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832 UNE chine dessin 3/10/06 11:59 Page 1 Kalmoukie Le pays où le jeu d’échecs est roi SUPPLÉMENT MODE Vous avez dit équitable ? SOMALIE Dans les camps islamistes www.courrierinternational.com N° 831 du 5 au 11 octobre 2006 - 3 € Le monde selon Pékin Ses nouvelles ambitions géopolitiques AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 € AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £ GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥ LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 € SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU M 03183 - 831 - F: 3,00 E 3:HIKNLI=XUXUU[:?k@s@d@b@a; Ses visées néocoloniales en Afrique 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 831_p03 3/10/06 13:05 Page 3 s o m m a i re ● e n c o u ve r t u re ● CHINE Le monde selon Pékin Sur RFI Retrouvez l’émission Retour sur info, animée par Sophie Backer. Cette semaine, “Emigration clandestine : une nouvelle route vers les Canaries”, avec Pierre Cherruau, de CI, et Patrick Adam (de retour des Canaries), membre du desk Europe de RFI. Cette émission sera diffusée sur 89 FM samedi 7 octobre à 19 h 40 et dimanche 8 octobre à 0 h 10, puis disponible sur <www.rfi.fr>. The Economist Pour assurer la croissance du pays, les dirigeants chinois signent des contrats avec les pays producteurs de pétrole. Dans le même temps, ils envoient des soldats participer aux opérations de paix et inaugurent des instituts culturels. Une politique ambitieuse, qui doit permettre, selon le Quotidien du peuple, d’aller “vers un monde harmonieux”. pp. 36 à 41 Dessin paru dans The Economist, Londres. 4 ■ les sources de cette semaine 6 ■ l’éditorial Réchauffement : la nouvelle internationale, par Philippe Thureau-Dangin ■ ■ ■ ■ E N Q U Ê T E E T R E P O R TA G E S 36 ■ en couverture Le monde selon Pékin La Chine s’affirme sur la scène internationale. Elle joue maintenant pleinement le rôle diplomatique que lui confère sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Elle cherche par ailleurs à garantir son approvisionnement en matières premières en nouant des alliances avec les pays producteurs. Tour d’horizon. 42 ■ culture Limón et sa tribu flamenca Casa Limón n’est pas une simple maison de production. C’est un objet musical non identifié, qui a dynamisé le flamenco. Rencontre avec son fondateur, Javier Limón. RUBRIQUES 6 6 9 58 34 ■ afrique S O M A L I E Les islamistes réinventent les camps de rééducation GUINÉE - BISSAU Une nouvelle route vers les Canaries 44 ■ reportage Le prince des échecs est l’invité Talal Awkal, Al-Ayyam, Ramallah kalmouk Enclave bouddhiste à l’ouest de la mer Caspienne, la Kalmoukie est régentée par un milliardaire, Kirsan Ilioumjinov, qui a fait du jeu d’échecs une quasi-religion d’Etat. le dessin de la semaine à l’affiche voyage Belize, ce pays 46 ■ débat Le plus grand bobard de l’Histoire où personne ne va jamais 61 ■ le livre Au nom du porc, de Pablo Tusset 62 ■ insolites L’excursion du jour : passer la frontière comme un vrai clandestin En route pour l’UE p. 20 Comment la Maison-Blanche a-t-elle pu à ce point falsifier les faits sur la guerre d’Irak ? Pourquoi la presse a-t-elle relayé sa propagande ? Ces graves questions sont au cœur d’un livre passionnant du journaliste Frank Rich. D’UN CONTINENT À L’AUTRE IN ENGLISH 12 ■ france T É L É V I S I O N Grâce présidentielle C I N É M A 49 D’indigènes à Français à par t entière P O L I T I Q U E Merci, Lionel ! ■ Courrier international en v.o. 15 ■ europe H O N G R I E Il est urgent de mettre fin à la crise morale POLOGNE Un nouveau scandale éclabousse les frères Kaczynski A U T R I C H E Schüssel victime de la mondialisation G R È C E Athènes tenté par la manne de l’argent sale RUSSIE Moscou dans le piège géorgien ITALIE La jeunesse volée des bas-fonds de Naples D A N E M A R K Le design danois victime d’IKEA dossier Bulgares et Roumains dans l’UE L’Europe… mais sans les Roumains • Bucarest-Sofia : match nul • “Le mur de Berlin est enfin tombé” 24 ■ amériques ÉTATS - UNIS George W. Bush : de la tyrannie en Amérique C O N T E S TAT I O N Les inconnues de la nouvelle loi ÉTATS - UNIS L’islam fait des adeptes chez les Latinos ÉTATS - UNIS Oprah Winfrey présidente malgré elle ? ARGENTINE Le premier disparu de la démocratie BRÉSIL Lula à l’épreuve du second tour A M É R I Q U E L AT I N E Remesas et délinquance 28 ■ asie VIETNAM La démocratie sera-t-elle au rendezvous ? T H A Ï L A N D E Réformes au pas de charge pour le nouveau Premier ministre I N D E Malegaon, ses temples, ses mosquées J A P O N Donner un élan à la démocratie participative RÉGIONS Plusieurs communes en état de faillite ■ le mot de la semaine “jichi”, l’autonomie 32 ■ moyen-orient I S R A Ë L Parler à Damas et non au Hamas I R A N Visite aux juifs de Téhéran PA L E S T I N E Ça boume à Gaza ! IRAK Vivre et laisser vivre IRAK On meurt aussi à Mossoul INTELLIGENCES 53 ■ économie I N D U S T R I E Le Japon redonne la priorité à la qualité M O N N A I E Les salariés russes redécouvrent les ver tus du rouble ■ la vie en boîte Le déjeuner, quelle perte de temps ! 56 ■ écologie P O L L U T I O N A Stockholm, le péage modulable s’impose Belize, inconnu des touristes p. 58 57 ■ multimédia MÉDIA Internet brouille l’avenir de la radio LA SEMAINE PROCHAINE enquête Les extrêmes droites en Europe israël Alia, le bataillon 100 % russe de Tsahal ET AUSSI “Courrier in English” (5 COURRIER INTERNATIONAL N° 831 e 3 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 et dernier volet) 3/10/06 12:55 Page 4 l e s s o u rc e s ● CETTE SEMAINE DANS COURRIER INTERNATIONAL ASAHI SHIMBUN 8 230 000 ex. (éditions du matin) et 4 400 000 ex. (éditions du soir), Japon, quotidien. Fondé en 1879, chantre du pacifisme nippon depuis la Seconde Guerre mondiale, le “Journal du SoleilLevant” est une véritable institution. Trois mille journalistes, répartis dans trois cents bureaux nationaux et trente à l’étranger, veillent à la récolte de l’information. ASIA TIMES ONLINE <http://www.atimes.com>, Chine. Lancée fin 1995, l’édition papier de ce journal anglophone s’est arrêtée en juillet 1997 et a donné naissance, en 1999, à un véritable journal en ligne régional. Alors que la presse d’actualité régionale a perdu ses principaux représentants, ce webzine étend son champ d’action au Moyen-Orient. AL-AYYAM 6 000 ex., Israël (Territoires palestiniens), quotidien. Fondé en 1995, “Les Jours” est le premier quotidien palestinien de Ramallah et est perçu comme le journal des intellectuels palestiniens modérés. Ses éditorialistes sont souvent bien informés. Plusieurs de ses articles sont repris sur le site d’information Amin. THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR 70 000 ex., Etats-Unis, quotidien. Publié à Boston mais lu “from coast to coast”, cet élégant tabloïd est réputé pour sa couverture des affaires internationales et le sérieux de ses informations nationales. CORRIERE DELLA SERA 715 000 ex., Italie, quotidien. Fondé en 1876, sérieux et sobre, le journal a su traverser les vicissitudes politiques en gardant son indépendance, mais sans se démarquer d’une ligne quelque peu progouvernementale. Le premier quotidien italien mentionne toujours “della sera” (du soir) dans son titre, alors qu’il sort le matin depuis plus d’un siècle. COTIDIANUL 40 000 ex., Roumanie, quotidien. “Le quotidien” a été fondé en 1991 par Ion Ratiu, journaliste à la BBC, devenu une des figures marquantes de la politique roumaine, dans la perspective d’informer le citoyen avec professionnalisme, et de servir la démocratie. Les journalistes ont été formés au Guardian, une influence qui se voit dans la présentation et l’écriture du journal. DIARIO 30 000 ex., Italie, hebdomadaire. Créé comme supplément de L’Unità, le quotidien des Démocrates de gauche (ex-PCI), l’ancien Diario della Settimana mène depuis 1995 une carrière solo. Il privilégie les enquêtes, les reportages et la culture, avec une attention particulière pour la société et les mœurs. Résolument à gauche, il n’hésite pas à publier des éditions spéciales consacrées à l’histoire ou à la politique. s’opposer au gouvernement et d’être indépendant de tout intérêt politique. ETIQUETA NEGRA 7 000 ex., Pérou, mensuel. Fondée début 2002, l’“Etiquette noire” a pour ambition d’être l’équivalent du New Yorker pour l’Amérique latine. C’est-à-dire une revue de grande qualité, tant éditoriale que formelle. Hongrie, quotidien. Organe du pouvoir jusqu’en 1989, repris par le Britannique Maxwell puis par le groupe suisse Ringier, “La Gazette hongroise” était proche de l’Alliance des démocrates libres (SZDSZ), alliée libérale des socialistes au pouvoir depuis 2002. Le journal a fermé ses portes le 5 novembre 2004... avant de réapparaître, à la fin du même mois, avec la même rédaction désormais propriétaire du titre. 420 000 ex., Brésil, quotidien. Née en 1921, la “Feuille de São Paulo” a fait, au début des années 80, une cure de jouvence ayant pour maîtres mots : objectivité, modernité, ouverture. Le quotidien est devenu ensuite le plus influent journal du pays, attirant l’intérêt, entre autres, d’une jeune élite qui se bat pour la consolidation de la démocratie. GAZETA WYBORCZA 500 000 ex. en semaine et 1 000 000 ex. le week-end, Pologne, quotidien. “La Gazette électorale”, fondée par Adam Michnik en mai 1989, est devenue un grand journal malgré de faibles moyens. Et avec une immense ambition journalistique : celle d’être laïque, informative, concise. Son supplément culturel du vendredi, Magazyn-Gazeta Wyborcza, est devenu un rendez-vous incontournable. HIMAL 10 000 ex., Népal, mensuel. Propriété du groupe de presse Himalmedia dont il est le fleuron, la revue se présente comme le seul magazine d’information générale sur l’Asie du Sud. Disposant d’un réseau de correspondants dans la région, elle a su s’imposer par le sérieux de ses analyses et l’indépendance de ses points de vue. THE INDEPENDENT 252 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Créé en 1986, ce journal s’est fait une belle place dans le paysage médiatique. Racheté en 1998 par le patron de presse irlandais Tony O’Reilly, il reste farouchement indépendant et se démarque par son engagement proeuropéen, ses positions libertaires sur des problèmes de société et son illustration. THE INDIAN EXPRESS 550 000 ex., Inde, quotidien. S’autoproclamant “India’s only national newspaper”, l’Indian Express est le grand rival du Times of India. Il est connu pour son ton combatif et son “journalisme du courage”, ainsi que pour ses enquêtes sur des scandales politico-financiers. Son supplément Sunday Magazine comporte d’intéressants articles culturels. Offre spéciale d’abonnement Bulletin à retourner sans affranchir à : Etats-Unis, quotidien. Cinq cents grammes de papier par numéro, 2 kilos le dimanche, une vingtaine de prix Pulitzer : c’est le géant de la côte Ouest. Créé en 1881, il est le plus à gauche des quotidiens à fort tirage du pays. MAGYAR HÍRLAP 37 000 ex., FOLHA DE SÃO PAULO INFORMATION 41 600 ex., Danemark, quotidien. Fondé en 1943, le journal était, pendant l’Occupation, la source d’information clandestine des groupes de résistance. Aujourd’hui, il se vante d’être le seul quotidien à LOS ANGELES TIMES 851 500 ex., IZVESTIA 430 000 ex., Russie, quotidien. L’un des quotidiens russes de référence, qui traite tous les domaines de l’actualité, les articles étant souvent accompagnés de bons dessins humoristiques ; un supplément “business” sur pages saumon le mardi et le jeudi. JERUSALEM POST 55 000 ex., Israël, quotidien. Créé en 1932 sous le nom de Palestine Post par Gershon Agron, “Le Courrier de Jérusalem” bénéficia, jusqu’en 1989, d’une réputation d’indépendance et de sérieux. Depuis lors, il défend une ligne éditoriale proche du Likoud. I KATHIMERINI 30 000 ex., Grèce, quotidien. Fondé en 1919, ce titre conservateur est considéré comme l’un des journaux les plus sérieux du pays. Le propriétaire actuel du “Quotidien”, l’armateur Aristides Alafouzos, lui a donné un prestige international en lançant une édition en anglais distribuée en Grèce comme supplément de l’International Herald Tribune. KOMMERSANT 114 000 ex., Russie, quotidien. L’un des bons quotidiens moscovites, des informations sur tous les sujets, avec une dominante économique, des articles souvent plus courts et plus percutants que ceux de ses confrères. Le groupe Kommersant publie, entre autres, l’hebdomadaire Vlast. LIAOWANG XINWEN ZHOUKAN (Outlook Weekly) 200 000 ex., Chine, hebdomadaire. Fondé en 1981 et appartenant à l’agence officielle Xinhua (Chine nouvelle), ce magazine présente un aspect rébarbatif et un style compact, mais il est sans aucun doute l’un des porte-parole officiels les mieux informés et les plus informatifs de Chine. LIBÉRATION 10 000 ex., Maroc, quotidien. Organe de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), c’est le porte-parole de l’opposition socialiste, inspirée par la grande ombre de Mehdi Ben Barka. AN-NAHAR 55 000 ex., Liban, quotidien. “Le Jour” a été fondé en 1933. Au fil des ans, il est devenu le quotidien libanais de référence. Modéré et libéral, il est lu par l’intelligentsia libanaise. THE NATION 50 000 ex., Thaïlande, quotidien. Fondé en 1971, ce journal indépendant de langue anglaise a lancé en novembre 1998 une édition asiatique, vendue à Singapour, en Malaisie, en Indonésie, au Vietnam, au Japon, aux Philippines et en Chine (Hong Kong). THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex. (1 700 000 le dimanche), Etats-Unis, quotidien. Avec 1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger et plus de 80 prix Pulitzer, le NewYork Times est de loin le premier quotidien du pays, dans lequel on peut lire “all the news that’s fit to print” (toute l’information digne d’être publiée). NIHON KEIZAI SHIMBUN 3 000 000 ex. (édition du matin) et 1 665 000 ex. (édition du soir), Japon, quotidien. Par la diffusion, le “Journal économique du Japon” est sans conteste le plus important quotidien économique du monde. Par la qualité de l’information, il fait partie, avec le Wall Street Journal et le Financial Times, du cercle fermé des grands titres internationaux. EL NUEVO HERALD 90 000 ex., Etats-Unis, quotidien. Fondé en 1987, en tant que supplément du Miami Herald, “Le Nouveau Herald” est devenu un titre à part entière en 1988. Véritable référence pour la communauté latino-américaine de Miami, il appartient comme son grand frère au groupe Knight Ridder. PÁGINA 12 75 000 ex., Argentine, quotidien. Lancé en 1987, Página 12 est aujourd’hui le quotidien indépendant de gauche le plus important de Buenos Aires. Percutant et bien informé, il prend position pour les droits de l’homme, s’attaque à la corruption et dénonce l’impunité en faisant ressortir les affaires de l’époque des dictatures. EL PAÍS 457 000 ex. (831 000 ex. le dimanche), Espagne, quotidien. Né en mai 1976, six mois après la Courrier international mort de Franco, “Le Pays” est une institution en Espagne. Il est le plus vendu des quotidiens d’information générale et s’est imposé comme l’un des vingt meilleurs journaux du monde. Il appartient au groupe de communication PRISA, actionnaire du groupe Le Monde dont fait partie Courrier international. RÉDACTION 64-68, rue du Dessous-des-Berges, 75647 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected] DIE PRESSE 74 000 ex., Autriche, quotidien. Crée en 1848, proche des milieux industriels et du Parti populaire (ÖVP, chrétien conservateur), voici le “journal de l’élite”, comme il se nomme lui-même. Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98) Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54), Claude Leblanc (16 43) Rédacteur en chef Internet Marco Schütz (16 30) Chef des informations Anthony Bellanger (16 59) RZECZPOSPOLITA 264 000 ex., Pologne, quotidien. Le titre a été créé juste après la loi martiale décrétée le 13 décembre 1981 par le général Jaruzelski en tant que quotidien de la nomenklatura. Après la chute du communisme, “La République” ne s’est jamais privée de critiquer les gouvernements successifs. Contrôlé par Robert Hersant de 1991 à 1996, le quotidien est depuis la propriété du groupe norvégien Orkla, associé au Trésor public. Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59), Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Daniel Matias (Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Rasmus Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service, 16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, ex-URSS, 16 79), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Sophie Chergui (Etats baltes), Andrea Culcea (Roumanie, Moldavie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets (Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miklos Matyassy (Hongrie), Miro Miceski (Macédoine), Zbynek Sebor (Tchéquie), Gabriela Kukurugyova (Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, BosnieHerzégovine), Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord, 16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Hemal Store-Shringla (Asie du Sud), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Nur Dolay (Turquie), Alda Engoian (Asie centrale, Caucase), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri (Iran), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot (Angola, Mozambique), Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de rubrique, 16 47) Multimédia Claude Leblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Olivier Blond (chef de rubrique, 16 80) Insolites, tendance Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74) SEGA 10 000 ex., Bulgarie, hebdomadaire. “Maintenant”, seul newsmagazine bulgare, paraît depuis janvier 1996. Il milite pour un journalisme de qualité, ouvrant ses pages à des opinions de tous les bords politiques. LE TEMPS 53 000 ex., Suisse, quotidien. Né de la fusion, en 1998, du Nouveau Quotidien et du Journal de Genève et Gazette de Lausanne, Le Temps, quotidien francophone, est aussi diffusé en Suisse alémanique. Tourné vers l’Europe, il veut être le lieu des débats qui agitent le pays, dans tous les domaines. Site Internet Marco Schütz (rédacteur en chef, 16 30), Eric Glover (chef de service, 16 40), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (1661) Philippe Randrianarimanana (16 68), Hoda Saliby (16 35),Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Julien Didelet (chef de projet) THE WALL STREET JOURNAL Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62) 2 000 000 ex., Etats-Unis, quotidien. C’est la bible des milieux d’affaires. Mais à manier avec précaution : d’un côté, des enquêtes et reportages de grande qualité ; de l’autre, des pages éditoriales tellement partisanes qu’elles tombent trop souvent dans la mauvaise foi la plus flagrante. Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain, 16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), MarieChristine Perraut-Poli (anglais, espagnol), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol) Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91) YAZHOU SHIBAO ZAIXIAN Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Denis Scudeller Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation) Calligraphie Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (1684) <http://www.atchinese.com/> Chine. Créé en 2002 comme version chinoise d’Asia Times Online, ce site est rapidement devenu un portail d’information en chinois. Il traduit une partie des articles de la version anglaise, mais, depuis 2003, produit également des reportages et des analyses. Grâce à cela, il est en train d’entrer dans le cercle restreint des médias indépendants pratiquant le journalisme en langue chinoise. Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi de 15 heures à 18 heures Fabrication Jean-Marc Moreau (chef de fabrication, 16 49). Impression, brochage : Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg Ont participé à ce numéro Torunn Amiel, Chloé Baker, Gilles Berton, Marc-Olivier Bherer, Aurélie Boissière, Marianne Bonneau, Olivier Bras, Régine Cavallero, Gaëlle Charrier, Valéria Dias de Abreu, Natacha Haut, Julie Marcot, Hamdam Mostafavi, Josiane Petricca, Anne Proenza, Jonnathan Renaud-Badet, Hélène Rousselot, Eva Schauerte, Isabelle Taudière, Anne Thiaville, Emmanuel Tronquart, Janine de Waard, Zaplangues YEDIOT AHARONOT 400 000 ex., ADMINISTRATION - COMMERCIAL Israël, quotidien. Créé en 1939, “Les Dernières Informations” appartient aux familles Moses et Fishman. Ce quotidien marie un sensationnalisme volontiers populiste à un journalisme d’investigation et de débats passionnés. Directrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes : Sophie Jan (16 99), Agnès Mangin. Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust (16 05). Comptabilité : 01 57 28 27 30, fax : 01 57 28 21 88 Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée de Lionel Guyader (16 73) Diffusion Le Monde SA ,80,bd Auguste-Blanqui,75013 Paris,tél.: 01 57 28 20 00.Directeur commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable publications : Brigitte Billiard. Marketing : Pascale Latour (01 46 46 16 90). Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (01 57 28 33 78), fax : 01 57 28 21 40 Publicité Publicat, 17, boulevard Poissonnière, 75002 Paris, tél. : 01 40 39 13 13, courriel : <[email protected]>. Directeur général adjoint : Henri-Jacques Noton. Directeur de la publicité : Alexis Pezerat (14 01). Directrice adjointe : Lydie Spaccarotella (14 05). Directrices de clientèle : Karine Epelde (13 46) ; Stéphanie Jordan (13 47) ; Hedwige Thaler (14 07). Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97). Publicité site Internet : i-Régie, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris, tél. : 01 53 38 46 63. Directeur de la publicité : Arthur Millet, <[email protected]> ❏ Je désire profiter de l’offre spéciale d’abonnement (52 numéros + 4 hors-séries), au prix de 114 euros au lieu de 178 euros (prix de vente au numéro), soit près de 35 % d’économie. Je recevrai mes hors-séries au fur et à mesure de leur parution. Je désire profiter uniquement de l’abonnement (52 numéros), au prix de 94 euros au lieu de 150 euros (prix de vente au numéro), soit près de 37 % d’économie. Tarif étudiant (sur justificatif) : 79,50 euros. (Pour l’Union européenne : 138 euros frais de port inclus /Autres pays : nous consulter.) ❏ ABONNEMENTS ET RÉASSORTS Abonnements Tél. depuis la France : 0 825 000 778 ; de l’étranger : 33 (0)3 44 31 80 48.Fax : 03 44 57 56 93.Courriel : <[email protected]> Adresse abonnements Courrier international, Service abonnements, 60646 Chantilly Cedex Commande d’anciens numéros Boutique du Monde, 80, bd Auguste-Blanqui, 75013 Paris. Tél. : 01 57 28 27 78 Modifications de services ventes au numéro, réassorts Paris 0 805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146 Courrier international Libre réponse 41094 Voici mes coordonnées : Nom et prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60731 SAINTE-GENEVIÈVE CEDEX Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pour joindre le service abonnements, téléphonez au 0 825 000 778 E-mail : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code postal : . . . . . . . . . . . . . Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Téléphone : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 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Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication ; Chantal Fangier Conseil de surveillance : Jean-Marie Colombani, président, Fabrice Nora, vice-président Dépôt légal : octobre 2006 - Commission paritaire n° 0707C82101 ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France mois année 60VZ1102 831p04 Cryptogramme COURRIER INTERNATIONAL N° 831 4 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 Courrier international (USPS 013-465) is published weekly by Courrier international SA at 1320 route 9, Champlain N. Y. 12919. Subscription price is 199 $ US per year. Periodicals postage paid at Champlain N. Y. and at additional mailing offices. POSTMASTER: send address changes to Courrier international, c/o Express Mag., P. O. BOX 2769, Plattsburgh, N. Y., U. S. A. 12901 - 0239. For further information, call at 1 800 363-13-10. Ce numéro comporte un encart Abonnement broché pour la vente au numéro et un supplément Mode de 24 pages pour l’ensemble de la diffusion. 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 *831 p06 3/10/06 13:22 Page 6 l’invité ÉDITORIAL Réchauffement : la nouvelle Internationale C’était urgent pour Courrier international de le faire. Même si, dans l’hebdomadaire, nous couvrons sans relâche le réchauffement de la planète, ce fait majeur du siècle, nous nous devions d’aller plus loin. “Trop chaud”, tel est le titre de notre hors-série, qui est disponible cette semaine chez les marchands de journaux. Les experts n’ont maintenant plus de doute : d’ici à 2100, on devrait assister à une élévation des températures moyennes de l’ordre de 7 °C, avec des perturbations climatiques – ouragans et tempêtes en tête – de plus en plus dévastatrices. Certaines régions de France, dès 2050, connaîtront probablement une moyenne de vingt jours de canicule par an, contre trois environ à la fin du XXe siècle. En 2100, la Bretagne et le Nord ne connaîtront plus le gel, ce qui ne manquera pas de changer la flore et donc la faune de ces régions. Il n’était pas question dans ce hors-série de prêcher une bonne parole et de faire la morale. Nous souhaitions avant tout expliquer les phénomènes et communiquer à nos lecteurs tous les éléments du débat, sans passer sous silence les sujets de controverse. On ne connaît toujours pas, pour commencer, toutes les conséquences de ce réchauffement dû à l’activité humaine et à l’accumulation des gaz à effet de serre. Les scientifiques continuent, par ailleurs, de s’interroger sur le lien entre l’élévation des températures et la violence des cyclones. Ils polémiquent sur les solutions envisageables. S’il n’y a pas de remède miracle, il existe quantité de solutions partielles. Certaines passent par le marché, beaucoup d’autres par des réglementations et des politiques plus coercitives, d’autres enfin seront le résultat de nos engagements individuels. A la fin de ce hors-série, outre des analyses de ces réponses, vous trouverez quarante portraits, d’hommes et de femmes qui ont décidé de s’engager dans ce combat vital pour l’avenir de la Terre. Vous y découvrirez aussi bien des “people” comme Julia Roberts que des fonctionnaires comme l’Indien Bhure Lal ou des scientifiques tel le Chinois Li Zheng… Et si à travers ce combat était en train de naître un nouvel internationalisme intelligent ? Philippe Thureau-Dangin L E D E S S I N D E L A Talal Awkal Al-Ayyam, Ramallah es sources de tensions sont si nombreuses dans passe dans laquelle elles se trouvent depuis des années. les Territoires palestiniens qu’on ne peut qu’être Bref, le monde qui nous entoure souhaite avancer. Cela pessimiste pour l’avenir. Cette fois-ci, l’inquié- s’explique par les changements considérables qui sont tude ne concerne pas les menaces ou les plans de survenus sur la scène régionale [notamment au Liban] réoccupation israéliens mais les luttes internes et qui poussent tout le monde à reconnaître qu’il faut entre Palestiniens [les récents combats entre traiter les causes des tensions et du terrorisme à la le Fatah et le Hamas ont fait des dizaines de racine, c’est-à-dire en se préoccupant de la question morts et des centaines de blessés]. Depuis palestinienne et du conflit israélo-arabe. Les dirigeants l’échec des négociations sur la formation d’un gouver- palestiniens se rendent bien compte de la responsabinement d’union nationale entre le Fatah [du président lité qui est la leur, mais ils n’ont pas compris l’imMahmoud Abbas] et le Hamas [du Premier ministre portance de se mettre au diapason de la communauté Ismaïl Haniyeh], les tensions vont grandissant et les internationale. déclarations incendiaires se multiplient, au point que Le seul choix possible, c’est celui d’un gouvernement les craintes de guerre civile sont sur toutes les lèvres. d’union nationale avec des ministres technocrates. En L’inquiétude est d’autant plus grande que les membres revanche, les appels à de nouvelles élections ou à la des forces de l’ordre ont commencé à se joindre aux déclaration de l’état d’urgence ne sont pas sérieux. Ce protestations des fonctionserait le moyen le plus sûr naires, dont les salaires n’ont de déclencher une guerre toujours pas été payés, en civile qui ne servirait les raison du blocus internatiointérêts d’aucun d’entre nal et de l’arrêt des aides nous. C’est pourquoi nous étrangères [depuis la victoire ne devons pas croire ceux du Hamas aux élections qui affirment qu’il est législatives de janvier 2006]. désormais vain de parvenir Ce qui est consternant, c’est à un accord entre le Fatah que ces tensions interpales- ■ L’intellectuel palestinien Talal Awkal est le principal et le Hamas. En l’absence tiniennes s’aggravent préci- éditorialiste politique de Al-Ayyam (“Les Jours”), le quotid’un tel espoir et en cas de sément au moment où la dien le plus influent de Ramallah. Plusieurs de ses dégradation continue de communauté internationale articles ont été traduits dans les médias anglo-saxons, notre situation intérieure, semble vouloir ressusciter le notamment sur le site de la BBC. Il a aussi participé à la notre jeunesse va de plus en processus de paix. L’Europe rédaction de l’important dossier de l’université de Bir Zeit plus être tentée par l’émiest impatiente de s’engager (2004) sur le développement humain en Palestine. gration, alors que, déjà, de dans ce sens, le Premier nombreuses usines ont été ministre britannique Tony Blair déclare qu’il consa- délocalisées, que des projets d’investissement ont été crera le temps qu’il lui reste à la tête de son gouver- annulés et que des capitaux ont fui vers l’étranger. nement à faire avancer la paix, et les Etats-Unis Mahmoud Abbas a été profondément déçu par le fait envoient la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice dans la que le Hamas soit revenu sur son acceptation de l’inirégion. Elle pourrait bientôt être suivie par le prési- tiative arabe pour la paix [selon un projet saoudien dent George W. Bush en personne, qui s’apprête à rece- adopté par la Ligue arabe à Beyrouth, en 2002, mais voir un certain nombre de dirigeants du Moyen-Orient rejeté par Israël, proposant des relations diplomatiques et qui aurait récemment rencontré son prédécesseur normales entre les pays arabes et Israël en contreBill Clinton pour développer quelques idées et propartie de l’établissement d’un Etat palestinien dans les positions susceptibles de relancer les négociations. Les frontières de 1967]. Ce revirement du Hamas a anéanti pays arabes semblent également plus enclins à s’en- les efforts d’obtenir un allègement du blocus internagager en faveur de la paix, et, même en Israël, les décla- tional. Aujourd’hui, pour être à la hauteur des évorations se multiplient pour laisser entendre que le Pre- lutions internationales, nos dirigeants doivent prendre mier ministre Ehoud Olmert serait prêt à rencontrer des initiatives courageuses et remettre de l’ordre dans Mahmoud Abbas afin de sortir les négociations de l’im- la maison palestinienne. ■ L Ma Palestine qui se déchire S E M A I N E ■ “Nous avons décidé d’annuler l’Idoménée de Mozart.” REIMS ET SA RÉGION à l’honneur dans le numéro du jeudi 12 octobre de Courrier international. En décidant de déprogrammer cette œuvre par crainte de réactions d’islamistes, la directrice de l’opéra de Berlin a soulevé une vague de réprobation. Dans l’une des scènes, Idoménée expose les têtes de Poséidon, de Jésus, du Bouddha et de Mahomet. Dessin d’Ann Telnaes, Etats-Unis. ● Nous consacrons un dossier spécial à Reims et sa région vus par différents journalistes européens et par le dessinateur Cost. RENCONTRE À L’UNIVERSITÉ DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE Philippe Thureau-Dangin, directeur de la rédaction de Courrier international, participera au débat sur le thème “La France et l’avenir de l’Europe”. Mercredi 11 octobre à 18 heures à l’université de Reims ChampagneArdenne. Amphithéâtre 7. Campus Croix-Rouge. 