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Transcription

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UNE
chine dessin
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Kalmoukie Le pays où le jeu d’échecs est roi
SUPPLÉMENT MODE
Vous avez dit équitable ?
SOMALIE Dans les camps islamistes
www.courrierinternational.com
N° 831 du 5 au 11 octobre 2006 - 3
€
Le monde
selon Pékin
Ses nouvelles
ambitions
géopolitiques
AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 €
AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN
DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £
GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥
LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 €
SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU
M 03183 - 831 - F: 3,00 E
3:HIKNLI=XUXUU[:?k@s@d@b@a;
Ses visées
néocoloniales
en Afrique
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
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3/10/06
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s o m m a i re
●
e n c o u ve r t u re
●
CHINE Le monde
selon Pékin
Sur RFI Retrouvez l’émission Retour sur info, animée par Sophie Backer.
Cette semaine, “Emigration clandestine : une nouvelle route vers les
Canaries”, avec Pierre Cherruau, de CI, et Patrick Adam (de retour des
Canaries), membre du desk Europe de RFI. Cette émission sera diffusée sur
89 FM samedi 7 octobre à 19 h 40 et dimanche 8 octobre à 0 h 10, puis
disponible sur <www.rfi.fr>.
The Economist
Pour assurer la croissance du pays, les dirigeants chinois
signent des contrats avec les pays producteurs de pétrole.
Dans le même temps, ils envoient des soldats participer
aux opérations de paix et inaugurent des instituts
culturels. Une politique ambitieuse, qui doit permettre,
selon le Quotidien du peuple, d’aller “vers un monde
harmonieux”.
pp. 36 à 41
Dessin paru dans The Economist, Londres.
4 ■ les sources de cette semaine
6 ■ l’éditorial Réchauffement : la nouvelle
internationale, par Philippe Thureau-Dangin
■
■
■
■
E N Q U Ê T E E T R E P O R TA G E S
36 ■ en couverture Le monde selon Pékin
La Chine s’affirme sur la scène internationale. Elle
joue maintenant pleinement le rôle diplomatique
que lui confère sa qualité de membre permanent du
Conseil de sécurité de l’ONU. Elle cherche par
ailleurs à garantir son approvisionnement en matières
premières en nouant des alliances avec les pays
producteurs. Tour d’horizon.
42 ■ culture Limón et sa tribu flamenca Casa
Limón n’est pas une simple maison de production.
C’est un objet musical non identifié, qui a dynamisé
le flamenco. Rencontre avec son fondateur, Javier
Limón.
RUBRIQUES
6
6
9
58
34 ■ afrique S O M A L I E Les islamistes réinventent
les camps de rééducation GUINÉE - BISSAU Une nouvelle route
vers les Canaries
44 ■ reportage Le prince des échecs est
l’invité Talal Awkal, Al-Ayyam, Ramallah
kalmouk Enclave bouddhiste à l’ouest de la mer
Caspienne, la Kalmoukie est régentée par un
milliardaire, Kirsan Ilioumjinov, qui a fait du jeu
d’échecs une quasi-religion d’Etat.
le dessin de la semaine
à l’affiche
voyage Belize, ce pays
46 ■ débat Le plus grand bobard de l’Histoire
où personne ne va jamais
61 ■ le livre Au nom du porc, de Pablo Tusset
62 ■ insolites L’excursion du jour :
passer la frontière comme un vrai clandestin
En route pour l’UE
p. 20
Comment la Maison-Blanche a-t-elle pu à ce point
falsifier les faits sur la guerre d’Irak ? Pourquoi la
presse a-t-elle relayé sa propagande ? Ces graves
questions sont au cœur d’un livre passionnant du
journaliste Frank Rich.
D’UN CONTINENT À L’AUTRE
IN ENGLISH
12 ■ france T É L É V I S I O N Grâce présidentielle C I N É M A
49
D’indigènes à Français à par t entière P O L I T I Q U E Merci,
Lionel !
■ Courrier international en v.o.
15 ■ europe
H O N G R I E Il est urgent de mettre fin
à la crise morale POLOGNE Un nouveau scandale éclabousse
les frères Kaczynski A U T R I C H E Schüssel victime de la
mondialisation G R È C E Athènes tenté par la manne de
l’argent sale RUSSIE Moscou dans le piège géorgien ITALIE
La jeunesse volée des bas-fonds de Naples D A N E M A R K
Le design danois victime d’IKEA dossier Bulgares
et Roumains dans l’UE L’Europe… mais sans les
Roumains • Bucarest-Sofia : match nul • “Le mur de
Berlin est enfin tombé”
24 ■ amériques ÉTATS - UNIS George W. Bush : de
la tyrannie en Amérique C O N T E S TAT I O N Les inconnues de
la nouvelle loi ÉTATS - UNIS L’islam fait des adeptes chez les
Latinos ÉTATS - UNIS Oprah Winfrey présidente malgré elle ?
ARGENTINE Le premier disparu de la démocratie BRÉSIL Lula
à l’épreuve du second tour A M É R I Q U E L AT I N E Remesas et
délinquance
28 ■ asie VIETNAM La démocratie sera-t-elle au rendezvous ? T H A Ï L A N D E Réformes au pas de charge pour le
nouveau Premier ministre I N D E Malegaon, ses temples,
ses mosquées J A P O N Donner un élan à la démocratie
participative RÉGIONS Plusieurs communes en état de faillite
■ le mot de la semaine “jichi”, l’autonomie
32 ■ moyen-orient I S R A Ë L Parler à Damas et
non au Hamas I R A N Visite aux juifs de Téhéran PA L E S T I N E
Ça boume à Gaza ! IRAK Vivre et laisser vivre IRAK On meurt
aussi à Mossoul
INTELLIGENCES
53 ■ économie I N D U S T R I E Le Japon redonne
la priorité à la qualité M O N N A I E Les salariés russes
redécouvrent les ver tus du rouble ■ la vie en boîte
Le déjeuner, quelle perte de temps !
56 ■ écologie P O L L U T I O N A Stockholm, le péage
modulable s’impose
Belize, inconnu des touristes
p. 58
57 ■ multimédia MÉDIA Internet brouille l’avenir
de la radio
LA SEMAINE PROCHAINE
enquête Les
extrêmes droites en Europe
israël Alia, le bataillon 100 % russe
de Tsahal
ET AUSSI
“Courrier in English” (5
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
e
3
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
et dernier volet)
3/10/06
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l e s s o u rc e s
●
CETTE SEMAINE DANS COURRIER INTERNATIONAL
ASAHI SHIMBUN
8 230 000 ex. (éditions du matin)
et 4 400 000 ex. (éditions du
soir), Japon, quotidien. Fondé
en 1879, chantre du pacifisme
nippon depuis la Seconde Guerre
mondiale, le “Journal du SoleilLevant” est une véritable
institution. Trois mille
journalistes, répartis dans trois
cents bureaux nationaux et trente
à l’étranger, veillent à la récolte
de l’information.
ASIA TIMES ONLINE
<http://www.atimes.com>, Chine.
Lancée fin 1995, l’édition papier de
ce journal anglophone s’est arrêtée
en juillet 1997 et a donné
naissance, en 1999, à un véritable
journal en ligne régional. Alors que
la presse d’actualité régionale
a perdu ses principaux
représentants, ce webzine étend son
champ d’action au Moyen-Orient.
AL-AYYAM 6 000 ex., Israël
(Territoires palestiniens),
quotidien. Fondé en 1995,
“Les Jours” est le premier
quotidien palestinien de Ramallah
et est perçu comme le journal des
intellectuels palestiniens modérés.
Ses éditorialistes sont souvent
bien informés. Plusieurs de ses
articles sont repris sur le site
d’information Amin.
THE CHRISTIAN SCIENCE
MONITOR 70 000 ex., Etats-Unis,
quotidien. Publié à Boston mais
lu “from coast to coast”,
cet élégant tabloïd est réputé
pour sa couverture des affaires
internationales et le sérieux de ses
informations nationales.
CORRIERE DELLA SERA
715 000 ex., Italie, quotidien.
Fondé en 1876, sérieux et sobre,
le journal a su traverser les
vicissitudes politiques en gardant
son indépendance, mais sans se
démarquer d’une ligne quelque
peu progouvernementale.
Le premier quotidien italien
mentionne toujours “della sera”
(du soir) dans son titre, alors qu’il
sort le matin depuis plus d’un
siècle.
COTIDIANUL 40 000 ex.,
Roumanie, quotidien. “Le
quotidien” a été fondé en 1991
par Ion Ratiu, journaliste à la
BBC, devenu une des figures
marquantes de la politique
roumaine, dans la perspective
d’informer le citoyen avec
professionnalisme, et de servir
la démocratie. Les journalistes
ont été formés au Guardian,
une influence qui se voit dans
la présentation et l’écriture
du journal.
DIARIO 30 000 ex., Italie,
hebdomadaire. Créé comme
supplément de L’Unità,
le quotidien des Démocrates de
gauche (ex-PCI), l’ancien Diario
della Settimana mène depuis
1995 une carrière solo.
Il privilégie les enquêtes, les
reportages et la culture, avec une
attention particulière pour
la société et les mœurs.
Résolument à gauche, il n’hésite
pas à publier des éditions
spéciales consacrées à l’histoire
ou à la politique.
s’opposer au gouvernement
et d’être indépendant
de tout intérêt politique.
ETIQUETA NEGRA 7 000 ex.,
Pérou, mensuel. Fondée début
2002, l’“Etiquette noire”
a pour ambition d’être
l’équivalent du New Yorker pour
l’Amérique latine. C’est-à-dire
une revue de grande qualité, tant
éditoriale que formelle.
Hongrie, quotidien. Organe du
pouvoir jusqu’en 1989, repris par
le Britannique Maxwell puis par le
groupe suisse Ringier, “La Gazette
hongroise” était proche de
l’Alliance des démocrates libres
(SZDSZ), alliée libérale des
socialistes au pouvoir depuis 2002.
Le journal a fermé ses portes le
5 novembre 2004... avant de
réapparaître, à la fin du même
mois, avec la même rédaction
désormais propriétaire du titre.
420 000 ex., Brésil, quotidien.
Née en 1921, la “Feuille de São
Paulo” a fait, au début des
années 80, une cure de jouvence
ayant pour maîtres mots :
objectivité, modernité, ouverture.
Le quotidien est devenu ensuite
le plus influent journal du pays,
attirant l’intérêt, entre autres,
d’une jeune élite qui se bat pour
la consolidation de la démocratie.
GAZETA WYBORCZA 500 000 ex.
en semaine et 1 000 000 ex. le
week-end, Pologne, quotidien.
“La Gazette électorale”, fondée
par Adam Michnik en mai 1989,
est devenue un grand journal
malgré de faibles moyens.
Et avec une immense ambition
journalistique : celle d’être laïque,
informative, concise. Son
supplément culturel du vendredi,
Magazyn-Gazeta Wyborcza,
est devenu un rendez-vous
incontournable.
HIMAL 10 000 ex., Népal,
mensuel. Propriété du groupe
de presse Himalmedia dont
il est le fleuron, la revue se
présente comme le seul magazine
d’information générale sur l’Asie
du Sud. Disposant d’un réseau
de correspondants dans la région,
elle a su s’imposer par le sérieux
de ses analyses et l’indépendance
de ses points de vue.
THE INDEPENDENT 252 000 ex.,
Royaume-Uni, quotidien.
Créé en 1986, ce journal s’est fait
une belle place dans le paysage
médiatique. Racheté en 1998 par
le patron de presse irlandais Tony
O’Reilly, il reste farouchement
indépendant et se démarque
par son engagement proeuropéen,
ses positions libertaires sur des
problèmes de société et son
illustration.
THE INDIAN EXPRESS
550 000 ex., Inde, quotidien.
S’autoproclamant “India’s only
national newspaper”, l’Indian
Express est le grand rival du Times
of India. Il est connu pour son ton
combatif et son “journalisme
du courage”, ainsi que pour ses
enquêtes sur des scandales
politico-financiers. Son
supplément Sunday Magazine
comporte d’intéressants articles
culturels.
Offre spéciale
d’abonnement
Bulletin à retourner
sans affranchir à :
Etats-Unis, quotidien. Cinq cents
grammes de papier par numéro,
2 kilos le dimanche, une vingtaine
de prix Pulitzer : c’est le géant de la
côte Ouest. Créé en 1881, il est le
plus à gauche des quotidiens à fort
tirage du pays.
MAGYAR HÍRLAP 37 000 ex.,
FOLHA DE SÃO PAULO
INFORMATION 41 600 ex.,
Danemark, quotidien. Fondé
en 1943, le journal était,
pendant l’Occupation,
la source d’information
clandestine des groupes de
résistance. Aujourd’hui, il se
vante d’être le seul quotidien à
LOS ANGELES TIMES 851 500 ex.,
IZVESTIA 430 000 ex., Russie,
quotidien. L’un des quotidiens
russes de référence, qui traite tous
les domaines de l’actualité,
les articles étant souvent
accompagnés de bons dessins
humoristiques ; un supplément
“business” sur pages saumon
le mardi et le jeudi.
JERUSALEM POST 55 000 ex.,
Israël, quotidien. Créé en 1932
sous le nom de Palestine Post par
Gershon Agron, “Le Courrier
de Jérusalem” bénéficia, jusqu’en
1989, d’une réputation
d’indépendance et de sérieux.
Depuis lors, il défend une ligne
éditoriale proche du Likoud.
I KATHIMERINI 30 000 ex.,
Grèce, quotidien. Fondé
en 1919, ce titre conservateur
est considéré comme l’un
des journaux les plus sérieux
du pays. Le propriétaire actuel
du “Quotidien”, l’armateur
Aristides Alafouzos, lui a donné
un prestige international en
lançant une édition en anglais
distribuée en Grèce comme
supplément de l’International
Herald Tribune.
KOMMERSANT 114 000 ex.,
Russie, quotidien. L’un des bons
quotidiens moscovites, des
informations sur tous les sujets,
avec une dominante économique,
des articles souvent plus courts
et plus percutants que ceux
de ses confrères. Le groupe
Kommersant publie, entre autres,
l’hebdomadaire Vlast.
LIAOWANG XINWEN ZHOUKAN
(Outlook Weekly) 200 000 ex.,
Chine, hebdomadaire. Fondé
en 1981 et appartenant à l’agence
officielle Xinhua (Chine
nouvelle), ce magazine présente
un aspect rébarbatif et un style
compact, mais il est sans aucun
doute l’un des porte-parole
officiels les mieux informés
et les plus informatifs de Chine.
LIBÉRATION 10 000 ex., Maroc,
quotidien. Organe de l’Union
socialiste des forces populaires
(USFP), c’est le porte-parole
de l’opposition socialiste, inspirée
par la grande ombre de Mehdi
Ben Barka.
AN-NAHAR 55 000 ex., Liban,
quotidien. “Le Jour” a été fondé
en 1933. Au fil des ans, il est
devenu le quotidien libanais
de référence. Modéré et libéral, il
est lu par l’intelligentsia libanaise.
THE NATION 50 000 ex.,
Thaïlande, quotidien. Fondé
en 1971, ce journal indépendant
de langue anglaise a lancé en
novembre 1998 une édition
asiatique, vendue à Singapour,
en Malaisie, en Indonésie, au
Vietnam, au Japon, aux Philippines
et en Chine (Hong Kong).
THE NEW YORK TIMES
1 160 000 ex. (1 700 000 le
dimanche), Etats-Unis, quotidien.
Avec 1 000 journalistes,
29 bureaux à l’étranger et plus de
80 prix Pulitzer, le NewYork Times
est de loin le premier quotidien
du pays, dans lequel on peut lire
“all the news that’s fit to print” (toute
l’information digne d’être publiée).
NIHON KEIZAI SHIMBUN
3 000 000 ex. (édition du matin)
et 1 665 000 ex. (édition du soir),
Japon, quotidien. Par la diffusion,
le “Journal économique du Japon”
est sans conteste le plus important
quotidien économique du monde.
Par la qualité de l’information, il fait
partie, avec le Wall Street Journal et
le Financial Times, du cercle fermé
des grands titres internationaux.
EL NUEVO HERALD 90 000 ex.,
Etats-Unis, quotidien. Fondé
en 1987, en tant que supplément
du Miami Herald, “Le Nouveau
Herald” est devenu un titre à part
entière en 1988. Véritable
référence pour la communauté
latino-américaine de Miami, il
appartient comme son grand frère
au groupe Knight Ridder.
PÁGINA 12 75 000 ex., Argentine,
quotidien. Lancé en 1987,
Página 12 est aujourd’hui le
quotidien indépendant de gauche
le plus important de Buenos Aires.
Percutant et bien informé, il prend
position pour les droits de l’homme,
s’attaque à la corruption et dénonce
l’impunité en faisant ressortir les
affaires de l’époque des dictatures.
EL PAÍS 457 000 ex. (831 000 ex.
le dimanche), Espagne, quotidien.
Né en mai 1976, six mois après la
Courrier international
mort de Franco, “Le Pays” est une
institution en Espagne. Il est le plus
vendu des quotidiens d’information
générale et s’est imposé comme
l’un des vingt meilleurs journaux
du monde. Il appartient au groupe
de communication PRISA,
actionnaire du groupe Le Monde
dont fait partie Courrier
international.
RÉDACTION
64-68, rue du Dessous-des-Berges, 75647 Paris Cedex 13
Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01
Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02
Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected]
DIE PRESSE 74 000 ex., Autriche,
quotidien. Crée en 1848, proche
des milieux industriels et du Parti
populaire (ÖVP, chrétien
conservateur), voici le “journal
de l’élite”, comme il se nomme
lui-même.
Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin
Assistante Dalila Bounekta (16 16)
Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98)
Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54),
Claude Leblanc (16 43)
Rédacteur en chef Internet Marco Schütz (16 30)
Chef des informations Anthony Bellanger (16 59)
RZECZPOSPOLITA 264 000 ex.,
Pologne, quotidien. Le titre a été
créé juste après la loi martiale
décrétée le 13 décembre 1981 par
le général Jaruzelski en tant que
quotidien de la nomenklatura.
Après la chute du communisme,
“La République” ne s’est jamais
privée de critiquer les
gouvernements successifs. Contrôlé
par Robert Hersant de 1991
à 1996, le quotidien est depuis
la propriété du groupe norvégien
Orkla, associé au Trésor public.
Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)
Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)
Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59),
Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,
16 22), Daniel Matias (Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron
(Finlande), Rasmus Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande),
Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist
(Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service,
16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, ex-URSS, 16 79), Iwona
Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Sophie Chergui (Etats baltes), Andrea Culcea
(Roumanie, Moldavie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets
(Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miklos Matyassy
(Hongrie), Miro Miceski (Macédoine), Zbynek Sebor (Tchéquie), Gabriela
Kukurugyova (Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, BosnieHerzégovine), Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord,
16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine
Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil)
Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef
de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud,
16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime
(Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées),
Hemal Store-Shringla (Asie du Sud), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient
Marc Saghié (chef de service, 16 69), Nur Dolay (Turquie), Alda Engoian (Asie
centrale, Caucase), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri (Iran), Philippe
Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre
Cherruau (chef de service, 16 29), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot
(Angola, Mozambique), Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle
Lauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de rubrique, 16 47) Multimédia
Claude Leblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Olivier Blond (chef de
rubrique, 16 80) Insolites, tendance Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60)
Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)
SEGA 10 000 ex., Bulgarie,
hebdomadaire. “Maintenant”,
seul newsmagazine bulgare, paraît
depuis janvier 1996. Il milite pour
un journalisme de qualité,
ouvrant ses pages à des opinions
de tous les bords politiques.
LE TEMPS 53 000 ex., Suisse,
quotidien. Né de la fusion,
en 1998, du Nouveau Quotidien
et du Journal de Genève et Gazette
de Lausanne, Le Temps, quotidien
francophone, est aussi diffusé
en Suisse alémanique. Tourné
vers l’Europe, il veut être le lieu
des débats qui agitent le pays,
dans tous les domaines.
Site Internet Marco Schütz (rédacteur en chef, 16 30), Eric Glover (chef de service,
16 40), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (1661)
Philippe Randrianarimanana (16 68), Hoda Saliby (16 35),Pierrick Van-Thé (webmestre,
16 82), Julien Didelet (chef de projet)
THE WALL STREET JOURNAL
Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62)
2 000 000 ex., Etats-Unis,
quotidien. C’est la bible des
milieux d’affaires. Mais à manier
avec précaution : d’un côté, des
enquêtes et reportages de grande
qualité ; de l’autre, des pages
éditoriales tellement partisanes
qu’elles tombent trop souvent
dans la mauvaise foi la plus
flagrante.
Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain,
16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle
Boudon (anglais, allemand), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Françoise
Escande-Boggino (japonais, anglais), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois),
Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), MarieChristine Perraut-Poli (anglais, espagnol), Olivier Ragasol (anglais, espagnol),
Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)
Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe
Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche
Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine
Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91)
YAZHOU SHIBAO ZAIXIAN
Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey,
Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Denis Scudeller Cartographie Thierry
Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil
(colorisation) Calligraphie Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (1684)
<http://www.atchinese.com/>
Chine. Créé en 2002 comme
version chinoise d’Asia Times
Online, ce site est rapidement
devenu un portail d’information
en chinois. Il traduit une partie des
articles de la version anglaise, mais,
depuis 2003, produit également
des reportages et des analyses.
Grâce à cela, il est en train d’entrer
dans le cercle restreint des médias
indépendants pratiquant le
journalisme en langue chinoise.
Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi
de 15 heures à 18 heures
Fabrication Jean-Marc Moreau (chef de fabrication, 16 49). Impression, brochage :
Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg
Ont participé à ce numéro Torunn Amiel, Chloé Baker, Gilles Berton, Marc-Olivier
Bherer, Aurélie Boissière, Marianne Bonneau, Olivier Bras, Régine Cavallero, Gaëlle
Charrier, Valéria Dias de Abreu, Natacha Haut, Julie Marcot, Hamdam Mostafavi,
Josiane Petricca, Anne Proenza, Jonnathan Renaud-Badet, Hélène Rousselot,
Eva Schauerte, Isabelle Taudière, Anne Thiaville, Emmanuel Tronquart, Janine de
Waard, Zaplangues
YEDIOT AHARONOT 400 000 ex.,
ADMINISTRATION - COMMERCIAL
Israël, quotidien. Créé en 1939, “Les
Dernières Informations” appartient
aux familles Moses et Fishman. Ce
quotidien marie un sensationnalisme
volontiers populiste à un journalisme
d’investigation et de débats
passionnés.
Directrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes :
Sophie Jan (16 99), Agnès Mangin. Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust
(16 05). Comptabilité : 01 57 28 27 30, fax : 01 57 28 21 88
Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée de Lionel
Guyader (16 73)
Diffusion Le Monde SA ,80,bd Auguste-Blanqui,75013 Paris,tél.: 01 57 28 20 00.Directeur
commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable publications : Brigitte Billiard.
Marketing : Pascale Latour (01 46 46 16 90). Direction des ventes au numéro :
Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (01 57 28 33 78), fax : 01 57 28 21 40
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n° 831
Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire
et conseil de surveillance au capital de 106 400 €
Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA.
Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président
et directeur de la publication ; Chantal Fangier
Conseil de surveillance : Jean-Marie Colombani, président, Fabrice Nora, vice-président
Dépôt légal : octobre 2006 - Commission paritaire n° 0707C82101
ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France
mois
année
60VZ1102
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Cryptogramme
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
4
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
Courrier international (USPS 013-465) is published weekly by
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Subscription price is 199 $ US per year. Periodicals postage paid
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Ce numéro comporte un encart Abonnement broché pour la vente au numéro et un supplément Mode de 24 pages pour l’ensemble de la diffusion.
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l’invité
ÉDITORIAL
Réchauffement : la
nouvelle Internationale
C’était urgent pour Courrier international de le faire. Même si, dans
l’hebdomadaire, nous couvrons
sans relâche le réchauffement de la
planète, ce fait majeur du siècle,
nous nous devions d’aller plus loin.
“Trop chaud”, tel est le titre de
notre hors-série, qui est disponible
cette semaine chez les marchands de journaux.
Les experts n’ont maintenant plus de doute : d’ici
à 2100, on devrait assister à une élévation des températures moyennes de l’ordre de 7 °C, avec des perturbations climatiques – ouragans et tempêtes en tête –
de plus en plus dévastatrices. Certaines régions de
France, dès 2050, connaîtront probablement une
moyenne de vingt jours de canicule par an, contre
trois environ à la fin du XXe siècle. En 2100, la
Bretagne et le Nord ne connaîtront plus le gel, ce
qui ne manquera pas de changer la flore et donc
la faune de ces régions.
Il n’était pas question dans ce hors-série de prêcher
une bonne parole et de faire la morale. Nous souhaitions avant tout expliquer les phénomènes et communiquer à nos lecteurs tous les éléments du débat,
sans passer sous silence les sujets de controverse. On
ne connaît toujours pas, pour commencer, toutes les
conséquences de ce réchauffement dû à l’activité
humaine et à l’accumulation des gaz à effet de serre.
Les scientifiques continuent, par ailleurs, de s’interroger sur le lien entre l’élévation des températures
et la violence des cyclones. Ils polémiquent sur les
solutions envisageables.
S’il n’y a pas de remède miracle, il existe quantité
de solutions partielles. Certaines passent par le marché, beaucoup d’autres par des réglementations et
des politiques plus coercitives, d’autres enfin seront
le résultat de nos engagements individuels. A la fin
de ce hors-série, outre des analyses de ces réponses,
vous trouverez quarante portraits, d’hommes et de
femmes qui ont décidé de s’engager dans ce combat vital pour l’avenir de la Terre. Vous y découvrirez aussi bien des “people” comme Julia Roberts que
des fonctionnaires comme l’Indien Bhure Lal ou
des scientifiques tel le Chinois Li Zheng… Et si à
travers ce combat était en train de naître un nouvel
internationalisme intelligent ?
Philippe Thureau-Dangin
L E
D E S S I N
D E
L A
Talal Awkal
Al-Ayyam, Ramallah
es sources de tensions sont si nombreuses dans passe dans laquelle elles se trouvent depuis des années.
les Territoires palestiniens qu’on ne peut qu’être Bref, le monde qui nous entoure souhaite avancer. Cela
pessimiste pour l’avenir. Cette fois-ci, l’inquié- s’explique par les changements considérables qui sont
tude ne concerne pas les menaces ou les plans de survenus sur la scène régionale [notamment au Liban]
réoccupation israéliens mais les luttes internes et qui poussent tout le monde à reconnaître qu’il faut
entre Palestiniens [les récents combats entre traiter les causes des tensions et du terrorisme à la
le Fatah et le Hamas ont fait des dizaines de racine, c’est-à-dire en se préoccupant de la question
morts et des centaines de blessés]. Depuis palestinienne et du conflit israélo-arabe. Les dirigeants
l’échec des négociations sur la formation d’un gouver- palestiniens se rendent bien compte de la responsabinement d’union nationale entre le Fatah [du président lité qui est la leur, mais ils n’ont pas compris l’imMahmoud Abbas] et le Hamas [du Premier ministre portance de se mettre au diapason de la communauté
Ismaïl Haniyeh], les tensions vont grandissant et les internationale.
déclarations incendiaires se multiplient, au point que Le seul choix possible, c’est celui d’un gouvernement
les craintes de guerre civile sont sur toutes les lèvres. d’union nationale avec des ministres technocrates. En
L’inquiétude est d’autant plus grande que les membres revanche, les appels à de nouvelles élections ou à la
des forces de l’ordre ont commencé à se joindre aux déclaration de l’état d’urgence ne sont pas sérieux. Ce
protestations des fonctionserait le moyen le plus sûr
naires, dont les salaires n’ont
de déclencher une guerre
toujours pas été payés, en
civile qui ne servirait les
raison du blocus internatiointérêts d’aucun d’entre
nal et de l’arrêt des aides
nous. C’est pourquoi nous
étrangères [depuis la victoire
ne devons pas croire ceux
du Hamas aux élections
qui affirment qu’il est
législatives de janvier 2006].
désormais vain de parvenir
Ce qui est consternant, c’est
à un accord entre le Fatah
que ces tensions interpales- ■ L’intellectuel palestinien Talal Awkal est le principal
et le Hamas. En l’absence
tiniennes s’aggravent préci- éditorialiste politique de Al-Ayyam (“Les Jours”), le quotid’un tel espoir et en cas de
sément au moment où la dien le plus influent de Ramallah. Plusieurs de ses
dégradation continue de
communauté internationale articles ont été traduits dans les médias anglo-saxons,
notre situation intérieure,
semble vouloir ressusciter le notamment sur le site de la BBC. Il a aussi participé à la
notre jeunesse va de plus en
processus de paix. L’Europe rédaction de l’important dossier de l’université de Bir Zeit
plus être tentée par l’émiest impatiente de s’engager (2004) sur le développement humain en Palestine.
gration, alors que, déjà, de
dans ce sens, le Premier
nombreuses usines ont été
ministre britannique Tony Blair déclare qu’il consa- délocalisées, que des projets d’investissement ont été
crera le temps qu’il lui reste à la tête de son gouver- annulés et que des capitaux ont fui vers l’étranger.
nement à faire avancer la paix, et les Etats-Unis Mahmoud Abbas a été profondément déçu par le fait
envoient la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice dans la que le Hamas soit revenu sur son acceptation de l’inirégion. Elle pourrait bientôt être suivie par le prési- tiative arabe pour la paix [selon un projet saoudien
dent George W. Bush en personne, qui s’apprête à rece- adopté par la Ligue arabe à Beyrouth, en 2002, mais
voir un certain nombre de dirigeants du Moyen-Orient rejeté par Israël, proposant des relations diplomatiques
et qui aurait récemment rencontré son prédécesseur normales entre les pays arabes et Israël en contreBill Clinton pour développer quelques idées et propartie de l’établissement d’un Etat palestinien dans les
positions susceptibles de relancer les négociations. Les frontières de 1967]. Ce revirement du Hamas a anéanti
pays arabes semblent également plus enclins à s’en- les efforts d’obtenir un allègement du blocus internagager en faveur de la paix, et, même en Israël, les décla- tional. Aujourd’hui, pour être à la hauteur des évorations se multiplient pour laisser entendre que le Pre- lutions internationales, nos dirigeants doivent prendre
mier ministre Ehoud Olmert serait prêt à rencontrer des initiatives courageuses et remettre de l’ordre dans
Mahmoud Abbas afin de sortir les négociations de l’im- la maison palestinienne.
■
L
Ma Palestine
qui se déchire
S E M A I N E
■ “Nous avons
décidé d’annuler
l’Idoménée
de Mozart.”
REIMS ET SA RÉGION
à l’honneur dans
le numéro du jeudi 12 octobre de Courrier international.
En décidant
de déprogrammer
cette œuvre
par crainte de
réactions d’islamistes,
la directrice
de l’opéra de Berlin
a soulevé une vague
de réprobation.
Dans l’une des
scènes, Idoménée
expose les têtes
de Poséidon, de Jésus,
du Bouddha
et de Mahomet.
Dessin d’Ann Telnaes,
Etats-Unis.
●
Nous consacrons un dossier spécial à Reims et sa région vus par
différents journalistes européens et par le dessinateur Cost.
RENCONTRE À L’UNIVERSITÉ DE REIMS
CHAMPAGNE-ARDENNE
Philippe Thureau-Dangin, directeur de la
rédaction de Courrier international,
participera au débat sur le thème
“La France et l’avenir de l’Europe”.
Mercredi 11 octobre à 18 heures
à l’université de Reims ChampagneArdenne. Amphithéâtre 7.
Campus Croix-Rouge.
57, rue Pierre-Taittinger.
Entrée libre.
Car toonists & Writers Syndicate
Chaque jour, retrouvez un nouveau dessin d’actualité sur www.courrierinternational.com
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
6
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
RENCONTRE À LA FNAC
Philippe Thureau-Dangin, directeur de la
rédaction de Courrier international,
et Eric Maurice, chef du service Europe
de l’Ouest, expliqueront comment
est conçu et fabriqué l’hebdomadaire, et répondront à vos questions
sur l’actualité internationale.
Jeudi 12 octobre à 17 h 30 au Forum
de la FNAC. Centre commercial,
espace Drouet d’Erlon. Entrée libre.
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à l ’ a ff i c h e
Pologne
●
Une charcutière en politique
utomne 2001. Renata Beger,
élue d’Autodéfense [Samooborona, parti populiste], fait
son entrée à la Diète. “J’ai prié
pour devenir députée. Pour
avancer, j’ai dû combattre l’ennemi, à savoir ce gouvernement
[de droite, issu de Solidarnosc]
qui veut étrangler l’agriculture polonaise”,
affirmait-elle alors. Ce n’est pas une
prière qui l’a aidée, mais les 1 500 signatures d’électeurs falsifiées, déposées sur
les listes des candidats d’Autodéfense.
Le 30 juin dernier, Renata Beger a été
condamnée en première instance à cinq
ans de prison avec sursis. Loin d’être
abattue, elle annonce qu’elle fera appel
et ira “jusqu’à Strasbourg, si nécessaire”.
[C’est elle qui a mis à mal le gouvernement polonais en diffusant un enregistrement où l’on voit Adam Lipinski, chef
de cabinet du Premier ministre, lui offrir
un poste ministériel en échange de son
soutien au gouvernement.]
Renata Beger est née en 1958 dans
un petit village de Poméranie. Elle est le
quatrième enfant d’un cheminot. “Une
fifille à papa, aime-t-elle à dire. Incorrigible en plus, comme mes frères. Et ça n’a
pas changé : je ne me laisserai pas faire par
un président ou un Premier ministre.” Après
l’école élémentaire, elle veut travailler.
“Passer du temps à lire des livres me semblait improductif.” En 1975 – elle n’a pas
17 ans –, elle se marie, par amour ditelle ; en fait, elle attend un enfant.
Pour gagner sa vie, elle coud des
gants, travaille comme serveuse, tient une
épicerie. “En 1982, avec mon mari, nous
avons fait construire une serre, et nous nous
sommes lancés dans la production de champignons de Paris. Puis, comme on avait une
13/09/06
12:54
Juin-juille
RENATA BEGER, 48 ans, députée polonaise.
L’égérie du parti populiste Autodéfense a mis le
feu aux poudres en rendant public un enregistrement vidéo qui montre comment le parti au
pouvoir des frères Kaczynski essaie d’acheter le
soutien des populistes.
ferme, on est passés à la charcuterie.Tuer des
animaux ? Aucun problème. On met des
électrodes derrière les oreilles du cochon, et
c’est fini.”
“Tout allait bien jusqu’à l’arrivée de
Leszek Balcerowicz [libéral, père de la thérapie de choc au début des années 1990].
On était étranglé par les crédits. On ne fait
pas ça aux gens !” s’énerve la députée.
Conséquence : en 1992, elle rejoint
Samooborona. Un an plus tard, elle
connaît son baptême du feu de militante.
Avec d’autres paysans, elle organise le
blocus des routes et des frontières pour
protester contre les réformes de l’agri-
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culture. En plein hiver, elle apporte du
thé et des paniers de saucisses à ses
camarades de combat. Ensuite elle prend
la direction du parti pour la région de
Poznan, avant de devenir secrétaire générale de Samooborona. Après une entrée
triomphale à la Diète, dans le sillage des
élus populistes, Beger est propulsée
experte en affaires économiques.
Pendant son mandat (2001-2005),
elle s’active au Parlement et brille dans
les médias. Mais, à la même époque, la
justice commence à s’intéresser aux listes
falsifiées : il se trouve que Renata Beger
est également vice-présidente de la commission d’éthique de l’Assemblée.
En janvier 2002, Beger et ses collègues
d’Autodéfense bloquent le perchoir de
la Diète : elle passe en direct à la télé, en
saluant – radieuse – ses amis. Elle figure
parmi les 200 personnes qui occupent
le ministère de l’Agriculture pour protester contre la situation dramatique des paysans. Son visage, avec celui de quelques
autres, incarne ces manifestations.
Mais c’est en mai 2003 qu’elle
devient la star des tabloïds, après avoir
accordé au journal Super Express une
interview fameuse où elle confessait
qu’elle n’avait pas de tableaux à la maison parce qu’elle “n’[aimait] pas faire des
trous dans les murs” et qu’elle aimait le
sexe “comme un cheval aime l’avoine”.
Renata Beger est non seulement députée, mais aussi étudiante en politologie
à l’université de Poznan. “Ce n’est certainement pas ici qu’elle a appris de telles
méthodes”, se défend le Pr Zbigniew Czachor à propos des enregistrements vidéo
qui secouent aujourd’hui le monde politique polonais [voir aussi p. 15].
KEITH ELLISON
Musulman, et alors ?
l a quelque chose qui
attire l’attention des
gazettes : s’il est élu, le
7 novembre prochain, à
la Chambre des représentants, cet homme
sera le premier musulman membre du Congrès
américain. Et le premier parlementaire noir du
Minnesota. Mais l’intéressé rechigne à ce qu’on
l’étiquette “premier ceci ou cela”, regrettant que
l’intérêt porté à sa religion puisse rendre inaudible son programme, axé sur la défense des
plus pauvres et sur le retrait des Etats-Unis de
l’Irak. Né à Detroit il y a quarante-trois ans dans
une famille catholique, Keith Ellison s’est converti
à l’islam à 19 ans ; il a été proche de Nation
of Islam, le mouvement afro-américain radical
de Louis Farrakhan. Il reconnaît et déplore aujourd’hui le caractère antisémite et antiblanc de ce
mouvement, mais se défend d’en avoir jamais
été membre. Il n’empêche : en remportant la
primaire démocrate du Minnesota, l’avocat Keith
Ellison, défenseur attitré des Afro-Américains, a
attiré sur lui les foudres de la majorité. Un ténor
républicain l’a traité d’“homme d’extrême
gauche, qui défend les assassins de flics”. Lui
préfère dénoncer la politique de Bush, s’opposer à ceux qui brandissent le choc des civilisations et rappeler que les musulmans – ils sont
4 millions aux Etats-Unis – ont des aspirations
que peuvent comprendre tous les Américains.
“Une bonne éducation, créer son business, se
marier, construire une mosquée et vivre sa vie.”
(D’après The Sunday Telegraph, Londres)
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SURAYUD CHULANONT
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Gazeta Wyborcza (extraits), Varsovie
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COURRIER INTERNATIONAL N° 831
PERSONNALITÉS DE DEMAIN
Jim Mone/AP-Sipa
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9
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
urant ses trentehuit années de carrière dans l’armée, il
s’est forgé une réputation d’efficacité, de tact et d’incorruptibilité.
Il aura besoin de tout cela, et de plus encore,
au cours des douze prochains mois.” Tels
sont les encouragements que prodigue le
Bangkok Post au nouveau Premier ministre
– intérimaire – thaïlandais. Surayud, général
à la retraite, n’a d’ailleurs pas accepté de
gaieté de cœur le poste que lui a confié la
junte – “c’est pour lui un devoir patriotique
plus qu’une ambition personnelle”, note le
quotidien thaïlandais.
L’homme chargé par les putschistes du 19 septembre de diriger un gouvernement provisoire
et d’organiser un retour à la démocratie d’ici
un an est le petit-fils du fomentateur du coup
d’Etat de 1933 et le fils d’un officier déçu par
l’armée qui a rejoint la guérilla communiste
dans les années 1960. Devenu en 1998 commandant en chef de l’armée, Surayud a mené
au sein de cette institution un travail de nettoyage et de professionnalisation qui a été
reconnu. Celui qui s’est un jour déclaré
“convaincu que l’armée ne [devait] jamais intervenir dans la politique” n’aura assurément pas
la tentation de s’accrocher au pouvoir.
Saeed Khan/AFP
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f ra n c e
●
TÉLÉVISION
P O L I T I QU E
Grâce présidentielle
Merci, Lionel !
A en croire un feuilleton de France 2, être présidente de la République signifie
être mince, un rien frivole, et avoir quelques principes. Un portrait loin de la réalité ?
THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR
(extraits)
Boston
e chef de l’Etat français est
en chute libre dans les sondages, ses alliés politiques
se font rares et une éruption de boutons vient perturber un
discours important. Pis encore : alors
qu’elle vient à peine de passer le cap
des cent premiers jours en fonctions,
elle découvre qu’elle est enceinte.
Catastrophe* ! Voilà un petit aperçu
des épreuves et tribulations que doit
affronter la première présidente française. Tout au moins celle que les
Français ont pu découvrir mercredi
27 septembre sur France 2 dans une
nouvelle série, L’Etat de Grace. Plus
proche de la comédie de mœurs que
de son équivalent américain Commander in Chief [dans laquelle l’actrice Geena Davis incarne une présidente des Etats-Unis martiale et
autoritaire], la série suit Madame la
Présidente* dans sa lutte pour la paix
dans le monde, la justice sociale et le
droit d’être appelée par son titre, et
non par son prénom.
Bien sûr, il s’agit d’une œuvre de
fiction, mais certains n’ont pu s’empêcher d’y voir une allusion narquoise
à l’actualité politique actuelle. Car une
femme, Ségolène Royal, a de bonnes
chances de devenir dans quelques
semaines la candidate socialiste à
l’élection présidentielle du printemps
prochain. Or, pour beaucoup,
Mme Royal – à l’instar du personnage
de L’Etat de Grace – a dû faire face au
sexisme de l’establishment avant de
s’imposer dans le paysage politique
français comme présidentiable crédible. Grace Bellanger, la présidente
L
Gilles Scarella/France 2
831p12
Anne Consigny
interprète
la présidente
Bellanger
dans L’Etat de
Grace sur France 2.
Flop
Avec moins de 13 %
de part d’audience
(un peu plus
de 3 millions
de téléspectateurs),
L’Etat de Grace est
loin d’avoir séduit.
Les programmes
concurrents ont tous
réalisé une meilleure
audience. A titre
de comparaison,
Marie Besnard
l’empoisonneuse,
sur TF1, a été vu
par 11 millions
de téléspectateurs
le 2 octobre. La série
semble donc plutôt
pâtir que bénéficier
de “l’effet
Ségolène Royal”.
pionnière de L’Etat de Grace, est incarnée par Anne Consigny, 41 ans et
irréellement mince. Militante écologiste, Mme Bellanger est donc élue
d’une courte tête à la présidence de
la République. Elle évolue dans un
monde de mâles condescendants, de
journalistes phallocrates qui mettent
en doute sa capacité à gouverner tout
en étant enceinte, de conseillers en
communication manipulateurs. Et elle
souffre, bien entendu, de la solitude
du pouvoir.
Mais ne cherchez pas de points de
comparaison entre ce personnage et
des leaders plus familiers et étrangers
à la France. En bref, Grace Bellanger
n’est ni Margaret Thatcher, ni Angela
Merkel, ni Hillary Clinton. Le mari
de la présidente est un professeur de
golf qui erre en pyjama dans les salons
rutilants et les meubles Grand Siècle
du palais de l’Elysée. Les autres confidents de la présidente sont un basset et une gouvernante un rien maternelle qui lui apporte son thé tous les
jours. Elle s’efforce d’être forte tout
en restant féminine et de concilier ses
ambitions apparemment contradictoires de sauver le monde, de réfor-
mer la France et de faire en sorte que
son mari ne se sente pas négligé.
Et elle veut qu’on la respecte.
Lorsque le président russe, en visite
officielle, lui murmure : “Vous êtes belle
à croquer”, elle le foudroie du regard.
Elle connaît sa première grande crise
lorsqu’elle découvre qu’elle est
enceinte. Que faire ? Tout dire, garder le secret ? Un agent de la CIA
vient dénouer le dilemme en trouvant
son test de grossesse dans une poubelle de l’Elysée (Zut*, encore ces
satanés Américains). Les premières
critiques ont été positives ; certains se
sont même félicités que la série présente une femme en situation de pouvoir. Mais rien dans le personnage de
Grace ne rappelle aux téléspectateurs
les vraies femmes de la politique française, à l’instar de Marie-George
Buffet, la dure à cuire qui dirige le
Parti communiste français, ou l’actuelle ministre de la Défense,
Michèle Alliot-Marie.
En revanche, il est indéniable que
Grace présente quelques similitudes
avec Ségolène Royal. Cette dernière,
par exemple, est bien plus populaire
auprès du public, du moins selon les
sondages, qu’auprès des cadres de son
propre parti. Elle diffère cependant
de la présidente fictive sur quelques
points importants. François Hollande
n’a en effet rien d’un golfeur hédoniste et, confrontée au même problème que Grace Bellanger – être
enceinte alors qu’elle est en fonctions –, Mme Royal ne s’est pas inquiétée de la réaction des électeurs : elle
a convié la presse écrite et la télévision à la photographier à l’hôpital, au
lendemain de la naissance de son dernier enfant.
Susan Sachs
* En français dans le texte.
CINÉMA
Indigènes hier, exclus aujourd’hui
DE BORDEAUX
’émotion est à fleur de peau, débordante,
comme la crue d’un fleuve que l’on retient
difficilement. Larbi, Tayeb, Mohamed, anciens
combattants, visages burinés et durcis,
essuient des larmes discrètement. Ils sont
tous venus, plus de 120 anciens combattants,
dans cette salle au cœur de Bordeaux pour
retrouver une partie de leur mémoire. Aujourd’hui, dans un contexte international marqué
par de fortes tensions communautaires, le
film rappelle le rôle de ces milliers de combattants oubliés des livres d’histoire et des
discours politiques. Qui se souvient, parmi
les jeunes générations de Français, des
goums, des spahis ou des tirailleurs sénégalais ? Le réalisateur du film Indigènes,
Rachid Bouchareb, veut redonner le sens de
L
la fier té aux jeunes des banlieues. “Mes
grands-parents, mes parents, nous confiet-il, n’ont pas seulement balayé les rues des
villes françaises, construit des immeubles
ou des voitures. Ils ont aussi libéré la France
du joug nazi. Ce film doit descendre des
écrans, passer au-delà du cinéma, traverser
l’océan.” Quelques mois après les émeutes
dans les banlieues françaises, l’engagement
de ces milliers d’hommes pour le drapeau
français et la sortie du film arrivent à point
nommé. Les enfants d’immigrés doivent
retrouver leurs repères et bénéficier comme
les autres du travail, des droits et des obligations. La cohésion sociale est à ce prix,
car, comme nous le confie cet ancien combattant, “nous avons payé notre droit du
sang”. Les débats avec les collégiens et les
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
lycéens montrent que la pédagogie de la
liberté et le devoir de mémoire peuvent créer
les prémices de la cohésion sociale.
