défaillance de
la sonorisation.
Le problème artistique des bistrots — outre les médiocres conditions d’écoute
il y en a bien un — n’est pas dans la qualité mais plutôt dans la nature de la
musique. « Il y a des styles musicaux qui ne vont pas du tout dans les bars. Il y
2 — Président de Life Live,
association de production à
but non lucratif, entretien
du 24 avril 2002.
en a au contraire qui collent très bien. » Éclairons ces phrases un peu sibyllines
de Julien Bassouls. 2 Dans un bistrot où les gens viennent d’abord pour vivre en
société la musique passera d’autant mieux qu’elle sera festive, rythmée, entraînante. De même qu’il y a un accueil direct, spontané, pour l’humour et la légèreté. « On ne touche pas que des jeunes dans les bars. Mais aussi des gens de
quarante à soixante ans, plus ou moins seuls, plus ou moins paumés, qui ne par-
3 — Julien Bassouls, idem.
ticipent pas habituellement à une culture musicale populaire. »
3
C’est-à-dire
que la musique créatrice de liens immédiats parce qu’elle fait bouger ou danser dans un lieu où l’on peut danser, se déplacer et faire des rencontres en
allant d’une table à l’autre, aura un impact beaucoup plus fort que la musique
qui s’adresse à la réflexion et s’écoute bien calé dans un fauteuil de théâtre. Si
ce n’est pas une impasse artistique c’est tout de même une limitation du champ
sur laquelle butent les cafés. Les cafés à vocation clairement artistique tels ceux
auxquels nous avons rendu visite dans ces pages sont dans une position médiane étrange, un peu bancale. Bien qu’attirant un public très hétérogène ils ont
une image intermédiaire entre la salle de concert ou de théâtre et le café musi-
42
Soleil cherche futur
cal plus festif décrit par Julien Bassouls.
Pour relativiser ce constat on peut aussi remarquer la musique ou la chanson
« festive » — comme les spectacles « festifs » de toutes les disciplines — trouvent, d’une manière très générale, beaucoup plus facilement une place, et sur
toutes les scènes, et dans le cœur des spectateurs. Les comédies de Molière
séduisent plus aisément que les tragédies de Racine. On laissera à plus savant
le soin de nous en expliquer les raisons.
43
Soleil cherche futur
LE
D E R D E S D E R S, P O I N T D E V U E D U P R O G R A M M AT E U R O U P R O D U C T E U R
Si tous les interlocuteurs rencontrés reconnaissent l’utilité des cafés pour y faire
ses premières armes, il faut tout de même remarquer qu’ils ne s’y rendent pas
toujours. Ainsi une productrice m’a dit qu’elle ne fréquentait plus guère les
cafés à chanson depuis la fermeture d’Ailleurs dont la programmation correspondait plus à ses goûts que celle du Limonaire. Il ne faut pas cacher qu’il y a
une réelle difficulté pour le chanteur à passer de cette première étape du café
à une autre. Thibaud Couturier, un chanteur qui « a fait des wagons de bistrots » et qui commence maintenant à être programmé par de grandes institutions festivalières, a une formule percutante pour illustrer la difficulté à sortir
de cette marge : « On n’invite pas un directeur de théâtre à venir dans un
1 — Thibaut Couturier,
entretien du 2 mars 2001.
PMU ! »
1
Noëlle Tartier du Limonaire : « Les producteurs et les tourneurs ne
viennent pas ici parce qu’on n’offre pas des conditions de spectacle. Les professionnels nous disent qu’ils ne viennent pas ici parce que ce n’est pas une salle
2 — Entretien du 5 avril
2002.
de spectacle. » 2 Maintenant habitués à des conditions de théâtre — fauteuils
face à la scène, public silencieux dans le noir — la disposition cabaret connaît
une désaffection de la part des professionnels. Alors que l’on voit de plus en
plus souvent des théâtres revenir à cette disposition pour certains spectacles
afin d’attirer un public sensible à son aspect plus convivial. Rien n’est simple…
Et pourtant le Limonaire offre malgré tout des conditions de spectacle assez
correctes pour un cabaret.
Mais il faut aussi reconnaître que peu de cafés offrent vraiment des conditions
d’écoute à peu près satisfaisantes. « J’ai commencé à produire un artiste et une
nuée d’artistes m’est tombée dessus en me disant : je chante. Ne voudriez-vous
pas me produire ? Ne voulez-vous pas m’aider à rencontrer un public ? D’où
mon aide bénévole à des artistes qui s’autoproduisent. Mais je le fais pour un
passage dans un théâtre, le plus souvent en location, et non pour un passage
dans un bistrot avec des bruits de vaisselle et de conversations. Si des professionnels viennent les voir dans un théâtre ils verront quelque chose qui tient la
route. Je préfère éviter que des professionnels se déplacent dans des lieux d’où
ils repartiront en se disant qu’il faut attendre encore un peu. Parce que les
conditions sont parfois si indécentes que le spectacle en souffre forcément. » 3
3 — Christine Hudin,
entretien du 9 avril 2002.
« Un artiste me dit : je passe dans tel café. Tu ne pourrais pas prévenir le festival de X ? (Une de ces grosses institutions qui engagent de nombreux artistes
sur de vraies scènes avec de bonnes conditions et qui ont un écho important.)
44
Soleil cherche futur
Je dis parfois oui parce que je ne veux pas le décevoir. Et au moment où je
prends le téléphone pour appeler le festival de X je me demande si je ne suis
pas en train de desservir l’artiste. Ne vaudrait-il pas mieux attendre le jour où
il passera sur une vraie scène ? Si tu veux rendre service à quelqu’un il vaut
mieux le présenter dans de bonnes conditions que dans de mauvaises. » 1
1 — Christine Hudin, idem.
45
Soleil cherche futur
C HEZ ROBERT, ÉLECTRON
LIBRE,
59,
RU E D E
RIVOLI
On quitte un instant le monde de la chanson qui nous occupe ici pour
rendre visite à une bande de frappadingues. Il est surtout question de jazz
mais on va voir que bien des faits et réflexions peuvent être transposés
dans le petit monde de la chanson en scène. Une horde d’artistes
— squatters expérimentés — s’est un jour invitée au 59, rue de Rivoli,
vaste bâtiment de six étages appartenant au Crédit Lyonnais qui servait
depuis dix ans au stockage d’air frais et à la nidification des pigeons. Une
dizaine de personnes vivent et trente-quatre artistes travaillent ici. Les
locaux, ateliers ou salles d’exposition, sont occupés pour l’essentiel par
des plasticiens. Un studio est utilisé par des danseurs. L’Ego théâtre, une
compagnie, a installé ici ses pénates.
1 — Julien Caumer assur e
la programmation jazz de
la cave du 59, rue de Rivoli
et du Calvi Jazz festival,
entretien du 24 avril 2002.
Une salle dans les caves a été aménagée au départ pour le théâtre. Les gradins ont été fabriqués avec des palettes et on est assis sur des bancs assez
confortables. Tout a été fait à partir de matériaux de récupération qui,
pour être gratuits, me semblent néanmoins avoir une excellente capacité
de combustion. Je ne jurerais pas non plus que les normes d’issues de
secours soient tout à fait respectées. N’oublions pas que nous sommes en
sous-sol. Il y a un assez joli éclairage comme on n’en voit guère dans les
boîtes de jazz qui n’ont pas encore découvert cet aspect du spectacle.
Bon, ne dis pas cela non plus aux pompiers qui en auraient des vapeurs,
c’est en fait une installation bricolée avec de simples spots et… des variateurs de lampes halogènes ! L’Ego assure une programmation avec essentiellement du théâtre et un peu de chanson. Et la cave reçoit des musiciens de jazz du jeudi au samedi. Cinq concerts, souvent de très bonne
qualité, suivis par un public dense un peu trop tassé parce qu’il n’y a pas
assez d’espace. Sûrement beaucoup trop tassé au goût d’une commission
de sécurité… Julien Caumer a quelques réflexions, qui, bien que concernant le jazz, nous semblaient intéressantes. 1
« Dans le triangle d’or du jazz autour de la rue des Lombards tous les
petits clubs sont au bord du dépôt de bilan. Tu paies l’entrée de quatre-
46
Soleil cherche futur
vingts à cent vingt francs. Le vestiaire coûte deux euros. Non seulement
il règne une chaleur terrible qui pousse à boire mais, sitôt arrivé, une serveuse te tombe dessus pour te fourguer une consommation. Ils ont
besoin que tu consommes sinon ils ne s’en sortent pas. Oui, on te pousse à la consommation alors que l’on t’a déjà fait payer une entrée chère !
On se sent mal accueilli aussi parce que les gens qui y travaillent sont fatigués. Le résultat est qu’il n’y a pas grand-monde et qu’on voit seulement
des hommes riches âgés de plus de quarante ans. Avec tout cela tu te sens
mal à l’aise. »
« Par contre les gens aiment beaucoup le 59 et s’y sentent très à l’aise. Ici,
ce qui plaît, aux musiciens comme aux spectateurs, c’est une qualité
d’écoute avec des gens plongés dans le noir, assis face à la scène, qui ne
fument pas, qui n’ont rien à boire. On n’est pas dans un bar, il n’y a pas
de va-et-vient, pas de fumée et pas de bruit, tu es tranquille. Les musiciens aiment la diversité du public. On y rencontre des spectateurs beaucoup plus jeunes, des jeunes mais aussi des vieux, des femmes comme des
hommes, des gens de toutes nationalités. Je pense qu’une salle pleine
rend la musique plus belle. Il y a une bonne ambiance. Ce n’est pas habituel dans le jazz. Les musiciens jouent plutôt devant des salles de vieux
qui se font un peu chier. Le bouche-à-oreille dans le milieu du jazz dit
que le 59 est un endroit génial avec une superbe écoute, qu’on est très
bien accueilli, qu’il n’y a pas d’argent mais qu’il n’y a rien à vendre et
qu’on ne se fait pas d’argent sur notre dos parce que c’est entièrement
bénévole. Cette salle a été une réponse à la fois au désir des musiciens et
au désir du public. C’est pour cela que ça marche si bien. »
« Mon principal critère de sélection des musiciens est qu’ils soient sympas, le second est qu’ils soient bons, et le troisième est qu’ils acceptent de
jouer gratuitement. Ils ont la totalité du chapeau qui va de six cents à
mille francs. »
« On voit bien ici qu’il y a un désir de jazz qui ne peut être assouvi parce
que c’est très cher ou trop cher. Il y a une carence de petites salles de jazz
qui est criante. Si, en six mois, nous avons une salle qui a un tel succès
c’est bien qu’il y a une demande. On dit que le jazz est mort mais c’est
47
Soleil cherche futur
de la couille. C’est une vague impression superficielle qui est infondée.
Le parc floral de Vincennes à dix balles l’entrée fait trois à six mille personnes pendant tout le festival. Tous les départements ont un festival qui
marche très bien. Il y a des festivals partout. En fait le jazz vit comme il
n’a jamais vécu. Ça va très bien ! C’est une musique qui plaît. C’est paradoxal parce que ce n’est pas avec le jazz qu’on vend beaucoup de disques.
Mais c’est un univers de concert. »
« Dans le cadre du théâtre nous avons une fois par mois des spectacles
autour de la chanson. Ce sont les spectacles qui ont le plus de succès,
bien plus que le théâtre. Le succès le plus fort qu’on ait eu dans le squat
depuis le début c’était trois filles qui chantaient. C’était extraordinaire.
Dans la disposition de l’époque on logeait cinquante à soixante personnes. Il est arrivé d’avoir trois mille francs dans le chapeau. Les gens
étaient tellement enthousiastes qu’ils décidaient de payer pour de bon. Ils
mettaient dans le chapeau une somme équivalente au prix d’une entrée
dans un théâtre normal. »
Les artistes du 59, rue de Rivoli ont soumis le projet Essaim d’art qui a
été retenu par la mairie de Paris. Le bâtiment deviendrait la propriété de
la ville. Les squatters quitteraient les lieux. Essaim d’art fonctionnerait
comme aujourd’hui — ateliers et expositions de plasticiens — mais les
résidences de chacun seraient d’une durée limitée de manière à garantir
une diversité et une ouverture permanente à de nouveaux venus. On ne
sait pas trop ce que deviendra la cave à jazz dans cette légalisation.
48
Soleil cherche futur
L ES
THÉÂTRES
Comme pour les bistrots nous avons retenu une salle représentative d’une
méthode de travail et d’une situation économique. Le Sentier des Halles est
une cave qui pratique volontiers la production et la coréalisation mais fait aussi
de la location pour survivre avec des difficultés liées à son économie fragile.
Tandis que le Théâtre de dix heures est une salle à l’assise économique solide.
On verra ensuite comment le Tourtour, petite scène et petite économie, a mené
sa vie sans jamais pratiquer la location. On ira rendre visite aux théâtres en
location pure, une pratique devenue le plus souvent systématique dans des
conditions — du moins dans les petites salles — qui laissent trop souvent à désirer. On verra quelles raisons conduisent à louer un théâtre et, au travers de
budgets détaillés, à combien revient cette aimable plaisanterie quand on fait
bien les choses pour amortir son investissement.
49
Soleil cherche futur
L E SE N T I E R
DES
HA L L E S
La longue virée dans les assommoirs pourrait avoir laissé au lecteur une casquette en plomb et un désagréable mal aux cheveux. Changeons un peu d’air
et allons à la cave. Mais, cher et intrépide lecteur, nous n’allons pas rendre une
pieuse visite à la crypte de Notre-Dame des barriques.
Avant la Révolution l’activité théâtrale ne pouvait être exercée qu’avec la permission du roi. La disparition des privilèges a transformé le théâtre. On ne parle
pas ici de la nuit du quatre août abolissant les privilèges de la noblesse et du
clergé mais du privilège — acte administratif — donnant l’autorisation à un
théâtre d’ouvrir ses portes ou à un imprimeur de faire fonctionner ses presses.
La loi du 13 janvier 1791 a proclamé le principe de liberté du théâtre et permis
une large ouverture des salles. Des formes de spectacle qui ne se donnaient
alors que dans la rue vont pouvoir s’installer sur des scènes fixes. Et c’est ainsi
que deux siècles plus tard la musique trouve un abri dans des caves…
Le Sentier des Halles est une cave aménagée en théâtre de cent vingt places. La
chanson entre pour cinquante à soixante pour cent dans la programmation. Le
reste est composé de presque toute la palette de la musique hors classique. On
y trouve des groupes de rock, des bidouilleurs d’électronique, du hip-hop
1 — Sauf indication
contraire les éléments de
ce chapitre proviennent
d’un entretien avec
Caroline Fichot,
administratrice, et Isabel
Jimenez, directrice de
production, Sentier des
halles, le 24 avril 2002.
comme des musiques traditionnelles d’un peu partout.
1
Une diversification
musicale qui fait dire à certains que le Sentier a perdu, sinon son âme, du moins
son image de marque initiale.
« Environ la moitié de la programmation est constituée de coréalisations à
50 % des recettes pour l’artiste et 50 % pour la salle. Le prix du billet d’entrée
va de huit à quinze euros. Il y a une obligation pour le groupe programmé de
réaliser une prévente minimum de soixante entrées. Cette obligation a été établie à la suite d’un différent avec les syndicats d’artistes qui reprochaient au
Sentier de ne pas générer des recettes suffisantes pour payer des cachets au
tarif conventionnel. Cela permet d’assurer un minimum de rentrées autant
pour le théâtre que pour les artistes. Ce système n’est pas toujours très bien
perçu, pas toujours compris. Nous le trouvons imparfait. Certains le regardent
comme un minimum garanti alors que nous mettons un point d’honneur à ne
2 — On parle bien ici,
contrairement à d’autres
usages, d’un minimum
garanti en faveur du
théâtre et non en faveur
de l’artiste.
pas avoir de minimum garanti. 2 Mais c’est un système qui demande aux individus ou aux groupes de travailler à la recherche de public. C’est un effort à faire
dans un domaine où ils n’ont pas forcément envie de travailler en tant qu’artistes. »
50
Soleil cherche futur
« Pour assurer l’équilibre financier nous sommes obligés de faire de la location.
Le théâtre est loué avec l’équipement lumière et sonorisation. Les tarifs vont
approximativement de 3 000 F à 6 500 F (pour la soirée complète) avec des
tarifs dégressifs. Notre coût d’exploitation quotidien se situe actuellement
entre 6 000 F et 7 000 F. Nous avons l’obligation de louer parce que même avec
une salle pleine les coréalisations sont déficitaires : les rentrées restent en dessous du point mort journalier. Pour faire une coréalisation sans perte il faut
remplir la salle à plein tarif et vendre une consommation par personne. C’est le
cas de 3 à 5 % des coréalisations. Pour huit sur dix il y a environ soixante
entrées payantes. Ce qui est déjà bien pour les artistes. »
Le troisième mode de fonctionnement est la production directe (deux à trois
par an) ou la production exécutive. Le département de production d’artistes,
qui dispose d’une comptabilité séparée, est encore en phase de démarrage. Il
alourdit les charges sans véritablement dégager de nouvelles rentrées. « Ce
sont pour l’essentiel des artistes en démarrage de carrière. Même quand on
commence à amortir la production d’un spectacle parisien — sur lequel on a
perdu de l’argent — les marges restent très faibles. Il nous faut du temps pour
amortir la production parisienne et du temps pour gagner de l’argent sur
chaque date. »
Le Sentier des Halles reçoit de la DRAC une subvention annuelle de fonctionnement de 150 000 à 180 000 F. Cette aide au fonctionnement, bien que fort
modeste, est tout à fait inhabituelle. Très rares en effet sont les salles programmant de la musique non classique qui en bénéficient. Les aides de
l’ADAMI, de la SACEM ou du Fonds de soutien financent des opérations ponctuelles comme la semaine hip hop et des productions maison. Le droit de tirage de la taxe parafiscale sur les spectacles est de 300 % pour la salle (droit de
tirage renforcé pour les petites salles) et d’un peu plus de 80 % pour les productions en tournée. On fait environ deux demandes par an quand le volume
de droits acquis est suffisant. Le recours à des salariés intermittents du spectacle
et à des emplois aidés — via l’association satellite de la SARL — permet également de parvenir à boucler les fins de mois.
Le Sentier des Halles est une cave. Si les conditions sont bonnes pour le vieillissement du vin, l’humidité provoque une dégradation rapide du matériel,
consoles, piano, circuits électriques, d’où des frais d’entretien qui alourdissent
les coûts usuels d’une salle de cette taille.
La cave présente également un autre inconvénient. Elle garde une image héritée des années d’après-guerre qui peut très facilement donner une idée
vieillotte des spectacles accueillis. Alors que les producteurs accordent le plus
51
Soleil cherche futur
grand soin à présenter leurs artistes, non seulement dans de bonnes conditions,
mais aussi dans un environnement bien adapté à leur style musical. « La chanson que faisait Juliette pouvait trop facilement être cataloguée de « rive
gauche » avec une connotation vraiment très négative, avec tout ce que cela
peut avoir de péjoratif, de dépassé, de rétrograde, d’ancien. Je ne voulais pas
de cave, je voulais qu’elle soit en surface dans un
tacle, d’où le choix du Théâtre de dix heures. »
THÉÂTRE,
dans un lieu de spec-
1
1 — Mysiane Alès,
entretien du 28mars 2002.
Depuis deux ans le propriétaire du bâtiment, qui demande une augmentation
de loyer exorbitante (23 000 F mensuels), a engagé une procédure devant le tribunal. L’issue en sera de toute façon une augmentation du loyer. On constitue
une provision pour payer la majoration qui court pendant la durée de la procédure, ce qui alourdit encore les charges d’exploitation. Si le propriétaire
obtenait le loyer demandé ce serait la fermeture du Sentier des Halles.
Isabel Jimenez : « J’ai envie de résumer en une phrase : Est-ce qu’une petite
salle gagne de l’argent ? Non. » Et de s’interroger : « Une petite salle à Paris
est-elle nécessaire à la profession, au développement de carrière ? Oui, si on
décide de revenir au fait qu’un artiste apprend son travail sur scène plutôt que
de lui programmer un show case dans une salle d’un minimum de 300 à 500
places à la sortie d’un premier album. Oui, si on décide de lui construire un
public, de construire dans le long terme, de l’installer plus longtemps, de le
faire travailler pour qu’il peaufine son spectacle. Pour les salles qui ont cette
démarche il faut prévoir une vraie subvention au fonctionnement ou une aide
sur plusieurs années. Le problème n’est ni dans la foi des personnes, ni dans les
compétences, ni dans les envies, il est économique. »
« Comment envisage-t-on l’avenir à long terme ? Ou bien il y aura une aide
financière sous une forme ou une autre, ou bien la salle deviendra un garage
loué ou bien elle fermera. »
Tout cela n’est pas très réjouissant ? Notre lecteur fait une moue dédaigneuse.
C’est une petite salle, nous sommes dans une cave, la structure économique n’a
pas une assise suffisamment solide, etc. « Ce sont de toute façon des économies
précaires. Il n’y a pas de recette miracle. Tous les petits lieux qui programment
de la chanson à Paris sont dans des économies difficiles. Comment font-ils pour
s’en sortir ? Chacun a son système même si, au fond, on retrouve toujours le
même problème de quelque chose qui est à la limite de la légalité. » 2 Le lec2 — Pascale Bigot,
entretien du 23avril 2002.
teur en a peut-être un peu marre de tous ces gens à qui il manque toujours
quatre-vingts centimes pour faire un euro. Nous allons voir dans un autre
arrondissement si l’herbe est plus verte, l’eau plus humide et le soleil plus
brillant.