57, rue Pierre-Taittinger. Entrée libre. Car toonists & Writers Syndicate Chaque jour, retrouvez un nouveau dessin d’actualité sur www.courrierinternational.com COURRIER INTERNATIONAL N° 831 6 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 RENCONTRE À LA FNAC Philippe Thureau-Dangin, directeur de la rédaction de Courrier international, et Eric Maurice, chef du service Europe de l’Ouest, expliqueront comment est conçu et fabriqué l’hebdomadaire, et répondront à vos questions sur l’actualité internationale. Jeudi 12 octobre à 17 h 30 au Forum de la FNAC. Centre commercial, espace Drouet d’Erlon. Entrée libre. 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 12:50 Page 9 à l ’ a ff i c h e Pologne ● Une charcutière en politique utomne 2001. Renata Beger, élue d’Autodéfense [Samooborona, parti populiste], fait son entrée à la Diète. “J’ai prié pour devenir députée. Pour avancer, j’ai dû combattre l’ennemi, à savoir ce gouvernement [de droite, issu de Solidarnosc] qui veut étrangler l’agriculture polonaise”, affirmait-elle alors. Ce n’est pas une prière qui l’a aidée, mais les 1 500 signatures d’électeurs falsifiées, déposées sur les listes des candidats d’Autodéfense. Le 30 juin dernier, Renata Beger a été condamnée en première instance à cinq ans de prison avec sursis. Loin d’être abattue, elle annonce qu’elle fera appel et ira “jusqu’à Strasbourg, si nécessaire”. [C’est elle qui a mis à mal le gouvernement polonais en diffusant un enregistrement où l’on voit Adam Lipinski, chef de cabinet du Premier ministre, lui offrir un poste ministériel en échange de son soutien au gouvernement.] Renata Beger est née en 1958 dans un petit village de Poméranie. Elle est le quatrième enfant d’un cheminot. “Une fifille à papa, aime-t-elle à dire. Incorrigible en plus, comme mes frères. Et ça n’a pas changé : je ne me laisserai pas faire par un président ou un Premier ministre.” Après l’école élémentaire, elle veut travailler. “Passer du temps à lire des livres me semblait improductif.” En 1975 – elle n’a pas 17 ans –, elle se marie, par amour ditelle ; en fait, elle attend un enfant. Pour gagner sa vie, elle coud des gants, travaille comme serveuse, tient une épicerie. “En 1982, avec mon mari, nous avons fait construire une serre, et nous nous sommes lancés dans la production de champignons de Paris. Puis, comme on avait une 13/09/06 12:54 Juin-juille RENATA BEGER, 48 ans, députée polonaise. L’égérie du parti populiste Autodéfense a mis le feu aux poudres en rendant public un enregistrement vidéo qui montre comment le parti au pouvoir des frères Kaczynski essaie d’acheter le soutien des populistes. ferme, on est passés à la charcuterie.Tuer des animaux ? Aucun problème. On met des électrodes derrière les oreilles du cochon, et c’est fini.” “Tout allait bien jusqu’à l’arrivée de Leszek Balcerowicz [libéral, père de la thérapie de choc au début des années 1990]. On était étranglé par les crédits. On ne fait pas ça aux gens !” s’énerve la députée. Conséquence : en 1992, elle rejoint Samooborona. Un an plus tard, elle connaît son baptême du feu de militante. Avec d’autres paysans, elle organise le blocus des routes et des frontières pour protester contre les réformes de l’agri- Page 1 0 t-août 20 OK abo HS écolo/ Janek Skarzynski/AFP A - 7€ écembre 2006 ovembre-d Octobre-n inte www.courrier rnational.co HORS SÉRIE m Trop chaud VEZ UE VOUS A TO U T C E Q OIR V VO U L U S A TOUJOURS DE T HAUFFEMEN T SUR LE RÉC N E ET COMM R LA PLANÈTE IE D EZ Y REMÉ VOUS POUV culture. En plein hiver, elle apporte du thé et des paniers de saucisses à ses camarades de combat. Ensuite elle prend la direction du parti pour la région de Poznan, avant de devenir secrétaire générale de Samooborona. Après une entrée triomphale à la Diète, dans le sillage des élus populistes, Beger est propulsée experte en affaires économiques. Pendant son mandat (2001-2005), elle s’active au Parlement et brille dans les médias. Mais, à la même époque, la justice commence à s’intéresser aux listes falsifiées : il se trouve que Renata Beger est également vice-présidente de la commission d’éthique de l’Assemblée. En janvier 2002, Beger et ses collègues d’Autodéfense bloquent le perchoir de la Diète : elle passe en direct à la télé, en saluant – radieuse – ses amis. Elle figure parmi les 200 personnes qui occupent le ministère de l’Agriculture pour protester contre la situation dramatique des paysans. Son visage, avec celui de quelques autres, incarne ces manifestations. Mais c’est en mai 2003 qu’elle devient la star des tabloïds, après avoir accordé au journal Super Express une interview fameuse où elle confessait qu’elle n’avait pas de tableaux à la maison parce qu’elle “n’[aimait] pas faire des trous dans les murs” et qu’elle aimait le sexe “comme un cheval aime l’avoine”. Renata Beger est non seulement députée, mais aussi étudiante en politologie à l’université de Poznan. “Ce n’est certainement pas ici qu’elle a appris de telles méthodes”, se défend le Pr Zbigniew Czachor à propos des enregistrements vidéo qui secouent aujourd’hui le monde politique polonais [voir aussi p. 15]. KEITH ELLISON Musulman, et alors ? l a quelque chose qui attire l’attention des gazettes : s’il est élu, le 7 novembre prochain, à la Chambre des représentants, cet homme sera le premier musulman membre du Congrès américain. Et le premier parlementaire noir du Minnesota. Mais l’intéressé rechigne à ce qu’on l’étiquette “premier ceci ou cela”, regrettant que l’intérêt porté à sa religion puisse rendre inaudible son programme, axé sur la défense des plus pauvres et sur le retrait des Etats-Unis de l’Irak. Né à Detroit il y a quarante-trois ans dans une famille catholique, Keith Ellison s’est converti à l’islam à 19 ans ; il a été proche de Nation of Islam, le mouvement afro-américain radical de Louis Farrakhan. Il reconnaît et déplore aujourd’hui le caractère antisémite et antiblanc de ce mouvement, mais se défend d’en avoir jamais été membre. Il n’empêche : en remportant la primaire démocrate du Minnesota, l’avocat Keith Ellison, défenseur attitré des Afro-Américains, a attiré sur lui les foudres de la majorité. Un ténor républicain l’a traité d’“homme d’extrême gauche, qui défend les assassins de flics”. Lui préfère dénoncer la politique de Bush, s’opposer à ceux qui brandissent le choc des civilisations et rappeler que les musulmans – ils sont 4 millions aux Etats-Unis – ont des aspirations que peuvent comprendre tous les Américains. “Une bonne éducation, créer son business, se marier, construire une mosquée et vivre sa vie.” (D’après The Sunday Telegraph, Londres) I SURAYUD CHULANONT Pas vraiment à sa place Gazeta Wyborcza (extraits), Varsovie 0 0 1 2 N E S U L 7°C DE P QUE I T C R A ’ L E D 100 % E D S R U O J DISPARU 20 S O R É H 0 5 N A R CANICULE PA S E G A P 0 2 1 E DE L’ÉCOLOGI LANTE Û R B É T I L A U T C D’A D N A H C R A M E R 7 € CHEZ VOT DE JOURNAUX COURRIER INTERNATIONAL N° 831 PERSONNALITÉS DE DEMAIN Jim Mone/AP-Sipa 3/10/06 9 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 urant ses trentehuit années de carrière dans l’armée, il s’est forgé une réputation d’efficacité, de tact et d’incorruptibilité. Il aura besoin de tout cela, et de plus encore, au cours des douze prochains mois.” Tels sont les encouragements que prodigue le Bangkok Post au nouveau Premier ministre – intérimaire – thaïlandais. Surayud, général à la retraite, n’a d’ailleurs pas accepté de gaieté de cœur le poste que lui a confié la junte – “c’est pour lui un devoir patriotique plus qu’une ambition personnelle”, note le quotidien thaïlandais. L’homme chargé par les putschistes du 19 septembre de diriger un gouvernement provisoire et d’organiser un retour à la démocratie d’ici un an est le petit-fils du fomentateur du coup d’Etat de 1933 et le fils d’un officier déçu par l’armée qui a rejoint la guérilla communiste dans les années 1960. Devenu en 1998 commandant en chef de l’armée, Surayud a mené au sein de cette institution un travail de nettoyage et de professionnalisation qui a été reconnu. Celui qui s’est un jour déclaré “convaincu que l’armée ne [devait] jamais intervenir dans la politique” n’aura assurément pas la tentation de s’accrocher au pouvoir. Saeed Khan/AFP *831 p09 D 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 3/10/06 12:36 Page 12 f ra n c e ● TÉLÉVISION P O L I T I QU E Grâce présidentielle Merci, Lionel ! A en croire un feuilleton de France 2, être présidente de la République signifie être mince, un rien frivole, et avoir quelques principes. Un portrait loin de la réalité ? THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR (extraits) Boston e chef de l’Etat français est en chute libre dans les sondages, ses alliés politiques se font rares et une éruption de boutons vient perturber un discours important. Pis encore : alors qu’elle vient à peine de passer le cap des cent premiers jours en fonctions, elle découvre qu’elle est enceinte. Catastrophe* ! Voilà un petit aperçu des épreuves et tribulations que doit affronter la première présidente française. Tout au moins celle que les Français ont pu découvrir mercredi 27 septembre sur France 2 dans une nouvelle série, L’Etat de Grace. Plus proche de la comédie de mœurs que de son équivalent américain Commander in Chief [dans laquelle l’actrice Geena Davis incarne une présidente des Etats-Unis martiale et autoritaire], la série suit Madame la Présidente* dans sa lutte pour la paix dans le monde, la justice sociale et le droit d’être appelée par son titre, et non par son prénom. Bien sûr, il s’agit d’une œuvre de fiction, mais certains n’ont pu s’empêcher d’y voir une allusion narquoise à l’actualité politique actuelle. Car une femme, Ségolène Royal, a de bonnes chances de devenir dans quelques semaines la candidate socialiste à l’élection présidentielle du printemps prochain. Or, pour beaucoup, Mme Royal – à l’instar du personnage de L’Etat de Grace – a dû faire face au sexisme de l’establishment avant de s’imposer dans le paysage politique français comme présidentiable crédible. Grace Bellanger, la présidente L Gilles Scarella/France 2 831p12 Anne Consigny interprète la présidente Bellanger dans L’Etat de Grace sur France 2. Flop Avec moins de 13 % de part d’audience (un peu plus de 3 millions de téléspectateurs), L’Etat de Grace est loin d’avoir séduit. Les programmes concurrents ont tous réalisé une meilleure audience. A titre de comparaison, Marie Besnard l’empoisonneuse, sur TF1, a été vu par 11 millions de téléspectateurs le 2 octobre. La série semble donc plutôt pâtir que bénéficier de “l’effet Ségolène Royal”. pionnière de L’Etat de Grace, est incarnée par Anne Consigny, 41 ans et irréellement mince. Militante écologiste, Mme Bellanger est donc élue d’une courte tête à la présidence de la République. Elle évolue dans un monde de mâles condescendants, de journalistes phallocrates qui mettent en doute sa capacité à gouverner tout en étant enceinte, de conseillers en communication manipulateurs. Et elle souffre, bien entendu, de la solitude du pouvoir. Mais ne cherchez pas de points de comparaison entre ce personnage et des leaders plus familiers et étrangers à la France. En bref, Grace Bellanger n’est ni Margaret Thatcher, ni Angela Merkel, ni Hillary Clinton. Le mari de la présidente est un professeur de golf qui erre en pyjama dans les salons rutilants et les meubles Grand Siècle du palais de l’Elysée. Les autres confidents de la présidente sont un basset et une gouvernante un rien maternelle qui lui apporte son thé tous les jours. Elle s’efforce d’être forte tout en restant féminine et de concilier ses ambitions apparemment contradictoires de sauver le monde, de réfor- mer la France et de faire en sorte que son mari ne se sente pas négligé. Et elle veut qu’on la respecte. Lorsque le président russe, en visite officielle, lui murmure : “Vous êtes belle à croquer”, elle le foudroie du regard. Elle connaît sa première grande crise lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte. Que faire ? Tout dire, garder le secret ? Un agent de la CIA vient dénouer le dilemme en trouvant son test de grossesse dans une poubelle de l’Elysée (Zut*, encore ces satanés Américains). Les premières critiques ont été positives ; certains se sont même félicités que la série présente une femme en situation de pouvoir. Mais rien dans le personnage de Grace ne rappelle aux téléspectateurs les vraies femmes de la politique française, à l’instar de Marie-George Buffet, la dure à cuire qui dirige le Parti communiste français, ou l’actuelle ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie. En revanche, il est indéniable que Grace présente quelques similitudes avec Ségolène Royal. Cette dernière, par exemple, est bien plus populaire auprès du public, du moins selon les sondages, qu’auprès des cadres de son propre parti. Elle diffère cependant de la présidente fictive sur quelques points importants. François Hollande n’a en effet rien d’un golfeur hédoniste et, confrontée au même problème que Grace Bellanger – être enceinte alors qu’elle est en fonctions –, Mme Royal ne s’est pas inquiétée de la réaction des électeurs : elle a convié la presse écrite et la télévision à la photographier à l’hôpital, au lendemain de la naissance de son dernier enfant. Susan Sachs * En français dans le texte. CINÉMA Indigènes hier, exclus aujourd’hui DE BORDEAUX ’émotion est à fleur de peau, débordante, comme la crue d’un fleuve que l’on retient difficilement. Larbi, Tayeb, Mohamed, anciens combattants, visages burinés et durcis, essuient des larmes discrètement. Ils sont tous venus, plus de 120 anciens combattants, dans cette salle au cœur de Bordeaux pour retrouver une partie de leur mémoire. Aujourd’hui, dans un contexte international marqué par de fortes tensions communautaires, le film rappelle le rôle de ces milliers de combattants oubliés des livres d’histoire et des discours politiques. Qui se souvient, parmi les jeunes générations de Français, des goums, des spahis ou des tirailleurs sénégalais ? Le réalisateur du film Indigènes, Rachid Bouchareb, veut redonner le sens de L la fier té aux jeunes des banlieues. “Mes grands-parents, mes parents, nous confiet-il, n’ont pas seulement balayé les rues des villes françaises, construit des immeubles ou des voitures. Ils ont aussi libéré la France du joug nazi. Ce film doit descendre des écrans, passer au-delà du cinéma, traverser l’océan.” Quelques mois après les émeutes dans les banlieues françaises, l’engagement de ces milliers d’hommes pour le drapeau français et la sortie du film arrivent à point nommé. Les enfants d’immigrés doivent retrouver leurs repères et bénéficier comme les autres du travail, des droits et des obligations. La cohésion sociale est à ce prix, car, comme nous le confie cet ancien combattant, “nous avons payé notre droit du sang”. Les débats avec les collégiens et les COURRIER INTERNATIONAL N° 831 lycéens montrent que la pédagogie de la liberté et le devoir de mémoire peuvent créer les prémices de la cohésion sociale. Un mémorial a été récemment inauguré à Douaumont, dédié aux 70 000 soldats musulmans morts pour la France pendant la bataille de Verdun, en 1916. Hommage à tous les soldats venus du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de Madagascar, ce mémorial est un premier pas. D’autres batailles restent aujourd’hui à mener, celle de la reconnaissance de ces hommes et de cette partie de l’Histoire et celle des mentalités, pour une plus grande fraternité et une plus grande solidarité avec les jeunes des banlieues, qui pour la plupart sont exclus et marginalisés dans leurs ghettos. Farida Moha, Libération (extraits), Casablanca 12 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 En déclarant forfait, l’ancien Premier ministre permet au Parti socialiste de se moderniser. Enfin ! ous ceux qui espèrent que la prochaine élection présidentielle contribuera à sortir la France de son état dépressif peuvent féliciter Lionel Jospin. Son retrait de la course est un signe que la gauche française, pourtant réputée comme la plus conservatrice d’Europe, est en train d’évoluer. En se rendant “disponible” pour l’investiture du Parti socialiste, l’ancien Premier ministre voulait rassembler les siens et enrichir le débat politique. C’est chose faite, mais pas dans le sens escompté. Les soutiens qu’il recherchait se sont largement reportés sur sa grande rivale, Ségolène Royal. Surtout, en trois mois de candidature virtuelle, Lionel Jospin a montré à quel degré d’essoufflement est parvenu le socialisme traditionnel qu’il incarnait. Car le programme de ce “présidentiable” qui se voulait plus compétent que les autres s’est révélé décevant, et cela explique en partie son échec. Sa grande idée pour sortir la France de la “croissance molle” et du chômage de masse ? Augmenter – on ne sait trop comment – les moyens consacrés à la recherche. C’est un peu mince, d’autant que le reste de son discours trahit une méfiance viscérale envers le secteur privé, une nostalgie pour la vie militante des années 1960 et la croyance que les appareils partisans détiennent la lumière indispensable pour guider le “peuple”. A force de lancer des appels incantatoires aux “valeurs de la gauche”, Lionel Jospin a fini par devenir bien plus conservateur que lorsqu’il était Premier ministre, entre 1997 et 2002. Sa vision des choses semble obsolète et triste lorsqu’on la compare à celle de Ségolène Royal, si souvent moquée pour sa prétendue vacuité : elle, au moins, a le mérite d’avoir lancé des propositions innovantes, comme la démocratie participative ou la baisse de la charge fiscale pesant sur le travail. En laissant le champ libre à une nouvelle génération, Lionel Jospin facilite le rajeunissement de la classe dirigeante dans l’Hexagone. Mais le travail est loin d’être terminé : à gauche, un certain nombre de “grands anciens” pourraient s’inspirer de son exemple en allant prendre un repos mérité sur la côte Atlantique ; et, à droite, la fin prochaine du règne de Jacques Chirac, 73 ans, devrait hâter la régénérescence de la vie politique française. Sylvain Besson, Le Temps, Genève T W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 831 p15-16 europe/2 3/10/06 12:08 Page 15 e u ro p e ● HONGRIE Il est urgent de mettre fin à la crise morale Malgré la débâcle aux municipales, la gauche peut encore s’en sortir. A condition, explique le philosophe János Kis, qu’elle se sépare du Premier ministre Ferenc Gyurcsány. MAGYAR HÍRLAP l’ignorance aussi bien à propos des actes du gouvernement que des conséquences de ces actes ? Il s’agit donc de sa responsabilité personnelle, qu’il ne peut diluer dans celle de la classe politique dans son ensemble. Désormais, les partis gouvernementaux ont une alternative. Ils peuvent retirer leur confiance à Gyurcsány et choisir un autre chef de gouvernement. Le remplacement du Premier ministre atténuerait la crise de confiance et permettrait de recommencer le travail du gouvernement. Et, même s’ils n’ont pas de candidat, ils ne peuvent mettre fin à la crise en votant la confiance à l’actuel Premier ministre : cela reviendrait à dire que les partis gouvernementaux n’ont rien compris à la protestation populaire, et ce geste aggraverait la crise au lieu de la calmer. Budapest imanche [1er octobre] au soir, le président László Sólyom s’est adressé aux Hongrois dans une allocution poignante. Il a constaté que la crise provoquée par la révélation des mensonges du Premier ministre avait “profondément bouleversé la Hongrie”. Il a appelé la majorité parlementaire à agir. “C’est le Parlement qui a désigné le Premier ministre. Le Parlement peut rétablir la nécessaire confiance de la société dans la démocratie. La clé est entre les mains de la majorité parlementaire.” La première réaction des partis de la coalition a été d’ignorer ce message. Pourtant, les résultats des élections municipales de dimanche ne justifient pas cette assurance [la droite a pris le contrôle de 18 des 20 assemblées départementales et de 16 des 23 principales villes du pays, à l’exception notable de Budapest]. Il serait temps de se rendre compte que les propos du Premier ministre ont créé un choc psychologique sans précédent. Et pas seulement chez ceux qui, en avril – après l’annonce des projets de réforme de Gyurcsány –, ont regretté d’avoir voté pour les partis du gouvernement ou parmi ceux qui, maintenant, après ces révélations, se sont dit qu’ils ne voteraient jamais plus pour la gauche : beaucoup de partisans déterminés du MSZP (socialiste) et du SZDSZ (libéraux) ont également été secoués. Tout gouvernement peut prendre des risques, mais pas à l’insu de ses D POUR UN CODE DE GOUVERNANCE ÉTHIQUE mandants : les citoyens. Nous élisons les gouvernements, nous devons assumer les conséquences de leurs fautes. Nous avons donc le droit de savoir ce qu’ils font. Or le Premier ministre hongrois a privé ses concitoyens de cette possibilité. On ne peut pas objecter que Ferenc Gyurcsány a parlé des mensonges de toute l’élite politique. On ne peut pas objecter non plus qu’il n’a été qu’un élément de la spirale aux promesses, qu’il a quittée comme il vient justement de le dire. Gyurcsány n’a-t-il pas également dit qu’il avait maintenu l’opinion publique dans Dessin de Lukyanchenko, Kiev. Le changement est une nécessité urgente.Tant que l’opinion publique juge aussi sévèrement le Premier ministre, celui-ci ne peut pas représenter son cabinet. Une chose est évidente : le Parlement doit rétablir l’art de gouverner de façon responsable et faire en sorte que la Hongrie soit dirigée par un corps électoral, et non par une seule personne. Pour finir, parlons d’une promesse oubliée. L’ancien Premier ministre socialiste, Péter Medgyessy, avait promis d’établir un code éthique à l’intention des membres du gouvernement. Cela ne s’est pas réalisé. L’idée est pourtant bonne, il faudrait la reprendre d’urgence. Et fixer tout ce qu’un ministre ne peut pas faire sans en subir les conséquences. Je parle d’un code éthique, et non d’un code législatif. En créant ce code, le chef du gouvernement s’engagerait à obliger son gouvernement à observer des règles plus strictes et à répondre de ses engagements. Nous avons été nombreux à voter pour cette coalition parce que nous ne voulons pas de Viktor Orbán comme chef de gouvernement. Nous ne le voulons pas, parce que nous avons compris pendant son mandat, mais également maintenant qu’il est dans l’opposition, qu’il n’est pas un démocrate. Mais les partis du gouvernement ne peuvent se prévaloir de défendre la démocratie tant qu’ils ne se conforment pas aux règles écrites et non écrites de celle-ci. En Pologne, la gauche s’est effondrée sous le poids d’une crise morale. La gauche hongroise, socialiste et libérale, a encore une chance de s’en sortir – à condition qu’elle fasse le nécessaire. János Kis* * Philosophe, cet ancien dissident a été l’un des leaders du parti libéral SZDSZ. W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com POLOGNE Un nouveau scandale éclabousse les frères Kaczynski Un enregistrement vidéo révèle le marchandage de postes entre le parti au pouvoir et les populistes. Le scandale de trop, estime l’éditorialiste de Rzeczpospolita. epuis l’arrivée au pouvoir de Droit et justice (PiS), il n’y a pas eu une seule semaine sans qu’éclate un scandale politico-médiatique. Voire deux. Mais le dernier tremblement de terre politique est plutôt inédit. [La télévision privée TVN a diffusé un enregistrement en caméra cachée montrant le chef de cabinet du Premier ministre, Adam Lipinski, proposer à la députée Renata Beger le poste de vice-ministre de l’Agriculture en échange de son départ du groupe parlementaire populiste et de son soutien au gouvernement. Après sa rupture avec Samoobrona, le parti au pouvoir (154 députés sur 460) est à la recherche d’une nou- D velle majorité parlementaire.] J’entends toujours avec stupéfaction les commentaires de ceux qui soutiennent le PiS, et qui nous expliquent que rien de grave ne s’est passé ; qu’il s’agit de marchandages politiques, de politique, en somme, avec son côté sale, et que cela se passe de cette façon dans toutes les démocraties. Est-il donc normal qu’un membre influent du parti au pouvoir promette un poste à une députée d’opposition en lui faisant miroiter la possibilité d’annuler les dettes des députés transfuges, sans parler d’une possibilité d’arrangement des problèmes judiciaires de cette même députée [voir son portrait p. 9] ? Depuis le début des années 1990, dans toutes les situations moralement suspectes, on a toujours évoqué “l’exemple donné par l’Occident”. C’est une rhétorique mensongère. Effectivement, la politique a par tout un envers du décor. Mais ce qui COURRIER INTERNATIONAL N° 831 importe, ce sont les proportions entre ce qui est moral et ce qui ne l’est pas, et les bonnes mœurs, qui fixent les limites de l’acceptable. Si l’on imagine une tentative de corruption politique analogue, on peut être sûr que dans n’impor te quel pays européen la diffusion de tels enregistrements aurait été immédiatement suivie par la démission du gouvernement ou au moins par un débat parlementaire et une demande de vote de défiance à son égard. Or les politiciens au pouvoir tentent de détourner la vraie signification de ce qu’on a pu voir sur les écrans de télé. On nous dit qu’il s’agit d’un complot des journalistes et d’anciens membres des services spéciaux. C’est une réaction scandaleuse. Mais le plus triste, du point de vue de l’observateur, est que l’on peut craindre une aggravation de la polarisation de la société et que les 15 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 idées du par ti au pouvoir trouvent désormais écho auprès d’une large par tie de citoyens. Dès ses débuts, le PiS a surfé sur le ressentiment des Polonais, les caressant dans le sens du poil en exploitant leur peur de l’extérieur et leurs revendications nationales et religieuses. Selon cette logique du PiS, il y a des bons et des mauvais Polonais, et les mauvais Polonais seraient souvent des non-Polonais. Cela implique que, derrière le paravent de la démocratie, les Juifs et les Allemands gouvernent grâce aux communistes et à leurs alliés pendant que les vrais Polonais crèvent de faim ou ont du mal à joindre les deux bouts. La théorie du complot repose sur une sociologie de comptoir. C’est le genre de raisonnement qui sous-tend le diagnostic social et politique établi par ceux qui nous gouvernent aujourd’hui. Ireneusz Krzeminski, Rzeczpospolita, Varsovie 831 p15-16 europe/2 3/10/06 12:09 Page 16 e u ro p e AU T R I C H E RUSSIE Schüssel victime de la mondialisation Moscou dans le piège géorgien La défaite du chancelier autrichien aux élections législatives du 1er octobre révèle une nouvelle fois les aspirations sociales de l’électorat. Un phénomène européen. Alors qu’en Autriche l’ÖVP [le parti du peuple autrichien, du chancelier Schüssel] a mis en œuvre depuis 2000, au moins partiellement, une politique qui – à juste titre – misait sur plus de marché, plus de concurrence et plus d’initiative individuelle (une politique que la CDU préconisait l’an dernier sous une forme encore plus radicale), ce sont les partis sociaux-démocrates qui, ici comme là-bas, en sont sortis relativement renforcés. DIE PRESSE (extraits) Vienne epuis le 1er octobre, Allemands et Autrichiens ne sont plus seulement séparés par une langue commune [selon l’expression de l’écrivain Karl Kraus], mais également réunis par deux résultats électoraux lourds de conséquences. A Berlin en 2005 comme à Vienne en 2006, les conservateurs chrétiens-démocrates – Angela Merkel et Wolfgang Schüssel – étaient donnés favoris. Et ici, comme là-bas, ce fut la surprise : les sociaux-démocrates – dirigés par Alfred Gusenbauer en Autriche et le tandem Müntefering-Schröder en Allemagne –, qu’on disait voués aux oubliettes, s’en sont bien mieux tirés que ce que les sondages laissaient supposer et voient même, à Vienne, la chancellerie à leur portée [les sociaux-démocrates autrichiens arrivent en tête avec 35,7 % des voix, contre 34,2 % pour les chrétiens-démocrates]. Les électeurs ont rejeté le virage que Schüssel avait initié en 2000 comme celui que Merkel souhaitait lancer en 2005. La force insoupçonnée des sociaux-démocrates autrichiens et allemands s’explique probablement par un facteur qui dépasse les particularités nationales et soustend foncièrement la vie politique européenne. Il semble en effet qu’un nombre considérable d’électeurs se focalise, par-delà les considérations locales, sur tous les aspects de la mondialisation (immigration, pressions sur l’emploi et les conditions de travail, rigueur budgétaire et démantèlement social) qui constituent pour eux une terrible menace. En conséquence, ils D UNE GRANDE COALITION ENTRAÎNERAIT UNE STAGNATION Le serveur :“On n’a rien de mieux.” Sur les tasses : les sigles des partis politiques. Dessin de Horsch paru dans Handelsblatt, Düsseldorf. ■ Verts Les résultats ne seront définitifs que le 9 octobre, après le dépouillement des 240 à 290 000 votes par correspondance. Traditionnellement, ils bénéficient plutôt aux Verts (10,5 %). Ainsi, ces derniers pourraient encore devenir la troisième force politique du pays. rêvent d’une politique qui leur promet moins de marché, moins de lutte et moins d’efforts, et leur fait miroiter plus de sécurité, plus de protection sociale, plus de barrières contre la concurrence mondiale sur les emplois et les revenus. Et si possible en faisant payer “les riches”. C’était exactement le message implicite de la campagne du SPÖ [parti social-démocrate d’Autriche] : ériger des barrières contre les désagréments de la concurrence mondialisée et sauvegarder sur la durée un généreux Etat-providence relève du possible. Bien entendu, c’est une parfaite absurdité, mais une absurdité à laquelle on veut croire. Les résultats réalisés par les deux partis “libéraux” [extrême droite xénophobe], qui s’efforcent de répandre la même illusion parmi les “petites gens”, vont dans le même sens. [Le FPÖ dirigé par Heinz Christian Strache obtient 11,3 % des voix, le BZÖ fondé par Jörg Haider 4,2 %.] Les électeurs n’ont manifestement pas pardonné à l’ÖVP d’avoir en partie assaini le système des retraites, fait prospérer les entreprises publiques en les privatisant ou rendu l’Autriche attractive pour les investisseurs étrangers grâce à des baisses d’impôt (comme ils n’avaient pas pardonné à la CDU allemande un programme similaire). Les électeurs, en revanche, et dans une proportion étonnamment élevée, ont pardonné aux sociaux-démocrates leur incompétence économique, qui s’est traduite en Allemagne par le bilan catastrophique de l’ère Schröder et en Autriche par le scandale de la BAWAG [la quasi-faillite de la banque du syndicat proche des sociaux-démocrates], qui constitue – ne l’oublions pas – le plus grand scandale économique de la IIe République. Si le succès électoral du SPÖ aboutit – là encore, comme en Allemagne – à la formation d’un gouvernement de grande coalition, on sait à quoi s’attendre : à la stagnation qu’on voit à l’œuvre à Berlin depuis la fin de l’année 2005. Christian Ortner GRÈCE Athènes tenté par la manne de l’argent sale Prendre en compte l’économie souterraine pour doper le PIB est une fausse bonne idée, prévient I Kathimerini. i le projet de budget pour 2007 présenté cette semaine devant le Parlement, ni la polémique sur l’augmentation de 25 % du produit intérieur brut (PIB) n’y changeront quoi que ce soit. 2007 sera encore une année difficile pour la Grèce, dont le déficit ne devrait pas dépasser les 6 % du PIB, un taux inférieur à la croissance, évaluée à 7 %. Ne soyez pas déçus, c’est la triste réalité, nous sommes un Etat pauvre. La semaine dernière, nous vous annoncions que nous allions devenir un pays riche grâce à une simple manipulation statistique. Le ministre de l’Economie, Giorgos Alagoskoufis, a cru bon d’annoncer qu’il allait appliquer un nouveau règlement européen qui permet aux Etats d’inclure le sec- N teur tertiaire et l’économie souterraine dans le calcul de leur PIB [ce qui permettrait à Athènes de repasser sous le seuil des 3 % de déficit imposé par Bruxelles]. La prostitution, le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale et la contrebande vont donc devoir être évalués par les Vingt-Cinq. Giorgos Alagoskoufis doit penser qu’il peut augmenter le PIB de 25 % et faire de la Grèce un pays riche, c’est-à-dire un pays dont le PIB par habitant est supérieur à 90 % de la moyenne du PIB des pays de l’Union européenne. Dans le cadre du fonds de cohésion, l’UE fournit une aide annuelle aux pays dont le PIB est inférieur à ce seuil et, jusqu’à nouvel ordre, la Grèce, avec un taux de 82 %, est un pays pauvre. Il n’est pas possible d’augmenter aussi brutalement le