Un mémorial a été récemment inauguré à
Douaumont, dédié aux 70 000 soldats musulmans morts pour la France pendant la bataille
de Verdun, en 1916. Hommage à tous les
soldats venus du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de Madagascar, ce mémorial est
un premier pas. D’autres batailles restent
aujourd’hui à mener, celle de la reconnaissance de ces hommes et de cette partie de
l’Histoire et celle des mentalités, pour une
plus grande fraternité et une plus grande solidarité avec les jeunes des banlieues, qui pour
la plupart sont exclus et marginalisés dans
leurs ghettos.
Farida Moha, Libération (extraits), Casablanca
12
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
En déclarant forfait,
l’ancien Premier ministre
permet au Parti socialiste
de se moderniser. Enfin !
ous ceux qui espèrent que la
prochaine élection présidentielle contribuera à sortir la
France de son état dépressif peuvent
féliciter Lionel Jospin. Son retrait de la
course est un signe que la gauche française, pourtant réputée comme la plus
conservatrice d’Europe, est en train
d’évoluer. En se rendant “disponible”
pour l’investiture du Parti socialiste,
l’ancien Premier ministre voulait rassembler les siens et enrichir le débat
politique. C’est chose faite, mais pas
dans le sens escompté. Les soutiens
qu’il recherchait se sont largement reportés sur sa grande rivale, Ségolène
Royal. Surtout, en trois mois de candidature virtuelle, Lionel Jospin a
montré à quel degré d’essoufflement
est parvenu le socialisme traditionnel qu’il incarnait.
Car le programme de ce “présidentiable” qui se voulait plus compétent que les autres s’est révélé décevant, et cela explique en partie son
échec. Sa grande idée pour sortir la
France de la “croissance molle” et du
chômage de masse ? Augmenter – on
ne sait trop comment – les moyens
consacrés à la recherche. C’est un peu
mince, d’autant que le reste de son discours trahit une méfiance viscérale
envers le secteur privé, une nostalgie
pour la vie militante des années 1960
et la croyance que les appareils partisans détiennent la lumière indispensable pour guider le “peuple”.
A force de lancer des appels incantatoires aux “valeurs de la gauche”, Lionel Jospin a fini par devenir bien plus
conservateur que lorsqu’il était Premier
ministre, entre 1997 et 2002. Sa vision
des choses semble obsolète et triste lorsqu’on la compare à celle de Ségolène
Royal, si souvent moquée pour sa prétendue vacuité : elle, au moins, a le
mérite d’avoir lancé des propositions
innovantes, comme la démocratie
participative ou la baisse de la charge
fiscale pesant sur le travail.
En laissant le champ libre à une
nouvelle génération, Lionel Jospin facilite le rajeunissement de la classe dirigeante dans l’Hexagone. Mais le travail est loin d’être terminé : à gauche,
un certain nombre de “grands anciens”
pourraient s’inspirer de son exemple
en allant prendre un repos mérité sur
la côte Atlantique ; et, à droite, la fin
prochaine du règne de Jacques Chirac,
73 ans, devrait hâter la régénérescence
de la vie politique française.
Sylvain Besson, Le Temps, Genève
T
W W W.
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●
HONGRIE
Il est urgent de mettre fin à la crise morale
Malgré la débâcle aux municipales, la gauche peut encore s’en sortir. A condition, explique le philosophe
János Kis, qu’elle se sépare du Premier ministre Ferenc Gyurcsány.
MAGYAR HÍRLAP
l’ignorance aussi bien à propos des
actes du gouvernement que des
conséquences de ces actes ? Il s’agit
donc de sa responsabilité personnelle,
qu’il ne peut diluer dans celle de la
classe politique dans son ensemble.
Désormais, les partis gouvernementaux ont une alternative. Ils
peuvent retirer leur confiance à
Gyurcsány et choisir un autre chef de
gouvernement. Le remplacement du
Premier ministre atténuerait la crise
de confiance et permettrait de recommencer le travail du gouvernement.
Et, même s’ils n’ont pas de candidat,
ils ne peuvent mettre fin à la crise en
votant la confiance à l’actuel Premier
ministre : cela reviendrait à dire que
les partis gouvernementaux n’ont rien
compris à la protestation populaire,
et ce geste aggraverait la crise au lieu
de la calmer.
Budapest
imanche [1er octobre] au
soir, le président László
Sólyom s’est adressé aux
Hongrois dans une allocution poignante. Il a constaté que la
crise provoquée par la révélation des
mensonges du Premier ministre avait
“profondément bouleversé la Hongrie”.
Il a appelé la majorité parlementaire
à agir. “C’est le Parlement qui a désigné le Premier ministre. Le Parlement
peut rétablir la nécessaire confiance de
la société dans la démocratie. La clé est
entre les mains de la majorité parlementaire.”
La première réaction des partis de
la coalition a été d’ignorer ce message.
Pourtant, les résultats des élections
municipales de dimanche ne justifient
pas cette assurance [la droite a pris le
contrôle de 18 des 20 assemblées
départementales et de 16 des 23 principales villes du pays, à l’exception
notable de Budapest]. Il serait temps
de se rendre compte que les propos du
Premier ministre ont créé un choc psychologique sans précédent. Et pas seulement chez ceux qui, en avril – après
l’annonce des projets de réforme de
Gyurcsány –, ont regretté d’avoir voté
pour les partis du gouvernement ou
parmi ceux qui, maintenant, après ces
révélations, se sont dit qu’ils ne voteraient jamais plus pour la gauche :
beaucoup de partisans déterminés du
MSZP (socialiste) et du SZDSZ (libéraux) ont également été secoués.
Tout gouvernement peut prendre
des risques, mais pas à l’insu de ses
D
POUR UN CODE
DE GOUVERNANCE ÉTHIQUE
mandants : les citoyens. Nous élisons
les gouvernements, nous devons assumer les conséquences de leurs fautes.
Nous avons donc le droit de savoir ce
qu’ils font. Or le Premier ministre
hongrois a privé ses concitoyens de
cette possibilité.
On ne peut pas objecter que
Ferenc Gyurcsány a parlé des mensonges de toute l’élite politique. On
ne peut pas objecter non plus qu’il n’a
été qu’un élément de la spirale aux
promesses, qu’il a quittée comme il
vient justement de le dire. Gyurcsány
n’a-t-il pas également dit qu’il avait
maintenu l’opinion publique dans
Dessin de
Lukyanchenko, Kiev.
Le changement est une nécessité
urgente.Tant que l’opinion publique
juge aussi sévèrement le Premier
ministre, celui-ci ne peut pas représenter son cabinet.
Une chose est évidente : le Parlement doit rétablir l’art de gouverner
de façon responsable et faire en sorte
que la Hongrie soit dirigée par un
corps électoral, et non par une seule
personne.
Pour finir, parlons d’une promesse
oubliée. L’ancien Premier ministre
socialiste, Péter Medgyessy, avait promis d’établir un code éthique à l’intention des membres du gouvernement. Cela ne s’est pas réalisé. L’idée
est pourtant bonne, il faudrait la
reprendre d’urgence. Et fixer tout ce
qu’un ministre ne peut pas faire sans
en subir les conséquences. Je parle
d’un code éthique, et non d’un code
législatif. En créant ce code, le chef
du gouvernement s’engagerait à obliger son gouvernement à observer des
règles plus strictes et à répondre de
ses engagements.
Nous avons été nombreux à voter
pour cette coalition parce que nous
ne voulons pas de Viktor Orbán
comme chef de gouvernement. Nous
ne le voulons pas, parce que nous
avons compris pendant son mandat,
mais également maintenant qu’il est
dans l’opposition, qu’il n’est pas un
démocrate. Mais les partis du gouvernement ne peuvent se prévaloir de
défendre la démocratie tant qu’ils ne
se conforment pas aux règles écrites
et non écrites de celle-ci.
En Pologne, la gauche s’est effondrée sous le poids d’une crise morale.
La gauche hongroise, socialiste et
libérale, a encore une chance de s’en
sortir – à condition qu’elle fasse le
nécessaire.
János Kis*
* Philosophe, cet ancien dissident a été l’un
des leaders du parti libéral SZDSZ.
W W W.
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POLOGNE
Un nouveau scandale éclabousse les frères Kaczynski
Un enregistrement vidéo révèle
le marchandage de postes entre le parti
au pouvoir et les populistes.
Le scandale de trop, estime l’éditorialiste
de Rzeczpospolita.
epuis l’arrivée au pouvoir de Droit et justice (PiS), il n’y a pas eu une seule
semaine sans qu’éclate un scandale politico-médiatique. Voire deux. Mais le dernier
tremblement de terre politique est plutôt
inédit. [La télévision privée TVN a diffusé
un enregistrement en caméra cachée montrant le chef de cabinet du Premier ministre,
Adam Lipinski, proposer à la députée Renata
Beger le poste de vice-ministre de l’Agriculture en échange de son départ du groupe
parlementaire populiste et de son soutien
au gouvernement. Après sa rupture avec
Samoobrona, le parti au pouvoir (154 députés sur 460) est à la recherche d’une nou-
D
velle majorité parlementaire.] J’entends toujours avec stupéfaction les commentaires
de ceux qui soutiennent le PiS, et qui nous
expliquent que rien de grave ne s’est passé ;
qu’il s’agit de marchandages politiques, de
politique, en somme, avec son côté sale,
et que cela se passe de cette façon dans
toutes les démocraties. Est-il donc normal
qu’un membre influent du parti au pouvoir
promette un poste à une députée d’opposition en lui faisant miroiter la possibilité
d’annuler les dettes des députés transfuges,
sans parler d’une possibilité d’arrangement
des problèmes judiciaires de cette même
députée [voir son portrait p. 9] ?
Depuis le début des années 1990, dans
toutes les situations moralement suspectes, on a toujours évoqué “l’exemple
donné par l’Occident”. C’est une rhétorique
mensongère. Effectivement, la politique a
par tout un envers du décor. Mais ce qui
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
importe, ce sont les proportions entre ce
qui est moral et ce qui ne l’est pas, et les
bonnes mœurs, qui fixent les limites de
l’acceptable. Si l’on imagine une tentative
de corruption politique analogue, on peut
être sûr que dans n’impor te quel pays
européen la diffusion de tels enregistrements aurait été immédiatement suivie
par la démission du gouvernement ou au
moins par un débat parlementaire et une
demande de vote de défiance à son égard.
Or les politiciens au pouvoir tentent de
détourner la vraie signification de ce qu’on
a pu voir sur les écrans de télé. On nous
dit qu’il s’agit d’un complot des journalistes et d’anciens membres des services
spéciaux.
C’est une réaction scandaleuse. Mais le
plus triste, du point de vue de l’observateur,
est que l’on peut craindre une aggravation
de la polarisation de la société et que les
15
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
idées du par ti au pouvoir trouvent désormais écho auprès d’une large par tie de
citoyens. Dès ses débuts, le PiS a surfé sur
le ressentiment des Polonais, les caressant
dans le sens du poil en exploitant leur peur
de l’extérieur et leurs revendications nationales et religieuses.
Selon cette logique du PiS, il y a des bons
et des mauvais Polonais, et les mauvais
Polonais seraient souvent des non-Polonais.
Cela implique que, derrière le paravent de
la démocratie, les Juifs et les Allemands
gouvernent grâce aux communistes et à
leurs alliés pendant que les vrais Polonais
crèvent de faim ou ont du mal à joindre les
deux bouts. La théorie du complot repose
sur une sociologie de comptoir. C’est le
genre de raisonnement qui sous-tend le diagnostic social et politique établi par ceux
qui nous gouvernent aujourd’hui.
Ireneusz Krzeminski, Rzeczpospolita, Varsovie
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e u ro p e
AU T R I C H E
RUSSIE
Schüssel victime de la mondialisation
Moscou dans le
piège géorgien
La défaite du chancelier autrichien aux élections législatives du 1er octobre révèle
une nouvelle fois les aspirations sociales de l’électorat. Un phénomène européen.
Alors qu’en Autriche l’ÖVP [le
parti du peuple autrichien, du chancelier Schüssel] a mis en œuvre
depuis 2000, au moins partiellement,
une politique qui – à juste titre –
misait sur plus de marché, plus de
concurrence et plus d’initiative individuelle (une politique que la CDU
préconisait l’an dernier sous une
forme encore plus radicale), ce sont
les partis sociaux-démocrates qui, ici
comme là-bas, en sont sortis relativement renforcés.
DIE PRESSE (extraits)
Vienne
epuis le 1er octobre, Allemands et Autrichiens ne
sont plus seulement séparés par une langue commune [selon l’expression de l’écrivain
Karl Kraus], mais également réunis
par deux résultats électoraux lourds
de conséquences. A Berlin en 2005
comme à Vienne en 2006, les conservateurs chrétiens-démocrates – Angela
Merkel et Wolfgang Schüssel – étaient
donnés favoris. Et ici, comme là-bas,
ce fut la surprise : les sociaux-démocrates – dirigés par Alfred Gusenbauer
en Autriche et le tandem Müntefering-Schröder en Allemagne –, qu’on
disait voués aux oubliettes, s’en sont
bien mieux tirés que ce que les sondages laissaient supposer et voient
même, à Vienne, la chancellerie à leur
portée [les sociaux-démocrates autrichiens arrivent en tête avec 35,7 %
des voix, contre 34,2 % pour les chrétiens-démocrates].
Les électeurs ont rejeté le virage
que Schüssel avait initié en 2000
comme celui que Merkel souhaitait
lancer en 2005. La force insoupçonnée des sociaux-démocrates autrichiens et allemands s’explique probablement par un facteur qui dépasse
les particularités nationales et soustend foncièrement la vie politique
européenne. Il semble en effet qu’un
nombre considérable d’électeurs se
focalise, par-delà les considérations
locales, sur tous les aspects de la mondialisation (immigration, pressions sur
l’emploi et les conditions de travail,
rigueur budgétaire et démantèlement
social) qui constituent pour eux une
terrible menace. En conséquence, ils
D
UNE GRANDE COALITION
ENTRAÎNERAIT UNE STAGNATION
Le serveur :“On
n’a rien de mieux.”
Sur les tasses :
les sigles des partis
politiques. Dessin
de Horsch paru
dans Handelsblatt,
Düsseldorf.
■
Verts
Les résultats ne
seront définitifs que
le 9 octobre, après
le dépouillement
des 240
à 290 000 votes
par correspondance.
Traditionnellement,
ils bénéficient
plutôt aux Verts
(10,5 %). Ainsi, ces
derniers pourraient
encore devenir
la troisième force
politique du pays.
rêvent d’une politique qui leur promet moins de marché, moins de lutte
et moins d’efforts, et leur fait miroiter plus de sécurité, plus de protection sociale, plus de barrières contre
la concurrence mondiale sur les
emplois et les revenus. Et si possible
en faisant payer “les riches”.
C’était exactement le message
implicite de la campagne du SPÖ
[parti social-démocrate d’Autriche] :
ériger des barrières contre les désagréments de la concurrence mondialisée et sauvegarder sur la durée un
généreux Etat-providence relève du
possible. Bien entendu, c’est une parfaite absurdité, mais une absurdité à
laquelle on veut croire.
Les résultats réalisés par les deux
partis “libéraux” [extrême droite
xénophobe], qui s’efforcent de
répandre la même illusion parmi les
“petites gens”, vont dans le même
sens. [Le FPÖ dirigé par Heinz Christian Strache obtient 11,3 % des voix,
le BZÖ fondé par Jörg Haider 4,2 %.]
Les électeurs n’ont manifestement pas
pardonné à l’ÖVP d’avoir en partie
assaini le système des retraites, fait
prospérer les entreprises publiques en
les privatisant ou rendu l’Autriche
attractive pour les investisseurs étrangers grâce à des baisses d’impôt
(comme ils n’avaient pas pardonné à
la CDU allemande un programme
similaire).
Les électeurs, en revanche, et dans
une proportion étonnamment élevée,
ont pardonné aux sociaux-démocrates
leur incompétence économique, qui
s’est traduite en Allemagne par le
bilan catastrophique de l’ère Schröder et en Autriche par le scandale de
la BAWAG [la quasi-faillite de la
banque du syndicat proche des sociaux-démocrates], qui constitue – ne
l’oublions pas – le plus grand scandale économique de la IIe République.
Si le succès électoral du SPÖ
aboutit – là encore, comme en Allemagne – à la formation d’un gouvernement de grande coalition, on sait à
quoi s’attendre : à la stagnation qu’on
voit à l’œuvre à Berlin depuis la fin de
l’année 2005.
Christian Ortner
GRÈCE
Athènes tenté par la manne de l’argent sale
Prendre en compte l’économie souterraine
pour doper le PIB est une fausse bonne idée,
prévient I Kathimerini.
i le projet de budget pour 2007 présenté
cette semaine devant le Parlement, ni
la polémique sur l’augmentation de 25 % du
produit intérieur brut (PIB) n’y changeront quoi
que ce soit. 2007 sera encore une année difficile pour la Grèce, dont le déficit ne devrait
pas dépasser les 6 % du PIB, un taux inférieur
à la croissance, évaluée à 7 %. Ne soyez pas
déçus, c’est la triste réalité, nous sommes
un Etat pauvre. La semaine dernière, nous
vous annoncions que nous allions devenir un
pays riche grâce à une simple manipulation
statistique. Le ministre de l’Economie, Giorgos Alagoskoufis, a cru bon d’annoncer qu’il
allait appliquer un nouveau règlement européen qui permet aux Etats d’inclure le sec-
N
teur tertiaire et l’économie souterraine dans
le calcul de leur PIB [ce qui permettrait à
Athènes de repasser sous le seuil des 3 %
de déficit imposé par Bruxelles]. La prostitution, le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale et la contrebande vont donc devoir être
évalués par les Vingt-Cinq.
Giorgos Alagoskoufis doit penser qu’il peut
augmenter le PIB de 25 % et faire de la Grèce
un pays riche, c’est-à-dire un pays dont le
PIB par habitant est supérieur à 90 % de
la moyenne du PIB des pays de l’Union européenne. Dans le cadre du fonds de cohésion, l’UE fournit une aide annuelle aux pays
dont le PIB est inférieur à ce seuil et, jusqu’à nouvel ordre, la Grèce, avec un taux de
82 %, est un pays pauvre. Il n’est pas possible d’augmenter aussi brutalement le PIB
en vingt-quatre heures, et Eurostat ferait
preuve d’une indulgence douteuse s’il accep-
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
tait cette augmentation. L’office européen
des statistiques peut cependant demander
à l’Etat grec d’effectuer cette réévaluation
à la hausse sur deux ans, à raison de 12,2 %
par an. Vingt-cinq pour cent ou non, budget
2007 ou pas, l’avenir doit nous inquiéter.
Car une chose est sûre dans cette confusion
des chiffres, c’est que la Grèce ne bénéficiera plus du fonds de cohésion européen
en 2010, quand la répartition du fonds sera
révisée. En tant que pays riche, la Grèce
verra diminuer ses 4 milliards d’euros
annuels de subventions européennes. Reste
à savoir si le règlement européen qui permet de gonfler le PIB est rétroactif. Car cela
signifierait que la Grèce aurait une dette de
500 millions d’euros par an sur les cinq dernières années. Une fois de plus, les Grecs
auraient alors du souci à se faire.
Nikos Nikoalou, I Kathimerini (extraits), Athènes
16
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
es services secrets géorgiens ont
arrêté des officiers russes et établi un blocus [depuis le mercredi 27 septembre] autour de l’étatmajor des troupes russes. Tbilissi ne
tentait probablement pas d’empêcher
des actes de subversion du GRU [renseignement militaire russe], actes qu’il
ne redoute pas à ce point. L’enjeu est
beaucoup plus important que cela. Depuis des années, Moscou et Tbilissi
s’opposent, et la situation s’est déjà dégradée à plusieurs reprises, mais cela
fait longtemps que le climat n’avait pas
été aussi tendu. Comme ce genre de
choses n’arrive jamais par hasard, il
faut penser que quelqu’un espère en
tirer avantage. Il est assez évident que
la Géorgie cherche l’affrontement avec
Moscou. Le président Saakachvili a
commencé par accuser notre pays, depuis la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, de pratiquer une “occupation criminelle” des terres géorgiennes. Ensuite, il a transféré le
gouvernement abkhaze en exil dans les
gorges de Kodori et, maintenant, il fait
arrêter des officiers russes.
La Géorgie semble en avoir eu
assez que les conflits d’Ossétie du Sud
et d’Abkhazie s’éternisent [voir CI
nos 821 et 829]. Tant qu’ils durent, la
Géorgie ne peut espérer adhérer à
l’OTAN, qui exige qu’aucun conflit ne
se déroule sur le territoire du pays candidat.Tbilissi aurait donc décidé d’accélérer les choses. Si la Russie avait
réagi de manière brutale à l’arrestation
de ses officiers, cela lui aurait largement facilité la tâche. L’Occident se
serait sans doute interposé en faveur
de la petite Géorgie, et le “dialogue
intensif” avec l’OTAN qui lui a été promis serait devenu une préparation accélérée à une adhésion pure et simple.
Mais la Russie a eu une riposte
mesurée. Sergueï Lavrov, son ministre
des Affaires étrangères, a promis d’associer le Conseil de sécurité de l’ONU,
l’OSCE et même l’OTAN à ses pressions sur la Géorgie, tandis que le vicePremier ministre russe, Sergueï Ivanov, déclarait avec une évidente
satisfaction que le jeu de Tbilissi était
désormais clair. Il est toutefois peu probable que le jeu en question soit aussi
simple qu’il y paraît.
L’idée de Moscou d’impliquer des
organisations internationales dans son
litige avec Tbilissi pourrait être à double
tranchant. Certes, ces organisations
inciteront la Géorgie à faire preuve de
retenue et à engager des négociations
avec la Russie, ce qui mettra du baume
au cœur de Moscou, mais, par ailleurs,
elles ne manqueront pas d’exprimer
leur préoccupation face à ces conflits
non résolus en territoire géorgien et
insisteront pour participer à leur règlement, afin que celui-ci intervienne au
plus vite. La Russie, très jalouse de son
statut de principale force de maintien
de la paix dans la CEI, ne va sans doute
pas apprécier. C’est certainement là le
sens du jeu que joue aujourd’hui Tbilissi.
Guennadi Syssoïev,
Kommersant, Moscou
L
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I TA L I E
La jeunesse volée des bas-fonds de Naples
La Camorra fait un retour en force dans la métropole du Sud. Pour tenir le terrain, la mafia utilise
une main-d’œuvre bon marché et disponible : les jeunes désœuvrés des quartiers populaires.
Dessin d’Alec
Stevens paru dans
The New York
Times Book
Review, New York.
CORRIERE DELLA SERA
Milan
ientôt, quelqu’un va mourir.
Abattu dans une ruelle obscure des Quartiers espagnols
ou dans un passage de Pallonetto Santa Lucia, dans les entrailles
d’un Naples de carte postale auquel
seuls les touristes croient encore. C’est
là, dans la vieille ville, que la peur
monte aujourd’hui. C’est en tout cas
ce qu’affirment les services secrets, qui,
le mois dernier, ont tiré la sonnette
d’alarme en signalant la possibilité
d’une nouvelle série de règlements de
comptes pareils à celui de Scampia
[quartier de la banlieue de Naples où
la guerre des gangs a provoqué plus
d’une centaine de morts en moins
de deux ans, voir CI n° 736, du
9 décembre 2004].
Comme d’habitude, les premiers
à comprendre qu’il se trame quelque
chose ont été ceux qui vivent coincés
dans ce territoire dont la densité de
population compte parmi les plus élevées d’Europe. “Il vaut mieux que tu
ne passes pas par-là ces jours-ci”, s’est
entendu conseiller Marco Rossi Doria,
l’inventeur des maestri di strada [instituteurs de rue], qui habite dans ce
lacis de ruelles depuis quinze ans. Autre
recommandation faite à un travailleur
social qui se déplace en deux-roues
dans le quartier : “Evitez de porter un
casque noir,on risque de vous prendre pour
un tueur et de vous éliminer.”
Bientôt, quelqu’un va mourir.
D’un coup de revolver tiré par l’un des
nombreux jeunes bourrés de cocaïne
à la solde de la Camorra [la mafia
napolitaine]. Un jeune qu’aurait pu
être Gennaro I., si le destin ne lui avait
B
■
pas donné un coup de pouce en l’envoyant loin de Naples. Aujourd’hui,
Gennaro a 22 ans et travaille à Gênes
dans une société d’emballages. Il ne
retourne que très peu à Naples, et toujours à contrecœur. Dans les ruelles
des Quartiers espagnols, où il est né et
a grandi, il se sent désormais comme
un étranger.
“J’habitais à quelques mètres d’ici,
dans un basso. Deux chambres minuscules au rez-de-chaussée, où nous vivions
à trois. Et encore, on avait de la chance.
A 13 ans, j’ai commencé à voler : je prenais leur portable aux ados, je les menaçais avec un faux flingue. Puis je me suis
mis à voler dans les trains avec une bande
de copains, raconte-t-il. Au début, ça me
semblait normal, comme s’il n’y avait rien
d’autre à faire. Quand on volait quelque
chose dans les Quartiers espagnols, on
reversait un pourcentage aux hommes du
Système. Eux, ils nous passaient la coke :
un rail, et on repartait. Je sentais bien que
quelque chose n’allait pas,mais je ne savais
pas quoi, parce que je n’imaginais même
pas qu’il puisse exister une autre vie. Et
même si elle avait existé, elle n’aurait pas
été pour moi, de toute façon. La drogue me
poussait à aller toujours plus loin. Un beau
jour, mon équipier s’est fait prendre et m’a
dénoncé. J’ai été condamné à six mois
de prison, mais le juge m’a accordé le sursis et m’a dit que, si je filais droit, il n’y
aurait aucune trace de cette histoire. C’est
là que j’ai décidé de couper les ponts avec
Naples. L’Association Quartieri Spagnoli
m’a trouvé un emploi dans l’entreprise où
je travaille aujourd’hui.Si j’étais resté chez
moi, à l’heure qu’il est j’aurais certainement un flingue dans la poche.”
Emprise
“Naples est perdu”,
titre L’Espresso.
“C’est comme si
les cartels avaient
autorisé
les hommes, de plus
en plus jeunes,
à voler et à faire
des razzias dans
tous les quartiers
de la ville […] et à
constituer leur
propre clan, en vue
d’adhérer aux
grandes ‘familles’”,
écrit Roberto
Saviano, auteur
de Gomorra
(éd. Mondadori,
2006), une enquête
qui révèle l’emprise
de la Camorra sur
Naples et sa région
et l’incapacité
des pouvoirs publics
à la contrer.
65 % DES MOINS DE 25 ANS
SONT SANS EMPLOI
Via Girardi, une petite moto japonaise,
de celles qui ne devraient même pas
pouvoir circuler, slalome entre les passants. Au guidon, deux enfants d’une
dizaine d’années. A quelques mètres
de là, une petite bande de gamins s’em-
pare des sacs-poubelles et les balance
avec tout leur contenu sur les voitures
qui passent. Un exercice de tir où les
projectiles se transforment parfois en
crachats, voire en gifles flanquées à
ceux qui ont le malheur de se trouver
dans les parages. Les touristes voyageant dans les bus à ciel ouvert en ont
fait plusieurs fois les frais. “Il y a ici une
délinquance diffuse”, explique Amato
Lamberti, le directeur de l’Observatoire de la Camorra. “Ce sont des
mineurs et des adolescents, qui ont souvent
une famille à charge. Cette criminalité
désorganisée sert de vivier à la criminalité organisée.”
Ici, 65 % des jeunes de moins de
25 ans sont sans emploi, le nombre de
détenus est cinq fois supérieur à la
moyenne nationale, les délits commis
par des mineurs sont dix fois plus nombreux que dans le reste de la région,
plus de 15 % des adolescents sortent
du circuit scolaire avant l’âge légal, et
les maladies infectieuses affectant les
nourrissons sont deux fois plus fréquentes que la moyenne nationale.
“Dans ces conditions, nous ne pouvons
que chercher à contenir la délinquance”,
regrette Vittorio Pisani, chef de la brigade mobile de Naples. “Nous devons
composer avec l’omerta, qui règne désormais dans toute la ville. Les gens protestent, mais ils ont peur de venir témoigner.”
A eux seuls, ces chiffres suffisent à
expliquer pourquoi, ces trois dernières
années, quelque 35 000 personnes ont
suivi l’exemple de Gennaro I. et sont
parties. Marco Rossi Doria, qui, lui,
reste, n’a pas perdu espoir : “Ici, il y
a des gens qui font des travaux de menuiserie ou la plonge pour 90 euros par
semaine et qui refusent l’argent facile de
la Camorra. Ce sont nos héros silencieux.”
Marco Imarisio et Enzo d’Errico
DANEMARK
Le design danois victime d’IKEA
Arc-bouté sur ses vieux modèles,
le secteur cherche un nouveau souffle.
eut-être le design danois s’est-il trop
confortablement assis sur les lignes épurées de la chaise Fourmi [créée en 1955 par
Arne Jacobsen] et sur les coussins rembourrés du canapé de Børge Mogensen. Pour
Mark Isitt, rédacteur en chef du magazine
danois réputé Forum, le design danois vit toujours sur le succès de cette vieille chaise.
La nouveauté et l’originalité se trouvent désormais à l’étranger. “Dans le domaine du mobilier et des objets domestiques, la Suède a
largement dépassé le Danemark. Elle est
bien plus dynamique, tandis que le design
danois est empreint de nervosité et d’angoisse. Celui-ci privilégie trop le détail et l’aspect artisanal, au détriment de la créativité.
Peut-être parce que la tradition danoise est
un patrimoine lourd à porter. Le Danemark
P
a tout à perdre, alors que la Suède a tout
à gagner”, affirme Mark Isitt, faisant allusion
aux nombreuses icônes du design danois
– les Hans J. Wegner, Bøge Mogensen, Arne
Jacobsen et Poul Kjærholm [grands designers
des années 1950 et 1960]. La Suède, elle,
n’a qu’IKEA.
Mais, si les entreprises suédoises lancent
plus de nouveaux produits, si le Salon du
mobilier de Stockholm s’agrandit alors que
les manifestations danoises diminuent et
que le Danemark vend essentiellement des
classiques, c’est aussi parce que le design
danois se trouve dans une phase intermédiaire, estime Anders Byriel, qui dirige la
fameuse maison de textiles danoise Kvadrat.
“La génération qui a immédiatement suivi
Panton et Wegner [designers danois des
années 1960] était presque invisible, et n’a
pas fait pas grand-chose. On a eu l’impression qu’elle était traumatisée, explique Byriel.
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
En revanche, la génération qui arrive est tournée vers l’international et ne se préoccupe
pas des grands maîtres. Heureusement, car
on ne peut continuer indéfiniment dans la
même voie. Il faut réformer et repenser le
design danois. Dans les années 1950, il était
incroyablement présent. Mais c’est comme
pour le Tour de France : la même équipe ne
peut pas gagner chaque fois.” Anders Byriel
estime que seule une petite dizaine de designers danois ont les capacités, le langage et
les ambitions pour obtenir une reconnaissance internationale. Mais il fait remarquer
que c’est d’abord dans les écoles que les
choses se passent, car les designers ne peuvent pas être à l’avant-garde si les écoles ne
le sont pas. De plus, les producteurs sont
devenus des gestionnaires, au lieu d’être
des innovateurs. “Fritz Hansen [la plus grande
fabrique de meubles du Danemark] vend la
même chaise depuis cinquante ans, regrette
18
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
Mark Isitt. Certes, il fabrique quelques séries
avec de jeunes designers, mais il s’agit d’une
opération médiatique : elles ne sont jamais
produites en grande quantité. Maintenant,
ils affirment vouloir lancer deux collections
par an. J’espère que ce ne sont pas de vaines
paroles.” Mark Isitt pense que le Danemark
doit négocier un virage, comme l’Italie dans
les années 1970 et 1980. “A l’époque, les
Italiens estimaient qu’ils étaient les meilleurs
designers du monde. Mais, quand Giulio Cappellini a repris la fabrique de meubles de son
père, il a fait venir des designers étrangers,
comme Jasper Morrisson, Tom Dixon et Marc
Newson. Cappellini est devenu l’un des producteurs les plus créatifs au monde. Les designers danois doivent arrêter de se mesurer à leur passé et plutôt se confronter à leurs
contemporains étrangers. Le Danemark doit
produire un Cappellini.”
Malin Schmidt, Information (extraits), Copenhague
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DOSSIER
BULGARES ET ROUMAINS DANS L’UE
■ Au début de l’année 2007, le tandem balkanique fera enfin son entrée dans l’Union européenne.
■ L’occasion pour la presse locale de constater, avec une bonne dose d’humour, à quel point les
deux pays se méconnaissent, voire se snobent. ■ Une attitude pas très européenne…
L’Europe… mais sans les Roumains
Si les deux peuples s’ignorent royalement, c’est parce qu’ils se ressemblent trop, écrit l’hebdomadaire Sega.
en France. En Europe, tous les
hommes ne sont pas des demi-dieux
nés avec une cuillère d’argent dans la
bouche, il n’y a pas que des gentlemen
là-bas. Chez nous aussi, d’ailleurs, il
n’y a pas que des hommes qui battent
leur femme après le troisième verre
et qui jurent comme des charretiers
dans la rue. Seulement voilà, notre côté
provincial n’échappe à personne. Ce
provincialisme des Balkans est un
mélange infernal de pauvreté, de
conservatisme et de désœuvrement
dans une période de déclin général, à
quoi vient s’ajouter un profond
manque d’ambition intellectuelle.
SEGA
Sofia
ombien de fois j’ai voulu
aller à Bucarest sans y parvenir ! Plusieurs fois, j’ai dû
contourner la ville ; plusieurs fois, je l’ai survolée en avion,
mais je n’ai jamais pu ne serait-ce
qu’apercevoir un bout de la Casa
Poporului [le pharaonique palais du
Peuple construit par Ceausescu]. Or
j’avais tellement envie de voir l’endroit
où Michael Jackson avait lancé, en
1999, son fameux : “Bonjour Budapest !”… Mais pourquoi devrais-je voir
Bucarest ? Un jour, je suis allé en Roumanie en ferry, à Giurgiu plus précisément [au sud du pays, sur les rives
du Danube et en face de la Bulgarie].
J’y avais fait des courses en monnaie
bulgare, la ville sentait le charbon et les
moustiques étaient gros comme des
hirondelles. Côté impressions, ça
m’avait suffi.
En réalité, nous ne savons rien de
la Roumanie. On a vaguement entendu
un air de George Enesco [compositeur
et violoniste roumain, 1881-1955], vu
un truc d’Eugène Ionesco et c’est tout.
Et, depuis quelques années, grâce à
Haiducii, nous savons comment se dit
en roumain “Amour sous les tilleuls”
[“Dragostea din tei”, titre d’un tube
interprété par le groupe connu en
France sous le nom d’O-Zone]. Jadis
on communiquait davantage. Bulgares
et Roumains faisaient du troc sur les
marchés, il arrivait que quelqu’un aille
jusqu’à Sinaia [résidence de l’ex-roi de
Roumanie] et on regardait tous les
films de l’inspecteur Moldovan [série
policière des années 1980, l’équivalent
roumain de Navarro].
C
LES ROUMAINS,
C’EST LES AUTRES
Quant aux Roumains, ils regardaient
la télévision bulgare, parce que le
régime de Ceausescu était encore pire
que celui de Todor Zivkov. Aujourd’hui, la Roumanie ne nous intéresse
plus du tout. Ils sont bien là où ils sont.
Eux aussi, d’ailleurs, se contrefichent
de savoir ce qui se passe au sud du
Danube. C’est bien la raison pour
laquelle nous ne sommes pas près de
voir un deuxième pont sur le Danube.
La tête dans le guidon, nous fixons
notre ligne d’arrivée – l’Occident et
LE RISQUE DE DÉCLANCHER UNE
NOUVELLE GUERRE BALKANIQUE
l’Europe –, mais nous ne voulons surtout pas nous occuper de notre présent
balkanique, encore moins de nos
pauvres voisins. Nous voudrions que
notre adhésion formelle à l’UE nous
métamorphose. Non seulement nous
nous réveillerons du jour au lendemain
“européens”, mais nous changerons
aussi la géographie, en nous propulsant ainsi par miracle des confins vers
le centre. Il y a un certain temps, un
confrère, Romulus Caplescu, avait écrit
dans le quotidien roumain Adevarul
un article intitulé Roumains et Bulgares
dans le même panier. Il parlait de ce qui
nous unissait, d’un hypothétique Etat
commun au XIIe siècle, de l’accueil chaleureux que les Roumains avaient
réservé aux révolutionnaires bulgares
du XIXe siècle, des soldats roumains qui
ont laissé leurs os sur nos terres. L’article se terminait sur ces mots : “Que
faire ? Il faut bien continuer à vivre
ensemble.” Vivre ensemble – d’accord,
mais il faut surtout prendre conscience
de ce que nous sommes et de l’endroit
où nous sommes. En réalité, les différences entre la Bulgarie et la Roumanie sont insignifiantes. A la base,
nous sommes les mêmes péquenots,
des provinciaux du fin fond de l’Europe. Regardez un peu à quoi ressemblent nos Etats, voyez ce que nous
savons faire, ou encore comme nous
nous chamaillons. Franchement, nous
sommes irrécupérables. L’histoire millénaire ne peut nous sauver, ni les
Dessin de PEP
paru dans JyllandsPosten, Danemark.
génies footballistiques qu’ont été le
Bulgare Hristo Stoïtchkov et le Roumain Gheorghe Hadji. “Si nous continuons à vivre comme des provinciaux,
nous ne serons qu’une province européenne”, a déclaré un jour notre
ministre des Affaires européennes,
Meglena Kuneva. Elle a tort. Cela fait
des lustres que nous sommes DÉJÀ une
province européenne et juste quelques
efforts ne nous sauveront pas. Bien
entendu, il ne s’agit pas ici de la
conception du “provincial” que l’on a
DOUTES
Union “light”
■ I Kathimerini, d’Athènes,
s’étonne que les critères
économiques n’aient joué
aucun rôle dans la décision
d’accueillir les Bulgares et
les Roumains. Le journal
grec s’insurge également
contre le fait que ces deux
pays ont ouver t leurs frontières à de nouvelles bases
américaines tout en se
réclamant de l’Eur ope.
“L’élargissement est un
échec”, de ce point de vue,
estime le quotidien. Pour
Die Welt, de Berlin, il s’agit
plutôt d’une “farce”, la déci-
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
20
sion d’intégrer les deux
pays – motivée uniquement
par calcul politique – ayant
été prise bien avant l’avis
de la Commission. Or il est
clair pour tous que “Bucarest et Sofia n’étaient pas
prêts pour l’Union européenne”, poursuit le journal
allemand. Der Standard, de
Vienne, estime pour sa part
que l’avènement d’une “UE
light” pourrait constituer un
test pour de futures adhésions “par tielles”, telles
que celles de la Croatie et
de la Turquie.
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
Notre pays n’est pas aux normes européennes dans les domaines de la lutte
contre le crime, de la corruption, du
blanchiment d’argent, ni dans celui de
la transparence de la distribution des
fonds agricoles et régionaux. Nous le
savons trop bien. En dehors de leurs
meilleures campagnes de relations
publiques, les Roumains ne vont pas
beaucoup mieux sur ce plan. Il est
logique que l’Europe prévoie des
clauses de sauvegarde pour trouver une
bonne excuse auprès des électeurs
avant de faire entrer en son sein des
énergumènes comme nous. Or tout
cela ne résulte que de notre provincialisme sauvage. Si nous étions des
gens bien comme il faut, on ne nous
aurait pas classés en “deuxième catégorie”.Voilà pourquoi nous resterons
assis sur nos petites chaises, dans le
coin des domestiques de la maison
commune européenne. Mais c’est déjà
un grand succès pour des provinciaux.
Les Roumains risquent de dire maintenant que “la Bulgarie nous tire vers
le bas”. C’est un problème. De notre
côté, on ne manquera pas de leur rappeler que la grippe aviaire a sévi de
leur côté du Danube. De toute façon,
les Roumains, c’est connu, ne tiennent jamais la distance, un peu
comme dans ce match pour les qualifications de l’Euro 2008 entre nos
deux pays qui a failli déclencher une
nouvelle guerre balkanique. Aujourd’hui, soyons magnanimes : qu’ils
prennent leurs cliques et leurs claques,
et qu’ils viennent l’été bronzer sur nos
plages. Chez nous, en Europe.
Petio Tsekov
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DOSSIER
Bucarest-Sofia : match nul
La course à l’adhésion a fait ressortir de vieilles rancunes. Elles ne s’expriment plus sur les champs de bataille,
mais sur les terrains de football, explique le Cotidianul.
Dessin d’Ares,
Cuba.
COTIDIANUL
Bucarest
lors que nous étions
assoiffés de sang et à la
recherche de nouvelles victimes après six ans d’anonymat dans le football européen, le
destin nous a souri au moment du
tirage au sort pour les qualifications
de l’Euro 2008. Nous avions la possibilité de démontrer à nos voisins
bulgares qui mène le tandem dans la
course vers l’Union européenne. En
avant avec Dracula ! C’est notre
Adrian Mutu (par ailleurs joueur de
la Fiorentina), qui a ouvert les hostilités en traitant le sélectionneur bulgare Hristo Stoitchkov de lâche et de
nain, se disant convaincu que l’ancien Ballon d’or avait une trouille
bleue de l’équipe roumaine. S’est
ensuivi un souk avec insultes et allusions grasses, comme on n’en trouve
que dans les Balkans, les valeurs
nationales telles que la polenta (roumaine), les grosses nuques et les cornichons (bulgares) étant brandies
comme des armes de destruction
massive. “Les Bulgares n’ont pas peur
d’un peuple dont le principal produit
d’exportation sont les loups affamés pendant l’hiver”, ont répondu nos voisins
du Sud, dont la presse a dépeint
Adrian Mutu et Nicolae Dica (de
Steaua Bucarest) en vampires. Notre
réponse les a énervés, notamment
lorsque le quotidien sportif Gazeta
Sporturilor a publié en première page
un truquage montrant Ionel Ganea,
du Dinamo Bucarest, en sumotori
prêt à mettre une raclée aux joueurs
bulgares caricaturés en lutteurs nains.
Le journal a également publié une
page entière de blagues sur les Bulgares, comme celle sur la présence de
puces dans leur capitale. “Si les puces
étaient phosphorescentes, Sofia brillerait
comme Las Vegas !” pouvait-on lire.
A
■
de l’iceberg de l’animosité qui existe
entre nos deux pays. L’historien Steliu Lambru rappelle qu’avant la guerre
de 1877-1878 entre la Russie et la
Turquie, qui a donné l’indépendance
à la Roumanie, de nombreux Bulgares
s’étaient réfugiés chez nous afin de
lutter pour leur émancipation nationale face aux Ottomans. Le mouvement a duré jusque dans les années
1912-1913. C’est à ce moment que
les relations se sont gâtées.“Lors de la
Première Guerre mondiale, les deux pays
ont appartenu à des alliances militaires
adverses. Par la suite, la Bulgarie n’a pas
joué la carte de la coopération régionale
avec la Roumanie, en raison d’un certain irrédentisme mais surtout d’un révisionnisme territorial”, ajoute-t-il. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les
deux pays se sont retrouvés du côté
de l’Allemagne, mais leurs relations
étaient mauvaises. Après 1947, quand
l’URSS a occupé la moitié de l’Europe, un rapprochement de circonstance s’est opéré entre les deux pays.
“Mais, après 1989 et la chute du régime
communiste, les anciennes frustrations et
antipathies sont revenues au galop”,
estime Steliu Lambru. Outre le foot,
c’est dans le domaine du tourisme
que les esprits s’échauffent aujourd’hui. Chacun des deux pays s’enorgueillit d’avoir les plages les mieux
ensoleillées et les plus belles montagnes. Dans ce domaine, force est
de constater que nos voisins ont nettement l’avantage. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les tour-opérateurs estiment à plus de 100 000 le
nombre de touristes roumains qui
sont allés en Bulgarie cette année,
contre seulement 10 000 en 2005.
“RATTRAPER LA HONGRIE
ET DÉPASSER LA BULGARIE”
Une croissance spectaculaire, qui
prouve que la présence de la Bulgarie aux côtés de l’Iran dans le chapitre des pays à éviter sur le site du
ministère des Affaires étrangères
roumain n’a eu pour effet que de provoquer l’ire de Sofia. “Nous nous abstenons de commentaire. Nous entrons
ensemble dans l’Europe et nous ne voudrions pas déclencher une polémique sur
ce thème”, avait répliqué Stanimir
Petkov, conseiller de l’ambassade de
Dernier train
Adevarul se penche
déjà sur la
personnalité du
futur commissaire
roumain à Bruxelles,
qui doit “penser aux
intérêts européens,
et pas seulement
roumains”, selon
le quotidien.
Optimiste,
Cotidianul ne craint
pas les clauses de
sauvegarde,
l’essentiel étant que
“désormais tout
dérapage contre
la démocratie est
strictement
interdit”.
La question du jour
pour le quotidien
populaire
Evenimentul Zilei
est : “Croyez-vous
que l’intégration `
à l’UE augmentera
le nombre de ceux
qui vont vouloir
émigrer ?”
Le journal ouvre
son édition du
26 septembre
avec la photo
de l’Hémicycle
européen barrée du
titre : “La Roumanie
a attrapé le dernier
train !”
STOITCHKOV ET LA THÉORIE
DE L’ÉVOLUTION
En réponse, les Bulgares ont ouvert
un nouveau front avec la publication
de photos assez suggestives des compagnes de quelques footballeurs roumains. Sous le titre “La Roumanie
attaque les seins à l’air”, ils osaient
affirmer que nous n’avions pas une
véritable équipe de foot. Fidèle à sa
réputation, Stoitchkov en est venu
aux mains avec quelques journalistes
roumains, avant de proposer sa
propre interprétation de la théorie
de l’évolution. “Quand j’avais des
Mercedes et des BMW, vous faisiez
encore du vélo”, leur a-t-il lancé.
Enfin, après que nos voisins nous
eurent traités de “Tsiganes”, les autorités roumaines ont officiellement
demandé à l’UEFA de sanctionner
la Bulgarie pour “injures racistes”.
On peut se demander si cette rivalité sportive est seulement le sommet
RESTRICTIONS
“Le mur de Berlin est enfin tombé ”
■ “En Europe, avec des clauses de
sauvegarde sans précédent”. C’est
en ces termes que le quotidien Dnevnik de Sofia annonçait, le 27 septembre, l’adhésion prochaine de la
Bulgarie à l’UE. “C’est la première fois
dans l’histoire de l’élargissement de
l’UE que la Commission met en place
un tel mécanisme de surveillance et
de contrôle pour un de ses nouveaux
membres”, poursuivait le journal, alors
que la classe politique bulgare se
réjouissait de ce jour “historique”.