52
Soleil cherche futur
LE
THÉÂTRE DE DIX HEURES
Plus que centenaire le Théâtre de dix heures est l’un des plus vieux music-halls
de Paris. Nous parlons bien de « music-hall » puisque cette salle n’est pas un
théâtre privé et ne bénéficie pas d’un dispositif juridique propre aux théâtres
privés qui assure la protection du devenir de la salle en interdisant au propriétaire des murs de convertir les locaux à un usage autre que le théâtre. Malgré
tous les aléas de son existence un théâtre privé reste un théâtre et ne peut voir
ses locaux se dévoyer à un autre usage. Les Démons de dix heures, qui gèrent
le Théâtre de dix heures, gèrent également Bobino, une salle de six cents
places, mais c’est l’activité de producteur et tourneur qui est dominante dans
cette structure. Cette activité diversifiée et à chiffre d’affaires respectable permet de réduire les coûts de gestion. Sans que l’on se trouve dans un monde
bien différent du petit Sentier des Halles.
« Le Théâtre de dix heures a un coût d’exploitation minimum de cent à
cent vingt mille francs par mois en frais fixes pour une capacité de cent quarante places. On ne pourrait pas s’en sortir avec cent quarante fauteuils. C’est
pour cela qu’on offre deux spectacles par soirée. Les deux horaires sont dictés
par les impératifs économiques. On ne peut pas faire autrement. C’est pour
cela également qu’on joue très souvent les lundis et les jours de relâche, les
dimanches en matinée, parce qu’il faut amortir. » La salle est louée le dimanche
plutôt pour des manifestations privées et le lundi pour des présentations à l’occasion de sorties de disques. Présentations ou mini-récitals que le milieu professionnel nomme volontiers show cases. « Un théâtre ne peut jamais s’arrêter
1 — Jean-Michel Joyeau,
codirecteur du Théâtre de
dix heures, entretien du
12 avril 2002.
et nous jouons pratiquement 365 jours par an à cause des charges fixes. »
1
Le Théâtre de dix heures fait peu de location — hors dimanches et lundis —
mais souvent de la coréalisation « avec un minimum garanti puisque nous ne
pouvons pas récupérer sur l’avenir du spectacle quand on n’est pas le producteur en titre. On n’a aucune raison de perdre de l’argent si on n’a pas un droit
de suite. » Pour la plupart des producteurs, qui utilisent la salle afin de promouvoir un artiste, cela revient à une location en termes comptables. On va en
effet distribuer nombre de places gratuites pour remplir la salle, pour faire
marcher le bouche-à-oreilles, pour inciter la presse à venir et à chroniquer le
spectacle, pour accueillir des programmateurs. Le pourcentage de places vendues sera finalement assez faible. Et on devra régler à la sortie une coquette
facture pour que le théâtre rentre dans ses fonds. Et puisse continuer à vivre.
53
Soleil cherche futur
Jean-Michel Joyeau ne parle pas de location mais de coréalisation parce qu’il
ne se comporte pas en loueur accueillant tout ce qu’on lui propose, le chèque
étant le seul critère de sélection. Il faut entrer « dans les objectifs de programmation de la maison : de la chanson de qualité, plutôt à texte, avec une bonne
interprétation, avec un accompagnement acoustique de deux ou trois musiciens, qui n’est pas du show, qui relève du récital. » Au Théâtre de dix heures
la production maison occupe vingt à trente pour cent de la programmation
pour deux spectacles produits chaque année. Un spectacle de la maison va
généralement rester à l’affiche de deux à quatre mois.
Au Théâtre de dix heures, comme au Sentier des Halles, comme dans beaucoup
de salles parisiennes, on a deux spectacles par soirée. Pas toujours facile de
coordonner les deux spectacles, les deux équipes et le fonctionnement de la
salle. Christine Hudin a spontanément cité le dix heures comme un exemple.
« Il y a des théâtres qui arrivent à moduler ce découpage assez bien, comme le
Théâtre de dix heures, parce que tu as affaire à des gens qui aiment le spec1 — Christine Hudin,
entretien du 9 avril 2002.
tacle, qui aiment ce qu’ils font et manifestement tu n’es pas dans un garage. » 1
Nous verrons plus loin que cela n’est pas toujours le cas.
Mysianne Alès se souvient avoir utilisé le Théâtre de dix heures pour les débuts
de Juliette. « C’est un théâtre en parfait état. On n’avait pas l’impression de
rentrer dans un bouge. Il y a un système de billetterie professionnel, propre,
pas des tickets de tombola. C’est une petite salle qui fonctionne avec les mêmes
principes de qualité qu’une grande salle. C’était alors à un prix accessible — à
une production — qui est aujourd’hui introuvable avec ce niveau de services
proposés. » On peut remarquer que les coûts de location ont très fortement
augmenté, tant à Paris qu’à Avignon, au fil de cette dernière décennie.
54
Soleil cherche futur
L E TOURTOUR
Jean Favre a dirigé pendant des années le Tourtour, une petite salle en cave de
cent vingt places. Sans recourir à la location. Le Tourtour a fermé ses portes à
l’automne 2000. Le propriétaire des murs demandait tout bonnement une augmentation faramineuse du loyer afin de récupérer les locaux.
« Quel comportement adopter quand on est directeur de salle ? On n’a pas
beaucoup de choix. Il faut travailler au coup de cœur et équilibrer les comptes
en multipliant les activités. Les petites salles font en moyenne entre 700 et 800
représentations par an. Cela veut dire des spectacles pour enfants deux fois par
jour le mercredi et souvent aussi le samedi après-midi. Et bien sûr tous les jours
pendant les vacances scolaires qui sont une aubaine pour les théâtres. Cela veut
dire au moins deux spectacles par soirée cinq jours par semaine. On y ajoute des
présentations de spectacles avec des amateurs. Juin est un mois excellent où
l’on bourre la salle deux ou trois fois avec chaque spectacle d’école ou d’atelier.
On fait des événements ou la sortie d’un disque les dimanches et les lundis. Et
pendant l’été vous ferez un Feydeau, un Cocteau ou une autre chose un peu
1 — Jean Favre, entretien
du 22 avril 2002.
connue qui vous amènera un peu de monde en vacances. » 1 C’est la méthode
Jean Favre où on ne choisit pas la facilité. Ce n’est pas la plus simple. Une
méthode où l’on travaille beaucoup, où l’on est très organisé et prévoyant, où
l’on est respectueux du travail des artistes.
Puis Jean Favre nous explique comment on peut aussi faire vivre un théâtre
avec peut-être un peu moins de travail. « Ou bien vous faites des choses plus
utilitaires. [Comprendre : plus alimentaires.] Ou bien vous travaillez avec des
compagnies qui ont des moyens pour faire de la publicité, des moyens pour
faire des demandes d’aides auprès de THÉCIF, de l’ADAMI, etc. qui leur permettront de rémunérer les artistes. Vous faites des choses où vous n’aurez pas
à payer les artistes. Vous trichez plus ou moins pour faire vivre la salle en renvoyant sur les structures juridiques qui s’occupent des artistes la rémunération
des artistes. Vous ne prenez que des structures qui sont titulaires d’une licence.
Elles sont ainsi responsables des salaires des artistes. Et dans ce cas vous avez
un risque en principe limité. Puisque depuis 1972 vous êtes en principe coresponsable du paiement des charges et des salaires. » Voilà comment la coréalisation peut permettre de glisser dans l’illégalité si la compagnie ou le groupe
producteur du spectacle ne peut assurer le paiement des cachets des salariés.
« Oublier » de payer les cachets serait d’ailleurs une pratique plus usuelle qu’il
n’y paraît aux dires de certains observateurs des nuits théâtrales parisiennes.
55
Soleil cherche futur
Revenons à Jean Favre qui conserve sa foi dans les jeunes talents et continue
vaille que vaille à aider des débuts de carrière. « Tout cela permet de financer
vos deux coups de cœur de l’année qui vont faire deux entrées payantes par
jour mais au moins vous allez permettre à un artiste d’apprendre son métier. »
« Avec tous ces petits trucs on arrive bon an mal an à faire vivre une salle sans
la louer. Je n’ai jamais loué. Je regrette que la plupart des salles ne s’affolent
plus du tout et se contentent de faire de la location. On transfère le risque de
fonctionnement de la salle sur la compagnie théâtrale ou le groupe musical.
C’est une dérive tout à fait dramatique : il n’y a plus de salles à Paris où l’on
peut chanter gratuitement. Toutes les salles de Paris se louent. Dans des conditions incroyables. »
56
Soleil cherche futur
1 — Titre et refrain d’une
chanson de Plume
Latraverse, années 1970.
L’abondante discographie
de Latraverse est hélas à
peu près introuvable en
France.
CH A M B R E
À LOUER
! 1 LE S
T H É Â T R E S E N L O C AT I O N
Il n’y a plus de théâtres consacrés à la chanson à Paris. L’Olympia, naguère
temple consacrant tant les valeurs sûres que les débutants prometteurs, n’a
plus l’image d’une scène vouée à la chanson. On ne voit plus de séries à
l’Olympia. C’est trop cher pour les producteurs et il n’y a pas de prise de risque
d’un gérant qui est un loueur. Quant aux premières parties — qui naguère
contribuèrent largement à établir la réputation de l’Olympia — quand il y en
a, elles sont à la bonne volonté de producteurs qui font déjà un effort financier considérable pour louer la salle et y apporter le matériel lumière, la sonorisation avec le personnel qui va monter tout cela pour un soir ou deux.
Arrivé à ce point de notre visite de Paris by night on doit préciser qu’aujourd’hui toutes les salles, petites comme grandes, anonymes ou prestigieuses, sont
louées. Si les bistrots connaissent la faveur des musiciens et chanteurs, malgré
des conditions dont nous avons vu qu’elles ne sont pas optimales, c’est aussi
parce qu’on ne se ruine pas en location de théâtres hors de prix. « Si on peut
dire de la chanson d’aujourd’hui qu’elle est riche, variée, inventive, on peut
aussi se poser la question de savoir qui le sait. Les jeunes auteurs compositeurs
interprètes sont contraints de louer des lieux pour se faire entendre. […] S’ils
n’ont pas une production pour amortir cet investissement, les chanteurs ont le
choix de s’endetter ou de ne pas chanter. » 2 De la cave de trente places au
2 — Éditorial de Chante !
Bulletin de l’association le
Pavillon, N° 29, mars 2002.
3 — Bernard Joyet,
chanteur, entretien du
15 février 2002.
Zénith toutes les salles sont louées. « Pour chanter à Paris il faut avoir de l’argent. On risque plus d’être payé en passant n’importe où en province qu’en
passant à Paris. » 3
« Le dernier passage de Sarclo aux Sentier des halles a coûté 87 500 F de location de salle [en décembre 2001] et ne les a pas réalisés en recettes alors que
c’est quelqu’un qui a tout de même une petite réputation. Quand le prix de
location de la salle dépasse la recette potentielle ce n’est plus de la programmation : c’est du commerce. Cela me gêne. Surtout quand cela s’adresse à des
gens modestes. Quand cela s’adresse à un artiste individuel qui se dit que s’il
passe au Sentier ou dans une autre salle on va entendre parler de lui. Avec plus
ou moins 25 000 F de location de salle pour une semaine, on sait qu’il ne peut
pas payer les musiciens, qu’il ne peut pas payer la publicité nécessaire et que
cela ne servira à rien même au niveau des professionnels. Quand cela s’adresse
à une maison de disques qui veut faire un show case, c’est différent, c’est un
4 — Jean Favre, entretien
du 22 avril 2002.
investissement. » 4
57
Soleil cherche futur
« Évidemment un théâtre coûte de l’argent. Et comment faire pour en couvrir
les frais fixes ? On sait que la recette n’y suffit pas. Une seule façon de faire :
demander aux compagnies de participer financièrement aux dépenses de fonctionnement que le théâtre doit assumer pour les accueillir dans de bonnes
1 — Rappel utile : ce
minimum garanti est en
faveur de la salle et non de
l’artiste.
conditions. Le fameux minimum garanti. 1 Qui ne doit servir — au sens strict du
terme — qu’à permettre au théâtre de rester ouvert. Une confusion telle règne
aujourd’hui dans le réseau des petits lieux que, loueurs de salle ou coréalisateurs, on ne sait plus très bien qui est qui, et de ce fait une méfiance naturelle
2 — Alain Boublil,
directeur du Théâtre de
proposition, Plaidoyer pour
les petits lieux, La Scène
N° 8, mars 1998.
s’établit. » 2 Le mot méfiance résume bien la nature des relations des locataires
à l’égard des salles. C’est le sentiment général que nous laisse le travail d’enquête.
« Les petites salles sont souvent des espaces récupérés. On a pris la place pour
mettre du public mais il n’y a pas de loges, pas de lieu de stockage de matériel,
pas d’espace pour l’accueil du public — au Point-virgule le public attend dehors
avant d’entrer dans la salle —, pas de locaux de répétition — cela va de soi —,
pas d’espace pour la technique, pas de régisseur permanent et par voie de
conséquence pas de sécurité sérieuse, le résultat de tout cela est que l’on n’a
pas de vraies salles mais un couloir avec une scène au bout. Les artistes sont
debouts derrière un rideau noir au fond de la scène et ne doivent pas bouger
pendant le spectacle en attendant de rentrer en scène parce qu’il n’y a pas d’espace pour les artistes. Ce n’est pas normal. Les gens ne peuvent pas être
3 — Jean Favre, entretien
cité.
bien. »
3
Une anecdote vient confirmer les paroles de Jean Favre. Début sep-
tembre 2002 France-Inter nous apprend qu’un comédien en a boxé un autre
pendant une représentation qui a dû être interrompue. Le boxé, évanoui, nez
cassé, a été admis au service des urgences voisin. Le boxeur était excédé par le
bruit venant chaque soir des coulisses pendant qu’il était en scène. C’était à la
Comédia, une salle qui a une plutôt bonne réputation, membre de l’association
des théâtres privés, qui vient de rouvrir après une période de fermeture pour
travaux. Où l’on donnait une pièce qui a obtenu le Molière de la meilleure
pièce d’humour en 2001. C’est-à-dire que nous ne sommes sans doute pas ici
dans les pires conditions que l’on puisse trouver à Paris. Néanmoins, si un comé-
4 — L’expression est de la
directrice de la Comédia
interrogée par France-Inter.
dien a « pété les plombs », 4 on peut imaginer que l’environnement n’y est pas
pour rien.
« Les théâtres ouvrent et ferment sans que personne ne s’en inquiète. Reste un
5 — Stephan Boublil, op.
cité.
grand vide dans lequel se sont engouffrés les loueurs de salle. » 5
58
Soleil cherche futur
1 — On passe les noms
sous silence parce qu’il ne
sert à rien de les jeter en
pâture quand bon nombre
de salles parisiennes ont
des fonctionnements plus
ou moins similaires. On
s’attache ici à dépeindre un
fonctionnement et non à
faire de la dénonciation de
cas précis.
2 — On parle tout de
même dans ce cas précis
d’une location d’un
montant total de cinq mille
euros hors taxe et hors
frais techniques…
3 — Christine Hudin,
entretien du 9 avril 2002.
4 — Entretien du 28mars
2002.
« Le Théâtre X, 1 c’est Avignon Off ou Bourges — des conditions effroyables —
avec jusqu’à quatre tranches horaires louées chaque jour. X est loué dans la
journée aussi. Le matin pour des stages, l’après-midi pour des cours, à vingt
heures et vingt-deux heures pour un spectacle. Ça n’arrête pas. Même pour
t’installer, tu dois jongler. Alors tu jongles. On te « donne »
2
très royalement
trois heures pour monter ton spectacle. Tu demandes une heure supplémentaire parce que, vraiment, c’est infaisable. On te compte un supplément. Cent
francs ou cent euros, peu importe. C’est un esprit marchand qui passe avant
toute considération artistique. Et je ne te parle pas du théâtre Y qui, lui, loue
chacune de ses deux salles quatre fois dans la même après-midi et soirée pour
des spectacles. »
3
Selon Mysiane Alès
4
le Théâtre Z est une très jolie salle de cent vingt places
avec un grand plateau. Mais le spectateur est très mal assis, les conditions techniques sont déplorables et les conditions de sécurité à faire frémir. L’installation
électrique est très dangereuse, « catastrophique » pour utiliser le mot de
Mysiane Alès. Par exemple des câbles électriques plus ou moins dénudés sont
en vadrouille ici et là ! Les techniciens aiment follement… L’ampérage est
insuffisant et le disjoncteur saute quand la femme du propriétaire met en
marche sa machine à laver dans leur appartement qui se trouve au dessus ! La
productrice a adoré… Il n’y a bien sûr pas de personnel technique ou de personnel d’accueil, pas de billetterie. Toujours selon Mysiane Alès le directeur
n’est même pas un escroc, il est seulement d’une incompétence poussée à un
point rare. Les journaux nous ont appris que la salle Z, menacée de fermeture
au printemps 2002, a demandé et obtenu des aides pour faire des travaux de
mise en conformité. Les spectateurs seront sans doute toujours aussi mal assis
mais la sécurité sera peut-être un peu moins aléatoire…
Jean Favre souhaiterait une réglementation obligeant les salles à avoir un
régisseur permanent. Pour assurer un entretien courant qui laisse à désirer.
Faute d’un suivi régulier, et sans même aller jusqu’à l’exemple — extrême ? —
du Théâtre Z, on peut en effet voir des salles où des lampes grillées ne sont pas
remplacées ou bien des projecteurs sont en panne depuis des mois. On n’ose
imaginer l’état général des installations électriques… On ajouterait volontiers
à la demande de Jean Favre l’obligation d’avoir un personnel d’accueil régulier.
Une caissière d’un soir connaît-elle les emplacements des extincteurs ou le plan
d’évacuation des locaux ?
59
Soleil cherche futur
« Si un peu plus de lieux pouvaient vivre décemment on ne serait pas dans cette
situation où des artistes se ruinent en sous-louant des salles à des prix
effrayants. Jouer un spectacle dans une salle parfois pas plus grande qu’un café
où la communication n’est pas faite, où il n’y a aucune aide ou entourage technique, des salles garages qui louent, louent, louent, sans aucune promotion,
sans résultat final pour l’artiste… Si on développait un peu plus les petits lieux
cela se passerait mieux pour les artistes. Des artistes qui ont du mal à s’en
remettre, pas seulement financièrement, mais aussi psychologiquement. On
1 — Noëlle Tartier,
entretien du 5 avril 2002.
casse des gens. »
1
Parmi les loueurs il y a sans aucun doute beaucoup de requins. Des gens pour
qui le premier, que dis-je, le seul objectif est la rentabilité optimale d’un investissement bien réfléchi. Les garages d’Avignon en sont un bon exemple. Quand
nous parlons de garages — ce n’est pas ici le vieux cliché du milieu artistique
employé parfois à mauvais escient — nous parlons bien de locaux affectés onze
mois par an à l’abri des voitures et transformés en « théâtres » pendant le mois
de juillet.
« J’ai actuellement l’exemple d’un groupe de quatre personnes qui achètent un
local pour en faire une salle qui sera louée. Ils ont prévu un chiffre d’affaires
de 700 000 F pour la première année d’exploitation. Uniquement en location.
Et dans le lot il y a deux artistes qui achètent la salle pour exploiter les autres
artistes. Je trouve cela choquant. »
2 — Jean Favre, entretien
cité.
2
On pourrait parler de « syndrome
Avignon » pour résumer la situation parisienne.
Enfin, même si beaucoup de loueurs profitent de la situation et de la nécessité
fréquente de montrer son spectacle à Paris pour pouvoir le vendre, on ne peut
pas systématiquement accuser les petites salles d’étrangler tout le monde. Elles
ont un coût d’exploitation important. On peut jeter un œil dans le rétroviseur.
À Paris depuis 1966 un peu plus de 400 salles ont ouvert et disparu. Ce qui nous
fait grosso modo une ouverture et une fermeture chaque mois. 3 Un chiffre qui
3 — Selon Jean Favre qui
cite Charles Joyon auteur
d’un ouvrage sur l’histoire
des salles parisiennes à
paraître début 2003.
démontre à qui en douterait que la vie des salles n’est pas un long fleuve tranquille se jetant dans la mer de la sérénité.
60
Soleil cherche futur
PO U R Q U O I
LOUER UNE SALLE
?
Mais pourquoi casser la tirelire et dilapider les économies de la grand-mère
pour louer une salle à Paris ? se demande le lecteur intrépide qui ne s’est pas
encore assoupi sur le papier. On va élargir la question et se demander aussi
pourquoi donner un spectacle dans une petite salle dont on sait que le nombre
de fauteuils ne permettra pas et de rentabiliser la mise de fonds et de rétribuer
normalement les joyeux partenaires qui rament. Mais que diable allaient-ils
1 — Pour un questionne ment contemporain il nous
faut un Molière pluriel…
faire dans cette galère ? 1
La première raison de la location, sans aucun doute la motivation la plus importante, est la nécessité de se montrer. « Un passage à Paris est un effet de vitrine, une promotion. Il donne un second souffle, il permet de trouver un autre
réseau pour sortir du circuit des salles où l’on est abonné. C’est une nécessité.
Tourner dans un unique petit réseau de petits lieux est une politique à court
terme qui s’essouffle assez rapidement. Paris est nécessaire, incontournable,
inévitable, si on veut progresser, conquérir du public. Sinon on stagne et dans
2 — Pascale Bigot,
entretien du 23 avril 2002.
ce métier, si on stagne, on recule. » 2 C’est ainsi que l’on voit des artistes qui
savent utiliser leur passage dans les réseaux évoqués de petites salles pour s’ouvrir de nouvelles portes.
Jean Lafitte, chargé de mission pour les musiques actuelles au sein de Musique
et danse en Limousin,
3 — Entretien du 22 juillet
2002.