PIB en vingt-quatre heures, et Eurostat ferait preuve d’une indulgence douteuse s’il accep- COURRIER INTERNATIONAL N° 831 tait cette augmentation. L’office européen des statistiques peut cependant demander à l’Etat grec d’effectuer cette réévaluation à la hausse sur deux ans, à raison de 12,2 % par an. Vingt-cinq pour cent ou non, budget 2007 ou pas, l’avenir doit nous inquiéter. Car une chose est sûre dans cette confusion des chiffres, c’est que la Grèce ne bénéficiera plus du fonds de cohésion européen en 2010, quand la répartition du fonds sera révisée. En tant que pays riche, la Grèce verra diminuer ses 4 milliards d’euros annuels de subventions européennes. Reste à savoir si le règlement européen qui permet de gonfler le PIB est rétroactif. Car cela signifierait que la Grèce aurait une dette de 500 millions d’euros par an sur les cinq dernières années. Une fois de plus, les Grecs auraient alors du souci à se faire. Nikos Nikoalou, I Kathimerini (extraits), Athènes 16 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 es services secrets géorgiens ont arrêté des officiers russes et établi un blocus [depuis le mercredi 27 septembre] autour de l’étatmajor des troupes russes. Tbilissi ne tentait probablement pas d’empêcher des actes de subversion du GRU [renseignement militaire russe], actes qu’il ne redoute pas à ce point. L’enjeu est beaucoup plus important que cela. Depuis des années, Moscou et Tbilissi s’opposent, et la situation s’est déjà dégradée à plusieurs reprises, mais cela fait longtemps que le climat n’avait pas été aussi tendu. Comme ce genre de choses n’arrive jamais par hasard, il faut penser que quelqu’un espère en tirer avantage. Il est assez évident que la Géorgie cherche l’affrontement avec Moscou. Le président Saakachvili a commencé par accuser notre pays, depuis la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, de pratiquer une “occupation criminelle” des terres géorgiennes. Ensuite, il a transféré le gouvernement abkhaze en exil dans les gorges de Kodori et, maintenant, il fait arrêter des officiers russes. La Géorgie semble en avoir eu assez que les conflits d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie s’éternisent [voir CI nos 821 et 829]. Tant qu’ils durent, la Géorgie ne peut espérer adhérer à l’OTAN, qui exige qu’aucun conflit ne se déroule sur le territoire du pays candidat.Tbilissi aurait donc décidé d’accélérer les choses. Si la Russie avait réagi de manière brutale à l’arrestation de ses officiers, cela lui aurait largement facilité la tâche. L’Occident se serait sans doute interposé en faveur de la petite Géorgie, et le “dialogue intensif” avec l’OTAN qui lui a été promis serait devenu une préparation accélérée à une adhésion pure et simple. Mais la Russie a eu une riposte mesurée. Sergueï Lavrov, son ministre des Affaires étrangères, a promis d’associer le Conseil de sécurité de l’ONU, l’OSCE et même l’OTAN à ses pressions sur la Géorgie, tandis que le vicePremier ministre russe, Sergueï Ivanov, déclarait avec une évidente satisfaction que le jeu de Tbilissi était désormais clair. Il est toutefois peu probable que le jeu en question soit aussi simple qu’il y paraît. L’idée de Moscou d’impliquer des organisations internationales dans son litige avec Tbilissi pourrait être à double tranchant. Certes, ces organisations inciteront la Géorgie à faire preuve de retenue et à engager des négociations avec la Russie, ce qui mettra du baume au cœur de Moscou, mais, par ailleurs, elles ne manqueront pas d’exprimer leur préoccupation face à ces conflits non résolus en territoire géorgien et insisteront pour participer à leur règlement, afin que celui-ci intervienne au plus vite. La Russie, très jalouse de son statut de principale force de maintien de la paix dans la CEI, ne va sans doute pas apprécier. C’est certainement là le sens du jeu que joue aujourd’hui Tbilissi. Guennadi Syssoïev, Kommersant, Moscou L 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 831 p18 naple/danemark 2/10/06 17:40 Page 18 e u ro p e I TA L I E La jeunesse volée des bas-fonds de Naples La Camorra fait un retour en force dans la métropole du Sud. Pour tenir le terrain, la mafia utilise une main-d’œuvre bon marché et disponible : les jeunes désœuvrés des quartiers populaires. Dessin d’Alec Stevens paru dans The New York Times Book Review, New York. CORRIERE DELLA SERA Milan ientôt, quelqu’un va mourir. Abattu dans une ruelle obscure des Quartiers espagnols ou dans un passage de Pallonetto Santa Lucia, dans les entrailles d’un Naples de carte postale auquel seuls les touristes croient encore. C’est là, dans la vieille ville, que la peur monte aujourd’hui. C’est en tout cas ce qu’affirment les services secrets, qui, le mois dernier, ont tiré la sonnette d’alarme en signalant la possibilité d’une nouvelle série de règlements de comptes pareils à celui de Scampia [quartier de la banlieue de Naples où la guerre des gangs a provoqué plus d’une centaine de morts en moins de deux ans, voir CI n° 736, du 9 décembre 2004]. Comme d’habitude, les premiers à comprendre qu’il se trame quelque chose ont été ceux qui vivent coincés dans ce territoire dont la densité de population compte parmi les plus élevées d’Europe. “Il vaut mieux que tu ne passes pas par-là ces jours-ci”, s’est entendu conseiller Marco Rossi Doria, l’inventeur des maestri di strada [instituteurs de rue], qui habite dans ce lacis de ruelles depuis quinze ans. Autre recommandation faite à un travailleur social qui se déplace en deux-roues dans le quartier : “Evitez de porter un casque noir,on risque de vous prendre pour un tueur et de vous éliminer.” Bientôt, quelqu’un va mourir. D’un coup de revolver tiré par l’un des nombreux jeunes bourrés de cocaïne à la solde de la Camorra [la mafia napolitaine]. Un jeune qu’aurait pu être Gennaro I., si le destin ne lui avait B ■ pas donné un coup de pouce en l’envoyant loin de Naples. Aujourd’hui, Gennaro a 22 ans et travaille à Gênes dans une société d’emballages. Il ne retourne que très peu à Naples, et toujours à contrecœur. Dans les ruelles des Quartiers espagnols, où il est né et a grandi, il se sent désormais comme un étranger. “J’habitais à quelques mètres d’ici, dans un basso. Deux chambres minuscules au rez-de-chaussée, où nous vivions à trois. Et encore, on avait de la chance. A 13 ans, j’ai commencé à voler : je prenais leur portable aux ados, je les menaçais avec un faux flingue. Puis je me suis mis à voler dans les trains avec une bande de copains, raconte-t-il. Au début, ça me semblait normal, comme s’il n’y avait rien d’autre à faire. Quand on volait quelque chose dans les Quartiers espagnols, on reversait un pourcentage aux hommes du Système. Eux, ils nous passaient la coke : un rail, et on repartait. Je sentais bien que quelque chose n’allait pas,mais je ne savais pas quoi, parce que je n’imaginais même pas qu’il puisse exister une autre vie. Et même si elle avait existé, elle n’aurait pas été pour moi, de toute façon. La drogue me poussait à aller toujours plus loin. Un beau jour, mon équipier s’est fait prendre et m’a dénoncé. J’ai été condamné à six mois de prison, mais le juge m’a accordé le sursis et m’a dit que, si je filais droit, il n’y aurait aucune trace de cette histoire. C’est là que j’ai décidé de couper les ponts avec Naples. L’Association Quartieri Spagnoli m’a trouvé un emploi dans l’entreprise où je travaille aujourd’hui.Si j’étais resté chez moi, à l’heure qu’il est j’aurais certainement un flingue dans la poche.” Emprise “Naples est perdu”, titre L’Espresso. “C’est comme si les cartels avaient autorisé les hommes, de plus en plus jeunes, à voler et à faire des razzias dans tous les quartiers de la ville […] et à constituer leur propre clan, en vue d’adhérer aux grandes ‘familles’”, écrit Roberto Saviano, auteur de Gomorra (éd. Mondadori, 2006), une enquête qui révèle l’emprise de la Camorra sur Naples et sa région et l’incapacité des pouvoirs publics à la contrer. 65 % DES MOINS DE 25 ANS SONT SANS EMPLOI Via Girardi, une petite moto japonaise, de celles qui ne devraient même pas pouvoir circuler, slalome entre les passants. Au guidon, deux enfants d’une dizaine d’années. A quelques mètres de là, une petite bande de gamins s’em- pare des sacs-poubelles et les balance avec tout leur contenu sur les voitures qui passent. Un exercice de tir où les projectiles se transforment parfois en crachats, voire en gifles flanquées à ceux qui ont le malheur de se trouver dans les parages. Les touristes voyageant dans les bus à ciel ouvert en ont fait plusieurs fois les frais. “Il y a ici une délinquance diffuse”, explique Amato Lamberti, le directeur de l’Observatoire de la Camorra. “Ce sont des mineurs et des adolescents, qui ont souvent une famille à charge. Cette criminalité désorganisée sert de vivier à la criminalité organisée.” Ici, 65 % des jeunes de moins de 25 ans sont sans emploi, le nombre de détenus est cinq fois supérieur à la moyenne nationale, les délits commis par des mineurs sont dix fois plus nombreux que dans le reste de la région, plus de 15 % des adolescents sortent du circuit scolaire avant l’âge légal, et les maladies infectieuses affectant les nourrissons sont deux fois plus fréquentes que la moyenne nationale. “Dans ces conditions, nous ne pouvons que chercher à contenir la délinquance”, regrette Vittorio Pisani, chef de la brigade mobile de Naples. “Nous devons composer avec l’omerta, qui règne désormais dans toute la ville. Les gens protestent, mais ils ont peur de venir témoigner.” A eux seuls, ces chiffres suffisent à expliquer pourquoi, ces trois dernières années, quelque 35 000 personnes ont suivi l’exemple de Gennaro I. et sont parties. Marco Rossi Doria, qui, lui, reste, n’a pas perdu espoir : “Ici, il y a des gens qui font des travaux de menuiserie ou la plonge pour 90 euros par semaine et qui refusent l’argent facile de la Camorra. Ce sont nos héros silencieux.” Marco Imarisio et Enzo d’Errico DANEMARK Le design danois victime d’IKEA Arc-bouté sur ses vieux modèles, le secteur cherche un nouveau souffle. eut-être le design danois s’est-il trop confortablement assis sur les lignes épurées de la chaise Fourmi [créée en 1955 par Arne Jacobsen] et sur les coussins rembourrés du canapé de Børge Mogensen. Pour Mark Isitt, rédacteur en chef du magazine danois réputé Forum, le design danois vit toujours sur le succès de cette vieille chaise. La nouveauté et l’originalité se trouvent désormais à l’étranger. “Dans le domaine du mobilier et des objets domestiques, la Suède a largement dépassé le Danemark. Elle est bien plus dynamique, tandis que le design danois est empreint de nervosité et d’angoisse. Celui-ci privilégie trop le détail et l’aspect artisanal, au détriment de la créativité. Peut-être parce que la tradition danoise est un patrimoine lourd à porter. Le Danemark P a tout à perdre, alors que la Suède a tout à gagner”, affirme Mark Isitt, faisant allusion aux nombreuses icônes du design danois – les Hans J. Wegner, Bøge Mogensen, Arne Jacobsen et Poul Kjærholm [grands designers des années 1950 et 1960]. La Suède, elle, n’a qu’IKEA. Mais, si les entreprises suédoises lancent plus de nouveaux produits, si le Salon du mobilier de Stockholm s’agrandit alors que les manifestations danoises diminuent et que le Danemark vend essentiellement des classiques, c’est aussi parce que le design danois se trouve dans une phase intermédiaire, estime Anders Byriel, qui dirige la fameuse maison de textiles danoise Kvadrat. “La génération qui a immédiatement suivi Panton et Wegner [designers danois des années 1960] était presque invisible, et n’a pas fait pas grand-chose. On a eu l’impression qu’elle était traumatisée, explique Byriel. COURRIER INTERNATIONAL N° 831 En revanche, la génération qui arrive est tournée vers l’international et ne se préoccupe pas des grands maîtres. Heureusement, car on ne peut continuer indéfiniment dans la même voie. Il faut réformer et repenser le design danois. Dans les années 1950, il était incroyablement présent. Mais c’est comme pour le Tour de France : la même équipe ne peut pas gagner chaque fois.” Anders Byriel estime que seule une petite dizaine de designers danois ont les capacités, le langage et les ambitions pour obtenir une reconnaissance internationale. Mais il fait remarquer que c’est d’abord dans les écoles que les choses se passent, car les designers ne peuvent pas être à l’avant-garde si les écoles ne le sont pas. De plus, les producteurs sont devenus des gestionnaires, au lieu d’être des innovateurs. “Fritz Hansen [la plus grande fabrique de meubles du Danemark] vend la même chaise depuis cinquante ans, regrette 18 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 Mark Isitt. Certes, il fabrique quelques séries avec de jeunes designers, mais il s’agit d’une opération médiatique : elles ne sont jamais produites en grande quantité. Maintenant, ils affirment vouloir lancer deux collections par an. J’espère que ce ne sont pas de vaines paroles.” Mark Isitt pense que le Danemark doit négocier un virage, comme l’Italie dans les années 1970 et 1980. “A l’époque, les Italiens estimaient qu’ils étaient les meilleurs designers du monde. Mais, quand Giulio Cappellini a repris la fabrique de meubles de son père, il a fait venir des designers étrangers, comme Jasper Morrisson, Tom Dixon et Marc Newson. Cappellini est devenu l’un des producteurs les plus créatifs au monde. Les designers danois doivent arrêter de se mesurer à leur passé et plutôt se confronter à leurs contemporains étrangers. Le Danemark doit produire un Cappellini.” Malin Schmidt, Information (extraits), Copenhague 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 831 p20-21 europe 2/10/06 19:29 Page 20 e u ro p e DOSSIER BULGARES ET ROUMAINS DANS L’UE ■ Au début de l’année 2007, le tandem balkanique fera enfin son entrée dans l’Union européenne. ■ L’occasion pour la presse locale de constater, avec une bonne dose d’humour, à quel point les deux pays se méconnaissent, voire se snobent. ■ Une attitude pas très européenne… L’Europe… mais sans les Roumains Si les deux peuples s’ignorent royalement, c’est parce qu’ils se ressemblent trop, écrit l’hebdomadaire Sega. en France. En Europe, tous les hommes ne sont pas des demi-dieux nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, il n’y a pas que des gentlemen là-bas. Chez nous aussi, d’ailleurs, il n’y a pas que des hommes qui battent leur femme après le troisième verre et qui jurent comme des charretiers dans la rue. Seulement voilà, notre côté provincial n’échappe à personne. Ce provincialisme des Balkans est un mélange infernal de pauvreté, de conservatisme et de désœuvrement dans une période de déclin général, à quoi vient s’ajouter un profond manque d’ambition intellectuelle. SEGA Sofia ombien de fois j’ai voulu aller à Bucarest sans y parvenir ! Plusieurs fois, j’ai dû contourner la ville ; plusieurs fois, je l’ai survolée en avion, mais je n’ai jamais pu ne serait-ce qu’apercevoir un bout de la Casa Poporului [le pharaonique palais du Peuple construit par Ceausescu]. Or j’avais tellement envie de voir l’endroit où Michael Jackson avait lancé, en 1999, son fameux : “Bonjour Budapest !”… Mais pourquoi devrais-je voir Bucarest ? Un jour, je suis allé en Roumanie en ferry, à Giurgiu plus précisément [au sud du pays, sur les rives du Danube et en face de la Bulgarie]. J’y avais fait des courses en monnaie bulgare, la ville sentait le charbon et les moustiques étaient gros comme des hirondelles. Côté impressions, ça m’avait suffi. En réalité, nous ne savons rien de la Roumanie. On a vaguement entendu un air de George Enesco [compositeur et violoniste roumain, 1881-1955], vu un truc d’Eugène Ionesco et c’est tout. Et, depuis quelques années, grâce à Haiducii, nous savons comment se dit en roumain “Amour sous les tilleuls” [“Dragostea din tei”, titre d’un tube interprété par le groupe connu en France sous le nom d’O-Zone]. Jadis on communiquait davantage. Bulgares et Roumains faisaient du troc sur les marchés, il arrivait que quelqu’un aille jusqu’à Sinaia [résidence de l’ex-roi de Roumanie] et on regardait tous les films de l’inspecteur Moldovan [série policière des années 1980, l’équivalent roumain de Navarro]. C LES ROUMAINS, C’EST LES AUTRES Quant aux Roumains, ils regardaient la télévision bulgare, parce que le régime de Ceausescu était encore pire que celui de Todor Zivkov. Aujourd’hui, la Roumanie ne nous intéresse plus du tout. Ils sont bien là où ils sont. Eux aussi, d’ailleurs, se contrefichent de savoir ce qui se passe au sud du Danube. C’est bien la raison pour laquelle nous ne sommes pas près de voir un deuxième pont sur le Danube. La tête dans le guidon, nous fixons notre ligne d’arrivée – l’Occident et LE RISQUE DE DÉCLANCHER UNE NOUVELLE GUERRE BALKANIQUE l’Europe –, mais nous ne voulons surtout pas nous occuper de notre présent balkanique, encore moins de nos pauvres voisins. Nous voudrions que notre adhésion formelle à l’UE nous métamorphose. Non seulement nous nous réveillerons du jour au lendemain “européens”, mais nous changerons aussi la géographie, en nous propulsant ainsi par miracle des confins vers le centre. Il y a un certain temps, un confrère, Romulus Caplescu, avait écrit dans le quotidien roumain Adevarul un article intitulé Roumains et Bulgares dans le même panier. Il parlait de ce qui nous unissait, d’un hypothétique Etat commun au XIIe siècle, de l’accueil chaleureux que les Roumains avaient réservé aux révolutionnaires bulgares du XIXe siècle, des soldats roumains qui ont laissé leurs os sur nos terres. L’article se terminait sur ces mots : “Que faire ? Il faut bien continuer à vivre ensemble.” Vivre ensemble – d’accord, mais il faut surtout prendre conscience de ce que nous sommes et de l’endroit où nous sommes. En réalité, les différences entre la Bulgarie et la Roumanie sont insignifiantes. A la base, nous sommes les mêmes péquenots, des provinciaux du fin fond de l’Europe. Regardez un peu à quoi ressemblent nos Etats, voyez ce que nous savons faire, ou encore comme nous nous chamaillons. Franchement, nous sommes irrécupérables. L’histoire millénaire ne peut nous sauver, ni les Dessin de PEP paru dans JyllandsPosten, Danemark. génies footballistiques qu’ont été le Bulgare Hristo Stoïtchkov et le Roumain Gheorghe Hadji. “Si nous continuons à vivre comme des provinciaux, nous ne serons qu’une province européenne”, a déclaré un jour notre ministre des Affaires européennes, Meglena Kuneva. Elle a tort. Cela fait des lustres que nous sommes DÉJÀ une province européenne et juste quelques efforts ne nous sauveront pas. Bien entendu, il ne s’agit pas ici de la conception du “provincial” que l’on a DOUTES Union “light” ■ I Kathimerini, d’Athènes, s’étonne que les critères économiques n’aient joué aucun rôle dans la décision d’accueillir les Bulgares et les Roumains. Le journal grec s’insurge également contre le fait que ces deux pays ont ouver t leurs frontières à de nouvelles bases américaines tout en se réclamant de l’Eur ope. “L’élargissement est un échec”, de ce point de vue, estime le quotidien. Pour Die Welt, de Berlin, il s’agit plutôt d’une “farce”, la déci- COURRIER INTERNATIONAL N° 831 20 sion d’intégrer les deux pays – motivée uniquement par calcul politique – ayant été prise bien avant l’avis de la Commission. Or il est clair pour tous que “Bucarest et Sofia n’étaient pas prêts pour l’Union européenne”, poursuit le journal allemand. Der Standard, de Vienne, estime pour sa part que l’avènement d’une “UE light” pourrait constituer un test pour de futures adhésions “par tielles”, telles que celles de la Croatie et de la Turquie. DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 Notre pays n’est pas aux normes européennes dans les domaines de la lutte contre le crime, de la corruption, du blanchiment d’argent, ni dans celui de la transparence de la distribution des fonds agricoles et régionaux. Nous le savons trop bien. En dehors de leurs meilleures campagnes de relations publiques, les Roumains ne vont pas beaucoup mieux sur ce plan. Il est logique que l’Europe prévoie des clauses de sauvegarde pour trouver une bonne excuse auprès des électeurs avant de faire entrer en son sein des énergumènes comme nous. Or tout cela ne résulte que de notre provincialisme sauvage. Si nous étions des gens bien comme il faut, on ne nous aurait pas classés en “deuxième catégorie”.Voilà pourquoi nous resterons assis sur nos petites chaises, dans le coin des domestiques de la maison commune européenne. Mais c’est déjà un grand succès pour des provinciaux. Les Roumains risquent de dire maintenant que “la Bulgarie nous tire vers le bas”. C’est un problème. De notre côté, on ne manquera pas de leur rappeler que la grippe aviaire a sévi de leur côté du Danube. De toute façon, les Roumains, c’est connu, ne tiennent jamais la distance, un peu comme dans ce match pour les qualifications de l’Euro 2008 entre nos deux pays qui a failli déclencher une nouvelle guerre balkanique. Aujourd’hui, soyons magnanimes : qu’ils prennent leurs cliques et leurs claques, et qu’ils viennent l’été bronzer sur nos plages. Chez nous, en Europe. Petio Tsekov 831 p20-21 europe 2/10/06 19:30 Page 21 e u ro p e DOSSIER Bucarest-Sofia : match nul La course à l’adhésion a fait ressortir de vieilles rancunes. Elles ne s’expriment plus sur les champs de bataille, mais sur les terrains de football, explique le Cotidianul. Dessin d’Ares, Cuba. COTIDIANUL Bucarest lors que nous étions assoiffés de sang et à la recherche de nouvelles victimes après six ans d’anonymat dans le football européen, le destin nous a souri au moment du tirage au sort pour les qualifications de l’Euro 2008. Nous avions la possibilité de démontrer à nos voisins bulgares qui mène le tandem dans la course vers l’Union européenne. En avant avec Dracula ! C’est notre Adrian Mutu (par ailleurs joueur de la Fiorentina), qui a ouvert les hostilités en traitant le sélectionneur bulgare Hristo Stoitchkov de lâche et de nain, se disant convaincu que l’ancien Ballon d’or avait une trouille bleue de l’équipe roumaine. S’est ensuivi un souk avec insultes et allusions grasses, comme on n’en trouve que dans les Balkans, les valeurs nationales telles que la polenta (roumaine), les grosses nuques et les cornichons (bulgares) étant brandies comme des armes de destruction massive. “Les Bulgares n’ont pas peur d’un peuple dont le principal produit d’exportation sont les loups affamés pendant l’hiver”, ont répondu nos voisins du Sud, dont la presse a dépeint Adrian Mutu et Nicolae Dica (de Steaua Bucarest) en vampires. Notre réponse les a énervés, notamment lorsque le quotidien sportif Gazeta Sporturilor a publié en première page un truquage montrant Ionel Ganea, du Dinamo Bucarest, en sumotori prêt à mettre une raclée aux joueurs bulgares caricaturés en lutteurs nains. Le journal a également publié une page entière de blagues sur les Bulgares, comme celle sur la présence de puces dans leur capitale. “Si les puces étaient phosphorescentes, Sofia brillerait comme Las Vegas !” pouvait-on lire. A ■ de l’iceberg de l’animosité qui existe entre nos deux pays. L’historien Steliu Lambru rappelle qu’avant la guerre de 1877-1878 entre la Russie et la Turquie, qui a donné l’indépendance à la Roumanie, de nombreux Bulgares s’étaient réfugiés chez nous afin de lutter pour leur émancipation nationale face aux Ottomans. Le mouvement a duré jusque dans les années 1912-1913. C’est à ce moment que les relations se sont gâtées.“Lors de la Première Guerre mondiale, les deux pays ont appartenu à des alliances militaires adverses. Par la suite, la Bulgarie n’a pas joué la carte de la coopération régionale avec la Roumanie, en raison d’un certain irrédentisme mais surtout d’un révisionnisme territorial”, ajoute-t-il. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les deux pays se sont retrouvés du côté de l’Allemagne, mais leurs relations étaient mauvaises. Après 1947, quand l’URSS a occupé la moitié de l’Europe, un rapprochement de circonstance s’est opéré entre les deux pays. “Mais, après 1989 et la chute du régime communiste, les anciennes frustrations et antipathies sont revenues au galop”, estime Steliu Lambru. Outre le foot, c’est dans le domaine du tourisme que les esprits s’échauffent aujourd’hui. Chacun des deux pays s’enorgueillit d’avoir les plages les mieux ensoleillées et les plus belles montagnes. Dans ce domaine, force est de constater que nos voisins ont nettement l’avantage. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les tour-opérateurs estiment à plus de 100 000 le nombre de touristes roumains qui sont allés en Bulgarie cette année, contre seulement 10 000 en 2005. “RATTRAPER LA HONGRIE ET DÉPASSER LA BULGARIE” Une croissance spectaculaire, qui prouve que la présence de la Bulgarie aux côtés de l’Iran dans le chapitre des pays à éviter sur le site du ministère des Affaires étrangères roumain n’a eu pour effet que de provoquer l’ire de Sofia. “Nous nous abstenons de commentaire. Nous entrons ensemble dans l’Europe et nous ne voudrions pas déclencher une polémique sur ce thème”, avait répliqué Stanimir Petkov, conseiller de l’ambassade de Dernier train Adevarul se penche déjà sur la personnalité du futur commissaire roumain à Bruxelles, qui doit “penser aux intérêts européens, et pas seulement roumains”, selon le quotidien. Optimiste, Cotidianul ne craint pas les clauses de sauvegarde, l’essentiel étant que “désormais tout dérapage contre la démocratie est strictement interdit”. La question du jour pour le quotidien populaire Evenimentul Zilei est : “Croyez-vous que l’intégration ` à l’UE augmentera le nombre de ceux qui vont vouloir émigrer ?” Le journal ouvre son édition du 26 septembre avec la photo de l’Hémicycle européen barrée du titre : “La Roumanie a attrapé le dernier train !” STOITCHKOV ET LA THÉORIE DE L’ÉVOLUTION En réponse, les Bulgares ont ouvert un nouveau front avec la publication de photos assez suggestives des compagnes de quelques footballeurs roumains. Sous le titre “La Roumanie attaque les seins à l’air”, ils osaient affirmer que nous n’avions pas une véritable équipe de foot. Fidèle à sa réputation, Stoitchkov en est venu aux mains avec quelques journalistes roumains, avant de proposer sa propre interprétation de la théorie de l’évolution. “Quand j’avais des Mercedes et des BMW, vous faisiez encore du vélo”, leur a-t-il lancé. Enfin, après que nos voisins nous eurent traités de “Tsiganes”, les autorités roumaines ont officiellement demandé à l’UEFA de sanctionner la Bulgarie pour “injures racistes”. On peut se demander si cette rivalité sportive est seulement le sommet RESTRICTIONS “Le mur de Berlin est enfin tombé ” ■ “En Europe, avec des clauses de sauvegarde sans précédent”. C’est en ces termes que le quotidien Dnevnik de Sofia annonçait, le 27 septembre, l’adhésion prochaine de la Bulgarie à l’UE. “C’est la première fois dans l’histoire de l’élargissement de l’UE que la Commission met en place un tel mécanisme de surveillance et de contrôle pour un de ses nouveaux membres”, poursuivait le journal, alors que la classe politique bulgare se réjouissait de ce jour “historique”. “C’est seulement maintenant que le mur de Berlin est définitivement tombé pour nous”, déclarait le Pre- Une de Dnevnik du 27 septembre 2006. COURRIER INTERNATIONAL N° 831 21 mier ministre, Sergueï Stanichev. “Nous sommes entrés dans la Ligue des champions !” renchérissait le président, Georgi Parvanov. La “concurrence avec la Bulgarie est passée au second plan”, estimait de son côté le correspondant à Bucarest de Dnevnik, qui évoque une “explosion de joie contenue” dans la capitale roumaine. Il rappor te néanmoins que la première chaîne de télévision roumaine (TVR 1) a raconté les péripéties de son équipe à Sofia, qui a dû “s’acquitter ce même jour d’un pourboire de 10 euros pour obtenir une facture du taxi qui la conduisait à l’aéroport”. DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 Bulgarie à Bucarest, en rappelant insidieusement que le tourisme rapportait à son pays un montant en euros quatre fois supérieur à celui de la Roumanie. L’Europe, justement. La Roumanie et la Bulgarie ont été tantôt partenaires, tantôt concurrentes dans le processus d’intégration européenne, et aucune des parties n’a perdu la moindre occasion de démontrer qu’elle était en avance sur l’autre. Si la Roumanie était considérée, il y a quelques années, comme la plus problématique des deux candidates, tout le monde s’accorde à dire qu’elle a fait des progrès impressionnants depuis 2004. Ce n’est pas le cas de la Bulgarie, qui n’a pas réussi à s’aligner, notamment pour ce qui concerne la lutte contre la corruption, le crime organisé et la réforme de la justice – autant de points noirs qui auraient pu faire ajourner d’un an son adhésion. La Roumanie a toujours voulu “rattraper la Hongrie et dépasser la Bulgarie”, explique Zoe Petre, spécialiste roumaine des affaires européennes. “Je pense qu’il y a eu des moments dans l’Histoire où l’on a regardé avec envie vers la Hongrie, qui a eu une ascension plus rapide et plus confortable. A d’autres moments, nous avons eu peur que les Bulgares ne nous rattrapent”, poursuit-elle. Zoe Petre considère comme infondée la rivalité entre ces deux pays, car chacun d’eux a progressé à son rythme, sans gêner l’autre. Elle souligne également tout ce qui rapproche Bulgares et Roumains, notamment leurs problèmes hérités de leur passé communiste, leur fond culturel balkanique et leur même foi orthodoxe. Un avis que partage Sebastian Lazaroiu, directeur de l’institut de sondage CURS et professeur à la faculté de science politique de Bucarest. Il met en cause la presse, qui a monté en épingle la rencontre du 2 septembre entre la Roumanie et la Bulgarie pour “dramatiser” un match sans grand enjeu sportif. Peu se souviennent d’ailleurs de son résultat, pourtant non sans intérêt. Les deux équipes ont fait match nul (2-2). Ciprian Pîslaru, Valentin Baesu et Diana Lazar 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 831 p24-25 amérique 2/10/06 20:20 Page 24 amériques ● É TAT S - U N I S George W. Bush : de la tyrannie en Amérique Le Congrès a finalement adopté, le 29 septembre, une loi sur la détention et le jugement des terroristes présumés. Un texte inique et indigne de la démocratie américaine, estime The New York Times. THE NEW YORK TIMES New York oilà ce qui se passe quand un Cong rès amér icain irresponsable fait passer en force un projet de loi d’une importance capitale pour servir une stratégie politique inepte en vue des élections de mi-mandat : le gouvernement Bush a exploité la peur des républicains de perdre leur majorité au Sénat et à la Chambre des représentants pour leur faire accepter de terrifiantes idées sur l’antiterrorisme, lesquelles vont remettre en cause la sécurité de nos soldats et faire un tort durable à l’Etat de droit qu’est l’Amérique depuis deux cent dix-sept ans – et tout cela sans améliorer en rien la protection des Américains contre le terrorisme. Si les républicains ont affirmé que le Congrès devait agir sans tarder pour créer des procédures de mise en accusation et de jugement des terroristes, c’est parce que les cerveaux présumés des attentats du 11 septembre 2001 sont sur le point d’être traduits en justice. C’est de la pure propagande. Ces hommes auraient pu être jugés et condamnés depuis bien longtemps, mais le président Bush a préféré ne pas le faire. Il a préféré les maintenir en détention illégale, les faire interroger de telle sorte qu’un procès en bonne et due forme est désormais difficilement envisageable et inventer un système clairement illégal de tribunaux irréguliers pour les condamner. Ce n’est que depuis que la Cour suprême a déclaré inconstitutionnel le système pénal d’exception voulu par Bush que ce dernier a adopté le ton de l’urgence. Son objectif est cynique : si les stratèges républicains croient pouvoir remporter les élections cet automne, ce n’est pas en adoptant une bonne législation, mais en ayant forcé les démocrates à voter contre une mauvaise législation et, du même coup, à apparaître comme laxistes à l’égard du terrorisme. Une semaine avant l’adoption de cette loi, la Maison-Blanche et trois sénateurs républicains avaient annoncé qu’ils étaient parvenus à un redoutable accord sur cette loi, accordant à Bush à peu près tout ce qu’il avait demandé, y compris une décharge complète pour les crimes commis par des Américains au service des politiques antiterroristes. Puis le vice-président