“C’est seulement maintenant que le
mur de Berlin est définitivement
tombé pour nous”, déclarait le Pre-
Une de Dnevnik
du 27 septembre 2006.
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
21
mier ministre, Sergueï Stanichev.
“Nous sommes entrés dans la Ligue
des champions !” renchérissait le président, Georgi Parvanov. La “concurrence avec la Bulgarie est passée au
second plan”, estimait de son côté
le correspondant à Bucarest de Dnevnik, qui évoque une “explosion de joie
contenue” dans la capitale roumaine.
Il rappor te néanmoins que la première chaîne de télévision roumaine
(TVR 1) a raconté les péripéties de
son équipe à Sofia, qui a dû “s’acquitter ce même jour d’un pourboire
de 10 euros pour obtenir une facture
du taxi qui la conduisait à l’aéroport”.
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
Bulgarie à Bucarest, en rappelant insidieusement que le tourisme rapportait à son pays un montant en euros
quatre fois supérieur à celui de la
Roumanie.
L’Europe, justement. La Roumanie et la Bulgarie ont été tantôt
partenaires, tantôt concurrentes dans
le processus d’intégration européenne, et aucune des parties n’a
perdu la moindre occasion de
démontrer qu’elle était en avance sur
l’autre. Si la Roumanie était considérée, il y a quelques années, comme
la plus problématique des deux candidates, tout le monde s’accorde à
dire qu’elle a fait des progrès impressionnants depuis 2004. Ce n’est pas
le cas de la Bulgarie, qui n’a pas réussi
à s’aligner, notamment pour ce qui
concerne la lutte contre la corruption, le crime organisé et la réforme
de la justice – autant de points noirs
qui auraient pu faire ajourner d’un
an son adhésion. La Roumanie a toujours voulu “rattraper la Hongrie et
dépasser la Bulgarie”, explique Zoe
Petre, spécialiste roumaine des
affaires européennes. “Je pense qu’il y
a eu des moments dans l’Histoire où l’on
a regardé avec envie vers la Hongrie, qui
a eu une ascension plus rapide et plus
confortable. A d’autres moments, nous
avons eu peur que les Bulgares ne nous
rattrapent”, poursuit-elle. Zoe Petre
considère comme infondée la rivalité
entre ces deux pays, car chacun d’eux
a progressé à son rythme, sans gêner
l’autre. Elle souligne également tout
ce qui rapproche Bulgares et Roumains, notamment leurs problèmes
hérités de leur passé communiste,
leur fond culturel balkanique et leur
même foi orthodoxe. Un avis que
partage Sebastian Lazaroiu, directeur
de l’institut de sondage CURS et professeur à la faculté de science politique de Bucarest. Il met en cause
la presse, qui a monté en épingle la
rencontre du 2 septembre entre la
Roumanie et la Bulgarie pour “dramatiser” un match sans grand enjeu
sportif. Peu se souviennent d’ailleurs
de son résultat, pourtant non sans
intérêt. Les deux équipes ont fait
match nul (2-2).
Ciprian Pîslaru,
Valentin Baesu et Diana Lazar
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●
É TAT S - U N I S
George W. Bush : de la tyrannie en Amérique
Le Congrès a finalement adopté, le 29 septembre, une loi sur la détention et le jugement des terroristes présumés.
Un texte inique et indigne de la démocratie américaine, estime The New York Times.
THE NEW YORK TIMES
New York
oilà ce qui se passe quand
un Cong rès amér icain
irresponsable fait passer en
force un projet de loi d’une
importance capitale pour servir une
stratégie politique inepte en vue des
élections de mi-mandat : le gouvernement Bush a exploité la peur des
républicains de perdre leur majorité
au Sénat et à la Chambre des représentants pour leur faire accepter de
terrifiantes idées sur l’antiterrorisme,
lesquelles vont remettre en cause la
sécurité de nos soldats et faire un tort
durable à l’Etat de droit qu’est l’Amérique depuis deux cent dix-sept ans
– et tout cela sans améliorer en rien
la protection des Américains contre
le terrorisme.
Si les républicains ont affirmé que
le Congrès devait agir sans tarder pour
créer des procédures de mise en accusation et de jugement des terroristes,
c’est parce que les cerveaux présumés
des attentats du 11 septembre 2001
sont sur le point d’être traduits en justice. C’est de la pure propagande. Ces
hommes auraient pu être jugés et
condamnés depuis bien longtemps,
mais le président Bush a préféré ne pas
le faire. Il a préféré les maintenir en
détention illégale, les faire interroger
de telle sorte qu’un procès en bonne
et due forme est désormais difficilement envisageable et inventer un système clairement illégal de tribunaux
irréguliers pour les condamner.
Ce n’est que depuis que la Cour
suprême a déclaré inconstitutionnel
le système pénal d’exception voulu
par Bush que ce dernier a adopté le
ton de l’urgence. Son objectif est
cynique : si les stratèges républicains
croient pouvoir remporter les élections cet automne, ce n’est pas en
adoptant une bonne législation, mais
en ayant forcé les démocrates à voter
contre une mauvaise législation et,
du même coup, à apparaître comme
laxistes à l’égard du terrorisme.
Une semaine avant l’adoption de
cette loi, la Maison-Blanche et trois
sénateurs républicains avaient annoncé
qu’ils étaient parvenus à un redoutable
accord sur cette loi, accordant à Bush
à peu près tout ce qu’il avait demandé,
y compris une décharge complète pour
les crimes commis par des Américains
au service des politiques antiterroristes.
Puis le vice-président Dick Cheney et
ses législateurs zélés ont remanié le
reste du texte de façon à habiliter
Bush à emprisonner sans inculpation
à peu près qui il veut aussi longtemps
qu’il le veut, à réinterpréter de façon
unilatérale les conventions de Genève,
à autoriser des pratiques que d’aucuns qualifient de torture et à refuser de rendre justice à des centaines
V
George W. Bush.
Dessin de Schot,
Pays-Bas.
Précipitation
Juste avant la
suspension des
travaux du Congrès
en vue des élections
de mi-mandat
du 7 novembre
prochain,
les sénateurs
et les représentants
républicains se sont
hâtés de voter
plusieurs lois.
Outre le texte
sur la détention
et le jugement
des terroristes
présumés, une loi
sur la construction
d’une clôture longue
de plus
de 1 100 kilomètres
à la frontière
entre les Etats-Unis
et le Mexique,
destinée à la lutte
contre l’immigration
clandestine, a été
adoptée in extremis.
WEB+
Plus d’infos
sur le site
L’interview de Reed
Brody, conseiller
de l’organisation
de défense des droits
de l’homme
Human Rights Watch
d’hommes emprisonnés par erreur.
Voici quelques-unes des pires dispositions contenues dans ce texte :
Ennemis combattants En donnant
une définition dangereusement large
au terme “ennemi combattant illégal”,
la nouvelle loi implique que des résidents vivant légalement aux Etats-Unis
ainsi que des ressortissants étrangers
vivant dans leur propre pays pourront
être arrêtés et retenus indéfiniment
sans aucun recours. Le président peut,
de surcroît, décider de placer qui il veut
dans cette catégorie.
Conventions de Genève La nouvelle
loi enterre des conventions internationales vieilles d’un demi-siècle en autorisant Bush à décider seul quelles sont
les méthodes d’interrogatoire abusives
qu’il juge tolérables. Ces décisions
pourraient d’ailleurs rester secrètes :
rien n’impose que la liste de ces
méthodes d’interrogation jugées tolérables soit publiée.
Habeas corpus Les détenus incarcérés dans des prisons militaires américaines n’auront désormais plus le droit
de contester leur emprisonnement. Or
les requêtes en habeas corpus n’encombrent pas les tribunaux, pas plus
qu’elles ne sont une faveur faite aux
terroristes. Elles donnent simplement
à des personnes emprisonnées par
erreur une chance de pouvoir prouver
leur innocence.
Recours Les tribunaux américains ne
pourront réexaminer aucune des dispositions du nouveau système mis en
place, exception faite des verdicts rendus par les tribunaux militaires. La loi
restreint en effet les possibilités de
recours et empêche toute action juridique fondée sur les conventions de
Genève. Pour emprisonner quelqu’un
à vie, Bush n’a donc qu’à le déclarer
“ennemi combattant illégal” et lui refuser tout forme de procès.
Preuves obtenues par la force Les
preuves obtenues par la force sont
déclarées exploitables dès lors qu’un
juge les estimera fiables.
Preuves secrètes Les normes judiciaires américaines interdisent la prise
en compte de preuves et de témoignages n’ayant pas été portés à la
connaissance de l’accusé. Or la nouvelle loi restreint de façon draconienne
les protections existant contre l’utilisation de ce type de preuve.
Torture Enfin, la nouvelle loi donne
une définition de la torture d’une étroitesse intolérable, reprenant quasiment
mot pour mot les mémos profondément cyniques produits par le gouvernement à la suite des attentats du
11 septembre. Le viol et l’agression
sexuelle, par exemple, sont définis à
minima, n’englobant que les rapports
contraints ou forcés, et non les autres
formes de sévices sexuels. La nouvelle
loi élimine ainsi de facto l’idée que le
viol est une forme de torture.
Les républicains ont clairement fait
comprendre qu’ils n’hésiteraient pas à
traiter de lâche et de laxiste quiconque
voterait contre ce texte de loi. Mais,
une chose est sûre, les Américains de
demain ne se souviendront pas des circonstances préélectorales qui ont mené
à une telle abdication face à la volonté
du gouvernement.Tout ce dont ils se
souviendront, c’est qu’en l’an 2006 le
Congrès américain a adopté une loi
tyrannique qui restera dans l’Histoire
comme l’un des plus grands déshonneurs de la démocratie américaine. ■
C O N T E S TAT I O N
Les inconnues de la nouvelle loi
■ Si l’adoption par le Congrès
de la loi sur la détention et le
jugement des terroristes
présumés est incontestablement une victoire pour
George W. Bush, note le Los
Angeles Times, ce texte a cependant toutes les chances
d’être contesté devant la
Cour suprême, souligne le
quotidien. Dès le jour du
vote, plusieurs législateurs
démocrates et républicains
ont en effet qualifié de “faute historique” la suspension
de l’habeas corpus – le droit
de remettre en question devant un juge toute détention
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
préventive. Une erreur qui,
à elle seule, pourrait faire
tomber l’ensemble de la
nouvelle loi. “Je suis persuadé que ce texte n’est
pas constitutionnel”, a déclaré Harry Reid, le chef de
la minorité démocrate au Sénat, avant d’ajouter que “la
Cour suprême l’annulera à
coup sûr”.
Par ailleurs, on ne sait pas
encore combien de terroristes présumés vont être
traduits devant les commissions militaires créées par
cette nouvelle loi. Cet été,
seuls 10 des quelque
24
700 détenus passés par
Guantanamo ont été accusés
de crimes de guerre. Il faut
rappeler qu’aucun prisonnier
n’avait encore été jugé
lorsque la Cour suprême a
déclaré, au mois de juin
2006, que les tribunaux
militaires spéciaux mis en
place sur ordre de George
W. Bush étaient illégaux. Le
6 septembre, le président
américain a annoncé qu’il
avait envoyé à Guantanamo
14 terroristes de première
impor tance. Ces derniers
étaient jusque-là détenus par
la CIA dans des prisons se-
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
crètes. Parmi eux figure Khalid Sheikh Mohammed. Il est
considéré comme le cerveau
des attentats du 11 septembre 2001. La seule certitude le concernant est que
la nouvelle loi va permettre
de le traduire devant une
commission militaire. S’il est
reconnu coupable et condamné à mort, il pourra faire appel de cette condamnation
devant le tribunal fédéral de
Washington. Si cet appel se
soldait par un échec, il pourrait demander une révision
de son cas à la Cour suprême des Etats-Unis.
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É TAT S - U N I S
É TAT S - U N I S
L’islam fait des adeptes chez les Latinos
Oprah Winfrey
présidente
malgré elle ?
De plus en plus d’Hispaniques se retrouvent dans une foi et une culture à bien des égards
très proches de la leur. Une communauté qui compte aujourd’hui 200 000 personnes.
est située dans un quartier à majorité
hispanique. Il y a quelques années
encore, on y entendait rarement parler espagnol, raconte l’imam Muhammad Musri, qui préside la Société
islamique de Floride centrale. Aujourd’hui, on constate une demande croissante de livres en espagnol, y compris
le Coran, poursuit l’imam. La mosquée propose tous les samedis des
cours d’initiation à l’islam en langue
espagnole destinés aux femmes.
“Dans quelques années, il me semble tout
à fait envisageable que la mosquée propose des offices en espagnol, sous la direction d’un imam hispanique”, dit-il.
THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR
Boston
D’ORLANDO (FLORIDE)
vec son hidjab et son teint
mat, Catherine Garcia ne
ressemble ni à une native
d’Orlando ni à une touriste venue visiter Disneyworld. Les
gens qui lui demandent d’où elle est
originaire sont souvent surpris d’apprendre qu’elle vient non pas du
Moyen-Orient, mais de Colombie.
C’est que Catherine Garcia, une employée de librairie arrivée aux EtatsUnis il y a sept ans, est hispanique et
musulmane. En cette douce aprèsmidi du début du ramadan, elle est à
la mosquée, vêtue d’une longue tunique, les bras couverts. “Dans mon
pays, je n’ai jamais trouvé ma place dans
la société. Ici, dans l’islam, je me sens en
phase avec toutes leurs croyances”,
explique-t-elle.
Catherine Garcia fait partie du
nombre croissant d’Hispaniques des
Etats-Unis qui se retrouvent dans une
foi et une culture présentant d’étonnantes ressemblances avec leur propre
héritage. Travailleurs, étudiants ou
parents au foyer, ils viennent à la foi
musulmane par le mariage, par curiosité ou par identité de vues sur certaines questions comme l’immigration. Le nombre de musulmans
hispaniques a augmenté de 30 %
depuis 1999, pour s’établir aujourd’hui à 200 000 personnes, estime Ali
Khan, directeur national du Conseil
musulman américain, à Chicago.
Beaucoup attribuent cet engouement
à un intérêt accru pour l’islam depuis
les attentats de 2001, mais aussi à la
rencontre de deux minorités en plein
essor. Ils font aussi remarquer que les
musulmans ont régné sur l’Espagne
il y a plusieurs siècles, et y ont laissé
leur empreinte sur la cuisine, la
musique et la langue. “Beaucoup
d’Hispaniques qui se convertissent à l’islam vous diront qu’ils renouent ainsi
A
POUR CERTAINS, C’EST LE SIGNE
QUE L’ISLAM S’AMÉRICANISE
avec leur histoire, avec un héritage qui
leur était en quelque sorte nié”, affirme
Ihsan Bagby, professeur d’études
arabes et islamiques à l’université du
Kentucky.
Cette tendance a donné naissance à des organisations latinomusulmanes comme la Latino American Dawah Association, fondée en
1997 à New York par des Hispaniques convertis. Aujourd’hui, l’organisation est présente sur tout le territoire américain. L’accroissement
du nombre de Latinos musulmans
est particulièrement sensible à New
York, en Floride, en Californie et au
Texas, qui possèdent les plus grandes
communautés hispaniques. La mosquée d’Orlando, qui est la plus
grande des environs et accueille
quelque 700 fidèles chaque semaine,
Dessin d’Osmani
Simanca, Brésil.
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dans Courrier
in English
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
25
Musulmans et Hispaniques accordent beaucoup d’importance à la
famille et à la religion et sont traditionnellement conservateurs, remarque Ihsan Bagby. Ils partagent
également un intérêt pour certaines
questions sociales comme l’immigration, la pauvreté et la santé. Il y
a quelques mois, des musulmans se
sont joints aux Hispaniques qui manifestaient dans tout le pays contre des
propositions de réforme de l’immigration qu’ils jugeaient injustes.
Pour Ihsan Bagby, c’est le signe
que l’islam s’américanise. Le point de
vue des républicains sur des questions
telles que l’immigration pousse les
musulmans hispaniques vers des positions moins conservatrices, et l’islam
tout entier pourrait suivre le même
chemin. La participation des musulmans hispaniques à la politique américaine pourrait également montrer aux
musulmans du monde entier les vertus de la démocratie, et, à terme, amener les fondamentalistes à moins d’intransigeance. “Plus les Hispaniques et les
Américains en général seront nombreux à
se convertir, plus les liens unissant la communauté musulmane et le reste de la société
américaine seront forts et étroits”, prédit Ihsan Bagby.
Amy Green
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
DE WASHINGTON
prah Winfrey, la star du petit écran, pourrait-elle devenir présidente des EtatsUnis ? Pour Patrick Crowe, l’un de
ses fans, cela ne fait aucun doute. Il
est à l’origine de “Oprah présidente”,
une campagne destinée à la persuader de briguer la plus haute fonction
du pays.
Mais il y a un léger problème : l’intéressée ne semble guère enthousiaste
à l’idée de troquer son fauteuil de journaliste pour le bureau Ovale. On a
appris la semaine dernière que les avocats d’Oprah Winfrey avaient envoyé
à M. Crowe une lettre lui enjoignant
officiellement de cesser d’utiliser le
nom d’Oprah dans sa campagne. Et
de ne plus reproduire des photos tirées
de son livre Oprah for President : Run,
Oprah, Run [Oprah, présidente : vasy, Oprah, vas-y], protégées par le droit
d’auteur.
Selon Patrick Crowe, 69 ans, un
ancien enseignant de Kansas City qui
a déjà sorti plus de 60 000 dollars de
sa poche pour cette campagne, Oprah
Winfrey rassemble toutes les qualités d’une présidente idéale. “Si elle se
présentait, elle apporterait un changement
radical dans la politique américaine. Ça
ne serait plus jamais pareil”, s’enthousiasme-t-il. “Elle a un vrai sens de la
compassion, elle sait former des équipes,
elle sait diriger. Elle a accompli beaucoup
de choses différentes. C’est une femme
d’action. Souvenez-vous juste de tout ce
qu’elle a fait pour les victimes de l’ouragan Katrina. Ou de ce qu’elle à fait pour
les livres : la recommandation d’un seul
livre de sa part, et quelques jours après
celui-ci est en haut de la liste des meilleures
ventes du New York Times.”
Selon lui, la journaliste pourrait
changer d’avis si le mouvement en
faveur de sa candidature prenait de
l’ampleur. “Dans notre pays, expliquet-il, on appelle ça fabriquer un candidat.”
Andrew Buncombe,
The Independent, Londres
O
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ARGENTINE
Le premier disparu de la démocratie
Le gouvernement et les ONG se mobilisent pour retrouver Jorge López, témoin dans le procès de celui qui fut
chef de la police de Buenos Aires sous la dictature. Des policiers pourraient être impliqués.
PÁGINA 12
clé dans le jugement serait l’œuvre de
taupes de la Bonaerense, “à la retraite
ou en activité”. D’après ces mêmes
organisations, ceux qui ne sont pas en
service ne peuvent disposer de l’infrastructure nécessaire pour effectuer des
filatures et passer des appels téléphoniques de menaces comme en reçoivent presque tous les avocats liés à ce
type de procès.
Buenos Aires
’est le premier disparu depuis
les années du terrorisme
d’Etat”, a lancé le gouverneur de Buenos Aires,
Felipe Solá, en montrant la photo du
disparu Jorge Julio López. Cet homme
de 77 ans, ancien maçon, était l’un des
principaux témoins au procès de
Miguel Etchecolatz [ancien directeur
de la police de Buenos Aires pendant
la dictature argentine, condamné le
19 septembre dernier à la réclusion à
perpétuité pour crimes contre l’humanité]. Après avoir invité les organisations sociales, syndicales, patronales et confessionnelles à participer
aux recherches, Solá a tenu une conférence de presse au cours de laquelle
il a attribué le possible enlèvement de
López à sa qualité de témoin clé dans
le procès contre l’ancien bras droit de
Ramón Camps [ce général, réputé
avoir été un des pires tortionnaires de
la dictature, a été chef de la police de
la province de Buenos Aires, puis de la
police fédérale, sous la dictature]. Il a
également estimé que c’était un moyen
[d’]“intimider de futurs témoins ou d’empêcher leur participation à d’autres procès” contre les anciens responsables de
la répression.
Le premier point du communiqué
émanant du gouvernement de la province de Buenos Aires contenait cette
inquiétante information selon laquelle
la Bonaerense, la police de Buenos
Aires, une institution très contestée,
C
UN ENLÈVEMENT POLITIQUE
POUR ENTRAVER LES PROCÈS
Dessin de Côté
paru dans Le Soleil,
Québec.
compterait dans ses rangs des personnes ayant participé à la répression,
malgré les purges innombrables qui
ont déjà éliminé quelque 2 000 agents.
L’affaire est d’importance. Certaines
organisations de défense des droits de
l’homme soutiennent depuis le premier jour que la disparition du témoin
Le deuxième point du communiqué
invitait les organisations des droits de
l’homme à participer à l’enquête, mais
celles-ci ont refusé, estimant que c’était
à l’Etat de retrouver le témoin. “Nous
avons besoin de l’aide de tout le peuple
argentin, à commencer par les habitants
de la province de Buenos Aires, pour
retrouver López”, a pourtant déclaré
Solá. Le gouverneur s’exprimait depuis
le siège du gouvernement, à La Plata,
après une réunion avec des syndicats
et des représentants d’organisations
sociales et politiques, avec lesquelles il
est convenu de diffuser très largement
le portrait de López afin qu’on puisse
le localiser. En accord avec son cabinet, Solá a appelé à une “mobilisation
sociale” impliquant les transports en
commun, les véhicules officiels et particuliers, les supermarchés, les restaurants, les établissements de jeu, les
écoles, les hôpitaux et les différentes
Eglises. La photo de López sera même
distribuée parmi les cartoneros [SDF
qui vivent de la vente de vieux cartons
et papiers journaux] et dans le Train
blanc [train spécialement destiné aux
cartoneros], parce que “les gens qui vivent
dans la rue sont ceux qui peuvent le plus
nous aider”, a ajouté le gouverneur.
“Nous allons imprimer 500 000 tracts, et
même les compagnies téléphoniques vont
envoyer des messages sur les téléphones
fixes, ainsi que des SMS et des MMS sur
les portables”, a commenté une autre
source officielle.
“Nous n’avons pas affaire à une disparition comme les autres”, a rappelé
Felipe Solá. Le gouvernement de Buenos Aires a admis que l’enquête s’orientait vers l’hypothèse la plus pessimiste,
reprenant la théorie de certaines organisations des droits de l’homme selon
lesquelles il s’agirait d’un enlèvement
politique destiné à entraver les procès contre les anciens responsables de
la répression. “La pire hypothèse, c’est
de penser qu’il a été enlevé, a souligné le
gouverneur. Si on ose enlever une personne trente ans après les faits parce qu’elle
en a été le témoin, autant dire qu’on peut
s’attendre à tout de la part de ces gens-là.”
Le ministre des Droits de l’homme de
la province, Edgardo Binstock, a précisé : “Parmi les pistes envisagées, nous
n’excluons pas que López ait cherché à se
préserver d’une manière ou d’une autre,
qu’il ait eu un problème de santé ou encore
qu’il ait subi des représailles pour ses déclarations.” Les enquêteurs analysent aussi
les nombreuses menaces de différente
nature reçues par les plaignants lors
du procès Etchecolatz et par les membres du groupe Justicia Ya [Justice
maintenant].
Adriana Meyer
BRÉSIL
Lula à l’épreuve du second tour
Les électeurs retourneront aux urnes
le 29 octobre. Ce n’était pas vraiment
prévu, et la campagne va être chaude.
La tenue d’un second tour pour l’élection présidentielle entre le petista Lula [de PT, Parti
des travailleurs] et le tucano Alckmin [de toucan, l’emblème du Parti social-démocrate
brésilien] représente un véritable revirement
de situation et plonge le pays comme le gouvernement dans la paralysie. [Selon les dernières estimations avant que nous ne mettions sous presse, Luiz Inácio Lula da Silva
a obtenu 48,6 % des suffrages, contre
41,63 % à Geraldo Alckmin.]
C’est la guerre. Lula va devoir oublier qu’il
est président pour se transformer en candidat à temps plein – y compris en participant aux débats [le président brésilien n’avait
pas participé au dernier débat télévisé de la
campagne présidentielle] et en provoquant
une confrontation directe avec Alckmin. On
s’attend à ce que Heloísa Helena [exclue du
PT et qui a obtenu 6,85 % des suffrages]
et son Parti pour le socialisme et la liberté
(PSOL) restent neutres, mais que son électorat revienne vers Lula. Et que Cristovam
Buarque [ancien ministre de l’Education de
Lula et lui aussi dissident du PT] et son PDT
[Parti démocrate travailliste], avec moins de
3 % des voix, se tourne vers Alckmin.
La campagne pour le second tour débute avec
un Lula abattu et un Alckmin affichant un sourire victorieux. C’est le résultat du renversement des tendances que l’on a pu observer dans les derniers sondages réalisés
samedi 30 septembre, juste avant le scrutin. Dans la probabilité d’un second tour,
simple hypothèse ce jour-là, 5 points seulement auraient séparé les deux candidats :
49 % pour Lula et 44 % pour Alckmin. Lula
va donc devoir redoubler d’efforts, sans se
contenter des 70 % des voix du Nordeste
et du Nord [les régions les plus pauvres et
où il est le plus populaire]. Il va devoir aller
à la pêche aux voix chez les électeurs beau-
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
coup plus exigeants et critiques du Sud et
de São Paulo, où il a perdu [José Serra, rival
de Lula à l’élection de 2002, a été élu gouverneur de l’Etat de São Paulo avec près
de 60 % des suffrages dès le premier tour].
Il devra également creuser l’écart avec Alckmin à Rio et dans le Minas Gerais, où il est
arrivé en tête.
Le premier tour nous a d’ailleurs réservé bien
des surprises. L’une des plus remarquables
a été la victoire spectaculaire du petista
Jacques Wagner à Bahia, qui a infligé une
cuisante défaite au groupe d’Antônio Carlos
Magalhães, dit ACM Neto [PFL, Parti du front
libéral], qui perd ainsi la présidence de l’Etat
de Bahia avec un candidat sérieux, Paulo
Souto, et le Sénat avec Rodolpho Tourinho.
Les femmes nous ont réservé d’autres surprises. A Rio, Denise Frossard [PPS, Parti
populaire socialiste] affrontera au second
tour Sérgio Cabral [PMDB, Parti du mouvement démocratique brésilien], qui était considéré comme le grand favori pendant la
26
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
majeure partie de la campagne électorale.
Dans le Rio Grande do Sul, Yeda Crusius
[PSDB, Parti social-démocrate brésilien, le
parti d’Alckmin], pronostiquée troisième, a
devancé tous ses adversaires dans les urnes,
une prouesse digne d’une femme de tête.
De l’autre côté, Roseana Sarney (PFL) [fille
de l’ancien président José Sarney], donnée
gagnante dès le premier tour au poste de
gouverneur de Maranhâo, devra en affronter
un second. Les Sarney ont apparemment
réussi à faire davantage voter pour Lula, qui
a dépassé les 70 % de suffrages dans l’Etat,
que pour Roseana.
Avec le second tour de l’élection présidentielle, il faudra dresser à nouveau des
podiums dans tous les Etats. Et nul doute
qu’Alckmin, qu’on avait considéré comme
“abandonné”, “isolé” ou encore “perdu
d’avance” va faire campagne, lui aussi, du
nord au sud du pays.
Le second tour a débuté. Haut les cœurs !
Eliane Cantanhede, Folha de São Paulo, São Paulo
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A M É R I QU E
L AT I N E
“Remesas”
et délinquance
EL NUEVO HERALD
Miami
Q
uelque 12 millions de LatinoAméricains vivant aux EtatsUnis envoient vers leur pays
d’origine environ 40 milliards de dollars [31,5 milliards d’euros] par an, selon les chiffres de la Banque interaméricaine de développement (BID).
Sur cette somme globale, 20 milliards
vont vers le Mexique, 10 milliards vers
les pays d’Amérique centrale et la République dominicaine, et les 10 milliards restants sont répartis entre la Colombie, le Brésil, le Pérou, l’Equateur
et d’autres pays. Jusqu’à présent, dans
les milieux universitaires, on s’accordait à penser que ces remesas [transferts d’argent] n’avaient que des conséquences positives pour les pays d’Amérique latine. Ce sont en effet des
sommes en espèces qui, contrairement
à l’aide étrangère, ne peuvent pas être
captées par des fonctionnaires et vont
donc directement dans la poche des
pauvres. La BID prévoit même de
convertir ces remesas en sources de crédit bancaire pour des millions de Latino-Américains, ce qui pourrait faire
augmenter considérablement le niveau
de vie dans les zones les plus pauvres.
Ce projet consiste à convaincre les
banques de considérer les sommes envoyées comme une source de revenus
stable pour qu’elles servent de caution
bancaire. Cela permettrait aux LatinoAméricains qui reçoivent ces transferts
de se voir accorder des crédits immobiliers ou des microcrédits.
Toutefois, lors du sommet qui a
réuni dernièrement à Miami les maires
des grandes villes latino-américaines,
Hugo Acero a souligné que ces transferts n’étaient pas seulement positifs.
Le conseiller auprès des Nations unies
et coordinateur des programmes Municipios Seguros [Municipalités sûres]
a rappelé que l’émigration massive
d’hommes venus de différents pays
d’Amérique latine laisse des villages
sans pères, si bien que les enfants sont
élevés par des grands-parents permissifs. Et de nombreux jeunes grandissent dans la rue. Or, dans cette région
du monde où le chômage des jeunes
est très élevé, ils finissent souvent par
travailler occasionnellement pour le
narcotrafic ou d’autres formes de banditisme. A en croire d’autres spécialistes, le fait de recevoir des mandats
(ou des colis) envoyés par un père
absent qui vit aux Etats-Unis incite
peu les jeunes à rechercher un travail
honnête et régulier.
Raúl Benitez, un professeur mexicain qui enseigne à l’American University de Washington, assure :“Dans
certaines régions du Salvador, du Honduras et du Guatemala, on assiste à une
déstructuration complète de la famille. Ce
sont les mères ou les grands-parents qui
s’occupent des enfants, et il y a une
absence totale de référent masculin.”
Andrés Oppenheimer
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asie
●
VIETNAM
La démocratie sera-t-elle au rendez-vous ?
Un nouveau mouvement dissident lance un défi au gouvernement en proposant des réformes politiques. Le pouvoir
communiste répond par le harcèlement policier. Sans que les Occidentaux émettent la moindre protestation.
ASIA TIMES ONLINE
harcèlement et des actes de violence.
Ces dernières semaines, de nombreux
militants du Bloc 8406 ont été interrogés.Vu Hoang Hai, un membre du
groupe à Hô Chi Minh-Ville, a même
été torturé. D’autres signataires se sont
vu couper leur ligne ou confisquer leur
téléphone portable.
Bangkok et Hongkong
i les aspirants démocrates vietnamiens finissent par l’emporter, la date du 8 avril 2006
aura marqué, pour eux, le
début de la fin du pouvoir monolithique et autoritaire du Parti communiste [PC]. Ce jour-là, des centaines
de Vietnamiens, mus par des idées
démocratiques, ont eu le courage de
publier un “Manifeste pour la liberté
et la démocratie au Vietnam” et de le
signer alors que le PC s’apprêtait à
ouvrir son X e Congrès national à
Hanoi [du 18 au 25 avril 2006].
Depuis, ce groupe s’est transformé en
un mouvement prodémocratique d’un
millier de personnes, que tout le monde
appelle “Bloc 8406”, en référence au
jour où le groupe a publiquement
appelé à une transition qui favoriserait
une démocratie participative.
Les signataires du manifeste intensifient peu à peu leurs activités. Le
22 août, le Bloc 8406 a fait part de son
plan en quatre étapes pour la démocratisation du Vietnam, selon lequel on
procéderait à la restauration des libertés civiques, à la mise en place du pluralisme politique, à la rédaction d’une
nouvelle Constitution et enfin à l’organisation d’élections démocratiques
pour une nouvelle Assemblée nationale qui serait chargée de choisir un
nouveau nom, un drapeau et un
hymne pour le pays. Les élus des trois
principales régions du pays, et notamment Tran Anh Kim, un ancien officier de l’Armée populaire du Vietnam
[élu à Thai Binh], et Nguyen Van Ly,
un éminent prêtre catholique [élu à
Huê], ont fait circuler la pétition sur la
place publique et l’ont eux-mêmes
S
GARDER LE MONOPOLE
DU POUVOIR À TOUT PRIX
signée. Selon le Bloc 8406, ses
membres sont essentiellement de
jeunes salariés diplômés, qui offrent
un contraste frappant avec les cadres
souvent coincés du PC.
Le groupe attire de plus en plus
l’attention, ce qui, manifestement,
affole le gouvernement. Ce dernier a
répondu à ce mouvement par le
Le groupe a lancé sa campagne de
désobéissance civile, alors que tous les
projecteurs sont braqués sur le pays.
Les responsables communistes ont en
effet séduit la communauté internationale, en prouvant qu’ils étaient
capables de mener des réformes économiques impressionnantes, pour
rejoindre l’économie mondialisée. Pour
y parvenir, ils doivent encore obtenir
l’aval du Congrès américain, de
rejoindre l’Organisation mondiale du
commerce avant la fin de l’année. Le
PC se prépare à faire un pas décisif en
accueillant le sommet de Coopération
économique Asie-Pacifique (APEC) à
Hanoi, en novembre, un événement
auquel assisteront plusieurs dirigeants
mondiaux, dont George W. Bush.
De leur côté, les responsables du
Bloc 8406 ont indiqué qu’ils voulaient
intensifier leurs activités pendant ces
rencontres de haut niveau, poussant
les deux camps vers un conflit qui
pourrait être dangereux. Le groupe
échapperait peut-être au harcèlement
pendant le sommet, mais il craint que
ses membres n’affrontent la colère du
gouvernement avant l’arrivée et après
le départ des chefs d’Etat et des médias
du monde entier. Contrairement à ce
qu’avaient annoncé certains analystes,
la répression contre ce mouvement
embryonnaire s’accentue. C’est la
Dessin
de Kopelnitsky,
Etats-Unis.
preuve que les nouveaux responsables
communistes, plus jeunes, n’ont pas
l’intention d’entreprendre des changements politiques pour accompagner
leurs réformes économiques et financières. Nguyen Tan Dung, le nouveau
Premier ministre, et Nguyen Minh
Triet, le chef de l’Etat, ont déjà
prouvé, par leur sévérité à l’égard du
Bloc 8406, qu’ils sont décidés à garder le monopole du pouvoir.
De nombreux pays occidentaux et
entreprises multinationales cherchent
à entrer en contact avec les dirigeants
communistes pour avoir accès aux
diverses richesses de ce marché encore
intact. Pourtant, la plupart des investisseurs approuvent les propos que le
Bloc 8406 a récemment publiés sur
son site Internet. Pour lui, “le refus du
PC de libéraliser le système politique a
engendré une corruption et un immobilisme généralisés”, et “un système politique pluraliste est une condition préalable
pour assurer la paix et la prospérité à long
terme”. L’histoire de l’Asie a été ponctuée de mouvements démocratiques
qui n’ont grandi que pour finir écrasés
par des régimes autoritaires pendant
que l’Occident observait la scène sans
réagir. De plus en plus d’indices laissent penser que le Vietnam approche
de son heure de vérité en matière de
démocratie. Malheureusement, de
nombreux gouvernements occidentaux
se tournent vers ce pays avec une
conscience historique coupable. Ils
semblent de moins en moins disposés
à critiquer la situation déplorable des
droits de l’homme, alors que le Parti
communiste met en œuvre des
réformes économiques radicales, dont
il ne peut se priver s’il veut passer d’une
économie planifiée à une économie de
marché.
Shawn W. Crispin
THAÏLANDE
Réformes au pas de charge pour le nouveau Premier ministre
Nommé par la junte, Surayud Chulanont
endosse de lourdes responsabilités.
Et il dispose de peu de temps.
e lourdes responsabilités pèsent sur les
épaules du nouveau Premier ministre
par intérim, Surayud Chulanont, nommé le
1er octobre par les putschistes. En tant que
chef du gouvernement de transition, cet
ancien commandant en chef de l’armée de
terre et conseiller du roi est censé redonner
au pays un fonctionnement démocratique
dans les douze mois qui viennent, après
le coup d’Etat déclenché par le Conseil pour
la réforme démocratique (CDR), le 19 septembre dernier. Confronté à une tâche herculéenne, il aura besoin de toute l’aide possible pour atteindre les objectifs affichés. Il
D
compte en effet transformer le système politique du pays, profondément vicié, en une
démocratie efficace, débarrassée de la corruption. En d’autres termes, il doit réussir
en un an là où la Thaïlande, en tant que
société, a échoué en soixante-quatorze
années de monarchie constitutionnelle.
Le fait que l’ancien général ait été considéré
comme favorable à la démocratie du temps
où il était officier peut s’avérer utile. C’est
en tout cas un phénomène plutôt rare dans
son milieu. Il est donc bien placé pour imposer ses vues à l’ancien CDR devenu Conseil
pour la sécurité nationale (CNS), pour mobiliser la société afin qu’elle joue son rôle dans
la réconciliation nationale et pour assurer la
restauration de la démocratie. Contrairement
aux gouvernements élus, qui jouissent d’or-
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
dinaire d’une période de lune de miel leur
permettant de se mettre au travail avant
d’être jugés sévèrement par l’opinion
publique, Surayud est censé s’atteler à la
tâche dès que son gouvernement sera
nommé. Sa principale priorité sera de formuler une stratégie afin de parvenir au rétablissement de la paix dans le Sud. Il devra
ensuite mettre en œuvre des réformes politiques exhaustives, traîner en justice les politiciens véreux et purger l’appareil d’Etat de
la corruption. Sur le front économique,
Surayud devra veiller à ce que les conditions
soient favorables à une saine concurrence,
dans l’espoir de retrouver la confiance des
investisseurs.
Dans le même temps, il devra s’efforcer
de créer une atmosphère permettant à tous
28
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
de participer à l’élaboration d’une nouvelle
Constitution démocratique, laquelle sera
confiée à l’Assemble constituante qui
devrait bientôt se réunir. Si l’on veut être
certain que l’opinion publique prenne pleinement par t à ce processus essentiel, il
faut rétablir les droits civiques sans
entraves, tels qu’ils étaient stipulés par la
Constitution de 1997, abrogée par les putschistes. Maintenant que Surayud a
accepté le plus lourd fardeau qui puisse
être confié à un citoyen thaïlandais, il ne
saurait faire marche arrière. Dans son nouveau rôle de Premier ministre civil, non seulement il doit respecter des délais contraignants, mais il lui faut également répondre
aux attentes de la population.
The Nation (extraits), Bangkok
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INDE
Malegaon, ses temples, ses mosquées
Il suffit de pas grand-chose pour raviver la tension entre hindous et musulmans. C’est particulièrement vrai
à Malegaon, ville récemment frappée par un attentat et encline aux violences intercommunautaires. Reportage.
fera 1,50 mètre de plus que la mosquée. Les deux bâtiments ont obtenu
l’autorisation de la municipalité pour
procéder aux travaux. Mais au fond,
à Malegaon, ce n’est pas ça qui
compte. Ce qui compte, c’est que le
fossé qui sépare les communautés religieuses de la ville s’est élargi au fil des
années. La tension couve partout,
entre les minarets et les temples, derrière le voile des femmes et dans les
arrière-salles des cafés.
THE INDIAN EXPRESS
New Delhi
alegaon affiche la couleur sur ses panneaux
indicateurs. Le nom de
chaque rue et de
chaque pâté de maisons reflète la
transformation de cette ville textile
du nord du Maharashtra en une cité
divisée, encline aux émeutes et maintenant cible du terrorisme [depuis
une triple attaque à la bombe contre
une mosquée, le 8 septembre dernier]. Pour comprendre la nature de
cette agglomération de plus de
700 000 habitants, dont 75 % de
musulmans, il suffit de se promener
dans les quartiers dénommés Tension
Chowk [Carrefour de la tension],
Achanak Nagar [Soudain-Ville],
Rishwat Nagar [Corruption-Ville],
Raunakabad [Splendeur-Ville],Tashkent Nagar [Tachkentville, d’après la
capitale de l’Ouzbékistan], Bajrangwadi [quartier du Bajrang Dal, milice
nationaliste hindoue] ou encore
Ayodhya Nagar [Ayodhya-Ville, haut
lieu de la tension entre hindous et
musulmans], et rue Islamabad,
comme la capitale pakistanaise. Chacun de ces noms évoque un événement qui a fortement changé le caractère des différents quartiers.
Tenez-vous sous le panneau qui
signale le carrefour de Tension
Chowk, et les gens vous diront que
cet endroit est le foyer d’un million
de rumeurs et la première zone de la
ville à se tendre au premier signe
d’événement fâcheux. A Achanak
Nagar, les hindous racontent comment ils ont quitté la zone de Ramzanpura [Ramadan-Ville] après les
émeutes de 2001, qui ont fait
13 morts. Allez à Ayodhya Nagar, l’un
des plus récents quartiers hindous.
L’extérieur des maisons attend encore
une couche de peinture et ses habitants, qui ne sont toujours pas raccordés à l’électricité ni à l’eau courante, évoquent avec nostalgie la “belle
vie” qu’ils menaient à Vijay Nagar,
aujourd’hui un ghetto musulman.
M
LE CINÉMA, SEUL MOYEN
D’OUBLIER LES SOUCIS
Dans le même temps, les musulmans
qui ont traversé la rivière pour s’installer dans un ancien quartier hindou
ont choisi de ne pas en modifier le
nom. Pourtant, celui-ci a bel et bien
changé. De même Islamabad, une
petite enclave excentrée jadis discrète,
est devenu une zone animée abritant
des milliers d’ouvriers musulmans
venus en ville à la recherche d’un
emploi. La plupart travaillent dans
les usines textiles pour 1 200 roupies
[environ 20 euros] par mois. Ils triment près de douze heures par jour,
sept jours par semaine, et vivent dans
des pièces surpeuplées, quand ils ne
passent pas la nuit dans la rue.
Comme ils ont à peine assez de place
merce ne s’arrêtent jamais. Le fossé
confessionnel disparaît aussi sur le
pont qui relie les deux parties de la
ville. Les habitants des deux rives le
traversent paisiblement pour aller au
travail, à l’hôpital, à l’école et pour
rencontrer leurs associés. Quand le
pont est désert, c’est que les choses
vont vraiment mal à Malegaon. CONTEXTE
AP-Sipa
EN TEMPS DE CRISE,
LE BUSINESS CONTINUE
pour loger leur famille, les hommes
préfèrent en effet souvent aller à
Chou-Chou Street et discuter jusqu’à
l’aube. D’autres choisissent de s’enfoncer dans leur fauteuil et regardent
le dernier film à succès. Car tout
Malegaon adore le cinéma. Chacun
des films qui passent dans les quatorze cinémas de la ville affiche complet pendant des mois. “Il est difficile d’imaginer la vie que mènent les gens
d’ici. Le grand écran leur permet de
s’évader. On ne fait pas des films pour
l’argent, mais juste pour que les gens
oublient leurs soucis pendant un
moment”, explique le réalisateur
Akram Khan.
Mohammad Sharif travaille lui
aussi à combler le fossé confessionnel. A 55 ans, il passe ses nuits à
transmettre aux deux communautés
les enseignements du Coran et de la
Bhagavad-Gîta [chapitre le plus
célèbre de l’épopée du Mahabharata]. Propriétaire d’un atelier de
réparation de cuisinières et d’autocuiseurs, il prêche dans les rues de
Malegaon depuis vingt-cinq ans.
“Tout ce que je veux, c’est montrer aux
gens que le Coran et la Gîta prônent
la même chose. Leurs enseignements ne
sont pas contradictoires, et les habitants
n’ont aucune raison de se battre.” Pendant que des gens comme Sharif font
des heures supplémentaires pour
maintenir une paix fragile, les îlotiers
franchissent tous les jours la ligne de
démarcation entre les communautés. Les mains-courantes des postes
de police sont d’ailleurs remplies
d’affaires dites “H-M” – c’est-à-dire
entre hindous et musulmans.
La rénovation d’un temple dédié
à Ganesh situé en face de la mosquée
Jama illustre également la tension permanente qui règne entre les deux
groupes. Ces deux petits édifices
avaient coexisté sans problème jusqu’au début des années 1990. Puis on
décida de surélever la mosquée, qui
fait maintenant 30 mètres de haut.
Les administrateurs des lieux de culte
hindous décrétèrent promptement
que le temple ne devait pas être en
reste. Jadis exemple d’harmonie, les
deux endroits cherchent désormais à
se dépasser mutuellement. Le temple
Un sikh et un
mulsulman protestent
côte à côte après
l’attentat visant
la mosquée
de Malegaon.
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
29
Le seul endroit où les différents et les
appréhensions disparaissent, c’est à
Tamba Kata, le centre économique de
l’industrie textile locale. Acheteurs, tisserands et vendeurs s’y retrouvent et
parlent affaires autour d’une tasse de
thé. La production repose sur la coordination entre les tisserands musulmans et leurs fournisseurs et acheteurs
hindous. Même au plus fort des pires
émeutes qu’a connues cette importante
bourgade du Maharashtra [notamment
en 1991 et en 2001], on a fait en sorte
que les usines continuent à tourner.
En cas de violences, la coopération
ralentit, mais la production et le com-
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
Tension constante
■ L’Inde compte environ 150 millions
de musulmans. Dans les années 1990,
la destruction de la mosquée Babri, à
Ayodhya, et la montée du nationalisme
hindou ont largement attisé la tension
entre les communautés. En 2002, un
pogrom antimusulmans perpétré par des
fanatiques hindous a fait plusieurs milliers de victimes au Gujarat. Depuis, les
musulmans, montrés du doigt à chaque
attaque terroriste et généralement plus
pauvres que leurs concitoyens, se sentent persécutés, tandis que certains hindous voient dans l’islam une menace.
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LE MOT DE LA SEMAINE
“JICHI”
L’AUTONOMIE
JAPON
Donner un élan à la démocratie participative
Introduit il y a dix ans, le référendum d’initiative populaire a contribué à dynamiser
la vie politique locale. Aujourd’hui, il est temps de lui redonner un second souffle.