3
remarque la grande difficulté des artistes à sortir de
leur région. Il estime que les concerts à Paris sont nécessaires, indispensables,
pour sortir de ces réseaux régionaux trop étroits. Et déplore au passage le
manque de structures de production avec des moyens pour organiser ces
concerts, déplore que les producteurs de concerts ne poussent que les gens
déjà connus tout en remarquant que l’économie très précaire du secteur
explique cet état de fait. Jean Lafitte déplore aussi la très grande difficulté à
obtenir des subventions pour faire ce travail de promotion et de vente de
concerts. Si la création est parfois aidée, ce n’est pas le cas de la diffusion. Il
constate que c’est une grande différence avec la musique classique à qui l’on
donne aussi les moyens de promouvoir sa diffusion.
Si, pour les débutants, se montrer est une absolue nécessité, il en va de même
pour les chanteurs qui ont acquis une notoriété. Les positions ne sont en effet
jamais définitivement acquises. Il faut continuer à montrer pour vendre. Même
quand l’artiste est reconnu, même quand il a un long passé professionnel qui
61
Soleil cherche futur
plaide pour lui. Romain Didier, auteur-compositeur-interprète et arrangeur au
talent reconnu depuis des lustres, sera l’invité de la résidence-chanson du
Théâtre d’Ivry en 2003. Leila Cukierman, directrice, justifie cette invitation en
disant qu’il en a vraiment besoin pour relancer sa carrière. On peut être à la
fois l’heureux coloriste du Regard de Vincent (van Gogh) et dans une situation
professionnelle en noir et blanc.
Jean-Michel Joyeau, qui produit notamment les concerts de Nicole Croisille et
Henri Tachan : « Pourquoi produit-on ? Quand on produit à Paris on ne rentre
jamais dans nos frais. Même en cas de succès ou de triomphe, même à cent quarante payants par jour [dans une salle de cent quarante fauteuils]. Même avec
un théâtre plein c’est très rare qu’on fasse fortune à Paris. Un spectacle coûte
entre 300 000 F et un million de francs si vous comptez toute la promotion qu’il
faut y adjoindre. La publicité a le même coût — de Pariscope aux colonnes
Morris en passant par l’attachée de presse — pour une petite salle que pour
une grande salle. Quand on produit un spectacle cela veut dire que l’on va le
commercialiser après. Paris est une vitrine. Si on fait le Théâtre de dix heures
ou l’Olympia c’est tout simplement pour vendre le récital ensuite. Tous les producteurs se servent de Paris comme d’une vitrine pour vendre leurs produits. Le
produit est le spectacle qui tourne en France. Tous les spectacles de nos producteurs tournent ensuite pendant un ou deux ans. Le passage à Paris est avant
1 — Jean-Michel Joyeau,
entretien du 12 avril 2002.
tout un outil de travail pour promouvoir. » 1
Dans un paysage où l’offre est très abondante on serait fort tenté d’écrire que
2 — Producteur, entretien
du 29 mai 2002.
l’artiste n’existe que par son exposition. Thierry Chenavaud 2 a ainsi payé une
coûteuse campagne de publicité (affiches sur les panneaux anti-fraude du
métro, affiches grand format dans les gares, un pavé dans Le Monde le jour des
Victoires de la musique) pour le passage de Joël Barret durant trois semaines
au Ciné-théâtre 13. Pourquoi une dépense de 250 000 F en publicité pour une
salle de cent places seulement ? Cette publicité est en fait plus destinée aux
professionnels qu’au public. « Un artiste existe, acquiert une légitimité artistique, si un producteur investit sur son nom. La valeur artistique devient paral-
3 — Thierry Chenavaud,
entretien cité.
lèle à la dépense consentie par le producteur. » 3 Cynisme ? Au vu des difficultés sur lesquelles butent les chanteurs autoproduits on pencherait plutôt pour
un simple réalisme exprimé sans détour.
62
Soleil cherche futur
LA
NÉCESSITÉ DES PETITES SCÈNES
« Ces dernières années, l’avènement de groupes comme
Louise Attaque, Tryo ou Matmatah a valorisé l’importance
des concerts dans la progression et la diffusion des artistes,
soulignant la nécessité de préserver un tissu de lieux adaptés. » Stéphane Davet
1 — Le rôle des réseaux
pour les nouveaux talents ,
Le Monde, 12 avril 2001,
page 5.
1
Comment faire l’apprentissage du métier sans les petites scènes ? On a vu que
les cafés-chansons sont considérés comme une école bonne bien que rude. La
petite scène de théâtre constitue l’étape suivante dans un parcours de formation. « On dit qu’un artiste, pour apprendre son métier, doit chanter au moins
cinq semaines d’affilée. Ce qui est vrai en chanson l’est tout autant en théâtre.
Un artiste qui chante une fois dans une salle, puis une fois dans une autre salle
huit ou dix jours après devient un artiste capable de faire des coups. Et cela se
passe relativement bien. Mais si vous lui demandez de chanter cinq ou six
semaines de suite il faut qu’il place sa voix, qu’il ait un exercice vocal, que le
spectacle se rôde, il faut souvent une mise en scène, il faut souvent un cadre de
spectacle très différent de celui qui sert à faire des coups. C’est l’intérêt des résidences de Leila Cukierman. Globalement ceux qui sont passés chez elle ont une
autre vue, d’autres ressources professionnelles. L’artiste a appris son métier.
C’était aussi le cas de ceux qui passaient au Tourtour. [Mano Solo et Éric Lareine
2 — Parmi les nombreux
ouvrages de qualité traitant
de l’histoire des cabarets
on ne citera que le dernier
paru : Louis Nucéra, Les
contes du Lapin Agile,
Cherche-midi Éditeur,
2001, où l’on voit
notamment un Georges
Brassens débutant sujet à
un tel trac qu’il en est
incapable d’accorder luimême sa guitare.
3 — Jean Favre, entretien
du 22 avril 2002.
4 — Jouer dans le Off,
c’est irremplaçable ! entretien in La lettre du spec tacle N°77, 18 juillet
2002.
5 — Leila Cukierman in
Chanson et mise en scène ,
C’est comme ça! Compterendu des Rendez-vous
avec la scène chanson,
Maison de la musique de
Nanterre, 27 janvier 2002,
disponible sur le site de
Thécif.
sont parmi les plus connus.] Ils étaient forgés à leur métier. C’était aussi l’avantage des cabarets.
2
En faisant peu de chansons mais souvent dans trois ou
quatre cabarets et ceci pendant plusieurs mois. »
3
Si on n’était pas gentil on
pourrait citer nommément un certain nombre de chanteurs ou de comédiens
devenus célèbres qui, faute de cet apprentissage, ont dû interrompre précipitamment une belle tournée en cours pour cause d’extinction de voix…
Alain Léonard, d’Avignon Public Off, défend lui aussi la nécessité « vitale » de
jouer pour un comédien. « Jouer tous les soirs pendant trois semaines d’affilée,
il n’y a qu’ici que c’est possible. »
4
« Il faut prendre le temps de travailler la
scène. Voici quelques années, c’était possible grâce à l’expérimentation dans de
nombreux petits lieux. Aujourd’hui les résidences de création prennent le
relais, encore faut-il que les pouvoirs publics maintiennent leur existence. »
5
Les résidences de création, bien plus confortables et financées par les subventions publiques, sont certes des limousines à côté des vélos des petits théâtres
plus ou moins bien agencés. Mais il n’y a actuellement qu’une quinzaine de
résidences par année. Consolons-nous : au prix actuel des locations — hors
63
Soleil cherche futur
quelques petites salles pas trop onéreuses qui se raréfient — la nécessité de
l’apprentissage devient une raison marginale dans une location.
Après la nécessité de l’apprentissage une deuxième justification de l’existence
de petites scènes est la volonté d’essayer, d’expérimenter. Le chanteur a plutôt
intérêt à démarrer son nouveau spectacle sur une petite scène où il pourra voir
les réactions du public que dans un vaste paquebot aussi tempéré qu’une banquise antarctique. Avant de passer devant cinq cents personnes il vaut mieux
passer devant cinquante. Qu’il soit débutant ou confirmé l’artiste peut souhaiter faire des essais ou bien revenir à un répertoire plus intimiste. Un cas de figure fréquent : après avoir labouré des années dans les grandes salles avec trois
semi-remorques de matériel — instruments, décors, etc. — un chanteur — ou
un metteur en scène — connu veut revenir à une petite forme. En théâtre cela
signifie abandonner l’utilisation d’un volumineux décor. En chanson cela signifie être accompagné par un ou deux musiciens.
Bernard Joyet se livre à un plaidoyer pour les petits lieux. Avec des arguments
qui ne manquent pas d’intérêt. « Un petit lieu, pour l’artiste, remet les choses
à leur place. On retourne à la base même de l’art. La création n’exprime toute
sa richesse que dans la découverte, dans la virginité de l’artiste. On se retrouve
devant des gens qui ne nous connaissent pas, qui ne sont pas venus forcément
pour ce qu’on va leur donner et qui vont faire une découverte à l’état pur. Dès
qu’il s’agit de plus grandes salles il y a une petite pollution commerciale où on
arrive déjà en terrain conquis. L’essence de notre travail d’artiste c’est dans les
1 — Bernard Joyet,
chanteur, entretien du
15 février 2002.
petits lieux qu’on la trouve. »
1
Bernard Joyet oppose un artisanat des petites scènes au show business comme
au gigantisme. « Avec Star Academy on veut nous prouver qu’on peut faire
n’importe quoi avec n’importe qui en deux mois et qu’on va le vendre. Sur les
petites scènes on vous montre qu’on ne fait pas n’importe quoi… et que cela
va être long ! En deux mois Star Academy vend une montagne de disques alors
que je fais mon premier disque en solo après des années de métier. Pour moi il
y a dix-sept ans que cela dure. On peut donner rendez-vous à Star Academy
dans dix-sept ans… Ce n’est pas le même métier et les petites scènes sont là
pour prouver que ce n’est pas le même métier. Quand on est dans un stade à
deux cents mètres ou plus d’un écran géant c’est impersonnel. Plus le lieu est
petit et plus c’est personnel. Plus les gens sont directement touchés au cœur.
Quand ils vous voient dans les yeux ils ressentent la sincérité ou son absence.
On ne peut pas tricher dans un petit lieu. Alors qu’on peut faire du play-back
dans un stade. Ne faites pas de play-back dans un bistrot, vous vous feriez
64
Soleil cherche futur
jeter ! Je préfère passer dans mille petits lieux que dans un hall qui va avoir la
taille de mille petits lieux. L’impact sera beaucoup plus grand sur les spectateurs. Cela leur laissera un plus beau souvenir. En tout cas cela me laissera un
1 — Bernard Joyet,
entretien du 15février
2002.
plus beau souvenir. » 1
Les petites scènes suppléent aussi — dans les limites de leurs très modestes
moyens — la carence des media qui ne diffusent qu’une infime partie de la production musicale. Un sondage commandé en 1999 par Chorus et La Scène
montre que le renouveau de la chanson française passe par la scène et non par
le disque. Quatre artistes seulement sur les vingt premiers cités par les professionnels comme « incarnant le renouveau de la chanson en France » sont normalement médiatisés. « Le grand public, celui qui reste passif devant son petit
écran, qui n’écoute et ne regarde que ce qu’il connaît déjà, qui ne se déplace
que pour assister aux spectacles des vedettes les plus médiatisées, ce public-là
— qui forge l’audimat et détermine donc, par défaut, le contenu des programmes audiovisuels — n’a plus aucune possibilité de découvrir de nouveaux
talents… Si bien que la relève de la chanson française ne dispose plus, aujour2 — Fred Hidalgo &
Éric Fourreau, Éditorial,
Chorus, N° automne 1999
et La relève en question(s),
La Scène N° 10,
septembre 1999.
d’hui, que de la scène pour seule vitrine. » 2 On imagine, sans risquer une entorse du cervelet, que ce ne sont pas les gigantesques halls privés où l’on parque
les spectateurs debouts ou les grands théâtres publics qui ont programmé tous
ces gens alors qu’ils étaient tout à fait inconnus.
65
Soleil cherche futur
UN E
PRODUCTION TYPE
Dominique Dumont, producteur, propose une simulation pour une petite production parisienne. Il s’agit ici de présenter le concert d’un trio (on est resté
modeste) que l’on souhaite vendre aux programmateurs. À cet effet on a loué
une (modeste) salle de 100 à 150 places pour quatre (modestes) semaines. « Il
y a un vrai temps d’inertie à Paris. Si on veut faire une production sérieuse,
même en petite salle, il faudrait pouvoir tenir deux mois. En tout cas on ne
1 — Entretien avec
Dominique Dumont en
date du 9 avril 2002.
peut pas faire moins d’un mois. »
BUDGET- TYPE
1
D E P R O D U C T I O N D ’ U N S P E C TA C L E ( E N F R A N C S )
Location salle 2 000 F x 20 jours
40 000
Attachée de presse plus frais (dossiers, affranchissement, etc.)
40 000
Publicité kit forfaitaire du Fonds de soutien (métro et cie)
45 000
Publicité diverse (par exemple : Pariscope, Officiel, Starter plus)
25 000
Total publicité
2 — Commentaire amusé
de Dominique Dumont :
« à 500 F bruts, minimum
conventionnel, ça râle, ce
n’est pas la paix sociale ! »
3 — L’assurance
annulation, indispensable si
on ne veut pas déposer le
bilan pour cause de grippe
ou entorse, couvre les
risques maladie et accident
des artistes. La base de
calcul normale est de 2 à
3 % du budget global.
4 — On n’a pas parlé des
techniciens ou du personnel d’accueil (caisse,
contrôle des billets) dont
on a supposé qu’ils étaient
compris dans le coût de
location de la salle. On n’a
pas compté non plus de
location de matériel en
pensant à un concer t
acoustique. Il s’agit bien
d’une production
modeste…
110 000
Cachets artistes 2 500 F bruts x 20 jours x 3 pour un trio
30 000
Charges sociales sur cachets (43 %)
13 000
Assurance annulation
3
Frais de régie (piles, fumée, autres consommables) 100 F x 20 jours
Total des dépenses
4
5 000
2 000
200 000
Après les dépenses faisons le tour des rentrées. Pour la commodité on va se
baser sur un prix d’entrée de cent francs. [Un prix qui est peut-être trop élevé
pour inciter à venir découvrir des inconnus.] De ce prix il faut sortir la TVA à
2,10 %, la taxe parafiscale de 3,5 % et les droits d’auteurs (SACEM) qui se montent à 10 %. Le total des débours de la billetterie est de 15,6 %. Ce qui nous
fait une rentrée nette de 84,40 F par place. Le total des dépenses étant de
200 000 F pour vingt représentations il nous faudrait une recette quotidienne
de 10 000 F, c’est-à-dire à peu près cent vingt entrées, pour équilibrer les
comptes.
N’oublions pas le fameux temps d’inertie. On peut fort bien, même en étant un
bon producteur qui connaît bien son métier et sait faire la publicité de son
artiste, démarrer à deux entrées payantes par jour. Dominique Dumont dit sans
fard avoir commencé un spectacle à sept payants par jour. Au fur et à mesure
des parutions d’articles dans la presse et du développement du bouche à oreille
on va améliorer le nombre d’entrées payantes. Une moyenne de trente à cin-
66
Soleil cherche futur
quante entrées payantes par jour est selon lui une prévision raisonnable si on
a fait une bonne publicité. « Dans une petite salle même si on fait un carton le
week-end cela ne remonte pas beaucoup la moyenne. Si on a une grosse
demande, on ne peut pas la satisfaire. On ne peut pas mettre deux cents personnes dans une salle de cent vingt places. »
Dans l’hypothèse de trente entrées à 84,40 F x 20 jours on a 50 640 F de recette nette. Le déficit arrondi est de 150 000 F.
Dans l’hypothèse de cinquante entrées à 84,40 F x 20 jours on a 84 800 F de
recette nette. Le déficit arrondi est de 115 000 F.
Sur ce budget, « qui n’a vraiment pas été gonflé », le risque de perte pour un
mois va de 115 000 F à 150 000 F. « Pour compenser la perte les subventionneurs les plus actifs sont le Fonds de soutien, l’ADAMI, la SPEDIDAM, et un peu
moins la SACEM, le FCM et THÉCIF ». Les maisons de disques sont la deuxième
source possible de financement. L’apport se fait en budget de publicité « que
l’on nomme tour support en langage magnifique. On peut décider d’utiliser la
publicité de la maison de disque en plus du budget propre parce qu’on a été
vraiment très léger avec un budget minimal. » Les autres aides que l’on peut
obtenir sont les petits partenariats (un grand partenariat est Télérama) par
exemple en offrant des places en échange d’annonces.
« Que se passe-t-il quand tu as tout fait mais que tu as trente mille ou quarante mille francs de déficit ? On a passé un contrat de deux à cinq ans avec les
artistes. Ce qu’on va avoir perdu, c’est comme de l’investissement, on va le
récupérer plus tard. Mais c’est générateur de grands conflits avec les artistes
dans le développement de leur carrière. Imaginons que tu as accumulé deux
cent mille francs de dettes sur le compte d’un artiste en un an et demi ou deux
ans, — n’oublions pas la possibilité de faire des tournées déficitaires en plus de
la production parisienne déficitaire — et ça se met à marcher. Là tu récupères
ton investissement, mais lui, il n’est pas beaucoup plus payé qu’il ne l’était
auparavant. Et c’est l’explosion… Le moment psychologique où l’artiste décolle est très difficile à gérer. »
« Il faut vraiment y croire fort. Les producteurs anciens sont de moins en moins
à faire du démarrage de carrière à ce niveau parce qu’avec le savoir-faire que
nous avons, nous sommes aussi sollicités par des artistes qui en sont déjà à un
autre stade. Je t’explique tout cela mais je ne fais plus de tels passages dans des
petites salles. Je n’ai pas travaillé avec une petite salle depuis longtemps. On
peut faire la comparaison avec Avignon, c’est la même économie très difficile. »
67
Soleil cherche futur
« Comment récupérer l’argent perdu à Avignon ? C’est le même principe. Tu les
récupères plus tard sur l’exploitation, sur les tournées éventuelles. D’où la complexité des contrats de production. Dans l’inconscient d’un artiste il est normal
qu’un producteur perde de l’argent. C’est normal qu’un producteur investisse
mais il ne peut pas survivre s’il perd tout le temps de l’argent. D’autant plus
que dans le budget que je t’ai montré on n’a pas valorisé le coût de fonctionnement du bureau de production. C’est curieux mais en France on ne le valorise pas. Alors que c’est au minimum quinze pour cent du budget du spectacle.
Les frais généraux représentent huit à dix pour cent auxquels il faut bien ajouter le nécessaire pour que l’entreprise de production vive. Avec un petit budget de spectacle comme celui que nous venons de voir il faudrait compter plutôt de vingt à vingt cinq pour cent. Par exemple pour notre structure [assez solide] avec bureau et salariés, il nous faut quatre mille francs par jour pour le
moindre spectacle en province. Sinon on travaille à perte. À moins de considérer qu’on fait un investissement. »
« Produire un artiste pendant deux mois au Sentier des Halles [cent vingt
places], c’est autant de travail, d’énergie et d’implication personnelle que produire un artiste deux mois au Casino de Paris [mille cinq cents places]. Il n’y a
que les zéros au bout qui changent. Quand tu fais trente mille entrées payantes
avec un artiste tu n’as guère plus de travail qu’avec un artiste qui va faire trois
cents entrées payantes. Le coût de l’attaché de presse est le même, la publicité
n’est qu’une question d’argent et comme tu es financièrement à l’aise tu peux
déléguer une partie du travail. D’un point de vue purement économique il est
plus intéressant pour une société de production de s’occuper de trois artistes
qui marchent bien que de s’occuper de dix petits. C’est une évidence. C’est pour
cela que les artistes ont tous tant de mal à démarrer. Et c’est pour cela qu’il y a
autant d’autoproduction qui reste un bon système puisque c’est ainsi que nous,
de temps en temps, nous arrivons à les voir. Comme c’est monstrueusement risqué, et que l’on est des entreprises privées, on ne prend pas le risque. Et encore, moi je le fais de temps en temps par conviction mais il y a des producteurs
qui ne le font plus jamais. On ne peut pas leur jeter la pierre en tant qu’entre1 — Dominique Dumont,
entretien cité.
preneurs privés. »
1
68
Soleil cherche futur
T ROIS
BUDGETS DE PRODUCTION
Il n’est pas de parole d’évangile en gestion et les méthodes de travail des producteurs connaissent des variantes. On verra ainsi que Daniel Gasquet, producteur des groupes Évasion et Entre deux caisses ne tâte pas le cul de ses poules
pour compter les œufs qu’il aura peut-être demain. Il nous a communiqué trois
budgets de productions de spectacle. Deux ont trouvé place dans le festival off
d’Avignon et la troisième à Paris. En faisant un détour par Avignon on ne
s’écarte pas de notre étude puisque le producteur a utilisé des petits théâtres
1 — Éléments fournis par
Daniel Gasquet, Vocal 26,
entretien du 18septembre
2002.
en location dans le but de vendre des représentations.