Dick Cheney et ses législateurs zélés ont remanié le reste du texte de façon à habiliter Bush à emprisonner sans inculpation à peu près qui il veut aussi longtemps qu’il le veut, à réinterpréter de façon unilatérale les conventions de Genève, à autoriser des pratiques que d’aucuns qualifient de torture et à refuser de rendre justice à des centaines V George W. Bush. Dessin de Schot, Pays-Bas. Précipitation Juste avant la suspension des travaux du Congrès en vue des élections de mi-mandat du 7 novembre prochain, les sénateurs et les représentants républicains se sont hâtés de voter plusieurs lois. Outre le texte sur la détention et le jugement des terroristes présumés, une loi sur la construction d’une clôture longue de plus de 1 100 kilomètres à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, destinée à la lutte contre l’immigration clandestine, a été adoptée in extremis. WEB+ Plus d’infos sur le site L’interview de Reed Brody, conseiller de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch d’hommes emprisonnés par erreur. Voici quelques-unes des pires dispositions contenues dans ce texte : Ennemis combattants En donnant une définition dangereusement large au terme “ennemi combattant illégal”, la nouvelle loi implique que des résidents vivant légalement aux Etats-Unis ainsi que des ressortissants étrangers vivant dans leur propre pays pourront être arrêtés et retenus indéfiniment sans aucun recours. Le président peut, de surcroît, décider de placer qui il veut dans cette catégorie. Conventions de Genève La nouvelle loi enterre des conventions internationales vieilles d’un demi-siècle en autorisant Bush à décider seul quelles sont les méthodes d’interrogatoire abusives qu’il juge tolérables. Ces décisions pourraient d’ailleurs rester secrètes : rien n’impose que la liste de ces méthodes d’interrogation jugées tolérables soit publiée. Habeas corpus Les détenus incarcérés dans des prisons militaires américaines n’auront désormais plus le droit de contester leur emprisonnement. Or les requêtes en habeas corpus n’encombrent pas les tribunaux, pas plus qu’elles ne sont une faveur faite aux terroristes. Elles donnent simplement à des personnes emprisonnées par erreur une chance de pouvoir prouver leur innocence. Recours Les tribunaux américains ne pourront réexaminer aucune des dispositions du nouveau système mis en place, exception faite des verdicts rendus par les tribunaux militaires. La loi restreint en effet les possibilités de recours et empêche toute action juridique fondée sur les conventions de Genève. Pour emprisonner quelqu’un à vie, Bush n’a donc qu’à le déclarer “ennemi combattant illégal” et lui refuser tout forme de procès. Preuves obtenues par la force Les preuves obtenues par la force sont déclarées exploitables dès lors qu’un juge les estimera fiables. Preuves secrètes Les normes judiciaires américaines interdisent la prise en compte de preuves et de témoignages n’ayant pas été portés à la connaissance de l’accusé. Or la nouvelle loi restreint de façon draconienne les protections existant contre l’utilisation de ce type de preuve. Torture Enfin, la nouvelle loi donne une définition de la torture d’une étroitesse intolérable, reprenant quasiment mot pour mot les mémos profondément cyniques produits par le gouvernement à la suite des attentats du 11 septembre. Le viol et l’agression sexuelle, par exemple, sont définis à minima, n’englobant que les rapports contraints ou forcés, et non les autres formes de sévices sexuels. La nouvelle loi élimine ainsi de facto l’idée que le viol est une forme de torture. Les républicains ont clairement fait comprendre qu’ils n’hésiteraient pas à traiter de lâche et de laxiste quiconque voterait contre ce texte de loi. Mais, une chose est sûre, les Américains de demain ne se souviendront pas des circonstances préélectorales qui ont mené à une telle abdication face à la volonté du gouvernement.Tout ce dont ils se souviendront, c’est qu’en l’an 2006 le Congrès américain a adopté une loi tyrannique qui restera dans l’Histoire comme l’un des plus grands déshonneurs de la démocratie américaine. ■ C O N T E S TAT I O N Les inconnues de la nouvelle loi ■ Si l’adoption par le Congrès de la loi sur la détention et le jugement des terroristes présumés est incontestablement une victoire pour George W. Bush, note le Los Angeles Times, ce texte a cependant toutes les chances d’être contesté devant la Cour suprême, souligne le quotidien. Dès le jour du vote, plusieurs législateurs démocrates et républicains ont en effet qualifié de “faute historique” la suspension de l’habeas corpus – le droit de remettre en question devant un juge toute détention COURRIER INTERNATIONAL N° 831 préventive. Une erreur qui, à elle seule, pourrait faire tomber l’ensemble de la nouvelle loi. “Je suis persuadé que ce texte n’est pas constitutionnel”, a déclaré Harry Reid, le chef de la minorité démocrate au Sénat, avant d’ajouter que “la Cour suprême l’annulera à coup sûr”. Par ailleurs, on ne sait pas encore combien de terroristes présumés vont être traduits devant les commissions militaires créées par cette nouvelle loi. Cet été, seuls 10 des quelque 24 700 détenus passés par Guantanamo ont été accusés de crimes de guerre. Il faut rappeler qu’aucun prisonnier n’avait encore été jugé lorsque la Cour suprême a déclaré, au mois de juin 2006, que les tribunaux militaires spéciaux mis en place sur ordre de George W. Bush étaient illégaux. Le 6 septembre, le président américain a annoncé qu’il avait envoyé à Guantanamo 14 terroristes de première impor tance. Ces derniers étaient jusque-là détenus par la CIA dans des prisons se- DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 crètes. Parmi eux figure Khalid Sheikh Mohammed. Il est considéré comme le cerveau des attentats du 11 septembre 2001. La seule certitude le concernant est que la nouvelle loi va permettre de le traduire devant une commission militaire. S’il est reconnu coupable et condamné à mort, il pourra faire appel de cette condamnation devant le tribunal fédéral de Washington. Si cet appel se soldait par un échec, il pourrait demander une révision de son cas à la Cour suprême des Etats-Unis. 831 p24-25 amérique 2/10/06 20:21 Page 25 amériques É TAT S - U N I S É TAT S - U N I S L’islam fait des adeptes chez les Latinos Oprah Winfrey présidente malgré elle ? De plus en plus d’Hispaniques se retrouvent dans une foi et une culture à bien des égards très proches de la leur. Une communauté qui compte aujourd’hui 200 000 personnes. est située dans un quartier à majorité hispanique. Il y a quelques années encore, on y entendait rarement parler espagnol, raconte l’imam Muhammad Musri, qui préside la Société islamique de Floride centrale. Aujourd’hui, on constate une demande croissante de livres en espagnol, y compris le Coran, poursuit l’imam. La mosquée propose tous les samedis des cours d’initiation à l’islam en langue espagnole destinés aux femmes. “Dans quelques années, il me semble tout à fait envisageable que la mosquée propose des offices en espagnol, sous la direction d’un imam hispanique”, dit-il. THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR Boston D’ORLANDO (FLORIDE) vec son hidjab et son teint mat, Catherine Garcia ne ressemble ni à une native d’Orlando ni à une touriste venue visiter Disneyworld. Les gens qui lui demandent d’où elle est originaire sont souvent surpris d’apprendre qu’elle vient non pas du Moyen-Orient, mais de Colombie. C’est que Catherine Garcia, une employée de librairie arrivée aux EtatsUnis il y a sept ans, est hispanique et musulmane. En cette douce aprèsmidi du début du ramadan, elle est à la mosquée, vêtue d’une longue tunique, les bras couverts. “Dans mon pays, je n’ai jamais trouvé ma place dans la société. Ici, dans l’islam, je me sens en phase avec toutes leurs croyances”, explique-t-elle. Catherine Garcia fait partie du nombre croissant d’Hispaniques des Etats-Unis qui se retrouvent dans une foi et une culture présentant d’étonnantes ressemblances avec leur propre héritage. Travailleurs, étudiants ou parents au foyer, ils viennent à la foi musulmane par le mariage, par curiosité ou par identité de vues sur certaines questions comme l’immigration. Le nombre de musulmans hispaniques a augmenté de 30 % depuis 1999, pour s’établir aujourd’hui à 200 000 personnes, estime Ali Khan, directeur national du Conseil musulman américain, à Chicago. Beaucoup attribuent cet engouement à un intérêt accru pour l’islam depuis les attentats de 2001, mais aussi à la rencontre de deux minorités en plein essor. Ils font aussi remarquer que les musulmans ont régné sur l’Espagne il y a plusieurs siècles, et y ont laissé leur empreinte sur la cuisine, la musique et la langue. “Beaucoup d’Hispaniques qui se convertissent à l’islam vous diront qu’ils renouent ainsi A POUR CERTAINS, C’EST LE SIGNE QUE L’ISLAM S’AMÉRICANISE avec leur histoire, avec un héritage qui leur était en quelque sorte nié”, affirme Ihsan Bagby, professeur d’études arabes et islamiques à l’université du Kentucky. Cette tendance a donné naissance à des organisations latinomusulmanes comme la Latino American Dawah Association, fondée en 1997 à New York par des Hispaniques convertis. Aujourd’hui, l’organisation est présente sur tout le territoire américain. L’accroissement du nombre de Latinos musulmans est particulièrement sensible à New York, en Floride, en Californie et au Texas, qui possèdent les plus grandes communautés hispaniques. La mosquée d’Orlando, qui est la plus grande des environs et accueille quelque 700 fidèles chaque semaine, Dessin d’Osmani Simanca, Brésil. Retrouvez cet article en v.o. page 50 dans Courrier in English COURRIER INTERNATIONAL N° 831 25 Musulmans et Hispaniques accordent beaucoup d’importance à la famille et à la religion et sont traditionnellement conservateurs, remarque Ihsan Bagby. Ils partagent également un intérêt pour certaines questions sociales comme l’immigration, la pauvreté et la santé. Il y a quelques mois, des musulmans se sont joints aux Hispaniques qui manifestaient dans tout le pays contre des propositions de réforme de l’immigration qu’ils jugeaient injustes. Pour Ihsan Bagby, c’est le signe que l’islam s’américanise. Le point de vue des républicains sur des questions telles que l’immigration pousse les musulmans hispaniques vers des positions moins conservatrices, et l’islam tout entier pourrait suivre le même chemin. La participation des musulmans hispaniques à la politique américaine pourrait également montrer aux musulmans du monde entier les vertus de la démocratie, et, à terme, amener les fondamentalistes à moins d’intransigeance. “Plus les Hispaniques et les Américains en général seront nombreux à se convertir, plus les liens unissant la communauté musulmane et le reste de la société américaine seront forts et étroits”, prédit Ihsan Bagby. Amy Green DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 DE WASHINGTON prah Winfrey, la star du petit écran, pourrait-elle devenir présidente des EtatsUnis ? Pour Patrick Crowe, l’un de ses fans, cela ne fait aucun doute. Il est à l’origine de “Oprah présidente”, une campagne destinée à la persuader de briguer la plus haute fonction du pays. Mais il y a un léger problème : l’intéressée ne semble guère enthousiaste à l’idée de troquer son fauteuil de journaliste pour le bureau Ovale. On a appris la semaine dernière que les avocats d’Oprah Winfrey avaient envoyé à M. Crowe une lettre lui enjoignant officiellement de cesser d’utiliser le nom d’Oprah dans sa campagne. Et de ne plus reproduire des photos tirées de son livre Oprah for President : Run, Oprah, Run [Oprah, présidente : vasy, Oprah, vas-y], protégées par le droit d’auteur. Selon Patrick Crowe, 69 ans, un ancien enseignant de Kansas City qui a déjà sorti plus de 60 000 dollars de sa poche pour cette campagne, Oprah Winfrey rassemble toutes les qualités d’une présidente idéale. “Si elle se présentait, elle apporterait un changement radical dans la politique américaine. Ça ne serait plus jamais pareil”, s’enthousiasme-t-il. “Elle a un vrai sens de la compassion, elle sait former des équipes, elle sait diriger. Elle a accompli beaucoup de choses différentes. C’est une femme d’action. Souvenez-vous juste de tout ce qu’elle a fait pour les victimes de l’ouragan Katrina. Ou de ce qu’elle à fait pour les livres : la recommandation d’un seul livre de sa part, et quelques jours après celui-ci est en haut de la liste des meilleures ventes du New York Times.” Selon lui, la journaliste pourrait changer d’avis si le mouvement en faveur de sa candidature prenait de l’ampleur. “Dans notre pays, expliquet-il, on appelle ça fabriquer un candidat.” Andrew Buncombe, The Independent, Londres O 831 p26-27 amérique 2/10/06 19:48 Page 26 amériques ARGENTINE Le premier disparu de la démocratie Le gouvernement et les ONG se mobilisent pour retrouver Jorge López, témoin dans le procès de celui qui fut chef de la police de Buenos Aires sous la dictature. Des policiers pourraient être impliqués. PÁGINA 12 clé dans le jugement serait l’œuvre de taupes de la Bonaerense, “à la retraite ou en activité”. D’après ces mêmes organisations, ceux qui ne sont pas en service ne peuvent disposer de l’infrastructure nécessaire pour effectuer des filatures et passer des appels téléphoniques de menaces comme en reçoivent presque tous les avocats liés à ce type de procès. Buenos Aires ’est le premier disparu depuis les années du terrorisme d’Etat”, a lancé le gouverneur de Buenos Aires, Felipe Solá, en montrant la photo du disparu Jorge Julio López. Cet homme de 77 ans, ancien maçon, était l’un des principaux témoins au procès de Miguel Etchecolatz [ancien directeur de la police de Buenos Aires pendant la dictature argentine, condamné le 19 septembre dernier à la réclusion à perpétuité pour crimes contre l’humanité]. Après avoir invité les organisations sociales, syndicales, patronales et confessionnelles à participer aux recherches, Solá a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a attribué le possible enlèvement de López à sa qualité de témoin clé dans le procès contre l’ancien bras droit de Ramón Camps [ce général, réputé avoir été un des pires tortionnaires de la dictature, a été chef de la police de la province de Buenos Aires, puis de la police fédérale, sous la dictature]. Il a également estimé que c’était un moyen [d’]“intimider de futurs témoins ou d’empêcher leur participation à d’autres procès” contre les anciens responsables de la répression. Le premier point du communiqué émanant du gouvernement de la province de Buenos Aires contenait cette inquiétante information selon laquelle la Bonaerense, la police de Buenos Aires, une institution très contestée, C UN ENLÈVEMENT POLITIQUE POUR ENTRAVER LES PROCÈS Dessin de Côté paru dans Le Soleil, Québec. compterait dans ses rangs des personnes ayant participé à la répression, malgré les purges innombrables qui ont déjà éliminé quelque 2 000 agents. L’affaire est d’importance. Certaines organisations de défense des droits de l’homme soutiennent depuis le premier jour que la disparition du témoin Le deuxième point du communiqué invitait les organisations des droits de l’homme à participer à l’enquête, mais celles-ci ont refusé, estimant que c’était à l’Etat de retrouver le témoin. “Nous avons besoin de l’aide de tout le peuple argentin, à commencer par les habitants de la province de Buenos Aires, pour retrouver López”, a pourtant déclaré Solá. Le gouverneur s’exprimait depuis le siège du gouvernement, à La Plata, après une réunion avec des syndicats et des représentants d’organisations sociales et politiques, avec lesquelles il est convenu de diffuser très largement le portrait de López afin qu’on puisse le localiser. En accord avec son cabinet, Solá a appelé à une “mobilisation sociale” impliquant les transports en commun, les véhicules officiels et particuliers, les supermarchés, les restaurants, les établissements de jeu, les écoles, les hôpitaux et les différentes Eglises. La photo de López sera même distribuée parmi les cartoneros [SDF qui vivent de la vente de vieux cartons et papiers journaux] et dans le Train blanc [train spécialement destiné aux cartoneros], parce que “les gens qui vivent dans la rue sont ceux qui peuvent le plus nous aider”, a ajouté le gouverneur. “Nous allons imprimer 500 000 tracts, et même les compagnies téléphoniques vont envoyer des messages sur les téléphones fixes, ainsi que des SMS et des MMS sur les portables”, a commenté une autre source officielle. “Nous n’avons pas affaire à une disparition comme les autres”, a rappelé Felipe Solá. Le gouvernement de Buenos Aires a admis que l’enquête s’orientait vers l’hypothèse la plus pessimiste, reprenant la théorie de certaines organisations des droits de l’homme selon lesquelles il s’agirait d’un enlèvement politique destiné à entraver les procès contre les anciens responsables de la répression. “La pire hypothèse, c’est de penser qu’il a été enlevé, a souligné le gouverneur. Si on ose enlever une personne trente ans après les faits parce qu’elle en a été le témoin, autant dire qu’on peut s’attendre à tout de la part de ces gens-là.” Le ministre des Droits de l’homme de la province, Edgardo Binstock, a précisé : “Parmi les pistes envisagées, nous n’excluons pas que López ait cherché à se préserver d’une manière ou d’une autre, qu’il ait eu un problème de santé ou encore qu’il ait subi des représailles pour ses déclarations.” Les enquêteurs analysent aussi les nombreuses menaces de différente nature reçues par les plaignants lors du procès Etchecolatz et par les membres du groupe Justicia Ya [Justice maintenant]. Adriana Meyer BRÉSIL Lula à l’épreuve du second tour Les électeurs retourneront aux urnes le 29 octobre. Ce n’était pas vraiment prévu, et la campagne va être chaude. La tenue d’un second tour pour l’élection présidentielle entre le petista Lula [de PT, Parti des travailleurs] et le tucano Alckmin [de toucan, l’emblème du Parti social-démocrate brésilien] représente un véritable revirement de situation et plonge le pays comme le gouvernement dans la paralysie. [Selon les dernières estimations avant que nous ne mettions sous presse, Luiz Inácio Lula da Silva a obtenu 48,6 % des suffrages, contre 41,63 % à Geraldo Alckmin.] C’est la guerre. Lula va devoir oublier qu’il est président pour se transformer en candidat à temps plein – y compris en participant aux débats [le président brésilien n’avait pas participé au dernier débat télévisé de la campagne présidentielle] et en provoquant une confrontation directe avec Alckmin. On s’attend à ce que Heloísa Helena [exclue du PT et qui a obtenu 6,85 % des suffrages] et son Parti pour le socialisme et la liberté (PSOL) restent neutres, mais que son électorat revienne vers Lula. Et que Cristovam Buarque [ancien ministre de l’Education de Lula et lui aussi dissident du PT] et son PDT [Parti démocrate travailliste], avec moins de 3 % des voix, se tourne vers Alckmin. La campagne pour le second tour débute avec un Lula abattu et un Alckmin affichant un sourire victorieux. C’est le résultat du renversement des tendances que l’on a pu observer dans les derniers sondages réalisés samedi 30 septembre, juste avant le scrutin. Dans la probabilité d’un second tour, simple hypothèse ce jour-là, 5 points seulement auraient séparé les deux candidats : 49 % pour Lula et 44 % pour Alckmin. Lula va donc devoir redoubler d’efforts, sans se contenter des 70 % des voix du Nordeste et du Nord [les régions les plus pauvres et où il est le plus populaire]. Il va devoir aller à la pêche aux voix chez les électeurs beau- COURRIER INTERNATIONAL N° 831 coup plus exigeants et critiques du Sud et de São Paulo, où il a perdu [José Serra, rival de Lula à l’élection de 2002, a été élu gouverneur de l’Etat de São Paulo avec près de 60 % des suffrages dès le premier tour]. Il devra également creuser l’écart avec Alckmin à Rio et dans le Minas Gerais, où il est arrivé en tête. Le premier tour nous a d’ailleurs réservé bien des surprises. L’une des plus remarquables a été la victoire spectaculaire du petista Jacques Wagner à Bahia, qui a infligé une cuisante défaite au groupe d’Antônio Carlos Magalhães, dit ACM Neto [PFL, Parti du front libéral], qui perd ainsi la présidence de l’Etat de Bahia avec un candidat sérieux, Paulo Souto, et le Sénat avec Rodolpho Tourinho. Les femmes nous ont réservé d’autres surprises. A Rio, Denise Frossard [PPS, Parti populaire socialiste] affrontera au second tour Sérgio Cabral [PMDB, Parti du mouvement démocratique brésilien], qui était considéré comme le grand favori pendant la 26 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 majeure partie de la campagne électorale. Dans le Rio Grande do Sul, Yeda Crusius [PSDB, Parti social-démocrate brésilien, le parti d’Alckmin], pronostiquée troisième, a devancé tous ses adversaires dans les urnes, une prouesse digne d’une femme de tête. De l’autre côté, Roseana Sarney (PFL) [fille de l’ancien président José Sarney], donnée gagnante dès le premier tour au poste de gouverneur de Maranhâo, devra en affronter un second. Les Sarney ont apparemment réussi à faire davantage voter pour Lula, qui a dépassé les 70 % de suffrages dans l’Etat, que pour Roseana. Avec le second tour de l’élection présidentielle, il faudra dresser à nouveau des podiums dans tous les Etats. Et nul doute qu’Alckmin, qu’on avait considéré comme “abandonné”, “isolé” ou encore “perdu d’avance” va faire campagne, lui aussi, du nord au sud du pays. Le second tour a débuté. Haut les cœurs ! Eliane Cantanhede, Folha de São Paulo, São Paulo 831 p26-27 amérique 2/10/06 19:48 Page 27 A M É R I QU E L AT I N E “Remesas” et délinquance EL NUEVO HERALD Miami Q uelque 12 millions de LatinoAméricains vivant aux EtatsUnis envoient vers leur pays d’origine environ 40 milliards de dollars [31,5 milliards d’euros] par an, selon les chiffres de la Banque interaméricaine de développement (BID). Sur cette somme globale, 20 milliards vont vers le Mexique, 10 milliards vers les pays d’Amérique centrale et la République dominicaine, et les 10 milliards restants sont répartis entre la Colombie, le Brésil, le Pérou, l’Equateur et d’autres pays. Jusqu’à présent, dans les milieux universitaires, on s’accordait à penser que ces remesas [transferts d’argent] n’avaient que des conséquences positives pour les pays d’Amérique latine. Ce sont en effet des sommes en espèces qui, contrairement à l’aide étrangère, ne peuvent pas être captées par des fonctionnaires et vont donc directement dans la poche des pauvres. La BID prévoit même de convertir ces remesas en sources de crédit bancaire pour des millions de Latino-Américains, ce qui pourrait faire augmenter considérablement le niveau de vie dans les zones les plus pauvres. Ce projet consiste à convaincre les banques de considérer les sommes envoyées comme une source de revenus stable pour qu’elles servent de caution bancaire. Cela permettrait aux LatinoAméricains qui reçoivent ces transferts de se voir accorder des crédits immobiliers ou des microcrédits. Toutefois, lors du sommet qui a réuni dernièrement à Miami les maires des grandes villes latino-américaines, Hugo Acero a souligné que ces transferts n’étaient pas seulement positifs. Le conseiller auprès des Nations unies et coordinateur des programmes Municipios Seguros [Municipalités sûres] a rappelé que l’émigration massive d’hommes venus de différents pays d’Amérique latine laisse des villages sans pères, si bien que les enfants sont élevés par des grands-parents permissifs. Et de nombreux jeunes grandissent dans la rue. Or, dans cette région du monde où le chômage des jeunes est très élevé, ils finissent souvent par travailler occasionnellement pour le narcotrafic ou d’autres formes de banditisme. A en croire d’autres spécialistes, le fait de recevoir des mandats (ou des colis) envoyés par un père absent qui vit aux Etats-Unis incite peu les jeunes à rechercher un travail honnête et régulier. Raúl Benitez, un professeur mexicain qui enseigne à l’American University de Washington, assure :“Dans certaines régions du Salvador, du Honduras et du Guatemala, on assiste à une déstructuration complète de la famille. Ce sont les mères ou les grands-parents qui s’occupent des enfants, et il y a une absence totale de référent masculin.” Andrés Oppenheimer COURRIER INTERNATIONAL N° 831 27 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 831p28à30 2/10/06 19:50 Page 28 asie ● VIETNAM La démocratie sera-t-elle au rendez-vous ? Un nouveau mouvement dissident lance un défi au gouvernement en proposant des réformes politiques. Le pouvoir communiste répond par le harcèlement policier. Sans que les Occidentaux émettent la moindre protestation. ASIA TIMES ONLINE harcèlement et des actes de violence. Ces dernières semaines, de nombreux militants du Bloc 8406 ont été interrogés.Vu Hoang Hai, un membre du groupe à Hô Chi Minh-Ville, a même été torturé. D’autres signataires se sont vu couper leur ligne ou confisquer leur téléphone portable. Bangkok et Hongkong i les aspirants démocrates vietnamiens finissent par l’emporter, la date du 8 avril 2006 aura marqué, pour eux, le début de la fin du pouvoir monolithique et autoritaire du Parti communiste [PC]. Ce jour-là, des centaines de Vietnamiens, mus par des idées démocratiques, ont eu le courage de publier un “Manifeste pour la liberté et la démocratie au Vietnam” et de le signer alors que le PC s’apprêtait à ouvrir son X e Congrès national à Hanoi [du 18 au 25 avril 2006]. Depuis, ce groupe s’est transformé en un mouvement prodémocratique d’un millier de personnes, que tout le monde appelle “Bloc 8406”, en référence au jour où le groupe a publiquement appelé à une transition qui favoriserait une démocratie participative. Les signataires du manifeste intensifient peu à peu leurs activités. Le 22 août, le Bloc 8406 a fait part de son plan en quatre étapes pour la démocratisation du Vietnam, selon lequel on procéderait à la restauration des libertés civiques, à la mise en place du pluralisme politique, à la rédaction d’une nouvelle Constitution et enfin à l’organisation d’élections démocratiques pour une nouvelle Assemblée nationale qui serait chargée de choisir un nouveau nom, un drapeau et un hymne pour le pays. Les élus des trois principales régions du pays, et notamment Tran Anh Kim, un ancien officier de l’Armée populaire du Vietnam [élu à Thai Binh], et Nguyen Van Ly, un éminent prêtre catholique [élu à Huê], ont fait circuler la pétition sur la place publique et l’ont eux-mêmes S GARDER LE MONOPOLE DU POUVOIR À TOUT PRIX signée. Selon le Bloc 8406, ses membres sont essentiellement de jeunes salariés diplômés, qui offrent un contraste frappant avec les cadres souvent coincés du PC. Le groupe attire de plus en plus l’attention, ce qui, manifestement, affole le gouvernement. Ce dernier a répondu à ce mouvement par le Le groupe a lancé sa campagne de désobéissance civile, alors que tous les projecteurs sont braqués sur le pays. Les responsables communistes ont en effet séduit la communauté internationale, en prouvant qu’ils étaient capables de mener des réformes économiques impressionnantes, pour rejoindre l’économie mondialisée. Pour y parvenir, ils doivent encore obtenir l’aval du Congrès américain, de rejoindre l’Organisation mondiale du commerce avant la fin de l’année. Le PC se prépare à faire un pas décisif en accueillant le sommet de Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) à Hanoi, en novembre, un événement auquel assisteront plusieurs dirigeants mondiaux, dont George W. Bush. De leur côté, les responsables du Bloc 8406 ont indiqué qu’ils voulaient intensifier leurs activités pendant ces rencontres de haut niveau, poussant les deux camps vers un conflit qui pourrait être dangereux. Le groupe échapperait peut-être au harcèlement pendant le sommet, mais il craint que ses membres n’affrontent la colère du gouvernement avant l’arrivée et après le départ des chefs d’Etat et des médias du monde entier. Contrairement à ce qu’avaient annoncé certains analystes, la répression contre ce mouvement embryonnaire s’accentue. C’est la Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis. preuve que les nouveaux responsables communistes, plus jeunes, n’ont pas l’intention d’entreprendre des changements politiques pour accompagner leurs réformes économiques et financières. Nguyen Tan Dung, le nouveau Premier ministre, et Nguyen Minh Triet, le chef de l’Etat, ont déjà prouvé, par leur sévérité à l’égard du Bloc 8406, qu’ils sont décidés à garder le monopole du pouvoir. De nombreux pays occidentaux et entreprises multinationales cherchent à entrer en contact avec les dirigeants communistes pour avoir accès aux diverses richesses de ce marché encore intact. Pourtant, la plupart des investisseurs approuvent les propos que le Bloc 8406 a récemment publiés sur son site Internet. Pour lui, “le refus du PC de libéraliser le système politique a engendré une corruption et un immobilisme généralisés”, et “un système politique pluraliste est une condition préalable pour assurer la paix et la prospérité à long terme”. L’histoire de l’Asie a été ponctuée de mouvements démocratiques qui n’ont grandi que pour finir écrasés par des régimes autoritaires pendant que l’Occident observait la scène sans réagir. De plus en plus d’indices laissent penser que le Vietnam approche de son heure de vérité en matière de démocratie. Malheureusement, de nombreux gouvernements occidentaux se tournent vers ce pays avec une conscience historique coupable. Ils semblent de moins en moins disposés à critiquer la situation déplorable des droits de l’homme, alors que le Parti communiste met en œuvre des réformes économiques radicales, dont il ne peut se priver s’il veut passer d’une économie planifiée à une économie de marché. Shawn W. Crispin THAÏLANDE Réformes au pas de charge pour le nouveau Premier ministre Nommé par la junte, Surayud Chulanont endosse de lourdes responsabilités. Et il dispose de peu de temps. e lourdes responsabilités pèsent sur les épaules du nouveau Premier ministre par intérim, Surayud Chulanont, nommé le 1er octobre par les putschistes. En tant que chef du gouvernement de transition, cet ancien commandant en chef de l’armée de terre et conseiller du roi est censé redonner au pays un fonctionnement démocratique dans les douze mois qui viennent, après le coup d’Etat déclenché par le Conseil pour la réforme démocratique (CDR), le 19 septembre dernier. Confronté à une tâche herculéenne, il aura besoin de toute l’aide possible pour atteindre les objectifs affichés. Il D compte en effet transformer le système politique du pays, profondément vicié, en une démocratie efficace, débarrassée de la corruption. En d’autres termes, il doit réussir en un an là où la Thaïlande, en tant que société, a échoué en soixante-quatorze années de monarchie constitutionnelle. Le fait que l’ancien général ait été considéré comme favorable à la démocratie du temps où il était officier peut s’avérer utile. C’est en tout cas un phénomène plutôt rare dans son milieu. Il est donc bien placé pour imposer ses vues à l’ancien CDR devenu Conseil pour la sécurité nationale (CNS), pour mobiliser la société afin qu’elle joue son rôle dans la réconciliation nationale et pour assurer la restauration de la démocratie. Contrairement aux gouvernements élus, qui jouissent d’or- COURRIER INTERNATIONAL N° 831 dinaire d’une période de lune de miel leur permettant de se mettre au travail avant d’être jugés sévèrement par l’opinion publique, Surayud est censé s’atteler à la tâche dès que son gouvernement sera nommé. Sa principale priorité sera de formuler une stratégie afin de parvenir au rétablissement de la paix dans le Sud. Il devra ensuite mettre en œuvre des réformes politiques exhaustives, traîner en justice les politiciens véreux et purger l’appareil d’Etat de la corruption. Sur le front économique, Surayud devra veiller à ce que les conditions soient favorables à une saine concurrence, dans l’espoir de retrouver la confiance des investisseurs. Dans le même temps, il devra s’efforcer de créer une atmosphère permettant à tous 28 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 de participer à l’élaboration d’une nouvelle Constitution démocratique, laquelle sera confiée à l’Assemble constituante qui devrait bientôt se réunir. Si l’on veut être certain que l’opinion publique prenne pleinement par t à ce processus essentiel, il faut rétablir les droits civiques sans entraves, tels