ASAHI SHIMBUN
Tokyo
ix ans se sont écoulés
depuis l’organisation, par
arrêté municipal, du premier référendum d’initiative populaire au Japon. Cette consultation s’était tenue à Maki, dans la
préfecture de Niigata [au nord de
Tokyo] et concernait la construction
d’une centrale nucléaire dans la commune. Elle avait été très médiatisée,
car c’était la première fois que les habitants étaient invités à prendre une décision concernant leur collectivité.
Selon un mouvement associatif
baptisé Forum sur la législation en
matière de référendum, quelque
370 consultations de ce type ont eu
lieu depuis 1996. Le Japon est même
l’un des pays au monde où l’on en
organise le plus grand nombre chaque
année.Toutefois, plus de 90 % des cas
concernent des fusions de communes.
Il ne s’en tient pratiquement jamais
pour d’autres projets, comme la
construction d’un aéroport ou le projet d’une grande manifestation culturelle [souvent coûteuse]. Leur nombre
a même chuté quand le débat sur les
fusions de communes s’est essoufflé.
D
uiconque a eu l’occasion de
voyager hors des centres
urbains de l’archipel en conviendra : la province japonaise est
magnifique, même si, par ailleurs,
beaucoup de localités ont souffer t de l’industrialisation des
années 1960 et 1970, synonyme
de défiguration du paysage, d’alignement des comportements sur
les normes de la capitale, de
dépeuplement et de vieillissement
de la population pour les régions
les plus reculées. Une étude parue
dans le mensuel Chuô Kôron daté
du mois de juin appor te, sur ce
point, un éclairage intéressant ; elle
montre que la vitalité des collectivités locales – mesurée en termes
de capacité à maintenir un solde
positif dans la balance des entrants
et des par tants – ne se trouve
aujourd’hui corrélée ni au nombre
d’habitants, ni à l’existence de desser tes routières, ferroviaires ou
aériennes, ni même à la présence
d’une infrastructure industrielle.
Une ville isolée comme Matsuyama,
sur l’île de Shikoku, à trois heures
en voiture de la grande métropole
qu’est Hiroshima, se porte beaucoup mieux, en raison même de
son isolement, que celle de Tokushima, toujours sur la même île,
qu’un pont relie directement à
Osaka : les gens, en effet, vivent,
produisent et consomment sur
place. Les localités qui ont misé
naguère sur un tourisme de masse
standardisé – telles Atami, Kinugawa, Hakone, Nikkô… – vont mal,
tandis que celles qui, envers et
contre tout, ont su préserver leur
mode de vie et leur environnement
assurent aujourd’hui leur autonomie – s’agirait-il d’une commune de
trois cents âmes, à l’image d’Awashima, îlot de la mer du Japon, au
large de Niigata, qui vit de ses oursins et de ses quelques auberges
pour pêcheurs. De sorte que l’autonomie locale, désormais, suppose une indépendance culturelle,
pour la plus grande joie des visiteurs que nous sommes.
Q
Kazuhiko Yatabe
Calligraphie de Kyoko Mori
LES ÉCOLIERS ET LES ÉTRANGERS
INVITÉS À VOTER
Pour qu’un référendum puisse avoir
lieu, le conseil municipal ou général
doit voter un arrêté en ce sens. Le parcours est ensuite semé d’embûches.
L’arrêté de la préfecture de Shiga [à
l’est de Kyoto] sur la construction
d’une nouvelle gare de trains à grande
vitesse Shinkansen en est un bon
exemple. A l’époque, un groupe de
citoyens avait recueilli plus de 70 000
signatures et adressé une pétition au
gouverneur pour demander un référendum. Celui-ci avait soumis leur
requête à l’assemblée, tout en la qualifiant de “négation de la démocratie parlementaire”, et l’assemblée l’avait rejetée à une grande majorité [lors de la
dernière élection, le gouverneur sortant a été battu par une candidate qui
s’est opposée à la construction].
Dessin de No-río,
Aomori.
■
Découpage
Après avoir réduit
le nombre
de communes
de 3 200 à 1 800
au printemps 2006,
le Japon connaîtra
peut-être un autre
bouleversement
administratif dans
les prochaines
années.
Le gouvernement
étudie en effet un
nouveau découpage
du pays en une
dizaine d’entités
administratives,
au lieu de
47 préfectures
actuellement. Si ce
projet se concrétise,
une entité comme
Kyushu regrouperait
alors les
7 préfectures
actuelles de l’île
et deviendrait
une puissance
économique
équivalente
à un pays comme
la Belgique.
Les dirigeants de l’exécutif et les
membres des assemblées sont élus
pour représenter le peuple. Mais les
élections ne reposent généralement pas
sur une seule question. Il arrive assez
fréquemment que les habitants ne partagent pas la même opinion que leurs
dirigeants ou leurs élus sur les problèmes locaux. S’il est essentiel d’épuiser le débat à l’assemblée, les référendums constituent un bon moyen de
connaître l’opinion de la population et
d’introduire davantage de souplesse
dans l’élaboration des projets. La loi
spéciale sur la fusion des communes
spécifie à ce sujet que, lorsqu’une
assemblée locale rejette une proposition de fusion, la décision peut être soumise à un référendum si une pétition
allant dans ce sens recueille les signatures de plus d’un sixième des électeurs
locaux. Le gouvernement avait prévu
cette clause pour éviter qu’une poignée
d’élus ou de dirigeants locaux réticents
aux fusions ne s’y opposent.
Par ailleurs, pour ne pas avoir à
voter un arrêté municipal, plus de
30 collectivités locales ont mis en
place un dispositif légal permanent
leur permettant d’organiser un référendum sur n’importe quelle question pourvu qu’un certain nombre de
RÉGIONS
Plusieurs communes en état de faillite
■ Autrefois ville minière prospère et désormais
menacée de faillite, Yubari, sur l’île d’Hokkaido, a
demandé au gouvernement d’être placée sous
tutelle de l’Etat afin de redresser sa situation financière. La municipalité ne compte plus que
13 000 habitants, contre dix fois plus au début des
années 1960, et un quart de sa population est âgée
de plus de 65 ans. Après les fermetures successives des mines de charbon, au cours des
années 1960 et 1970, la ville a beaucoup investi
dans le tourisme, un choix qui s’est soldé par un
endettement cumulé de 60 milliards de yens
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
(400 millions d’euros). Elle est en outre accusée
d’avoir dissimilé ses déficits en manipulant ses
comptes. La nouvelle, largement reprise par la
presse à la fin du mois de juin 2006, a mis en
lumière les difficultés économiques dont souffrent beaucoup de collectivités locales au Japon,
victimes entre autres de la diminution des aides
de l’Etat et des travaux publics en raison de la
récession des années 1990. Selon le quotidien
Nihon Keizai Shimbun, huit autres communes
d’Hokkaido ont également caché leur situation
financière catastrophique.
30
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
signatures ait été recueilli. Deux formations de l’opposition, le Parti
démocrate et le Parti communiste,
ont présenté des projets de loi similaires. Ne devrions-nous pas considérer ce genre de dispositif comme
un moyen de garantir les droits des
citoyens ? Toutefois, les référendums
ne constituent pas des remèdes à
tout. Les dirigeants doivent simplement tenir compte de leurs résultats.
Le référendum d’Okinawa sur la
réduction du nombre de bases militaires américaines et celui d’Iwakuni
[à l’ouest de Hiroshima] sur le transfert d’une base aérienne américaine
ont montré clairement la volonté des
habitants. Mais cela ne va pas forcément se traduire par un changement rapide de politique à l’échelon
national. A Maki, où la population
s’est opposée dans un référendum à
la constr uction d’une centrale
nucléaire , il a fallu sept ans pour que
le maître d’ouvrage,Tohoku Electric
Power, renonce à son projet.
Il n’en reste pas moins important
de donner aux habitants la possibilité d’exprimer leur opinion sur des
questions spécifiques. Quelques collectivités locales sont allées jusqu’à
autoriser les élèves des écoles primaires à participer au vote sur des
fusions de communes, en considérant
que leur génération serait plus tard
concernée par le résultat. De nombreux ressortissants étrangers ont eux
aussi pris part à ce genre de scrutin.
On a également vu des dirigeants ou
des élus locaux proposer des référendums sans qu’une pétition leur ait
été soumise. Ils ont organisé des
débats et distribué des tracts pour
inciter la population à s’intéresser à
des questions particulières. Il serait
regrettable de négliger cette volonté
de s’engager dans la vie politique
locale comme s’il s’agissait d’un
simple effet de mode. Nous nous
devons d’encourager la démocratie
participative en multipliant les référendums d’initiative populaire.
■
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●
ISRAËL
Parler à Damas et non au Hamas
Israël doit négocier un accord de paix avec la Syrie. Ce serait plus profitable, affirme le quotidien conservateur
Yediot Aharonot, que de mener des pourparlers stériles avec les Palestiniens.
YEDIOT AHARONOT
Tel-Aviv
epuis 1967, Israël contrôle
le plateau du Golan, un
territoire occupé syrien. La
souveraineté syrienne n’a
jamais été abrogée par les initiatives
législatives unilatérales israéliennes.
C’est là la différence essentielle entre
la Judée-Samarie [Cisjordanie] et le
Golan. En 1988, la Jordanie a volontairement renoncé à sa souveraineté en
Judée et en Samarie. Cette région est
désormais un territoire en partie destiné à un futur Etat palestinien et,
actuellement, elle est placée sous la
souveraineté conjointe d’Israël et de
l’Autorité palestinienne. Il en est tout
autrement du plateau du Golan, aucun
Etat n’ayant jamais reconnu les revendications israéliennes. Quand les circonstances le permettront, Israël devra
se retirer du Golan comme naguère
d’autres territoires occupés.
De l’avis des responsables militaires
israéliens, Israël a commis sa plus grave
erreur politique de cette dernière
décennie en ne parvenant pas à un
accord de paix avec la Syrie. Les principes d’un tel accord sont établis depuis
longtemps et les seuls différends portent sur une étroite bande de terre
située au nord-est du lac de Tibériade.
L’ennui, c’est qu’aucun gouvernement
israélien n’a eu le courage de se présenter devant le peuple et de lui tenir
le discours suivant : en échange d’une
paix et d’une normalisation complètes,
D
Le président syrien
Bachar El-Assad.
Dessin paru dans
The Economist,
Londres.
■
Rencontres
De hauts officiers
syriens ont-ils
rencontré
des responsables
israéliens lors de
la guerre au Liban
pour empêcher
que les combats
ne s’étendent
au territoire syrien,
comme l’affirme
Yediot Aharonot ?
Le Premier ministre
israélien a-t-il
rencontré le roi
saoudien Abdallah,
comme l’indique
la presse du Qatar ?
Les intéressés
ont préféré ne pas
réagir. En revanche,
Ehoud Olmert a dit
aux journalistes :
“Je vais faire un
démenti [sur ma
rencontre avec le roi
Abdallah], mais vous
n’êtes pas obligés
de le croire.”
IRAN
PALESTINE
Visite aux juifs de Téhéran
Ça boume à Gaza !
La tolérance religieuse existerait en Iran
et les juifs qui y résident mènent une vie
normale. C’est un quotidien israélien
de droite qui l’affirme.
a grande synagogue de Yossefabad est
située dans un quartier de Téhéran peuplé de nombreux juifs. Cette veille de sabbat,
l’édifice est plein à craquer et, sur sa porte
principale, on peut lire des annonces pour
des cours d’hébreu organisés par l’Association juive. Un policier iranien garde l’édifice.
N’étaient les inscriptions en persan, les livres
de prière en hébreu et en persan, et la coiffe
des femmes, on se croirait dans une synagogue orthodoxe américaine.
Hormis Israël, l’Iran est le pays du MoyenOrient qui abrite la plus grosse communauté
juive. Téhéran compte quelque 10 000 juifs
[il y en aurait 20 000 en tout en Iran], ses
écoles juives accueillent 2 000 étudiants tandis que l’Association juive gère des maisons
de repos et possède plusieurs immeubles.
Pourquoi trouve-t-on encore des juifs à Téhé-
L
de partir en guerre pour récupérer le
Golan. Une telle guerre provoquera
d’innombrables victimes et exposera
les arrières israéliens à des tirs de missiles. Il ne fait pas de doute que Tsahal
l’emportera sur l’armée syrienne. Mais
il ne fait non plus aucun doute qu’Israël finira par être obligé de se retirer
du Golan sous la pression internationale et à un prix politique très élevé.
Les responsables militaires israéliens sont unanimes pour considérer la
nécessité de parvenir rapidement à un
accord de paix complet avec la Syrie.
Les bénéfices stratégiques d’un tel
accord sont évidents : la neutralisation
de l’entente cordiale entre la Syrie et
nous descendrons du Golan. Pis, la
couverture des médias israéliens préfère chaque fois insister sur la froideur
des Syriens et leur refus de s’exhiber
devant les caméras bras dessus, bras
dessous avec leurs interlocuteurs israéliens. La défiance envers toute paix avec
Damas se heurte aujourd’hui à un
nouveau test crucial.
Le président Bachar El-Assad a tiré
les leçons de la défaite du Hezbollah
[le Hezbollah clame victoire] lors de la
guerre du Liban et manifesté son souhait de négocier un retrait israélien en
échange de la paix. En même temps,
il prévient qu’en l’absence de pourparlers il n’aura d’autre choix que
l’Iran ; la liquidation des antennes
du Hamas et du Djihad islamique à
Damas ; l’arrêt de l’approvisionnement
en armes du Hezbollah par la Syrie ;
et, surtout, l’inscription d’un nouvel
Etat arabe (qui plus est, chef de file du
front du refus) sur la liste des pays
musulmans ayant reconnu l’Etat d’Israël et noué avec lui des relations diplomatiques et commerciales. Cela
constituerait un tournant dans l’histoire du sionisme.
Il faut que le gouvernement israélien actuel soit complètement déboussolé pour s’égarer dans des pourparlers inutiles avec le Hamas alors que
cette organisation ne remplit aucune
des conditions posées par la communauté internationale.
Le gouvernement Olmert n’a également rien à espérer d’officiers saoudiens que les Israéliens n’ont cessé de
rencontrer ces dix dernières années
sans résultats politiques concrets. L’option syrienne est en revanche bien plus
réaliste et pratique. Elle est même préférable à tout retrait unilatéral dont
l’issue n’est qu’une catastrophe, comme
on l’a vu cet été. Avant de rejeter d’un
air dégoûté les offres de paix de la
Syrie, d’ordonner à ses ministres de
ne pas s’exprimer sur cette question
et d’avoir la bêtise de déclarer que
le Golan est “une partie indivisible
d’Israël”, le Premier ministre Olmert
ferait mieux de prendre en compte un
fait têtu : nous ne faisons pas des
enfants pour les sacrifier dans des
guerres inutiles.
Sever Plocker
ran ? Les réponses diffèrent selon les générations. Pour cer taines personnes âgées,
l’Iran est tout simplement leur patrie. Lorsqu’on demande à mon hôte, Fayzlallah Saketkhou, vice-président de l’Association juive de
Téhéran, s’il y a un avenir pour la communauté, il répond : “Vous avez vu combien d’enfants étaient à la synagogue ce soir ?” Il a
raison, il était difficile de se concentrer dans
un édifice rempli de 300 fidèles et d’enfants
courant dans tous les sens.
Mais il y a une différence entre les enfants
et les jeunes adultes. Peyman, le fils de
Saketkhou, âgé de 27 ans, ne craint pas
d’affirmer qu’en Iran “tout le monde a des
problèmes”, une façon de dire que juifs
comme non-juifs veulent partir. La situation
politique n’est pas seule en cause. Depuis
l’arrivée au pouvoir d’Ahmadinejad, la situation économique a empiré et la pauvreté s’est
aggravée.
Il n’en reste pas moins que, sur la question
des rapports entre juifs et non-juifs, les Iraniens, toutes générations confondues, s’ac-
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
crochent à l’idée de l’unité nationale. La culture iranienne est vieille de deux mille cinq
cents ans et remonte à Cyrus et à Darius,
fondateurs de la dynastie achéménide évoquée dans la Bible. Quelle que soit leur
confession, les citoyens iraniens sont fiers
de leur histoire et les parents sont nombreux
à donner des prénoms préislamiques à leurs
enfants. Un indice particulièrement fort de
cette acceptation de la diversité religieuse
est cette immense peinture qui orne la façade
d’un immeuble du nord de Téhéran. Comme
d’autres por traits, les soldats tombés lors
de la guerre Iran-Irak de 1980-1988 sont célébrés, sauf qu’ici il s’agit de soldats issus des
minorités. Aux côtés de soldats d’origine assyrienne, arménienne, chrétienne et zoroastrienne, on trouve un juif iranien dont le nom
est or thographié en persan et en hébreu.
Bref, en Iran, dire qu’on est d’origine juive
suscite des réactions très tolérantes. Parler
d’Israël, c’est une autre histoire…
Seth Vikas,
Jerusalem Post (extraits), Israël
32
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es centaines de policiers ont
défilé dans les rues de Gaza, brûlant des pneus, pour réclamer au gouvernement du Hamas leurs salaires,
impayés depuis des mois, nous
apprend Al-Hayat. Leur manifestation
a pris un tour musical. Détournant
une chanson destinée à l’Intifada,
les policiers ont entonné : “Où est le
salaire ? Y a pas, y a pas… Des factures à régler, des loyers à payer,
c’est la misère… Où est le salaire ?”
Devant le succès musical des policiers (proches du Fatah), les militants
du Hamas n’ont pas tardé à réagir,
mais toujours en chanson. Ils ont
repris la même musique en modifiant
les paroles. “Où est la dignité ? Y
a pas, y a pas. Où est l’honneur, y a
pas, y a pas. Va saluer ton maître
Bush pour qu’il te donne des sous.
Et les Juifs, tu dois les satisfaire. Tu
ne penses qu’à ta parabole, à ton
steak et à tes sardines.”
D
(Voir aussi page 6.)
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m oye n - o r i e n t
IRAK
Vivre et laisser vivre
Les carnages actuels ne sont pas spécifiques aux conflits confessionnels ou ethniques, affirme un intellectuel
koweïtien. Ils découlent surtout d’une culture politique fortement enracinée dans le pays.
AN-NAHAR
Beyrouth
e qui se passe en Irak ne
peut être qualifié autrement
que de boucherie. Et pourtant, cela se passe dans l’indifférence – regrettable et étonnante –
du monde entier, y compris des
Arabes.Tous les jours, on apprend la
mort de plus d’une centaine de personnes, toutes confessions et ethnies
confondues [presque 7 000 civils en
deux mois]. Si les choses continuent à
ce rythme-là, pas besoin de calculette
pour trouver le jour où l’élite irakienne
sera réduite à quelques rares survivants.
Cela a l’air d’une guerre confessionnelle, et tout le monde la désigne
ainsi, comme s’il s’agissait d’une affaire
entendue sur laquelle il n’y aurait plus
lieu de s’interroger. Sauf qu’il y a une
réalité plus profonde. Car les massacres
se déroulent aussi bien entre sunnites
et chiites qu’entre différentes tendances
politiques à l’intérieur de chaque
communauté, puisque ni les uns ni les
autres ne sont d’accord aujourd’hui
sur les objectifs. Il ne s’agit donc pas
d’un conflit confessionnel, même si
certains voudraient le faire croire afin
de mobiliser les soutiens dans leurs
communautés respectives.
L’origine de cette violence réside
dans la lutte pour le pouvoir et les ressources économiques du pays. Ayant
longtemps été soumis à une dictature
sans pitié, la plupart des Irakiens ont
perdu le sens critique et leur capacité
d’être tolérants entre eux.Vivre et laisser vivre n’est pas la maxime des Irakiens d’aujourd’hui. Leur vocabulaire
est marqué par la longue liste des actes
de violence et de contre-violence qu’ils
ont subies tout au long de leur histoire.
Récemment, je suis tombé sur les
C
Irak, le pays
des deux rives.
Dessin de Habib
Haddad paru dans
Al-Hayat, Londres.
■
Le casse-tête
Depuis mars 2003
et la chute du
régime de Saddam
Hussein, entre
48 000 et 52 000
civils ont été tués
en Irak, avec
des chiffres records
enregistrés en juillet
et août 2006, révèle
The Guardian.
Cela a certes
poussé le président
irakien Jalal
Talabani à réclamer
officiellement
à l’administration
Bush le maintien
des troupes
américaines pour
encore une dizaine
d’années.
Une demande qui
a été fraîchement
accueillie aussi bien
aux Etats-Unis
qu’en Irak, où, selon
The Washington
Post, 71 % des
Irakiens souhaitent
le départ des
troupes étrangères
de leur sol.
mémoires de Mohamed Hadid, sunnite de Mossoul engagé en politique
– il était ministre sous Abdelkarim AlQassem – jusqu’au coup d’Etat baasiste de 1963. Selon lui, “l’élimination
physique des opposants politiques est quasiment constitutive de l’identité irakienne”.
Parmi les ministres, gouverneurs et
autres hauts responsables qu’il cite, on
n’en trouve guère qui n’ait fini assassiné. Le plus chanceux s’en tirait par
de longues années au cachot. Dès avant
même l’établissement de l’Etat irakien,
le meurtre fait donc partie des moyens
de la politique. La conquête ottomane
de l’Egypte et de la Syrie s’était faite
en une seule bataille, alors que celle de
l’Irak en avait nécessité trois sur trente
ans avant qu’il ne s’incline devant la
Sublime Porte.
Les régimes irakiens successifs
avaient terrorisé la population par des
massacres organisés avec le plus grand
soin. Saddam Hussein se plaisait à
affirmer que le peuple irakien ne pouvait être gouverné que par la force.
Il avait également pour habitude de
demander à son ministre de l’Information de raconter à ses invités comment il avait puni son cousin pour
avoir déserté l’armée. Il l’avait fait
enchaîner et l’avait plongé dans le
Tigre. A l’écoute de cette histoire, Saddam Hussein se rengorgeait et, quand
son ministre évoquait les cris de détresse de son cousin, il s’esclaffait.
ENCORE TRÈS LOIN
DE LA CULTURE DU COMPROMIS
L’histoire se répète avec les milices qui
existent aujourd’hui en Irak. C’est
comme si elles reproduisaient les agissements de la garde nationale du début
du règne baasiste. Il s’agit d’une longue
suite de violences et de vengeances
pour arriver au pouvoir et contrôler les
richesses. La responsabilité des dirigeants irakiens d’aujourd’hui est donc
de choisir entre la poursuite des massacres ou le choix de méthodes politiques pacifiques. Car il est évident que
la violence actuelle est le fait aussi bien
de ceux qui sont au pouvoir que de
ceux qui sont dans l’opposition.
Il ne semble pas que ces massacres
puissent avoir un terme. De la même
manière, la forte présence de troupes
américaines ne pourra empêcher
l’échec du projet d’un Etat démocratique. La démocratie repose en premier lieu sur une culture politique du
compromis, dont les Irakiens sont
encore loin. Même l’ancienne opposition contre Saddam Hussein n’est
pas fondamentalement démocratique,
puisque ses différentes branches n’ont
pas réussi jusqu’à présent à se mettre
d’accord sur un projet d’avenir pour
le pays. Si donc les massacres se poursuivent, ce qui est probable, l’Irak
n’échappera pas à une triste alternative. Il aura le choix entre une dictature qui, sous un vernis démocratique
à destination de l’opinion internationale, gouvernerait par le fusil et l’arbitraire, et un régime théocratique qui
ressemblerait un peu au régime iranien, en moins religieux dans la forme
et en plus répressif dans le fond.
En attendant, les cadavres irakiens
– chiites, sunnites et kurdes – s’amoncellent jour après jour. Confessions et
ethnies, la mort s’en moque bien.
Mohamed Al-Rumaihi
BFM et Courrier international
présentent l’émission ”GOOD MORNING
WEEKEND” animée par Fabrice
Lundy, rédacteur en chef de BFM,
et les journalistes de la rédaction
de Courrier international.
Tous les samedis de 9 heures à 10 heures
et les dimanches de 8 heures à 9 heures
Fréquence parisienne : 96.4
IRAK
On meurt aussi à Mossoul
Arabes et Kurdes se battent pour
le contrôle de la ville de Mossoul. Même
si la violence n’y a pas atteint le niveau
enregistré à Bagdad, la situation peut
dégénérer, affirme The Independent.
ans le nord de l’Irak, les gens votent avec
les pieds. Rien que dans la région de
Mossoul, quelque 70 000 Kurdes ont pris la
fuite depuis le début de l’année. La plupart
se sont sauvés après avoir reçu une enveloppe contenant une balle et un mot leur
disant de disparaître dans les trois jours.
D’autres se sont exilés parce qu’ils craignaient qu’une guerre pour le contrôle de
la région n’éclate prochainement entre les
Arabes et les Kurdes. “La seule solution est
une division de la province”, estime Khasro
Goran, le puissant vice-gouverneur kurde de
Mossoul. Selon lui, tous les Kurdes de la pro-
D
vince veulent rejoindre la région autonome
du Kurdistan irakien, qui, aux termes de la
Constitution fédérale, est un Etat quasi indépendant. La violence à Mossoul, une ville de
1,75 million d’habitants, n’atteint pas les
mêmes proportions qu’à Bagdad, assure
M. Goran, mais il ajoute qu’on déplore néanmoins 40 à 50 morts par semaine dans la
ville. La situation dans la plus grande ville irakienne à majorité sunnite est un bon indicateur de la survie de l’Irak en tant que pays.
La proportion d’Arabes et de Kurdes dans la
province comme dans la ville est très controversée. Les Arabes représenteraient environ
55 % des 2,7 millions d’habitants que compte
la province. Les Kurdes, eux, estiment compter pour un tiers de la population, un pourcentage contesté par les Arabes. Quand un
député arabe a récemment proclamé au Parlement de Bagdad que les Kurdes ne repré-
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
sentaient que 4 % de la population de la ville,
tous les élus kurdes ont quitté la salle en
signe de protestation.
A l’heure actuelle, personne ne contrôle complètement Mossoul, l’une des plus anciennes
cités de la planète. La 2e division de l’armée
irakienne, basée dans la ville, et la 3e, à la
périphérie, sont chacune composées de
15 000 combattants, dont la moitié au moins
sont kurdes, et commandées en par tie
par des Kurdes. Mais les Américains, craignant les réactions des Arabes sunnites, ont
interdit à l’armée de patrouiller trop activement. Si les Kurdes contrôlent l’armée, les
Arabes contrôlent la police. Celle-ci, forte de
16 000 hommes dans la province et de
6 000 dans la ville, est considérée par les
Kurdes avec la plus grande méfiance. Ils accusent depuis longtemps les chefs de la
police d’être secrètement favorables au parti
33
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
Baas et de soutenir les insurgés. Quand les
marines américains ont pris d’assaut la ville
[arabe sunnite] de Falloudjah, en 2004, la
plupar t des responsables des forces de
l’ordre de Mossoul ont démissionné et les
insurgés se sont emparés de 30 postes de
police et de 40 millions de dollars d’armes.
Les Etats-Unis ont été contraints de faire
appel à des peshmergas [combattants]
kurdes pour reprendre la ville.
On n’est peut-être pas loin d’une déflagration finale. Aux termes de l’article 140 de la
Constitution irakienne, un référendum doit
avoir lieu d’ici à la fin de 2007 pour décider quelles régions vont rejoindre la région
autonome du Kurdistan irakien. “A mesure
que la date butoir approchera, la situation
empirera”, prédit M. Goran.
Patrick Cockburn,
The Independent (extraits), Londres
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afrique
●
SOMALIE
Les islamistes réinventent les camps de rééducation
Trois mille miliciens qui avaient combattu pour les chefs de guerre ont été placés dans des camps de réinsertion
par le nouveau régime. Au programme : des cours intensifs de religion et des exercices de combat. Reportage.
LOS ANGELES TIMES
Los Angeles
Dessin de
Martin Tognola
paru dans
El Periodico
de Catalunya,
Barcelone.
epuis son adolescence, Abduallahi Mohammed Nur
s’était rarement aventuré
dans les rues de Mogadiscio sans son kalachnikov, qu’il utilisait
pour menacer les civils et extorquer de
l’argent aux postes de contrôle. Mais
cet homme de 27 ans n’a plus brandi
son arme depuis juin, quand il l’a pointée sur des combattants de l’Union des
tribunaux islamiques. Cette milice, aujourd’hui connue sous le nom de
Conseil conservateur des tribunaux
islamiques, a chassé le seigneur de la
guerre pour lequel il travaillait et confisqué son fusil.
Nur se présente désormais comme
un homme “converti”. Sous l’œil attentif des chefs islamistes, il fait la prière
cinq fois par jour, étudie le Coran et
apprend à défendre la Somalie contre
les menaces étrangères. “Ils m’apprennent surtout à bien me conduire avec les
autres”, dit-il.
Nur fait partie des 3 000 anciens
miliciens de chefs de guerre envoyés
dans des camps de rééducation islamistes. Cet ambitieux programme de
réinsertion sociale vise à détourner les
jeunes combattants de la drogue, à leur
inculquer des valeurs religieuses et, à
terme, à les faire changer de camp pour
qu’ils intègrent les forces fondamentalistes musulmanes.“C’est une tâche
difficile”, confie Mohammed Ibrahim
Bilal, président de l’un des tribunaux
islamiques de Mogadiscio. “Nous voulons les accueillir parmi nous. Mais ils ont
vécu dans la violence pendant seize ans.”
A Washington, on craint que la
montée en puissance des forces islamistes en Somalie ne débouche sur un
régime de type taliban et que le pays
ne devienne une base d’entraînement
de terroristes. Face aux rumeurs selon
lesquelles les islamistes feraient appel
à des conseillers militaires pakistanais
et afghans pour former les soldats, les
D
islamiste
Les islamistes
somaliens ont
annoncé
le 30 septembre
qu’ils avaient pris
le contrôle de
la région de Lower
Shabelle, située
dans le Sud et riche
en terres agricoles.
Ils dominent
désormais le tiers
du pays.
Le port de Kismaayo
est tombé entre
leurs mains
le 24 septembre.
AR. SAOUD.
Sanaa
YÉMEN
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Baidoa
Mogadiscio
Kismaayo
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C
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KENYA
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Addis-Abeba
Equateur
* Etats autoproclamés.
dirigeants ont récemment commencé
à autoriser les journalistes à visiter les
camps. Mais ils leur interdisent l’accès
aux dépôts d’armes, choisissent euxmêmes les miliciens qu’ils peuvent
interviewer et contrôlent de près la
teneur des entretiens.
A une vingtaine de kilomètres au
nord de la capitale se trouve le plus
grand de ces camps, Hilwayne, qui était
une base militaire jusqu’à l’effondrement du régime de Mohammed Syad
Barre, en 1991. Des seigneurs de
guerre rivaux ont ensuite morcelé le
pays et l’ont maintenu sous leur
contrôle jusqu’à ce qu’une alliance de
tribunaux religieux locaux s’empare de
Mogadiscio en juin dernier.
Les forces islamistes ont construit
des baraques en tôle et une mosquée
de fortune, et se sont servi des infrastructures en place pour stocker des
armes et rééduquer quelque 700 miliciens vaincus. L’ambiance qui règne
au sein du camp est détendue. Sous la
garde de quelques soldats islamistes
armés, une foule d’anciens combattants s’activent dans l’ombre. Les
hommes commencent leur journée à
4 h 30 par des prières. La participation
n’est pas obligatoire, mais les responsables du camp notent les absences. Il
est interdit de fumer, mais aussi de
mâcher des feuilles de qat, un pari difficile quand on sait combien les combattants en consommaient. Le reste de
la journée est consacré à l’entraînement militaire, aux lectures religieuses
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
34
et aux exercices d’autodéfense, même
si les combattants ne sont pas équipés
de véritables armes. “Notre but est d’élever leur sens moral”, indique Yusuf
Osman, un professeur d’études islamiques de l’université de Mogadiscio,
souvent invité à venir instruire les
anciens combattants. Récemment,
devant une assemblée de plusieurs centaines d’hommes massés à l’ombre
d’un épineux, Osman leur a assuré
que, même les poches vides, ils pouvaient avoir une haute moralité. Il les
a encouragés à réfléchir à leur “prochaine vie” et a promis le paradis à
ceux qui mèneraient une vie pieuse.
Le programme du camp est empreint de religion. Des gardes prient à
genoux, leur fusil à l’épaule. Des combattants récitent des versets du Coran
tout en marchant en cadence dans la
plaine poussiéreuse. “Allah akbar !”
[“Allah est grand”] crient les hommes
durant l’entraînement.
Mais les autorités islamistes soutiennent que l’endoctrinement religieux
n’est pas leur but. “Nous les rééduquons
sur un plan moral et non religieux”,
a déclaré Cheikh Mukhtar Robow Ali,
secrétaire adjoint chargé de la Défense.
“La plupart d’entre eux sont croyants,
mais ils ne pratiquaient pas leur foi.
La religion ne nous autorise pas à opprimer d’autres individus, et c’est ce qu’ils
faisaient.”
Les responsables du camp soulignent que la participation est volontaire, et que les hommes sont libres de
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
partir. Mais ils reconnaissent que
l’internement leur permet de garder
l’œil sur leurs anciens ennemis. Après
avoir chassé la dizaine de seigneurs
de la guerre qui avaient pris le contrôle
de Mogadiscio, les islamistes ont laissé
à leurs combattants le choix de remettre leurs armes et de rentrer chez
eux, ou de partir dans un camp de
rééducation.
Tenus de prouver leur conversion,
la moitié des combattants ont opté
pour le camp. La plupart étaient des
jeunes sans emploi, qui s’étaient engagés comme mercenaires. Peu d’entre
eux avaient une formation scolaire ou
professionnelle susceptible de leur procurer du travail. Récemment, dans un
discours adressé aux anciens combattants – pour la plupart des jeunes de 18
à 33 ans –, Robow Ali a promis que les
tribunaux islamiques subviendraient à
leurs besoins. “Les jeunes sont la clé de
voûte de tous les pays du monde a-t-il
déclaré. Vous représentez la jeunesse de la
Somalie, et nous vous invitons à vous
joindre à nous.”
Pour amadouer ces anciens combattants, les islamistes ont promis de
continuer à leur verser un salaire et, au
mois d’août, tous les miliciens détenus
dans les camps ont reçu une centaine
de dollars. Les autorités ont affirmé
que cet argent venait des taxes
aériennes et portuaires, mais, selon des
opposants, il aurait été fourni par des
pays du Moyen-Orient et l’Erythrée.
Après trois mois dans le camp,
Nur, qui était garde du corps d’un seigneur de la guerre dénommé Muse
Sudi Yalahow, a appris à regretter ses
actions passées. Il se souvient du temps
où il avait l’ordre de tirer ou de lancer des obus de mortier sur des civils.
“Il était impossible de désobéir, mais j’étais
conscient que ce que nous faisions n’était
pas bien. Je savais que les seigneurs de
la guerre maltraitaient le peuple. Ils ont
détruit le pays.”
Le deuxième milicien choisi par les
responsables du camp pour répondre
à nos questions avait quitté le gouvernement de transition en juillet. Celuici s’efforce de négocier un accord sur
le partage du pouvoir avec les tribunaux islamiques, mais d’importants
différends opposent les deux camps
sur la nature du régime le plus approprié pour la Somalie. “Je suis venu ici
pour défendre ma religion. Pour combattre
l’Ethiopie”, a expliqué Abdul Aziz
Adan, ancien soldat des forces gouvernementales établies à Baidoa. Le
nationalisme et l’hostilité vis-à-vis de
l’Ethiopie sont des thèmes qui reviennent souvent dans le programme de
rééducation. Les vieilles inimitiés ont
été ranimées par le soutien apporté par
l’Ethiopie au fragile gouvernement de
transition et par l’influence qu’elle a
sur lui.
Edmund Sanders
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Page 35
G U I N É E - B I S S AU
Une nouvelle route
vers les Canaries
Sur les plages de Varela, Feliciano patrouille
seul, avec une lampe de poche et un
kalachnikov : il est chargé de faire barrage aux
candidats à l’émigration clandestine. Récit.
EL PAÍS (extraits)
Madrid
inq poules, une chèvre et
un porc partagent avec
vingt personnes l’espace
réduit du véhicule collectif qui relie São Domingos à Varela.
En raison des mesures de surveillance
mises en place au Sénégal, une partie du flux migratoire vers les Canaries s’est déplacée vers ce petit village
de pêcheurs de la côte atlantique de
la Guinée-Bissau ; la route qui y mène
est signalée en rouge sur la carte routière. Ce n’est pourtant qu’une piste
criblée de nids-de-poule et endommagée par les derniers orages de la
saison des pluies.
Une main sur le volant, l’autre sur
un fusil de chasse, le chauffeur de ce
4 x 4 brinquebalant semble naviguer
plutôt que conduire. Le véhicule, dont
la galerie a été recouverte d’une bâche
pour abriter les passagers, ne dépasse
pas les 30 km/h.
La route s’interrompt à 14 kilomètres du village. En mars, un camion transportant sept tonnes de riz
a provoqué l’effondrement d’un des
ponts de bois qu’elle empruntait. Un
mois plus tard, l’explosion d’une mine
placée sur le chemin par les rebelles
de la Casamance voisine, au Sénégal,
a fait 14 victimes. Les quelques Guinéens et étrangers qui pouvaient
encore avoir envie de se rendre à
Varela, célèbre station balnéaire du
temps de la colonisation portugaise,
ont diminué comme peau de chagrin. Le village est ainsi devenu une
sorte de territoire isolé auquel on
accède plus facilement par la mer. Les
pêcheurs sénégalais savent bien qu’il
n’y a là-bas qu’un seul policier. Cette
surveillance minimale fait de Varela
un lieu idéal pour les aspirants aux
départs furtifs.
C
“JE NE PEUX PAS LES ARRÊTER,
JE N’AI PAS DE CELLULE”
L’agent Feliciano Paolo Sampa,
30 ans, et son tromblon (c’est ainsi
qu’il appelle le kalachnikov avec
laquelle il patrouille) sont les seuls
représentants de l’Etat guinéen dans
ce coin du pays. Muni d’une simple
lampe de poche, le policier remonte
le sentier qui mène à la plage d’un air
théâtral. “Aujourd’hui, la situation est
grave, lâche-t-il à mi-chemin. Presque
tous les jours, des gens arrivent de Sierra
Leone, de Gambie, du Liberia, du Sénégal et de Guinée-Conakry. Ils sont censés retrouver des Sénégalais pour partir
en Espagne. Il y a quelques semaines, j’ai
vu arriver un groupe de 130 personnes
qui cherchaient leur passeur. Je leur ai
dit qu’ils devaient rentrer chez eux, qu’ils
ne pouvaient pas rester ici. Et que, pardessus le marché, ce qu’ils avaient l’intention de faire était illégal.”
Feliciano Paolo Sampa assure
avoir intercepté, il y a deux semaines,
une pirogue avec à son bord 47 émigrés qui se dirigeait vers une plus
grosse embarcation l’attendant au
large. Avec deux habitants volontaires,
il a réquisitionné une pirogue pour
aller à l’abordage. Mission accomplie.
En repartant vers la plage, les candidats à l’émigration leur ont dit avoir
payé entre 600 et 900 euros à un
homme du nom d’Abdoulaye Tcham,
dans les environs de Ziguinchor, au
Sénégal. “Je ne peux pas les arrêter, je
n’ai pas de cellule de détention. Je les ai
donc laissés en liberté en leur disant d’aller voir l’homme en question pour qu’il
les rembourse”, raconte le policier.
“NOUS N’AVONS NI PIROGUE
NI CANOT POUR ALLER EN MER”
La patrouille de nuit arrive au bout
de la plage. Ici, c’est l’embarcadère
où une vingtaine de pêcheurs luttent
contre la brise en se réchauffant
autour d’un brasero. D’autres, au
bord de l’eau, nettoient la pêche du
jour. Après les avoir salués, le policier
passe en revue avec sa lampe électrique l’intérieur de chaque pirogue,
toutes alignées face à l’océan. Il
inspecte aussi les cabanes en roseaux
où les pêcheurs entreposent leur
matériel et leurs prises. “Pour ce travail, il faudrait de l’argent, or nous
n’avons pas de moyens, regrette-t-il.
Avant, j’avais une moto que m’avait
offerte un missionnaire, je pouvais sillonner toute la région, mais elle est tombée
en panne. Nous n’avons ni pirogue ni
canot : s’ils partent vers le large, nous ne
pouvons rien faire.Avec un 4 x 4 et une
paire de jumelles, je pourrais en faire
beaucoup plus.”
A Varela, il n’y a ni poste de
police, ni radio, ni téléphone, mais le
chef de la police doit envoyer avec
ponctualité rapports et communiqués
à ses supérieurs. Ce qu’il fait par courrier postal. Telles sont les conditions
dans lesquelles Feliciano s’efforce de
lutter contre l’immigration illégale,
qu’il ne considère pas lui-même
comme un délit mais qu’il tente de
contrôler, en cherchant sans doute au
passage à se constituer des revenus
supplémentaires. Car il ne gagne que
20 euros mensuels et n’a pas touché
son salaire depuis quatre mois. Il
explore encore quelques buissons sur
la plage, puis déclare sa ronde terminée. Il est temps pour lui de rentrer à
la maison, une hutte qu’il partage avec
d’autres, à 14 kilomètres du pont
détruit par le camion de riz.
Manuel Altozano
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T
e n c o u ve r t u re
●
Dessin paru dans The Economist.
CHINE
SUÈDE
■ La Chine s’affirme sur la
scène internationale. Membre
permanent du Conseil de
sécurité de l’ONU, elle
met dans la balance son
poids diplomatique – et
économique – en faveur de régimes souvent controversés. Sans tenir
compte des défenseurs des droits de l’homme, Pékin défend désormais le
principe d’une souveraineté pleine et entière des Etats. ■ Pour assurer la
croissance du pays et son approvisionnement en matières premières, les
dirigeants signent des contrats, nouent des alliances, en particulier avec les
pays pétroliers, envoient des soldats participer aux opérations de paix et
inaugurent des instituts culturels. ■ Certains considèrent cette politique
comme un “néocolonialisme” à peine déguisé. De son côté, le Quotidien
du peuple y voit un plan raisonné d’échanges équitables “pour aller vers
un monde harmonieux”.
Le monde selon Pékin
F É
D
FIN.
R.-U.
P.-B.
B.
ALL. POL.
R.T.
A.
ROUM.
S.
FR.
IT.
IRLANDE
370
LIBAN
1 000
ESP.
PORT.
AFG
ISRAËL
MAROC
IRAN
SAHARAOCC.
LIBYE
ALGÉRIE
ÉG. IS.
SOUDAN
MALI
ARABIE
SAOUDITE
SOUDAN
430
CAP-VERT
THE NEW YORK TIMES
New York
in juillet 2006. La nuit est déjà bien avancée, le Conseil de sécurité des Nations
unies continue à débattre de la formulation d’une “déclaration de la présidence” fustigeant Israël pour le bombardement d’un
poste d’observateurs de l’ONU dans le
sud du Liban, qui a fait quatre morts. L’ambassadeur chinois Wang Guangya perd son sangfroid. Du jamais-vu, ou presque : diplomate chevronné,Wang fait habituellement preuve d’un
calme impressionnant. Mais il se trouve que l’une
des quatre victimes est chinoise, et le refus des
Etats-Unis de condamner Israël sans réserves
pour ce bombardement a fini par l’exaspérer.
Circonstance aggravante, les Etats-Unis ne sont
F
pas représentés par leur ambassadeur, John Bolton,
mais par un diplomate de second rang – une
entorse au protocole que Wang a visiblement
prise pour un affront prémédité.
Sans nommer de pays – il a perdu son calme,
pas le sens des réalités –,Wang fustige la “tyrannie de la minorité au sein du Conseil” et avertit que
cela “aura des implications sur les futures discussions”
concernant d’autres sujets. A la fin de la
réunion, il se plante devant les journalistes accrédités à l’ONU et se
livre durant une dizaine
de minutes à un savant
numéro diplomatique, regrettant
que la déclaration
de la présidence ait été
“vidée d’une bonne partie
de sa substance”, observant à plusieur s
reprises qu’il fallait
“tenir compte des
préoccupations des autres
pays” et prédisant que
la “frustration” qu’éprouvait
son pays “affecterait d’une façon ou d’une
autre les relations de travail”. La prestation
était soigneusement calibrée. A l’époque, pas si
lointaine, où la république populaire de Chine
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
36
Dessin de Miles
Cole paru dans
The Wall Street
Journal Europe,
Bruxelles.
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
P
Gwa
OMAN
ÉTH.
110
GUINÉE ÉQ.
R.D.C
O.
KENYA
R.
540
TANZANIE
I
ANGOLA
Z.
La Réunio
MOZAMBIQUE
NAMIBIE
AFRIQUE DU SUD
D’abord, défendre la souveraineté
Nouvelle puissance mondiale,
la Chine entend jouer un rôle
majeur. Une stratégie qui cadre
rarement avec la politique
de Washington. L’analyse
du grand reporter James Traub.
OUZB.
490
menait une “diplomatie de la crise de nerfs”, cela
aurait pu être le signal d’une vraie rupture. Mais,
aujourd’hui, la Chine se soucie trop de l’ordre
international pour se livrer à telles gesticulations
révolutionnaires. Du reste, à l’époque, aucun ressortissant chinois n’aurait participé à une mission d’observation de l’ONU au Liban, et la
République populaire se serait sans doute désintéressée de la question. Mais la Chine aspire
désormais à jouer un rôle actif sur la scène internationale, ce qui explique qu’elle nomme à
l’ONU des diplomates aussi aguerris que Wang.
Ça, c’est la bonne nouvelle. La mauvaise, c’est
que la Chine a une vision de l’“ordre international” très différente de celle des Etats-Unis ou de
l’Occident, ce qui l’amène à
entraver nombre de projets qui
donnent sa raison d’être aux
Nations unies. La République
populaire utilise ainsi son statut de
membre permanent du Conseil de sécurité, et du droit de veto qui va avec, pour
protéger des régimes autoritaires avec lesquels elle est en bons termes, comme le Soudan, le Zimbabwe, l’Erythrée, le Myanmar et
la Corée du Nord. Et, dans l’épreuve de force
avec l’Iran qui préoccupe actuellement le Conseil
de sécurité et l’Occident dans son ensemble, la
Chine est bien décidée à jouer les empêcheurs
*831 p36-37-38-39-40-41 2/10/06 20:39 Page 37
DIPLOMATIE, ÉCONOMIE, CULTURE : L’EXPANSION CHINOISE VERS LE SUD
350
F É D É R A T I O N
D E
R U S S I E
C A N A D A
LES INSTITUTS CONFUCIUS (voir p. 40)
Première ouverture Centre ouvert ou projeté
370
OUZB.