B UDGET ENTRE
DEUX CAISSES
AVIGNON
JUILLET
2002 ( EN
1
E U R O S)
Dépenses
Location salle
Logement gratuit
Restauration (faite à la maison d’où un coût dérisoire)
Salaires bruts des quatre artistes
Salaire brut du régisseur
Charges sociales artistes
Charges socailes régisseur
Frais de déplacement (dérisoires car on vit dans le voisinage)
7318
0
351
13800
1288
6900
721
180
Cartes de publicité
Demi-page publicité dans La Scène
Sets de table
Cartes d’invitation
Expédition
Mise sous pli
Graphiste et films
Sous total publicité
2266
522
325
207
1718
274
302
5614
SACEM et taxe parafiscale
Entretien costumes
Administration
862
773
5000
Total
42807
Recettes
ADAMI
Fonds de soutien
Billetterie
Fonds propres
Total
8000
11000
6071
17736
42807
69
Soleil cherche futur
Entre deux Caisses est un groupe de quatre chanteurs qui interprètent des
chansons de grande qualité tirées du répertoire francophone et bien souvent
connues des seuls initiés. On peut évoquer les Frères Jacques pour décrire leur
spectacle mis en scène et interprété avec beaucoup de soin et d’amour pour la
belle ouvrage au détail près que nos interprètes s’accompagnent d’un instrumentarium acoustique diversifié.
Ce passage d’Entre deux caisses au Petit Chien (cent places) a été prévu plus
d’un an à l’avance. On arrive ainsi à Avignon avec une réserve. Elle est constituée par les économies réalisées sur la création pour laquelle on a reçu des
aides et par les sommes non affectées des ventes de représentations. C’est la
stratégie de l’écureuil. On prend un risque malgré tout car on s’engage
— chèque de réservation du théâtre — avant d’avoir les réponses des financeurs potentiels. La recherche de financement se fait alors que le projet est déjà
sur les rails. Néanmoins la règle de Vocal 26 est de ne pas compter sur les rentrées futures. On ne se place pas dans la logique de l’amortissement d’un investissement. On raisonne en examinant la trésorerie et l’objectif est que les
comptes ne soient pas déficitaires après le passage à Avignon. L’intérêt d’une
telle stratégie est de ne pas prendre des risques économiques très lourds, de ne
pas avoir de frais financiers qui font le bonheur du banquier, de ne pas être
trop dépendant des ventes futures, de ne pas avoir l’obligation de récupérer
l’investissement du lancement sur les ventes ultérieures. Cela évite de devoir
gonfler le prix de vente. Le prix de vente ne sera pas pénalisé par un amortissement et cela permet de rester plus aisément en phase avec la demande. On
pourra ainsi vendre des concerts à de petites structures culturelles qui n’ont pas
de gros moyens et la machine n’en tournera que mieux. Ici on s’entend très
bien avec le réseau Chaînon dont les membres d’Entre deux caisses disent
volontiers partager les idées. Le bilan provisoire du passage d’Entre deux
caisses à Avignon est bon puisque plus de 170 programmateurs ont vu le spectacle.
70
Soleil cherche futur
C OMMENTAIRE
SUR LE BUDGET
ÉVASION AVIGNON
JUILLET
2002 (EN
EUROS )
Évasion est un groupe de six chanteuses accompagnées d’un pianiste et d’un
accordéoniste. Le spectacle Étranges étrangers est constitué de chansons en
français, espagnol, arabe et autres langues parlées par ces chanteuses de
Romans (Drôme) issues de l’immigration. Il accorde une place importante aux
poètes ou écrivains et le nom de Nâzim Hikmet résume assez bien le niveau des
auteurs. Le spectacle a été mis en scène, éclairé et chorégraphié avec un bonheur certain.
Le budget beaucoup plus élevé du passage d’Évasion à Avignon tient d’une
part à l’importance du groupe — huit personnes sur scène contre quatre pour
Entre deux caisses —, à des défraiements plus importants, à la location d’une
salle plus grande et plus chère — le Chien qui fume, deux cents places — et à
une imputation des coûts de gestion proportionnelle au chiffre d’affaires du
groupe qui est plus ancien et tourne beaucoup plus.
On remarquera également, cela vaut pour Évasion comme pour Entre deux
caisses, que la billetterie ne représente qu’une petite partie des rentrées. Cela
est dû à des tarifs modestes pour être attractifs alliés à un grand nombre de tickets exonérés.
Le bilan provisoire des trois semaines à Avignon est bon puisque le spectacle a
été vu par les programmateurs de 250 structures. Comme pour le groupe Entre
deux caisses on connaîtra en début d’année 2003 le bilan définitif de ce passage à Avignon lorsque les achats de représentations seront effectués pour la
programmation de l’année 2003-2004.
71
Soleil cherche futur
BUDGET ÉVASION AVIGNON
JUILLET
2002 (EN
EUROS )
Dépenses
Location salle
Location piano
10671
686
Hébergement
4 756
Défraiements
960
Transports
654
Salaires bruts six chanteuses
18900
Salaires bruts musiciens
4620
Charges sociales chanteuses
7361
Charges sociales musiciens
1848
Salaires bruts régisseurs
1921
Charges sociales régisseurs
1076
Honoraires répétiteur
Cartes publicitaires
265
2266
Sets de tables
975
Page de publicité dans La Scène
711
Expédition
1718
Cartes d’invitation
426
Sous-total publicité
6096
SACEM et taxe parafiscale
1796
Administration
15000
Divers
1590
Total
78200
Recettes
Billetterie
Vente de disques
SPEDIDAM
14600
2500
11000
Ville de Romans
2900
Fonds de soutien
20000
ADAMI
11000
FCM
7800
Fondation France Télécom
8400
Total
78200
72
Soleil cherche futur
LE
PA S S A G E D ’É VA S I O N A U
CAFÉ
DE LA DANSE À
PARIS
EN SEPTEMBRE
2002
Nous faisons une petite entorse à la règle fixée pour notre mémoire avec ce
passage dans une salle de trois cent cinquante places. Hors le coût de la location, plus élevé, (six mille euros avec les frais techniques) cette taille ne modifie pas sensiblement les autres postes de dépense. Et ne change rien au sens de
la démarche entreprise.
On remarquera tout d’abord — avec une dépense totale de trente et un mille
euros — que trois soirées à Paris coûtent proportionnellement beaucoup plus
cher qu’un passage de trois semaines à Avignon. Mais le passage au Café de la
danse est complémentaire du passage à Avignon Off. Si seulement une trentaine de programmateurs sont venus au Café de la danse le but était d’abord
de générer du battage médiatique. D’où le recours à une attachée de presse.
Sept mille euros. Auxquels on ajouté six mille trois cents euros pour toute la
communication et la publicité. Les soirées au Café de la danse ont permis d’obtenir un passage au Treize-quatorze — très écouté — de France Inter et des
articles notamment dans l’Express et dans le Parisien. Des media très certainement intéressés par le fait que les trois soirées parisiennes accompagnaient la
sortie du nouveau disque correspondant au spectacle. Suite à ce passage sur les
ondes de France-Inter les programmateurs appellent le producteur. Paris a bien
servi à conforter le passage à Avignon.
73
Soleil cherche futur
ART
O U BU S I N E S S
?
Parler de chanson dans le monde culturel c’est s’infliger l’obligation d’un
parcours initiatique avec meurtre rituel. Tordre le cou — au minimum
pour la cent millième fois — au réflexe conditionné par une idéologie de
pacotille du « cultureux de base » (Bernard Joyet) pour qui la chanson est
synonyme de montagne de pognon accouchée par le disque. Eh bien tordons encore une fois ce cou si résistant au torticolis.
1 — Jean Paul Sermonte,
livret de C’est toujours la
première fois, compilation
de chansons de Jean
Ferrat, Barclay/Polygram,
1998.
2 — Gilles Bleiveis, créa teur de Sibécar, maison
d’édition et de L’Escargot,
maison de disques, in
Chanson N° 26, mai 1977.
3 — Bernard Joyet, chan teur, entretien du 15février
2002.
« Si la musique est un bruit qui pense, comme l’a écrit Victor Hugo, en
revanche dans les années soixante la musique était justement un bruit qui
ne pensait pas. La chanson était devenue un « produit ». Mouloudji qui
venait de fonder sa propre maison de disques dénonçait : Il est temps que
cessent le scandale de la chanson et l’abêtissement du yé-yé… Le métier est
tombé aux mains des mercantis. Tout était déjà truqué en 1954, on nous
traitait comme des marques d’apéritifs. Maintenant, c’est pis ! On pratique
la ségrégation de l’âge. On exploite les jeunes et le plus gros du fric qu’on leur
soutire, ce sont des quinquagénaires qui l’empochent… » 1
« La chanson est un mode d’expression méprisé. Je ne suis pas d’accord
avec l’attitude du monde culturel par rapport à la chanson. Il ne voit que
son côté méprisable — truc à fric — alors qu’elle est le moyen par excellence de communiquer entre les hommes. Un moyen, à mon avis, aussi
important que le cinéma. Mais elle est entre les mains de puissances
financières, le plus souvent étrangères, qui pensent chiffres avant la qualité des matériels qu’elles exploitent et rabaissent au rang de produits. » 2
Pas mal d’années et presque autant de ministres de la culture plus tard
plus tard ce vieux thème est toujours furieusement contemporain et
continue à faire l’objet de reprises de la part de nombreux interprètes.
« Les petites salles sont considérées comme des commerces. Et ne le
devraient pas. Les artistes sont considérés comme des profiteurs d’un
commerce, comme des commerçants. » 3 Un thème hélas inusable qui
inspire d’innombrables refrains. « En France les collectivités publiques
74
Soleil cherche futur
1 — François Chesnais,
entretien du 26 avril 2002.
2 — Rapport de la
Commission nationale des
Musiques Actuelles à
Catherine Trautmann,
Ministre de la Culture et de
la Communication, 1998,
page 27.
considèrent la chanson comme un business. Dans la tête de nos énarques,
la chanson égale industries phonographiques, égale show-biz, égale gros
profits. » 1 Avec ces couplets où le galant se désole de constater que
l’amour n’est toujours pas partagé. « Les acteurs économiques de la filière musicale ne se sentent absolument pas reconnus par les différents services du Ministère de la Culture. Tout se passe comme si éternellement
le livre et le cinéma devaient être les deux secteurs économiques légitimes, la musique classique et contemporaine représentant pour leur part
la légitimité culturelle. » 2
La chanson, toutes esthétiques confondues, souffre trop souvent aux
yeux du monde culturel de cette image « commerciale ». Il ne saurait être
question de nier que des productions sont motivées par l’appât du gain.
Que des cachets princiers sont exigés par des étoiles du jour. Ou qu’il
rôde autour des artistes une faune nombreuse qui est là pour des raisons
tout sauf philanthropiques.
Mais ramener la chanson à un « truc à fric » ou à un « business » c’est
faire une généralisation excessive. C’est faire bon marché de ceux qui
écrivent, composent, interprètent, parce qu’ils portent en eux cette poussière d’étoile, ce soleil incandescent. C’est oublier qu’à côté des productions industrielles standardisées existent aussi des artisans amoureux de la
belle ouvrage. C’est oublier qu’à côté de quelques noms richissimes, pas
nécessairement géniaux, survivent parfois dans la difficulté mille artistes
au talent méconnu.
3 — Castafiore Bazooka
sous la direction
d’Elizabeth Wiener, Au
cabaret des illusions per dues, disque Lucie, 1996.
« Cet album a été réalisé dans des conditions matérielles d’une délicate
modestie mais dans le plus grand luxe qui soit : la liberté. Pas de concession ni de condition, pas de P.-D. G. ni de directeur artistique aux
angoisses métafric, juste de la confiance, de la patience et de l’amour qui
sont les seuls signes intérieurs de richesse que nous sommes fières d’afficher. » 3
Faire d’un genre, la chanson, un synonyme de pompe à fric, c’est faire
une généralisation outrancière et abusive. Combien de fois avons-nous
entendu opposer l’ensemble indifférencié des « musiques actuelles »,
75
Soleil cherche futur
« commerciales » comme il se doit, à la musique « sérieuse » ?
1 — Selon Rappels, la
revue des théâtres privés,
N° 4, février 2002.
2 — François Chesnais,
entretien du 26 avril 2002.
La musique classique, au sens le plus large de ce terme, serait un îlot de
désintéressement dans ce bas monde voué au dieu argent. Hâtons-nous
de jeter un voile pudique — tissé avec de la tôle de blindage de coffrefort helvétique — sur les cachets astronomiques des chanteurs lyriques,
des pianistes, des violonistes, des chefs d’orchestre célèbres… Et pourtant
on ne réduit pas la musique classique à des salaires aussi scandaleux que
faramineux. Pas plus qu’on ne réduit le théâtre public aux détournements
de fonds d’un Planchon, aux dépenses somptuaires d’un centre dramatique national ou à la gestion calamiteuse d’un Nordey. Pas plus qu’on ne
réduit le théâtre au seul théâtre de boulevard ou aux 17 000 représentations de Boeing boeing de Marc Camoletti 1 ce qui doit tout de même
faire un assez joli paquet de droits d’auteur. Pas plus qu’on ne réduit les
arts plastiques au montant des enchères lors de la vente d’un tableau de
Vincent van Gogh. Ne me demandez pas combien ça fait en euros.
« Il y a des comédiens qui vivent de la scène et ne font pas de cinéma ou
de télévision. Pourquoi ne pas se poser la question d’un chanteur qui
ferait de la scène sans se préoccuper d’une carrière phonographique ? En
outre le disque peut aussi — au même titre que le recueil de poésie par
exemple — être un document, un livre sonore qui conserve une certaine
confidentialité, qui ne rentre pas forcément dans une logique de profit.
Beaucoup d’artistes vendent des disques à la sortie de leurs spectacles
mais peu — ou souvent pas du tout — dans les bacs des disquaires. On
est dans une économie artisanale et complètement différente de celle des
grands tirages. Tant qu’on sera pas sortis de cette vision fric les petits lieux
ne seront pas considérés comme des lieux d’expérimentation. Ils ne
seront pas subventionnés au même titre que des théâtres peuvent
l’être. » 2
Quand on parle de gastronomie française on ne pense pas nécessairement
aux boîtes de raviolis Leader Price. « On mélange la musique de danse
chantée avec la chanson. La musique de danse où la voix est un instru-
76
Soleil cherche futur
1 — Bernard Joyet, entretien du 15 février 2002.
2 — Christine Hudin,
entretien du 9 avril 2002.
3 — Serge Utgé-Royo,
entretien du 25février
2001.
ment de musique comme les autres. Que le texte dise la la la ou je t’aime on se fout des paroles. Dans le même ordre de confusion si on parlait
de peinture on mélangerait Ripolin et Rembrandt. Pour repeindre son
mur on n’a pas besoin, et c’est même difficile, d’entendre une chanson de
Brel. Il vaut mieux avoir Claude François. Parce que ça s’en va et ça
revient. Et pour le pinceau c’est très bien. Par contre, si c’est Brel, on pose
le pinceau. La chanson, pour moi, c’est quand on pose le pinceau. » 1
« Je ne parle pas d’une chanson faite pour les intellectuels mais une chanson INTELLIGENTE qui te prend non par le plus bas mais par le plus haut.
Qui fait appel à ce qu’il y a de meilleur en nous. Qui va nous ouvrir
d’autres horizons. » 2
« C’est triste que le même vocable — chanson — puisse regrouper autant
de choses si dissemblables. Les petites nanas et les gars qui bêlent des
chansons fabriquées pour faire des tubes pour passer à la télé. Ce ne sont
pas uniquement des tubes, c’est aussi de la chanson en tube. Céline Dion
marche très fort et pof ! il y a dix clones de Céline Dion. Et on trouve
d’un autre côté des concerts dont les auditeurs se disent que ce sont des
spectacles qu’on ne verra pas à la télévision, que ce ne sont pas des produits manufacturés en boîte avec un ruban rose. » 3
Il se trouve, même si on peut le regretter, que le mot chanson sert à désigner des productions très disparates. Mais c’est la même chose pour le
mot cinéma et pourtant il est acquis depuis belle lurette que dans cette
discipline il y a un cinéma d’art et d’essai à côté d’un cinéma ouvertement commercial avec, entre les deux, un cinéma grand public de
qualité. On ne considère pas l’ensemble du cinéma comme commercial. Il est étrange que ce soit un argument toujours ressassé pour la
chanson. Cela dénote une faiblesse de la pensée, une inaptitude à distinguer les nuances, une remarquable absence d’analyse.
« Il est sans grand intérêt de raisonner en productions commerciales
opposées aux productions non-commerciales. On ne s’en sort pas si
on aborde la discussion en ces termes. De toute façon on produit
quelque chose que l’on vend. Même quand ce n’est pas rentable il y a
77
Soleil cherche futur
un acte de commerce ou un échange monétaire. Si vous retirez un
revenu d’une activité vous êtes dans une forme de commerce puisqu’il
y a de l’argent en jeu. On ne peut opposer que le bénévolat à cette
1 — Marianne
Valkenburg, conseillère
musique et danse, entretien du 6 octobre 2002.
vision simpliste. »
1
« Il vaut mieux raisonner en opposant industrie et artisanat. On dit
« pas commercial » seulement parce que ce n’est pas fabriqué à grande échelle. Et il faudrait encore nuancer. Car même dans les industries culturelles c’est la reproduction qui est industrielle. Et pas la production elle-même. Quand on donne des subventions on doit réfléchir. Pourquoi donner ou ne pas donner des subventions ? Pour
quelles raisons soutient-on certaines formes de production artistique ?
En général c’est parce que l’on veut soutenir une activité artisanale et
que l’on sait qu’aujourd’hui l’artisanat est difficilement rentable. Il est
plus intéressant d’explorer cette volonté de soutien d’activités artisanales, d’activités non rentables. Parce que cela vaut aussi pour d’autres
domaines et pas seulement pour l’art. Par exemple la collectivité
finance l’entretien de chemins qui ne servent aujourd’hui que pour la
randonnée ou la promenade — une utilisation non rentable — alors
2 — Idem.
que naguère l’agriculture assurait un entretien qu’elle rentabilisait. » 2
« On peut parler de production commerciale dans un cas précis.
Lorsque le seul ou le principal motif de la production — le mobile du
crime ! — est de générer de l’argent. Ce que Jacques Prévert nommait
par dérision la musique de droits d’auteur. »
3 — Ibidem.
4 — c f. Étude
d’implantation d’une salle
de grande capacité, dossier
de la société Pointbleu,
commande du Fonds de
soutien, décembre 2001.
Notre spectacle, aussi distrayant soit-il, se veut aussi éducatif. Un petit
détail, bien qu’un tantinet dispendieux, ne manquera pas d’amuser le
contribuable qui sommeille en toi, cher et vaillant lecteur qui souhaite
t’instruire. Le coût actuel de la construction d’un Zénith varie de 120 à
200 millions de francs. 4 Coût entièrement pris en charge par la collectivité. De même que le déficit chronique d’exploitation qui frappe cruellement à peu près tous les Zéniths hormis celui de Paris. Du conseil
régional à la municipalité, tout le monde casque. Le ministère de la cul-
78
Soleil cherche futur
ture donne dix-sept millions de francs pour la construction de chaque
Zénith. Le contribuable est sympa. Et le ministère pas trop regardant. Un
Zénith n’accueille que de très grosses productions — remplir une salle de
trois à huit mille places n’est pas chose si aisée — dont nombre de chèvres
bêlant en cadence regarde mes seins et dis moi si je chante bien et autres
boys bands à torses épilés, huilés, bronzés et body-buildés dont on ne
jurerait pas que l’amour de l’art soit le moteur de la brève mais lucrative
carrière musicale. Les beaux esprits qui nous objectent toujours l’aspect
commercial de quelques productions pour refuser trois euros et cinquante centimes aux petites scènes de chanson devraient s’émouvoir lorsque la
collectivité claque sans sourciller deux ou trois millions d’euros pour
donner un nid douillet aux couvées les plus commerciales et clairement
racoleuses, non seulement en musique, mais aussi en danse et en théâtre.
1 — Pascale Bigot, in Le fil
d’Arianne N° 6,
décembre 1998.
2 — Bertrand Cantat,
chanteur du groupe Noir
Désir, raconte avec une
véhémence certaine qu’une
journaliste d’Europe de
l’Est a entamé un entretien
avec lui par : « Vous êtes
dans le music business
depuis… »
3 — Emmanuel Dupuy,
Diapason N° 477,
janvier2001, page 15.
Autre petit détail tordant. Ami contribuable, désolé, mais tu vas encore
être essoré. Quand un grand théâtre public subventionné programme un
récital de chanson — en général c’est une fois dans l’année — que programme-t-il ? L’un de ces très nombreux inconnus ou méconnus talentueux qui rament habituellement sur de petites scènes ? Ben non, faut pas
rêver, on a droit une fois de plus à une « vedette » — certes à la production de bonne qualité mais aussi et surtout bien médiatisée — qui vend
les disques par palette. Et demande des cachets croquignolets. Pascale
Bigot nomme cette pratique « le prestige consensuel ». « […] Le nom sert
à ouvrir la saison ou à vendre l’abonnement — comme un produit d’appel en supermarché. » 1 Et c’est drapé dans la toge immaculée de sa belle
pratique si loin des us du vil commerce moderne que notre programmateur de disciplines nobles nous administre de belles leçons de morale au
sujet de la chanson qui est forcément du « music business ». 2
Tiens, histoire de se consoler après ces sinistrosi en clusters compacts, on
termine sur une mesure qui nous met un allegretto entre les oreilles.
Musique ! maestro : « Plus que la musique dite « sérieuse », c’est probablement la chanson qui a le mieux exprimé tout au long du siècle qui
vient de s’achever l’esprit du temps, ses doutes, ses espoirs et ses incertitudes. » 3 Merci Diapason.
79
Soleil cherche futur
PR O D U C T I O N
ET AUTOPRODUCTION
Mais où est la sortie de secours ? On voit bien que, pour assurer à la fois un
revenu décent à des artistes et une diffusion raisonnable de leur spectacle, les
sommes mises en jeu sont hors de portée de la plupart des individus. Le recours
à une entreprise de production n’est pourtant pas toujours bien perçu.