qu’ils étaient stipulés par la Constitution de 1997, abrogée par les putschistes. Maintenant que Surayud a accepté le plus lourd fardeau qui puisse être confié à un citoyen thaïlandais, il ne saurait faire marche arrière. Dans son nouveau rôle de Premier ministre civil, non seulement il doit respecter des délais contraignants, mais il lui faut également répondre aux attentes de la population. The Nation (extraits), Bangkok 831p28à30 2/10/06 19:52 Page 29 asie INDE Malegaon, ses temples, ses mosquées Il suffit de pas grand-chose pour raviver la tension entre hindous et musulmans. C’est particulièrement vrai à Malegaon, ville récemment frappée par un attentat et encline aux violences intercommunautaires. Reportage. fera 1,50 mètre de plus que la mosquée. Les deux bâtiments ont obtenu l’autorisation de la municipalité pour procéder aux travaux. Mais au fond, à Malegaon, ce n’est pas ça qui compte. Ce qui compte, c’est que le fossé qui sépare les communautés religieuses de la ville s’est élargi au fil des années. La tension couve partout, entre les minarets et les temples, derrière le voile des femmes et dans les arrière-salles des cafés. THE INDIAN EXPRESS New Delhi alegaon affiche la couleur sur ses panneaux indicateurs. Le nom de chaque rue et de chaque pâté de maisons reflète la transformation de cette ville textile du nord du Maharashtra en une cité divisée, encline aux émeutes et maintenant cible du terrorisme [depuis une triple attaque à la bombe contre une mosquée, le 8 septembre dernier]. Pour comprendre la nature de cette agglomération de plus de 700 000 habitants, dont 75 % de musulmans, il suffit de se promener dans les quartiers dénommés Tension Chowk [Carrefour de la tension], Achanak Nagar [Soudain-Ville], Rishwat Nagar [Corruption-Ville], Raunakabad [Splendeur-Ville],Tashkent Nagar [Tachkentville, d’après la capitale de l’Ouzbékistan], Bajrangwadi [quartier du Bajrang Dal, milice nationaliste hindoue] ou encore Ayodhya Nagar [Ayodhya-Ville, haut lieu de la tension entre hindous et musulmans], et rue Islamabad, comme la capitale pakistanaise. Chacun de ces noms évoque un événement qui a fortement changé le caractère des différents quartiers. Tenez-vous sous le panneau qui signale le carrefour de Tension Chowk, et les gens vous diront que cet endroit est le foyer d’un million de rumeurs et la première zone de la ville à se tendre au premier signe d’événement fâcheux. A Achanak Nagar, les hindous racontent comment ils ont quitté la zone de Ramzanpura [Ramadan-Ville] après les émeutes de 2001, qui ont fait 13 morts. Allez à Ayodhya Nagar, l’un des plus récents quartiers hindous. L’extérieur des maisons attend encore une couche de peinture et ses habitants, qui ne sont toujours pas raccordés à l’électricité ni à l’eau courante, évoquent avec nostalgie la “belle vie” qu’ils menaient à Vijay Nagar, aujourd’hui un ghetto musulman. M LE CINÉMA, SEUL MOYEN D’OUBLIER LES SOUCIS Dans le même temps, les musulmans qui ont traversé la rivière pour s’installer dans un ancien quartier hindou ont choisi de ne pas en modifier le nom. Pourtant, celui-ci a bel et bien changé. De même Islamabad, une petite enclave excentrée jadis discrète, est devenu une zone animée abritant des milliers d’ouvriers musulmans venus en ville à la recherche d’un emploi. La plupart travaillent dans les usines textiles pour 1 200 roupies [environ 20 euros] par mois. Ils triment près de douze heures par jour, sept jours par semaine, et vivent dans des pièces surpeuplées, quand ils ne passent pas la nuit dans la rue. Comme ils ont à peine assez de place merce ne s’arrêtent jamais. Le fossé confessionnel disparaît aussi sur le pont qui relie les deux parties de la ville. Les habitants des deux rives le traversent paisiblement pour aller au travail, à l’hôpital, à l’école et pour rencontrer leurs associés. Quand le pont est désert, c’est que les choses vont vraiment mal à Malegaon. CONTEXTE AP-Sipa EN TEMPS DE CRISE, LE BUSINESS CONTINUE pour loger leur famille, les hommes préfèrent en effet souvent aller à Chou-Chou Street et discuter jusqu’à l’aube. D’autres choisissent de s’enfoncer dans leur fauteuil et regardent le dernier film à succès. Car tout Malegaon adore le cinéma. Chacun des films qui passent dans les quatorze cinémas de la ville affiche complet pendant des mois. “Il est difficile d’imaginer la vie que mènent les gens d’ici. Le grand écran leur permet de s’évader. On ne fait pas des films pour l’argent, mais juste pour que les gens oublient leurs soucis pendant un moment”, explique le réalisateur Akram Khan. Mohammad Sharif travaille lui aussi à combler le fossé confessionnel. A 55 ans, il passe ses nuits à transmettre aux deux communautés les enseignements du Coran et de la Bhagavad-Gîta [chapitre le plus célèbre de l’épopée du Mahabharata]. Propriétaire d’un atelier de réparation de cuisinières et d’autocuiseurs, il prêche dans les rues de Malegaon depuis vingt-cinq ans. “Tout ce que je veux, c’est montrer aux gens que le Coran et la Gîta prônent la même chose. Leurs enseignements ne sont pas contradictoires, et les habitants n’ont aucune raison de se battre.” Pendant que des gens comme Sharif font des heures supplémentaires pour maintenir une paix fragile, les îlotiers franchissent tous les jours la ligne de démarcation entre les communautés. Les mains-courantes des postes de police sont d’ailleurs remplies d’affaires dites “H-M” – c’est-à-dire entre hindous et musulmans. La rénovation d’un temple dédié à Ganesh situé en face de la mosquée Jama illustre également la tension permanente qui règne entre les deux groupes. Ces deux petits édifices avaient coexisté sans problème jusqu’au début des années 1990. Puis on décida de surélever la mosquée, qui fait maintenant 30 mètres de haut. Les administrateurs des lieux de culte hindous décrétèrent promptement que le temple ne devait pas être en reste. Jadis exemple d’harmonie, les deux endroits cherchent désormais à se dépasser mutuellement. Le temple Un sikh et un mulsulman protestent côte à côte après l’attentat visant la mosquée de Malegaon. COURRIER INTERNATIONAL N° 831 29 Le seul endroit où les différents et les appréhensions disparaissent, c’est à Tamba Kata, le centre économique de l’industrie textile locale. Acheteurs, tisserands et vendeurs s’y retrouvent et parlent affaires autour d’une tasse de thé. La production repose sur la coordination entre les tisserands musulmans et leurs fournisseurs et acheteurs hindous. Même au plus fort des pires émeutes qu’a connues cette importante bourgade du Maharashtra [notamment en 1991 et en 2001], on a fait en sorte que les usines continuent à tourner. En cas de violences, la coopération ralentit, mais la production et le com- DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 Tension constante ■ L’Inde compte environ 150 millions de musulmans. Dans les années 1990, la destruction de la mosquée Babri, à Ayodhya, et la montée du nationalisme hindou ont largement attisé la tension entre les communautés. En 2002, un pogrom antimusulmans perpétré par des fanatiques hindous a fait plusieurs milliers de victimes au Gujarat. Depuis, les musulmans, montrés du doigt à chaque attaque terroriste et généralement plus pauvres que leurs concitoyens, se sentent persécutés, tandis que certains hindous voient dans l’islam une menace. 831p28à30 2/10/06 19:53 Page 30 asie LE MOT DE LA SEMAINE “JICHI” L’AUTONOMIE JAPON Donner un élan à la démocratie participative Introduit il y a dix ans, le référendum d’initiative populaire a contribué à dynamiser la vie politique locale. Aujourd’hui, il est temps de lui redonner un second souffle. ASAHI SHIMBUN Tokyo ix ans se sont écoulés depuis l’organisation, par arrêté municipal, du premier référendum d’initiative populaire au Japon. Cette consultation s’était tenue à Maki, dans la préfecture de Niigata [au nord de Tokyo] et concernait la construction d’une centrale nucléaire dans la commune. Elle avait été très médiatisée, car c’était la première fois que les habitants étaient invités à prendre une décision concernant leur collectivité. Selon un mouvement associatif baptisé Forum sur la législation en matière de référendum, quelque 370 consultations de ce type ont eu lieu depuis 1996. Le Japon est même l’un des pays au monde où l’on en organise le plus grand nombre chaque année.Toutefois, plus de 90 % des cas concernent des fusions de communes. Il ne s’en tient pratiquement jamais pour d’autres projets, comme la construction d’un aéroport ou le projet d’une grande manifestation culturelle [souvent coûteuse]. Leur nombre a même chuté quand le débat sur les fusions de communes s’est essoufflé. D uiconque a eu l’occasion de voyager hors des centres urbains de l’archipel en conviendra : la province japonaise est magnifique, même si, par ailleurs, beaucoup de localités ont souffer t de l’industrialisation des années 1960 et 1970, synonyme de défiguration du paysage, d’alignement des comportements sur les normes de la capitale, de dépeuplement et de vieillissement de la population pour les régions les plus reculées. Une étude parue dans le mensuel Chuô Kôron daté du mois de juin appor te, sur ce point, un éclairage intéressant ; elle montre que la vitalité des collectivités locales – mesurée en termes de capacité à maintenir un solde positif dans la balance des entrants et des par tants – ne se trouve aujourd’hui corrélée ni au nombre d’habitants, ni à l’existence de desser tes routières, ferroviaires ou aériennes, ni même à la présence d’une infrastructure industrielle. Une ville isolée comme Matsuyama, sur l’île de Shikoku, à trois heures en voiture de la grande métropole qu’est Hiroshima, se porte beaucoup mieux, en raison même de son isolement, que celle de Tokushima, toujours sur la même île, qu’un pont relie directement à Osaka : les gens, en effet, vivent, produisent et consomment sur place. Les localités qui ont misé naguère sur un tourisme de masse standardisé – telles Atami, Kinugawa, Hakone, Nikkô… – vont mal, tandis que celles qui, envers et contre tout, ont su préserver leur mode de vie et leur environnement assurent aujourd’hui leur autonomie – s’agirait-il d’une commune de trois cents âmes, à l’image d’Awashima, îlot de la mer du Japon, au large de Niigata, qui vit de ses oursins et de ses quelques auberges pour pêcheurs. De sorte que l’autonomie locale, désormais, suppose une indépendance culturelle, pour la plus grande joie des visiteurs que nous sommes. Q Kazuhiko Yatabe Calligraphie de Kyoko Mori LES ÉCOLIERS ET LES ÉTRANGERS INVITÉS À VOTER Pour qu’un référendum puisse avoir lieu, le conseil municipal ou général doit voter un arrêté en ce sens. Le parcours est ensuite semé d’embûches. L’arrêté de la préfecture de Shiga [à l’est de Kyoto] sur la construction d’une nouvelle gare de trains à grande vitesse Shinkansen en est un bon exemple. A l’époque, un groupe de citoyens avait recueilli plus de 70 000 signatures et adressé une pétition au gouverneur pour demander un référendum. Celui-ci avait soumis leur requête à l’assemblée, tout en la qualifiant de “négation de la démocratie parlementaire”, et l’assemblée l’avait rejetée à une grande majorité [lors de la dernière élection, le gouverneur sortant a été battu par une candidate qui s’est opposée à la construction]. Dessin de No-río, Aomori. ■ Découpage Après avoir réduit le nombre de communes de 3 200 à 1 800 au printemps 2006, le Japon connaîtra peut-être un autre bouleversement administratif dans les prochaines années. Le gouvernement étudie en effet un nouveau découpage du pays en une dizaine d’entités administratives, au lieu de 47 préfectures actuellement. Si ce projet se concrétise, une entité comme Kyushu regrouperait alors les 7 préfectures actuelles de l’île et deviendrait une puissance économique équivalente à un pays comme la Belgique. Les dirigeants de l’exécutif et les membres des assemblées sont élus pour représenter le peuple. Mais les élections ne reposent généralement pas sur une seule question. Il arrive assez fréquemment que les habitants ne partagent pas la même opinion que leurs dirigeants ou leurs élus sur les problèmes locaux. S’il est essentiel d’épuiser le débat à l’assemblée, les référendums constituent un bon moyen de connaître l’opinion de la population et d’introduire davantage de souplesse dans l’élaboration des projets. La loi spéciale sur la fusion des communes spécifie à ce sujet que, lorsqu’une assemblée locale rejette une proposition de fusion, la décision peut être soumise à un référendum si une pétition allant dans ce sens recueille les signatures de plus d’un sixième des électeurs locaux. Le gouvernement avait prévu cette clause pour éviter qu’une poignée d’élus ou de dirigeants locaux réticents aux fusions ne s’y opposent. Par ailleurs, pour ne pas avoir à voter un arrêté municipal, plus de 30 collectivités locales ont mis en place un dispositif légal permanent leur permettant d’organiser un référendum sur n’importe quelle question pourvu qu’un certain nombre de RÉGIONS Plusieurs communes en état de faillite ■ Autrefois ville minière prospère et désormais menacée de faillite, Yubari, sur l’île d’Hokkaido, a demandé au gouvernement d’être placée sous tutelle de l’Etat afin de redresser sa situation financière. La municipalité ne compte plus que 13 000 habitants, contre dix fois plus au début des années 1960, et un quart de sa population est âgée de plus de 65 ans. Après les fermetures successives des mines de charbon, au cours des années 1960 et 1970, la ville a beaucoup investi dans le tourisme, un choix qui s’est soldé par un endettement cumulé de 60 milliards de yens COURRIER INTERNATIONAL N° 831 (400 millions d’euros). Elle est en outre accusée d’avoir dissimilé ses déficits en manipulant ses comptes. La nouvelle, largement reprise par la presse à la fin du mois de juin 2006, a mis en lumière les difficultés économiques dont souffrent beaucoup de collectivités locales au Japon, victimes entre autres de la diminution des aides de l’Etat et des travaux publics en raison de la récession des années 1990. Selon le quotidien Nihon Keizai Shimbun, huit autres communes d’Hokkaido ont également caché leur situation financière catastrophique. 30 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 signatures ait été recueilli. Deux formations de l’opposition, le Parti démocrate et le Parti communiste, ont présenté des projets de loi similaires. Ne devrions-nous pas considérer ce genre de dispositif comme un moyen de garantir les droits des citoyens ? Toutefois, les référendums ne constituent pas des remèdes à tout. Les dirigeants doivent simplement tenir compte de leurs résultats. Le référendum d’Okinawa sur la réduction du nombre de bases militaires américaines et celui d’Iwakuni [à l’ouest de Hiroshima] sur le transfert d’une base aérienne américaine ont montré clairement la volonté des habitants. Mais cela ne va pas forcément se traduire par un changement rapide de politique à l’échelon national. A Maki, où la population s’est opposée dans un référendum à la constr uction d’une centrale nucléaire , il a fallu sept ans pour que le maître d’ouvrage,Tohoku Electric Power, renonce à son projet. Il n’en reste pas moins important de donner aux habitants la possibilité d’exprimer leur opinion sur des questions spécifiques. Quelques collectivités locales sont allées jusqu’à autoriser les élèves des écoles primaires à participer au vote sur des fusions de communes, en considérant que leur génération serait plus tard concernée par le résultat. De nombreux ressortissants étrangers ont eux aussi pris part à ce genre de scrutin. On a également vu des dirigeants ou des élus locaux proposer des référendums sans qu’une pétition leur ait été soumise. Ils ont organisé des débats et distribué des tracts pour inciter la population à s’intéresser à des questions particulières. Il serait regrettable de négliger cette volonté de s’engager dans la vie politique locale comme s’il s’agissait d’un simple effet de mode. Nous nous devons d’encourager la démocratie participative en multipliant les référendums d’initiative populaire. ■ 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 831 p32-33 mo 2/10/06 19:44 Page 32 m oye n - o r i e n t ● ISRAËL Parler à Damas et non au Hamas Israël doit négocier un accord de paix avec la Syrie. Ce serait plus profitable, affirme le quotidien conservateur Yediot Aharonot, que de mener des pourparlers stériles avec les Palestiniens. YEDIOT AHARONOT Tel-Aviv epuis 1967, Israël contrôle le plateau du Golan, un territoire occupé syrien. La souveraineté syrienne n’a jamais été abrogée par les initiatives législatives unilatérales israéliennes. C’est là la différence essentielle entre la Judée-Samarie [Cisjordanie] et le Golan. En 1988, la Jordanie a volontairement renoncé à sa souveraineté en Judée et en Samarie. Cette région est désormais un territoire en partie destiné à un futur Etat palestinien et, actuellement, elle est placée sous la souveraineté conjointe d’Israël et de l’Autorité palestinienne. Il en est tout autrement du plateau du Golan, aucun Etat n’ayant jamais reconnu les revendications israéliennes. Quand les circonstances le permettront, Israël devra se retirer du Golan comme naguère d’autres territoires occupés. De l’avis des responsables militaires israéliens, Israël a commis sa plus grave erreur politique de cette dernière décennie en ne parvenant pas à un accord de paix avec la Syrie. Les principes d’un tel accord sont établis depuis longtemps et les seuls différends portent sur une étroite bande de terre située au nord-est du lac de Tibériade. L’ennui, c’est qu’aucun gouvernement israélien n’a eu le courage de se présenter devant le peuple et de lui tenir le discours suivant : en échange d’une paix et d’une normalisation complètes, D Le président syrien Bachar El-Assad. Dessin paru dans The Economist, Londres. ■ Rencontres De hauts officiers syriens ont-ils rencontré des responsables israéliens lors de la guerre au Liban pour empêcher que les combats ne s’étendent au territoire syrien, comme l’affirme Yediot Aharonot ? Le Premier ministre israélien a-t-il rencontré le roi saoudien Abdallah, comme l’indique la presse du Qatar ? Les intéressés ont préféré ne pas réagir. En revanche, Ehoud Olmert a dit aux journalistes : “Je vais faire un démenti [sur ma rencontre avec le roi Abdallah], mais vous n’êtes pas obligés de le croire.” IRAN PALESTINE Visite aux juifs de Téhéran Ça boume à Gaza ! La tolérance religieuse existerait en Iran et les juifs qui y résident mènent une vie normale. C’est un quotidien israélien de droite qui l’affirme. a grande synagogue de Yossefabad est située dans un quartier de Téhéran peuplé de nombreux juifs. Cette veille de sabbat, l’édifice est plein à craquer et, sur sa porte principale, on peut lire des annonces pour des cours d’hébreu organisés par l’Association juive. Un policier iranien garde l’édifice. N’étaient les inscriptions en persan, les livres de prière en hébreu et en persan, et la coiffe des femmes, on se croirait dans une synagogue orthodoxe américaine. Hormis Israël, l’Iran est le pays du MoyenOrient qui abrite la plus grosse communauté juive. Téhéran compte quelque 10 000 juifs [il y en aurait 20 000 en tout en Iran], ses écoles juives accueillent 2 000 étudiants tandis que l’Association juive gère des maisons de repos et possède plusieurs immeubles. Pourquoi trouve-t-on encore des juifs à Téhé- L de partir en guerre pour récupérer le Golan. Une telle guerre provoquera d’innombrables victimes et exposera les arrières israéliens à des tirs de missiles. Il ne fait pas de doute que Tsahal l’emportera sur l’armée syrienne. Mais il ne fait non plus aucun doute qu’Israël finira par être obligé de se retirer du Golan sous la pression internationale et à un prix politique très élevé. Les responsables militaires israéliens sont unanimes pour considérer la nécessité de parvenir rapidement à un accord de paix complet avec la Syrie. Les bénéfices stratégiques d’un tel accord sont évidents : la neutralisation de l’entente cordiale entre la Syrie et nous descendrons du Golan. Pis, la couverture des médias israéliens préfère chaque fois insister sur la froideur des Syriens et leur refus de s’exhiber devant les caméras bras dessus, bras dessous avec leurs interlocuteurs israéliens. La défiance envers toute paix avec Damas se heurte aujourd’hui à un nouveau test crucial. Le président Bachar El-Assad a tiré les leçons de la défaite du Hezbollah [le Hezbollah clame victoire] lors de la guerre du Liban et manifesté son souhait de négocier un retrait israélien en échange de la paix. En même temps, il prévient qu’en l’absence de pourparlers il n’aura d’autre choix que l’Iran ; la liquidation des antennes du Hamas et du Djihad islamique à Damas ; l’arrêt de l’approvisionnement en armes du Hezbollah par la Syrie ; et, surtout, l’inscription d’un nouvel Etat arabe (qui plus est, chef de file du front du refus) sur la liste des pays musulmans ayant reconnu l’Etat d’Israël et noué avec lui des relations diplomatiques et commerciales. Cela constituerait un tournant dans l’histoire du sionisme. Il faut que le gouvernement israélien actuel soit complètement déboussolé pour s’égarer dans des pourparlers inutiles avec le Hamas alors que cette organisation ne remplit aucune des conditions posées par la communauté internationale. Le gouvernement Olmert n’a également rien à espérer d’officiers saoudiens que les Israéliens n’ont cessé de rencontrer ces dix dernières années sans résultats politiques concrets. L’option syrienne est en revanche bien plus réaliste et pratique. Elle est même préférable à tout retrait unilatéral dont l’issue n’est qu’une catastrophe, comme on l’a vu cet été. Avant de rejeter d’un air dégoûté les offres de paix de la Syrie, d’ordonner à ses ministres de ne pas s’exprimer sur cette question et d’avoir la bêtise de déclarer que le Golan est “une partie indivisible d’Israël”, le Premier ministre Olmert ferait mieux de prendre en compte un fait têtu : nous ne faisons pas des enfants pour les sacrifier dans des guerres inutiles. Sever Plocker ran ? Les réponses diffèrent selon les générations. Pour cer taines personnes âgées, l’Iran est tout simplement leur patrie. Lorsqu’on demande à mon hôte, Fayzlallah Saketkhou, vice-président de l’Association juive de Téhéran, s’il y a un avenir pour la communauté, il répond : “Vous avez vu combien d’enfants étaient à la synagogue ce soir ?” Il a raison, il était difficile de se concentrer dans un édifice rempli de 300 fidèles et d’enfants courant dans tous les sens. Mais il y a une différence entre les enfants et les jeunes adultes. Peyman, le fils de Saketkhou, âgé de 27 ans, ne craint pas d’affirmer qu’en Iran “tout le monde a des problèmes”, une façon de dire que juifs comme non-juifs veulent partir. La situation politique n’est pas seule en cause. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Ahmadinejad, la situation économique a empiré et la pauvreté s’est aggravée. Il n’en reste pas moins que, sur la question des rapports entre juifs et non-juifs, les Iraniens, toutes générations confondues, s’ac- COURRIER INTERNATIONAL N° 831 crochent à l’idée de l’unité nationale. La culture iranienne est vieille de deux mille cinq cents ans et remonte à Cyrus et à Darius, fondateurs de la dynastie achéménide évoquée dans la Bible. Quelle que soit leur confession, les citoyens iraniens sont fiers de leur histoire et les parents sont nombreux à donner des prénoms préislamiques à leurs enfants. Un indice particulièrement fort de cette acceptation de la diversité religieuse est cette immense peinture qui orne la façade d’un immeuble du nord de Téhéran. Comme d’autres por traits, les soldats tombés lors de la guerre Iran-Irak de 1980-1988 sont célébrés, sauf qu’ici il s’agit de soldats issus des minorités. Aux côtés de soldats d’origine assyrienne, arménienne, chrétienne et zoroastrienne, on trouve un juif iranien dont le nom est or thographié en persan et en hébreu. Bref, en Iran, dire qu’on est d’origine juive suscite des réactions très tolérantes. Parler d’Israël, c’est une autre histoire… Seth Vikas, Jerusalem Post (extraits), Israël 32 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 es centaines de policiers ont défilé dans les rues de Gaza, brûlant des pneus, pour réclamer au gouvernement du Hamas leurs salaires, impayés depuis des mois, nous apprend Al-Hayat. Leur manifestation a pris un tour musical. Détournant une chanson destinée à l’Intifada, les policiers ont entonné : “Où est le salaire ? Y a pas, y a pas… Des factures à régler, des loyers à payer, c’est la misère… Où est le salaire ?” Devant le succès musical des policiers (proches du Fatah), les militants du Hamas n’ont pas tardé à réagir, mais toujours en chanson. Ils ont repris la même musique en modifiant les paroles. “Où est la dignité ? Y a pas, y a pas. Où est l’honneur, y a pas, y a pas. Va saluer ton maître Bush pour qu’il te donne des sous. Et les Juifs, tu dois les satisfaire. Tu ne penses qu’à ta parabole, à ton steak et à tes sardines.” D (Voir aussi page 6.) 831 p32-33 mo 2/10/06 19:45 Page 33 m oye n - o r i e n t IRAK Vivre et laisser vivre Les carnages actuels ne sont pas spécifiques aux conflits confessionnels ou ethniques, affirme un intellectuel koweïtien. Ils découlent surtout d’une culture politique fortement enracinée dans le pays. AN-NAHAR Beyrouth e qui se passe en Irak ne peut être qualifié autrement que de boucherie. Et pourtant, cela se passe dans l’indifférence – regrettable et étonnante – du monde entier, y compris des Arabes.Tous les jours, on apprend la mort de plus d’une centaine de personnes, toutes confessions et ethnies confondues [presque 7 000 civils en deux mois]. Si les choses continuent à ce rythme-là, pas besoin de calculette pour trouver le jour où l’élite irakienne sera réduite à quelques rares survivants. Cela a l’air d’une guerre confessionnelle, et tout le monde la désigne ainsi, comme s’il s’agissait d’une affaire entendue sur laquelle il n’y aurait plus lieu de s’interroger. Sauf qu’il y a une réalité plus profonde. Car les massacres se déroulent aussi bien entre sunnites et chiites qu’entre différentes tendances politiques à l’intérieur de chaque communauté, puisque ni les uns ni les autres ne sont d’accord aujourd’hui sur les objectifs. Il ne s’agit donc pas d’un conflit confessionnel, même si certains voudraient le faire croire afin de mobiliser les soutiens dans leurs communautés respectives. L’origine de cette violence réside dans la lutte pour le pouvoir et les ressources économiques du pays. Ayant longtemps été soumis à une dictature sans pitié, la plupart des Irakiens ont perdu le sens critique et leur capacité d’être tolérants entre eux.Vivre et laisser vivre n’est pas la maxime des Irakiens d’aujourd’hui. Leur vocabulaire est marqué par la longue liste des actes de violence et de contre-violence qu’ils ont subies tout au long de leur histoire. Récemment, je suis tombé sur les C Irak, le pays des deux rives. Dessin de Habib Haddad paru dans Al-Hayat, Londres. ■ Le casse-tête Depuis mars 2003 et la chute du régime de Saddam Hussein, entre 48 000 et 52 000 civils ont été tués en Irak, avec des chiffres records enregistrés en juillet et août 2006, révèle The Guardian. Cela a certes poussé le président irakien Jalal Talabani à réclamer officiellement à l’administration Bush le maintien des troupes américaines pour encore une dizaine d’années. Une demande qui a été fraîchement accueillie aussi bien aux Etats-Unis qu’en Irak, où, selon The Washington Post, 71 % des Irakiens souhaitent le départ des troupes étrangères de leur sol. mémoires de Mohamed Hadid, sunnite de Mossoul engagé en politique – il était ministre sous Abdelkarim AlQassem – jusqu’au coup d’Etat baasiste de 1963. Selon lui, “l’élimination physique des opposants politiques est quasiment constitutive de l’identité irakienne”. Parmi les ministres, gouverneurs et autres hauts responsables qu’il cite, on n’en trouve guère qui n’ait fini assassiné. Le plus chanceux s’en tirait par de longues années au cachot. Dès avant même l’établissement de l’Etat irakien, le meurtre fait donc partie des moyens de la politique. La conquête ottomane de l’Egypte et de la Syrie s’était faite en une seule bataille, alors que celle de l’Irak en avait nécessité trois sur trente ans avant qu’il ne s’incline devant la Sublime Porte. Les régimes irakiens successifs avaient terrorisé la population par des massacres organisés avec le plus grand soin. Saddam Hussein se plaisait à affirmer que le peuple irakien ne pouvait être gouverné que par la force. Il avait également pour habitude de demander à son ministre de l’Information de raconter à ses invités comment il avait puni son cousin pour avoir déserté l’armée. Il l’avait fait enchaîner et l’avait plongé dans le Tigre. A l’écoute de cette histoire, Saddam Hussein se rengorgeait et, quand son ministre évoquait les cris de détresse de son cousin, il s’esclaffait. ENCORE TRÈS LOIN DE LA CULTURE DU COMPROMIS L’histoire se répète avec les milices qui existent aujourd’hui en Irak. C’est comme si elles reproduisaient les agissements de la garde nationale du début du règne baasiste. Il s’agit d’une longue suite de violences et de vengeances pour arriver au pouvoir et contrôler les richesses. La responsabilité des dirigeants irakiens d’aujourd’hui est donc de choisir entre la poursuite des massacres ou le choix de méthodes politiques pacifiques. Car il est évident que la violence actuelle est le fait aussi bien de ceux qui sont au pouvoir que de ceux qui sont dans l’opposition. Il ne semble pas que ces massacres puissent avoir un terme. De la même manière, la forte présence de troupes américaines ne pourra empêcher l’échec du projet d’un Etat démocratique. La démocratie repose en premier lieu sur une culture politique du compromis, dont les Irakiens sont encore loin. Même l’ancienne opposition contre Saddam Hussein n’est pas fondamentalement démocratique, puisque ses différentes branches n’ont pas réussi jusqu’à présent à se mettre d’accord sur un projet d’avenir pour le pays. Si donc les massacres se poursuivent, ce qui est probable, l’Irak n’échappera pas à une triste alternative. Il aura le choix entre une dictature qui, sous un vernis démocratique à destination de l’opinion internationale, gouvernerait par le fusil et l’arbitraire, et un régime théocratique qui ressemblerait un peu au régime iranien, en moins religieux dans la forme et en plus répressif dans le fond. En attendant, les cadavres irakiens – chiites, sunnites et kurdes – s’amoncellent jour après jour. Confessions et ethnies, la mort s’en moque bien. Mohamed Al-Rumaihi BFM et Courrier international présentent l’émission ”GOOD MORNING WEEKEND” animée par Fabrice Lundy, rédacteur en chef de BFM, et les journalistes de la rédaction de Courrier international. Tous les samedis de 9 heures à 10 heures et les dimanches de 8 heures à 9 heures Fréquence parisienne : 96.4 IRAK On meurt aussi à Mossoul Arabes et Kurdes se battent pour le contrôle de la ville de Mossoul. Même si la violence n’y a pas atteint le niveau enregistré à Bagdad, la situation peut dégénérer, affirme The Independent. ans le nord de l’Irak, les gens votent avec les pieds. Rien que dans la région de Mossoul, quelque 70 000 Kurdes ont pris la fuite depuis le début de l’année. La plupart se sont sauvés après avoir reçu une enveloppe contenant une balle et un mot leur disant de disparaître dans les trois jours. D’autres se sont exilés parce qu’ils craignaient qu’une guerre pour le contrôle de la région n’éclate prochainement entre les Arabes et les Kurdes. “La seule solution est une division de la province”, estime Khasro Goran, le puissant vice-gouverneur kurde de Mossoul. Selon lui, tous les Kurdes de la pro- D vince veulent rejoindre la région autonome du Kurdistan irakien, qui, aux termes de la Constitution fédérale, est un Etat quasi indépendant. La violence à Mossoul, une ville de 1,75 million d’habitants, n’atteint pas les mêmes proportions qu’à Bagdad, assure M. Goran, mais il ajoute qu’on déplore néanmoins 40 à 50 morts par semaine dans la ville. La situation dans la plus grande ville irakienne à majorité sunnite est un bon indicateur de la survie de l’Irak en tant que pays. La proportion d’Arabes et de Kurdes dans la province comme dans la ville est très controversée. Les Arabes représenteraient environ 55 % des 2,7 millions d’habitants que compte la province. Les Kurdes, eux, estiment compter pour un tiers de la population, un pourcentage contesté par les Arabes. Quand un député arabe a récemment proclamé au Parlement de Bagdad que les Kurdes ne repré- COURRIER INTERNATIONAL N° 831 sentaient que 4 % de la population de la ville, tous les élus kurdes ont quitté la salle en signe de protestation. A l’heure actuelle, personne ne contrôle complètement Mossoul, l’une des plus anciennes cités de la planète. La 2e division de l’armée irakienne, basée dans la ville, et la 3e, à la périphérie, sont chacune composées de 15 000 combattants, dont la moitié au moins sont kurdes, et commandées en par tie par des Kurdes. Mais les Américains, craignant les réactions des Arabes sunnites, ont interdit à l’armée de patrouiller trop activement. Si les Kurdes contrôlent l’armée, les Arabes contrôlent la police. Celle-ci, forte de 16 000 hommes dans la province et de 6 000 dans la ville, est considérée par les Kurdes avec la plus grande méfiance. Ils accusent depuis longtemps les chefs de la police d’être secrètement favorables au parti 33 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 Baas et de soutenir les insurgés. Quand les marines américains ont pris d’assaut la ville [arabe sunnite] de Falloudjah, en 2004, la plupar t des responsables des forces de l’ordre de Mossoul ont démissionné et les insurgés se sont emparés de 30 postes de police et de 40 millions de dollars d’armes. Les Etats-Unis ont été contraints de faire appel à des peshmergas [combattants] kurdes pour reprendre la ville. On n’est peut-être pas loin d’une déflagration finale. Aux termes de l’article 140 de la Constitution irakienne, un référendum doit avoir lieu d’ici à la fin de 2007 pour décider quelles régions vont rejoindre la région autonome du Kurdistan irakien. “A mesure que la date butoir approchera, la situation empirera”, prédit M. Goran. Patrick Cockburn, The Independent (extraits), Londres 831 p34-35 afrique 2/10/06 17:11 Page 34 afrique ● SOMALIE Les islamistes réinventent les camps de rééducation Trois mille miliciens qui avaient combattu pour les chefs de guerre ont été placés dans des camps de réinsertion par le nouveau régime. Au programme : des cours intensifs de religion et des exercices de combat. Reportage. LOS ANGELES TIMES Los Angeles Dessin de Martin Tognola paru dans El Periodico de Catalunya, Barcelone. epuis son adolescence, Abduallahi Mohammed Nur s’était rarement aventuré dans les rues de Mogadiscio sans son kalachnikov, qu’il utilisait pour menacer les civils et extorquer de l’argent aux postes de contrôle. Mais cet homme de 27 ans n’a plus brandi son arme depuis juin, quand il l’a pointée sur des combattants de l’Union des tribunaux islamiques. Cette milice, aujourd’hui connue sous le nom de Conseil conservateur des tribunaux islamiques, a chassé le seigneur de la guerre pour lequel il travaillait et confisqué son fusil. Nur se présente désormais comme un homme “converti”. Sous l’œil attentif des chefs islamistes, il fait la prière cinq fois par jour, étudie le Coran et apprend à défendre la Somalie contre les menaces étrangères. “Ils m’apprennent surtout à bien me conduire avec les autres”, dit-il. Nur fait partie des 3 000 anciens miliciens de chefs de guerre envoyés dans des camps de rééducation islamistes. Cet ambitieux programme de réinsertion sociale vise à détourner les jeunes combattants de la drogue, à leur inculquer des valeurs religieuses et, à terme, à les faire changer de camp pour qu’ils intègrent les forces fondamentalistes musulmanes.