90
JAPON
AFGH.
IRAN
C H I N E
PAK.
A
INDE
240
THAÏL.
PHILIPPINES
C É A N
A
T L A N T I Q U E
CUBA
MEXIQUE
HAÏTI
145
LES TROUPES CHINOISES DANS LES FORCES DE MAINTIEN DE LA PAIX DE L’ONU
Mission
Mission
LIBAN Pays et nombre
en cours 1 000 de soldats engagés
achevée
COLOMBIE
LES IMPORTATIONS DE PÉTROLE
SINGAPOUR
O
Principaux pays fournisseurs de pétrole
C É A N
110
TIMORORIENTAL
E
UE
O
10 000
5 000
500
Hong Kong
VIETNAM
CAMBODGE
ÉTATS-UNIS
50 000
LES OUVRIERS CHINOIS EMPLOYÉS
SUR DES CONTRATS CHINOIS
À L’ÉTRANGER
BANG.
Gwadar
OMAN
ARABIE
SAOUDITE
CORÉE
DU SUD
LES PRINCIPAUX VOYAGES DIPLOMATIQUES DE 2004 À 2006
Président
Premier ministre
Autre dirigeant chinois
Hu Jintao
Wen Jiabao
I
N D I E N
BRÉSIL
Volume des importations
(milliers de barils/jour)
FIDJI
800 km
0
La Réunion (Fr.)
SÉNÉGAL
AUSTRALIE
CHILI
NIGERIA
SIERRA
LEONE
G o l f e
de tourner en rond en bloquant toute tentative
d’imposer des sanctions au régime intransigeant
de Téhéran.
C’est un truisme de dire que le Conseil de
sécurité ne fonctionne que dans la mesure où
les Etats-Unis l’y autorisent. Cela pourrait
bientôt s’appliquer également à la Chine. La
croissance phénoménale de l’économie chinoise
a fait du pays une puissance d’envergure mondiale, et les besoins en matières premières qui
accompagnent cette croissance ont incité Pékin
à tisser de nouveaux liens en Asie, en Afrique et
en Amérique latine. L’ancienne ardeur révolutionnaire n’est plus qu’un souvenir, et la Chine
porte sur le monde un regard de plus en plus
pragmatique et assuré.
A 56 ans, Wang Guangya est un éminent
représentant d’une nouvelle génération de diplomates chinois bien plus raffinés et mieux formés
que ne l’étaient jadis les idéologues du parti. Il est
considéré comme le favori pour succéder à l’actuel ministre des Affaires étrangères, Li Zhaoxing,
qui doit se retirer dans un an.
Wang est l’un des diplomates les plus habiles
des Nations unies. L’ambassadeur britannique
Emyr Jones Parry raconte que son homologue chinois a un truc qui lui est propre : “Au Conseil, il
s’exprime en chinois,mais il écoute en même temps la
traduction anglaise de ses propos.Parfois il s’interrompt
et passe à l’anglais pour dire quelque chose qui ressemble à la traduction, mais avec une nuance.” Wang
procède par suggestion, par détour, et use parfois du silence. “Les Chinois jouent un jeu très sub-
■
L’auteur,
James Traub,
new-yorkais jusqu’au
bout des ongles,
a couvert pour
The New York Times
tous les aspects
de la vie
de la Grosse Pomme
depuis près
de vingt-cinq ans
et en a tiré
plusieurs livres.
Récemment,
il a élargi son
domaine d’étude
aux Nations unies
(une institution
new-yorkaise,
encore) et publie
cet automne un
essai sur l’ONU,
The Best Intentions
(Les meilleures
intentions).
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en v.o. page 49
dans Courrier
in English
GHANA
LIBERIA
NOUVELLE-ZÉLANDE
CAMEROUN
d e
G u i n é e
til à l’ONU, remarque Vanu Gopala Menon, l’ambassadeur singapourien. Ils indiquent toujours leur
position à demi-mot. Ils ne parlent pas les premiers :
ils écoutent d’abord, puis font une déclaration qui
reprend dans les grandes lignes ce que veulent les pays
en développement.”
Le jeu auquel jouent les Chinois empêche
quasiment à chaque fois les Nations unies de
répondre aux crises humanitaires. De fait, l’habileté diplomatique de Wang et le fait que la Chine
protège les pays avec lesquels elle commerce,
même lorsque ceux-ci sont accusés des pires violations des droits de l’homme, ont vidé de leur
sens les pieuses exclamations comme “Plus jamais
ça !” qui s’étaient exprimées à la suite du génocide rwandais en 1994 et devant la passivité dont
avait fait preuve à cette occasion le Conseil de
sécurité. L’exemple le plus évident du nouveau
militantisme de la Chine dans ce domaine est
celui du Darfour. Aucune des grandes puissances,
à l’exception, par intermittence, des Etats-Unis,
n’a manifesté le moindre désir de prendre des
mesures énergiques pour protéger les populations
de cette province soudanaise contre les atrocités commises par le gouvernement et ses supplétifs, les milices janjawid. La Chine, qui achète
une bonne partie du pétrole soudanais, s’est érigée en principal protecteur du régime de Khartoum. Durant l’été 2004, après que le Congrès
américain eut qualifié de “génocide” les attaques
brutales contre des villageois sans défense, la Chine
annonça qu’elle opposerait son veto à une résolution américaine qui se contentait pourtant de
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
37
URUGUAY
ARGENTINE
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
Courrier international d’après :
le ministère de l’Education
chinois, le ministère des Affaires
étrangères chinois,
<www.eia.doe.gov> et la presse
chinoise et internationale.
brandir la menace de sanctions contre Khartoum,
sans les imposer.
Et pourtant, selon Munir Akram, ambassadeur du Pakistan, “la Chine était loin d’être aussi
active à propos du Darfour que ce que l’on croit généralement. Les propositions venaient soit de l’Algérie,
soit de nous.”. Dans les moments de friction, si
l’on en croit un diplomate occidental,Wang répétait avec une insistance tranquille : “Vous ne pouvez vous aliéner le gouvernement soudanais. Sans
lui, la mission de l’ONU échouera.”
Sur la question du Darfour comme sur
d’autres, la Chine a compris les avantages de
ployer sous le vent quand il le faut. Alors que les
troupes pathétiquement débordées de l’Union
africaine se montraient incapables, tout au long
de l’année 2005, de faire cesser les atrocités, la
Chine (appuyée par la Russie) continua à faire
obstacle à une résolution autorisant l’envoi d’une
force de paix de l’ONU. Puis, en mai dernier, le
régime soudanais et l’une des armées rebelles
signèrent un cessez-le-feu, accentuant la pression en faveur d’une intervention des Nations
unies. La position de la Chine paraissait de plus
en plus intenable. Aussi Pékin accepta-t-il de ne
pas mettre son veto à une résolution autorisant
une mission de planification militaire de l’ONU
– sans toutefois aller jusqu’à l’approuver.
La grande question qui divise l’ONU n’est plus
comme autrefois l’opposition entre communisme
et capitalisme ; le problème aujourd’hui est celui
de la souveraineté. Depuis les catastrophes de la
Bosnie et du Rwanda, on demande au Conseil *831 p36-37-38-39-40-41 2/10/06 20:40 Page 38
e n c o u ve r t u re
de sécurité de protéger des individus contre
un Etat abusif. Lorsque certains Occidentaux
critiquent l’ONU en disant qu’elle est un échec
en tant qu’institution, ils veulent presque toujours signifier que le Conseil de sécurité n’est pas
capable de trouver la volonté nécessaire pour
assurer la protection des individus contre un Etat
particulièrement brutal, que ce soit au travers
d’une intervention, de sanctions ou même d’une
simple condamnation. Mais cet échec est une
préoccupation purement occidentale : en Chine,
où le souvenir du “siècle d’humiliation” imposé
par les impérialistes occidentaux est encore vivace
– et où le droit de l’Etat à opprimer ses propres
citoyens ne souffre aucune remise en question –,
la souveraineté est depuis longtemps un slogan
mobilisateur. Au cours des années 1990, les Chinois se sont abstenus ou ont voté contre dans le
vote de résolutions cruciales autorisant le recours
à la force pour chasser Saddam Hussein du
Koweït ou visant à établir ou à renforcer des
missions de maintien de la paix en Somalie, en
Bosnie, au Rwanda et en Haïti. Aujourd’hui, la
Chine est plus souple sur le plan pratique, mais
la doctrine tenant les droits de souveraineté pour
absolus demeure un élément central de sa politique étrangère.
Mes conversations avec Wang en reviennent
toujours à ce point épineux. “Chaque pays se doit
d’assurer le bien-être de sa population, souligne-t-il.
Il y a un problème dans certains pays, où la protection de la population est… – là, le très diplomate
diplomate chercha le terme exact –… négligée.
L’ONU peut intervenir de façon pacifique, fournissant de l’aide, prodiguant des conseils. Mais son rôle
n’est pas de s’imposer. Là où le gouvernement fonctionne, on doit le laisser assumer ses responsabilités.”
CHOISIR ENTRE LA SOUVERAINETÉ
OU “LA RESPONSABILITÉ DE PROTÉGER”
Dans une autre conversation, tenue une semaine
plus tard dans le salon des délégués de l’ONU,
où Wang transgressa allègrement l’interdiction
de fumer, l’ambassadeur insista sur le fait que le
droit à exercer sa souveraineté sans aucune interférence extérieure était inscrit en lettres d’or dans
le droit international. Sans doute, rétorquai-je,
mais lorsque les chefs d’Etat du monde entier,
réunis en septembre dernier à l’occasion du sommet célébrant le 60e anniversaire de l’ONU,
approuvèrent le principe de “la responsabilité de
protéger”, ce principe n’est-il pas du même coup
devenu partie intégrante du droit international ?
C’est vrai, concéda Wang – même si la Chine
émet les plus grandes réserves à l’égard de cette
doctrine –, “mais tout dépend de la façon dont on
applique ce principe”. Et du moment que cette
nouvelle obligation ne s’applique qu’en cas de
“génocide” ou de “violations massives et systématiques des droits humains”, elle ne saurait être invoquée dans le cas du Darfour. A l’époque,Wang
venait de participer à une tournée organisée par
le Conseil de sécurité dans la région, et il en avait
conclu que la situation était très compliquée et
que le gouvernement soudanais avait été injustement critiqué. La Chine continua à soutenir
Khartoum. Après s’être abstenu sur la résolution
décidant de l’envoi d’une force de paix, Wang
demanda la parole pour réitérer la position de la
Chine, à savoir que le déploiement des soldats
de la paix ne pourrait s’effectuer qu’avec le
consentement du gouvernement.
Malheureusement, observai-je, le président
soudanais Omar Hassan El-Bachir venait tout juste
de refuser l’envoi de la force de maintien de la paix.
■
FINUL
La Chine va porter
ses effectifs au sein
de la Force
intermédiaire
des Nations unies
au Liban (FINUL)
de 182
à 1 000 hommes,
a annoncé
le 18 septembre
le Premier ministre
Wen Jiabao. Déployer
autant de militaires
est une première.
Pékin manifeste
ainsi son désir d’être
présent là où les
enjeux internationaux
sont forts,
mais n’oublie pas
l’importance
de la zone du MoyenOrient pour ses
approvisionnements
en pétrole, écrit
le journal marocain
L’Opinion.
■
FMI
Lors d’une réunion
des gouverneurs
du FMI à Singapour
le 18 septembre,
la Chine a obtenu
un rééquilibrage
des forces en
sa faveur au sein
du Fonds monétaire
international.
La Chine, la Corée
du Sud, le Mexique
et la Turquie voient
leurs droits de vote
relevés. Pékin passe
de 2,94 % à 3,65 %
des suffrages,
devenant ainsi
la sixième puissance
du FMI, loin derrière
les Etats-Unis,
l’Europe et le Japon.
“2020 : les Etats-
Unis retournent sur
la Lune”. Dessin
de Chappatte paru
dans l’International
Herald Tribune, Paris.
L’Union africaine “fait du bon travail sur
le terrain, insista Wang. Et, d’ailleurs, les
S o u danais avaient accepté de désarmer
les janjawid.
“Et s’ils n’y parviennent pas ?”
Wang écrasa son mégot dans le cendrier. “Si
vous n’êtes pas certain que ça ne va pas marcher,
pourquoi leur imposer une solution avant d’avoir
prouvé qu’ils n’en étaient pas capables ?”
En fait, la Chine souhaite rejoindre la communauté internationale, mais à ses propres conditions. La République populaire est une entité
particulière, une puissance mondiale qui se
consacre presque exclusivement à l’exploitation
de ses ressources internes et au règlement de ses
conflits intérieurs. Elle ne cherche guère à utiliser le pouvoir dont elle dispose, sauf pour assurer un environnement harmonieux à son “émergence pacifique”. De toute façon, la Chine est
passée si rapidement du statut d’Etat appauvri
et replié sur lui-même à celui de grand pays sûr
de lui et immensément influent qu’elle n’a pas
eu le temps de réfléchir à ce qu’elle pouvait faire
de ce pouvoir. C’est pourquoi la Chine se préoccupe énormément de questions qui sont de
peu d’intérêt pour l’Occident – l’“intégrité territoriale”, notamment –, tout en négligeant les
questions brûlantes qui inquiètent Washington,
Londres ou Paris. La Chine, par exemple, n’a
pas joué le moindre rôle moteur dans le débat
sur les réformes de l’ONU qui ont agité l’organisation tout au long de l’année 2005. La
Chine fait partie d’un bloc de pays en développement connu sous l’appellation de Groupe des
77 – son nom officiel étant “G-77 plus la Chine”,
même si les 77 pays du début sont aujourd’hui 131 – et partage l’avis de ce bloc selon
lequel l’ONU devrait se préoccuper avant tout
de questions économiques et sociales, et moins
de paix et de sécurité. Et, même sur ces questions, remarque l’ambassadeur singapourien
Menon, les Chinois “suivent le courant”.
La Chine s’est battue durant plus d’une
décennie contre les résolutions soumises à la
Commission des droits de l’homme de l’ONU,
et s’est opposée bec et ongles à la proposition de
Kofi Annan visant à remplacer cette commission
anémique par un organisme beaucoup plus musclé. Pourtant, dans les derniers jours cruciaux
du débat, en septembre 2005, c’est Munir
Akram, l’ambassadeur du Pakistan, et non Wang,
qui présenta un vague projet censé débloquer la
situation. Au final, l’Assemblée générale mit en
place un nouveau Conseil des droits de l’homme
doté de principes suffisamment laxistes pour que
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
38
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
des pays comme l’Iran, Cuba, la Russie et, bien
entendu, la Chine puissent y siéger.
Le sujet qui, en revanche, suscita la fureur
de la Chine fut la demande du Japon de devenir
membre permanent du Conseil de sécurité. La
mobilisation générale de la Chine sur cette question rappela au monde que ce pays est capable
de renoncer à toute retenue lorsqu’il estime que
son intérêt national est en jeu, comme cela avait
été le cas une décennie plus tôt, lorsque Pékin
avait ouvertement tenté de saboter l’envoi de
missions de paix au Guatemala, en Haïti ou en
Macédoine sous prétexte que ces pays entretenaient des liens commerciaux avec Taïwan. La
position chinoise n’était pas très convaincante.
Aucun pays ne mérite plus que le Japon de siéger au Conseil, Tokyo s’acquittant de 19 % du
budget de l’ONU, soit à peine moins que la
contribution américaine – alors que la Chine en
règle 2 %, et la Russie 1 %. Mais le Japon est
le principal concurrent asiatique de la Chine, et
le plus fidèle allié des Etats-Unis dans la région.
LA JORDANIE ET L’UNION AFRICAINE
À LA RESCOUSSE
Et, surtout, la Chine n’a toujours pas pardonné
les atrocités qui ont marqué la prise de Nankin
en 1937 et l’agression du territoire chinois par le
Japon au cours de la Seconde Guerre mondiale.
En avril 2005, peu après que le Japon, l’Allemagne, l’Inde et le Brésil eurent déposé officiellement leur candidature à un Conseil de sécurité élargi, des manifestations antijaponaises
éclatèrent en Chine. Des représentations diplomatiques et des entreprises nippones furent mises
à sac. Les Japonais furent choqués tant par la violence des manifestations que par le fait que, de
toute évidence, les autorités chinoises toléraient,
voire approuvaient les excès. Pendant ce temps,
Wang et ses collaborateurs cherchèrent à influencer les ambassadeurs de pays à la position encore
indécise. Le prince Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein,
représentant permanent de la Jordanie, qui envisageait d’apporter son parrainage à la résolution
visant à élargir le nombre des membres permanents du Conseil de sécurité, raconte qu’il fut
convoqué dans une salle du Conseil pour y rencontrer un diplomate chinois. “Le type était dans
tous ses états, se souvient le prince Zeid. Il me
demanda comment une grande puissance [comme le
Japon] pouvait refuser de reconnaître des vérités fondamentales tout en tirant fierté du travail positif qu’elle
accomplit dans le monde.” Le diplomate chinois
envoya plus tard au prince un exemplaire d’un
livre de photographies sur la tragédie de Nankin.
La Jordanie continua à appuyer la résolution, mais
refusa de la parrainer.
Si la Chine ne put convaincre les pays africains de rejeter le principe de l’extension du
Conseil de sécurité, elle réussit pourtant à porter le coup de grâce à l’initiative lors d’une
réunion de l’Union africaine tenue début août
en Libye, où les chefs d’Etat s’étaient rassemblés
pour choisir deux pays qui se joindraient aux
quatre autres demandant à devenir membres permanents du Conseil. Quelques semaines auparavant, la Chine avait reçu en grande pompe
Robert Mugabe, le dirigeant de plus en plus dictatorial et excentrique du Zimbabwe, depuis longtemps client de la Chine. Peu après son retour
de Pékin, Mugabe déclara que les pays africains
devaient insister pour bénéficier non seulement
d’une représentation permanente au Conseil de
sécurité, mais du droit de veto. Cette exigence
était de toute évidence vouée à (suite p. 40)
*831 p36-37-38-39-40-41 2/10/06 20:40 Page 39
CHINE LE MONDE SELON PÉKIN
EyePress News/EyePress
●
Un port chinois au Pakistan
Pour contrer l’alliance indo-américaine,
Pékin s’allie à Islamabad. Et en construisant
à leurs frais le complexe portuaire de Gwadar,
les Chinois s’offrent une position stratégique.
HIMAL (extraits)
Katmandou
es liens entre Islamabad et Pékin, qui n’ont
cessé de se développer depuis la reconnaissance du Pakistan par la Chine, en
1950, comportent aujourd’hui de multiples
aspects stratégiques. Dans le paysage mouvant des alliances mondiales, ces relations
ont un rôle crucial à jouer pour contrer les centres
de pouvoir émergents, en particulier le partenariat indo-américain qui est en train de se formaliser [notamment avec l’accord de collaboration sur le nucléaire civil signé en mars dernier].
Non seulement la Chine et le Pakistan ont intérêt à limiter la portée de ces nouvelles alliances,
mais Pékin se sert de ses relations avec Islamabad pour accroître son influence dans le golfe
Arabo-Persique et en Asie centrale.
A l’intérieur des terres, les deux pays ont
entrepris de relier la route du Karakorum aux
républiques d’Asie centrale et Islamabad a fait
savoir qu’il était prêt à former le cœur d’un réseau
énergétique s’étendant jusqu’en Chine. De plus,
la Chine est en train de construire le port de
Gwadar sur le littoral du Baloutchistan [province
occidentale du Pakistan], dont l’intérêt stratégique avait été ignoré jusqu’ici. Pékin a financé
une part importante de la première phase du
projet, ainsi que des liaisons routières avec le reste
du pays. En contrepartie, Islamabad a accordé
à la Chine des garanties de souveraineté en
matière de règlement des conflits dans le cadre
du Traité bilatéral d’investissement et accepté la
présence navale chinoise dans ses eaux territoriales. Cet accord permettra aux Chinois de
contrôler l’une des voies maritimes de communication les plus importantes au monde.
Depuis le début de la guerre en Irak, la
marine indienne s’est entendue avec son homologue américaine pour escorter les navires depuis
le golfe d’Aden jusqu’au détroit de Malacca, et
L
■ Réplique
du navire
de l’amiral Zheng
He, explorateur
chinois du
XVe siècle qui
parvint jusqu’aux
côtes africaines,
et symbole du
renouveau du désir
d’expansion chinois.
à l’est vers la mer de Chine méridionale. En étant
présente à Gwadar, la Chine ne sera qu’à
400 kilomètres du détroit d’Ormuz, une voie cruciale pour l’approvisionnement en pétrole et
autres marchandises, et elle s’assurera un accès
direct au golfe Persique. Au final, l’extension de
la route du Karakorum et la construction du port
de Gwadar permettront à la Chine de diversifier
ses voies d’importation de produits pétroliers et
de bien marquer sa présence dans le golfe Persique et en Asie centrale. Pour le Pakistan, l’accord de Gwadar contribue à neutraliser l’influence indo-américaine sur la mer d’Arabie et
dans toute la zone. New Delhi ambitionnant de
se doter d’une marine au long cours, il est dans
l’intérêt du Pakistan d’attirer la Chine sur son
territoire pour parer à toute mésaventure, y compris un blocus. D’ailleurs, Islamabad envisage
de faire du port de Gwadar une “zone de défense
A N A LY S E
Le monde arabe admiratif
■“La superficie de la Chine est égale
à celle du monde arabe et le nombre
de ses habitants y est plus de quatre
fois supérieur. Pour autant, la croissance
chinoise au cours des deux dernières
décennies a atteint une moyenne de
9 %, alors que celle du monde arabe
stagne autour de 3 %. Notre croissance
aurait été encore plus basse sans le
pétrole, mais aussi sans le développement économique dans des pays
comme la Chine, devenue grande
consommatrice de notre pétrole”, écrit
Asharq Al-Awsat.
En marge d’un colloque organisé à
Washington sur les relations sino-américaines, le quotidien panarabe analyse
le décollage de la Chine. Une des raisons principales en serait selon lui la
nouvelle vision chinoise du monde et
sa manière de se situer sur l’échiquier :
dans les négociations, les discussions
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
et les accords commerciaux, Pékin ne
joue plus la carte de la victime, contrairement aux Arabes, qui se complaisent
dans ce rôle. Pourtant, la Chine a été
beaucoup plus humiliée par le colonialisme que le monde arabe. Dans le
passé, Pékin, comme tous les pays du
tiers-monde, rappelait volontiers les
crimes coloniaux dans ses négociations
avec les Occidentaux, afin d’obtenir de
meilleures conditions commerciales.
Mais il s’est débarrassé aujourd’hui de
cette mentalité de victime, car il a décidé
de jouer dans la cour des grands. Qui
examine de près les récentes positions
de la Chine sur les conflits en Palestine
ou au Liban, ou encore sur la question
du nucléaire iranien, remarque un net
changement de ton, dû à sa méfiance
de l’islamisme, certes, mais aussi à sa
nouvelle façon de penser le monde,
conclut Asharq Al-Awsat.
39
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
sensible” et a annoncé son intention d’utiliser la
marine chinoise comme dispositif de défense
avancée contre toute action maritime.
Le premier pays touché par cet accord sera
les Etats-Unis. Pour défendre leurs intérêts, les
Américains cherchaient à établir une suprématie
absolue par leur présence dans la région et par celle
de régimes complaisants. Par ailleurs, en coopérant avec la marine indienne dans la mer d’Arabie, ils visaient exactement le même objectif que
le Pakistan et la Chine par l’accord de Gwadar,
à savoir élargir leur sphère d’influence pour contrôler l’activité maritime et le grand jeu pétrolier dans
le Golfe.Ainsi,Washington voit manifestement cet
accord d’un mauvais œil, et des notes internes
du Pentagone signalent la présence chinoise comme
un facteur inquiétant. Selon certains rapports,
les Etats-Unis, fortement opposés au projet de
Gwadar et à ceux de pipelines en provenance
d’Iran, ne seraient d’ailleurs pas étrangers aux
troubles du Baloutchistan [région agitée par une
insurrection réclamant plus d’autonomie, voir CI
n° 827,du 7 septembre 2006]. En vue de détourner
le trafic maritime du port de Gwadar, New Delhi
et Washington ont d’ailleurs déjà pris des initiatives
pour favoriser le développement d’autres complexes portuaires dans le Golfe.
UNE VOIE D’ACCÈS DANS LE DÉTROIT
D’ORMUZ
Une analyse du réseau complexe des alliances
mondiales laisse entrevoir un grand nombre de
possibilités pour l’avenir. Si le Pakistan et la Chine
entendent s’opposer au partenariat indo-américain, la coopération entre Pékin et New Delhi, en
particulier sur le plan économique, n’en progresse
pas moins à un rythme constant. Et Islamabad,
qui est sans doute l’allié le plus actif de Washington dans la guerre contre le terrorisme, a reçu un
énorme soutien économique et militaire des EtatsUnis depuis le 11 septembre 2001. Pour ajouter
à la confusion, il est possible que la riposte à l’accord de Gwadar vienne des ports iraniens. Compte
tenu de leur hostilité ouverte à l’actuelle politique
de l’Iran et de leurs efforts pour établir un régime
de sanctions contre Téhéran, les Etats-Unis sont
aux prises avec un dilemme : d’un côté, ils se refusent obstinément à accroître l’isolement de l’Iran
sur la scène internationale, mais, de l’autre, ils tiennent à mettre à mal le projet de Gwadar et tout
ce qu’il représente. D’aucuns laissent entendre
qu’ils pourraient même confier à l’Inde le soin de
développer les installations portuaires iraniennes
tout en fermant les yeux sur ce développement.
Que va donner cet enchevêtrement d’alliances ? Pour le Pakistan, la stabilité intérieure est
la première des priorités. Non seulement la paix
au Baloutchistan est indispensable à l’avancement
du projet de Gwadar, mais Islamabad doit s’assurer que des rebelles ne menacent pas la coopération stratégique avec la Chine et ne conduisent
pas l’Occident à l’accuser d’abriter des extrémistes.
Enfin, même si la collaboration avec la Chine
est salutaire, une politique étrangère multipolaire
demeure essentielle. En tout état de cause, le Pakistan doit jouer un rôle plus important dans le
monde musulman tout en intensifiant ses efforts
pour présenter l’Iran comme une puissance
nucléaire responsable afin de dissiper les craintes
de l’Occident.
Ejaz Haider et Moeed Yusuf*
* Ejaz Haider est membre de la rédaction en chef du
quotidien The Daily News et de l’hebdomadaire The
Friday Times, tous deux publiés à Lahore. Moeed Yusuf
est spécialiste de politique économique au Sustainable
Development Policy Institute d’Islamabad.
*831 p36-37-38-39-40-41 2/10/06 20:41 Page 40
e n c o u ve r t u re
l’échec, car ni la Chine ni aucun des quatre
autres membres permanents n’était prêt à rogner,
en le diluant, le pouvoir de son droit de veto. Cela
n’empêcha pas une cohorte de diplomates chinois de ratisser les couloirs de Tripoli en en
appelant à la fierté africaine, aux impératifs de
la parité globale et autres invocations du même
acabit. Les demandes en faveur du veto africain se retrouvèrent au centre des débats, ce
qui signa la mort de l’élargissement du Conseil
de sécurité. Le cadavre ne portait aucune
empreinte chinoise.
En août 2006, l’ONU a commencé à chercher un successeur à son secrétaire général, Kofi
Annan. Les pays asiatiques estiment que c’est à
leur tour de se voir confier le poste. Les Américains s’opposeront à tout candidat soutenant trop
ouvertement les revendications du tiers-monde ;
Pékin refusera tout secrétaire général originaire
d’un pays trop proche de Washington. Mais ce ne
seront pas les seules difficultés. La Chine pourrait saisir l’occasion de resserrer ses liens avec
l’Inde en soutenant Shashi Tharoor, un responsable onusien qui est le candidat de New Delhi
mais auquel pourrait s’opposer avec véhémence
le Pakistan, un allié proche de Pékin. Aussi la
Chine pourrait-elle, pour une fois, être amenée
à décevoir, voire à susciter la colère de certains
de ses amis au sein du G-77 – une situation qu’elle
cherche habituellement à éviter à tout prix.
Wang ne cache pas son espoir de voir le
successeur de l’actuel secrétaire général “apporter un point de vue asiatique”. Il entend par là,
explique-t-il, une priorité donnée à “la patience
sur la précipitation”, et une attention particulière apportée aux droits collectifs – autrement
dit ceux de l’Etat – plutôt qu’aux droits individuels. Si la Chine atteint ses objectifs, l’ONU
pourrait bien apparaître aux yeux des EtatsUnis comme un endroit encore moins hospitalier qu’il ne l’est déjà.
La Chine et les Etats-Unis sont les deux bêtes
noires* jumelles de l’ONU : les Etats-Unis parce
qu’ils insistent pour entraîner l’organisation internationale dans leurs croisades, la Chine parce
qu’elle refuse obstinément de participer à toute
initiative contraire à son intérêt national.Washington fait preuve d’un moralisme conquérant ;
Pékin d’un mercantilisme extrêmement circonspect. Et les deux capitales peuvent se permettre de défier les visions consensuelles.
La Chine et la Russie ont les mêmes positions sur les questions concernant la souveraineté, mais la Chine, qui ne souhaite pas détériorer ses relations avec Washington, préfère
rechercher un terrain d’entente avec les EtatsUnis. Quand la Russie menaça ouvertement
d’opposer son veto à toute résolution autorisant une guerre contre l’Irak, la Chine fit part
aussi discrètement que possible de sa propre
opposition à une telle initiative. Plus récemment, la Chine et la Russie se sont opposées à toute condamnation du programme nucléaire iranien par le
Conseil de sécurité, mais Pékin s’est
montré beaucoup plus attentif que le
Kremlin aux inquiétudes de la Maison-Blanche. “Les Russes ont passé quarante-cinq minutes à discuter de la signification exacte du verbe ‘consulter’, se souvient un diplomate américain. Les Chinois
ont simplement dit que le terme leur convenait.” “Je trouve que la façon dont
vous travaillez parfois, vous autres
Américains, remarque Wang, et en
particulier le fait que votre travail
■ Instituts
Confucius
La Chine désire
développer
son rayonnement
culturel dans
le monde et a décidé
d’installer au
moins 100 “instituts
Confucius”
de par le monde d’ici
à 2008. Ces instituts,
équivalents chinois
de l’Alliance
française
ou du British Council,
voient le jour à un
rythme accéléré.
Hu Jintao.
Dessin d’Ares paru
dans Juventud
Rebelde, La Havane.
est respecté par les autres parce qu’il les respecte,
peut permettre de trouver un terrain d’entente.” Mais
que veut-il dire exactement par “terrain d’entente” ? Le consensus que la Chine a recherché sur le Darfour ressemble fort à une astuce
pour paralyser l’ONU. Et l’insistance de la Chine à “respecter” l’Iran semble moins vouloir
contribuer à convaincre Téhéran de mettre un
terme à son programme nucléaire qu’à entraver
toute action punitive envisagée par l’Occident.
Wang affirme que les Etats-Unis ont une
diplomatie tonitruante “parce que l’Amérique est
une superpuissance et que sa parole a beaucoup de
poids”. Il semblerait que la Chine ait également
acquis du poids, mais ce n’est pas l’avis de Wang.
A la fin de notre second entretien, il revint à l’un
de ses thèmes favoris. “Les Américains sont forts
et jouent de cette force, me dit-il. La Chine est faible
et n’a aucune intention de jouer les costauds.”
Je lui fis remarquer que la Chine est en réalité un poids lourd mais que les coups qu’elle
porte sont ceux d’un poids plume. La comparaison fit sourire Wang. “Et alors, quel mal y a-til à ça ?” fit-il. Eh bien, rétorquai-je, cela dépend.
C’est alors que Wang me fit cette étonnante
déclaration : “La Chine se considère toujours comme
un pays faible, petit et peu puissant. J’ai le sentiment
qu’au cours des trente prochaines années, elle continuera à le faire. La Chine aime concourir dans la
catégorie inférieure, comme vous dites.”
Mais pourquoi donc ? Pourquoi la Chine
refuserait-elle d’étaler sa puissance ? Wang évoque
l’émergence paisible de son pays et la nécessité de rassurer tous ceux que sa force croissante inquiète. “Nous ne voulons embarrasser
personne”, conclut-il.
James Traub
*
En français dans le texte.
THÉORIE
Mission : bâtir un monde harmonieux
Pékin doit faire entendre sa voix
originale et novatrice,
explique un professeur chinois
de relations internationales.
a notion de “monde harmonieux” apparaît au moment clé
où une restructuration de l’ordre
mondial s’amorce. Lors de la
réunion de travail du Comité central sur les affaires étrangères, qui
s’est déroulée du 21 au 23 août,
le président Hu Jintao a prononcé
un important discours où il a mis
l’accent sur les nouvelles tâches
à accomplir sur le plan diplomatique en ce siècle naissant. Il a indiqué qu’il fallait s’efforcer de créer
un environnement international et
des conditions extérieures favorables à la politique d’ouverture et
de réforme en Chine, ainsi qu’à la
modernisation socialiste, afin de
contribuer à promouvoir une paix
durable, une prospérité commune
et un monde harmonieux.
Cette notion d’un monde harmonieux trouve ses racines dans le
profond terreau culturel chinois de
la “concorde” et présente donc des
L
caractéristiques orientales et une
spécificité nationale évidentes.
Par ailleurs, en préconisant la
construction d’un monde harmonieux, la Chine brise le monopole
de la parole exercé par les pays
développés occidentaux dans le
domaine des relations internationales et met en évidence le droit
de la Chine à donner son point de
vue. Elle occupe ainsi la position
dominante de la morale, accroît
son soft power et se forge une
image nouvelle. Créer un monde
harmonieux est un devoir de
grande puissance et une mission
historique, et la Chine ne peut s’y
soustraire.
Bâtir un monde harmonieux est
un objectif réalisable et pertinent.
Premièrement, c’est le remède
approprié à des maux actuels tels
que l’hégémonisme, la politique
du plus for t, les contradictions
Nord-Sud ou la crise de l’environnement. Deuxièmement, alors
que la puissance de la nation chinoise augmente constamment et
que l’influence de la Chine sur la
scène internationale s’accroît elle
aussi, bâtir un monde harmonieux
va permettre de garantir des ressources de plus en plus fiables.
Troisièmement, une telle démarche
est dans l’ensemble approuvée par
les principales civilisations mondiales et par les grandes organisations internationales comme
l’UNESCO.
Naturellement, il faut être bien
conscient que la puissance chinoise seule reste limitée. Il faut
nous attacher à obtenir le maximum
de reconnaissance sur le plan international en améliorant notre communication extérieure, afin d’inciter les autres pays du monde à
participer plus largement et plus
spontanément à cette édification.
Ensuite, il est indispensable de ne
pas négliger non plus les situations
de légitime concurrence et les
luttes nécessaires. Concrètement,
il faut rester attachés à nos principes en ce qui concerne la défense
et la promotion des intérêts nationaux de la Chine, argumenter sur
la base de la raison, nous battre
pour ne pas essuyer de défaite
dans nos relations avec d’autres
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
40
pays, lutter pour favoriser la paix,
toujours exhorter à la recherche de
solutions pacifiques et aux négociations dans les problèmes brûlants sur le plan international ou
régional, en s’opposant au recours
inconsidéré à la force militaire ou
à des sanctions.
Sur le plan des relations entre
grandes puissances, il faut faire
porter les efforts sur une coexistence harmonieuse entre la Chine
et les Etats-Unis, régler de manière
appropriée le différend historique
qui oppose la Chine au Japon du
fait de la volonté des deux pays de
se poser tous deux en pays forts
et gérer au mieux les rapports de
“coopération concurrentielle” avec
les autres grandes puissances.
Avec les pays voisins, nous devons
veiller à conserver des relations
de bon voisinage et de coopération
régionale, trouver une solution adéquate aux problèmes laissés par
l’Histoire et aux sources de tension actuelles. Sur le plan des relations Sud-Sud, la Chine doit chercher à préserver son identité de
pays en voie de développement,
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
apporter une aide extérieure en
fonction de ses propres capacités
et mener avec les autres pays une
politique combinant coordination
politique, coopération des ressources et diffusion culturelle. Sur
le plan des relations multilatérales,
nous devons nous en tenir au multilatéralisme et aux négociations
sur un pied d’égalité en refusant
tout unilatéralisme et tout double
critère, participer activement au
processus d’ajustement de l’ordre
mondial, principalement illustré par
la réforme des Nations unies. Enfin,
sur le plan des relations avec Taïwan, nous devons favoriser les
échanges commerciaux et la coopération culturelle, veiller au maintien
de la stabilité et de la paix à Taïwan,
et nous opposer résolument et efficacement à l’“indépendance taïwanaise” en créant inlassablement
les conditions d’une réunification
pacifique de la mère patrie.
Chen Xiangyang*, Liaowang Xinwen
Zhoukan (extraits), Pékin
* Sous-directeur du Centre d’études
en stratégie de l’Institut chinois de
recherches en relations internationales.
*831 p36-37-38-39-40-41 2/10/06 20:42 Page 41
CHINE LE MONDE SELON PÉKIN
●
“Un autre tsunami
asiatique !”
Dessin de Zapiro,
Johannesburg.
■
Une puissance
néocoloniale en Afrique
Un commentateur hongkongais
analyse les ressorts
de l’extraordinaire développement
des échanges entre la Chine
et l’Afrique ces dernières années.
YAZHOU SHIBAO ZAIXIAN (extraits)
Hong Kong, Bangkok
ien que le voyage en Afrique du président de la République chinoise, Hu Jintao, en avril 2006 n’ait pas fait l’objet
d’une grande attention, il a été d’une
extraordinaire importance. En effet, hormis le fait qu’il a permis d’obtenir un
grand nombre de droits d’exploitation de
champs pétrolifères et ouvert des marchés plus
vastes aux marchandises chinoises, on peut
aussi le considérer comme marquant l’engagement de la Chine sur la voie du colonialisme
en Afrique. [En juin, le Premier ministre Wen
Jiabao a à son tour effectué une tournée en
Afrique, et le ministre des Affaires étrangères
chinois s’y était rendu en janvier.]
Porteur de nombreux contrats, accords ou
promesses de coopération sur les ressources
pétrolières et minières, Hu Jintao a reçu, lors
de sa visite au Maroc, au Nigeria et au Kenya,
un accueil et des honneurs à cent lieues de
ceux qui lui avaient été réservés aux Etats-Unis
[première étape de son voyage]. Non seulement les grandes personnalités politiques des
différents pays se sont bousculées pour le rencontrer, mais il lui a également été donné l’occasion d’intervenir devant le Parlement nigérian pour s’exprimer sur les “nouvelles
relations stratégiques sino-africaines” (intensification de la coopération commerciale,
recherche d’une prospérité commune). Sans
se concerter, les dirigeants des trois pays ont
tous déclaré vouloir s’inspirer du modèle de
B
développement chinois ; les médias nigérians
sont même allés jusqu’à affirmer que le Nigeria voulait être “la Chine de l’Afrique”.
Il est à noter que le degré de dépendance
commerciale de l’Afrique vis-à-vis de la Chine
s’accroît d’année en année. Alors qu’en 2004
le volume des échanges entre la Chine et
l’Afrique s’élevait à 30 milliards de dollars
[environ 24 milliards d’euros], il est passé l’an
dernier à 39,7 milliards [il a quadruplé
entre 2000 et 2005]. L’Afrique a désormais
supplanté les pays d’Asie centrale et, comme
source d’importation de pétrole pour la Chine,
arrive en deuxième position après le MoyenOrient. En janvier, l’Angola a pour la première
fois dépassé l’Arabie Saoudite en devenant
le premier fournisseur de la Chine en pétrole.
Les échanges entre la Chine et l’Afrique prennent
la forme suivante : sous couvert de la réalisation de chantiers, de transfert de technologies et de produits finis, la Chine fournit
du personnel qualifié et des ouvriers pour
travailler à des prog rammes d’aide à la
Piments
Les associations
de paysans de l’Etat
de Puebla (à l’est
de Mexico) ont
protesté au mois
d’août contre
l’importation de
près de 7 000 tonnes
de piments chinois
“pirates”, qui
prétendent imiter
le fameux chile
poblano (variété
de piment vert
de la région de
Puebla). L’affaire
est d’importance :
ce piment sert
à fabriquer le chile
en nogada (piment
farci avec une sauce
aux noix et
à la grenade), un plat
traditionnel que l’on
déguste notamment
lors de la fête
de l’Indépendance,
le 16 septembre.
Alors qu’il y a dix
ans 10 000 paysans
cultivaient
ce condiment,
ils ne sont plus
que 120 aujourd’hui,
car 50 % des piments
consommés pendant
la saison viennent
de Chine ou de Corée.
“Depuis deux ans,
cette spécialité
a perdu son identité
nationale”, a affirmé
la présidente
de la Chambre
de l’industrie
de la restauration
mexicaine.
construction [officiellement, ils sont environ
100 000 actuellement] ; elle obtient en contrepartie des ressources naturelles africaines
comme du pétrole, du bois ou des minerais
[15 % de ses importations de minerais, selon
des sources chinoises]. Cette forme d’échanges
commerciaux est qualifiée par les médias occidentaux de “néocolonialisme”.
A ce sujet, pour faire taire les voix dénonçant l’expansion de la Chine en Afrique, Hu
Jintao, lors de sa visite en Afrique, n’a cessé de
répéter que la Chine était “attachée à une voie
de développement pacifique”, qu’elle cherchait
à étendre ses relations diplomatiques dans une
démarche “de paix, de développement et de coopération” et qu’elle “ne [constituait] pas une menace
pour qui que ce soit”. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Qin Gang, a de son
côté déclaré que l’intensification des relations
de la Chine avec l’Afrique est bénéfique pour
les deux parties et que, loin de constituer un
pillage, cela contribue au développement économique de l’Afrique.
DES MÉTHODES CHINOISES
QUI SERONT NÉFASTES À L’AFRIQUE
Il semble pourtant bien que la Chine marche
actuellement sur les pas des colonialistes occidentaux de jadis. Qui plus est, la puissance économique chinoise étant de plus en plus importante, les besoins et l’appétit de la Chine en
ressources naturelles dépassent désormais ceux
des anciens colons occidentaux. Les entreprises
chinoises commencent à investir à grande échelle
en Afrique, mais, les hommes d’affaires chinois
n’étant pas des modèles d’intégrité, ils apportent avec eux les méthodes de management chinoises : pots-de-vin, concussions, fraudes,
atteintes à l’environnement, etc. De ce fait, le
“pillage” de l’Afrique par la Chine ne peut
qu’avoir des conséquences encore plus graves.
L’augmentation continue des programmes
d’aide chinois se traduit par une consolidation
des liens de partenariat stratégique fondés sur
des “intérêts mutuels” entre la Chine et
l’Afrique. Quand la dépendance de l’Afrique
vis-à-vis de la Chine se sera encore accentuée,
le problème du “pillage” deviendra crucial. A
ce moment-là, une telle situation entraînera
forcément une riposte de la part des autorités locales et la théorie de la menace chinoise,
des “néocolonialistes”, aura à coup sûr le vent
en poupe.
Pan Xiaotao
ÉDITORIAL
“Un tas d’inepties”
L’organe du Parti communiste
chinois répond aux accusations
de “néocolonialisme” de la Chine.
es derniers temps, les médias occidentaux ont fait tout un foin à propos de l’aide et des prêts accordés par
la Chine à l’Afrique, affirmant que la
Chine, en proposant ces programmes,
encourageait la corruption dans les pays
africains. Des journalistes ont même
prétendu de façon inconsidérée que la
présence de la Chine en Afrique relevait
du “néocolonialisme” et cachait des
C
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
desseins inavoués. Ce tapage, sans
aucun rapport avec la réalité des faits,
reflète simplement leur aigreur. De telles
af firmations, inacceptables pour les
pays africains, ne sont pas non plus partagées par les chercheurs américains.
Contrairement aux pays occidentaux,
qui assortissent très souvent de conditions draconiennes l’octroi d’aides ou
de prêts, la Chine ne pose aucune condition préalable et son objectif est seulement d’aider en toute sincérité les
pays africains à sortir de la pauvreté et
à augmenter leur capacité de dévelop-
41
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
pement durable. En acceptant ces prêts,
les pays africains n’ont pas à sacrifier
leur souveraineté nationale ni la dignité
de leurs peuples.
Sur cette question, les pays africains
font preuve d’une grande lucidité, et de
nombreux hauts dirigeants africains ont
exprimé publiquement à différentes
occasions et par le biais de différents
canaux qu’ils étaient tout à fait favorables à l’aide et au financement chinois. Ces déclarations sincères constituent la meilleure réfutation qui soit du
raisonnement occidental fallacieux.
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Photos Guillermo G. Baltasar
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Javier Limón
MUSIQUE SANS FRONTIÈRES
Limón et sa tribu flamenca
EL PAÍS SEMANAL
Madrid
lan mondial, concept musical, maison de disques,
studio d’enregistrement… difficile d’expliquer
ce qu’est Casa Limón. Commençons par le plus
palpable. Dans le studio, il n’y a pas de “bocal”,
ni de consoles hérissées de curseurs et de boutons, ni
d’appareils dans tous les coins. C’est un espace austère, décoré en tout et pour tout de quelques objets
indiens. Un caprice du propriétaire, Javier López Limón.
“Je ne voulais surtout pas que ça ressemble à un endroit où
on vient signer un contrat. Ici, on éteint l’ordinateur et on se
relaxe, on réécoute ce qu’on a enregistré, on sort la bouteille de whisky, et ça finit parfois en fête.”
Né à Madrid il y a trente-trois ans, Limón a déjà
derrière lui une vie bien remplie. Il s’est retrouvé sans
père lorsqu’il était enfant, et a vu sa mère se lancer dans
des milliers de petits boulots pour maintenir la famille
à flot. Il a chanté dans la chorale d’une école jésuite,
à l’endroit même où la voiture de Luis Carrero Blanco
a explosé [le 20 décembre 1973, le chef du gouvernement franquiste meurt dans un attentat perpétré par
ETA], et a passé sa dernière année de lycée à NewYork,
où il avait emporté une guitare. “Ce qui impressionnait
les Yankees, c’était de m’écouter jouer un fandango comme
on le joue dans la région de Huelva, où ma mère est née”,
raconte-t-il. Le local et l’universel. “Je me suis rendu
compte que le langage musical espagnol le plus exportable
était le flamenco.” De retour en Espagne, il fait un bref
passage par l’université, où il entame des études d’agronomie. Mais il s’enfuit lorsqu’il s’aperçoit que le métier
C
Casa Limón n’est pas qu’une
maison de production.