Il y a des clichés qui ont la vie dure. Pour le monde culturel le producteur est
consubstantiellement affublé d’un gros cigare. On ne va pas s’attarder sur cette
image convenue. D’autant que les producteurs de cet ordre ont généralement
déserté la chanson depuis belle lurette au profit de prairies show biziques
autrement plus grasses où les chèvres vendent leur compact crottin par centaines de milliers d’exemplaires et remplissent de vastes Zéniths [généreusement subventionnés comme on l’a vu].
Nous parlons plutôt ici de gens qui ont un savoir-faire et ont recours aux petites
salles pour la promotion des artistes. Le producteur peut être l’alter-ego de
l’administrateur de compagnie dramatique ou chorégraphique. Mais le producteur compétent fait tout un travail d’accompagnement d’artistes, de développement de carrière, de développement artistique, qui embrasse un champ
plus large que celui de l’administrateur de compagnie inféodé aux demandes
de l’artiste. On voit depuis quelque temps apparaître des bureaux de théâtre
qui ont des fonctions qui se rapprochent de celles des producteurs avec l’administration de plusieurs compagnies théâtrales qui permet de faire des économies d’échelle et cette même indépendance critique à l’égard de l’artiste qui
permet de le faire progresser.
Dominique Dumont donne un exemple concret de son travail d’accompagnement d’artistes. « Un aspect artistique qui est une injustice folle : arriver à Paris
trop tôt par rapport à la maturité du projet c’est se faire dézinguer alors qu’il
faut bien commencer un jour ou un autre. Quand tu es à Paris, même dans une
petite salle, on estime automatiquement que c’est un spectacle abouti. C’est un
enfer pour l’artiste ! Comment rôder un spectacle, comment l’améliorer ? Tu ne
peux pas le faire sans public. Et si tu le fais à Paris avec les moyens habituels
d’un producteur on te dit : ce n’est pas mal, mais c’est trop long, ou ce n’est pas
prêt. On te fait part de ses réticences. Avec cela tu repars pour un an, deux ans,
voire trois ans de supplément [avant de vraiment pouvoir vendre le spectacle].
J’ai une petite méthode personnelle pour surmonter cet obstacle. Des théâtres
me prêtent leur petite salle pour des auditions privées. C’est une sorte de show
case, une répétition publique, ce qu’on appelle en théâtre une lecture. Avec ce
80
Soleil cherche futur
système d’audition en matinée on sait que l’on est convié à voir un travail en
cours et c’est psychologiquement très différent pour les professionnels. Tu vois
les réactions du public et tu écoutes des avis compétents. On te dit que le début
n’est pas bon mais que, par contre, telle autre partie est superbe. Tu retravailles
et cela te permet de gagner beaucoup de temps dans le domaine artistique. Tu
peux multiplier ces auditions. Je fais ainsi travailler le spectacle solo d’une
comédienne depuis un an. Nous avons déjà fait une dizaine d’auditions à raison d’environ une par mois. Mais pouvoir faire de telles auditions demande
une antériorité d’années de travail. Ce qui donne un réseau de relations, la
chance de se faire prêter un théâtre, de pouvoir trouver cinquante personnes
— dont des professionnels — qui vont venir voir un spectacle à la suite d’un
simple appel téléphonique. Le coût est dérisoire. Et c’est une opération très
motivante pour l’artiste. Car même un metteur en scène ne peut pas tout faire.
Il y a quelque chose d’inexplicable dans la nécessité d’avoir un public. Quand
tu mets un artiste devant vingt ou trente personnes cela suffit pour voir si artistiquement ton spectacle tient le choc. L’audition remplace aussi des semaines
de location coûteuse parce que tu peux inviter de façon informelle des journa1 — Dominique Dumont,
entretien du 9 avril 2002.
listes et des programmateurs. » 1
Être producteur c’est savoir accompagner un artiste dans tous les domaines,
avoir un œil critique sur chaque aspect du spectacle. « Les prestations techniques ont énormément augmenté depuis que je fais ce métier. Aujourd’hui
même un spectacle qui débute est foutu s’il n’a pas de bonnes lumières et un
bon son. Il ne peut même pas être catalogué comme spectacle. Le niveau global des spectacles a incroyablement monté depuis vingt ans. » 2
2 — Dominique Dumont,
idem.
Un bon producteur est le moteur d’un développement de carrière. Nous avons
vu combien est essentielle sa capacité à mettre en place le plan de financement
nécessaire à chaque opération de ce développement, sa capacité à réunir les
moyens de ses actions. « Sans le Fonds de soutien il n’y aurait plus rien. C’est
l’outil le plus efficace. Il y a toute une panoplie de programmes d’aide : aide au
show case, aide au développement de carrière, aide à la tournée, aide à la pré3 — Dominique Dumont,
ibidem.
sentation à Paris. »
3
« La différence entre le petit spectacle de Bruno Darraquy [avec un pianiste
accompagnateur] pendant cinq jours aux Déchargeurs [cent places] et le gros
spectacle de Serge Utgé-Royo [avec trois musiciens accompagnateurs] pendant
cinq jours à l’Européen [trois cent cinquante places], c’est que je vais perdre
plus d’argent à la fin. Je mise sur le long terme. Pour Serge nous récupérerons
vite [l’important déficit] avec la vente de disques. Pour Bruno, si j’arrive à
vendre dix à quinze fois son spectacle en France, si on y ajoute quelques spectacles en Belgique, si on y ajoute un peu de ventes de disques, je ne vais pas
81
Soleil cherche futur
1 — Christine Hudin,
entretien du 9 avril 2002.
gagner d’argent mais je vais finir par ne pas en perdre. » 1 Christine Hudin prévoit un déficit de vingt à vingt cinq mille euros pour Serge Utgé-Royo, somme
qui sera récupérée en quelques mois. Elle prévoit un déficit de cinq mille à six
mille cinq cents euros pour Bruno Darraquy pour qui elle prend beaucoup plus
de risques et mettra un an, voire beaucoup plus, à récupérer la somme investie. On voit par cet exemple combien la volonté de promouvoir un chanteur qui
interprète Gaston Coûté (poète mort en 1911) est importante dans la décision
du producteur « militant » et dépasse le seul calcul économique à court terme.
« Ce qui a tué la chanson d’expression, la chanson d’auteur, la chanson de création ou autres noms pour la qualifier comprenant les plus méchants, [Christine
Hudin parle volontiers de « chanson chiante » pour désigner la production des
chanteurs qu’elle soutient !] c’est la volonté de rentabilité rapide et à tout prix.
La différence avec nous, petit îlot, dernier des Mohicans ou village gaulois irréductible, c’est qu’on ne mise pas pour que cela rapporte vite et gros. On mise
pour que ce type d’expression puisse exister. Universal ou EMI sont des gens
pressés. À l’image du capitalisme dans lequel on vit, à l’image des hommes politiques qui ne s’interrogent pas sur ce qui va se passer après eux dans dix ou
vingt ans. Nous, nous sommes fous, mais nous avons le temps. » 2
2 — Christine Hudin, idem.
L’aspect économique n’est qu’une partie d’un vaste ensemble de savoir-faire.
On a vu avec Mysiane Alès que le choix de la salle est déterminant. Et c’est aussi
l’accumulation de mille petits détails qui fait le succès ou l’échec d’un passage
parisien. Thierry Chenavaud a ainsi obtenu de bons résultats en choisissant de
donner le récital de Joël Barret à 19 heures. Nombre de programmateurs sont
venus les vendredis et samedis avant d’aller voir un autre spectacle plus tard en
soirée. On a su ainsi habilement compenser une notoriété peut-être insuffisante pour attirer certains programmateurs.
Le système des entreprises de producteurs montre rapidement ses limites. Les
producteurs qui s’attachent à promouvoir des concerts de qualité ne sont pas
très nombreux. Si l’on souhaite faire un bon travail — de longue haleine — on
ne peut s’occuper d’un grand nombre d’artistes. Ainsi Mysiane Alès ne s’occupe que de Juliette et de Dikès. Et Christine Hudin n’a que cinq chanteurs dans
son catalogue. On bute aussi sur des limites économiques. Comme on est toujours sur le fil du rasoir on a l’obligation de savoir mesurer les risques encourus
même si chacun a ses méthodes pour les limiter afin d’assurer sa simple survie.
Bien souvent chez un producteur c’est la tête d’affiche — celui qui fait tourner
la boutique avec une bonne partie du chiffre d’affaires — qui permet le lancement des nouveaux ou le maintien de ceux à petite audience — qui, même lors-
82
Soleil cherche futur
qu’ils ne font pas de déficit, ne génèrent pas un chiffre d’affaires suffisant pour
assurer la simple survie de l’entreprise. « Vous vous servez de nous pour faire
grandir ceux qui nous foutront bientôt à la porte. » Selon Dominique Dumont
c’est un trait d’humour que l’on prête à Eddy Mitchell. Ce ratio entre artiste
confirmé assurant la vie de la maison de production et artistes nouveaux venus
ou restant dans une zone intermédiaire très fragile est une autre limitation
économique. Bien des producteurs expérimentés comme Jean-Michel Joyeau le
disent ouvertement : « En tant que producteurs nous ne faisons pas de lance1 — Entretien du 12 avril
2002.
ment de carrière. »
1
Ce sont les novices qui le font et qui en assument les
risques. Nombre des artistes qui ont émergé ces dernières années ont été lancés par de jeunes provinciaux inconnus des gens de métier. Rappelons-nous que
Dominique Dumont disait qu’il est plus intéressant pour un producteur, d’un
point de vue économique, d’avoir seulement trois artistes qui marchent bien
plutôt que dix moyens. De plus beaucoup de chanteurs parvenus à une forte
notoriété se produisent eux-mêmes. Ce qui implique qu’ils ne « subventionnent » plus un producteur qui va utiliser sa marge de manœuvre pour investir
dans des lancements ou des maintiens de carrière. Peu de producteurs impliqués dans la chanson de qualité qui s’occupent de peu d’artistes et nous voilà
devant un goulet d’étranglement.
À cette situation tendue des entreprises de production Jean Favre ajoute
d’autres raisons expliquant les problèmes rencontrés par les chanteurs. « On le
ressent de plus en plus. Il y a une énorme difficulté à professionnaliser les
artistes en raison de l’incroyable inertie du ministère de la culture et des
grosses opérations télévisées qui font des artistes qu’on fabrique et qu’on jette
très vite. Entre les deux une génération et des types d’artistes ont beaucoup de
mal à vivre de leur métier. Ils n’arrivent souvent à survivre que parce que le
régime ASSEDIC des intermittents du spectacle est assez protecteur ou bien ils
ne vivent pas de leur métier. » 2 Chanter René-Guy Cadou comme le fait Môrice
2 — Jean Favre, entretien
du 22 avril 2002.
Bénin, chanter les poèmes inédits de Louis Aragon comme le fait GérardAndré, faire un disque mettant Paul Éluard en musique comme Gérard Pitiot
ne nourrit pas son homme. En outre avoir plus de quarante ans est un handicap aussi lourd pour un chanteur que pour une comédienne de cinéma.
La conséquence de cette situation économique tendue est que beaucoup de
chanteurs — dont la quasi-totalité de ceux qui commencent et de ceux qui,
ayant dépassé la quarantaine, n’ont pas acquis une notoriété indiscutable —
sont contraints à l’autoproduction. C’est paradoxal. On a cité longuement
des producteurs alors que les chanteurs, dans leur immense majorité, travaillent en autoproduction et se débrouillent dans la solitude. Les mieux
aguerris — ils sont sans doute assez nombreux mais ce ne sont pas eux que l’on
verra se lancer dans un passage parisien hasardeux — savent diriger leur peti-
83
Soleil cherche futur
te barque hors des grandes routes maritimes. Quitte à consacrer plus de temps
à la gestion lato sensu qu’à leur activité proprement artistique. Ou en utilisant
les services d’un agent rétribué à la commission pour la vente des concerts et
d’une association de services pour l’établissement des cachets et des déclarations afférentes.
Beaucoup de ces artistes n’utilisent que peu ou pas les aides du Fonds de soutien et des sociétés civiles. « Elles sont mal connues des artistes autoproduits.
C’est un vrai problème : le Fonds de soutien n’est ouvert qu’aux producteurs
munis d’une licence. Ce n’est pas faire de la délation de dire que souvent les
artistes sont autoproduits à la sauvette. Pas de respect des minima salariaux,
pas de licence, etc. L’accès des grands subventionneurs — ADAMI, Fonds de
soutien, etc. — est un peu verrouillé. Il nécessite d’être professionnel. Mais cet
accès est verrouillé pour professionnaliser une activité. Pour dire que c’est un
métier et que même si des gens démarrent il faut par exemple qu’ils paient des
1 — Dominique Dumont,
entretien cité.
charges sociales pour avoir une couverture sociale. »
1
Pour pouvoir être éligible à une aide du Fonds de soutien — devenu CNV,
Centre national des variétés, depuis le 1er octobre 2002 — un producteur doit
avoir un an d’existence, doit avoir acquitté la taxe parafiscale, etc. « C’est non
seulement le spectacle mais aussi la structure de production qui est examinée
à la loupe. Finalement un producteur ne doit pas être un débutant. Alors que
l’on pourrait penser qu’il faut aider ceux qui débutent. Ce n’est pas le cas. Il
2 — Jean-Michel Joyeau,
entretien du 12 avril 2002.
faut déjà avoir fait ses preuves. »
2
Les artistes épaulés par un producteur bénéficient de son savoir-faire qui
leur évite bien des erreurs. Les artistes autoproduits qui tentent une aventure parisienne n’ont souvent pas de vision globale de l’économie de la
chanson, du fonctionnement du milieu professionnel public comme privé et
des nécessités de ce passage. Obtenir une réflexion un peu poussée et argumentée sur l’autoproduction de la part de ces chanteurs est chose assez
malaisée. Le chanteur autoproduit qui a fait l’effort financier d’une location parisienne et a essuyé un échec est souvent peu loquace hormis pour
dire que la pilule est amère. Cela semble — à première vue — un peu étrange mais les producteurs ont souvent une meilleure analyse de l’autoproduction, de ses avantages et de ses fréquentes carences, que les artistes
autoproduits.
Ainsi Mysiane Alès émet des doutes sur l’utilité des locations de caves et se
demande qui a démarré à la cave X ou à la cave Y. Il y a bien quelques noms
84
Soleil cherche futur
quand on cherche. Mais ils ne sont pas très nombreux. « Par contre des gens qui
se sont noyés en investissant beaucoup d’argent qu’ils n’avaient pas, en mettant leurs derniers espoirs là-dedans, alors là, j’en connais des paquets. »
1 — Entretien du 28 mars
2002.
1
Le
fait de se produire dans une cave n’est sans doute pas la seule cause de l’échec
de ces autoproductions. Si les producteurs rechignent souvent à louer une cave,
c’est d’une part en raison de la médiocre qualité de certaines, en raison de
l’image démodée « rive gauche » qui leur colle aux fesses et va déteindre sur
un récital de chanson dite « classique » alors que si ça groove grave y’a pas
d’embrouille. Mais si les caves n’ont pas toujours la faveur des producteurs
expérimentés c’est peut-être aussi en raison de leur location fréquente par des
chanteurs autoproduits qui n’ont pas mis toutes les chances de leur côté en
proposant un spectacle irréprochable, tant sur la scène que dans l’accueil du
public. Si le Théâtre de dix heures a une excellente réputation c’est aussi parce
que les spectacles qui y sont programmés sont toujours de qualité et parce qu’il
y a une certaine homogénéité dans la programmation.
Il faut aussi ajouter le défaut d’investissement en communication du chanteur
autoproduit qui trouve que la facture de location est suffisamment salée pour
ne pas y ajouter une somme très supérieure en publicité, relations avec la presse et avec les professionnels. Et pourtant… « C’est un investissement tellement
lourd, c’est évident, il faut une attachée de presse qui travaille en amont. Le
producteur doit faire son travail de producteur qui est d’amener tous les programmateurs, c’est le b a ba, sinon ce n’est pas la peine de faire une longue
durée [de passage dans un théâtre]. Combien d’artistes a-t-on vu faire l’effort
d’une location sans avoir l’entourage professionnel ? C’est une catastrophe. Au
2 — Geneviève Girard,
entretien du 22avril 2002.
bout il n’y a que la frustration, le temps et l’argent perdus. »
2
Dans les régions les DRAC reçoivent des demandes de subventions pour financer des passages à Paris de chanteurs autoproduits. L’examen des budgets prévisionnels fait ressortir divers éléments. Tout d’abord une importante surestimation de la billetterie dans les recettes. Alors que l’on a vu combien est dérisoire l’apport de la billetterie dans les budgets cités. Ensuite les cachets sont
payés au tarif minimum conventionnel. Certainement parce que l’on ne veut
pas « gonfler » un budget qui affole déjà l’impétrant par la dernière ligne sous
le trait en bas à gauche… Enfin un montant dérisoire est consacré à la communication. On a ainsi pu éplucher le budget de plus de 200 000 F d’un projet
de passage à Paris durant trois semaines d’un spectacle musical qui réservait un
peu moins de 10 000 F à l’ensemble de la communication.
85
Soleil cherche futur
Thibaud Couturier, chanteur autoproduit : « La leçon : il faut arrêter d’essayer
de faire ce qu’on ne sait pas faire. Tu fais des chansons : tu les chantes. Mais
1 — Entretien du 2 mars
2001.
moi, je suis incapable de vendre un spectacle. » 1 Être conscient de ses limites,
c’est très bien, mais comment sortir de l’impasse ? Comment répondre aux difficultés rencontrées par les artistes pour donner des concerts et par le public à
la recherche de chanson vivante ? L’état des lieux nous incite à penser qu’il n’y
a pas d’issue de secours quand on reste dans la recherche de solutions individuelles. Ce qui nous conduit à proposer un projet culturel qui s’éloigne de
simples aménagements techniques.
86
Soleil cherche futur
PO U R
U N E P O L I T I Q U E C U LT U R E L L E D E L A C H A N S O N
Un entrefilet du Monde en date du 4 juin 2001 nous apprend qu’une plaque
commémorative vient d’être posée sur la maison natale de Barbara. On rencontre des mauvais coucheurs pour exploser à ce type de nouvelles aussi anodines de premier abord. « Comme on disperse les biens de Barbara dans des
ventes publiques, Jérôme Garcin, du Nouvel Observateur, et quelques
autres ont écrit au ministère de la culture pour demander qu’il se porte
acquéreur. Je ne veux pas troubler les amateurs du souvenir napoléonien
dans leur fascination […] Moi, je cherche seulement des artistes, des
œuvres, des hommes. Mais chacun son goût. Le ministère a affirmé, à ce
qu’il paraît, sa volonté de faire jouer un droit de préemption. Alors ça, ça
me scandalise. Car le ministère n’a jamais rien fait de sérieux pour la chanson d’auteur. Rien. Et maintenant pas plus qu’hier. Ni non plus pour le patrimoine. Je veux dire, pas les boas, les dentiers, les petites culottes, mais la
vie réelle des chefs-d’œuvre de la chanson (pas des tubes, ni même des succès, mais des chefs-d’œuvre). Rien. C’est pourquoi cet intérêt soudain me
1 — Jacques Bertin, Malin
plaisir, Politis N° 585,
27 janvier 2000.
paraît un petit peu obscène, les gars. » 1 On pourrait faire une volumineuse anthologie des coups de sang de cet acabit qu’on peut résumer en disant
que bien longtemps, pour la puissance publique, un bon chanteur était un
chanteur mort.
Quand on revient à la sérénité le constat reste accablant. « Il [l’auteur de
chanson] ressemble à ses pairs du roman, de la poésie, de la peinture, du
cinéma, du théâtre. Sauf que dans chacune de ces disciplines on a, depuis
la guerre, inventé des systèmes d’encadrement et de financement. Les
auteurs de chansons, eux, sont, depuis toujours, sensés se démerder tout
seuls dans le libéralisme absolu et ne se sauver de la mort et du silence que
par la célébrité, — hits, charts et play-lists. Être célèbre, c’est être connu de
ceux qui ne s’intéressent pas à ce que vous faites. Telle est la logique sur
2 — Jacques Bertin, Malin
plaisir, Politis, 9 décembre
1993.
quoi est fondé notre système de la chanson française. »
2
En 2002, si tout n’est pas rose pour la chanson, on note tout de même des avancées timides dans l’institution. Les choses évoluent doucement. Depuis longtemps le Théâtre d’Ivry est un théâtre vraiment pluridisciplinaire, un théâtre
qui a une belle programmation chanson et pas un spectacle alibi annuel, un
théâtre qui fait des résidences de création, bref un théâtre qui traite la chanson à égalité avec les autres disciplines comme elle devrait être traitée par tous
les théâtres. Et ce n’est plus la seule exception à la règle. Jacques Toubon a
créé un label ministériel « résidence chanson » assorti d’un financement.
87
Soleil cherche futur
Catherine Trautmann, en insistant sur la nécessité d’ouverture et en parlant
de chanson, a enclenché un début de programmation dans des théâtres
précédemment fermés à cet art. Le Réseau Chaînon, « le vilain petit cygne »
1 — In Résister, Éditions
Autrement, 1994.
selon la belle expression de Dominique Noguez,
1
dont la chanson est un
axe important, bénéficie à nouveau d’une subvention du ministère de la
culture perdue depuis longtemps.