“C’est une tâche difficile”, confie Mohammed Ibrahim Bilal, président de l’un des tribunaux islamiques de Mogadiscio. “Nous voulons les accueillir parmi nous. Mais ils ont vécu dans la violence pendant seize ans.” A Washington, on craint que la montée en puissance des forces islamistes en Somalie ne débouche sur un régime de type taliban et que le pays ne devienne une base d’entraînement de terroristes. Face aux rumeurs selon lesquelles les islamistes feraient appel à des conseillers militaires pakistanais et afghans pour former les soldats, les D islamiste Les islamistes somaliens ont annoncé le 30 septembre qu’ils avaient pris le contrôle de la région de Lower Shabelle, située dans le Sud et riche en terres agricoles. Ils dominent désormais le tiers du pays. Le port de Kismaayo est tombé entre leurs mains le 24 septembre. AR. SAOUD. Sanaa YÉMEN 400 Golfe DJIBOUTI 0 SOM D* km den díA I E N ÉRYT. TLAN Mer Rouge Victoire ALILAND* PUN SOMALIE I ÉTHIOPIE N Hilwayne A Baidoa Mogadiscio Kismaayo O C É KENYA N D Addis-Abeba Equateur * Etats autoproclamés. dirigeants ont récemment commencé à autoriser les journalistes à visiter les camps. Mais ils leur interdisent l’accès aux dépôts d’armes, choisissent euxmêmes les miliciens qu’ils peuvent interviewer et contrôlent de près la teneur des entretiens. A une vingtaine de kilomètres au nord de la capitale se trouve le plus grand de ces camps, Hilwayne, qui était une base militaire jusqu’à l’effondrement du régime de Mohammed Syad Barre, en 1991. Des seigneurs de guerre rivaux ont ensuite morcelé le pays et l’ont maintenu sous leur contrôle jusqu’à ce qu’une alliance de tribunaux religieux locaux s’empare de Mogadiscio en juin dernier. Les forces islamistes ont construit des baraques en tôle et une mosquée de fortune, et se sont servi des infrastructures en place pour stocker des armes et rééduquer quelque 700 miliciens vaincus. L’ambiance qui règne au sein du camp est détendue. Sous la garde de quelques soldats islamistes armés, une foule d’anciens combattants s’activent dans l’ombre. Les hommes commencent leur journée à 4 h 30 par des prières. La participation n’est pas obligatoire, mais les responsables du camp notent les absences. Il est interdit de fumer, mais aussi de mâcher des feuilles de qat, un pari difficile quand on sait combien les combattants en consommaient. Le reste de la journée est consacré à l’entraînement militaire, aux lectures religieuses COURRIER INTERNATIONAL N° 831 34 et aux exercices d’autodéfense, même si les combattants ne sont pas équipés de véritables armes. “Notre but est d’élever leur sens moral”, indique Yusuf Osman, un professeur d’études islamiques de l’université de Mogadiscio, souvent invité à venir instruire les anciens combattants. Récemment, devant une assemblée de plusieurs centaines d’hommes massés à l’ombre d’un épineux, Osman leur a assuré que, même les poches vides, ils pouvaient avoir une haute moralité. Il les a encouragés à réfléchir à leur “prochaine vie” et a promis le paradis à ceux qui mèneraient une vie pieuse. Le programme du camp est empreint de religion. Des gardes prient à genoux, leur fusil à l’épaule. Des combattants récitent des versets du Coran tout en marchant en cadence dans la plaine poussiéreuse. “Allah akbar !” [“Allah est grand”] crient les hommes durant l’entraînement. Mais les autorités islamistes soutiennent que l’endoctrinement religieux n’est pas leur but. “Nous les rééduquons sur un plan moral et non religieux”, a déclaré Cheikh Mukhtar Robow Ali, secrétaire adjoint chargé de la Défense. “La plupart d’entre eux sont croyants, mais ils ne pratiquaient pas leur foi. La religion ne nous autorise pas à opprimer d’autres individus, et c’est ce qu’ils faisaient.” Les responsables du camp soulignent que la participation est volontaire, et que les hommes sont libres de DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 partir. Mais ils reconnaissent que l’internement leur permet de garder l’œil sur leurs anciens ennemis. Après avoir chassé la dizaine de seigneurs de la guerre qui avaient pris le contrôle de Mogadiscio, les islamistes ont laissé à leurs combattants le choix de remettre leurs armes et de rentrer chez eux, ou de partir dans un camp de rééducation. Tenus de prouver leur conversion, la moitié des combattants ont opté pour le camp. La plupart étaient des jeunes sans emploi, qui s’étaient engagés comme mercenaires. Peu d’entre eux avaient une formation scolaire ou professionnelle susceptible de leur procurer du travail. Récemment, dans un discours adressé aux anciens combattants – pour la plupart des jeunes de 18 à 33 ans –, Robow Ali a promis que les tribunaux islamiques subviendraient à leurs besoins. “Les jeunes sont la clé de voûte de tous les pays du monde a-t-il déclaré. Vous représentez la jeunesse de la Somalie, et nous vous invitons à vous joindre à nous.” Pour amadouer ces anciens combattants, les islamistes ont promis de continuer à leur verser un salaire et, au mois d’août, tous les miliciens détenus dans les camps ont reçu une centaine de dollars. Les autorités ont affirmé que cet argent venait des taxes aériennes et portuaires, mais, selon des opposants, il aurait été fourni par des pays du Moyen-Orient et l’Erythrée. Après trois mois dans le camp, Nur, qui était garde du corps d’un seigneur de la guerre dénommé Muse Sudi Yalahow, a appris à regretter ses actions passées. Il se souvient du temps où il avait l’ordre de tirer ou de lancer des obus de mortier sur des civils. “Il était impossible de désobéir, mais j’étais conscient que ce que nous faisions n’était pas bien. Je savais que les seigneurs de la guerre maltraitaient le peuple. Ils ont détruit le pays.” Le deuxième milicien choisi par les responsables du camp pour répondre à nos questions avait quitté le gouvernement de transition en juillet. Celuici s’efforce de négocier un accord sur le partage du pouvoir avec les tribunaux islamiques, mais d’importants différends opposent les deux camps sur la nature du régime le plus approprié pour la Somalie. “Je suis venu ici pour défendre ma religion. Pour combattre l’Ethiopie”, a expliqué Abdul Aziz Adan, ancien soldat des forces gouvernementales établies à Baidoa. Le nationalisme et l’hostilité vis-à-vis de l’Ethiopie sont des thèmes qui reviennent souvent dans le programme de rééducation. Les vieilles inimitiés ont été ranimées par le soutien apporté par l’Ethiopie au fragile gouvernement de transition et par l’influence qu’elle a sur lui. Edmund Sanders 831 p34-35 afrique 2/10/06 17:12 Page 35 G U I N É E - B I S S AU Une nouvelle route vers les Canaries Sur les plages de Varela, Feliciano patrouille seul, avec une lampe de poche et un kalachnikov : il est chargé de faire barrage aux candidats à l’émigration clandestine. Récit. EL PAÍS (extraits) Madrid inq poules, une chèvre et un porc partagent avec vingt personnes l’espace réduit du véhicule collectif qui relie São Domingos à Varela. En raison des mesures de surveillance mises en place au Sénégal, une partie du flux migratoire vers les Canaries s’est déplacée vers ce petit village de pêcheurs de la côte atlantique de la Guinée-Bissau ; la route qui y mène est signalée en rouge sur la carte routière. Ce n’est pourtant qu’une piste criblée de nids-de-poule et endommagée par les derniers orages de la saison des pluies. Une main sur le volant, l’autre sur un fusil de chasse, le chauffeur de ce 4 x 4 brinquebalant semble naviguer plutôt que conduire. Le véhicule, dont la galerie a été recouverte d’une bâche pour abriter les passagers, ne dépasse pas les 30 km/h. La route s’interrompt à 14 kilomètres du village. En mars, un camion transportant sept tonnes de riz a provoqué l’effondrement d’un des ponts de bois qu’elle empruntait. Un mois plus tard, l’explosion d’une mine placée sur le chemin par les rebelles de la Casamance voisine, au Sénégal, a fait 14 victimes. Les quelques Guinéens et étrangers qui pouvaient encore avoir envie de se rendre à Varela, célèbre station balnéaire du temps de la colonisation portugaise, ont diminué comme peau de chagrin. Le village est ainsi devenu une sorte de territoire isolé auquel on accède plus facilement par la mer. Les pêcheurs sénégalais savent bien qu’il n’y a là-bas qu’un seul policier. Cette surveillance minimale fait de Varela un lieu idéal pour les aspirants aux départs furtifs. C “JE NE PEUX PAS LES ARRÊTER, JE N’AI PAS DE CELLULE” L’agent Feliciano Paolo Sampa, 30 ans, et son tromblon (c’est ainsi qu’il appelle le kalachnikov avec laquelle il patrouille) sont les seuls représentants de l’Etat guinéen dans ce coin du pays. Muni d’une simple lampe de poche, le policier remonte le sentier qui mène à la plage d’un air théâtral. “Aujourd’hui, la situation est grave, lâche-t-il à mi-chemin. Presque tous les jours, des gens arrivent de Sierra Leone, de Gambie, du Liberia, du Sénégal et de Guinée-Conakry. Ils sont censés retrouver des Sénégalais pour partir en Espagne. Il y a quelques semaines, j’ai vu arriver un groupe de 130 personnes qui cherchaient leur passeur. Je leur ai dit qu’ils devaient rentrer chez eux, qu’ils ne pouvaient pas rester ici. Et que, pardessus le marché, ce qu’ils avaient l’intention de faire était illégal.” Feliciano Paolo Sampa assure avoir intercepté, il y a deux semaines, une pirogue avec à son bord 47 émigrés qui se dirigeait vers une plus grosse embarcation l’attendant au large. Avec deux habitants volontaires, il a réquisitionné une pirogue pour aller à l’abordage. Mission accomplie. En repartant vers la plage, les candidats à l’émigration leur ont dit avoir payé entre 600 et 900 euros à un homme du nom d’Abdoulaye Tcham, dans les environs de Ziguinchor, au Sénégal. “Je ne peux pas les arrêter, je n’ai pas de cellule de détention. Je les ai donc laissés en liberté en leur disant d’aller voir l’homme en question pour qu’il les rembourse”, raconte le policier. “NOUS N’AVONS NI PIROGUE NI CANOT POUR ALLER EN MER” La patrouille de nuit arrive au bout de la plage. Ici, c’est l’embarcadère où une vingtaine de pêcheurs luttent contre la brise en se réchauffant autour d’un brasero. D’autres, au bord de l’eau, nettoient la pêche du jour. Après les avoir salués, le policier passe en revue avec sa lampe électrique l’intérieur de chaque pirogue, toutes alignées face à l’océan. Il inspecte aussi les cabanes en roseaux où les pêcheurs entreposent leur matériel et leurs prises. “Pour ce travail, il faudrait de l’argent, or nous n’avons pas de moyens, regrette-t-il. Avant, j’avais une moto que m’avait offerte un missionnaire, je pouvais sillonner toute la région, mais elle est tombée en panne. Nous n’avons ni pirogue ni canot : s’ils partent vers le large, nous ne pouvons rien faire.Avec un 4 x 4 et une paire de jumelles, je pourrais en faire beaucoup plus.” A Varela, il n’y a ni poste de police, ni radio, ni téléphone, mais le chef de la police doit envoyer avec ponctualité rapports et communiqués à ses supérieurs. Ce qu’il fait par courrier postal. Telles sont les conditions dans lesquelles Feliciano s’efforce de lutter contre l’immigration illégale, qu’il ne considère pas lui-même comme un délit mais qu’il tente de contrôler, en cherchant sans doute au passage à se constituer des revenus supplémentaires. Car il ne gagne que 20 euros mensuels et n’a pas touché son salaire depuis quatre mois. Il explore encore quelques buissons sur la plage, puis déclare sa ronde terminée. Il est temps pour lui de rentrer à la maison, une hutte qu’il partage avec d’autres, à 14 kilomètres du pont détruit par le camion de riz. Manuel Altozano *831 p36-37-38-39-40-41 2/10/06 20:38 Page 36 T e n c o u ve r t u re ● Dessin paru dans The Economist. CHINE SUÈDE ■ La Chine s’affirme sur la scène internationale. Membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, elle met dans la balance son poids diplomatique – et économique – en faveur de régimes souvent controversés. Sans tenir compte des défenseurs des droits de l’homme, Pékin défend désormais le principe d’une souveraineté pleine et entière des Etats. ■ Pour assurer la croissance du pays et son approvisionnement en matières premières, les dirigeants signent des contrats, nouent des alliances, en particulier avec les pays pétroliers, envoient des soldats participer aux opérations de paix et inaugurent des instituts culturels. ■ Certains considèrent cette politique comme un “néocolonialisme” à peine déguisé. De son côté, le Quotidien du peuple y voit un plan raisonné d’échanges équitables “pour aller vers un monde harmonieux”. Le monde selon Pékin F É D FIN. R.-U. P.-B. B. ALL. POL. R.T. A. ROUM. S. FR. IT. IRLANDE 370 LIBAN 1 000 ESP. PORT. AFG ISRAËL MAROC IRAN SAHARAOCC. LIBYE ALGÉRIE ÉG. IS. SOUDAN MALI ARABIE SAOUDITE SOUDAN 430 CAP-VERT THE NEW YORK TIMES New York in juillet 2006. La nuit est déjà bien avancée, le Conseil de sécurité des Nations unies continue à débattre de la formulation d’une “déclaration de la présidence” fustigeant Israël pour le bombardement d’un poste d’observateurs de l’ONU dans le sud du Liban, qui a fait quatre morts. L’ambassadeur chinois Wang Guangya perd son sangfroid. Du jamais-vu, ou presque : diplomate chevronné,Wang fait habituellement preuve d’un calme impressionnant. Mais il se trouve que l’une des quatre victimes est chinoise, et le refus des Etats-Unis de condamner Israël sans réserves pour ce bombardement a fini par l’exaspérer. Circonstance aggravante, les Etats-Unis ne sont F pas représentés par leur ambassadeur, John Bolton, mais par un diplomate de second rang – une entorse au protocole que Wang a visiblement prise pour un affront prémédité. Sans nommer de pays – il a perdu son calme, pas le sens des réalités –,Wang fustige la “tyrannie de la minorité au sein du Conseil” et avertit que cela “aura des implications sur les futures discussions” concernant d’autres sujets. A la fin de la réunion, il se plante devant les journalistes accrédités à l’ONU et se livre durant une dizaine de minutes à un savant numéro diplomatique, regrettant que la déclaration de la présidence ait été “vidée d’une bonne partie de sa substance”, observant à plusieur s reprises qu’il fallait “tenir compte des préoccupations des autres pays” et prédisant que la “frustration” qu’éprouvait son pays “affecterait d’une façon ou d’une autre les relations de travail”. La prestation était soigneusement calibrée. A l’époque, pas si lointaine, où la république populaire de Chine COURRIER INTERNATIONAL N° 831 36 Dessin de Miles Cole paru dans The Wall Street Journal Europe, Bruxelles. DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 P Gwa OMAN ÉTH. 110 GUINÉE ÉQ. R.D.C O. KENYA R. 540 TANZANIE I ANGOLA Z. La Réunio MOZAMBIQUE NAMIBIE AFRIQUE DU SUD D’abord, défendre la souveraineté Nouvelle puissance mondiale, la Chine entend jouer un rôle majeur. Une stratégie qui cadre rarement avec la politique de Washington. L’analyse du grand reporter James Traub. OUZB. 490 menait une “diplomatie de la crise de nerfs”, cela aurait pu être le signal d’une vraie rupture. Mais, aujourd’hui, la Chine se soucie trop de l’ordre international pour se livrer à telles gesticulations révolutionnaires. Du reste, à l’époque, aucun ressortissant chinois n’aurait participé à une mission d’observation de l’ONU au Liban, et la République populaire se serait sans doute désintéressée de la question. Mais la Chine aspire désormais à jouer un rôle actif sur la scène internationale, ce qui explique qu’elle nomme à l’ONU des diplomates aussi aguerris que Wang. Ça, c’est la bonne nouvelle. La mauvaise, c’est que la Chine a une vision de l’“ordre international” très différente de celle des Etats-Unis ou de l’Occident, ce qui l’amène à entraver nombre de projets qui donnent sa raison d’être aux Nations unies. La République populaire utilise ainsi son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, et du droit de veto qui va avec, pour protéger des régimes autoritaires avec lesquels elle est en bons termes, comme le Soudan, le Zimbabwe, l’Erythrée, le Myanmar et la Corée du Nord. Et, dans l’épreuve de force avec l’Iran qui préoccupe actuellement le Conseil de sécurité et l’Occident dans son ensemble, la Chine est bien décidée à jouer les empêcheurs *831 p36-37-38-39-40-41 2/10/06 20:39 Page 37 DIPLOMATIE, ÉCONOMIE, CULTURE : L’EXPANSION CHINOISE VERS LE SUD 350 F É D É R A T I O N D E R U S S I E C A N A D A LES INSTITUTS CONFUCIUS (voir p. 40) Première ouverture Centre ouvert ou projeté 370 OUZB. 90 JAPON AFGH. IRAN C H I N E PAK. A INDE 240 THAÏL. PHILIPPINES C É A N A T L A N T I Q U E CUBA MEXIQUE HAÏTI 145 LES TROUPES CHINOISES DANS LES FORCES DE MAINTIEN DE LA PAIX DE L’ONU Mission Mission LIBAN Pays et nombre en cours 1 000 de soldats engagés achevée COLOMBIE LES IMPORTATIONS DE PÉTROLE SINGAPOUR O Principaux pays fournisseurs de pétrole C É A N 110 TIMORORIENTAL E UE O 10 000 5 000 500 Hong Kong VIETNAM CAMBODGE ÉTATS-UNIS 50 000 LES OUVRIERS CHINOIS EMPLOYÉS SUR DES CONTRATS CHINOIS À L’ÉTRANGER BANG. Gwadar OMAN ARABIE SAOUDITE CORÉE DU SUD LES PRINCIPAUX VOYAGES DIPLOMATIQUES DE 2004 À 2006 Président Premier ministre Autre dirigeant chinois Hu Jintao Wen Jiabao I N D I E N BRÉSIL Volume des importations (milliers de barils/jour) FIDJI 800 km 0 La Réunion (Fr.) SÉNÉGAL AUSTRALIE CHILI NIGERIA SIERRA LEONE G o l f e de tourner en rond en bloquant toute tentative d’imposer des sanctions au régime intransigeant de Téhéran. C’est un truisme de dire que le Conseil de sécurité ne fonctionne que dans la mesure où les Etats-Unis l’y autorisent. Cela pourrait bientôt s’appliquer également à la Chine. La croissance phénoménale de l’économie chinoise a fait du pays une puissance d’envergure mondiale, et les besoins en matières premières qui accompagnent cette croissance ont incité Pékin à tisser de nouveaux liens en Asie, en Afrique et en Amérique latine. L’ancienne ardeur révolutionnaire n’est plus qu’un souvenir, et la Chine porte sur le monde un regard de plus en plus pragmatique et assuré. A 56 ans, Wang Guangya est un éminent représentant d’une nouvelle génération de diplomates chinois bien plus raffinés et mieux formés que ne l’étaient jadis les idéologues du parti. Il est considéré comme le favori pour succéder à l’actuel ministre des Affaires étrangères, Li Zhaoxing, qui doit se retirer dans un an. Wang est l’un des diplomates les plus habiles des Nations unies. L’ambassadeur britannique Emyr Jones Parry raconte que son homologue chinois a un truc qui lui est propre : “Au Conseil, il s’exprime en chinois,mais il écoute en même temps la traduction anglaise de ses propos.Parfois il s’interrompt et passe à l’anglais pour dire quelque chose qui ressemble à la traduction, mais avec une nuance.” Wang procède par suggestion, par détour, et use parfois du silence. “Les Chinois jouent un jeu très sub- ■ L’auteur, James Traub, new-yorkais jusqu’au bout des ongles, a couvert pour The New York Times tous les aspects de la vie de la Grosse Pomme depuis près de vingt-cinq ans et en a tiré plusieurs livres. Récemment, il a élargi son domaine d’étude aux Nations unies (une institution new-yorkaise, encore) et publie cet automne un essai sur l’ONU, The Best Intentions (Les meilleures intentions). Retrouvez les premiers paragraphes de cet article en v.o. page 49 dans Courrier in English GHANA LIBERIA NOUVELLE-ZÉLANDE CAMEROUN d e G u i n é e til à l’ONU, remarque Vanu Gopala Menon, l’ambassadeur singapourien. Ils indiquent toujours leur position à demi-mot. Ils ne parlent pas les premiers : ils écoutent d’abord, puis font une déclaration qui reprend dans les grandes lignes ce que veulent les pays en développement.” Le jeu auquel jouent les Chinois empêche quasiment à chaque fois les Nations unies de répondre aux crises humanitaires. De fait, l’habileté diplomatique de Wang et le fait que la Chine protège les pays avec lesquels elle commerce, même lorsque ceux-ci sont accusés des pires violations des droits de l’homme, ont vidé de leur sens les pieuses exclamations comme “Plus jamais ça !” qui s’étaient exprimées à la suite du génocide rwandais en 1994 et devant la passivité dont avait fait preuve à cette occasion le Conseil de sécurité. L’exemple le plus évident du nouveau militantisme de la Chine dans ce domaine est celui du Darfour. Aucune des grandes puissances, à l’exception, par intermittence, des Etats-Unis, n’a manifesté le moindre désir de prendre des mesures énergiques pour protéger les populations de cette province soudanaise contre les atrocités commises par le gouvernement et ses supplétifs, les milices janjawid. La Chine, qui achète une bonne partie du pétrole soudanais, s’est érigée en principal protecteur du régime de Khartoum. Durant l’été 2004, après que le Congrès américain eut qualifié de “génocide” les attaques brutales contre des villageois sans défense, la Chine annonça qu’elle opposerait son veto à une résolution américaine qui se contentait pourtant de COURRIER INTERNATIONAL N° 831 37 URUGUAY ARGENTINE DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 Courrier international d’après : le ministère de l’Education chinois, le ministère des Affaires étrangères chinois, <www.eia.doe.gov> et la presse chinoise et internationale. brandir la menace de sanctions contre Khartoum, sans les imposer. Et pourtant, selon Munir Akram, ambassadeur du Pakistan, “la Chine était loin d’être aussi active à propos du Darfour que ce que l’on croit généralement. Les propositions venaient soit de l’Algérie, soit de nous.”. Dans les moments de friction, si l’on en croit un diplomate occidental,Wang répétait avec une insistance tranquille : “Vous ne pouvez vous aliéner le gouvernement soudanais. Sans lui, la mission de l’ONU échouera.” Sur la question du Darfour comme sur d’autres, la Chine a compris les avantages de ployer sous le vent quand il le faut. Alors que les troupes pathétiquement débordées de l’Union africaine se montraient incapables, tout au long de l’année 2005, de faire cesser les atrocités, la Chine (appuyée par la Russie) continua à faire obstacle à une résolution autorisant l’envoi d’une force de paix de l’ONU. Puis, en mai dernier, le régime soudanais et l’une des armées rebelles signèrent un cessez-le-feu, accentuant la pression en faveur d’une intervention des Nations unies. La position de la Chine paraissait de plus en plus intenable. Aussi Pékin accepta-t-il de ne pas mettre son veto à une résolution autorisant une mission de planification militaire de l’ONU – sans toutefois aller jusqu’à l’approuver. La grande question qui divise l’ONU n’est plus comme autrefois l’opposition entre communisme et capitalisme ; le problème aujourd’hui est celui de la souveraineté. Depuis les catastrophes de la Bosnie et du Rwanda, on demande au Conseil *831 p36-37-38-39-40-41 2/10/06 20:40 Page 38 e n c o u ve r t u re de sécurité de protéger des individus contre un Etat abusif. Lorsque certains Occidentaux critiquent l’ONU en disant qu’elle est un échec en tant qu’institution, ils veulent presque toujours signifier que le Conseil de sécurité n’est pas capable de trouver la volonté nécessaire pour assurer la protection des individus contre un Etat particulièrement brutal, que ce soit au travers d’une intervention, de sanctions ou même d’une simple condamnation. Mais cet échec est une préoccupation purement occidentale : en Chine, où le souvenir du “siècle d’humiliation” imposé par les impérialistes occidentaux est encore vivace – et où le droit de l’Etat à opprimer ses propres citoyens ne souffre aucune remise en question –, la souveraineté est depuis longtemps un slogan mobilisateur. Au cours des années 1990, les Chinois se sont abstenus ou ont voté contre dans le vote de résolutions cruciales autorisant le recours à la force pour chasser Saddam Hussein du Koweït ou visant à établir ou à renforcer des missions de maintien de la paix en Somalie, en Bosnie, au Rwanda et en Haïti. Aujourd’hui, la Chine est plus souple sur le plan pratique, mais la doctrine tenant les droits de souveraineté pour absolus demeure un élément central de sa politique étrangère. Mes conversations avec Wang en reviennent toujours à ce point épineux. “Chaque pays se doit d’assurer le bien-être de sa population, souligne-t-il. Il y a un problème dans certains pays, où la protection de la population est… – là, le très diplomate diplomate chercha le terme exact –… négligée. L’ONU peut intervenir de façon pacifique, fournissant de l’aide, prodiguant des conseils. Mais son rôle n’est pas de s’imposer. Là où le gouvernement fonctionne, on doit le laisser assumer ses responsabilités.” CHOISIR ENTRE LA SOUVERAINETÉ OU “LA RESPONSABILITÉ DE PROTÉGER” Dans une autre conversation, tenue une semaine plus tard dans le salon des délégués de l’ONU, où Wang transgressa allègrement l’interdiction de fumer, l’ambassadeur insista sur le fait que le droit à exercer sa souveraineté sans aucune interférence extérieure était inscrit en lettres d’or dans le droit international. Sans doute, rétorquai-je, mais lorsque les chefs d’Etat du monde entier, réunis en septembre dernier à l’occasion du sommet célébrant le 60e anniversaire de l’ONU, approuvèrent le principe de “la responsabilité de protéger”, ce principe n’est-il pas du même coup devenu partie intégrante du droit international ? C’est vrai, concéda Wang – même si la Chine émet les plus grandes réserves à l’égard de cette doctrine –, “mais tout dépend de la façon dont on applique ce principe”. Et du moment que cette nouvelle obligation ne s’applique qu’en cas de “génocide” ou de “violations massives et systématiques des droits humains”, elle ne saurait être invoquée dans le cas du Darfour. A l’époque,Wang venait de participer à une tournée organisée par le Conseil de sécurité dans la région, et il en avait conclu que la situation était très compliquée et que le gouvernement soudanais avait été injustement critiqué. La Chine continua à soutenir Khartoum. Après s’être abstenu sur la résolution décidant de l’envoi d’une force de paix, Wang demanda la parole pour réitérer la position de la Chine, à savoir que le déploiement des soldats de la paix ne pourrait s’effectuer qu’avec le consentement du gouvernement. Malheureusement, observai-je, le président soudanais Omar Hassan El-Bachir venait tout juste de refuser l’envoi de la force de maintien de la paix. ■ FINUL La Chine va porter ses effectifs au sein de la Force intermédiaire des Nations unies au Liban (FINUL) de 182 à 1 000 hommes, a annoncé le 18 septembre le Premier ministre Wen Jiabao. Déployer autant de militaires est une première. Pékin manifeste ainsi son désir d’être présent là où les enjeux internationaux sont forts, mais n’oublie pas l’importance de la zone du MoyenOrient pour ses approvisionnements en pétrole, écrit le journal marocain L’Opinion. ■ FMI Lors d’une réunion des gouverneurs du FMI à Singapour le 18 septembre, la Chine a obtenu un rééquilibrage des forces en sa faveur au sein du Fonds monétaire international. La Chine, la Corée du Sud, le Mexique et la Turquie voient leurs droits de vote relevés. Pékin passe de 2,94 % à 3,65 % des suffrages, devenant ainsi la sixième puissance du FMI, loin derrière les Etats-Unis, l’Europe et le Japon. “2020 : les Etats- Unis retournent sur la Lune”. Dessin de Chappatte paru dans l’International Herald Tribune, Paris. L’Union africaine “fait du bon travail sur le terrain, insista Wang. Et, d’ailleurs, les S o u danais avaient accepté de désarmer les janjawid. “Et s’ils n’y parviennent pas ?” Wang écrasa son mégot dans le cendrier. “Si vous n’êtes pas certain que ça ne va pas marcher, pourquoi leur imposer une solution avant d’avoir prouvé qu’ils n’en étaient pas capables ?” En fait, la Chine souhaite rejoindre la communauté internationale, mais à ses propres conditions. La République populaire est une entité particulière, une puissance mondiale qui se consacre presque exclusivement à l’exploitation de ses ressources internes et au règlement de ses conflits intérieurs. Elle ne cherche guère à utiliser le pouvoir dont elle dispose, sauf pour assurer un environnement harmonieux à son “émergence pacifique”. De toute façon, la Chine est passée si rapidement du statut d’Etat appauvri et replié sur lui-même à celui de grand pays sûr de lui et immensément influent qu’elle n’a pas eu le temps de réfléchir à ce qu’elle pouvait faire de ce pouvoir. C’est pourquoi la Chine se préoccupe énormément de questions qui sont de peu d’intérêt pour l’Occident – l’“intégrité territoriale”, notamment –, tout en négligeant les questions brûlantes qui inquiètent Washington, Londres ou Paris. La Chine, par exemple, n’a pas joué le moindre rôle moteur dans le débat sur les réformes de l’ONU qui ont agité l’organisation tout au long de l’année 2005. La Chine fait partie d’un bloc de pays en développement connu sous l’appellation de Groupe des 77 – son nom officiel étant “G-77 plus la Chine”, même si les 77 pays du début sont aujourd’hui 131 – et partage l’avis de ce bloc selon lequel l’ONU devrait se préoccuper avant tout de questions