C’est un objet musical non
identifié qui a dynamisé
le flamenco. Rencontre avec
son créateur, Javier Limón.
n’a rien de bucolique et consiste plutôt à engraisser des
animaux et à exploiter la terre de façon intensive. Il
décide alors de devenir chanteur de flamenco. Il échoue
au concours de Cante de las Minas [un grand festival de flamenco], mais continue à cultiver sa passion
dans le circuit international, plus modeste, avec beaucoup d’audace.“J’ai chanté du flamenco en italien sur
la place d’un village près de Rome, et même les grands-mères
pleuraient”, raconte-t-il. Il a également été cantaor en
Corée et à Porto Rico : “Les hommes de Porto Rico s’en
vont travailler aux Etats-Unis, mais les femmes restent sur
l’île. Et elles sont nombreuses. J’avais 20 ans, j’étais mince,
et j’avais l’impression d’être au paradis des musulmans.”
Dans les années 1990, Javier Limón compose pour
Estrella Morente, Remedios Amaya, Pepe de Lucía
et El Potito [tous ces artistes sont de grands noms du
flamenco]. Il est souvent déçu par le résultat final édité
sur disque. Alors, lorsque l’occasion de produire se pré-
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
42
sente, il la saisit. “Je ne voulais pas faire n’importe quoi
pour rester dans la musique, et je commençais à me décourager. Un jour, alors que j’étais dans l’AVE [l’équivalent du
TGV] pour Madrid, j’ai reçu un appel duWyoming : Diego
El Cigala avait été enregistré en direct pour le label 18 Chulos, et il ne sortait rien de bon de l’ordinateur. J’ai débarqué
au studio avec ma valise tellement j’avais hâte d’y être, et
j’ai vu que Diego n’avait pas été au meilleur de sa forme.
Comme le studio avait été réservé pour deux semaines, j’ai
proposé de faire de nouvelles sessions d’enregistrement.Depuis,
je n’ai pas arrêté.”
Produire du flamenco est loin d’être facile. Les
disques publiés par Limón en sont la preuve : ils sont
souvent courts et parfois ne contiennent même pas les
dix morceaux minimum censés figurer sur un disque
de musique populaire. “Le flamenco est une musique artisanale et très dense, s’irrite Limón. Il y a davantage d’idées
musicales dans un bon disque de flamenco, même s’il n’a
que sept morceaux, que dans cinq disques de pop ou de rap.
Le flamenco est baroque, il regorge de petits détails qui durent
quelques secondes mais qui t’occupent pendant des heures,
parfois des jours entiers. Le niveau d’exigence est extrêmement élevé.”
En production, il se revendique élève de Paco de
Lucía. “Il a été tellement encensé comme guitariste qu’on
oublie à quel point il est extraordinaire comme compositeur et producteur, ajoute-t-il. C’est un grand innovateur :
il a introduit les chœurs, imposé la claquette, et il travaillait
chaque piste.Avant lui, un 33-tours était bouclé en quelques
heures. Mais Paco réfléchissait, il prenait ce qu’il voulait
dans des prises différentes, faisant de l’édition avant qu’il
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n’y ait des ordinateurs. Un génie. J’ai marqué d’une pierre
blanche chaque jour que j’ai passé avec lui.” Il montre des
photos prises pendant son séjour chez Paco de Lucía,
à Cancún, où il a l’air d’un pirate rondouillard. Car
Javier Limón se bat contre l’obésité, même s’il pense
avoir perdu la partie. Moqueurs, les membres de sa
tribu flamenca l’appellent “Barriga Blanca” [“Ventre
blanc”]. Un surnom qu’il accepte avec stoïcisme : “Ce
que Jerry González [le trompettiste] n’a pas, moi je l’ai
en trop.” Le grand Jerry est aussi exquis sur scène qu’il
est peu engageant en dehors : “Jerry ressemble aux
méchants qu’on voit dans les films. Pourtant, comme il
n’avait pas d’hôtel quand il est arrivé à Madrid, je l’ai installé chez ma mère et ils sont devenus très amis.”
La mère de Javier est le “traiteur officiel” de Casa
Limón : “Quand on a une longue journée, elle nous apporte
des bons petits plats et les musiciens sont ravis.” Les Limón
travaillent en famille. La femme de Javier s’occupe de
la maison de disques et sa sœur cadette, Salomé, de
la technique. C’est elle qui a obtenu, entre autres, le
son superbe de Boomerang, le dernier disque du groupe
cubain Habana Abierta. Il s’agit d’ailleurs d’un cas
unique dans l’histoire du studio, car Casa Limón ne se
loue pas. Pour Javier, c’est son outil de travail et celui
des amis.
On touche là à la dimension collective de Casa
Limón. “Je ne fais pas les derniers mixages ici, explique
le producteur. Je vais dans des studios équipés de tables
appropriées à chaque musique. Ce qu’on fait, ici, c’est mélanger les personnes. Mais ce n’est pas de la fusion ou du métissage, c’est un dialogue entre des musiques et des personnes.”
Résultat : dans Lágrimas Negras, Javier Limón a réuni
des Gitans et des Cubains sous la houlette de Bebo Valdés et d’El Cigala ; dans El Cantante, Andrés Calamaro
a enregistré pour la première fois sans rockeurs ; Niño
Josele a fait un disque où il reprend des morceaux du
pianiste Bill Evans et où des musiciens flamencos collaborent avec des jazzmen ; Antonio Serrano a adapté
des compositions d’Astor Piazzolla pour l’harmonica ;
et l’une des dernières productions de la maison Limón
est un disque où Calamaro chante des tangos avec Josele
et un autre grand, Juanjo Domínguez.
La ligne de travail de Casa Limón se fonde sur ce
que son producteur appelle la “big music”. Ses yeux
brillent lorsqu’il en parle. “Les ‘grandes musiques’ sont
celles qui ont une appellation d’origine, mais qui, en même
temps, ne connaissent pas de frontières. Ce sont bien entendu
le jazz et le blues, mais aussi la bossa nova, le tango, le fado,
le són, le flamenco. Elles ne se démodent jamais, on les écoute
sur tous les continents. Elles ne se vendent peut-être pas beaucoup, mais elles représentent un reproche constant à la superficialité de la musique commerciale. Combien de millions de
disques a vendu Operación Triunfo [équivalent de la Star
Academy] ? Personne ne les écoute plus aujourd’hui. En
revanche, on peut aller n’importe où dans le monde, et les
musiciens, les artistes de toutes disciplines, les gens qui ont
du goût connaissent Lágrimas Negras.Et il y a mille disques
qui suivent le même chemin. Il n’y a pourtant aucun mystère dans ce que nous faisons ! C’est comme le riz et les haricots noirs, les œufs et le bacon… Nous marions le jazz, le
són, le boléro, le flamenco, mais sans diluer leurs essences.”
Il n’y aura pourtant pas de Lágrimas Negras II.
“Lágrimas Negras est né de la rencontre entre le savoir de
Bebo et l’innocence de Diego, qui chantait quelque chose de
complètement nouveau pour lui, précise Javier. Je ne sais
pas si on peut recréer cette émotion.” Il ne confirme pas et
ne nie pas non plus les rumeurs selon lesquelles l’égocentrisme et la pingrerie ont troublé la naissance de
Lágrimas Negras. Dans le monde du flamenco, personne ne dit de mal de personne en public : tous sont
des génies, des artistes avec un grand A.
Selon Javier Limón, le flamenco manque d’ambi-
tion, de confiance en lui. “On se retrouve avec des mômes
qui s’inspirent de ce que Sting, Miles Davis et Lenny Kravitz ont de pire, s’emporte-t-il. Putain, s’il faut des modèles,
que ce soit Bach, Schoenberg ou Falla. Avec Calamaro,
on est allés voir Lenny Kravitz à Buenos Aires. On n’a pas
tenu longtemps. Il faisait plus faux que ces Rolex qu’on vend
dans la rue. On s’est enfuis vers San Telmo [un quartier de
la capitale argentine] et on est tombés sur un bar flamenco.
Un groupe très correct de jeunes de Buenos Aires y jouait un
peu de tout, de Manzanita à Camarón, et on a fini par
monter sur scène avec eux. J’ai pris une guitare et Andrés
a chanté Estadio Azteca, qui est un véritable hymne làbas. Imagine ce que ça a donné.” Il réfléchit un instant,
puis poursuit : “Faire de la musique est ce qu’il y a de plus
grand. C’est encore mieux que de s’envoyer en l’air. Il y a
eu un moment dans ma vie, pendant peut-être deux ans, où
j’ai enchaîné les enregistrements sans m’arrêter, dimanches
et Noël compris. Jusqu’au jour où j’ai décidé que je devais
aussi m’occuper de ma famille.” Quand son fils lui a dit,
en montrant un piano : “Regarde, papa, un Bebo.”
C’est le moment de l’examen de conscience : “J’ai
fait beaucoup d’erreurs. Parce que je voulais apprendre, sortir du lot, j’ai produit des disques confus. Avec Fernando
Trueba, j’ai appris qu’un disque est
■ Discographie
comme un film :il faut un scénario clair
Le label travaille
et un enchaînement logique. Personne
avec quelques-uns
ne supporterait un film d’horreur avec
des meilleurs
des scènes comiques, des numéros musimusiciens et
caux et des séquences pornos. L’idée de
chanteurs
Lágrimas Negras tient en une seule
de flamenco actuels,
phrase que tout le monde peut comPaco de Lucía ou
prendre.” La référence numéro un
Niño Josele, Montse
de Casa Limón montre pourtant
Cortés ou El Potito,
une grande variété de styles. Dans
et mélange
les genres en
Limón (Sony-BMG), l’unité est
produisant, entre
créée par le répertoire. Toutes les
autres, Sencilla
chansons sont signées Javier Limón.
Alegría, le dernier
“C’est un catalogue de possibilités, un
disque de Luz Casal,
annuaire de ceux qui font Casa
celui du rocker
Limón : les artistes qui ont enregistré
argentin Andrés
avec moi, Paco, Jerry, Potito, Bebo,
Calamaro, Tinta
Andrés, David Broza, Guadiana,
Roja, ou, très
Montse Cortés, et les filles pour qui j’ai
récemment, Mi Niña
travaillé en 2005, l’Afro-Majorquine
Lola, le nouvel album
de la chanteuse
Concha Buika et La Negra.”
espagnole d’origine
Mais ce qui enflamme le plus
guinéenne Concha
Javier Limón, c’est de parler des
Buika.
ponts secrets entre les cultures. Des
ponts humains, comme les Gitans réduits en esclavage
et exilés à Cuba qui ont fini à Matanzas, la ville où
est née la rumba afro-cubaine. “Lorsque j’ai appris ça,
explique-t-il, j’ai compris ce que voulait dire Bebo, qui n’arrêtait pas de répéter qu’il y a toujours eu des mélodies flamencas dans le guaguancó.” En ce moment, il est fasciné par les similitudes entre les haïkus japonais et les
chansons flamencas. S’agirait-il d’un legs des voyageurs
nippons qui se sont installés à Coria del Río, près de
Séville, au début du XVIIe siècle ? Les recherches devront
attendre. Limón doit s’envoler pour l’Argentine pour
réaliser avec Calamaro la bande sonore de Bienvenido
a casa [Bienvenue à la maison], la dernière comédie de
David Trueba, et terminer le disque de tango. “Je crois
que ça va être quelque chose d’important, dit-il. Andrés a
rendu le tango à la rue, il l’a débarrassé de sa prétention.”
Buenos Aires lui offre quantité de moments magiques :
“Juanjo Domínguez nous a invités dans sa petite propriété,
au sud de la ville. Il a sorti sa guitare,Andrés a commencé
à chanter, et moi j’ai enregistré. Sur la bande, on entend les
bruits de la campagne, sa femme qui prépare le repas, mais
on va l’utiliser dans le disque. Ce sera le premier CD où,
si on écoute bien, on pourra sentir une odeur de barbecue.”
Antonio Serrano
Concha Buika
Jerry González
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
Diego A. Manrique
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re p o r t a ge
●
DANS LE FIEF DE KIRSAN ILIOUMJINOV
Le prince des échecs est kalmouk
Milan
eninskaïaa plochtchad – la place Lénine – se situe
au centre d’Elista. C’est de cette place que commence la prospekt Chakhmatov, l’avenue des Echecs,
qui longe le monument du joueur d’échecs avant
de continuer en direction du sud-ouest, vers le Daghestan et la Tchétchénie, à travers l’aride steppe kalmouke.
Elista est la seule capitale au monde qui possède une
avenue dédiée au jeu d’échecs. Et son gouverneur, le
milliardaire Kirsan Ilioumjinov, est également le président de la Fédération internationale des échecs
(FIDE). Le jeu des échecs est la raison d’être de cette
minuscule République de l’absurde. En Kalmoukie, les
échecs sont enseignés à l’école et imposés à tous, qu’ils
soient enfants, commerçants, retraités ou femmes au
foyer. Ilot bouddhiste coincé entre des républiques
musulmanes et orthodoxes, la Kalmoukie est protégée
et reste à l’écart de ses turbulents voisins grâce à l’étendue aride et vide de la steppe, peuplée de brebis et de
chameaux. Elle est l’une des trois républiques bouddhistes russes, avec la république de Touva et la république de Bouriatie. D’une superficie comparable à celle
de l’Ecosse, mais avec une population quatre fois moins
importante que celle de Milan, le pays est dirigé par
l’un des gouverneurs les plus autoritaires de la Fédération russe. Les Kalmouks, peuple mongol venu de
Chine et des steppes du Kazakhstan, sont fiers d’être
les seuls représentants de la culture asiatique en Europe.
Lorsqu’il fut élu, en 1993, Kirsan Ilioumjinov était
le plus jeune président élu de l’Histoire. Aujourd’hui
âgé de 43 ans, il a conservé la même allure estudiantine et le même physique de jeune homme longiligne,
maigre et boutonneux. Les gens du peuple l’appellent affectueusement par son prénom. Grâce à lui, les
échecs ne sont pas seulement un simple jeu, mais l’expression de l’âme du pays, le passe-temps national et
l’emblème du drapeau de la République. Personne
ne saurait dire si on jouait aux échecs avant l’élection
d’Ilioumjinov, mais les habitants d’Elista affirment qu’ils
étaient déjà populaires à l’époque soviétique. Ilioumjinov a été élu président de la FIDE parce qu’il avait promis que sa ville serait la capitale mondiale des échecs
et qu’il serait, lui, le porte-parole du jeu d’échecs dans
le monde. Aussitôt dit, aussitôt fait. Ilioumjinov a
façonné la Kalmoukie à l’image des échecs, et a transformé ses sujets en ambassadeurs zélés des échecs dans
le monde. Dans la Fédération russe, douze champions
d’échecs sur vingt sont originaires d’Elista. Sur le site
officiel de la FIDE (<www.fide.com>), on peut télécharger l’autobiographie d’Ilioumjinov, The President’s
Crown of Thorns [La Couronne d’épines du président],
dans laquelle il explique sa vision du monde. Les échecs
sont devenus hobby national par décret présidentiel.
L
plus célèbre grand maître du XVIIIe siècle, qui ouvre
le bal. Puis c’est au tour de l’Américain Paul Morphy
et de tous les grands joueurs contemporains, de Bobby
Fischer à Garry Kasparov. Naturellement, Ilioumjinov
figure en bonne position, sourire radieux en prime. En
ce samedi après-midi, le musée des Echecs de la City
Chess organise les épreuves de sélection pour le tournoi d’échecs provincial, une compétition intergénérationnelle au cours de laquelle s’affronteront des enfants
de moins de 10 ans et des octogénaires. On nous montre
un petit garçon en veste à carreaux, chemise et cravate
ficelle. “C’est le nouveau Kasparov”, affirme l’un des
surveillants du tournoi. Izav, 9 ans, est sérieux comme
un pape. Mais, pour la Kalmoukie, il est impossible de
vivre uniquement des échecs. Voilà pourquoi l’autre
passe-temps du jeune président est la religion. Les rues
d’Elista sont couvertes d’images représentant Kirsan
Ilioumjinov étreignant des chefs religieux du monde
entier, toutes religions confondues : juifs, chrétiens
Caroline Poiron/fedephoto
DIARIO
Les règles du jeu sont enseignées à tous les enfants,
sans exception, dès la maternelle et l’école primaire.
“Mais seuls les élèves les plus prometteurs sont envoyés dans
des écoles spéciales”, explique le responsable d’un bureau
de l’immeuble de la City Chess. Tout Kalmouk veut
s’assurer que les touristes en visite à Elista ne partiront
pas sans avoir vu au moins vu la City Chess, un quartier composé de petits pavillons blanc, rose et bleu ciel,
chacun disposant de sa place de parking, de sa poubelle, de son interphone et, souvent, d’une grande
plaque en métal avec le nom du propriétaire. Il a été
construit pour accueillir les XXXIIIes Jeux olympiques
mondiaux des échecs, en 1998, comme le montrent les
affiches publicitaires décolorées qui couvrent encore
les murs de la ville. Critiquée lors de sa construction,
en pleine crise financière d’août 1998, la City Chess
est considérée aujourd’hui avec plus de clémence, dans
la mesure où elle a permis de faire connaître Elista dans
le monde entier. Les rues sont dédiées aux tours, aux
Caroline Poiron/fedephoto
La Kalmoukie, république
bouddhiste du nord-ouest de la
Caspienne, est régentée par un
milliardaire qui a fait des échecs
une quasi-religion d’Etat.
rois et aux dames de l’échiquier, les lampadaires sont
ornés de fantaisies bouddhistes, et les ruelles disposées
en éventail donnent directement sur l’étendue déserte
de la steppe. Comme il n’y avait pas assez d’argent,
la City Chess est restée inachevée… Ce quartier se situe
à quelques kilomètres du centre de la ville. Dès qu’on
s’en approche, les rues se vident. Les habitants sont
rares, car les prix de l’immobilier sont trop élevés. La
City Chess est devenue le quartier huppé de la capitale. Des hôtels et des ministères ont pris place dans
ses maisons bleues et blanches. Le restaurant branché est le Flamingo, un bâtiment rose où l’on rencontre
des hommes d’affaires à n’importe quelle heure de la
journée. La nuit, le Flamingo se transforme en discothèque, dont la piste de danse est un gigantesque échiquier. Et, quand on ne danse pas, on y organise d’immenses parties d’échecs. Au milieu de la place de la
Dame-Noire, se dresse le Palais des échecs, qui abrite
le musée des Echecs, des restaurants et des bars, ainsi
que des salles où se déroulent des tournois d’échecs.
Les visiteurs sont accueillis par quatre échiquiers géants
avec des pièces de 1 mètre de haut. Les jeunes couples
kalmouks se font photographier à côté des tours et des
fous. Le hall de l’immeuble est recouvert des portraits
des plus grands joueurs d’échecs de tous les temps.
C’est le Français François-André Danican Philidor, le
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44
et, bien sûr, bouddhistes. Il y a trois ans, on pouvait voir
ses portraits à chaque carrefour, ici dans les bras du
pape, là dans ceux d’un rabbin. Aujourd’hui, la plupart
ont été enlevés. La ville compte des dizaines de petits
temples bouddhistes, dont le dernier en date est situé
place Lénine. La statue du père de la Révolution a
d’ailleurs été reculée de quelques dizaines de mètres
pour faire place à un nouveau monument bouddhiste.
Mais il n’est pas question de faire disparaître totalement Lénine. La légende raconte que son grand-père
était kalmouk, et tous les habitants d’Elista considèrent
Vladimir Illitch Oulianov comme l’un des leurs. Mais
toutes les statues d’Elista ne sont pas des symboles religieux : en témoigne Ostap Bender, héros mythique du
roman Les Douze Chaises [d’Ilf et Petrov, 1928], un
joueur d’échecs comme par hasard… Dans la banlieue
de sa capitale, Ilioumjinov vient de faire construire ce
que l’on considère ici comme “le plus grand temple bouddhiste d’Europe”, un bâtiment aussi grand qu’une montagne, trois fois plus haut que les pavillons des alentours. “Nous sommes presque aussi fiers de ce temple que
de la City Chess”, explique un chauffeur de taxi avec
enthousiasme, “notre Kirsan fait connaître la Kalmoukie
dans le monde entier”. Mais, surtout, pour ses fidèles de
Kalmoukie, Kirsan est devenu mythique le jour où il a
fait venir le dalaï-lama à Elista. La dernière visite du
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0
Moscou
km
F É D É R AT I O N
500
TOUVA
DE RUSSIE
BOURIATIE
KAZAKHSTAN
KALMOUKIE
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Astrakhan
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Novorossisk TCHÉTCHÉNIE
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GÉORGIE
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DAGHESTAN
45
Caspian Pipeline
Consortium
Tenzig
OUZB.
Courrier international
chef des Tibétains en Russie remontait à 1993 et, depuis,
aucun visa ne lui avait été accordé. Ilioumjinov a réussi
à le faire venir en Kalmoukie. Grâce à Vladimir Poutine, le dalaï-lama a obtenu un visa spécial de quelques
heures, pas trop long pour ne pas inquiéter le grand
partenaire chinois, mais suffisant pour une courte visite,
de nuit et sans aucune publicité, au cours de laquelle
il a eu le temps de bénir le lieu où sera construit “le plus
grand temple bouddhiste d’Europe”. Pour voir le dalaïlama, les gens ont accouru des quatre coins du pays et
des républiques de Touva et de Bouriatie. “Qu’est-ce
qu’il est fort, notre Kirsan : il n’y a que lui pour réussir à
faire venir le dalaï-lama en Kalmoukie”, lance Valentina,
fervente croyante et femme de ménage du monastère
de Khouroul. La visite du chef spirituel bouddhiste a
souvent été interprétée comme une mission politique :
les relations entre Poutine et Ilioumjinov sont difficiles
à comprendre, mais Moscou se montre cependant compréhensif envers Elista. Alors qu’on voit de nombreuses
affiches représentant Ilioumjinov avec les chefs religieux
du monde entier, il n’y en a aucune avec le président
russe. A Elista,Vladimir Poutine est un parfait inconnu.
Sa visite, en juin 2005, s’est déroulée dans l’anonymat
le plus complet, sans bain de foule ni manifestation de
bienvenue. Ilioumjinov défie constamment l’autorité
de Moscou, qu’il accuse d’ingérence économique et
politique, allant pratiquement jusqu’à menacer de créer
une mystérieuse “Constitution de la steppe” qui se substituerait à la Constitution de la Fédération russe. Cela
ne l’a pas empêché de recevoir, en 2005, une nouvelle confirmation de sa fonction de président, ou plutôt de glava, “chef” en russe. Dans la capitale kalmouke,
tout le monde s’attendait à ce qu’Ilioumjinov soit
confirmé à son poste et, dans la ville, on raconte qu’il
aurait dépensé 5 millions de dollars pour être réélu.
Seul Nikolaï Ochirov, unique député indépendant du
Parlement kalmouk, se montre réservé. “Cette nomination ne signifie qu’une seule chose, à savoir que Poutine
n’est pas libre de faire ce qu’il veut”, affirme-t-il. Pourtant, dans les rues de la capitale, tout le monde semble
soutenir le jeune autocrate. Rares sont ceux qui osent
le critiquer ouvertement. Mais il suffit de parcourir les
journaux des années précédentes pour comprendre que
le soutien de la population masque un sentiment de résignation envers une situation impossible à modifier.
En 2002, après la réélection d’Ilioumjinov au poste
de président, puis dans le courant de 2003, après les
élections à la Douma, la frêle opposition kalmouke était
descendue dans la rue pour protester. La manifestation
la plus importante a eu lieu en septembre 2004, donnant lieu à 89 arrestations – un record. Le mouvement
protestataire fut ensuite étouffé par les forces de sécurité. La visite du dalaï-lama, quelques mois plus tard,
dont rêvait la population kalmouke depuis une dizaine
Vo
lga
Zavrazhin Konstatin/Gamma
Caroline Poiron/fedephoto
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d’années, est tombée à pic. Ilioumjinov a obtenu de nouveau l’approbation de son peuple et la situation
s’est stabilisée. Un grand merci au
Kremlin.
Les critiques les plus importantes à l’égard d’Ilioumjinov portent sur sa gestion de l’économie
nationale. Un Russe ayant choisi de
vivre à Elista dit de lui qu’il est corrompu et enclin au népotisme. Il
montre dans les rues tous les supermarchés, les bowlings, le billard,
l’IKEA local ou les cabinets d’assurances qui ont des liens avec sa
personne ou certains de ses fidèles.
Nikolaï Ochirov assure que l’ensemble de l’économie dépend du
pouvoir personnel d’Ilioumjinov, et
il l’accuse d’avoir fait de la Kalmoukie son fief personnel. “Sans
son autorisation, on ne peut rien posséder en Kalmoukie”, insiste-t-il. A
Les échecs,
Elista, le salaire moyen s’élève à
raison d’être
60 euros par mois environ. Il n’y a
de la Kalmoukie.
pas d’industries et aucune entre La City Chess
prise étrangère n’est prête à invesà Elista,
tir. L’idée de faire de la Kalmouet la place Lénine.
kie un nouveau Koweït – c’était le
Visite du dalaislogan avec lequel Ilioumjinov s’était
lama, accompagné
présenté à l’élection, en 2000 – est
des présidents
oubliée, même dans les rêves de ses
kalmouk et russe.
défenseurs les plus acharnés. Pourquoi le Koweït pour modèle ? Parce que, d’après les
études kalmoukes, la République possède autant de
pétrole que ce pays. Ces théories sont confirmées par
le vice-ministre de l’Energie.Valeri Viktorovitch Badmakhalgaev explique en effet qu’il prévoit la mise en
œuvre de grands projets d’étude pour évaluer les
énormes réserves pétrolières encore inexplorées. L’oléoduc CPC (Caspian Pipeline Consortium) traverse toute
la Kalmoukie. Il transporte le pétrole kazakh du gisement de Tengiz jusqu’au port de Novorossisk, sur la
mer Noire, où il est embarqué pour rejoindre les centrales thermiques de toute l’Europe. “Jusqu’à présent,
l’oléoduc ne transportait que du pétrole kazakh, mais il
va bientôt devoir desservir également les gisements kalmouks”, assure le ministre. Les bénéfices liés au passage du CPC vont entièrement au budget central russe,
ce qui ne satisfait pas du tout la Kalmoukie. Un autre
projet ambitieux concerne la construction du port de
Lagan, sur la mer Caspienne. Le projet prévoit le déblocage de plusieurs millions de dollars, et la date de réalisation du port est prévue pour 2007. “Ce délai vous
semble trop court ?” demande le ministre sur un ton irrité.
“N’oubliez pas qu’Ilioumjinov a fait construire la City Chess
en deux ans, et le nouveau monastère en douze mois.” La
Kalmoukie possède une main-d’œuvre nombreuse et
bon marché. Un grand nombre de travailleurs viennent
du nord du Caucase, de pays comme le Daghestan ou
la Tchétchénie. Des hommes qui ont fui leur maison
pour chercher, dans cette enclave bouddhiste, un havre
de paix à offrir à leur famille. Les Kalmouks sont des
gens hospitaliers. Ils se disent satisfaits de cette présence, même s’ils considèrent les étrangers comme responsables de l’augmentation des prix dans le pays,
notamment dans l’immobilier. Margherita Belgiojoso
* En français dans le texte.
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débat
●
INTOX ET MISES EN SCÈNE DE GEORGE W. BUSH
Le plus grand bobard de l’Histoire
Comment la Maison-Blanche a-t-elle pu falsifier à ce point les faits sur la guerre d’Irak ?
Pourquoi la presse de référence a-t-elle relayé la propagande du gouvernement ? Ces questions
sont au cœur de The Greatest Story Ever Sold, le livre du journaliste Frank Rich.
THE NEW YORK TIMES BOOK REVIEW
New York
■
Frank Rich
Ce journaliste de
57 ans a longtemps
été le principal
critique de théâtre
du New York Times.
Depuis le printemps
dernier, il publie
chaque dimanche
une longue
chronique, souvent
percutante, où il
analyse l’actualité
sous l’angle des
rapports entre
politique et culture
populaire.
■
Ian Buruma
Né en 1951
à La Haye d’un père
néerlandais et d’une
mère britannique, ce
spécialiste reconnu
de l’Asie a vécu
de longues années
au Japon puis
à Hong Kong.
Il est aujourd’hui
professeur de
démocratie, droits
de l’homme et
journalisme au Bard
College, dans l’Etat
de New York.
Son dernier livre
traduit en français,
L’Occidentalisme,
une brève histoire
de la guerre contre
l’Occident, écrit en
collaboration avec
Avishai Margalit,
vient de paraître
aux éditions Climats
(voir CI n° 723 du
9 septembre 2004).
n tant qu’ancien critique théâtral, Frank
Rich est particulièrement bien placé pour
parler de l’administration Bush, qui a tant
fait pour brouiller la frontière entre politique et spectacle. Certes, on n’a pas affaire à un
cas isolé : on pense notamment à Silvio Berlusconi, le magnat des médias passé maître dans
l’art de la fiction politique, ou encore à Ronald
Reagan, qui avait souvent bien du mal à faire
la différence entre la vie réelle et le cinéma. Le
sens du spectacle a toujours été une caractéristique essentielle des gouvernants, de même
que le recours à la fiction, notamment quand
il s’agit d’entrer en guerre. Qu’aurait été Hitler
sans les élucubrations barbares dont il abreuvait
un public avide par le biais de spectacles grandioses, de la radio et du cinéma ? Plus près de
nous, aux Etats-Unis, pour justifier l’intervention au Vietnam, le président Lyndon B. Johnson avait invoqué en 1964 une attaque dans le
golfe du Tonkin, qui, en fait, n’avait jamais eu
lieu. Mais le plus remarquable, sous la présidence
de George W. Bush, c’est que les conseillers en
communication, les colporteurs de fausses informations, les organisateurs de mises en scène destinées aux photographes, les experts en désinformation, les manipulateurs du renseignement,
les héros de fiction et les chargés de relations
publiques jouant aux journalistes opèrent dans
un monde où la réalité virtuelle est en passe
d’éclipser l’enquête empirique.
Souvenez-vous de ce conseiller de la Maison-Blanche, cité par Frank Rich, qui a déclaré
qu’une “étude judicieuse de la réalité perceptible”
ne correspondait plus à “la manière dont le monde
fonctionne aujourd’hui”. Le milieu des “professionnels de la réalité”, à savoir la presse écrite et
télévisée, disait-il, est hors du coup et n’a plus sa
place dans “un empire”où “nous créons notre propre
réalité”. Bien sûr, une telle arrogance officielle
n’est pas nouvelle, même si elle sans doute plus
le propre des dictatures que des démocraties. Ce
qui est inquiétant, c’est qu’elle va dans le même
sens que tant d’autres phénomènes actuels : le
déboulonnage postmoderne de la vérité objective, les blogueurs et les grandes gueules des talk
radios [radios d’opinion] qui montrent la voie
aux médias, les entreprises de presse rachetées
par des groupes de divertissement, les moyens
toujours plus nombreux et perfectionnés de la
manipulation de la réalité.
Le sujet de Rich est la création d’une réalité
falsifiée. Son livre, The Greatest Story Ever Sold*
[Le plus gros bobard qu’on nous ait jamais
vendu] n’est pas un ouvrage d’analyse politique
E
ou géopolitique. Il ne s’attarde guère sur les arguments pour ou contre l’éviction de Saddam Hussein, sur les conséquences de l’intervention militaire américaine au Moyen-Orient ou sur la
menace de l’extrémisme islamiste. L’auteur, éditorialiste au NewYork Times, a sur ces questions
un point de vue de gauche qui n’a rien de très
original. Il se trouve que je suis d’accord avec
lui sur le fait que George Bush et [son conseiller
politique] Karl Rove ont joué sur les peurs et le
patriotisme pour gagner les élections. Et je suis
également convaincu que [le vice-président]
Dick Cheney et ses supporters néoconservateurs étaient partisans d’une guerre en Irak longtemps avant les attentats du 11 septembre 2001.
Rich a-t-il raison d’affirmer que le “terrorisme
apatride d’Al-Qaida” n’avait pas grand-chose
à voir là-dedans ? C’est discutable. Les “néocons” ont très bien pu croire qu’une redistribution des cartes au Moyen-Orient était le
meilleur moyen de lutter contre le terrorisme.
Ils se sont trompés, cela ne fait guère de
doute. Mais la thèse de Rich, c’est que l’administration Bush a menti d’un bout à l’autre : sur
les causes de la guerre, sur la façon dont elle a
été conduite et sur ses terribles conséquences. Il
peut être légitime de renverser un dictateur, mais
faire la guerre sous de faux prétextes ne peut que
nuire à la démocratie, a fortiori quand l’un des
Un nouveau type
d’information :
l’infopropagande
buts affichés est de démocratiser d’autres pays.
Si Rich a raison, ce que je crois, le gouvernement
Bush a atteint des sommets rarement égalés dans
le domaine de l’hypocrisie.
Voici comment on nous a vendu la guerre.
Fin 2001, Dick Cheney nous a dit que le lien
entre l’Irak et Mohamed Atta, l’un des terroristes du 11 septembre, était “tout à fait avéré”.
A l’été 2002, il a déclaré que Saddam Hussein
persistait à “vouloir se doter de l’arme nucléaire”
et qu’il ne faisait “aucun doute” qu’il possédait
des “armes de destruction massive” (ADM). Le
vice-président a fait allusion à des tubes d’aluminium (Michael R. Gordon et Judith Miller
en avaient parlé dans le New York Times), que
Saddam Hussein comptait utiliser “pour enrichir de l’uranium afin de fabriquer une arme
nucléaire”. Cet uranium, nous a-t-on dit, les Irakiens se l’étaient procuré au Niger. Le prési-
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dent Bush a déclaré en octobre 2002 : “Devant
la montée des périls, nous ne pouvons nous permettre
d’attendre la preuve définitive qui pourrait se présenter sous la forme d’un champignon atomique.”
Nous savons aujourd’hui qu’il n’y avait pas
une once de vérité dans ces affirmations. Elles
n’en ont pas moins justifié l’entrée en guerre.
Les excuses ultérieures – le gouvernement aurait
été trompé par des informations erronées émanant des services de renseignements – auraient
été plus convaincantes s’il n’y avait pas eu divulgation d’une note du gouvernement Blair. Le
chef des services spéciaux britanniques y affirmait que l’administration Bush avait fait en sorte
que “le renseignement et les faits” concernant
les ADM “cadrent avec la décision” d’entrée en
guerre. Ses propos dataient de juillet 2002, soit
huit mois avant l’invasion de l’Irak.
ourtant – et c’est là que l’analyse de Rich
est particulièrement pertinente –, les journaux les plus sérieux ont publié les affirmations de la Maison-Blanche en une, reléguant les questionnements en dernière page, au
milieu des brèves. Des hebdomadaires politiques
plutôt progressistes, comme The New Republic,
ont abondé dans le sens du très néoconservateur
Weekly Standard, assurant que le président se
rendrait coupable de “défaitisme dans la guerre
contre le terrorisme international” s’il ne s’efforçait
pas de renverser Saddam Hussein. Bob Woodward, le pourfendeur de l’admnistration Nixon
[c’est lui qui a révélé l’affaire du Watergate en
1972 dans The Washington Post], a écrit Bush at
War, un ouvrage dans lequel il semblait prendre
pour argent comptant tout ce que lui avaient dit
ses sources de la Maison-Blanche. [Le même
Woodward publie ces jours-ci chez Simon &
Schuster State of Denial: Bush at War III (L’état
de déni : Bush en guerre), où il critique sévèrement le président.]
Dès que les combats ont commencé, le
spectacle s’en est mêlé. Déjà, en Afghanistan,
le producteur hollywoodien Jerry Bruckheimer
avait été autorisé à accompagner les troupes
afin de réaliser une série télévisée sur la
vaillance américaine, alors que les journalistes,
notamment ceux du Washington Post, étaient
maintenus à l’écart. En Irak, des histoires édifiantes, comme l’héroïque bataille de la soldate
de première classe Jessica Lynch, ont été inventées de toutes pièces et formatées pour la
presse, et ceux qui ont dénoncé la supercherie
ont été traités de mauvais coucheurs et de “gauchistes”. Le président Bush s’est habillé comme
Tom Cruise dans Top Gun et a atterri sur un
porte-avions, le temps de déclarer la victoire
devant les caméras. Et la presse, dans son
P
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sacrément culotté de la part d’un gouvernement qui promeut ses messages directement
auprès des animateurs radio et des agents de
relations publiques. Rich en donne de nombreux
exemples. L’un des plus frappants est celui de
Dick Cheney apparaissant sur un plateau de télévision en compagnie d’Armstrong Williams, un
faux journaliste rémunéré par la Maison-Blanche,
pour se plaindre de la partialité de la presse.
Quand l’un des détracteurs les plus crédibles de
l’administration Bush n’est autre que John Stewart, animateur d’une excellente émission
comique, quelque chose ne tourne pas rond.
C’est dans son Daily Show que Rob Corddry,
un acteur jouant le rôle d’un journaliste, déplorait de ne pas arriver à suivre le gouvernement,
car il avait créé “une catégorie entièrement nouvelle
de fausses informations – l’infopropagande”. Rich
a raison : “Plus le vrai journalisme faisait mal son
travail, plus il était facile à cette infopropagande gouvernementale de combler le vide.”
De gauche
à droite : Karl Rove,
George Bush
et Dick Cheney.
Dessin de Ray
Bartkus paru dans
The New York
Times Book
Review, Etats-Unis.
■
l y a peut-être une autre raison à cette dérive :
les méthodes de travail classiques de la presse
américaine, avec son obsession des citations
et de l’accès aux sources. Aux Etats-Unis, un
bon journaliste doit avoir des sources dignes
de foi et des citations qui donnent les différents
points de vue sur le sujet traité. Son expertise est
négligeable. Si les opinions des éditorialistes
comptent trop dans la presse américaine, les
connaissances des journalistes sont notoirement
sous-exploitées. Le problème, c’est qu’il n’y a
pas toujours deux ou plusieurs points de vue sur
un même sujet. Quelqu’un qui aurait rendu
compte de la persécution des Juifs en Allemagne
en 1938 n’aurait pas cherché à donner un “autre
éclairage” en citant Goebbels. Par ailleurs,
comme Judith Miller l’a appris à ses dépens, à
quoi bon des citations si, à la base, les informations sont fausses ? [Cette journaliste vedette
du New York Times a relayé à plusieurs reprises
les fausses informations de la Maison-Blanche
sur les armes de destruction massive irakiennes.
Elle a démissionné en novembre 2005.]
Bob Woodward, l’une des principales bêtes
noires de Rich, a beau avoir plus qu’aucun autre
journaliste ses entrées à Washington, la faiblesse
de son travail tient au fait qu’il n’a jamais l’air
meilleur que ses sources. Comme le souligne
Rich à juste titre, “des journalistes qui n’avaient
pas les contacts d’un Woodward ou d’une Miller au
sein de l’administration non seulement ont obtenu les
bonnes informations sur l’Irak mais ils les ont publiées
rapidement, en faisant appel à ce que John Walcott,
le chef du bureau de Washington du groupe Knight
Ridder, appelle les ‘sources prolo’, situées à des échelons inférieurs de la hiérarchie.” Il fut un temps où
Woodward travaillait lui aussi de cette façon.
Crainte de perdre ses sources haut placées, surestimation de l’importance des déclarations des
puissants, terreur injustifiée d’être accusé de parti
pris de gauche : tout cela paralyse la presse à un
moment où elle est plus indispensable que jamais.
Frank Rich est un excellent produit de cette
presse et, si jamais elle restaure sa réputation, ce
sera en partie grâce à cet homme qui en avait
plus qu’assez.
Ian Buruma
I
ensemble, a mordu à l’hameçon. Comment at-on pu en arriver là ? Comment certains des
journaux les plus réputés et les plus sérieux du
monde anglophone ont-ils pu se laisser berner
à ce point ? Comment expliquer cette paralysie temporaire du sens critique ? Telle est
peut-être la question la plus douloureuse que
pose le livre de Frank Rich, d’autant que son
propre journal fait partie de ceux qui sont tombés dans le panneau. Le climat d’intimidation
qui régnait aux Etats-Unis après les attentats
du 11 septembre 2001 y est sans doute pour
beaucoup. Susan Sontag était devenue un objet
de haine nationale, juste pour avoir dit que
la politique étrangère des Etats-Unis avait peutêtre favorisé la flambée d’antiaméricanisme.
Quand [le ministre de la Justice] John Ashcroft
a déclaré devant le Sénat que ceux qui remettaient en question sa politique, pourtant très
critiquable, “[donnaient] des munitions aux ennemis des Etats-Unis”, il ne faisait que relayer les
discours des vociférateurs des talk radios. Mais
eux ne sont que des bouffons malveillants, alors
qu’Ashcroft était ministre de la Justice. Pas
étonnant, dès lors, que les grands journaux,
après avoir été constamment accusés de parti
pris de gauche, aient préféré se faire discrets.
Les journalistes ne devraient pas avoir à don-
ner des gages de leur patriotisme ou de leur
absence de parti pris. Leur travail consiste à
rendre compte de ce qu’ils croient être la vérité,
preuves à l’appui, en conscience. Comme le souligne Rich, des revues comme The Nation et The
New York Review of Books ont plus rapidement
vu clair dans le jeu du gouvernement que la
presse grand public. Et les journalistes du groupe
[de journaux régionaux] Knight Ridder ont compris la manipulation du renseignement avant
le NewYork Times.
L’intimidation n’explique pas tout. L’évolution des méthodes de collecte et de publication
de l’information ont mis les journalistes traditionnels sur la défensive. Le fait que les gens ont
plus que jamais la possibilité d’exprimer leur
point de vue dans des émissions de radio ou sur
Internet est peut-être une forme de démocratie,
mais cela a aussi pour effet de saper l’autorité de
journalistes dont l’expertise est censée faire office
de filtre contre les absurdités et les préjugés.
Et la confusion délibérée à la télévision entre
information et divertissement ne fait qu’aggraver les choses.
Les républicains, dans la mesure où ils sont
plus populistes que les démocrates, ont su
exploiter ce nouveau climat avec beaucoup plus
de finesse. Accuser les médias de parti pris est
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
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* The Greatest Story Ever Sold.The Decline and Fall of Truth
From 9/11 to Katrina (The Penguin Press, New York, 2006).
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
A la une
“Mensonge sur
mensonge. Comment
nos dirigeants
ont usé de la peur
et du mensonge
pour nous embarquer
par la duperie dans
un bourbier moyenoriental”, titre le
bimestriel américain
Mother Jones
dans son numéro de
septembre-octobre
2006. Pour son
30e anniversaire,
la publication
de gauche la plus
lue des Etats-Unis
a choisi de faire
la “chronique d’une
guerre annoncée”,
en montrant
comment, dès 1992,
l’actuel viceprésident des EtatsUnis Dick Cheney
et ses acolytes
avaient préparé
le terrain
à une future
intervention en Irak
et comment
“la vérité avait
succombé bien
avant l’invasion”.
■
A la une
A la suite de
l’histoire maquillée
de la soldate Jessica
Lynch, Courrier
international détaille
“Les mensonges
de Bush”
dans son édition
du 28 mai 2003.
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
49-52 courrier english
3/10/06
10:51
Page 49
Pendant cinq semaines, Courrier international se met
à l’anglais, tel qu’il s’imprime sur les cinq continents.
Un voyage en v.o. dans les presses anglophones.
in
English
For five weeks, practise your English with us!
Discover articles by English-speaking journalists
from all five continents – in their own words.
The World According To China
Beijing’s ambassador to the United Nations has begun to act as if he represents a very,
very powerful country.
James Traub
THE NEW YORK TIMES (excerpts)
New York
n late July, as the United
Nations Secur ity Council
argued long into the night over
the wording of a so-called presidential statement castigating/1 Israel
for the bombing attack that killed four
U.N. observers in southern Lebanon,
Wang Guangya, the Chinese ambassador, blew his stack/2. This was
almost unprecedented:Wang, a veteran diplomat, typically comports himself with unnerving/3 calm. But one
of the four fatalities had been Chinese, and Wang had grown increasingly frustrated with the refusal of the
United States to condemn Israel
outright for the bombing.Worse still,
the United States was represented not
by Ambassador John Bolton but by a
junior diplomat, a breach of etiquette
that Wang apparently took to be a calculated insult.
Without naming any countries
– he lost his temper, not his grip –
Wang lashed out/4 at “a tyranny of the
minority in the council” and vowed that
there would be “implications for future
discussions” on other subjects. Once
the meeting ended, Wang planted
himself before the U.N. beat reporters/5 and engaged in 10 minutes of
robust public diplomacy, complaining
that the presidential statement had
been “watered down/6,” observing in
several different formulations that “we
have to take into account the concerns of
other countries” and predicting that the
I
1/ Castigating To castigate appartient à un
registre lexical recherché et signifie “critiquer,
prononcer un réquisitoire”, bien que le terme
n’ait aucune connotation juridique.
2/ Blew his stack L’expression traduit le fait
de perdre son sang-froid et d’“exploser”.
3/ Unnerving “Intimidant”.
4/ Lashed out Le verbe to lash out évoque l’administration de coups de fouet. Lash désigne la
lanière du fouet. On en restera ici à un équivalent plus diplomatique : “s’en prendre violemment à”.
5/ Beat reporters Le terme beat désigne la
ronde effectuée par la police, alors que celle
du laitier (en Angleterre) ou du facteur est qualifiée de round. Le terme beat implique ici le fait
d’être en service commandé pour effectuer une
tâche routinière.
6/ Watered down “Edulcoré”.
“frustration” his country felt “will affect
working relations somewhat.”
It was a delicately calibrated performance. In an earlier era, when the
People’s Republic of China tended to
conduct diplomacy by tantrum/7, this
might have been the signal for a real
breach. But China cares too much
about the international order for such
revolutionary shenanigans/8.
Actually, in an earlier era Chinese
nationals would not have served in an
observer mission in Lebanon, and the
People’s Republic would have taken
a pass/9 on the whole subject. But
China now aspires to play an active role
on the global stage, which is why it
sends skilled diplomats like Wang
Guangya to the U.N.That’s the good
news. The bad news is that China’s
view of “the international order” is very
different from that of the United States,
or of the West, and has led it to frustrate/10 much of the agenda/11 that
makes the U.N. worth caring about.