« Il y a un frémissement. Deux ou trois scènes nationales s’intéressent à la chanson. C’est très important pour la reconnaissance. Puisque pour l’instant notre
travail est de faire entrer dans les esprits que la chanson est un art de la scène
2 — François Chesnais,
directeur de l’action
culturelle de l’ADAMI,
entretien du 26avril 2002.
aussi honorable que le théâtre, la danse ou les autres arts vivants. » 2
Mais il reste encore du pain sur la planche. La commune — terme juridique —
de Paris est propriétaire du Théâtre aux Trois Baudets. C’était le théâtre de
Jacques Canetti, directeur artistique, producteur de disques et de concerts,
découvreur d’une longue liste de talents dont on ne mentionnera que Jacques
Brel et Serge Reggiani. La salle aux Trois Baudets est devenue, après Jacques
Canetti, un « théâtre érotique ». Ce n’est peut-être pas un passage brillant
dans le firmament artistique mais cet emploi a tout de même permis de sauvegarder le théâtre de la destruction ou d’une transformation en (né) faste
foude. La mairie de Paris souhaiterait refaire du Théâtre aux Trois Baudets une
scène vouée à la chanson mais ne semble pas avoir aujourd’hui, selon les renseignements obtenus, une notion très claire de ce qu’il pourrait être. L’option
privilégiée jusqu’à présent serait de faire un appel d’offre pour trouver un
concessionnaire privé qui devrait acquitter un droit d’entrée et un loyer.
Charge à lui de rentabiliser une belle entreprise qui se devrait d’être lucrative
pour assurer sa survie.
Le fichier du Centre de la chanson recense environ deux cents lieux à Paris intra
muros programmant de la chanson. Même si l’importance de la programmation est très hétérogène, le site Internet du Centre recense un peu plus de quarante scènes qui offrent de la chanson régulièrement. Cela donne une idée de
la vigueur de la chanson à Paris. « Paris est l’exemple le plus criant. C’est une
ville de tradition de la chanson. Il y a des théâtres d’arrondissement ou des
théâtres spécialisés dans les différentes disciplines qui sont subventionnés. Le
Théâtre aux Trois Baudets va rouvrir. La Mairie de Paris va faire un appel d’offre
— gestion privée — et les gestionnaires devront sortir une certaine somme
d’argent pour en avoir la concession. Est-ce que le cas s’est déjà présenté pour
3 — François Chesnais,
idem.
le théâtre à Paris ? »
3
88
Soleil cherche futur
En effet on imagine aisément les cris courroucés, les réactions indignées, les discours enflammés et les pétitions signées de tout le monde et son père ! Voilà
un exemple qui illustre bien cette différence fondamentale de perception
entre disciplines artistiques.
« Même pour un petit lieu — le Théâtre aux trois Baudets est un petit lieu — il
n’y a aucune volonté de la mairie d’en faire une salle subventionnée pour la
chanson au même titre que pour une autre discipline. Il y a un véritable problème de prise de conscience d’une politique culturelle. Il faut reconnaître la
chanson au même titre que le théâtre ou que les autres arts de la scène. Dire
que cela fait partie de notre culture, qu’il y a des artistes, qu’il y a des créations.
Reconnaître la chanson, c’est un enjeu artistique, c’est un enjeu culturel, pas
seulement un enjeu financier ou économique. Il faut sortir de la logique commerciale. Il faut qu’il y ait des théâtres qui soient subventionnés pour la chanson. Cela implique des règles du jeu avec un contrôle, un cahier des charges,
une insertion dans une véritable démarche culturelle avec un travail de fond
1 — François Chesnais,
ibidem.
comme pour les autres salles de spectacle subventionnées. » 1
« Il y a une responsabilité de la collectivité dans l’absence de petits lieux parce
que ce n’est pas viable économiquement. Et cela ne peut pas l’être. Se pose-ton la question de la rentabilité financière d’un théâtre d’arrondissement ou de
quartier ? La chanson est sinistrée parce que les petits lieux ne peuvent pas être
rentables. » 2
2 — François Chesnais,
ibidem.
Ailleurs, « le café débranché », a montré toute la difficulté à assurer la survie
économique d’une petite scène travaillant avec sérieux et rigueur. « Si la passion, qui nous a fait tenir et exister hors des réalités, nous a permis de continuer ces sept ans, c’est la réalité économique des lieux de spectacles petits ou
grands et du rapport de notre société à la création artistique, à la fonction
sociale des artistes, de leur travail et de leurs conditions de survie qui est la
cause principale de notre fin. L’équation est simple et peut se résumer facilement : charges/pouvoir d’achat. En clair : doit-on — peut-on — laisser le soin au
seul secteur marchand de diffuser sans aide, ou si peu, auprès du public le travail des jeunes artistes inconnus (dans le domaine de la chanson comme dans
d’autres) alors qu’on sait très bien que la rentabilité n’est pas assurée et qu’une
entreprise commerciale de diffusion artistique, même honnête et de bonne
volonté (si, si, ça existe) ne peut pas se permettre de dépenser plus qu’elle ne
3 — Ce sont les auteurs
qui soulignent.
4 — Boris Bourdet et Dom,
éditorial du programme de
mars 2000 annonçant la
fermeture d’Ailleurs, repris
dans Je chante ! N°26,
juin 2000.
gagne ? Doit-on condamner les jeunes artistes à, faire la manche dans le métro
ou tourner le chapeau ? Doit-on choisir de ne vous vendre que ce dont on est
certain que vous allez l’acheter ? 3 Comment renouvellera-t-on le « cheptel » et
découvrira-t-on les artistes qui en-chanteront nos lendemains ? »
4
89
Soleil cherche futur
« Les jeunes artistes ont besoin de lieux pour se fabriquer, se développer ou
simplement mettre en place un nouveau spectacle. Ils ne sont évidemment pas
tout de suite « rentables » et pourtant nous avons tous besoin d’eux pour garder une culture populaire vivante. Même si une inévitable décantation n’en
retient, à la finale, que quelques-uns. Qui offrira un tel lieu de maturation et
de décantation ? Pourquoi la chanson, confondue avec la variété, est-elle considérée comme faisant uniquement partie du « show business » et doit-elle être
contrainte de séduire les circuits commerciaux pour survivre ? Aujourd’hui les
pouvoirs publics semblent partager la musique et les arts entre ceux qui relèvent de la Culture et du Patrimoine et doivent survivre à n’importe quel prix (et
c’est vrai !) et ceux qui relèvent du business, et qu’ils se débrouillent sans
1 — Boris Bourdet et Dom,
idem.
nous. »
1
« C’est dans les petits lieux que se fait l’expérimentation, que se fait le démarrage des carrières. C’est là que le jeune artiste fait ses premières armes. Nos
politiques sont les premiers à se revendiquer de Brassens, de Brel et de Trenet.
Mais tous ces gens-là ont appris leur métier dans de petits cabarets. Ils ont fait
des premières parties, des levers de rideau, ils sont passés en vedette américaine, etc. Aujourd’hui le jeune artiste n’a qu’une solution : louer une salle. Ce qui
est cher. Ce qui signifie un endettement. Ce qui impose de faire un spectacle
d’au moins une heure et quart. Mais un artiste qui démarre est dans l’incapacité totale de faire une heure et quart. De plus le public s’ennuie, ne vient pas
ou ne vient plus. Il y avait naguère une progression logique où l’on en apprenait le métier et où l’on augmentait progressivement le nombre de chansons
données en concert. Faire vingt ou trente dates dans un petit lieu loué tous les
deux ou trois ans dessert l’artiste plutôt que cela ne le sert. Il va au cassepipe. » 2
2 — François Chesnais,
entretien cité.
Si les interlocuteurs sont unanimes à souligner l’importance des petites
scènes pour l’apprentissage et le démarrage de carrière, ils sont peu nombreux, hors ceux que nous venons de citer, à demander clairement un système de subventions publiques et non des aides ponctuelles « à la limite du
3 — Boris Bourdet et
Dom, op. cité.
caritatif ».
3
On peut voir quatre types de raisons aux réticences ou aux
doutes concernant un secteur public subventionné de la chanson.
— Certains producteurs et professionnels relevant plus ou moins du
show business n’ont peut-être pas très envie de se trouver confrontés à un
secteur public offrant une production artistique qui serait tout de même
une « concurrence » prenant une « part du marché ». Le secteur public permettrait aussi au public de faire des comparaisons sur la qualité proposée.
90
Soleil cherche futur
Pour accréditer cette thèse les artistes autoproduits font volontiers remarquer que les organisations de producteurs ne revendiquent guère l’instauration de systèmes de subventions. La construction par les pouvoirs publics
de salles de grande capacité type Zénith et l’aide apportée par le ministèr e
de la culture au Centre national des variétés (ex Fonds de soutien) semblent
leur suffire. Les demandes des organisations de producteurs relèvent en
effet le plus souvent de simples aménagements techniques.
— Les artistes de la chanson ou leurs proches sont presque toujours
dans une situation — économique comme symbolique — d’une telle précarité que beaucoup n’osent appeler de leurs vœux des améliorations substantielles qui leur semblent tout simplement relever du rêve fou. Ils ont un
sentiment d’abandon de la part des pouvoirs publics. Ce mot abandon
revient d’ailleurs assez souvent dans les entretiens comme dans les écrits sur
la situation générale de la chanson.
— Ensuite nous remarquons bien souvent une méfiance plus ou moins
forte à l’égard de l’institution. Elle est accusée par Jacques Bertin, Fred
Hidalgo et d’autres auteurs d’avoir démoli le réseau des MJC (maisons des
jeunes et de la culture), FJT (foyers de jeunes travailleurs) et autres petites
scènes socioculturelles, « le vivier naturel de la chanson », après l’arrivée au
pouvoir de la gauche en 1981. Un reproche « historique » toujours ravivé
par la difficulté pour beaucoup de ces petites scènes à obtenir encore
aujourd’hui des aides significatives pour la diffusion.
— Enfin et toujours au chapitre de la méfiance on reproche, parfois
confusément il est vrai, à l’institution culturelle son inclination à se cantonner à des choix esthétiques réduits qui ne refléteraient pas la diversité
des goûts. Boris Bourdet et Dom du café Ailleurs traduisent bien cette
méfiance de la part de gens qui souhaitent pourtant des subventions
publiques pour la chanson. « La systématisation du subventionnement n’est
pas non plus la solution, avec le risque qu’elle entraînerait de tenir de
moins en moins compte des choix du public. Ce que nous réclamons, c’est
la mise en place de manière systématique d’un cadre technique et budgétaire de prise en charge permettant aux jeunes artistes d’éclore au monde
1 — Boris Bourdet et Dom,
op. cité. Ce sont les
auteurs qui soulignent.
avec le public mais sans le marché. »
1
91
Soleil cherche futur
Nous avons également remarqué que les artistes de notoriété intermédiaire restent étrangement absents de la quasi-totalité des discours. Comme si
l’artisanat ne devait être qu’une étape transitoire. Comme si tout artiste
talentueux devait mathématiquement accéder un jour ou l’autre au paradis de la consécration. Alors que l’on sait bien que la célébrité — lorsqu’elle est méritée — ne fait que sceller une rencontre tout à fait fortuite entre
le talent d’un artiste et une attente — confuse, inexprimée, fort difficile à
dépeindre mais bien réelle — d’un public à un moment précis de l’histoire.
Pour nous c’est cette célébrité bien aléatoire qui est un rêve fou.
92
Soleil cherche futur
L E T HÉÂTRE
AUX
TR O I S B A U D E T S
Ne vous lamentez pas, organisez-vous !
Joe Hill (1879-1915)
Le vocable des Trois Baudets est utilisé par commodité. Néanmoins le projet
n’est pas lié indissolublement aux murs de ce respectable théâtre chargé d’histoire. Qu’un mauvais coup du sort — mais une décision politique que l’on
regrette en est-elle pour autant un mauvais coup du sort ? — en fasse une salle
louée supplémentaire ne bouleverserait pas le paysage actuel, ne modifierait
pas l’analyse de la situation et ne changerait rien à la nécessité de créer un
théâtre échappant à une logique marchande. Dans les années soixante Jacques
Douai souhaitait déjà créer un théâtre subventionné spécialisé dans la chanson.
On a imaginé un projet pour le Théâtre aux Trois Baudets. Un projet, selon le
Petit Robert est une « image d’une situation, d’un état que l’on pense
atteindre ». Regardons l’image en oubliant de l’inverser et, pour ce faire, passons de l’autre côté du miroir. Créons un nouveau genre : l’art-fiction.
Nous sommes maintenant en automne 2008. Un étudiant consacre son mémoire de fin d’études aux Trois Baudets, le théâtre parisien consacré à la chanson.
Son mémoire s’appuie sur les entretiens réalisés auprès de personnes qui coiffent différentes casquettes dans le monde de la chanson. En cohérence avec les
pages qui précèdent on a continué à utiliser nos bonnes vieilles recettes rédactionnelles…
« La création — il faudrait dire la renaissance — du Théâtre aux trois Baudets
est un peu étrange. Elle s’est faite un peu hors de l’air du temps. Même si on
verra qu’il faut nuancer le propos. On a conservé le nom aux Trois Baudets en
hommage à Jacques Canetti et aussi parce qu’on a appris qu’il faut des ânes
1 — Sauf indication
contraire les citations de ce
chapitre proviennent d’un
entretien du 25février
2008 avec Michel Ruisseau,
directeur du Théâtre aux
trois Baudets.
pour porter les prophètes. » 1
Un théâtre subventionné
« Tout d’abord le projet divergeait de la politique de la municipalité qui songeait à vendre la concession du théâtre à un entrepreneur privé. S’il s’agissait
bien, pour nous aussi, de faire des Trois Baudets un théâtre voué à la chanson,
on mettait en avant la notion de théâtre subventionné de service public. Parce
93
Soleil cherche futur
que l’étude des petites scènes de chanson montrait leurs difficultés économiques génératrices d’impasses. Parce qu’il semblait normal qu’il existe, à côté
du secteur marchand, un secteur public subventionné où la rentabilité des
artistes n’est pas un critère dominant ou du moins si important qu’il conditionne la pérennité de l’existence de tous — artistes, producteurs ou salles de
spectacles. »
« On a voulu créer un outil collectif au service de la chanson. Mettre enfin en
place une possibilité pour les auteurs de se produire et de vivre dans des conditions décentes. Se passer de l’obligation de faire un triple six pour aller à la case
célébrité sans quoi on séjourne aux cases mort, silence ou éternelle galère du
chansonopoly. »
« On créait un théâtre subventionné spécialisé dans la chanson comme il existe des salles vouées à d’autres disciplines artistiques. Faire un théâtre spécialisé était contradictoire avec la tendance générale allant vers des théâtres pluridisciplinaires. Mais il faut dire que malgré cette tendance on a bien vu la création de La Colline, un théâtre qui ne s’occupe que de théâtre, ou que la danse
est devenue l’une des deux spécialités de Chaillot. Faire un théâtre spécialisé
était aussi contradictoire avec la propre opinion de son créateur qui n’aimait
guère les cloisonnements ! Mais c’était particulier à Paris qui sert de vitrine
pour toute la France. »
« Nous n’avons pas voulu de solutions de facilité consistant par exemple à
demander une baisse du cachet minimum conventionnel, des exonérations de
charges ou de taxes, à demander des zones franches. C’est un discours que peuvent tenir des employeurs ou des producteurs. Nous ne devons pas oublier que
beaucoup d’artistes n’ont pas de producteur. Nous ne voulons pas de dérogation au droit. Les théâtres subventionnés payent des charges sociales comme
tout employeur et des cachets et des droits d’auteurs comme les théâtres privés ou les entreprises commerciales de spectacle. Ce n’est pas avec du bricolage que l’on va sauvegarder les petites scènes ou améliorer la situation générale de la chanson. François Chesnais disait souvent que la chanson ne doit pas
être considérée comme une exception, qu’elle doit être dans l’exception cultu relle, qu’elle ne doit pas être une exception dans l’exception culturelle. »
Le Théâtre aux trois baudets est composé de la « grande salle » (350 fauteuils),
du « cabaret » (60 à 90 personnes selon la disposition) et du « bistrot » où l’on
peut boire et manger.
94
Soleil cherche futur
La grande salle
« 350 places ce n’est pas énorme. La petitesse relative de la grande salle
empêche que l’on soit tenté d’y suivre la mode. On ne s’intéresse pas aux gens
très connus qui vont remplir un Olympia voire un Zénith, ils naviguent dans
d’autres eaux, ils n’ont pas besoin de nous. Elle permet aussi de ramener la
relation entre artiste et spectateurs à ce qu’elle doit être quand parle de « spectacle vivant » : une affaire de proximité physique qui est la source d’une sensibilité que l’on ne peut avoir devant un écran ou à cent mètres de la scène. La
grande salle s’adresse à un créneau très diversifié avec beaucoup de noms
— et ce n’est pas très rentable — alors que la « clientèle » potentielle d’un
Zénith c’est très peu de noms. Dans la grande salle nous programmons ceux
que nous aidons à gagner en notoriété et surtout la grande cohorte de tous
ceux qui sont dans « le milieu de tableau ». On peut en faire un portrait robot :
un nom un peu connu au moins dans un petit cercle, un public de fidèles, peu
ou pas de diffusion par les radios. Notre travail consiste souvent à consolider
la carrière ou à remettre le pied à l’étrier à un chanteur qui a dix ou vingt
ans de métier, voire beaucoup plus, qui peut même parfois avoir eu une
période de « gloire » avant d’être considéré comme démodé. Dans ce cas la
remarque fréquente est : Il existe encore celui-là ? Même si sa production
actuelle est aussi bonne voire meilleure que ce qu’il faisait à ses débuts
parce qu’il a acquis du savoir-faire. C’est une spécificité propre à la musique.
Dans le théâtre ou le cinéma on trouve normal de faire une carrière de plusieurs dizaines d’années. En musique on est ringard au bout de quelques
années ! On fait assez souvent des plateaux bicéphales avec deux chanteurs
dont c’est l’addition des petites notoriétés qui permet d’espérer un taux de
remplissage suffisant. Un autre trait caractérise la programmation de la grande salle : nous avons toujours une première partie. Ici, c’est obligatoire, cela
fait partie des règles de fonctionnement. Le débutant prometteur ou le méconnu va bénéficier de la deuxième partie qui attire les spectateurs. »
C’est un vieux truc qui a été utilisé très longtemps et auquel les Trois Baudets
s’appliquent à donner une nouvelle jeunesse. « Un spectacle de Brassens avait
fait d’une chanteuse quasi inconnue, Barbara, une vedette de premier plan. Un
spectacle de Barbara va, pour le grand public, transformer un acteur en chanteur. Serge Reggiani n’est certes pas un inconnu au moment où la gloire
« chansonnière » le happe. Comédien depuis l’adolescence, il a multiplié les
1 — Lucien Rioux,
Cinquante ans de chanson
française, L’Archipel, 1992,
page 197.
rôles au cinéma […] » 1
95
Soleil cherche futur
Le cabaret
Si la grande salle est, hors premières parties, consacrée à des chanteurs consacrés, le cabaret s’intéresse plus aux débutants, aux faux débutants qui ont déjà
fait un petit parcours, aux méconnus qui ne pourraient remplir la grande salle
avec leur nom mais aussi aux petites formes ou à l’expérimentation.
« Dans la petite salle nous avons toujours des plateaux composites. D’où l’utilisation du mot cabaret. On raisonne en nombre de chansons. Les débutants sont
là pour apprendre son métier sans ennuyer le public. Et mieux vaut trois chansons parfaites qu’un récital qui se traîne. Ce qui permet de se faire la voix, de
constater ce qui marche ou ne marche pas en le montrant au public et de modifier, améliorer, peaufiner. Il s’agit aussi de répondre concrètement à la question : que faire avec un chanteur qui n’a que cinq bonnes chansons à son répertoire ? Cela pourrait inspirer un passage en scène de courte durée à d’autres
disciplines. Combien a-t-on vu de chorégraphies dont on se dit qu’elles auraient
été très bonnes en un quart d’heure sont ennuyeuses parce qu’elles durent une
heure ? Une heure ou plus parce que c’est la demande du « marché » des
théâtres publics. Un même plateau passe chaque soir durant plusieurs
semaines. »
« La programmation de la petite salle permet aussi d’élargir le public de chanteurs confirmés qui, pour des raisons diverses, restent trop confidentiels. Nous
accordons notamment une attention toute particulière à ceux qui n’ont pas de
producteurs. Il ne faut pas oublier qu’ils sont le plus grand nombre. »
Il y a régulièrement des scènes ouvertes où se fait la sélection de ceux qui
seront invités à participer aux soirées du cabaret.