économiques et sociales, et moins de paix et de sécurité. Et, même sur ces questions, remarque l’ambassadeur singapourien Menon, les Chinois “suivent le courant”. La Chine s’est battue durant plus d’une décennie contre les résolutions soumises à la Commission des droits de l’homme de l’ONU, et s’est opposée bec et ongles à la proposition de Kofi Annan visant à remplacer cette commission anémique par un organisme beaucoup plus musclé. Pourtant, dans les derniers jours cruciaux du débat, en septembre 2005, c’est Munir Akram, l’ambassadeur du Pakistan, et non Wang, qui présenta un vague projet censé débloquer la situation. Au final, l’Assemblée générale mit en place un nouveau Conseil des droits de l’homme doté de principes suffisamment laxistes pour que COURRIER INTERNATIONAL N° 831 38 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 des pays comme l’Iran, Cuba, la Russie et, bien entendu, la Chine puissent y siéger. Le sujet qui, en revanche, suscita la fureur de la Chine fut la demande du Japon de devenir membre permanent du Conseil de sécurité. La mobilisation générale de la Chine sur cette question rappela au monde que ce pays est capable de renoncer à toute retenue lorsqu’il estime que son intérêt national est en jeu, comme cela avait été le cas une décennie plus tôt, lorsque Pékin avait ouvertement tenté de saboter l’envoi de missions de paix au Guatemala, en Haïti ou en Macédoine sous prétexte que ces pays entretenaient des liens commerciaux avec Taïwan. La position chinoise n’était pas très convaincante. Aucun pays ne mérite plus que le Japon de siéger au Conseil, Tokyo s’acquittant de 19 % du budget de l’ONU, soit à peine moins que la contribution américaine – alors que la Chine en règle 2 %, et la Russie 1 %. Mais le Japon est le principal concurrent asiatique de la Chine, et le plus fidèle allié des Etats-Unis dans la région. LA JORDANIE ET L’UNION AFRICAINE À LA RESCOUSSE Et, surtout, la Chine n’a toujours pas pardonné les atrocités qui ont marqué la prise de Nankin en 1937 et l’agression du territoire chinois par le Japon au cours de la Seconde Guerre mondiale. En avril 2005, peu après que le Japon, l’Allemagne, l’Inde et le Brésil eurent déposé officiellement leur candidature à un Conseil de sécurité élargi, des manifestations antijaponaises éclatèrent en Chine. Des représentations diplomatiques et des entreprises nippones furent mises à sac. Les Japonais furent choqués tant par la violence des manifestations que par le fait que, de toute évidence, les autorités chinoises toléraient, voire approuvaient les excès. Pendant ce temps, Wang et ses collaborateurs cherchèrent à influencer les ambassadeurs de pays à la position encore indécise. Le prince Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein, représentant permanent de la Jordanie, qui envisageait d’apporter son parrainage à la résolution visant à élargir le nombre des membres permanents du Conseil de sécurité, raconte qu’il fut convoqué dans une salle du Conseil pour y rencontrer un diplomate chinois. “Le type était dans tous ses états, se souvient le prince Zeid. Il me demanda comment une grande puissance [comme le Japon] pouvait refuser de reconnaître des vérités fondamentales tout en tirant fierté du travail positif qu’elle accomplit dans le monde.” Le diplomate chinois envoya plus tard au prince un exemplaire d’un livre de photographies sur la tragédie de Nankin. La Jordanie continua à appuyer la résolution, mais refusa de la parrainer. Si la Chine ne put convaincre les pays africains de rejeter le principe de l’extension du Conseil de sécurité, elle réussit pourtant à porter le coup de grâce à l’initiative lors d’une réunion de l’Union africaine tenue début août en Libye, où les chefs d’Etat s’étaient rassemblés pour choisir deux pays qui se joindraient aux quatre autres demandant à devenir membres permanents du Conseil. Quelques semaines auparavant, la Chine avait reçu en grande pompe Robert Mugabe, le dirigeant de plus en plus dictatorial et excentrique du Zimbabwe, depuis longtemps client de la Chine. Peu après son retour de Pékin, Mugabe déclara que les pays africains devaient insister pour bénéficier non seulement d’une représentation permanente au Conseil de sécurité, mais du droit de veto. Cette exigence était de toute évidence vouée à (suite p. 40) *831 p36-37-38-39-40-41 2/10/06 20:40 Page 39 CHINE LE MONDE SELON PÉKIN EyePress News/EyePress ● Un port chinois au Pakistan Pour contrer l’alliance indo-américaine, Pékin s’allie à Islamabad. Et en construisant à leurs frais le complexe portuaire de Gwadar, les Chinois s’offrent une position stratégique. HIMAL (extraits) Katmandou es liens entre Islamabad et Pékin, qui n’ont cessé de se développer depuis la reconnaissance du Pakistan par la Chine, en 1950, comportent aujourd’hui de multiples aspects stratégiques. Dans le paysage mouvant des alliances mondiales, ces relations ont un rôle crucial à jouer pour contrer les centres de pouvoir émergents, en particulier le partenariat indo-américain qui est en train de se formaliser [notamment avec l’accord de collaboration sur le nucléaire civil signé en mars dernier]. Non seulement la Chine et le Pakistan ont intérêt à limiter la portée de ces nouvelles alliances, mais Pékin se sert de ses relations avec Islamabad pour accroître son influence dans le golfe Arabo-Persique et en Asie centrale. A l’intérieur des terres, les deux pays ont entrepris de relier la route du Karakorum aux républiques d’Asie centrale et Islamabad a fait savoir qu’il était prêt à former le cœur d’un réseau énergétique s’étendant jusqu’en Chine. De plus, la Chine est en train de construire le port de Gwadar sur le littoral du Baloutchistan [province occidentale du Pakistan], dont l’intérêt stratégique avait été ignoré jusqu’ici. Pékin a financé une part importante de la première phase du projet, ainsi que des liaisons routières avec le reste du pays. En contrepartie, Islamabad a accordé à la Chine des garanties de souveraineté en matière de règlement des conflits dans le cadre du Traité bilatéral d’investissement et accepté la présence navale chinoise dans ses eaux territoriales. Cet accord permettra aux Chinois de contrôler l’une des voies maritimes de communication les plus importantes au monde. Depuis le début de la guerre en Irak, la marine indienne s’est entendue avec son homologue américaine pour escorter les navires depuis le golfe d’Aden jusqu’au détroit de Malacca, et L ■ Réplique du navire de l’amiral Zheng He, explorateur chinois du XVe siècle qui parvint jusqu’aux côtes africaines, et symbole du renouveau du désir d’expansion chinois. à l’est vers la mer de Chine méridionale. En étant présente à Gwadar, la Chine ne sera qu’à 400 kilomètres du détroit d’Ormuz, une voie cruciale pour l’approvisionnement en pétrole et autres marchandises, et elle s’assurera un accès direct au golfe Persique. Au final, l’extension de la route du Karakorum et la construction du port de Gwadar permettront à la Chine de diversifier ses voies d’importation de produits pétroliers et de bien marquer sa présence dans le golfe Persique et en Asie centrale. Pour le Pakistan, l’accord de Gwadar contribue à neutraliser l’influence indo-américaine sur la mer d’Arabie et dans toute la zone. New Delhi ambitionnant de se doter d’une marine au long cours, il est dans l’intérêt du Pakistan d’attirer la Chine sur son territoire pour parer à toute mésaventure, y compris un blocus. D’ailleurs, Islamabad envisage de faire du port de Gwadar une “zone de défense A N A LY S E Le monde arabe admiratif ■“La superficie de la Chine est égale à celle du monde arabe et le nombre de ses habitants y est plus de quatre fois supérieur. Pour autant, la croissance chinoise au cours des deux dernières décennies a atteint une moyenne de 9 %, alors que celle du monde arabe stagne autour de 3 %. Notre croissance aurait été encore plus basse sans le pétrole, mais aussi sans le développement économique dans des pays comme la Chine, devenue grande consommatrice de notre pétrole”, écrit Asharq Al-Awsat. En marge d’un colloque organisé à Washington sur les relations sino-américaines, le quotidien panarabe analyse le décollage de la Chine. Une des raisons principales en serait selon lui la nouvelle vision chinoise du monde et sa manière de se situer sur l’échiquier : dans les négociations, les discussions COURRIER INTERNATIONAL N° 831 et les accords commerciaux, Pékin ne joue plus la carte de la victime, contrairement aux Arabes, qui se complaisent dans ce rôle. Pourtant, la Chine a été beaucoup plus humiliée par le colonialisme que le monde arabe. Dans le passé, Pékin, comme tous les pays du tiers-monde, rappelait volontiers les crimes coloniaux dans ses négociations avec les Occidentaux, afin d’obtenir de meilleures conditions commerciales. Mais il s’est débarrassé aujourd’hui de cette mentalité de victime, car il a décidé de jouer dans la cour des grands. Qui examine de près les récentes positions de la Chine sur les conflits en Palestine ou au Liban, ou encore sur la question du nucléaire iranien, remarque un net changement de ton, dû à sa méfiance de l’islamisme, certes, mais aussi à sa nouvelle façon de penser le monde, conclut Asharq Al-Awsat. 39 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 sensible” et a annoncé son intention d’utiliser la marine chinoise comme dispositif de défense avancée contre toute action maritime. Le premier pays touché par cet accord sera les Etats-Unis. Pour défendre leurs intérêts, les Américains cherchaient à établir une suprématie absolue par leur présence dans la région et par celle de régimes complaisants. Par ailleurs, en coopérant avec la marine indienne dans la mer d’Arabie, ils visaient exactement le même objectif que le Pakistan et la Chine par l’accord de Gwadar, à savoir élargir leur sphère d’influence pour contrôler l’activité maritime et le grand jeu pétrolier dans le Golfe.Ainsi,Washington voit manifestement cet accord d’un mauvais œil, et des notes internes du Pentagone signalent la présence chinoise comme un facteur inquiétant. Selon certains rapports, les Etats-Unis, fortement opposés au projet de Gwadar et à ceux de pipelines en provenance d’Iran, ne seraient d’ailleurs pas étrangers aux troubles du Baloutchistan [région agitée par une insurrection réclamant plus d’autonomie, voir CI n° 827,du 7 septembre 2006]. En vue de détourner le trafic maritime du port de Gwadar, New Delhi et Washington ont d’ailleurs déjà pris des initiatives pour favoriser le développement d’autres complexes portuaires dans le Golfe. UNE VOIE D’ACCÈS DANS LE DÉTROIT D’ORMUZ Une analyse du réseau complexe des alliances mondiales laisse entrevoir un grand nombre de possibilités pour l’avenir. Si le Pakistan et la Chine entendent s’opposer au partenariat indo-américain, la coopération entre Pékin et New Delhi, en particulier sur le plan économique, n’en progresse pas moins à un rythme constant. Et Islamabad, qui est sans doute l’allié le plus actif de Washington dans la guerre contre le terrorisme, a reçu un énorme soutien économique et militaire des EtatsUnis depuis le 11 septembre 2001. Pour ajouter à la confusion, il est possible que la riposte à l’accord de Gwadar vienne des ports iraniens. Compte tenu de leur hostilité ouverte à l’actuelle politique de l’Iran et de leurs efforts pour établir un régime de sanctions contre Téhéran, les Etats-Unis sont aux prises avec un dilemme : d’un côté, ils se refusent obstinément à accroître l’isolement de l’Iran sur la scène internationale, mais, de l’autre, ils tiennent à mettre à mal le projet de Gwadar et tout ce qu’il représente. D’aucuns laissent entendre qu’ils pourraient même confier à l’Inde le soin de développer les installations portuaires iraniennes tout en fermant les yeux sur ce développement. Que va donner cet enchevêtrement d’alliances ? Pour le Pakistan, la stabilité intérieure est la première des priorités. Non seulement la paix au Baloutchistan est indispensable à l’avancement du projet de Gwadar, mais Islamabad doit s’assurer que des rebelles ne menacent pas la coopération stratégique avec la Chine et ne conduisent pas l’Occident à l’accuser d’abriter des extrémistes. Enfin, même si la collaboration avec la Chine est salutaire, une politique étrangère multipolaire demeure essentielle. En tout état de cause, le Pakistan doit jouer un rôle plus important dans le monde musulman tout en intensifiant ses efforts pour présenter l’Iran comme une puissance nucléaire responsable afin de dissiper les craintes de l’Occident. Ejaz Haider et Moeed Yusuf* * Ejaz Haider est membre de la rédaction en chef du quotidien The Daily News et de l’hebdomadaire The Friday Times, tous deux publiés à Lahore. Moeed Yusuf est spécialiste de politique économique au Sustainable Development Policy Institute d’Islamabad. *831 p36-37-38-39-40-41 2/10/06 20:41 Page 40 e n c o u ve r t u re l’échec, car ni la Chine ni aucun des quatre autres membres permanents n’était prêt à rogner, en le diluant, le pouvoir de son droit de veto. Cela n’empêcha pas une cohorte de diplomates chinois de ratisser les couloirs de Tripoli en en appelant à la fierté africaine, aux impératifs de la parité globale et autres invocations du même acabit. Les demandes en faveur du veto africain se retrouvèrent au centre des débats, ce qui signa la mort de l’élargissement du Conseil de sécurité. Le cadavre ne portait aucune empreinte chinoise. En août 2006, l’ONU a commencé à chercher un successeur à son secrétaire général, Kofi Annan. Les pays asiatiques estiment que c’est à leur tour de se voir confier le poste. Les Américains s’opposeront à tout candidat soutenant trop ouvertement les revendications du tiers-monde ; Pékin refusera tout secrétaire général originaire d’un pays trop proche de Washington. Mais ce ne seront pas les seules difficultés. La Chine pourrait saisir l’occasion de resserrer ses liens avec l’Inde en soutenant Shashi Tharoor, un responsable onusien qui est le candidat de New Delhi mais auquel pourrait s’opposer avec véhémence le Pakistan, un allié proche de Pékin. Aussi la Chine pourrait-elle, pour une fois, être amenée à décevoir, voire à susciter la colère de certains de ses amis au sein du G-77 – une situation qu’elle cherche habituellement à éviter à tout prix. Wang ne cache pas son espoir de voir le successeur de l’actuel secrétaire général “apporter un point de vue asiatique”. Il entend par là, explique-t-il, une priorité donnée à “la patience sur la précipitation”, et une attention particulière apportée aux droits collectifs – autrement dit ceux de l’Etat – plutôt qu’aux droits individuels. Si la Chine atteint ses objectifs, l’ONU pourrait bien apparaître aux yeux des EtatsUnis comme un endroit encore moins hospitalier qu’il ne l’est déjà. La Chine et les Etats-Unis sont les deux bêtes noires* jumelles de l’ONU : les Etats-Unis parce qu’ils insistent pour entraîner l’organisation internationale dans leurs croisades, la Chine parce qu’elle refuse obstinément de participer à toute initiative contraire à son intérêt national.Washington fait preuve d’un moralisme conquérant ; Pékin d’un mercantilisme extrêmement circonspect. Et les deux capitales peuvent se permettre de défier les visions consensuelles. La Chine et la Russie ont les mêmes positions sur les questions concernant la souveraineté, mais la Chine, qui ne souhaite pas détériorer ses relations avec Washington, préfère rechercher un terrain d’entente avec les EtatsUnis. Quand la Russie menaça ouvertement d’opposer son veto à toute résolution autorisant une guerre contre l’Irak, la Chine fit part aussi discrètement que possible de sa propre opposition à une telle initiative. Plus récemment, la Chine et la Russie se sont opposées à toute condamnation du programme nucléaire iranien par le Conseil de sécurité, mais Pékin s’est montré beaucoup plus attentif que le Kremlin aux inquiétudes de la Maison-Blanche. “Les Russes ont passé quarante-cinq minutes à discuter de la signification exacte du verbe ‘consulter’, se souvient un diplomate américain. Les Chinois ont simplement dit que le terme leur convenait.” “Je trouve que la façon dont vous travaillez parfois, vous autres Américains, remarque Wang, et en particulier le fait que votre travail ■ Instituts Confucius La Chine désire développer son rayonnement culturel dans le monde et a décidé d’installer au moins 100 “instituts Confucius” de par le monde d’ici à 2008. Ces instituts, équivalents chinois de l’Alliance française ou du British Council, voient le jour à un rythme accéléré. Hu Jintao. Dessin d’Ares paru dans Juventud Rebelde, La Havane. est respecté par les autres parce qu’il les respecte, peut permettre de trouver un terrain d’entente.” Mais que veut-il dire exactement par “terrain d’entente” ? Le consensus que la Chine a recherché sur le Darfour ressemble fort à une astuce pour paralyser l’ONU. Et l’insistance de la Chine à “respecter” l’Iran semble moins vouloir contribuer à convaincre Téhéran de mettre un terme à son programme nucléaire qu’à entraver toute action punitive envisagée par l’Occident. Wang affirme que les Etats-Unis ont une diplomatie tonitruante “parce que l’Amérique est une superpuissance et que sa parole a beaucoup de poids”. Il semblerait que la Chine ait également acquis du poids, mais ce n’est pas l’avis de Wang. A la fin de notre second entretien, il revint à l’un de ses thèmes favoris. “Les Américains sont forts et jouent de cette force, me dit-il. La Chine est faible et n’a aucune intention de jouer les costauds.” Je lui fis remarquer que la Chine est en réalité un poids lourd mais que les coups qu’elle porte sont ceux d’un poids plume. La comparaison fit sourire Wang. “Et alors, quel mal y a-til à ça ?” fit-il. Eh bien, rétorquai-je, cela dépend. C’est alors que Wang me fit cette étonnante déclaration : “La Chine se considère toujours comme un pays faible, petit et peu puissant. J’ai le sentiment qu’au cours des trente prochaines années, elle continuera à le faire. La Chine aime concourir dans la catégorie inférieure, comme vous dites.” Mais pourquoi donc ? Pourquoi la Chine refuserait-elle d’étaler sa puissance ? Wang évoque l’émergence paisible de son pays et la nécessité de rassurer tous ceux que sa force croissante inquiète. “Nous ne voulons embarrasser personne”, conclut-il. James Traub * En français dans le texte. THÉORIE Mission : bâtir un monde harmonieux Pékin doit faire entendre sa voix originale et novatrice, explique un professeur chinois de relations internationales. a notion de “monde harmonieux” apparaît au moment clé où une restructuration de l’ordre mondial s’amorce. Lors de la réunion de travail du Comité central sur les affaires étrangères, qui s’est déroulée du 21 au 23 août, le président Hu Jintao a prononcé un important discours où il a mis l’accent sur les nouvelles tâches à accomplir sur le plan diplomatique en ce siècle naissant. Il a indiqué qu’il fallait s’efforcer de créer un environnement international et des conditions extérieures favorables à la politique d’ouverture et de réforme en Chine, ainsi qu’à la modernisation socialiste, afin de contribuer à promouvoir une paix durable, une prospérité commune et un monde harmonieux. Cette notion d’un monde harmonieux trouve ses racines dans le profond terreau culturel chinois de la “concorde” et présente donc des L caractéristiques orientales et une spécificité nationale évidentes. Par ailleurs, en préconisant la construction d’un monde harmonieux, la Chine brise le monopole de la parole exercé par les pays développés occidentaux dans le domaine des relations internationales et met en évidence le droit de la Chine à donner son point de vue. Elle occupe ainsi la position dominante de la morale, accroît son soft power et se forge une image nouvelle. Créer un monde harmonieux est un devoir de grande puissance et une mission historique, et la Chine ne peut s’y soustraire. Bâtir un monde harmonieux est un objectif réalisable et pertinent. Premièrement, c’est le remède approprié à des maux actuels tels que l’hégémonisme, la politique du plus for t, les contradictions Nord-Sud ou la crise de l’environnement. Deuxièmement, alors que la puissance de la nation chinoise augmente constamment et que l’influence de la Chine sur la scène internationale s’accroît elle aussi, bâtir un monde harmonieux va permettre de garantir des ressources de plus en plus fiables. Troisièmement, une telle démarche est dans l’ensemble approuvée par les principales civilisations mondiales et par les grandes organisations internationales comme l’UNESCO. Naturellement, il faut être bien conscient que la puissance chinoise seule reste limitée. Il faut nous attacher à obtenir le maximum de reconnaissance sur le plan international en améliorant notre communication extérieure, afin d’inciter les autres pays du monde à participer plus largement et plus spontanément à cette édification. Ensuite, il est indispensable de ne pas négliger non plus les situations de légitime concurrence et les luttes nécessaires. Concrètement, il faut rester attachés à nos principes en ce qui concerne la défense et la promotion des intérêts nationaux de la Chine, argumenter sur la base de la raison, nous battre pour ne pas essuyer de défaite dans nos relations avec d’autres COURRIER INTERNATIONAL N° 831 40 pays, lutter pour favoriser la paix, toujours exhorter à la recherche de solutions pacifiques et aux négociations dans les problèmes brûlants sur le plan international ou régional, en s’opposant au recours inconsidéré à la force militaire ou à des sanctions. Sur le plan des relations entre grandes puissances, il faut faire porter les efforts sur une coexistence harmonieuse entre la Chine et les Etats-Unis, régler de manière appropriée le différend historique qui oppose la Chine au Japon du fait de la volonté des deux pays de se poser tous deux en pays forts et gérer au mieux les rapports de “coopération concurrentielle” avec les autres grandes puissances. Avec les pays voisins, nous devons veiller à conserver des relations de bon voisinage et de coopération régionale, trouver une solution adéquate aux problèmes laissés par l’Histoire et aux sources de tension actuelles. Sur le plan des relations Sud-Sud, la Chine doit chercher à préserver son identité de pays en voie de développement, DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 apporter une aide extérieure en fonction de ses propres capacités et mener avec les autres pays une politique combinant coordination politique, coopération des ressources et diffusion culturelle. Sur le plan des relations multilatérales, nous devons nous en tenir au multilatéralisme et aux négociations sur un pied d’égalité en refusant tout unilatéralisme et tout double critère, participer activement au processus d’ajustement de l’ordre mondial, principalement illustré par la réforme des Nations unies. Enfin, sur le plan des relations avec Taïwan, nous devons favoriser les échanges commerciaux et la coopération culturelle, veiller au maintien de la stabilité et de la paix à Taïwan, et nous opposer résolument et efficacement à l’“indépendance taïwanaise” en créant inlassablement les conditions d’une réunification pacifique de la mère patrie. Chen Xiangyang*, Liaowang Xinwen Zhoukan (extraits), Pékin * Sous-directeur du Centre d’études en stratégie de l’Institut chinois de recherches en relations internationales. *831 p36-37-38-39-40-41 2/10/06 20:42 Page 41 CHINE LE MONDE SELON PÉKIN ● “Un autre tsunami asiatique !” Dessin de Zapiro, Johannesburg. ■ Une puissance néocoloniale en Afrique Un commentateur hongkongais analyse les ressorts de l’extraordinaire développement des échanges entre la Chine et l’Afrique ces dernières années. YAZHOU SHIBAO ZAIXIAN (extraits) Hong Kong, Bangkok ien que le voyage en Afrique du président de la République chinoise, Hu Jintao, en avril 2006 n’ait pas fait l’objet d’une grande attention, il a été d’une extraordinaire importance. En effet, hormis le fait qu’il a permis d’obtenir un grand nombre de droits d’exploitation de champs pétrolifères et ouvert des marchés plus vastes aux marchandises chinoises, on peut aussi le considérer comme marquant l’engagement de la Chine sur la voie du colonialisme en Afrique. [En juin, le Premier ministre Wen Jiabao a à son tour effectué une tournée en Afrique, et le ministre des Affaires étrangères chinois s’y était rendu en janvier.] Porteur de nombreux contrats, accords ou promesses de coopération sur les ressources pétrolières et minières, Hu Jintao a reçu, lors de sa visite au Maroc, au Nigeria et au Kenya, un accueil et des honneurs à cent lieues de ceux qui lui avaient été réservés aux Etats-Unis [première étape de son voyage]. Non seulement les grandes personnalités politiques des différents pays se sont bousculées pour le rencontrer, mais il lui a également été donné l’occasion d’intervenir devant le Parlement nigérian pour s’exprimer sur les “nouvelles relations stratégiques sino-africaines” (intensification de la coopération commerciale, recherche d’une prospérité commune). Sans se concerter, les dirigeants des trois pays ont tous déclaré vouloir s’inspirer du modèle de B développement chinois ; les médias nigérians sont même allés jusqu’à affirmer que le Nigeria voulait être “la Chine de l’Afrique”. Il est à noter que le degré de dépendance commerciale de l’Afrique vis-à-vis de la Chine s’accroît d’année en année. Alors qu’en 2004 le volume des échanges entre la Chine et l’Afrique s’élevait à 30 milliards de dollars [environ 24 milliards d’euros], il est passé l’an dernier à 39,7 milliards [il a quadruplé entre 2000 et 2005]. L’Afrique a désormais supplanté les pays d’Asie centrale et, comme source d’importation de pétrole pour la Chine, arrive en deuxième position après le MoyenOrient. En janvier, l’Angola a pour la première fois dépassé l’Arabie Saoudite en devenant le premier fournisseur de la Chine en pétrole. Les échanges entre la Chine et l’Afrique prennent la forme suivante : sous couvert de la réalisation de chantiers, de transfert de technologies et de produits finis, la Chine fournit du personnel qualifié et des ouvriers pour travailler à des prog rammes d’aide à la Piments Les associations de paysans de l’Etat de Puebla (à l’est de Mexico) ont protesté au mois d’août contre l’importation de près de 7 000 tonnes de piments chinois “pirates”, qui prétendent imiter le fameux chile poblano (variété de piment vert de la région de Puebla). L’affaire est d’importance : ce piment sert à fabriquer le chile en nogada (piment farci avec une sauce aux noix et à la grenade), un plat traditionnel que l’on déguste notamment lors de la fête de l’Indépendance, le 16 septembre. Alors qu’il y a dix ans 10 000 paysans cultivaient ce condiment, ils ne sont plus que 120 aujourd’hui, car 50 % des piments consommés pendant la saison viennent de Chine ou de Corée. “Depuis deux ans, cette spécialité a perdu son identité nationale”, a affirmé la présidente de la Chambre de l’industrie de la restauration mexicaine. construction [officiellement, ils sont environ 100 000 actuellement] ; elle obtient en contrepartie des ressources naturelles africaines comme du pétrole, du bois ou des minerais [15 % de ses importations de minerais, selon des sources chinoises]. Cette forme d’échanges commerciaux est qualifiée par les médias occidentaux de “néocolonialisme”. A ce sujet, pour faire taire les voix dénonçant l’expansion de la Chine en Afrique, Hu Jintao, lors de sa visite en Afrique, n’a cessé de répéter que la Chine était “attachée à une voie de développement pacifique”, qu’elle cherchait à étendre ses relations diplomatiques dans une démarche “de paix, de développement et de coopération” et qu’elle “ne [constituait] pas une menace pour qui que ce soit”. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Qin Gang, a de son côté déclaré que l’intensification des relations de la Chine avec l’Afrique est bénéfique pour les deux parties et que, loin de constituer un pillage, cela contribue au développement économique de l’Afrique. DES MÉTHODES CHINOISES QUI SERONT NÉFASTES À L’AFRIQUE Il semble pourtant bien que la Chine marche actuellement sur les pas des colonialistes occidentaux de jadis. Qui plus est, la puissance économique chinoise étant de plus en plus importante, les besoins et l’appétit de la Chine en ressources naturelles dépassent désormais ceux des anciens colons occidentaux. Les entreprises chinoises commencent à investir à grande échelle en Afrique, mais, les hommes d’affaires chinois n’étant pas des modèles d’intégrité, ils apportent avec eux les méthodes de management chinoises : pots-de-vin, concussions, fraudes, atteintes à l’environnement, etc. De ce fait, le “pillage” de l’Afrique par la Chine ne peut qu’avoir des conséquences encore plus graves. L’augmentation continue des programmes d’aide chinois se traduit par une consolidation des liens de partenariat stratégique fondés sur des “intérêts mutuels” entre la Chine et l’Afrique. Quand la dépendance de l’Afrique vis-à-vis de la Chine se sera encore accentuée, le problème du “pillage” deviendra crucial. A ce moment-là, une telle situation entraînera forcément une riposte de la part des autorités locales et la théorie de la menace chinoise, des “néocolonialistes”, aura à coup sûr le vent en poupe. Pan Xiaotao ÉDITORIAL “Un tas d’inepties” L’organe du Parti communiste chinois répond aux accusations de “néocolonialisme” de la Chine. es derniers temps, les médias occidentaux ont fait tout un foin à propos de l’aide et des prêts accordés par la Chine à l’Afrique, affirmant que la Chine, en proposant ces programmes, encourageait la corruption dans les pays africains. Des journalistes ont même prétendu de façon inconsidérée que la présence de la Chine en Afrique relevait du “néocolonialisme” et cachait des C COURRIER INTERNATIONAL N° 831 desseins inavoués. Ce tapage, sans aucun rapport avec la réalité des faits, reflète simplement leur aigreur. De telles af firmations, inacceptables pour les pays africains, ne sont pas non plus partagées par les chercheurs américains. Contrairement aux pays occidentaux, qui assortissent très souvent de conditions draconiennes l’octroi d’aides ou de prêts, la Chine ne pose aucune condition préalable et son objectif est seulement d’aider en toute sincérité les pays africains à sortir de la pauvreté et à augmenter leur capacité de dévelop- 41 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 pement durable. En acceptant ces prêts, les pays africains n’ont pas à sacrifier leur souveraineté nationale ni la dignité de leurs peuples. Sur cette question, les pays africains font preuve d’une grande lucidité, et de nombreux hauts dirigeants africains ont exprimé publiquement à différentes occasions et par le biais de différents canaux qu’ils étaient tout à fait favorables à l’aide et au financement chinois. Ces déclarations sincères constituent la meilleure réfutation qui soit du raisonnement occidental fallacieux. 2/10/06 18:23 Page 42 Photos Guillermo G. Baltasar 831 p42-43 SA/3 Javier Limón MUSIQUE SANS FRONTIÈRES Limón et sa tribu flamenca EL PAÍS SEMANAL Madrid lan mondial, concept musical, maison de disques, studio d’enregistrement… difficile d’expliquer ce qu’est Casa Limón. Commençons par le plus palpable. Dans le studio, il n’y a pas de “bocal”, ni de consoles hérissées de curseurs et de boutons, ni d’appareils dans tous les coins. C’est un espace austère, décoré en tout et pour tout de quelques objets indiens. Un caprice du propriétaire, Javier López Limón. “Je ne voulais surtout pas que ça ressemble à un endroit où on vient signer un contrat. Ici, on éteint l’ordinateur et on se relaxe, on réécoute ce qu’on a enregistré, on sort la bouteille de whisky, et ça finit parfois en fête.” Né à Madrid il y a trente-trois ans, Limón a déjà derrière lui une vie bien remplie. Il s’est retrouvé sans père lorsqu’il était enfant, et a vu sa mère se lancer dans des milliers de petits boulots pour maintenir la famille à flot. Il a chanté dans la chorale d’une école jésuite, à l’endroit même où la voiture de Luis Carrero Blanco a explosé [le 20 décembre 1973, le chef du gouvernement franquiste meurt dans un attentat perpétré par ETA], et a passé sa dernière année de lycée à NewYork, où il avait emporté une guitare. “Ce qui impressionnait les Yankees, c’était de m’écouter jouer un fandango comme on le joue dans la région de Huelva, où ma mère est née”, raconte-t-il. Le local et l’universel. “Je me suis rendu compte que le langage musical espagnol le plus exportable était le flamenco.” De retour en Espagne, il fait un bref passage par l’université, où il entame des études d’agronomie. Mais il s’enfuit lorsqu’il s’aperçoit que le métier C Casa Limón n’est pas qu’une maison de production. C’est un objet musical non identifié qui a dynamisé le flamenco. Rencontre avec son créateur, Javier Limón. n’a rien de bucolique et consiste plutôt à engraisser des animaux et à exploiter la terre de façon intensive. Il décide alors de devenir chanteur de flamenco. Il échoue au concours de Cante de las Minas [un grand festival de flamenco], mais continue à cultiver sa passion dans le circuit international, plus modeste, avec beaucoup d’audace.