The People’s Republic has used its
position as a permanent, veto-bearing
member of the Security Council to
7/ Tantrum Terme d’origine inconnue, évoquant
une crise ou un accès de mauvaise humeur.
8/ Shenanigans Autre terme d’origine incertaine, désignant des manœuvres de bas étage,
voire des “combines”.
9/ Taken a pass Allusion aux jeux de cartes
où l’on peut passer son tour ; par extension,
s’abstenir de prendre position.
10/ To frustrate Ce verbe admet généralement un sujet animé humain. Le terme est à
prendre ici au sens de “paralyser, bloquer”.
11/ Agenda La traduction classique par “ordre
du jour” serait impropre dans le contexte, où
il est davantage question d’“action”, sinon de
“mission”.
protect abusive regimes with which it
is on friendly terms, including those of
Sudan, Zimbabwe, Eritrea, Myanmar
and North Korea. And in the showdown/12 with Iran that is now consuming the Security Council, and indeed
the West itself, China is prepared to
play the role of spoiler/13, blocking
attempts to levy/14 sanctions against
the intransigent regime in Tehran.
It’s a truism that the Security
Council can function only insofar as
the United States lets it.The adage may
soon be applied to China as well.The
astonishing growth of China’s economy
has made it a global force, and the
accompanying need for resources has
pushed it to forge new ties throughout
Asia, Africa and Latin America. The
old revolutionary ardor is gone, and
China surveys the world with increasing pragmatism and confidence.
Wang Guangya, at 56, is a senior
member of a new generation of Chinese diplomats vastly more sophisticated and better educated than the
party ideologues of old/15. He is
considered the favored candidate to
replace China’s foreign minister, Li
Zhaoxing, when he steps down a year
from now.
Wang is one of the U.N.’s most
adroit diplomats.The british ambas-
12/ Showdown “Epreuve de force”.
13/ Spoiler Littéralement, personne (ou événement) qui fait capoter un projet, qui joue les
trouble-fête.
14/ To levy Le verbe renvoie au français “lever”,
que l’on trouve dans l’expression “lever l’impôt”.
Il s’agit, dans le cas présent, d’appliquer, voire
d’imposer des sanctions.
15/ Of old Locution un peu désuète synomyme
de former ; ici, “anciens”.
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
49
sador, Emyr Jones Parry, says that his
Chinese colleague has a trick/16 he’s
never seen anyone else perform: “In
the council, he speaks in Chinese, but at
the same time he listens to the English
translation. Sometimes he pauses, and
then he’ll switch into English to say something similar to the translation but nuanced from it.” Wang operates by suggestion, by indirection – often by
silence. “They play a very skillful game
at the U.N.,” says Vanu Gopala
Menon, the Singaporean ambassador. “They make their opinions felt
without much talking.They never come
in first and make a statement. They
always listen first and then make a statement which captures the main thrust/17
of what the developing world wants.”
But the game the Chinese play virtually ensures the U.N.’s regular failure in the face of humanitarian crisis. Indeed, the combination of Wang’s
deft/18 diplomacy and China’s willingness to defend nations it does business with from allegations of even the
grossest abuse has made a mockery
of all the pious exclamations of “never
again” that came in the wake of the
Security Council’s passive response
to Rwanda’s genocide in 1994. The
most notorious example of China’s
new activism in this regard is Darfur.
While none of the major powers, with
the intermittent exception of the United States, have shown any appetite
for robust action to protect the people
of this Sudanese province from the
atrocities visited upon/19 them by the
government and its proxy/20 force,
known as janjaweed, the Chinese, who
buy much of the oil Sudan exports,
have appointed themselves Khartoum’s chief protector.
Retrouvez
la traduction
de l’article
page 36
Dessin d’Ingram
Pinn paru dans
le Financial Times,
Londres.
■ Remerciements
Pour réaliser
ce supplément,
nous avons bénéficié
de la précieuse
collaboration
de Jean-Claude
Sergeant, professeur
de civilisation
britannique
à l’université Paris III.
Spécialiste
de la politique
et des médias
britanniques, il
a notamment publié
L’Angleterre à travers
sa presse (Presses
Pocket, 1991) et Les
Médias britanniques
(Ophrys-Ploton,
2004). Directeur de
la Maison française
d’Oxford de 2000
à 2003, Jean-Claude
Sergeant dirige
à Paris III le master
Langues, civilisations
étrangères
et médias, qui
a succédé en 2005
au DESS de
journalisme bilingue
français-anglais.
16/ Trick “Truc, tour”.
17/ Thrust Traduit le fait de porter une attaque
avec une arme ; en escrime, “se fendre” et donc
pousser une pointe. Par extension, le thème central – le plus pointu – d’un discours.
18/ Deft “Habile”.
19/ Visited upon them Evoque immanquablement la référence biblique “the sins of the
fathers are visited upon the children”, c’est-àdire, de façon approximative, “les enfants portent le poids des péchés de leurs pères”. En
l’occurrence, “atrocités que leur inflige le gouvernement”.
20/ Proxy Un intermédiaire et, plus précisément dans ce contexte, “les supplétifs”.
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
THE NEW YORK TIMES
1 160 000 ex.
(1 700 000 le
dimanche), Etats-Unis,
quotidien. Avec
1 000 journalistes,
29 bureaux à l’étranger
et plus de 80 prix
Pulitzer, le New York
Times est de loin
le premier quotidien
du pays, dans lequel
on peut lire “all the
news that’s fit to print”
(toute l’information
digne d’être publiée).
49-52 courrier english
in
3/10/06
11:32
Page 50
English
S O C I E T Y A N D C U LT U R E
More US Hispanics drawn to Islam
Marriage, post-9/11 curiosity, and a shared interest in issues/1 such as immigration are key reasons.
fait partie des
200 000 Américains
d’origine hispanique
qui se sont convertis
à l’islam.
Retrouvez
la traduction
de l’article
page 25
THE CHRISTIAN SCIENCE
MONITOR 70 000 ex.,
Etats-Unis, quotidien.
Publié à Boston
par l’Eglise
du Christ scientiste
(appelée aussi
Science chrétienne),
cet élégant tabloïd
est réputé pour
sa couverture des
affaires internationales
et le sérieux
de ses informations
nationales.
Amy Green
THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR
Boston
ORLANDO, FLA./2 With her hijab
and dark complexion, Catherine Garcia doesn’t look like an Orlando native
or a Disney tourist.When people ask
where she’s from, often they are surprised that it’s not the Middle East but
Colombia.
That’s because Ms. Garcia, a
bookstore clerk who immigrated to the
US seven years ago, is Hispanic and
Muslim. On this balmy/3 afternoon
at the start of Ramadan, she is at her
mosque dressed in long sleeves and
a long skirt. “When I was in my country I never fit/4 in the society. Here in
Islam I feel like I fit with everything they
believe,” she says.
Garcia is one of a growing number of Hispanics across the US who
have found common ground in a faith
and culture bearing surprising similarities/5 to their own heritage. From
professionals/6 to students to homemakers, they are drawn to the Muslim
faith through marriage, curiosity and
a shared interest in issues such as
immigration.
The population of Hispanic Muslims has increased 30 percent to some
200,000 since 1999, estimates Ali
Khan, national director of the American Muslim Council in Chicago.
Many attribute the trend/7 to a growing interest in Islam since the 2001
terrorist attacks and also to a collision
between two burgeoning minority
groups.They note that Muslims ruled
Spain centuries ago, leaving an
imprint/8 on Spanish food, music,
and language.
“Many Hispanics ... who are becoming Muslim, would say they are embracing their heritage, a heritage that was
denied to them/9 in a sense,” says Ihsan
Bagby, professor of Arabic and Islamic
studies at the University of Kentucky.
The trend has spawned/10 Latino
Islamic organizations such as the
Latino American Dawah Organiza-
Candace Barbot/Miami Herald-AP
Melissa Matos
tion, established in 1997 by Hispanic
converts in New York City.Today the
organization is nationwide.
The growth in the Hispanic
Muslim population is especially prevalent in New York, Florida, California, and Texas, where Hispanic
communities are largest. In Orlando,
the area’s largest mosque, which
serves some 700 worshipers each
week, is located in a mostly Hispanic neighborhood. A few years ago
it was rare to hear Spanish spoken
at the mosque, says Imam Muhammad Musri, president of the Islamic
Society of Central Florida.
1/ Issues Au sens général, “questions, problèmes”. Très employé au sens d’“enjeux” dans
le cadre d’une campagne électorale.
2/ FLA. Abréviation de Florida, l’Etat de Floride.
3/ Balmy Le terme évoque l’effet apaisant d’un
baume (balm) et, dans ce contexte, la douceur
de l’après-midi.
4/ Fit To fit, “être intégré, s’intégrer”.
5/ Bearing surprising similarities “Comporter d’étonnantes similitudes”.
6/ Professionals Ce terme désigne les
professions libérales.
7/ Trend “Tendance, courant”.
8/ Imprint “Marque, empreinte”.
9/ A heritage that was denied to them “Un
héritage dont ils ont été privés, qui leur a été
refusé”.
10/ Spawned Le sens premier de ce verbe fait
référence au processus de reproduction chez
les poissons ; dans son emploi figuré, il est souvent rendu en français par “donner naissance,
engendrer”.
Today there is a growing demand
for books in Spanish, including the
Koran, Mr. Musri says. The mosque
offers a Spanish-language education
program in Islam for women on Saturdays. “I could easily see in the next few
years a mosque that will have Spanish services and a Hispanic imam who will be
leading the service,” he says.
The two groups tend to be familyoriented, religious, and historically
conservative politically, Dr. Bagby says.
The two groups also share an interest in social issues such as immigration, poverty, and healthcare. Earlier
this year Muslims joined Hispanics in
marches nationwide protesting immigration-reform proposals they felt were
unfair.
The trend is a sign that Islam is
becoming more Americanized, Bagby
says. As Republican positions on issues
such as immigration push Muslim Hispanics in a less conservative direction,
Islam could move in the same direction. Muslim Hispanic involvement in
American politics could demonstrate
to Muslims worldwide the virtues of
democracy, eventually/11 softening
fundamentalists. “The more Hispanics
and other Americans [who] become Muslim, the stronger and wider the bridge between the Muslim community and the
general larger American community,”
Bagby says.
11/ Eventually Faux ami notoire : “à terme,
en définitive”.
CHRONIQUE
“Lost in translation”, ou comment identifier les références culturelles
Le langage de la presse est truffé d’allusions
au cinéma, à la pub, aux contes et légendes.
Limpides pour le lecteur natif, elles le sont
nettement moins pour un étranger.
côté des emprunts à la tradition culturelle gréco-latine (voir notre précédente
chronique), on trouve un ensemble de références aux productions culturelles autochtones, qui circulent peu d’une sphère linguistique à l’autre. Leur circulation est
toutefois facilitée par la pratique actuelle des
distributeurs de films américains consistant
à les commercialiser sous leur titre original.
Le lecteur français d’un éditorial du Times
(23 septembre 2006) traitant de l’homologation de l’irlandais en tant que langue officielle
de l’Union européenne – la vingt et unième –
aura pu ainsi apprécier instantanément le clin
d’œil du titre : “Lost in Translation”. Mais il
s’agit là d’un cas exceptionnel.
Les arts du spectacle, et plus particulièrement le cinéma, offrent un vivier de références, souvent anciennes, qui se sont en
quelque sorte fondues dans l’usage. Lorsque
The Daily Telegraph (7 septembre 2006) titre
“High Noon at N°10 fails to end the crisis”,
A
il fait référence au film High Noon (1952)
de Fred Zinnemann, connu en France sous le
titre Le train sifflera trois fois, mais c’est
davantage le signifié – l’affrontement – que
le signifiant (le titre du film) qui importe ici.
es emprunts à la production cinématographique ou discographique et aux campagnes publicitaires connaissent des fortunes
diverses, tributaires du goût du temps. On
s’explique mal, par exemple, la vogue actuelle
d’une réplique extraite du film de Michael Curtiz Casablanca – “round up the usual suspects”. Cette phrase apparemment anodine
prononcée par le capitaine Renaud est aujourd’hui passée à la postérité, au point que l’économiste Jean-Paul Fitoussi écrivait dans Le
Monde (23 septembre 2004), en évoquant
les réticences à embaucher des chefs d’entreprise : “On peut alors convoquer deux ‘suspects habituels’ pour justifier ce comportement”, désignant par là les deux facteurs
traditionnellement allégués.
Les références peuvent provenir d’un fonds
beaucoup plus ancien, celui des contes et
légendes. Le joueur de flûte de Hamelin apparaît par exemple au détour d’une lecture de
L
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
The Economist (23 septembre 2006), qui
consacre à Jack Ma, le pionnier de l’e-commerce en Chine, un article intitulé : “China’s
pied piper”. Il est fait ici allusion au pouvoir
d’attraction du jeune homme d’affaires chinois, analogue à celui du joueur de flûte (piper)
revêtu de sa traditionnelle tenue bariolée
(pied). Les références à Rip Van Winkle, personnage créé par l’Américain Washington
Irving (Sketch Book, 1819), sont assurées
d’un pouvoir d’évocation identique. L’extrait
suivant d’un discours, déjà ancien, du directeur du National Economic Development Office
(instance de prévision économique britannique aujourd’hui disparue), où Rip Van Winkle
fait phrase commune avec le Prince Grenouille
et la Belle au bois dormant, retient l’attention : “The British economy is not a frog prince
to be transmogrified by a kiss or a cold bath.
It is a Rip Van Winkle needing massage in
every limb.” Le héros de Washington Irving
se réveille après vingt ans de sommeil après
l’ingestion d’un breuvage. Précurseur d’Hibernatus, Rip symbolise l’amnésie et le décalage par rapport à la réalité.
D’autres spécificités culturelles plus locales
peuvent également nourrir l’inspiration des
50
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
journalistes. Dans ses pages sportives, The
Guardian (12 septembre 2006) consacrait
un article au projet de création d’une “académie” de football, sur le modèle du centre
de Clairefontaine, dans la ville de Burton-onthe-Trent, près de Birmingham. Le titre de l’article – “Fears grow that academy will go for a
Burton” – reste hermétique si l’on ignore que
ladite ville est célèbre pour sa bière et que,
pendant la Seconde Guerre mondiale, les
pilotes de la RAF évoquaient sobrement la
disparition de l’un des leurs par la formule
“He’s gone for a Burton” (“il est allé s’en jeter
une”). Il s’ensuit que le titre du Guardian
exprime la crainte de voir ce projet condamné,
crainte qui aurait pu tout aussi bien être rendue par l’expression “to see the writing on
the wall”, d’origine biblique, couramment
employée par la presse de langue anglaise.
atrimoine lexical constamment enrichi, le
fonds de références culturelles auquel
s’alimente le discours de presse anglais ne
peut être exploré par le lecteur étranger sans
outils fiables. A cet égard, le plus utile reste
le Brewer’s Dictionary of Phrase and Fable.
P
Jean-Claude Sergeant
49-52 courrier english
3/10/06
10:58
Page 51
in
English
JOB MARKET
Hungry Workers, Tied to Desks/1, Clicking
to Get Culinary Delights
Jennifer 8. Lee
THE NEW YORK TIMES (excerpts)
New York
very weekday, when they are
hungry, thousands of the
most highly paid workers in
New York City will/2 log on
to the same Web site. Finding food
while they work requires just a few
clicks of the mouse. Few of those
employees will ever see the bill when
their food is delivered. Instead, their
orders are processed/3, and billed/4 to
their employers, through a single company: SeamlessWeb.
SeamlessWeb may be little known
outside the high-powered business
world. But it has instant name recognition with almost any elite corporate
E
lawyer/5, investment banker or management consultant in the city. At hundreds of firms, a SeamlessWeb log-on
has joined the company ID/6 and the
e-mail address as de rigueur accouterments/7 for the new hire/8.
Like the BlackBerry that keeps
employees in touch with the office, or
the black Town Car that takes them
home after hours/9, SeamlessWeb is a
symbol of the heavy time commitment
demanded/10 by many of New York’s
professional service firms. For
employers, it is another reward meant
to influence employee behavior: give
5/ Corporate lawyer Juriste attaché à une entreprise ou avocat spécialiste du droit des affaires.
6/ ID Abréviation de identity.
7/ Accouterments Graphie américaine de
1/ Tied to desks Littéralement,“attachés à leur
bureau” ; au sens figuré, “rivés à leur bureau”.
2/ Will Il ne s’agit pas ici de l’auxiliaire du futur
mais du marqueur de réitération traduisant le
caractère récurrent d’une action.
3/ Processed “Traité(s)”.
4/ Billed A bill est une addition (au restaurant,
par exemple), une facture.
accoutrements, terme qui désigne l’ensemble
des éléments composant une tenue spécifique,
au sens propre ou figuré.
8/ Hire Dans l’usage américain, ce terme
désigne une personne qui vient d’être recrutée.
9/ After hours C’est-à-dire après l’arrêt des
transports en commun.
10/ Demanded Faux-ami classique : “exigé”.
us almost all of your time and we will
pamper/11 you.
SeamlessWeb and its clients say
it benefits everyone involved, which is
why it has been so successful: it processed $81 million in food and other
deliveries last year and has 1,000 corporate clients in 14 cities.
Brian Wong, a 27-year-old financial
analyst who said he works 14-hour
days, estimates that SeamlessWeb saves
him at least five minutes a day, because
he doesn’t have to dial a phone number or fumble/12 for money to pay the
deliveryman. “If you multiply that by the
number of days in a year you work, about
300, that’s 1,500 minutes, which is
25 hours a year,” Mr.Wong said. “You
could be more aggressive, and say it saves
you 10 minutes a day.That’s 50 hours
a year — that’s a workweek.”
More than a few of SeamlessWeb’s
client firms are housed in buildings
with gyms, salons, dentists, salons and
florist shops, so there is little excuse for
employees to leave the building (and
by extension, their desks) for a significant period. At some top law firms
messengers/13 go down to the lobby/14
to retrieve/15 the delivered meals.
Indeed, there are employees who
order their cans of Diet Coke through
SeamlessWeb instead of getting up to
walk down the hall and drop change
into a vending machine.
Mr. Wong estimates that he
spends 90 percent of his day at his
desk, which is why he tries to order
healthy meals. “You feel guilty that you
are treating your body so badly, so it’s the
least that you can do.”
11/ To pamper “Choyer, dorloter”. On comprend mieux la valeur symbolique du nom de la
célèbre marque de couches pour bébés.
12/ To fumble Le verbe to fumble signifie
“rechercher quelque chose un peu au hasard,
farfouiller”. Ici, l’expression “fouiller dans sa
poche” pourrait faire l’affaire.
13/ Messengers Dans l’ancien vocabulaire de
la banque, il s’agit des “coursiers”, des “grouillots”.
14/ Lobby Le terme désigne, dans un bâtiment
non ouvert au public, le lieu où celui-ci est autorisé à pénétrer. Il peut s’agir d’un hall, d’une
salle des pas perdus, etc.
15/ To retrieve “Récupérer”.
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
51
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
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la traduction
de l’article
page 54
49-52 courrier english
in
3/10/06
11:30
Page 52
English
Santa Fe
T R AV E L
Santa Fe, with nary/1 a cow’s skull in sight
Diverse contemporary works find a welcome home in the second-largest art market in the nation.
Mimi Avins
Santa Fe’s
finest galleries
■
Gerald Peters
Gallery, 1011 Paseo
de Peralta; (505)
954-5700,
www.gpgallery.com.
Classic Western Art,
Taos Society and
Santa Fe Art Colony,
Georgia O’Keeffe.
Linda Durham
Contemporary Art,
1101 Paseo de
Peralta; (505) 4666600,
www.lindadurham.com.
An avant-garde
gallery with
paintings, sculpture
and mixed media by
New Mexico artists.
Box Gallery, 1611-A
Paseo de Peralta;
(505) 989-4897,
www.boxgallerysf.com.
Emerging New
Mexico artists.
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la traduction
de l’article
sur le site
courrierinternational.com
LOS ANGELES TIMES (excerpts)
Los Angeles
any a/2 roadside sign
boasts/3 of a locale’s
special quality: the best
river walk in the country, the most scenic village in the Berkshires. So if those unfamiliar with the
abundance of art in Santa Fe heard
that it is the second-largest art market
in the U.S. (after New York), they
might dismiss/4 the description as the
hyperbole of local boosters/5. They
would be wrong.
There isn’t just a lot of art in Santa
Fe; there is important art.Who would
think a trove/6 of museum-quality,
20th century Abstract Expressionist
paintings would be displayed behind
the adobe/7 facade of a former supermarket? Such discoveries were the
reward for leaving Santa Monica, to
spend a three-day weekend in July tracking the art scene in New Mexico’s
capital, a city that has been a cultural
center for more than a century.
For anyone easily overwhelmed/8,
the quantity of art in Santa Fe could
be a problem. I knew there would be
no way/9 to get to the more than 200
galleries and dozen museums. And
I hadn’t anticipated how energysapped/10 I would feel my first day.
Flatlanders often need time to adjust
to the 7,000-foot altitude.
Focus was my salvation. I concentrated on contemporary art, which in
the last 10 years has exploded here,
taking its place beside or even eclipsing the regional and Western paintings
and sculpture commonly associated
with Santa Fe.
For a long time, Santa Fe’s galleries were concentrated around the
Plaza at the center of town or along
M
1/ Nary Forme dialectale signifiant not a.
2/ Many a Maniérisme journalistique pour
LOS ANGELES TIMES
851 500 ex.,
Etats-Unis, quotidien.
Cinq cents grammes
de papier par numéro,
2 kilos le dimanche,
une vingtaine de prix
Pulitzer : c'est le géant
de la côte Ouest. Créé
en 1881, il est le plus à
gauche des quotidiens
à fort tirage du pays.
désigner la pluralité : “maint”.
3/ To boast Equivalent de to brag (se vanter),
à ceci près que to boast admet des sujets animés et non animés.
4/ To dismiss Dans le contexte, “récuser, refuser de prendre en compte”.
5/ Boosters Ceux qui sont chargés de faire la
promotion.
6/ Trove Au sens premier, ce que l’on trouve
et qui n’appartient à personne, et notamment,
un trésor que l’on met au jour.
7/ Adobe Mot espagnol d’origine arabe désignant des briques d’argile crue séchée au soleil,
très employées comme matériau de construction au Nouveau-Mexique.
8/ Overwhelmed Evoque le fait d’être submergé par une émotion ou, plus littéralement,
d’être dominé par un ennemi supérieur en
nombre. Ici, c’est le fait d’être rapidement saturé
par ce que l’on voit.
9/ No way Equivalent d’impossible.
10/ Energy-sapped Le verbe to sap, proche
du français “saper”, évoque un processus de
destruction. La journaliste veut tout bonnement
décrire son état d’épuisement.
Andre Jenny/Alamy
Comme beaucoup
d’autres bâtiments
de Santa Fe, le musée
des Beaux-Arts est
construit en adobe,
matériau typique du
Nouveau-Mexique.
Canyon Road, a winding/11 street of
adobe homes originally built by starving artists.The new, adventurous arts
district is the Railyard, a mile south of
the Plaza. Several galleries have sprung
up there, some opening as recently as
July.
Their anchor is SITE Santa Fe, a
cutting-edge/12 exhibit space in a former beer warehouse/13. Host of the
only international biennial in the U.S.,
SITE Santa Fe is so highly regarded
in the art world that three of the five
curators/14 who have overseen/15 it
have gone on to curate/16 the Venice
Biennale. SITE’s Sixth International
Biennial, which runs through January,
attracts collectors and the sort of artloving nomads who travel the world to
survey the latest in conceptual works.
Artists from the East and Midwest
first began visiting New Mexico in the
late 19th century, drawn/17 by its dramatic/18 landscape, rich multicultural
heritage and a social climate tolerant
of artistic types.The six founders of the
Taos Society of Artists, individuals with
established reputations in other cities,
banded together/19 in 1915 in a mountain village 70 miles north of Santa Fe.
The Santa Fe Art Colony came together/20 shortly thereafter and blossomed/21 after the Museum of Fine Arts
was founded in 1917. The museum,
11/ Winding “Sinueuse, tortueuse”.
12/ Cutting-edge Terme très en vogue qui
qualifie un objet, un processus à la pointe de
la modernité.
13/ Warehouse “Entrepôt”.
14/ Curator “Conservateur (d’un musée), commissaire (d’une exposition)”.
15/ Overseen To oversee signifie “surveiller”,
et, par extension, “diriger”.
16/ To curate “Etre chargé de l’organisation
et de la gestion d’une exposition”.
17/ Drawn “Etre attiré par…”.
18/ Dramatic Faux-ami notoire ; “spectaculaire, hors du commun”.
19/ Banded together A band désigne un
groupe d’individus très soudés.
20/ Came together Littéralement, “a pris
corps, s’est matérialisé”.
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
52
which still borders the lively Plaza, welcomed newcomers with free studio/22
space and organized group shows of
their work.
In the 1920s, some of the tuberculosis patients in residence at Santa
Fe’s well-known sanatoriums were
ar tists, and many other s were
affluent/23 and intellectual.With the
addition of wealthy people from Texas,
Oklahoma, Arizona and Kansas who
came to town to escape the summer
heat, the elements of a patronage/24
society were in place.
Although the art colony members
maintained friendships for decades,
their styles were so diverse that no
single Santa Fe school developed. Most
of the painters in the group produced
representational works with varying
degrees of Cubist, Impressionist,
Modernist or Abstract influences.Were
they regional artists? Southwestern?
Western?
After all, how to categorize Georgia O’Keeffe? At one time, she was a
contemporary artist. Now she is considered one of the greatest American
painters of the last century.
O’Keeffe began spending summers
in Santa Fe in 1929 and moved nearby
in 1940. It takes nothing away from
her talent to say the reclusive O’Keeffe
had a mystique, which both benefited Santa Fe and was fed by it. “Tourists come here now just to see O’Keeffe,”
says gallery owner Nat Owings.
And doing so enriches the visit.
Like some modern art and hardedged/25 contemporary architecture,
21/ Blossomed Référence à la floraison des
arbres et des plantes. Au sens figuré, le verbe
évoque l’épanouissement, la pleine maturité
d’un projet, d’une action.
22/ Studio “Atelier d’artiste”.
23/ Affluent Qui est à l’aise financièrement,
pour ne pas dire riche.
24/ Patronage A l’origine, a patron désignait
le protecteur d’un artiste. En anglais contemporain, le terme patrons évoque ceux qui fréquentent une salle de spectacle ou qui assistent à un spectacle.
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
the New Mexican landscape isn’t instantly accessible. At first, a hardscrabble/26 field dotted/27 by boulders/28 and pierced by prickly shrubs
does not evoke the same romantic response as a lush green/29 meadow dusted/30 with wildflowers. But looking at
the countryside after seeing it through
O’Keeffe’s eyes alters the view. Suddenly, the colors and shapes of the
desert and its stubborn/31 vegetation
are all the more seductive for/32 the
subtlety of their harsh beauty.
The Museum of Fine Arts has 10
O’Keeffe paintings in its permanent
collection. The Georgia O’Keeffe
Museum, founded in 1997, rotates 130
of the artist’s works.You would also
find some at the Gerald Peters Gallery,
her main outlet/33 from 1976 to her
death in 1986. Peters still deals in
O’Keeffes, but the volume isn’t close
to what it was in the late ’80s, when he
owned or controlled 80 of her works.
“At that time, $1 million was a lot for a
major picture.” The last O’Keeffe sold
at auction/34 in 2001 went for
$6.6 million.
Today, the gold standard//35 in
Western art – the Remingtons, Russells and Taos and Santa Fe masters –
is expensive and rarely on the market.
In the most sophisticated galleries,
living artists who treat now-cliched/36
subjects – adobes, desert scenes,
coyotes and Indians on horseback – in
traditional ways are dismissed as derivative. Neither the Gerald Peters Gallery nor the Owings-Dewey Fine Art
gallery, which sits on the second floor
of a historic building on the Plaza, sells
such contemporary Western art.
Beyond categories, many gallery
owners follow the principle that good
art is good art. “We have everything from
Gilbert Stuart to Jackson Pollock, with
some Agnes Martin and Georgia O’Keeffe
thrown in/37,” Gerald Peters says.
25/ Hard-edged “Intransigeant, sans concession”.
26/ Hardscrabble Terme américain désignant
une terre aride, impropre à la culture.
27/ Dotted “Parsemé”.
28/ Boulders “Rochers, amas de roches”.
29/ Lush green Lush évoque une végétation
luxuriante.“Verdoyant” suffirait dans le contexte.
30/ Lusted Le terme s’oppose à dotted. Alors
que la présence des rochers s’affirme, les fleurs
des champs forment un tapis diffus comme l’est
la poussière (dust).
31/ Stubborn “Opiniâtre, obstiné(e)”.
32/ All the more [seductive] for “D’autant
plus […] que”.
33/ Outlet Le terme désigne un exutoire, un
débouché (commercial). Ici, il s’agit davantage
du lieu où l’artiste est en contact avec le public
et vend ses œuvres.
34/ Auction “Vente aux enchères”.
35/ Gold standard “Etalon or”, c’est-à-dire,
dans le contexte, la “référence”.
36/ Now-cliched Thèmes rebattus qui sont
devenus des clichés.
37/ Thrown in “En prime, par-dessus le marché”.
*831p53
2/10/06
17:13
Page 53
économie
■ économie
Les salariés
russes
redécouvrent
les vertus
du rouble p. 54
■ écologie
A Stockholm,
le péage
modulable
s’impose p. 56
■ multimédia
Internet
brouille l’avenir
de la radio p. 57
i n t e l l i g e n c e s
Le Japon redonne la priorité à la qualité
INDUSTRIE Face à la multiplication
des défauts de leurs produits,
les entreprises nipponnes remettent
au goût du jour les cercles
de qualité sans les nommer.
■
NIHON KEIZAI SHIMBUN
Tokyo
ace à la centaine de plaintes et de
questions émanant des utilisateurs, les responsables de NTT
Docomo étaient quelque peu
désorientés. “Lors des tests, il n’y avait
pourtant aucun problème…”, affirmentils. Le problème provient des services
de communication itinérante, permettant d’utiliser le téléphone portable Docomo à l’étranger. Plusieurs
appareils mis en vente depuis avril
dernier ont subitement cessé de fonctionner dans une partie des Etats-Unis
entre mai et juillet. Le mobile identifiait comme “accès illégal” les signaux
transmis par le réseau local avec lequel
travaillait Docomo. Le problème était
dû au logiciel d’identification.
Les progrès de la numérisation
peuvent constituer un piège pour les
entreprises japonaises qui cherchent
à préserver leur compétitivité dans la
technologie de pointe. Ainsi, en juillet,
des téléphones portables fabriqués par
Sharp sont bloqués quand l’usager
a composé des courriels contenant
certains mots. Comme il ne s’agissait
pas de combinaisons de caractères
japonais fréquemment utilisées, Sharp
n’a pas été obligé de rappeler les produits. Il n’empêche que le défaut a
concerné plus de 10 millions d’appareils. L’apparition incessante de nouveaux services rend les portables de
plus en plus sophistiqués. Le volume
des logiciels intégrés “a plus que décuplé en l’espace de quelques années”,
constate un fabricant. Les services
d’itinérance internationale couvrent
déjà 142 pays et régions, tandis que
les combinaisons de lettres saisies sont
devenues infinies. Il est “pratiquement
impossible” de tester toutes les opérations possibles, explique un responsable de Docomo.
Depuis que Toyota a fait rappeler
plusieurs véhicules dans ses ateliers,
l’automobile est à nouveau sur la sellette. Dans l’ensemble du secteur, les
incidents se sont multipliés ces derniers temps. Pour la seule année 2005,
5,66 millions de véhicules ont été
concernés, soit 2,4 fois plus qu’il y a
cinq ans. Un chiffre quasi équivalent
au nombre de modèles neufs vendus.
D’après une analyse du ministère de
l’Aménagement du territoire et des
Transports, 70 % des rappels (pour
l’exercice 2004) étaient liés à des problèmes de conception. Dans la mesure
où la conception assistée par ordinateur est devenue monnaie courante
dans l’industrie, les constructeurs ne
p e u ve n t p l u s c o m p t e r s u r “les
défaillances qui apparaissaient dans le
processus classique de conception d’une
automobile”, regrette un directeur de
Toyota. Pour le bureau des rappels du
F
i n t e l l i ge n c e s
●
Dessin de Tekening
Milo paru dans
NRC Handelsblad,
Rotterdam.
■
Economies
“Les pressions
excessives exercées
sur la production
pour réduire les
coûts sont l’un des
facteurs de la baisse
de qualité constatée
au Japon”, estime
le Yomiuri Shimbun.
Le Pr Hisayoshi
Hashimoto,
de l’Institut
universitaire
national d’études
politiques (GRIPS),
cité par le
quotidien, met en
cause les réductions
d’effectifs dans les
usines. D’après lui,
les travailleurs sont
tellement occupés
qu’”ils ne sont peutêtre plus capables
d’accorder
autant d’attention
à la qualité
que par le passé”.
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
53
ministère de l’Aménagement du territoire, “une des causes principales de
cette inflation des rappels incombe à la
sophistication des techniques”.
Le 14 août dernier, une gigantesque panne d’électricité a paralysé
la région de Tokyo, privant de courant
1,4 million de foyers et de bureaux.
La situation est redevenue quasi normale au bout d’une heure, mais, dans
certaines parties de la région, l’électricité n’a été rétablie qu’environ
quatre heures plus tard. L’erreur de
la Tokyo Electric Power provenait de
son système de distribution automatique d’électricité. Dans la région de
Tokyo, quelque 100 000 disjoncteurs
sont installés sur les lignes haute tension à quelques centaines de mètres
d’intervalle et commandés à distance
par ordinateur. La majorité des appareils qui ont disjoncté lors de l’incident ont pu être remis en marche en
peu de temps grâce à ce système, mais
une défaillance du dispositif de commande a perturbé le retour à la normale de 19 d’entre eux.
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
Reste à savoir comment les entreprises peuvent réagir à l’augmentation
de tous ces problèmes liés à la sophistication technique. Dans ses voitures
hybrides (équipées d’un moteur à
essence et d’un moteur électrique),
Honda a choisi de poursuivre l’installation d’un petit moteur électrique supplémentaire pour faire démarrer le
moteur à essence en cas de besoin. En
règle générale, le moteur électrique
principal assure le démarrage. Il n’est
donc pas utile de recourir à un moteur
d’appoint si le logiciel informatique
de la voiture fonctionne correctement.
Mais, “dans certaines régions froides, si
le moteur à essence ne démarre pas, cela
peut mettre en danger des vies humaines”,
précise Fukuo Koichi, un des responsables du modèle chez Honda. L’installation de ce petit moteur d’appoint,
bien qu’il soit peut-être inutile, symbolise la dépendance des constructeurs
vis-à-vis des logiciels informatiques.
Au cours de l’exercice 2005, qui
s’est clôturé en mars dernier, JVC a
enregistré des pertes nettes de 240 millions d’euros en raison notamment
d’une défaillance dans le système de
programmation de ses lecteurs-enregistreurs de DVD. Plus de 50 techniciens ont été chargés d’évaluer parmi
toutes les gammes de produits les schémas des appareils réalisés par des responsables de la conception. Le fabricant tente ainsi de renforcer les
contrôles et multiplie les points de vue
afin de prévenir les défaillances.
Devant la montée en puissance de
la Chine et de l’Inde, le Japon n’a pas
d’autre choix que de créer des produits
à forte valeur ajoutée. Mais si la sécurité et la qualité sont négligées, il risque
de se discréditer. Pour assurer son avenir industriel, le Japon doit poursuivre
ses efforts dans le domaine de la qualité, sans négliger ce qui paraît, à première vue, inutile ou redondant. ■
831 p54 économie/2
2/10/06
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Page 54
économie
Les salariés russes redécouvrent les vertus du rouble
MONNAIE De
31 roubles en moyenne. Parfois, un
cours individuel est même établi.
Celui-ci correspond au cours officiel
de la Banque centrale de Russie en
vigueur le jour de l’embauche du salarié. Le plus simple serait de changer
de pratique et de payer les gens directement en roubles. Pourtant, très peu
de patrons semblent y penser, bien
que cela ne présente aucune difficulté
technique. Ce serait même plus simple, dans la mesure où la comptabilité pour le fisc se fait forcément en
roubles. En réalité, tout est affaire de
mentalités. Les dirigeants, comme les
salariés, sont tellement habitués à
compter en dollars qu’ils ne peuvent
pas imaginer changer de système.
Mais, à vrai dire, cela concerne
essentiellement Moscou. En province,
les salaires sont souvent versés en
roubles, et les salariés n’ont pas à se
préoccuper du cours du change.
Seule l’inflation leur pose des problèmes. En 2006, elle atteindra au
moins 9 %.
Oleg Mitiaev
■
nombreux Moscovites
sont encore payés
en dollars. Mais
le billet vert s’est
fortement déprécié,
ce qui a entraîné
une chute de
leur pouvoir d’achat.
IZVESTIA (extraits)
Moscou
C
billet vert ne regagnera pas de terrain
par rapport au rouble. Bien au
contraire, de hauts responsables évoquent des perspectives affligeantes
pour les Russes payés en dollars,
laissant entendre que le cours du dollar pourrait tomber à 25, voire à
22 roubles.
LES SOCIÉTÉS ÉTRANGÈRES
ONT CHOISI L’EURO
Les choses se passent mieux pour les
salariés des sociétés étrangères, car
celles-ci ont saisi l’importance de stimuler leur personnel. Les filiales
d’entreprises occidentales implantées
en Russie ont été nombreuses à décider de régler les salaires en euros et
non plus en dollars. Cette mesure a
été adoptée en 2006 par 9 % des em-
Samedi 7 octobre
Gaz et électricité,
l’addition s’il vous plaît !
On fusionne le gaz, on privatise
l’électricité : c’est l’ouverture
à la conccurrence !
Autant de mots qui créent
des maux, mais quid de
la réalité quand on sait que
le prix du gaz est indexé
sur celui du pétrole et que
l’électricité est produite en
majeure partie avec du gaz, ou
du charbon, ou du nucléaire.
LE BILLET VERT PERD DU TERRAIN
Devise choisie par les sociétés russes pour payer
leur personnel (en % des entreprises)
57
56
43
53
42
41
53
DOLLAR
ROUBLE
41
EURO
2
2003
2004
6
6
2005
2006
Sources :
ANKOR,
“Izvestia”
Le déjeuner, quelle perte de temps !
retrouvez JoséManuel Lamarque,
et Gian Paolo Accardo, de
Un rendez-vous citoyen et solidaire
pour mieux comprendre le quotidien
des 25 Etats membres.
Dessin de Mikhaïl
Serebriakov paru
dans Moskovskié
Novosti, Moscou.
la vie en boîte
Tous
les samedis
Courrier international,
dans TRANSEUROPÉENNE
à 19 h 32 sur France Inter.
ployeurs. Il est à noter que même les
sociétés américaines ont suivi le mouvement. Elles ont préféré conserver
leurs salariés plutôt que faire preuve
de patriotisme.
Certaines entreprises ont pris une
autre option, définissant leur propre
cours du dollar, bien différent de celui
du marché. Le cuisinier d’un restaurant géorgien de Moscou m’a ainsi
confié que, pendant longtemps, son
patron n’avait pas modifié le cours
du dollar utilisé pour calculer le
salaire du personnel. Jusqu’à cette
année, il était resté à 24 roubles, son
niveau de 1998. Mais, il y a quelques
mois, il a finalement dû le porter à
30 roubles. C’est la solution la plus
répandue, puisque 25 % des sociétés
l’ont adoptée, fixant leurs cours à
haque jour de semaine,
quand ils ont faim, des milliers de New-Yorkais parmi les
mieux payés se connectent sur
le même site web. Pour trouver à
manger sans cesser de travailler,
il leur suffit de quelques clics. La
plupart de ces salariés ne voient
même pas la facture quand leur
repas leur est livré : la commande
est traitée, puis facturée à leur
employeur par une seule et
même entreprise, SeamlessWeb.
En dehors de l’élite du monde
des affaires, rares sont ceux qui
en ont entendu parler. Mais tous
les grands cabinets d’avocats
d’affaires, banques d’investissement et sociétés de conseil en
gestion de la ville connaissent ce
nom. Dans des centaines de ces
entreprises, le mot de passe
SeamlessWeb fait désormais
partie de la panoplie du nouvel
embauché, au même titre que le
badge d’accès et l’adresse électronique. Comme l’ordinateur de
poche BlackBerr y, qui permet
C
aux salariés de rester en
contact avec leur bureau,
ou la Town Car [grosse
berline Ford], qui
les ramène chez
eux quand ils ont
travaillé jusqu’à
une heure tardive, SeamlessWeb illustre la
grande disponibilité horaire exigée
par beaucoup de
sociétés new-yorkaises.
Pour les employeurs, c’est
une façon de plus d’inciter
les salariés à travailler davantage : consacrez-nous l’essentiel
de votre temps et vous serez
choyés. A en croire SeamlessWeb
et ses clients, tout le monde y
gagne, ce qui explique le remarquable succès du site : l’an dernier, la société a traité l’équivalent de 81 millions de dollars de
repas et elle compte à ce jour
1 000 entreprises clientes dans
14 villes.
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
54
Brian Wong, un analyste
financier de 27 ans
qui dit faire des journées de 14 heures, estime que
SeamlessWeb
lui fait gagner
au moins 5 minutes par jour,
puisqu’il n’a pas
besoin de composer un numéro
de téléphone ni de
fouiller dans ses poches pour trouver de
quoi payer le livreur.
“Multipliez ça par le nombre de
jours travaillés dans l’année, soit
à peu près 300, et ça fait 1 500
minutes, soit 25 heures par an,
explique-t-il. En comptant large,
disons que cela fait économiser
10 minutes par jour. Ça fait
50 heures par an – une semaine
de travail.” Beaucoup des entreprises clientes de SeamlessWeb
sont installées dans des immeubles dotés de salles de gym,
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
de salons de coiffure ou de massage, de cabinets de dentistes
et de fleuristes. Les salariés n’ont
que peu de raisons de s’absenter longtemps de l’immeuble (et
donc de leur bureau). Dans certains grands cabinets d’avocats,
ce sont même des coursiers qui
descendent à la réception pour
récupérer les plateaux-repas. Et
certains salariés commandent
leurs canettes de Coca light via
SeamlessWeb pour ne pas avoir
à se déplacer jusqu’au distributeur de boissons et à y glisser
des pièces. Selon ses calculs,
Brian Wong passe 90 % de sa
journée à son bureau. C’est pourquoi il s’efforce de commander
des repas diététiques. “On se
sent coupable de traiter si mal
son organisme. Alors, c’est bien
le moins qu’on puisse faire.”
Jennifer 8. Lee, The New York Times
(extraits), Etats-Unis
Dessin d’ Ares paru dans Juventud
Rebelde, La Havane.
CagleCar toons
ombien gagnez-vous ? En Russie, c’est une question à laquelle
il est difficile de répondre. En
2003, avec un salaire mensuel de
1 000 dollars, on gagnait trois fois plus
qu’avec 1 000 dollars d’aujourd’hui.
Si on est payé en roubles, la situation
est un peu meilleure.
En trois ans, l’inflation a presque
divisé par deux les revenus réels.
L’arithmétique des salaires est d’une
simplicité enfantine. L’inflation cumulée de ces trois dernières années s’est
élevée à 47,3 %, tandis qu’au cours
de la même période le cours du dollar a baissé de 32 à 27 roubles, voire
moins. Les salariés engagés début
2003 avec un salaire de 1 000 dollars
ont donc perdu 65,6 % de leur pouvoir d’achat.
En Russie, 40 % des sociétés
continuent à fixer les salaires en dollars, avec un cours maison souvent très
inférieur à celui de 2003. Les spécialistes sont persuadés qu’une réforme
est indispensable. Il est évident que le
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Page 56
écologie
i n t e l l i g e n c e s
●
A Stockholm, le péage modulable s’impose
POLLUTION Un
■
système de péage
à tarifs variables
a réussi à fluidifier
la circulation
de la capitale suédoise
aux heures de pointe.
Il pourrait devenir
un modèle pour de
nombreuses métropoles.
THE WALL STREET JOURNAL
New York
u cours du premier semestre
2006, Sören Åströin, cadre d’une
agence de publicité à Stockholm,
a travaillé plus tard que d’habitude. Ainsi le soir, il ne rentrait chez lui
qu’après 18 h 30. Ce n’était pas son
patron qui l’enchaînait à son bureau,
mais une façon d’échapper au péage
imposé aux automobilistes circulant
en ville aux heures de pointe. Entre janvier et juillet 2006, la municipalité de
Stockholm a mis au banc d’essai l’un
des systèmes de contrôle de la circulation les plus complexes au monde,
dans le cadre d’un programme visant
à désengorger le centre-ville, réduire
A
les niveaux de smog et améliorer
la qualité de vie en milieu urbain.
Contrairement à la plupart des solutions mises en place dans des villes
comme Londres et Rome, la capitale
suédoise a testé une technique à péage
variable, le tarif étant déterminé en
fonction de l’heure de la journée et des
zones de fréquentation. Ainsi, pour
quitter le centre-ville à l’heure de sortie des bureaux, entre 16 heures et
17 h 30, M. Åströin aurait dû payer
l’équivalent de 2,15 euros ; en attendant 18 h 30 pour reprendre sa voiture, il roulait gratuitement. “Les gens
ont modifié leurs habitudes”, assure-t-il.
Ce projet n’est en fait rien moins
qu’une expérience grandeur nature de
contrôle des comportements destinée
Dessin de Sergueï
Iolkine paru dans
les Izvestia, Moscou.
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
56
à réguler plus efficacement le trafic
pendant la journée et à engager davantage d’usagers à emprunter les transports publics. Cette approche, surnommée la “taxe d’embouteillage”, a
retenu l’attention dès les années 1950,
à travers les travaux de l’économiste
William Vickery, prix Nobel d’économie. Sa théorie impliquait qu’en imposant une pénalité aux automobilistes
roulant aux heures de pointe, on les
inciterait à changer leurs habitudes.
Dans la mesure où une diminution du
nombre de véhicules en circulation,
aussi minime soit-elle, peut avoir un
impact considérable sur la fluidité du
trafic, les économistes pensaient qu’un
péage pourrait venir à bout des plus
gros engorgements. Le projet de Stockholm est une expérience démocratique
autant que technologique. L’un de ses
éléments clés, expliquent les urbanistes,
est la façon dont la municipalité a
réussi à rallier les automobilistes à son
programme. A l’issue de la période
d’essai, la mairie a organisé, le 18 septembre, un référendum pour permettre
aux citadins de se prononcer sur le
maintien du système. Ce dernier a été
approuvé par 53 % des votants. [La
droite, qui a remporté les élections
législatives, et avait fait campagne
contre le projet, a annoncé qu’elle allait
quand même le mettre en place].