Les différents publics
« La vocation des Trois baudets n’a jamais été de s’adresser seulement au public
parisien. Nous avons toujours visé deux ou plutôt trois publics. Tout d’abord le
public des professionnels, programmateurs mais aussi journalistes, à qui nous
devons montrer ce qui se fait en chanson. Ils vont à leur tour donner un écho
à la chanson en écrivant, en parlant ou en programmant des chansons en direct
ou enregistrées. Ensuite le public des amateurs de chanson qui est un public
d’initiés comparable à celui des amateurs de théâtre ou de danse, une élite de
connaisseurs qui lit Chorus ou Je chante ! qui sont des revues pour initiés. C’est
un cercle restreint par définition. Même s’il vient de la France entière pour voir
Monsieur A qui chante Éluard et Aragon ou Madame B qui a un répertoire
humoristique. »
96
Soleil cherche futur
« Nous avons aussi visé très largement, et c’est là une clé très importante pour
la compréhension de la fréquentation du théâtre, le public des non-spécialistes,
des spectateurs qui viennent ici plus ou moins régulièrement, ou un peu par
hasard, ou parce qu’ils sont déjà venus une fois attirés par un nom précis. Parce
qu’on sait qu’on va passer un bon moment même si on ne connaît pas un nom
sur l’affiche du programme du cabaret ou parce qu’il y a une bonne ambiance,
parce qu’on peut passer une heure au bistrot, parce qu’on peut draguer ou
simplement faire des rencontres. Des raisons « périphériques » que l’on n’ose
pas toujours exprimer ouvertement parce qu’elles n’ont rien à voir avec la
chanson mais qui pèsent dans la décision de venir. »
« Les Trois Baudets organisent régulièrement des journées ininterrompues à
destination des programmateurs. Ces journées permettent de voir plusieurs
spectacles complets en un seul déplacement. Elles sont appréciées des programmateurs qui se déplacent bien plus aisément pour venir voir tout un groupe de concerts qui se succèdent pendant une ou deux journées complètes que
pour un seul concert en soirée. Le programmateur vient voir dix concerts le
même jour. Il fait l’effort de venir parce qu’il se dit que sur les dix il y en
aura au moins un ou deux qui vont l’intéresser. C’est une technique copiée
sur les plateformes de danse organisées en Allemagne et aux Pays-Bas. »
« Les Trois Baudets organisent aussi des concerts en matinée destinés à l’ensemble des professionnels. Sur la scène se succèdent pendant deux à trois
heures des chanteurs qui ne donnent que deux ou trois chansons. Cet aperçu a
pour but d’inciter les professionnels intéressés par tel ou tel nom à venir voir le
spectacle complet quand il est programmé. Cela permet notamment aux journalistes de faire une présélection et de ne venir voir que les artistes susceptibles
de les intéresser. Là aussi la méthode vise à éviter de trop solliciter des gens qui
sont très sollicités et n’ont qu’une soirée par jour. »
La programmation
« La programmation est très ouverte. Elle concerne toute la chanson, qu’elle
soit accompagnée d’instruments acoustiques, électriques ou électroniques. On
s’occupe de la chanson où il y a réellement un texte. C’est un critère de sélection important parce qu’il y a beaucoup de chansons où le texte relève plutôt
de la suite d’onomatopées ou de la musique instrumentale. »
« Le directeur artistique pourrait difficilement être un artiste. D’abord ce
théâtre n’a de sens que parce qu’il est porté par une légitimité de principe. Une
légitimité qui dépasse totalement la personnalité de son fondateur ou celles de
97
Soleil cherche futur
ses directeurs actuels et futurs. Ensuite nous n’avons pas de ligne artistique. La
programmation est ouverte à toutes les esthétiques. Elle ne peut pas être le
fruit d’une seule personne ou d’un seul goût. Nous avons un groupe de programmation qui fonctionne comme un comité de lecture dans certaines maisons d’édition. Il suffit que deux personnes veuillent programmer quelqu’un
pour que le groupe entérine la décision. Nous sommes très attachés à la
notion de diversité des genres et des styles. Une politique culturelle doit
créer des conditions pour permettre à cette diversité d’exister. Et de se voir.
Parce que si elle n’existe que dans des caves et des bistrots c’est tout de
même un peu limité… Pour accentuer cette ouverture le théâtre accueille
aussi des programmations extérieures qui sont l’expression de goûts différents
de ceux de notre groupe de programmation. »
« Nous recevons systématiquement tous les chanteurs qui ont fait une résidence chanson quelque part en France. Cela leur donne une exposition au lieu de
devoir payer une location de salle à Paris. Nous jouons la complémentarité avec
les résidences de création dispersées en France. Notre rôle est ici d’être un
moteur de la diffusion. Nous avions une situation ubuesque. Un exemple : le
groupe Évasion fait une résidence de création à l’Hexagone, scène nationale de
Meylan. Quand le spectacle est au point le producteur d’Évasion paie des locations à Avignon pour être vu des programmateurs et à Paris pour présenter le
travail à la presse ! » Même si on le regrette on ne peut guère espérer une couverture médiatique nationale hors de Paris. Tout le monde se souvient de la
phrase d’Homéopatix disant à son beau-frère Abraracourcix : « […] On ne peut
1 — René Gosciny et
Albert Uderzo, Les lau riers de César, éditions
Dargaud, 1972.
vivre qu’à Lutèce, tu sais. Le reste de la Gaule, c’est bon pour les sangliers. » 1
« De la même façon, quand on donne une carte blanche au festival de
Montauban, au Chaînon manquant ou au festival de Barjac, on accroît notre
ouverture et on met en valeur le travail de ces festivals. On aide aussi les
artistes qui ont été reconnus par ces festivals en les présentant à Paris. Ils n’ont
pas l’obligation de ramer une nouvelle fois pour acquérir la reconnaissance
d’une deuxième structure. Cela aide beaucoup des chanteurs qui vivent dans
toutes les régions et pour qui l’éloignement de Paris accentue les difficultés. »
« Du côté de la découverte on regarde attentivement ceux qui ont été retenus
par les différents réseaux : bancs d’essai et bancs publics du Centre de la chanson, découvertes du Printemps de Bourges, FAIR. On reste toujours dans l’idée
de complémentarité avec ceux qui œuvrent pour la chanson comme dans l’idée
de consolider des artistes débutants ou fragiles parce que hors de la mode du
jour. »
98
Soleil cherche futur
« On ne s’occupe pas uniquement de chanson française. Pour être précis on
devrait plutôt parler de chanson francophone. En dehors de la musique, que
l’on ne néglige pas, le texte est un critère de sélection important. Quand on
parle de théâtre en France, on programme quand même essentiellement du
théâtre en français faute de quoi le nombre de spectateurs susceptibles de
comprendre est limité… Comme le théâtre on programme essentiellement des
œuvres en français quelqu’en soit l’origine. Néanmoins les langues régionales
de France entrent dans la programmation. D’autant plus aisément que ceux qui
chantent en occitan ou en breton en donnent volontiers la traduction et
offrent bien souvent un programme panaché entre langue régionale et français. »
« Nous avons, hors de la création contemporaine, mis en avant la notion de
patrimoine de la chanson. Nous voulions redonner une place aux chansons de
naguère. Qu’elles soient des œuvres signées d’auteurs illustres ou des chansons
traditionnelles anonymes provenant de collectages. Non dans une démarche
de musée — respectable — mais plutôt dans une démarche d’art vivant.
Certains chanteurs se font une spécialité de reprendre les chansons d’une
époque, d’une esthétique, d’un auteur, voire d’un interprète. Ils ont aussi leur
place dans notre programmation. Encore une fois je rapproche cette notion
patrimoniale du théâtre où l’on ne peut ignorer Sophocle, Molière ou
Beaumarchais. Où on peut continuer à les jouer sans faire obligatoirement de
la reconstitution historique. »
Les buts
« Notre travail est d’aider des débutants qui semblent prometteurs à
démarrer, de consolider des faux débutants, de conforter la situation de
ceux qui sont un peu installés. On s’adresse à un créneau très large avec
beaucoup de noms d’où cette nécessité d’avoir une ligne artistique extrêmement floue de façon à couvrir la totalité du champ et pas seulement un
courant esthétique au détriment des autres. Ce qui fonde est la qualité du
texte, la qualité de la musique, l’artisanat en opposition aux productions aseptisées ou clonées. Et c’est vraiment notre rôle de scène subventionnée : si on
a une politique culturelle de laisser faire dans le domaine de la chanson, on
a seulement une poignée de chanteurs imposés par l’argent ou le hasard de
l’individu épousant l’air du temps. »
99
Soleil cherche futur
Au Théâtre aux Trois Baudets on agit à l’opposé de la démarche citée par
Fred Hidalgo : « On m’a fait passer la note de service d’un directeur des programmes d’un grand réseau à l’attention de ses animateurs : Notre fonction est
de diffuser à nos auditeurs ce qu’ils réclament, connaissent et aiment déjà, pas
1 — Fred Hidalgo, éditorial, Chorus N°33,
octobre 2000, page 5.
de chercher à leur faire découvrir ce qu’ils ne connaissent pas. » 1
100
Soleil cherche futur
UN
FINANCEMENT PUBLIC POUR LES
TROIS BAUDETS
« Le ministère de la culture finance le Théâtre aux Trois Baudets. Ce qui est
normal puisque ce théâtre sert de vitrine pour la France entière et même
l’étranger, parce que son action entre dans le cadre d’un développement
culturel national. Le financement de la DRAC Île de France relève de ses
compétences territoriales comme ceux de la ville de Paris et de la région.
Les aides des sociétés civiles sont également dans la logique de leur fonctionnement puisque l’activité des Trois Baudets fait travailler des artistes,
dans le théâtre mais aussi à l’extérieur. Cela génère des ventes de concerts
et de disques par ricochet qui font entrer de l’argent dans les caisses de ces
1 — Jacques Noir,
conseiller musiques
actuelles à la
DRAC Île de France,
entretien du 15 mars
2008.
sociétés civiles. »
1
« En gros nous avons le financement d’un centre dramatique national de
taille moyenne. Je ne compte pas en pourcentage de subventions et de ressources propres. Je préfère dire que les charges fixes (le théâtre en ordre de
marche : chauffage, administration, régie, etc.) sont couvertes par les subventions publiques. Par contre les charges variables (cachets et défraiements des
artistes pour l’essentiel) doivent être couvertes par la billetterie. Pour que
notre activité ne soit pas artificielle. Pour qu’il reste un rapport entre une
demande réelle des spectateurs et l’activité de la salle. Pour conserver une souplesse et une capacité de programmation puisqu’il suffit qu’il y ait des gens
dans la salle pour programmer. Pour que l’on ne soit pas arrêté par un manque
de subventions pour programmer alors que la demande des spectateurs existe.
Pour que les artistes n’attrapent pas la grosse tête et en viennent à demander
des cachets supérieurs au montant de la billetterie. On tient à se prémunir de
2 — Michel Ruisseau,
directeur du Théâtre aux
trois Baudets, entretien du
25 février 2008.
dérives économiques toujours possibles. » 2
« Dans ce cadre la grande salle s’autofinance sans trop de problèmes. Les
artistes sont payés, modestement peut-être au regard de certaines pratiques,
mais ils sont payés au lieu de payer. Dans une autre salle, que ce soit le chanteur ou son éventuel producteur qui paye, de toute façon un passage à Paris
3 — Michel Ruisseau,
idem.
coûte de l’argent. » 3
« Pour la petite salle, le cabaret, c’est un peu plus complexe. Tout d’abord les
plateaux composites ne sont possibles que parce que nous avons négocié avec
les syndicats d’artistes une convention qui nous ouvre droit à un système de
cachets raisonnables. Le principe de base, qui subit parfois quelques aménagements en faveur des artistes, est qu’il faut chanter cinq fois trois chansons pour
percevoir un cachet. C’est cette convention qui ouvre la possibilité économique
101
Soleil cherche futur
de multiplier les premières parties et d’avoir cette myriade de passages pour
quelques chansons. La billetterie ne couvre pas toujours les charges variables
parce que nous augmentons régulièrement notre activité de découverte et de
soutien de carrière. Le droit de suite sur la future carrière des chanteurs apporte un financement après coup qui peut devenir important avec le temps. Mais
l’aide des sociétés civiles comme l’ADAMI permet de faire le travail de démarrage et de soutien sans attendre ce retour sur investissement qui est toujours
long et un peu aléatoire. C’est l’aide des sociétés civiles qui nous permet d’aug1 — Michel Ruisseau,
ibidem.
menter constamment cette activité. » 1
Le droit de suite est beaucoup critiqué par certains qui y voient un système
marchand. Le droit de suite figure pourtant parmi les droits voisins dans le code
de la propriété intellectuelle. Il est vrai que c’est au bénéfice des plasticiens.
Mais est-il si mauvais que l’on puisse autofinancer tout ou partie de son activité en retirant une rémunération de cette activité ?
Certains artistes manifestent une réticence face à cette aide apportée par les
sociétés civiles. Ils craignent qu’elles puissent demander un droit de regard sur
le fonctionnement des Trois Baudets. Parce que ce théâtre s’est créé dans une
règle absolue de rupture totale avec les intérêts privés. Cette règle, qui prévaut
dans l’ensemble du secteur public de la culture, a été difficile à faire accepter
ici. Pourtant, pour la gestion d’un centre dramatique national, on ne demande
pas l’avis du patron des Folies Bergère ou du syndicat des théâtres privés. Et on
n’invite pas le concepteur du calendrier de la poste ou un représentant de l’association des galeries parisiennes quand on parle de l’exposition d’un musée
d’art moderne. L’Etat a en effet longtemps agi comme s’il estimait que dans le
domaine de la chanson — et on remarquera que ce n’est le cas pour aucune
autre discipline artistique — les intérêts privés — « le marché » — pouvaient
suffire pour avoir une vie artistique répondant à toutes les exigences que l’on
peut avoir. Alors que la chanson est une discipline où les intérêts privés sont un
bulldozer ravageur et que c’est pour cela qu’il faut un système public totalement indépendant du secteur privé comme de tout organisme du « métier ».
« Apporter un financement public important à un théâtre spécialisé dans la
chanson ce n’est pas seulement une mesure économique. Il ne faut pas en
négliger la valeur symbolique. Cela hausse l’image de cette discipline aux
yeux des directeurs de salles qui la connaissent souvent mal, qui jugent que
c’est un genre mineur ou bien qui pensent que cela relève forcément du
show business. Les Trois Baudets sont une vitrine subventionnée qui incite les
programmateurs de théâtres pluridisciplinaires à venir voir cette discipline et à
la programmer. Il fallait remettre cet art à égalité avec le théâtre. Le groupe
Octobre ou les Comédiens routiers passaient indifféremment du théâtre à la
102
Soleil cherche futur
1 — Jacques Noir,
conseiller musiques
actuelles à la
DRAC Île de France,
entretien du 15 mars
2008.
chanson. Nous avons traversé une longue période où nous l’avions oublié. »
1
« Les Trois Baudets permettent de montrer qu’il y a encore aujourd’hui des
auteurs qui savent écrire des textes de la même tenue que ceux de leurs
prédécesseurs. Cela permet de montrer qu’il y a encore aujourd’hui des
chanteurs poétiques comme Mouloudji, populaires comme Francis
Lemarque, humoristiques comme Ricet Barrier ou révoltés comme Leni
Escudero, des artistes de talent à la notoriété intermédiaire qui n’avaient
plus la possibilité d’être reconnus hors d’un petit cercle de spécialistes.
Quand on chante Beaudelaire, Verlaine, Villon, Hugo, Rimbaud, Desnos,
Apollinaire ou n’importe quel autre poète, on n’intéresse pas beaucoup de
2 — Antonin Maillet,
chanteur, entretien du
26 mars 2008.
théâtres parisiens quand on enlevé le Molière et les Trois Baudets. »
2
103
Soleil cherche futur
LA
C O O P É R AT I V E D E P R O D U C T I O N
C’est une vieille idée. Guy Béart, en 1963, proposait déjà de créer une
coopérative d’artistes. Avec sensiblement les mêmes arguments et les
mêmes idées que l’on peut retrouver aujourd’hui.
« C’est une coopérative de production au service de ses membres. Vous
avez affaire à des chanteurs qui ont mutualisé des moyens pour se produire. Au lieu d’avoir une administration pour chaque individu ou pour
chaque compagnie, nous avons une seule administration, un seul service de
promotion ou de vente des concerts pour l’ensemble des artistes. N’avoir
qu’une seule équipe à payer permet de réduire les coûts de gestion. Une
bonne partie de la publicité est collective et cela réduit considérablement
les coûts de fabrication et d’envoi. Nous avons un compte par personne qui
permet d’avoir une clarté des comptes tant pour les artistes qui savent toujours où ils en sont que pour les bailleurs de fonds qui ne versent pas le
1 — Philippe Glace,
directeur de La coop,
entretien du 15 mars
2008.
moindre centime sans en connaître le devenir. »
1
« Les chanteurs membres de La coop sont des débutants qui n’intéressent
pas les producteurs privés et des chanteurs de notoriété intermédiaire qui
n’intéressent pas grand monde non plus. Nous représentons souvent des
gens pas très rentables ou pas rentables du tout pour un producteur privé.
À côté de cette sélection d’ordre économique il y a des membres qui sont
aussi parmi nous par choix délibéré. Ils ne souhaitent pas travailler avec un
producteur privé. Ils refusent les pratiques qui ont cours chez certains producteurs ou les contrats léonins qui leur sont proposés. »
2
2 — Philippe Glace, idem.
« La coop a été mise en place par le Théâtre aux Trois Baudets. Au départ
l’activité de production était confondue avec celle du théâtre. C’était le
personnel du théâtre qui travaillait dans les locaux du théâtre et s’occupait
notamment de la vente des concerts pour ceux qui chantaient au cabaret.
Nous avons commencé à embaucher du personnel spécialisé et à séparer les
deux activités quand nous avons eu les moyens de le faire. »
3
3 — Philippe Glace, ibi dem.
« La coop est une association à but non lucratif. C’est un point très important. Il y a parmi nous des chanteurs qui sont rétifs au mot même de producteur qu’ils assimilent au monde du show business dont ils ne veulent pas
(ou dont ils ne veulent plus…) entendre parler. La coop n’a pas cette image
« commerciale » que l’on reproche souvent aux producteurs. Notre statut
juridique et notre fonctionnement transparent permettent d’aller deman-
104
Soleil cherche futur
der des subventions pour la création, la promotion ou la diffusion dans les
différentes régions de France où vivent chacun des artistes. Exactement
1 — Antonin Maillet,
chanteur, membre du
conseil d’administration
de La coop, entretien du
26 mars 2008.
comme une compagnie de théâtre ou de danse. »
1
« Je suis un salarié de l’association qui fait le travail qu’on lui demande de
faire, un administrateur qui exécute les décisions prise par le conseil d’administration de l’association. Je ne peux rien décider d’important sans l’avis
des membres de La coop. Vous avez raison de dire que mon travail s’apparente parfois à celui d’un producteur du show business mais je faisais exac tement le même travail quand j’étais administrateur d’une compagnie de
danse. Avant j’envoyais des vidéos aux programmateurs qui se montraient
intéressés. Maintenant j’envoie des disques. Avant on ne parlait jamais de
show biz ! Maintenant… La gestion, l’invitation ou la relance des programmateurs ne changent guère, que l’on soit dans le show biz ou dans la
poésie chantée. La grande différence, ce ne sont pas les moyens — il y a du
show biz pauvre et du théâtre d’art riche — mais la nature du spectacle
proposé. »
2
2 — Philippe Glace,
entretien cité.
« Depuis longtemps, dans le domaine des musiques actuelles, le ministère
souhaitait financer des groupements, des réseaux ou des activités de production organisées et pas un seul artiste ou une production isolée. Lorsque
l’activité de production a commencé aux Trois Baudets on a aidé très vite
parce que c’était intéressant. Et on a encouragé, avec des subventions, la
mise en place de La coop parce que cela entrait dans les objectifs du ministère qui étaient de favoriser des initiatives collectives et non de faire du
saupoudrage. On nous reproche parfois la montant de la subvention versée
à La coop qui serait trop élevée pour une seule structure. Mais, quand on
divise par le nombre des gens qui en bénéficient, cela redevient très modeste. »
3 — Jacques Noir,
conseiller musiques
actuelles, DRAC Île de
France, entretien du
15 mars 2008.
3
« La coop, c’est le regroupement de nos petites forces. On pratique beaucoup l’entraide. Par exemple le pianiste du groupe passant en deuxième
partie va accompagner le chanteur solitaire qui fait la première partie. Et
c’est cette économie d’un cachet et d’un défraiement qui permet souvent
de faire passer une première partie auprès d’un théâtre pas trop riche. Et,
qui sait ? le groupe donnera peut-être un concert dans la petite ville nata-
4 — Antonin Maillet,
entretien cité.
le de ce chanteur qui connaît bien le directeur du centre culturel… »
4
Comment entre-t-on dans La coop quand on est chanteur ? Au vu de la difficulté à trouver un producteur on peut imaginer que les candidats sont
nombreux. « Les premiers arrivés ont été choisis par les Trois Baudets. Ils
passaient au cabaret où ils chantaient seulement quelques chansons.
105
Soleil cherche futur
Quand La coop a été créée on est passé progressivement à une formule de
cooptation. Pour devenir membre il faut être adopté par une partie des
membres et accepté lors d’une assemblée générale. Il n’y a pas vraiment de
règles établies. Mais notre mode de gestion élimine ceux qui recherchent
une formule clé en mains. Mieux vaut être prêt à aider les autres si on souhaite être aidé. On se base sur les relations personnelles — c’est important
de bien s’entendre — et sur la nature de la production artistique. On est
assez sensible à la dimension littéraire ou poétique des chansons. Mais on
peut aussi bien coopter quelqu’un qui met Ronsard en musique qu’un
1 — Antonin Maillet,
entretien cité.
chanteur qui écrit des trucs hilarants à base de calembours. »
1
« Bien sûr nous sommes heureux que le théâtre aux Trois Baudets existe. La
plupart d’entre nous [les chanteurs membres de La coop] lui doivent de
pouvoir chanter. Cela dit, notre situation est loin d’être idyllique, c’est
l’unique théâtre français subventionné spécialisé dans la chanson. Combien
y en a-t-il en théâtre ? La coop est subventionnée par les pouvoirs publics.
On trouve encore de bonnes âmes pour penser que c’est trop. Mais combien avons-nous de centres dramatiques nationaux ? Je ne jalouse pas le
sort du théâtre. Je ne fais que remettre les aides que nous recevons dans
l’ensemble du paysage artistique. »
2
2 — Antonin Maillet,
idem.
106
Soleil cherche futur
DE
L A N O T I O N D E PAT R I M O I N E D E L A C H A N S O N
Nous avons vu que le Théâtre aux trois Baudets s’intéresse, non seulement à la
création contemporaine, mais aussi au répertoire. Nous voulions en savoir plus
et nous avons interrogé Joseph Pichon, historien et amateur de chanson, qui
s’est fait une spécialité de recherche dans ce domaine.
« Qu’entendons-nous par patrimoine de la chanson ? Ce ne sont pas les succès
ou des tubes d’une époque qui constituent le patrimoine. À ce compte
Christian Jacq serait l’un des écrivains majeurs de ces dernières années et Marc
Camoletti l’un des plus grands auteurs dramatiques de la deuxième moitié du
XXe siècle… Un succès peut entrer dans le patrimoine tel que nous l’entendons.
Mais on sait combien le succès peut être fonction d’un investissement publicitaire, d’une mode passagère, des rapports de force dans une profession [cf. l’attribution des prix littéraires] et de ses intérêts financiers. On sait bien qu’un
auteur édité par une grande maison parisienne a beaucoup plus de chances de
rencontrer le succès qu’un auteur publié par un petit éditeur savoyard. Les critères de succès [commercial] existent dans tous les autres arts mais il n’y a peutêtre que dans la chanson qu’ils ont pu acquérir une légitimité indiscutée par les
gens de goût, une valeur absolue éclipsant toute autre considération. Si on suit
de tels critères, la plus grande partie de l’histoire de la chanson tombe dans
l’oubli — y compris les succès des époques passées — dès lors que les industries
culturelles de l’époque présente n’en ont plus besoin. Qu’entend-on habituellement par répertoire ? Quelques chansons d’Edith Piaf, Charles Trenet, Boris
Vian, Brel, Brassens et Ferré. C’est bien mais c’est très peu. Pour nous, le patrimoine francophone de chanson de qualité est riche de milliers de chefs1 — Toutes les citations de
ce chapitre proviennent de
l’entretien du 25avril 2008
avec Joseph Pichon.
d’œuvre. Mais qui les connaît ? » 1
« On regroupe sous le terme patrimoine l’ensemble des œuvres qui, pour des
raisons historiques [La chanson de Craonne et La Madelon, Le Chant des parti sans et Maréchal, nous voilà !] ou artistiques [des chansons de Coûté, de
Brassens ou de Vasca], ont franchi ou méritent de franchir le temps. Comme on
parle des « grands écrivains » pour qualifier ceux dont les œuvres restent après
que le temps a fait son lent travail de sélection. On parle d’œuvre du patrimoine quand, hors de tout critère de notoriété, de mode ou de résultat financier, on peut démontrer la valeur de l’œuvre en analysant la qualité du texte,
de la musique, l’originalité de la thématique, la richesse de l’inspiration, des
trouvailles verbales, scéniques ou musicales. Une telle définition recouvre aussi
bien la chanson dite d’auteur que le fonds traditionnel populaire [le folklore]
et que la chanson de rue. Puisque nous accordons au temps une vertu qui aide
107
Soleil cherche futur
à faire la sélection nous ne parlons de patrimoine que pour des chansons qui
ont été écrites il y a plus de trente ans. »
« Nous estimons important de faire connaître ces chansons au public. La
méconnaissance par les jeunes générations de notre passé artistique donne de
la force au show business. Le show business n’aime pas le patrimoine. Il veut
une rotation rapide des stocks et une consommation massive. Le patrimoine est
une machine à créer des critères de jugement. Il œuvre pour l’éducation du
goût, pour la formation du jugement en donnant des éléments de comparaison. Cela entrave les modes, gêne la rotation rapide des productions. En bref
cela dessert les intérêts des industries culturelles. Si notre connaissance du
théâtre se limite à Marc Camoletti on sera beaucoup plus indulgent pour
Olivier Lejeune que si on connaît aussi Molière, Beaumarchais et Feydeau. En
chanson, à peu de choses près, on ne connaît pas ce qui s’est fait avant notre
génération. L’absence de référence est désastreuse pour la formation du jugement. L’Etat se préoccupe de l’intérêt du public dans les autres secteurs artistiques. Il a très longtemps oublié la chanson alors que cet art est pourtant
parmi les plus importants, aussi bien du point de vue de la pratique individuelle — regardez les statistiques ou les enquêtes du ministère sur les pratiques culturelles — que dans la constitution de l’imaginaire collectif. »
« Faire interpréter les chansons du patrimoine par les artistes d’aujourd’hui,
c’est aussi intéressant pour la formation des artistes et cela permet d’élever le
niveau général de la création. »
« C’est paradoxal mais on trouve encore bien plus facilement un théâtre
pour monter Les mains sales que pour chanter Dans la Rue des BlancsManteaux. Et si tout directeur de théâtre connaît La guerre de Troie n’au ra pas lieu on en trouve peu qui sachent que La chanson de Tessa, pourtant
considérée comme l’un des chefs-d’œuvre du XXe siècle, est du même
auteur… »
108
Soleil cherche futur
PERSONNES
RENCONTRÉES
Mysiane Alès, productrice, Le Rideau bouge (Juliette, Dikès). Producteur tourneur, édite et produit elle-même les disques dont les ventes permettent d’équilibrer une activité spectacles souvent déficitaire.
Claude Astier, chanteur (Professeur Astier et les sœurs Karamazov). Produit par
Productions spéciales, petit éditeur et producteur (disques et spectacles).
Julien Bassouls, producteur bénévole, président association Life Live. Produit
une vingtaine de groupes de chanson/rock ou chanson/électro dont La grande
Sophie, Le Maximum Kouette, Jean-Jacques Nyssen et son orchestre de sa
chambre.
Pascale Bigot, conseillère chanson, THÉCIF (théâtre et cinéma en Ile de France)
Boris Bourdet, feu Ailleurs, « le café débranché ». Voir chapitre consacré à ce
café de la Bastille.
Julien Caumer, squatt Chez Robert Électron libre (59, rue de Rivoli) et Calvi Jazz
Festival. Accueille chaque semaine Yaron Herman, jeune prodige du piano. Voir
chapitre consacré au squatt.
Thierry Chenavaud, producteur, Enluminures, Limoges. Production phonographique et spectacle Joël Barret (chanson) et Christina Rosmini (chanson hispanophone).
François Chesnais, directeur action culturelle, ADAMI, société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens-interprètes.
Thibaud Couturier, chanteur. Autoproduction avec l’aide de copains à structuration en cours.
Leila Cukierman, Théâtre d’Ivry Antoine Vitez. On lui doit « l’invention » de la
résidence-chanson.
Marie-Pierre de Porta, Le Loup du faubourg. Le cabaret est mort (voir chapitre
consacré à ce cabaret). Le Loup est toujours éditeur et producteur phonographique de chanson, musiques traditionnelles, poésie.
Didier Desmas, Centre de la chanson. Le centre de ressources et de conseils
pour les chanteurs organise également les Bancs d’essai, les Bancs publics, Vive
la reprise ! et Recherche auteur (dés)espérément.
109
Soleil cherche futur
Dominique Dumont, Polyfolies, producteur de spectacles d’humour (Alex
Métayer et Gustave Parking) et musicaux (Le Quatuor, Les Escrocs, La Framboise
frivole, Chanson plus bifuorée).
Jean Favre, directeur de feu le Théâtre du Tourtour, président Fédération des
petites scènes de Paris, secrétaire du SYNAPSS, syndicat national des petites
structures de spectacle.
Caroline Fichot, administratrice, Isabelle Gimenez, directrice de production,
Sentier des Halles. Théâtre (voir chapitre consacré au Sentier) et production de
spectacles (Lio, Rachel des Bois, Vincent Baguian, etc.)
Daniel Gasquet, Vocal 26, producteur de Évasion (chanson du monde), Entre
deux caisses (« chanson pur jus » — souvent alcoolisée — du répertoire francophone) et Gérard Morel et les garçons qui l’accompagnent (chanson de l’auteur
qui écrit lui-même).
Geneviève Girard, Azimuth, producteur et tourneur de spectacles de plus de
trente artistes en chanson, pop/rock, variétés et musiques traditionnelles.
Christine Hudin, Edito-Hudin. Editeur et producteur phonographique.
Producteur de récitals de « chanson chiante » (Serge Utgé-Royo, Lulu Borgia,
Bruno Darraquy, Marie-José Vilar, Fabienne Elkoubi).
Jean-Michel Joyeau, producteur Démons de dix heures, directeur Théâtre de
dix heures et Bobino.
Bernard Joyet, chanteur « fidèlement absent de la bande FM » (Le Figaro)
Jean Laffite, chargé de mission musiques actuelles, Musique et danse Limousin.
Christian Landrain, président association le Pavillon, Ivry sur Seine.
Geneviève Métivet, programmatrice bénévole à temps plein, Forum Léo Ferré,
Ivry sur Seine.
Noëlle Tartier, Le Limonaire, « bar à vins et à chansons ».
Serge Utgé-Royo, chanteur. Produit (spectacles et disques) par Édito-Hudin.
Cathy Sabroux, comédienne, dirige le Sous-sol, petite salle de répétitions et
spectacles.
Marianne Sunner, chanteuse. Vit de son activité de chanteuse classique (spécialisée dans le répertoire baroque). Tout début de son activité de chanteuse de
chansons.
Mes remerciements à tous pour le temps qu’il ont bien voulu m’accorder.
110
Soleil cherche futur
BI B L I O G R A P H I E
Avignon, un festival rentable… pour les propriétaires de salles
— La course du « off » à travers Avignon, Didier Méreuze, La Croix, 17 juillet 2002
— La gestion budgétaire des saltimbanques, Anne Constant, Le Dauphiné Vaucluse, 17 juillet 2002
— Rufus pour le festival off, « peut-être plus efficace contre l’inertie », Aude Brédy, L’Humanité,
13 juillet 2002.
— Locations de salles. Le fric, c’est pas que chic…, L. J., La Provence, 12 juillet 2002
— Un festival de théâtre et ses compagnies, le off d’Avignon, Anne-Marie Green et alii,
L’Harmattan, 1992.
Art ou business ?
— La télévision est une prostituée qui ouvre les cuisses devant les gens commercialement reconnus,
Henri Tachan, Marianne, 4 février 2002.
Petites scènes et chanson en scène
— Ailleurs, le Café Concert débranché , Jacques Roussel, Je chante! N° 19, hiver 1995.
— L’esprit caf’conc’, Pascale Bigot, Le fil d’Arianne N° 2, novembre 1997.
— Le Loup du Faubourg, Jacques Roussel, Je chante ! N° 22, décembre 1997.
— Plaidoyer pour les petits lieux , Stephan Boublil, La Scène N° 8, mars 1998.
— Ivry, une ville pour la chanson, dossier de Pascale Bigot, Le fil d’Arianne N° 5, juin 1998.
— Les scènes nationales d’Ile de France et la chanson, dossier de Pascale Bigot, Le fil d’Arianne N°6,
décembre 1998.
— Les petites scènes de Paris, péril en la demeure, dossier de Valérie Lehoux in Chorus N° 27,
avril 1999.
— Le nouveau contexte de la diffusion de la chanson, 5es journées professionnelles Chorus des
Hauts de Seine, in supplément au N° 13 de La Scène, juin 1999.
— Les « petites salles » : renouveau ou désillusion ?, Jacques Vassal, dans le dossier Le retour des
chansons de parole, Politis N° 558, 22 juillet 1999.
— Projet pour une charte des diffuseurs de la chanson en Ile de France, IRMA, août 1999.
— Les petits lieux sont d’autant plus précarisés qu’ils sont sortis du maquis, table ronde dans La
Scène N° 14, septembre 1999.
— Monter sa production à Paris : le passage capitale, dossier de La Scène N° 14, septembre 1999.
— Lettre ouverte à Madame la ministre de la culture et de la communication, Bernard Lacotte, Je
chante ! N° 25, septembre 1999.
— Les aides à la création scénique, dossier de Pascale Bigot, Le fil d’Arianne N° 8, janvier 2000.
— Ailleurs jette l’éponge, in Je chante! N° 26, juin 2000.
— Les nouvelles règles de financement public favorisent-elles la diffusion et le développement du
spectacle vivant ? 6es journées professionnelles Chorus des Hauts de Seine, hors série La Scène,
mai 2000.
— La création en chanson, Actes de la journée professionnelle du 2 mars 2000 au théâtre d’Ivry,
supplément au N° 17 de La Scène, juin 2000.
— Les cafés-concerts réduits au silence , Maya Lebas, Zurban, 27 septembre 2000.
— Les petites salles de Paris : l’hécatombe, Valérie Lehoux, Chorus N° 34, janvier 2001.
111
Soleil cherche futur
Presse spécialisée en chanson
— Chorus, les cahiers de la chanson, trimestriel.
— Je chante ! discographies, parution sporadique (environ une fois par an).
— Le petit format, bimestriel du Centre de la chanson.
— Une autre chanson, bimestriel de Belgique.
— Chante !, Chant’Essonne, Di dou da, Récréaction, et la myriade des publications d’associations.
Économie et gestion
— Le management des entreprises culturelles et artistiques, coordonné par Yves Evrard, Éditions
Economica, 1993.
— Bilan Économie et programmation des cafés-musiques en 1995, sous la direction de Bruno Colin,
Éditions Opale, octobre 1996.
— Ouvrir un lieu de spectacles, dossier réalisé par Olivier Hacquin et Nicolas Meurin, La Scène
N° 12, mars 1999.
— Les organisations, État des savoirs, ouvrage coordonné par Philippe Cabin, Sciences humaines
Éditions, 1999.
— L’économie de la culture, Françoise Benhamou, Éditions La Découverte, 3 e édition octobre 2001.
Droit
— Le guide social des entreprises culturelles, Michel Magien, Édition Juris Service/AGEC, 1993
— Profession organisateur, Pascal Chevereau et Luc Daniel, IRMA, 1995
— La chanson française et les pouvoirs publics, Dorian Kelberg, Presses Universitaires d’AixMarseille, 1997.
— Les contrats de la musique , Pierre-Marie Bouvery, IRMA, 1999.
— Les droits des musiciens, guide pratique, Guy et Éric Caumont, Éditions Seconde, octobre 2000.
— Profession entrepreneur de spectacles, Philippe Audubert et Luc Daniel, 2e édition, IRMA,
octobre 2001.
— Le guide du droit d’auteur et des droits voisins, spécial spectacle vivant, Cyrille Planson, supplément à La Scène, juin 2002.
— Les fiches pratiques de l’IRMA, vingt-six fiches régulièrement remises à jour qui vont du statut
de l’interprète aux droits d’auteur, de la licence d’entrepreneur de spectacles aux conventions collectives. Téléchargeables sur le site www. irma. asso. fr.
Politique culturelle
— L’État, le rock et la chanson, Daniel Roussel, in Regards sur l’actualité, édité par la
Documentation française, novembre 1995.
— Les moyens d’une culture «ascendante » et non « condescendante », Claude Sicre, in Carnets
culture N° 3, Région Nord-Pas de Calais, janvier 1996.
— Mesures nouvelles en faveur de la chanson, mardi 30 janvier 1996. Allocution lors des semaines
de la chanson 1996, Philippe Douste-Blazy, texte polycopié.
— Yves Duteil, prendre la chanson par la main…, entretien in La lettre bimestrielle de la SACEM,
N° 15, mai 1997.
— Quel gouffre entre les domaines de la création ! Tribune de Théo Hakola, in La Scène N° 12,
mars 1999.
112
Soleil cherche futur
— Soyons utopistes, exigeons le possible…, Pierre Barouh, texte accompagnant l’envoi à la presse
de son nouveau disque, reproduit dans Je chante ! N° 24, mars 1999.
— « Nous assistons à l’émergence de communautés choisies », entretien de Claude Sicre par David
Langlois-Mallet, Politis, 5 janvier 2001.
— Les petits lieux musicaux dans les secteurs du rock et des variétés. Description — Propositions.
Bruno Lyon, novembre 1989. Polycopié sans nom d’éditeur. Bruno Lyon était alors chargé de mission auprès du ministre de la culture.
— Diffusion des musiques actuelles et dimension régionale: une politique à définir, Frédéric
Grivolat, mémoire DESS 1996 Lyon II/ARSEC.
— État des lieux de la création en Europe, le tissu culturel déchiré, Joost Smiers, avec une préface
d’Ignacio Ramonet, Éditions l’Harmattan, 1998.
— Rapport de la commission nationale des musiques actuelles à Catherine Trautmann ministre de
la culture et de la communication, suivi de Rapports & annexes des groupes de travail, Alex Dutilh,
président, Didier Varrod, rapporteur général, septembre 1998.
— L’exportation des musiques actuelles et l’intérêt général. Une approche par styles des musiques
actuelles constitutives de l’offre française, Jacques Raynaud, mémoire DESS 1999 Lyon II/ARSEC.
— L’État culture, Essai sur une religion moderne, Marc Fumaroli, Éditions de Fallois 1992, Édition
augmentée Livre de poche, 1999.
— Qui trompe-t-on ici ? Paul Gauguin, in revue Le Moderniste, 1889, réédition l’Échoppe, collection Envois, 1996.
— Lettre sur les concours, Eugène Delacroix, in revue L’Artiste, 1831, réédition l’Échoppe, collection
Envois, 1985.
Chanson et société
— Français si vous chantiez, Jacques Vassal, Éditions Albin Michel et Rock & Folk, 1976.
— Le 9e Art, la chanson française contemporaine, Angèle Guller, Éditions Vokaer, Bruxelles, 1978.
— Chanson et société, Louis-Jean Calvet, Éditions Payot, 1981.
— Chante toujours tu m’intéresses, ou les combines du show-biz, Jacques Bertin, Éditions du Seuil,
1981.
— Cent ans de chanson française, Chantal Brunschwig, Louis-Jean Calvet et Jean-Claude Klein, Éditions du Seuil, 1981.
— La chanson française, France Vernillat et Jacques Charpentreau, P.U.F. Que sais-je ?, 1971-1983.
— Show Biz, ouvrage collectif sous la direction de Louis-Jean Calvet, Jules Chancel et Frank Tenaille,
Autrement N° 54, mars 1984.
— Histoire de la littérature prolétarienne de langue française, Michel Ragon, Éditions Albin Michel,
1974, édition revue et augmentée, Albin Michel, 1986. Chansons de métiers, poésie populaire et
argotique, écrivains ouvriers et paysans du XVIe siècle aux années 1980.
— Putain de chanson, Fred Hidalgo, Éditions du petit véhicule, 1991.
— Cinquante ans de chanson française , Lucien Rioux, Éditions de l’Archipel, 1992.
— Chanteurs à l’affiche, Jacques Vassal, Albin Michel, 1996.
— La révolution en chantant , Patricia Latour, Éditions le Temps des Cerises, 1996.
— La chanson mondiale depuis 1945 , sous la direction de Yann Plougastel, Larousse-Bordas, 1996.
— La parole en chantant, Show-business et idéologie, Thierry Maricourt, Éditions EPO, 1996.
— Si on chantait… Partir à la conquête des publics, Marie-Jeanne Nicollet, mémoire DESS, Rouen,
1996.
— Questions pour la chanson, Pascale Bigot, IRMA, 1996.
113
Soleil cherche futur
— La chanson contemporaine française, Actes du symposium de l’université d’Innsbruck 1993,
ouvrage collectif sous la direction d’Ursula Mathis, Verlag ders Instituts für Sprachwissenschaft der
Universität Innsbruck, réédition 1996.
— Fonctions sociales du blues, Robert Springer, Éditions Parenthèses, 1999.
— La chanson poétique en résistance, entretien avec Jacques Bertin, dans le dossier La chanson,
version française, revue Esprit, juillet 1999.
— Les contes du Lapin Agile, Louis Nucéra, Cherche-midi Éditeur, 2001. Un siècle d’histoire du plus
ancien des cabarets.
Art, culture et société
— Les règles de l’art, Génèse et structure du champ littéraire, Pierre Bourdieu, Éditions du Seuil,
1992.
— La distinction, critique sociale du jugement, Pierre Bourdieu, Éditions de Minuit, 1979.
— L’art : pour quoi faire ? Michel Ragon, Éditions Casterman, collection Mutations-Orientations,
1971.
— Mais qu’est-ce que la musique ? Henri Heine, Babel Actes Sud, 1997.
— Le sens du beau, aux origines de la culture contemporaine, Luc Ferry, Livre de poche, 2001.
— La haine de la musique , Pascal Quignard, Calmann-Lévy, 1996 et Folio, 1998.
— Histoire de l’art, Ernst H. Gombrich, seizième édition, Éditions Gallimard, 1995.
— Changer la vie, Jean Guéhenno, Éditions Bernard Grasset, 1961, réédition cahiers rouges Grasset
1990.
Adresses électroniques utiles
— www.adami.org
site de l’ADAMI
— www.centredelachanson.com site du Centre de la chanson. Liens avec de nombreux sites de
chanson
— www.chorus-chanson.fr
site de la revue Chorus. Liens avec de nombreux sites de
chanson
— www.culture.fr
site du ministère de la cultur e
— www.irma.asso.fr
site de l’IRMA, information et ressources pour les musiques
— www.fondsdesoutien.fr
site du Centre national des variétés ex Fonds de soutien. En
actuelles
reconstruction en octobre 2002
— www.lefcm.org
site du Fonds pour la création musicale
— www.legifrance.gouv.fr
site du journal officiel, «l’essentiel du droit français »
— www.sacem.fr
site de la SACEM
— www.scpp.fr
site de la SCPP, société civile des producteurs de phonogrammes
— www.sesam.fr
Site des droits d’auteurs dans le multimédia
Ai-je suffisamment dit que le monde, comme il va, ne peut pas aller ?
José Valverde, La culture n’est pas un musée ! entretien avec David Langlois-Mallet, Politis N° 670, 11octobre 2001.
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