Des urbanistes et des responsables
municipaux de Bangkok et de New
York sont venus à Stockholm pendant
la période d’essai pour étudier des
façons d’adapter ce plan à leurs
propres villes. Réduire les embouteillages est l’un des grands puzzles
des sciences physiques et économiques, que la théorie ne peut suffire
à résoudre. Le temps que perdent les
usagers bloqués dans les bouchons
est en premier lieu une perte sèche
pour la productivité économique.
“Nous aimerions beaucoup mettre en
place un projet expérimental comparable
à celui de Stockholm aux Etats-Unis”,
explique Tony Duvall, secrétaire
adjoint chargé de la politique au
ministère des Transports américain.
Le choix d’un référendum pourrait,
selon lui, contribuer à surmonter l’un
des principaux obstacles à l’adoption
d’un programme de ce type aux EtatsUnis, où une augmentation des tarifs
des péages est perçue comme une
mesure politiquement maladroite. “Je
pense toutefois que les usagers seraient prêts
à payer davantage s’ils constataient que
cela réduit significativement les encombrements et améliore leur qualité de vie”,
estime-t-il.
Pendant la période d’essai, la
municipalité de Stockholm a analysé
l’impact du système sur la qualité de
l’air, le stationnement et la fréquentation des autobus. Les résultats ont mis
en évidence une baisse du trafic de
22 % à l’intérieur du périmètre payant
et une diminution de 5 % à 10 % des
accidents corporels dans les rues de la
capitale. Les émissions de gaz d’échappement, et notamment le dioxyde de
carbone et les particules en suspension, ont par ailleurs été réduites de
14 % dans la ville intra-muros, et de
2 % à 3 % dans toute l’agglomération.
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
Le grand Stockholm compte moins
de 2 millions d’habitants. Il est composé d’un archipel d’îles reliées par
plusieurs ponts, avec une seule artère
périphérique. Cette configuration rend
la zone centrale vulnérable aux
embouteillages, malgré un système de
transports publics très développé.
Avant l’essai, il fallait au moins trois
fois plus de temps pour se rendre dans
le centre-ville à l’heure de pointe du
matin que pendant les autres périodes
de la journée. Fin juillet, à la même
heure, le trajet ne prenait plus que
deux fois plus de temps.
Le test de Stockholm a également
permis de mieux cerner une question
épineuse propre à ce type de programme : comment inciter les usagers
à renoncer à leur voiture pour emprunter les transports en commun ? Avant
de lancer son péage urbain, Stockholm
a consacré 180 millions de dollars
[142 millions d’euros] à l’amélioration
de son offre de transports publics.
La municipalité a mis en circulation
quelque 200 nouveaux autobus, ajouté
des trains et des liaisons d’autocars
rapides aux heures de pointe et ouvert
des parkings autour de la ville. Ces initiatives n’ont pas eu d’impact significatif sur le nombre d’usagers des transports en commun. Au printemps 2006,
on enregistrait pourtant une hausse de
6 % de la fréquentation globale des
transports publics et de 9 % de celle
des liaisons interurbaines, par rapport
à l’année précédente.
QUINZE FOIS MOINS
DE RÉCLAMATIONS QUE PRÉVU
Le péage urbain de Stockholm, dont
le gouvernement suédois a confié la
réalisation à IBM, fonctionne par le
biais de petits transpondeurs, de capteurs laser et d’un réseau de caméras
suivant l’itinéraire de chaque voiture
dans la ville. A chaque fois qu’une voiture franchit l’un des 23 portiques de
péage, le système l’identifie soit en captant les données de son boîtier électronique embarqué, soit en lisant sa
plaque minéralogique. Il vérifie aussitôt ces informations dans le registre
des immatriculations et calcule le tarif
appliqué, en fonction de l’heure de la
journée et de la position géographique
du véhicule. L’installation du système
a pris quatre mois. Le matériel a bien
fonctionné, y compris pendant les
longs mois d’hiver. Le service clientèle
d’IBM n’a reçu que 2 000 appels par
jour, alors qu’il en attendait 30 000.
Les sommes débitées n’ont par ailleurs
entraîné que très peu de plaintes.
Certains habitants de Stockholm
estiment que ce plan de réduction des
émissions polluantes peut s’avérer
contre-productif. Lars-Inge Svensson
a ainsi modifié l’itinéraire qu’il prenait
pour aller travailler pour éviter deux
péages. Désormais, il parcourt cinq
kilomètres de plus, mais économise
6,50 euros par jour. “J’ai émis autant
de gaz d’échappement, sinon plus, mais
ailleurs”, conclut-il. Quoi qu’il en soit,
Dublin, San Francisco, Prague et
Copenhague envisagent d’adopter des
systèmes similaires.
Leila Abbud, Jenny Clevstrom
831 p57 médias
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multimédia
Internet brouille l’avenir de la radio
MÉDIA Le succès des sites
rents, accroissant ses recettes de 6 %
par rapport à la même période de l’année précédente.
En se positionnant sur Internet de
manière très offensive, les radios commencent à proposer de nouveaux services personnalisables, destinés à
séduire les auditeurs internautes. Elles
mettent notamment l’accent sur l’information de proximité, un domaine
dans lequel les autres acteurs du Net
ont du mal à assurer. Le site musical
de Clear Channel est l’un des plus visités de la Toile. Quant à CBS Radio,
autrefois connue sous le nom d’Infinity Broadcasting, elle a décidé, en
2005, de renforcer sa présence sur le
Net alors que, jusqu’à cette date, elle
était quasi absente. Aujourd’hui, plus
de 70 stations appartenant à son réseau
diffusent en direct leurs programmes
sur la Toile [www.radiomat.com]. De
plus, CBS Radio a lancé KYOURadio.com, une sorte de YouTube [voir
CI n° 826,du 31 août 2006] où sont diffusés des podcasts créés par les auditeurs eux-mêmes. Depuis 2005, CBS
Radio a aussi adapté de nouveaux programmes dans vingt-sept de ses stations, en misant sur des programmations musicales plus variées et en
poursuivant son implantation dans des
domaines en plein essor, comme les
radios en espagnol.
■
de téléchargement musicaux
et des stations satellitaires oblige
les grands exploitants à revoir
leur stratégie et à innover.
THE NEW YORK TIMES
New York
es radios continuent à perdre
des auditeurs. Exemple : Danny
Costa, un étudiant de l’université
de Boston qui a grandi en écoutant la radio à New York. Ces dernières
années, il l’a délaissée au profit de sites
Internet à partir desquels il peut télécharger de la musique ou des vidéos
dont il a entendu parler par des amis.
Il préfère ces sites au martèlement du
Top 40. Il grave ses morceaux favoris
sur des CD ou les copie sur son iPod.
“Depuis que j’ai accès à toute cette
musique en ligne, j’ai arrêté d’écouter la
radio”, reconnaît-il. Le secteur est
aujourd’hui confronté à de nombreux
défis comme le streaming audio [diffusion de contenus en direct], le podcasting, les lecteurs MP3 ou encore la
radio par satellite.
L’avenir de la radio paraît de plus
en plus incertain depuis la fin des
années 1990, une période où les industriels se bousculaient pour racheter des
stations. Aujourd’hui, les recettes des
radios stagnent et le nombre d’auditeurs est en baisse. Le temps que les
gens consacrent à la radio au cours
de la semaine a chuté de 14 % depuis
dix ans.Voilà qui amène les opérateurs
à envisager de nouvelles stratégies.
D’après certains analystes du secteur,
Clear Channel Communications, le
plus grand exploitant de radios aux
Etats-Unis, envisage de revendre certaines de ses 1 200 stations à de plus
petits exploitants, après avoir racheté
tout ce qui bougeait pendant des
années. Par ces grandes manœuvres,
les radios espèrent remonter la pente.
Elles parient également sur l’innovation. En 2005, elles ont redoublé d’efforts en expérimentant de nouveaux formats et en lançant des projets
numériques comme la radio haute
définition (HD), un format encore balbutiant qui permettra aux auditeurs
équipés de tuners spéciaux d’écouter
davantage de stations spécialisées avec
une qualité de son proche du CD. Par
ailleurs, les radios cherchent à s’implanter sur le Net, en intégrant des
vidéos et autres possibilités que nul
n’aurait pu imaginer quand la radio
commerciale est apparue il y a près de
quatre-vingt-dix ans. “On n’en est plus
à se demander si la radio est un secteur
structurellement en déclin, car c’est incontestable. En revanche, on assiste d’ores
et déjà à une évolution stratégique des
modèles de fonctionnement afin de relancer l’activité”, note Michael Nathanson, analyste médias chez Sanford C.
Bernstein & Company. Contrairement
à la presse écrite ou à la télévision, les
radios sont rapidement tombées en disgrâce auprès des financiers de Wall
L
Dessin de
John Hersey paru
dans Mother Jones,
San Francisco.
■
Profil
Howard Stern
est la personnalité
radiophonique
la plus célèbre
et la mieux payée
d’Amérique du Nord.
Sirius va lui verser
600 millions de
dollars en salaires
et en actions
sur cinq ans
pour transférer
son mélange parfois
douteux d’allusions
grivoises et
de plaisanteries
bien grasses
des stations
hertziennes
gratuites à la radio
satellitaire
par abonnement.
Son passage
du réseau
radiophonique
Infinity, propriété
de Viacom,
à celui de Sirius
constitue
un épisode crucial
pour cette station,
dont l’audience
n’équivaut qu’à
un tiers environ
des 9 millions
d’auditeurs
que l’animateur
a quittés
en changeant
de station.
FAIRE ENTENDRE LEUR VOIX
DANS LE CYBERESPACE
Street. Une tendance qui peut s’expliquer par le fait que, contrairement aux
autres supports, les radios n’ont pas
cherché assez rapidement à se diversifier sur Internet. Bien que leurs
recettes liées au cyberespace soient en
forte hausse, elles n’ont cependant
représenté que 87 millions de dollars
[68,5 millions d’euros] en 2005, une
goutte d’eau par rapport aux 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires
que le secteur a engrangés l’année
dernière.
LES OPÉRATEURS DIVERSIFIENT
LEURS MODES DE DIFFUSION
Ce ne sont pas seulement les étudiants,
dans les résidences universitaires, qui
s’éloignent des radios traditionnelles.
Larry Glassman, un chirurgien qui réalise des greffes pulmonaires, avait l’habitude d’écouter la radio pendant son
trajet quotidien de quarante minutes
pour se rendre à l’hôpital, notamment
pour retrouver ses classiques rock préférés. Mais il est désormais abonné à
XM Radio.
Larry Glassman, 51 ans, explique
qu’il a cessé d’écouter la radio à cause
de la publicité et parce qu’il trouve la
programmation musicale de ses stations favorites trop grand public et trop
limitée. XM Radio et sa grande rivale
Sirius ont réussi à séduire quelque
11 millions d’abonnés grâce à des animateurs vedettes comme Howard
Stern, des émissions sportives, ainsi
qu’à l’excellente qualité du son et à
l’absence de coupures publicitaires.
Les patrons des grandes stations de
radio estiment que l’on accorde trop
d’importance aux radios satellitaires
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
57
qui ne mobilisent finalement qu’une
part infime des auditeurs. Ils rappellent que leurs stations sont gratuites et
sont écoutées par 230 millions de personnes. “Il est vrai que les stations traditionnelles ne donnent pas l’impression
d’être dans le coup. Mais cela ne reflète
pas la réalité”, affirme Jeffrey Smulyan,
le patron d’Emmis Communications.
Les radios cherchent d’ailleurs à
démontrer le contraire, en innovant à
leur tour. Clear Channel, par exemple,
a signé un contrat avec BMW, début
septembre, pour fournir des infos gratuites sur le trafic en temps réel à destination des GPS qui équipent les nouveaux modèles du constructeur automobile allemand. La société a annoncé
la conclusion d’un autre accord avec
le fabricant de téléphones sans fil Cingular, afin de fournir aux clients de ce
dernier des programmes en direct et
des contenus à la demande. “Nous voulons nous orienter vers toutes sortes d’outils de diffusion”, assure Mark Mays, le
directeur général de Clear Channel.
“Nous avons déjà six ou sept sources de
revenus supplémentaires que nous n’avions
pas il y a vingt-quatre mois.” L’entreprise
a aussi exploré d’autres voies comme
le rachat d’actions, la filialisation de
son service de publicité extérieure ou
encore l’embauche d’un dirigeant
d’AOL pour superviser ses projets de
musique en ligne. La société essaie également de réduire la quantité de publicités qu’elle diffuse et de passer des
spots plus courts. Des initiatives que
les autres opérateurs suivent avec intérêt, puisqu’au cours du deuxième trimestre 2006, Clear Channel a obtenu
de meilleurs résultats que ses concurDU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
Jeffrey Smulyan espère qu’avec la radio
HD et la présence accrue des stations
sur Internet, le monde de la radio
retrouvera son éclat d’antan. Peter
Supino, analyste financier chez Wallace
R.Weitz, fait valoir que la radio a enfin
compris qu’elle devait renouveler sa
manière de vendre des espaces publicitaires et se concentrer sur l’amélioration de son produit, aussi bien en
ligne que hors ligne. “Le secteur se portait si bien dans les années 1990 qu’il
n’avait pas a priori de raisons de s’inquiéter, il suffisait d’appuyer sur le champignon pour engranger un meilleur
chiffre d’affaires tous les ans”, rappelle
M. Supino, dont la société possède des
actions dans Cumulus Media, un
groupe de radios. De nombreux opérateurs fondent de grands espoirs sur
la radio HD, mais il va encore falloir
attendre au moins trois ans pour que
celle-ci puisse influencer le chiffre d’affaires du secteur. John Rose, du Boston Consulting Group, note que les
stations n’ont pas encore trouvé le
moyen d’utiliser la qualité de son parfaite de la radio HD pour proposer un
service de téléchargement des morceaux diffusés.
Dans ce climat d’incertitude, il ne
faut pas s’étonner de voir les organisateurs du dernier salon réservé aux
professionnels de la radio, qui s’est
tenu à Dallas du 20 au 22 septembre
2006, proposer des conférences sur
des thèmes tels que : “Apprenez à
voler de l’argent à votre journal local”
ou “Exploiter la puissance des blogs”.
Signe des temps, la soirée d’inauguration n’a pas été financée par un
radiodiffuseur. C’est Google qui a
offert les boissons.
Richard Siklos
*831 p58-59-60 SA
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voya ge
Michael Amme/LAIF-REA
●
AU CŒUR DES CARAÏBES
Belize, ce pays où personne
Pourquoi se rendre au Belize, nation
qui n’a produit aucune star de la musique
ni inspiré aucun écrivain, et où il n’y a
ni guerre ni famine ? L’écrivain chilien
Alberto Fuguet a son idée.
ETIQUETA NEGRA
Lima
E
Question plages :
eau turquoise,
transparente.
Quoi d’autre ?
Qu’est-ce qu’on peut
dire sur le paradis ?
sa valise et qu’on jette le linge sale dans le panier.
Mais ce voyage-ci est tout différent. Il se termine
quand j’atterris sur la piste cahoteuse de l’aéroport de Belize City. La réalité poussiéreuse prend
le pas sur l’imagination. Le meilleur du voyage
est terminé. Et ça me fait un peu de peine. Je ne
pourrai plus jamais spéculer sur le Belize. Maintenant, par exemple, je sais que les touristes
débarquent à l’aéroport international – aéroport
tropical typique, avec des ventilateurs qui brassent l’air chaud sans ventiler. Je sais aussi que,
sans y réfléchir à deux fois, ils montent à bord de
petits avions déglingués et s’envolent vers les cayes
[îles basses sablonneuses, en anglais cay ou key].
Vers la mer.
Je ne tarde pas à comprendre que ce qu’il faut,
c’est zapper la ville principale. Les touristes les
plus âgés et les plus friqués partent immédiatement pour Ambergris, une île en forme de nouille
qui fit jadis partie du Mexique ; les plus jeunes
(et pauvres) se dirigent vers Cayo Caulker, un lieu
qui, disent-ils, leur rappelle un antre hippie des
années 1960. C’est sûr, tout au Belize rappelle le
début des années 1960. Les écotouristes (il en
vient beaucoup, au Belize) sont sidérés de voir
à quel point tout est prémoderne. C’est comme
ça. Il n’y a presque pas de télé, le seul cinéma a
été inauguré l’année dernière, et les cybercafés
Ici, on ne risque
pas d’être agressé
et on peut rouler
tranquille. La paix
règne, l’argent
ne manque pas.
Susan Meiselas/Magnum Photos
n un peu plus d’une heure d’attente à bord de
l’avion, sur le tarmac de l’aéroport de Santiago du Chili (pour une révision de moteur
ou autre), j’ai le temps de confirmer mes
soupçons : je suis le seul passager du vol à me
rendre au Belize. D’ailleurs, que trouve-t-on au
Belize ? Ce pays, qui n’a vu naître ni Prix Nobel
ni chanteur célèbre, semble ne pas exister – en
tout cas, ni dans la culture ni dans l’imaginaire
pop. Ce pays qui n’est ni le Congo, ni le Kenya,
ni Zanzibar, ni le Sri Lanka. Le Belize serait plutôt un pays série B. Je n’ai jamais lu aucun livre
ni vu aucun film dont le cadre se déroule au
Belize. Hemingway n’a jamais mis les pieds dans
ce maudit endroit. Même Graham Greene n’y
a situé aucune de ses intrigues.
Il y aurait donc quelque chose au Belize ? Ce
n’est pas un pays CNN. Ce n’est pas un pays à
guerres, ni à sécheresses, ni à famines, ni à génocides. Autant dire que ce n’est pas un pays à la
mode. Il n’est même pas démodé. A l’heure où
tout le monde sait tout sur tout, je m’aperçois que
je ne sais rien sur le Belize. La fille de l’agence
m’a avoué que c’était la première fois qu’elle réservait un vol pour Belize City. Le Belize est un de
ces pays… Un de ces nouveaux pays qui existent
presque. Par Internet, j’ai appris trois fois rien.
Le Belize est le paradis de la plongée. Or je n’appartiens pas à la confrérie subaquatique internationale. Le Belize vit du tourisme en provenance
des Etats-Unis, mais, même aux Etats-Unis et
même pour le secteur touristique américain, le
Belize a quelque chose de confidentiel. “Et vous,
jeune homme, vous allez où ? — Au Belize, Madame.
— Où ça ?”
L’avion à destination du Belize, qui part de
Miami, est loin d’être plein. Il accueille une douzaine d’hindous, sans doute des commerçants. Ils
ont l’air tristes, fatigués. Il y a deux grosses femmes
noires qui parlent un anglais que je comprends à
peine. Et une dame anglaise âgée, qui se rend au
Belize dans le seul but de prendre le soleil. Sa destination est Placencia. “Mon mari m’a invitée à
l’hôtel de Francis Ford Coppola. Il est fan de la série
de films Le Parrain. Moi, ils m’ennuient. Mais
l’agence de voyages lui a assuré que l’endroit était
divin.”
Janice me tend la main. C’est une main ridée,
froide et glissante. Je me rends compte qu’elle
s’est déjà enduite de lotion à l’aloès. Elle me
raconte qu’elle fête son anniversaire de mariage.
D’où l’invitation, le cadeau. Je ne savais pas que
Francis Ford Coppola possédait un hôtel. Un
hôtel au Belize. J’ai bien entendu ? “Il en a deux,
dear. Un dans la forêt, l’autre en bord de mer. Mais
je préfère la mer. Ce n’est pas que je nage beaucoup,
mais le soleil, ah ! le soleil… Dans leYorkshire, on n’a
pas le soleil de ces pays-là.”
J’en déduis que son mari est aux toilettes.
Et puis, aussitôt, je comprends que non. Car
Janice me confie que son mari lui offre chaque
année dix jours de vacances, mais seule. “C’est
mon cadeau d’anniversaire de mariage.”
Je suis de ceux pour qui les voyages commencent quand on comprend qu’on va voyager.
Généralement, ils se terminent lorsqu’on ouvre
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DU 5AU 11 O CTOBRE 2006
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Susan Meiselas/Magnum Photos
*831 p58-59-60 SA
ne va jamais
Pascal Maitre/Cosmos
San Pedro,
la principale
agglomération
de l’île d’Ambergris,
est un petit village
de pêcheurs qui
grouille de touristes.
sont chers, mauvais et lents. Les rares habitants
du pays (un mélange de Mayas, de Noirs et de
Centraméricains, plus une dizaine d’Anglais alcoolos) sont convaincus que le Guatemala voisin est
la nouvelle Sodome. Ils jugent le “reste du
monde” décadent. Ici, le nudisme est partout
interdit. On n’est pas sur une vulgaire île des
Caraïbes. Qu’on le veuille ou non, on est dans
l’ancien Honduras britannique.
Pour beaucoup de Latino-Américains, le
Belize est le paradis. Et ce n’est pas seulement
à cause de ses plages. Le Belize a beau être précaire, c’est tout de même une démocratie. Le
Belize est une plaque tournante du trafic de
drogue, mais pour autant il n’est pas gangrené
par le narcotrafic. Au Belize, on ne risque pas d’être
agressé et on peut rouler tranquille. La paix règne
au Belize, l’argent ne manque pas. Le pays affiche
l’un des niveaux de vie les plus élevés de la région.
On ne le dirait pas, mais c’est la vérité. Ici, aucun
des 250 000 habitants ne meurt de faim.
D’où l’attrait qu’exerce ce petit pays sur ses
voisins. Alors qu’il venait tout juste de conquérir
son indépendance [en 1981], les guerres civiles
ont éclaté au Salvador et au Nicaragua. En deux
ans, le minuscule Belize a dû accueillir environ
30 000 personnes, bien décidées à rester. Aujourd’hui, ils sont tous béliziens. Et ils parlent presque
tous anglais. Bizarre. C’est peut-être, avec la chaleur et l’odeur de sueur mêlée de relents de
piment, ce qui attire le plus l’attention. Le Belize
est comme Los Angeles : les habitants ont tous
des têtes de Centraméricains, mais ils parlent
anglais. Et espagnol. Et maya. Et créole, à savoir
un anglais mâtiné d’un peu tout. Les descendants
des Indiens Caraïbes et des esclaves africains parlent le garifuna. D’une certaine façon, le Belize
est le seul pays vraiment bilingue du continent.
Le Belize n’est pas Cancún. Au Belize,
“Cancún” est un gros mot. Surtout à Ambergris Cay. Sur cette île allongée et étroite – protégée par l’une des barrières de corail les plus
longues du monde –, on ne trouve pas de buildings. Il n’y a pas d’all-inclusives [formules tout
compris]. Il n’y a pas de resorts [complexes touristiques] comme il en existe en République dominicaine. Les plus nationalistes disent que c’est un
choix. Les plus sceptiques estiment que ce n’est
qu’une question de temps. Pour l’instant, en tout
cas, les plages du Belize sont unplugged [déconnectées]. OK, question plages : eau turquoise,
transparente. Quoi d’autre ? Qu’est-ce qu’on peut
dire sur le paradis ? Le paradis est joli. Le paradis est tiède. Le spectacle du lever de soleil sous
les tropiques est intense. Qu’est-ce qu’on peut
écrire de plus sur une plage ?
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
59
C’est comme
à Los Angeles,
les habitants ont
tous des têtes
de Centraméricains,
mais ils parlent
anglais. Et espagnol.
Et maya.
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
Gregory et Alice, mes voisins à Mata Chica,
le resort le plus sympa et le plus cher d’Ambergris, sont venus admirer le Blue Hole, un trou
bleu dans la mer, au-delà de la barrière de corail.
Un endroit qui en raison de sa profondeur apparaît plus bleu, vu du ciel, que le reste de la mer.
Un peu le mont Fuji du Belize. Le commandant
Cousteau en avait fait l’une de ses destinations
favorites, si bien qu’il est évidemment devenu un
lieu culte.
San Pedro est la principale agglomération
d’Ambergris : c’est là qu’on atterrit. Ce petit village de pêcheurs grouille de touristes qui circulent en voiturettes de golf dans les rues non goudronnées. Il y a des restaurants, des magasins ou
des bars où on vous laisse entrer pieds nus.Vous
voyez, quoi, le genre plage-plage. Mais tout sur
le mode mineur. Rien de strident. On prend du
bon temps, on mange mieux. Cinq jours suffisent, mais la plupart des gens restent dix jours.
Sur l’aérodrome de Placencia, dans le sud du
pays, je me retrouve devant un bimoteur de type
Première Guerre mondiale. L’avion s’appelle
Sofia. Oui, en hommage à cette jeune femme
[Sofia Coppola] qui a décroché un oscar [du
meilleur scénario pour Lost in Translation]. Me
voilà en territoire Coppola.
Placencia est une péninsule habitée par des
descendants d’esclaves métissés avec des Indiens.
Ici, la mer est plus agitée. Le taxi local, une ruine,
n’est pas peint comme un taxi. Je demande au
chauffeur de m’emmener à l’hôtel de Coppola.
“Où ça ? — Au Turtle Inn. — Ah ! d’accord…”
A Placencia, comme dans tout le Belize, Coppola est juste un gros monsieur qui aime les pâtes.
Un rappel des faits s’impose. Jusqu’à une date
récente, ce pays n’avait jamais eu de cinéma. Le
stock des vidéoclubs se compose de vidéos pirates
ou, avec un peu de chance, de films d’action de
série Z. Seuls les gens les plus cultivés savent que
Coppola est le propriétaire de deux resorts au
Belize et d’un autre près de Tikal, au Guatemala
– des lieux qui attirent les voyageurs étrangers en
quête de tranquillité. (Il prévoit également d’en
ouvrir un au Honduras, et, dans l’après-Fidel, un
hôtel comme celui du Parrain II à La Havane.)
Que fait au Belize un type comme Coppola ?
Et pourquoi a-t-il investi toute son énergie dans
la construction d’hôtels cool au lieu de diriger un
nouveau chef-d’œuvre ? Le Belize s’est trouvé sur
le chemin de Coppola et, si son rêve s’était réalisé, à l’heure qu’il est il serait sans doute mort, *831 p58-59-60 SA
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voya ge
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carnet de route
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Ambergris
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San Pedro
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88° O HONDURAS
Y ALLER ■ Il n’y a pas de vol direct Paris-Belize
City. Il faut compter au moins 800 euros pour
un aller-retour avec une ou deux escales. Dans le
cadre d’un périple en Amérique centrale, des bus
relient aussi Belize City à par tir de Chetumal
(Mexique) ou de la frontière du Guatemala. Sur
place, le pays se parcourt surtout en petit avion.
Plusieurs compagnies aériennes desservent les
petites villes du pays.
SE LOGER ■ “La première fois que j’ai visité Belize
je recherchais le même paradis sauvage que j’ai
trouvé aux Philippines à l’occasion du tournage
d’Apocalypse Now. Je l’ai découver t dans les
montagnes mayas”, raconte Francis Ford Coppola. Pour suivre ses traces, rien de tel que de
se rendre dans son hôtel, le Blancaneaux. La
Villa Francis-Coppola, la plus chère de toutes les
options du complexe, est louée entre 550 et
650 dollars US la nuit, et comprend deux
chambres. The Turtle Inn, le second hôtel du réalisateur dans le pays, propose, du côté de la
plage, des chambres doubles à partir de 250 dollars US la nuit.
QUAND Y ALLER
■ La saison la plus touristique
est l’hiver (qui dure de mi-décembre à avril), mais
il est plus facile de trouver un logement en été,
et les prix baissent en cette saison. A noter qu’il
existe des risques d’ouragan parfois très violents
en été. Pour ceux qui aiment la fête, le carnaval donne lieu à de nombreuses festivités fin
février ou début mars.
À VOIR
Pascal Maitre/Cosmos
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Blancaneau
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Belmopan
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Iles
Turneffe
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Belize City
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M
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G U A T E M A L A
B E L I Z E
■ La barrière de corail, qui s’étend sur
250 kilomètres le long de la côte, est la seconde
plus grande barrière du monde après celle de l’Australie, et fait du Belize un paradis pour les plongeurs.
Pour observer la faune, le bassin de Cockscomb
est l’une des seules réserves de jaguars au monde.
Uniquement accessible en 4 x 4, Caracol est l’un
des plus beau site mayas de la région.
en prison ou à l’asile. Le rêve de Francis Ford
était aussi simple que mégalo : acheter le Belize
et le transformer en pays-studio. Le Belize aurait
été le Hollywood de l’Amérique centrale. Il avait
même l’intention d’en faire le grand centre satellitaire et de communications du continent. Un
pays high-tech peuplé d’antennes et de téléphones.
Coppola est un homme qui rêve, mais on a du
mal à imaginer le Belize comme un technopôle.
Au Belize, il n’y a même pas le haut débit. Si le
projet de Coppola avait vu le jour, ce paradis touristique serait peut-être devenu une sorte de
Dubaï des télécommunications.
Coppola s’est rendu au Belize et a dit aux nouveaux gouvernants : Messieurs, l’avenir sera numérique ou ne sera pas. Le Premier ministre du
Belize en personne a décliné son offre. Le pays
avait à peine l’électricité. Non merci, lui a-t-il
répondu. Mais pourquoi vous ne visiteriez pas le
pays ? Coppola l’a fait. Et il est tombé amoureux
d’un vieux lodge [refuge] abandonné, dans les
montagnes, où bivouaquaient les vieux Anglais
qui partaient chasser le jaguar. Coppola s’est intéressé à Blancaneaux. Le gouvernement le lui a
vendu à prix coûtant et, au passage, lui a offert
tout un tas d’hectares autour. Blancaneaux est
devenu le refuge des Coppola.Tout le clan – Talia
Shire [sœur du réalisateur], Nicolas Cage [neveu
du réalisateur], la jeune Sofia – venait y fêter les
anniversaires et y passer Noël.
Au début des années 1990, Coppola était à
court de liquidités, mais il a compris tout le parti
qu’il pouvait tirer de son nom. Parmi ses nombreuses décisions, il a transformé sa résidence
secondaire en un lodge ouvert au public. Même
chose pour The Turtle Inn. Quand il a déniché
ce petit hôtel en bord de mer, il a su immédiatement qu’il le voulait, même s’il n’était pas rentable. Sauf à le transformer lui aussi en un lieu
d’hébergement payant. Pas trop cher, même si
c’est une façon de parler, surtout à l’échelle latinoaméricaine. Car, enfin, dans le monde des millionnaires, un lieu comme The Turtle Inn n’est pas
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
60
Belize City
n’est pas une ville.
C’est un village de
70 000 habitants.
■
Alberto Fuguet
Né au Chili
en 1964,
ce journaliste,
critique et écrivain
est l’un
des instigateurs
du collectif
McOndo, qui publia
en 1996 un recueil
de nouvelles
du même nom
écrites par
dix-huit auteurs
latino-américains
assez irrévérencieux,
âgés de moins
de 35 ans, et qui
voulaient rompre
avec le réalisme
de leurs célèbres
aînés. McOndo est,
selon Alberto
Fuguet, un mélange
de McDonald’s,
de Macintosh
et de condo
(les condominiums
étant des complexes
résidentiels
sécurisés qui
fleurissent partout
en Amérique). C’est
aussi évidemment
une satire du village
fictif de Cent ans
de solitude de García
Márquez. Alberto
Fuguet est l’auteur
de cinq romans,
dont Mala Onda
(Mauvaise onde),
en 1991, et Tinta
Roja (Encre rouge),
en 1996, édités
chez Alfaguara.
Pour en savoir plus
visitez son blog :
<http://albertofuguet.
blogspot.com/>
DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
si cher que ça. Pour quatre jours en pension complète, vin compris, un couple y laisse environ
1 000 dollars. Mais Coppola sait qu’il existe des
centaines d’endroits où l’on paie plus pour une
prestation moindre. Parce que Coppola vous
reçoit comme chez lui. L’air de rien, vous êtes
chez lui. Il n’y était pas quand j’y ai séjourné, mais
il est souvent là, à lire, à taper sur son ordinateur
portable, à manger des pâtes.
Qu’est-ce que je peux dire du Turtle Inn ? C’est
une plage. Mais pas seulement. Les savons sont
de ceux qu’on aimerait manger tant ils embaument. A la tombée du jour, on sent que le responsable des éclairages n’est autre que le directeur de la photographie Vittorio Storaro [celui,
entre autres, d’Apocalypse Now]. Nous sommes
au paradis, sans aucun doute, mais aussi dans un
lieu raffiné, tout en retenue, à échelle humaine.
Coppola n’a pas créé un Planet Hollywood. Il n’y
a pas d’affiches de ses films sur les murs, ni d’oscars sur le comptoir de la réception.
Dans le vol depuis Placencia, tandis que nous
survolons les plantations de piment, je demande
au pilote (je suis à la place du copilote et ma porte
est mal fermée) de me dire quelques mots de la
capitale. “Elle ne vaut pas le détour”, me répondil avant d’ajouter : “You better belize it.” La phrase
nationale. Elle apparaît sur les macarons que les
automobilistes collent sur leurs pare-chocs. Et
aussi sur des affiches, des tee-shirts, des cartes
postales. Au bout de quelques jours, je comprends
qu’en fait cela veut dire : à prendre ou à laisser.
Dans d’autres pays des Caraïbes, les gens disent :
“Don’t worry, be happy !” Mais le Belize est en
Amérique. J’arrive donc à Belize City, qui n’est
pas une ville. C’est un village. Un village infect
de 70 000 habitants. Belize City est le genre d’endroit dont on n’a pas envie de connaître les hôpitaux. Ni les prisons.
Après quatre eaux minérales, je comprends
que les touristes ne vont pas de l’autre côté de la
ville. Du côté sud, ni vers le centre. Je suis le seul
Blanc de tout le quartier et, au cas où j’aurais des
doutes sur ma race, on me donne sans arrêt du
“Hey, white boy” et on me propose de la drogue.
Mais la ville n’est pas nécessairement violente, on
ne se fait pas agresser. On se fait tout au plus
insulter, ce n’est pas pareil. Le fait que le quartier des riches ressemble à un quartier pauvre
complique encore les choses. Et disons que d’avoir
la fièvre n’arrange pas vraiment l’affaire. Ce n’est
pas pour rien si on dit qu’on garde un mauvais
souvenir des villes où on a été malade. A mon
deuxième jour à Belize City, j’ai senti que je
bouillais. L’odeur d’ordures et de poisson pourri
montant des canaux et du fleuve [le Belize] ne
m’aidait pas non plus à respirer. Malgré tout,
Belize City est une ville tranquille.Tellement tranquille que l’ambassade des Etats-Unis est une
vieille maison en bois, et non un bunker. Le quartier diplomatique paraît sorti tout droit des pages
de Tom Sawyer : maisons en bois, clôtures
blanches, jardins.
J’ai traversé le fameux pont, un pont manuel
qui se déplace comme une chatte, et j’ai regardé
un navire de croisière, au mouillage en mer. Il
était bourré de vieux Américains vêtus de rose.
Je les avais déjà croisés du côté nord, près de
mon hôtel colonial. Mais où étaient-ils maintenant ? Le navire avait disparu. Ou alors j’avais
des hallucinations. De fait, une fois que je me
suis acheté un thermomètre chez Brodie’s, un
drugstore qui est resté figé dans les années 1960,
j’ai pu vérifier que c’était le cas. J’avais 41 °C de
fièvre. Peut-être la température idéale pour
séjourner à Belize City.
Alberto Fuguet
831 p61 livrePub
3/10/06
11:33
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l e l i v re
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LE NOUVEAU PABLO TUSSET
Cinq ans après son grand
succès Ce qui peut arriver
de mieux à un croissant,
l’écrivain espagnol
revient avec un truculent
roman noir.
LA VANGUARDIA (extraits)
Barcelone
’un des plus grands défis, en littérature,
consiste à suivre la tradition d’un genre tout
en en transgressant les règles. Peu de genres
permettent d’aller aussi loin dans l’hétérodoxie que le roman noir, et peu d’écrivains l’ont
fait aussi brillamment que Pablo Tusset avec son
premier roman très encensé, Ce qui peut arriver
de mieux à un croissant [éd. Michalon, 2002], et, de
façon encore plus radicale aujourd’hui, avec En
el nombre del cerdo* [Au nom du porc]. Un roman
qui part d’un fait divers sanglant – le dépeçage dans
un abattoir d’une femme obèse d’environ
110 kilos – pour nous entraîner sur des sentiers
narratifs semés d’embûches, d’allusions et de clins
d’œil littéraires.
La stratégie de Tusset est claire : faire de choses
apparemment frivoles – l’humour, l’irrévérence,
l’invraisemblance – le miroir de la nouvelle société
espagnole née après la mort de Franco. Et, pour
rendre la tragédie plus authentique, l’un des
L
meilleurs moyens, dans un pays plus pathétique
que tragique, est d’avoir recours à la parodie.
Contrairement à ce que l’on attend d’un roman
noir, il n’y a pas beaucoup de suspense dans ce
livre. L’important, ici, ce sont les situations et les
dialogues. On a dépecé une femme, et le lecteur
s’attend à ce que cet assassinat donne lieu à une
enquête qui s’achèvera par un dénouement heureux ou malheureux. Mais les personnages et les
lieux où se déroule l’action relèguent les raisons de
l’assassinat au second plan. Le coupable possible
est le propriétaire de l’abattoir, le très puissant Juan
de Horlá. On ne le voit jamais mais il occupe une
place très particulière.Tout d’abord, il est poète,
et la clé du mystère semble se trouver dans l’un de
ses poèmes. Ensuite, son nom n’est pas un surnom : c’est lui qui a donné son nom à San Juan de
Horlá, localité qui devient l’un des centres de ce
roman tout en dédoublements et en déplacements.
C’est là que doit se rendre l’agent Tomás, ou T,
transformé en Pedro Balmes, ou P, pour enquêter
sur un dépeçage organisé par des narcotrafiquants.
Grâce à P nous découvrons San Juán de Horlá,
un village dantesque comptant trois cents habitants nés sur place et vingt étrangers qui s’y sont
installés au fil des ans – un village qui, par de multiples aspects, nous rappelle New York. Il nous le
rappelle parce que l’agent P, ou son double, T,
est allé précédemment à New York, une ville que
Tusset nous fait parcourir merveilleusement sur
les pas d’un Tomás amoureux de Suzanne. Cette
histoire d’amour est la chronique d’un échec
annoncé mais aussi une belle idylle dont il ne reste
qu’une bague que Pedro-Tomás lancera dans le
vide, un vide qui n’est autre que celui du roman.
Ediciones Destino
Au nom du porc
Pablo Tusset, qui
fuit les photographes
comme la peste,
préfère se voir
en peinture.
■
Biographie
Pablo Tusset,
de son vrai nom
David Omedes,
est né à Barcelone
en 1965. En 2001,
son premier roman,
Ce qui peut arriver
de mieux
à un croissant,
se hisse par le seul
bouche-à-oreille
en tête des ventes.
Il s’est vendu à
ce jour à 400 000
exemplaires et a été
traduit dans dix-sept
pays. Pablo Tusset,
vit aujourd’hui
quelque part
sur la Costa Brava
et refuse les photos
et les interviews.
Le commissaire Pujol, même s’il travaille à Barcelone, nous emmène lui aussi à New York par le
biais d’un magasin de disques où réapparaissent
certains héros et antihéros de la pop entraperçus
dans Ce qui peut arriver de mieux à un croissant.
Le commissaire achètera lui aussi une bague pour
sa deuxième lune de miel, qui le précipitera dans
le vide.
Un bon livre est celui qui fait regretter au critique de ne pas avoir assez de place pour parler de
tout ce qu’il contient. Certaines choses sont extrêmement subtiles : que vient faire la prostituée assassinée à Sligo, en Irlande, où est née Suzanne
Ortega ? Pourquoi les policiers ont-ils cette obsession des psychopathes, auxquels ils s’identifient
par inadvertance ? Pourquoi connaissons-nous les
assassins mais pas le mobile du crime ? Quel rôle
joue le sens de la justice dans ce roman intelligemment amoral ? Et pourquoi, dans un roman
noir, l’élucidation du crime – qui est pourtant ce
qui nous a fait mordre à l’hameçon dans les premières pages – et l’enquête elle-même sont-elles
les choses qui comptent le moins ? On appelle cela
de l’intelligence et de l’habileté narrative.
Juan Antonio Masoliver Ródenas
* Ed. Destino, Barcelone, 2006. Pas encore traduit en français.
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13:01
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insolites
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Ticket chic
our apprendre le polonais, prenez le bus ! Les trolleybus de Vilnius, en Lituanie, dispensent désormais des cours de langue. Des phrases type en lituanien,
en polonais et en anglais accompagnent les annonces indiquant les arrêts. Des
tests écrits sont aussi disponibles, et les passagers peuvent faire noter leurs
devoirs. L’initiative, financée par la Commission européenne, sera étendue à d’autres
pays d’Europe. On enseignera le turc et l’anglais dans le métro de Hambourg, les
banlieusards de Milan pourront s’initier à l’espagnol, et des cours d’italien seront
dispensés dans les bus maltais et roumains.
(BBC News Online, Londres)
AFP
P
L’excursion du jour :
Concert pour portables
passer la frontière comme un vrai clandestin
Un forte magistral, un piano subtil, un pianissimo magique et
es indigènes de l’ethnie hnahnu, qui vit dans le nord du Mexique, proposent
à des touristes étrangers de franchir à minuit la frontière avec les Etats-Unis.
Une aventure entièrement simulée. Les traversées ont lieu depuis deux ans dans
le parc écologique Eco Alberto, un territoire de l’Etat d’Hidalgo administré par
les habitants. Ceux-ci ont traversé à maintes reprises la frontière avec les EtatsUnis et font bénéficier les touristes de leur expérience, leur permettant de connaître
les affres du périple. Luis Santiago Hernández, l’une des personnalités locales à l’origine du projet, explique que les randonnées nocturnes sont organisées avec des groupes
d’au moins 20 touristes “et que cette activité nécessite le travail d’environ 70 personnes de
la communauté”. Selon Hernández, la traversée commence toujours à 20 heures et
se termine généralement à 2 heures du matin : les touristes rampent, traversent
des tunnels, se cachent dans des champs de maïs et sont même enlevés par des
polleros [passeurs] fictifs. Les employés du parc se transforment en guides ou en vigilantes [milices de citoyens américains qui patrouillent le long de la frontière], s’amusent à braquer leur lampe torche, imitent les bruits de la police des frontières américaine, font monter dans des camionnettes les participants enthousiastes. Hernández
affirme qu’il a accueilli des touristes venus d’Argentine, du Chili, du Pérou, de Colombie, des Etats-Unis, du Canada et de France, notamment. Tous sont emballés par
la perspective de passer une nuit dans la peau d’immigrants sans papiers.
El País (agence EFE), Madrid
D
puis l’horreur : vous avez oublié d’éteindre votre portable.
Un cauchemar, sauf dans le Concertino for Cellular
Phones and Orchestra, donné les 1er et 2 octobre à Chicago. Lors de ces deux représentations, les spectateurs
étaient instamment priés d’ALLUMER leur téléphone. Des
DR
signaux verts et rouges actionnés par le chef d’orchestre indiquaient au public, scindé en deux groupes
(parterre et balcon), le moment de faire retentir les sonneries. La composition de David
Baker ouvrait la 20e édition du festival de musique classique du Chicago Sinfonietta.
(Los Angeles Times, Los Angeles)
Buvez avec la Poste
u Tatarstan, la vodka s’achète
désormais dans les bureaux de
poste. Lancé avec la bénédiction
du gouvernement, ce nouveau
réseau de distribution permettra d’enrayer la production de spiritueux frelatés – et de calmer les populations,
sevrées de leur boisson favorite depuis
A
l’interdiction de vendre de l’alcool.
Depuis juillet dernier, quelque
2 500 points de vente ont fermé, notamment dans les zones rurales, explique
les Novyé Izvestia. Vingt-quatre agences
proposent déjà de la vodka devant les
guichets, entre les cartes postales et l’entrée des conseillers financiers.
Grille salariale
es enseignants turkmènes ont pris
d’assaut les rédactions des journaux. Pour obtenir une augmentation, ils doivent écrire des articles
chantant les louanges du président à
vie, Saparmourad Niazov. Les enseignants dont les panégyriques ne sont
pas publiés restent au salaire minimum
L
et risquent même d’être licenciés. “Je
me suis présentée dans un journal, ils m’ont
dit qu’ils n’avaient pas de place, puis j’ai
proposé de leur donner de l’argent et ils ont
accepté mon article”, rapporte une institutrice d’Ashgabat dans l’Institute for
War and Peace Reporting.
(The Daily Telegraph, Londres)
Si la photo est bonne
La rédactrice en chef de Glamour a présenté ses excuses aux Familles de militaires contre
la guerre (MFAW). La journaliste Victoria Lambert, chargée d’un reportage sur des femmes
ayant perdu leur mari en Irak et en Afghanistan, avait demandé à l’association de la mettre
en contact avec des veuves de guerre “photogéniques”.
Fructose
remière mondiale aux Emirats
arabes unis : la zakât – l’aumône
dont doit s’acquitter tout musulman – peut désormais être versée par car te bancaire. Depuis le
26 septembre, les croyants peuvent
régler l’“aumône légale” par carte Visa,
MasterCard et American Express, sur
le site <www.zakatfund.ae>. L’initiative ne convainc pas tout le monde.
P
Les marchands du Caire font de la politique. Sur les étals du marché Raoud Al-Farag,
les dattes les plus chères et les plus savoureuses ont été baptisées Nasrallah, Ahmadinejad et Chávez, en hommage au chef du Hezbollah, au président iranien et au leader vénézuélien. Le bas de gamme n’a pas changé de nom depuis l’invasion de l’Irak : cette année
encore, les clients les plus démunis devront se rabattre sur les Bush et les Blair pour
rompre le jeûne du ramadan.
(Al-Hayat, Londres)
COURRIER INTERNATIONAL N° 831
(The Independent, Londres)
L’aumône par carte bancaire
AFP
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DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006
“Dieu ne peut pas accepter qu’on verse la
zakât par carte. Que Dieu préser ve les
musulmans de ces idées de démocrates et
des errements des ‘réformateurs’ et des
‘profiteurs’”, s’enflamme Mohammed
Saleh, un Koweïtien cité dans Asharq
Al-Awsat. La zakât – littéralement, la
“purification” – est le troisième pilier
de l’islam. Cet impôt de solidarité est
majoré de 3 % sur Internet.