“J’ai chanté du flamenco en italien sur la place d’un village près de Rome, et même les grands-mères pleuraient”, raconte-t-il. Il a également été cantaor en Corée et à Porto Rico : “Les hommes de Porto Rico s’en vont travailler aux Etats-Unis, mais les femmes restent sur l’île. Et elles sont nombreuses. J’avais 20 ans, j’étais mince, et j’avais l’impression d’être au paradis des musulmans.” Dans les années 1990, Javier Limón compose pour Estrella Morente, Remedios Amaya, Pepe de Lucía et El Potito [tous ces artistes sont de grands noms du flamenco]. Il est souvent déçu par le résultat final édité sur disque. Alors, lorsque l’occasion de produire se pré- COURRIER INTERNATIONAL N° 831 42 sente, il la saisit. “Je ne voulais pas faire n’importe quoi pour rester dans la musique, et je commençais à me décourager. Un jour, alors que j’étais dans l’AVE [l’équivalent du TGV] pour Madrid, j’ai reçu un appel duWyoming : Diego El Cigala avait été enregistré en direct pour le label 18 Chulos, et il ne sortait rien de bon de l’ordinateur. J’ai débarqué au studio avec ma valise tellement j’avais hâte d’y être, et j’ai vu que Diego n’avait pas été au meilleur de sa forme. Comme le studio avait été réservé pour deux semaines, j’ai proposé de faire de nouvelles sessions d’enregistrement.Depuis, je n’ai pas arrêté.” Produire du flamenco est loin d’être facile. Les disques publiés par Limón en sont la preuve : ils sont souvent courts et parfois ne contiennent même pas les dix morceaux minimum censés figurer sur un disque de musique populaire. “Le flamenco est une musique artisanale et très dense, s’irrite Limón. Il y a davantage d’idées musicales dans un bon disque de flamenco, même s’il n’a que sept morceaux, que dans cinq disques de pop ou de rap. Le flamenco est baroque, il regorge de petits détails qui durent quelques secondes mais qui t’occupent pendant des heures, parfois des jours entiers. Le niveau d’exigence est extrêmement élevé.” En production, il se revendique élève de Paco de Lucía. “Il a été tellement encensé comme guitariste qu’on oublie à quel point il est extraordinaire comme compositeur et producteur, ajoute-t-il. C’est un grand innovateur : il a introduit les chœurs, imposé la claquette, et il travaillait chaque piste.Avant lui, un 33-tours était bouclé en quelques heures. Mais Paco réfléchissait, il prenait ce qu’il voulait dans des prises différentes, faisant de l’édition avant qu’il DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 831 p42-43 SA/3 2/10/06 18:24 Page 43 n’y ait des ordinateurs. Un génie. J’ai marqué d’une pierre blanche chaque jour que j’ai passé avec lui.” Il montre des photos prises pendant son séjour chez Paco de Lucía, à Cancún, où il a l’air d’un pirate rondouillard. Car Javier Limón se bat contre l’obésité, même s’il pense avoir perdu la partie. Moqueurs, les membres de sa tribu flamenca l’appellent “Barriga Blanca” [“Ventre blanc”]. Un surnom qu’il accepte avec stoïcisme : “Ce que Jerry González [le trompettiste] n’a pas, moi je l’ai en trop.” Le grand Jerry est aussi exquis sur scène qu’il est peu engageant en dehors : “Jerry ressemble aux méchants qu’on voit dans les films. Pourtant, comme il n’avait pas d’hôtel quand il est arrivé à Madrid, je l’ai installé chez ma mère et ils sont devenus très amis.” La mère de Javier est le “traiteur officiel” de Casa Limón : “Quand on a une longue journée, elle nous apporte des bons petits plats et les musiciens sont ravis.” Les Limón travaillent en famille. La femme de Javier s’occupe de la maison de disques et sa sœur cadette, Salomé, de la technique. C’est elle qui a obtenu, entre autres, le son superbe de Boomerang, le dernier disque du groupe cubain Habana Abierta. Il s’agit d’ailleurs d’un cas unique dans l’histoire du studio, car Casa Limón ne se loue pas. Pour Javier, c’est son outil de travail et celui des amis. On touche là à la dimension collective de Casa Limón. “Je ne fais pas les derniers mixages ici, explique le producteur. Je vais dans des studios équipés de tables appropriées à chaque musique. Ce qu’on fait, ici, c’est mélanger les personnes. Mais ce n’est pas de la fusion ou du métissage, c’est un dialogue entre des musiques et des personnes.” Résultat : dans Lágrimas Negras, Javier Limón a réuni des Gitans et des Cubains sous la houlette de Bebo Valdés et d’El Cigala ; dans El Cantante, Andrés Calamaro a enregistré pour la première fois sans rockeurs ; Niño Josele a fait un disque où il reprend des morceaux du pianiste Bill Evans et où des musiciens flamencos collaborent avec des jazzmen ; Antonio Serrano a adapté des compositions d’Astor Piazzolla pour l’harmonica ; et l’une des dernières productions de la maison Limón est un disque où Calamaro chante des tangos avec Josele et un autre grand, Juanjo Domínguez. La ligne de travail de Casa Limón se fonde sur ce que son producteur appelle la “big music”. Ses yeux brillent lorsqu’il en parle. “Les ‘grandes musiques’ sont celles qui ont une appellation d’origine, mais qui, en même temps, ne connaissent pas de frontières. Ce sont bien entendu le jazz et le blues, mais aussi la bossa nova, le tango, le fado, le són, le flamenco. Elles ne se démodent jamais, on les écoute sur tous les continents. Elles ne se vendent peut-être pas beaucoup, mais elles représentent un reproche constant à la superficialité de la musique commerciale. Combien de millions de disques a vendu Operación Triunfo [équivalent de la Star Academy] ? Personne ne les écoute plus aujourd’hui. En revanche, on peut aller n’importe où dans le monde, et les musiciens, les artistes de toutes disciplines, les gens qui ont du goût connaissent Lágrimas Negras.Et il y a mille disques qui suivent le même chemin. Il n’y a pourtant aucun mystère dans ce que nous faisons ! C’est comme le riz et les haricots noirs, les œufs et le bacon… Nous marions le jazz, le són, le boléro, le flamenco, mais sans diluer leurs essences.” Il n’y aura pourtant pas de Lágrimas Negras II. “Lágrimas Negras est né de la rencontre entre le savoir de Bebo et l’innocence de Diego, qui chantait quelque chose de complètement nouveau pour lui, précise Javier. Je ne sais pas si on peut recréer cette émotion.” Il ne confirme pas et ne nie pas non plus les rumeurs selon lesquelles l’égocentrisme et la pingrerie ont troublé la naissance de Lágrimas Negras. Dans le monde du flamenco, personne ne dit de mal de personne en public : tous sont des génies, des artistes avec un grand A. Selon Javier Limón, le flamenco manque d’ambi- tion, de confiance en lui. “On se retrouve avec des mômes qui s’inspirent de ce que Sting, Miles Davis et Lenny Kravitz ont de pire, s’emporte-t-il. Putain, s’il faut des modèles, que ce soit Bach, Schoenberg ou Falla. Avec Calamaro, on est allés voir Lenny Kravitz à Buenos Aires. On n’a pas tenu longtemps. Il faisait plus faux que ces Rolex qu’on vend dans la rue. On s’est enfuis vers San Telmo [un quartier de la capitale argentine] et on est tombés sur un bar flamenco. Un groupe très correct de jeunes de Buenos Aires y jouait un peu de tout, de Manzanita à Camarón, et on a fini par monter sur scène avec eux. J’ai pris une guitare et Andrés a chanté Estadio Azteca, qui est un véritable hymne làbas. Imagine ce que ça a donné.” Il réfléchit un instant, puis poursuit : “Faire de la musique est ce qu’il y a de plus grand. C’est encore mieux que de s’envoyer en l’air. Il y a eu un moment dans ma vie, pendant peut-être deux ans, où j’ai enchaîné les enregistrements sans m’arrêter, dimanches et Noël compris. Jusqu’au jour où j’ai décidé que je devais aussi m’occuper de ma famille.” Quand son fils lui a dit, en montrant un piano : “Regarde, papa, un Bebo.” C’est le moment de l’examen de conscience : “J’ai fait beaucoup d’erreurs. Parce que je voulais apprendre, sortir du lot, j’ai produit des disques confus. Avec Fernando Trueba, j’ai appris qu’un disque est ■ Discographie comme un film :il faut un scénario clair Le label travaille et un enchaînement logique. Personne avec quelques-uns ne supporterait un film d’horreur avec des meilleurs des scènes comiques, des numéros musimusiciens et caux et des séquences pornos. L’idée de chanteurs Lágrimas Negras tient en une seule de flamenco actuels, phrase que tout le monde peut comPaco de Lucía ou prendre.” La référence numéro un Niño Josele, Montse de Casa Limón montre pourtant Cortés ou El Potito, une grande variété de styles. Dans et mélange les genres en Limón (Sony-BMG), l’unité est produisant, entre créée par le répertoire. Toutes les autres, Sencilla chansons sont signées Javier Limón. Alegría, le dernier “C’est un catalogue de possibilités, un disque de Luz Casal, annuaire de ceux qui font Casa celui du rocker Limón : les artistes qui ont enregistré argentin Andrés avec moi, Paco, Jerry, Potito, Bebo, Calamaro, Tinta Andrés, David Broza, Guadiana, Roja, ou, très Montse Cortés, et les filles pour qui j’ai récemment, Mi Niña travaillé en 2005, l’Afro-Majorquine Lola, le nouvel album de la chanteuse Concha Buika et La Negra.” espagnole d’origine Mais ce qui enflamme le plus guinéenne Concha Javier Limón, c’est de parler des Buika. ponts secrets entre les cultures. Des ponts humains, comme les Gitans réduits en esclavage et exilés à Cuba qui ont fini à Matanzas, la ville où est née la rumba afro-cubaine. “Lorsque j’ai appris ça, explique-t-il, j’ai compris ce que voulait dire Bebo, qui n’arrêtait pas de répéter qu’il y a toujours eu des mélodies flamencas dans le guaguancó.” En ce moment, il est fasciné par les similitudes entre les haïkus japonais et les chansons flamencas. S’agirait-il d’un legs des voyageurs nippons qui se sont installés à Coria del Río, près de Séville, au début du XVIIe siècle ? Les recherches devront attendre. Limón doit s’envoler pour l’Argentine pour réaliser avec Calamaro la bande sonore de Bienvenido a casa [Bienvenue à la maison], la dernière comédie de David Trueba, et terminer le disque de tango. “Je crois que ça va être quelque chose d’important, dit-il. Andrés a rendu le tango à la rue, il l’a débarrassé de sa prétention.” Buenos Aires lui offre quantité de moments magiques : “Juanjo Domínguez nous a invités dans sa petite propriété, au sud de la ville. Il a sorti sa guitare,Andrés a commencé à chanter, et moi j’ai enregistré. Sur la bande, on entend les bruits de la campagne, sa femme qui prépare le repas, mais on va l’utiliser dans le disque. Ce sera le premier CD où, si on écoute bien, on pourra sentir une odeur de barbecue.” Antonio Serrano Concha Buika Jerry González COURRIER INTERNATIONAL N° 831 Diego A. Manrique 43 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 831p44-45 2/10/06 19:24 Page 44 re p o r t a ge ● DANS LE FIEF DE KIRSAN ILIOUMJINOV Le prince des échecs est kalmouk Milan eninskaïaa plochtchad – la place Lénine – se situe au centre d’Elista. C’est de cette place que commence la prospekt Chakhmatov, l’avenue des Echecs, qui longe le monument du joueur d’échecs avant de continuer en direction du sud-ouest, vers le Daghestan et la Tchétchénie, à travers l’aride steppe kalmouke. Elista est la seule capitale au monde qui possède une avenue dédiée au jeu d’échecs. Et son gouverneur, le milliardaire Kirsan Ilioumjinov, est également le président de la Fédération internationale des échecs (FIDE). Le jeu des échecs est la raison d’être de cette minuscule République de l’absurde. En Kalmoukie, les échecs sont enseignés à l’école et imposés à tous, qu’ils soient enfants, commerçants, retraités ou femmes au foyer. Ilot bouddhiste coincé entre des républiques musulmanes et orthodoxes, la Kalmoukie est protégée et reste à l’écart de ses turbulents voisins grâce à l’étendue aride et vide de la steppe, peuplée de brebis et de chameaux. Elle est l’une des trois républiques bouddhistes russes, avec la république de Touva et la république de Bouriatie. D’une superficie comparable à celle de l’Ecosse, mais avec une population quatre fois moins importante que celle de Milan, le pays est dirigé par l’un des gouverneurs les plus autoritaires de la Fédération russe. Les Kalmouks, peuple mongol venu de Chine et des steppes du Kazakhstan, sont fiers d’être les seuls représentants de la culture asiatique en Europe. Lorsqu’il fut élu, en 1993, Kirsan Ilioumjinov était le plus jeune président élu de l’Histoire. Aujourd’hui âgé de 43 ans, il a conservé la même allure estudiantine et le même physique de jeune homme longiligne, maigre et boutonneux. Les gens du peuple l’appellent affectueusement par son prénom. Grâce à lui, les échecs ne sont pas seulement un simple jeu, mais l’expression de l’âme du pays, le passe-temps national et l’emblème du drapeau de la République. Personne ne saurait dire si on jouait aux échecs avant l’élection d’Ilioumjinov, mais les habitants d’Elista affirment qu’ils étaient déjà populaires à l’époque soviétique. Ilioumjinov a été élu président de la FIDE parce qu’il avait promis que sa ville serait la capitale mondiale des échecs et qu’il serait, lui, le porte-parole du jeu d’échecs dans le monde. Aussitôt dit, aussitôt fait. Ilioumjinov a façonné la Kalmoukie à l’image des échecs, et a transformé ses sujets en ambassadeurs zélés des échecs dans le monde. Dans la Fédération russe, douze champions d’échecs sur vingt sont originaires d’Elista. Sur le site officiel de la FIDE (<www.fide.com>), on peut télécharger l’autobiographie d’Ilioumjinov, The President’s Crown of Thorns [La Couronne d’épines du président], dans laquelle il explique sa vision du monde. Les échecs sont devenus hobby national par décret présidentiel. L plus célèbre grand maître du XVIIIe siècle, qui ouvre le bal. Puis c’est au tour de l’Américain Paul Morphy et de tous les grands joueurs contemporains, de Bobby Fischer à Garry Kasparov. Naturellement, Ilioumjinov figure en bonne position, sourire radieux en prime. En ce samedi après-midi, le musée des Echecs de la City Chess organise les épreuves de sélection pour le tournoi d’échecs provincial, une compétition intergénérationnelle au cours de laquelle s’affronteront des enfants de moins de 10 ans et des octogénaires. On nous montre un petit garçon en veste à carreaux, chemise et cravate ficelle. “C’est le nouveau Kasparov”, affirme l’un des surveillants du tournoi. Izav, 9 ans, est sérieux comme un pape. Mais, pour la Kalmoukie, il est impossible de vivre uniquement des échecs. Voilà pourquoi l’autre passe-temps du jeune président est la religion. Les rues d’Elista sont couvertes d’images représentant Kirsan Ilioumjinov étreignant des chefs religieux du monde entier, toutes religions confondues : juifs, chrétiens Caroline Poiron/fedephoto DIARIO Les règles du jeu sont enseignées à tous les enfants, sans exception, dès la maternelle et l’école primaire. “Mais seuls les élèves les plus prometteurs sont envoyés dans des écoles spéciales”, explique le responsable d’un bureau de l’immeuble de la City Chess. Tout Kalmouk veut s’assurer que les touristes en visite à Elista ne partiront pas sans avoir vu au moins vu la City Chess, un quartier composé de petits pavillons blanc, rose et bleu ciel, chacun disposant de sa place de parking, de sa poubelle, de son interphone et, souvent, d’une grande plaque en métal avec le nom du propriétaire. Il a été construit pour accueillir les XXXIIIes Jeux olympiques mondiaux des échecs, en 1998, comme le montrent les affiches publicitaires décolorées qui couvrent encore les murs de la ville. Critiquée lors de sa construction, en pleine crise financière d’août 1998, la City Chess est considérée aujourd’hui avec plus de clémence, dans la mesure où elle a permis de faire connaître Elista dans le monde entier. Les rues sont dédiées aux tours, aux Caroline Poiron/fedephoto La Kalmoukie, république bouddhiste du nord-ouest de la Caspienne, est régentée par un milliardaire qui a fait des échecs une quasi-religion d’Etat. rois et aux dames de l’échiquier, les lampadaires sont ornés de fantaisies bouddhistes, et les ruelles disposées en éventail donnent directement sur l’étendue déserte de la steppe. Comme il n’y avait pas assez d’argent, la City Chess est restée inachevée… Ce quartier se situe à quelques kilomètres du centre de la ville. Dès qu’on s’en approche, les rues se vident. Les habitants sont rares, car les prix de l’immobilier sont trop élevés. La City Chess est devenue le quartier huppé de la capitale. Des hôtels et des ministères ont pris place dans ses maisons bleues et blanches. Le restaurant branché est le Flamingo, un bâtiment rose où l’on rencontre des hommes d’affaires à n’importe quelle heure de la journée. La nuit, le Flamingo se transforme en discothèque, dont la piste de danse est un gigantesque échiquier. Et, quand on ne danse pas, on y organise d’immenses parties d’échecs. Au milieu de la place de la Dame-Noire, se dresse le Palais des échecs, qui abrite le musée des Echecs, des restaurants et des bars, ainsi que des salles où se déroulent des tournois d’échecs. Les visiteurs sont accueillis par quatre échiquiers géants avec des pièces de 1 mètre de haut. Les jeunes couples kalmouks se font photographier à côté des tours et des fous. Le hall de l’immeuble est recouvert des portraits des plus grands joueurs d’échecs de tous les temps. C’est le Français François-André Danican Philidor, le COURRIER INTERNATIONAL N° 831 44 et, bien sûr, bouddhistes. Il y a trois ans, on pouvait voir ses portraits à chaque carrefour, ici dans les bras du pape, là dans ceux d’un rabbin. Aujourd’hui, la plupart ont été enlevés. La ville compte des dizaines de petits temples bouddhistes, dont le dernier en date est situé place Lénine. La statue du père de la Révolution a d’ailleurs été reculée de quelques dizaines de mètres pour faire place à un nouveau monument bouddhiste. Mais il n’est pas question de faire disparaître totalement Lénine. La légende raconte que son grand-père était kalmouk, et tous les habitants d’Elista considèrent Vladimir Illitch Oulianov comme l’un des leurs. Mais toutes les statues d’Elista ne sont pas des symboles religieux : en témoigne Ostap Bender, héros mythique du roman Les Douze Chaises [d’Ilf et Petrov, 1928], un joueur d’échecs comme par hasard… Dans la banlieue de sa capitale, Ilioumjinov vient de faire construire ce que l’on considère ici comme “le plus grand temple bouddhiste d’Europe”, un bâtiment aussi grand qu’une montagne, trois fois plus haut que les pavillons des alentours. “Nous sommes presque aussi fiers de ce temple que de la City Chess”, explique un chauffeur de taxi avec enthousiasme, “notre Kirsan fait connaître la Kalmoukie dans le monde entier”. Mais, surtout, pour ses fidèles de Kalmoukie, Kirsan est devenu mythique le jour où il a fait venir le dalaï-lama à Elista. La dernière visite du DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 2/10/06 19:24 Page 45 0 Moscou km F É D É R AT I O N 500 TOUVA DE RUSSIE BOURIATIE KAZAKHSTAN KALMOUKIE UKRAINE Astrakhan Mer Caspienne Lagan Elista Novorossisk TCHÉTCHÉNIE Caucase Mer Noire du No GÉORGIE rd COURRIER INTERNATIONAL N° 831 DAGHESTAN 45 Caspian Pipeline Consortium Tenzig OUZB. Courrier international chef des Tibétains en Russie remontait à 1993 et, depuis, aucun visa ne lui avait été accordé. Ilioumjinov a réussi à le faire venir en Kalmoukie. Grâce à Vladimir Poutine, le dalaï-lama a obtenu un visa spécial de quelques heures, pas trop long pour ne pas inquiéter le grand partenaire chinois, mais suffisant pour une courte visite, de nuit et sans aucune publicité, au cours de laquelle il a eu le temps de bénir le lieu où sera construit “le plus grand temple bouddhiste d’Europe”. Pour voir le dalaïlama, les gens ont accouru des quatre coins du pays et des républiques de Touva et de Bouriatie. “Qu’est-ce qu’il est fort, notre Kirsan : il n’y a que lui pour réussir à faire venir le dalaï-lama en Kalmoukie”, lance Valentina, fervente croyante et femme de ménage du monastère de Khouroul. La visite du chef spirituel bouddhiste a souvent été interprétée comme une mission politique : les relations entre Poutine et Ilioumjinov sont difficiles à comprendre, mais Moscou se montre cependant compréhensif envers Elista. Alors qu’on voit de nombreuses affiches représentant Ilioumjinov avec les chefs religieux du monde entier, il n’y en a aucune avec le président russe. A Elista,Vladimir Poutine est un parfait inconnu. Sa visite, en juin 2005, s’est déroulée dans l’anonymat le plus complet, sans bain de foule ni manifestation de bienvenue. Ilioumjinov défie constamment l’autorité de Moscou, qu’il accuse d’ingérence économique et politique, allant pratiquement jusqu’à menacer de créer une mystérieuse “Constitution de la steppe” qui se substituerait à la Constitution de la Fédération russe. Cela ne l’a pas empêché de recevoir, en 2005, une nouvelle confirmation de sa fonction de président, ou plutôt de glava, “chef” en russe. Dans la capitale kalmouke, tout le monde s’attendait à ce qu’Ilioumjinov soit confirmé à son poste et, dans la ville, on raconte qu’il aurait dépensé 5 millions de dollars pour être réélu. Seul Nikolaï Ochirov, unique député indépendant du Parlement kalmouk, se montre réservé. “Cette nomination ne signifie qu’une seule chose, à savoir que Poutine n’est pas libre de faire ce qu’il veut”, affirme-t-il. Pourtant, dans les rues de la capitale, tout le monde semble soutenir le jeune autocrate. Rares sont ceux qui osent le critiquer ouvertement. Mais il suffit de parcourir les journaux des années précédentes pour comprendre que le soutien de la population masque un sentiment de résignation envers une situation impossible à modifier. En 2002, après la réélection d’Ilioumjinov au poste de président, puis dans le courant de 2003, après les élections à la Douma, la frêle opposition kalmouke était descendue dans la rue pour protester. La manifestation la plus importante a eu lieu en septembre 2004, donnant lieu à 89 arrestations – un record. Le mouvement protestataire fut ensuite étouffé par les forces de sécurité. La visite du dalaï-lama, quelques mois plus tard, dont rêvait la population kalmouke depuis une dizaine Vo lga Zavrazhin Konstatin/Gamma Caroline Poiron/fedephoto 831p44-45 d’années, est tombée à pic. Ilioumjinov a obtenu de nouveau l’approbation de son peuple et la situation s’est stabilisée. Un grand merci au Kremlin. Les critiques les plus importantes à l’égard d’Ilioumjinov portent sur sa gestion de l’économie nationale. Un Russe ayant choisi de vivre à Elista dit de lui qu’il est corrompu et enclin au népotisme. Il montre dans les rues tous les supermarchés, les bowlings, le billard, l’IKEA local ou les cabinets d’assurances qui ont des liens avec sa personne ou certains de ses fidèles. Nikolaï Ochirov assure que l’ensemble de l’économie dépend du pouvoir personnel d’Ilioumjinov, et il l’accuse d’avoir fait de la Kalmoukie son fief personnel. “Sans son autorisation, on ne peut rien posséder en Kalmoukie”, insiste-t-il. A Les échecs, Elista, le salaire moyen s’élève à raison d’être 60 euros par mois environ. Il n’y a de la Kalmoukie. pas d’industries et aucune entre La City Chess prise étrangère n’est prête à invesà Elista, tir. L’idée de faire de la Kalmouet la place Lénine. kie un nouveau Koweït – c’était le Visite du dalaislogan avec lequel Ilioumjinov s’était lama, accompagné présenté à l’élection, en 2000 – est des présidents oubliée, même dans les rêves de ses kalmouk et russe. défenseurs les plus acharnés. Pourquoi le Koweït pour modèle ? Parce que, d’après les études kalmoukes, la République possède autant de pétrole que ce pays. Ces théories sont confirmées par le vice-ministre de l’Energie.Valeri Viktorovitch Badmakhalgaev explique en effet qu’il prévoit la mise en œuvre de grands projets d’étude pour évaluer les énormes réserves pétrolières encore inexplorées. L’oléoduc CPC (Caspian Pipeline Consortium) traverse toute la Kalmoukie. Il transporte le pétrole kazakh du gisement de Tengiz jusqu’au port de Novorossisk, sur la mer Noire, où il est embarqué pour rejoindre les centrales thermiques de toute l’Europe. “Jusqu’à présent, l’oléoduc ne transportait que du pétrole kazakh, mais il va bientôt devoir desservir également les gisements kalmouks”, assure le ministre. Les bénéfices liés au passage du CPC vont entièrement au budget central russe, ce qui ne satisfait pas du tout la Kalmoukie. Un autre projet ambitieux concerne la construction du port de Lagan, sur la mer Caspienne. Le projet prévoit le déblocage de plusieurs millions de dollars, et la date de réalisation du port est prévue pour 2007. “Ce délai vous semble trop court ?” demande le ministre sur un ton irrité. “N’oubliez pas qu’Ilioumjinov a fait construire la City Chess en deux ans, et le nouveau monastère en douze mois.” La Kalmoukie possède une main-d’œuvre nombreuse et bon marché. Un grand nombre de travailleurs viennent du nord du Caucase, de pays comme le Daghestan ou la Tchétchénie. Des hommes qui ont fui leur maison pour chercher, dans cette enclave bouddhiste, un havre de paix à offrir à leur famille. Les Kalmouks sont des gens hospitaliers. Ils se disent satisfaits de cette présence, même s’ils considèrent les étrangers comme responsables de l’augmentation des prix dans le pays, notamment dans l’immobilier. Margherita Belgiojoso * En français dans le texte. DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 831p46-47 2/10/06 19:18 Page 46 débat ● INTOX ET MISES EN SCÈNE DE GEORGE W. BUSH Le plus grand bobard de l’Histoire Comment la Maison-Blanche a-t-elle pu falsifier à ce point les faits sur la guerre d’Irak ? Pourquoi la presse de référence a-t-elle relayé la propagande du gouvernement ? Ces questions sont au cœur de The Greatest Story Ever Sold, le livre du journaliste Frank Rich. THE NEW YORK TIMES BOOK REVIEW New York ■ Frank Rich Ce journaliste de 57 ans a longtemps été le principal critique de théâtre du New York Times. Depuis le printemps dernier, il publie chaque dimanche une longue chronique, souvent percutante, où il analyse l’actualité sous l’angle des rapports entre politique et culture populaire. ■ Ian Buruma Né en 1951 à La Haye d’un père néerlandais et d’une mère britannique, ce spécialiste reconnu de l’Asie a vécu de longues années au Japon puis à Hong Kong. Il est aujourd’hui professeur de démocratie, droits de l’homme et journalisme au Bard College, dans l’Etat de New York. Son dernier livre traduit en français, L’Occidentalisme, une brève histoire de la guerre contre l’Occident, écrit en collaboration avec Avishai Margalit, vient de paraître aux éditions Climats (voir CI n° 723 du 9 septembre 2004). n tant qu’ancien critique théâtral, Frank Rich est particulièrement bien placé pour parler de l’administration Bush, qui a tant fait pour brouiller la frontière entre politique et spectacle. Certes, on n’a pas affaire à un cas isolé : on pense notamment à Silvio Berlusconi, le magnat des médias passé maître dans l’art de la fiction politique, ou encore à Ronald Reagan, qui avait souvent bien du mal à faire la différence entre la vie réelle et le cinéma. Le sens du spectacle a toujours été une caractéristique essentielle des gouvernants, de même que le recours à la fiction, notamment quand il s’agit d’entrer en guerre. Qu’aurait été Hitler sans les élucubrations barbares dont il abreuvait un public avide par le biais de spectacles grandioses, de la radio et du cinéma ? Plus près de nous, aux Etats-Unis, pour justifier l’intervention au Vietnam, le président Lyndon B. Johnson avait invoqué en 1964 une attaque dans le golfe du Tonkin, qui, en fait, n’avait jamais eu lieu. Mais le plus remarquable, sous la présidence de George W. Bush, c’est que les conseillers en communication, les colporteurs de fausses informations, les organisateurs de mises en scène destinées aux photographes, les experts en désinformation, les manipulateurs du renseignement, les héros de fiction et les chargés de relations publiques jouant aux journalistes opèrent dans un monde où la réalité virtuelle est en passe d’éclipser l’enquête empirique. Souvenez-vous de ce conseiller de la Maison-Blanche, cité par Frank Rich, qui a déclaré qu’une “étude judicieuse de la réalité perceptible” ne correspondait plus à “la manière dont le monde fonctionne aujourd’hui”. Le milieu des “professionnels de la réalité”, à savoir la presse écrite et télévisée, disait-il, est hors du coup et n’a plus sa place dans “un empire”où “nous créons notre propre réalité”. Bien sûr, une telle arrogance officielle n’est pas nouvelle, même si elle sans doute plus le propre des dictatures que des démocraties. Ce qui est inquiétant, c’est qu’elle va dans le même sens que tant d’autres phénomènes actuels : le déboulonnage postmoderne de la vérité objective, les blogueurs et les grandes gueules des talk radios [radios d’opinion] qui montrent la voie aux médias, les entreprises de presse rachetées par des groupes de divertissement, les moyens toujours plus nombreux et perfectionnés de la manipulation de la réalité. Le sujet de Rich est la création d’une réalité falsifiée. Son livre, The Greatest Story Ever Sold* [Le plus gros bobard qu’on nous ait jamais vendu] n’est pas un ouvrage d’analyse politique E ou géopolitique. Il ne s’attarde guère sur les arguments pour ou contre l’éviction de Saddam Hussein, sur les conséquences de l’intervention militaire américaine au Moyen-Orient ou sur la menace de l’extrémisme islamiste. L’auteur, éditorialiste au NewYork Times, a sur ces questions un point de vue de gauche qui n’a rien de très original. Il se trouve que je suis d’accord avec lui sur le fait que George Bush et [son conseiller politique] Karl Rove ont joué sur les peurs et le patriotisme pour gagner les élections. Et je suis également convaincu que [le vice-président] Dick Cheney et ses supporters néoconservateurs étaient partisans d’une guerre en Irak longtemps avant les attentats du 11 septembre 2001. Rich a-t-il raison d’affirmer que le “terrorisme apatride d’Al-Qaida” n’avait pas grand-chose à voir là-dedans ? C’est discutable. Les “néocons” ont très bien pu croire qu’une redistribution des cartes au Moyen-Orient était le meilleur moyen de lutter contre le terrorisme. Ils se sont trompés, cela ne fait guère de doute. Mais la thèse de Rich, c’est que l’administration Bush a menti d’un bout à l’autre : sur les causes de la guerre, sur la façon dont elle a été conduite et sur ses terribles conséquences. Il peut être légitime de renverser un dictateur, mais faire la guerre sous de faux prétextes ne peut que nuire à la démocratie, a fortiori quand l’un des Un nouveau type d’information : l’infopropagande buts affichés est de démocratiser d’autres pays. Si Rich a raison, ce que je crois, le gouvernement Bush a atteint des sommets rarement égalés dans le domaine de l’hypocrisie. Voici comment on nous a vendu la guerre. Fin 2001, Dick Cheney nous a dit que le lien entre l’Irak et Mohamed Atta, l’un des terroristes du 11 septembre, était “tout à fait avéré”. A l’été 2002, il a déclaré que Saddam Hussein persistait à “vouloir se doter de l’arme nucléaire” et qu’il ne faisait “aucun doute” qu’il possédait des “armes de destruction massive” (ADM). Le vice-président a fait allusion à des tubes d’aluminium (Michael R. Gordon et Judith Miller en avaient parlé dans le New York Times), que Saddam Hussein comptait utiliser “pour enrichir de l’uranium afin de fabriquer une arme nucléaire”. Cet uranium, nous a-t-on dit, les Irakiens se l’étaient procuré au Niger. Le prési- COURRIER INTERNATIONAL N° 831 46 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 dent Bush a déclaré en octobre 2002 : “Devant la montée des périls, nous ne pouvons nous permettre d’attendre la preuve définitive qui pourrait se présenter sous la forme d’un champignon atomique.” Nous savons aujourd’hui qu’il n’y avait pas une once de vérité dans ces affirmations. Elles n’en ont pas moins justifié l’entrée en guerre. Les excuses ultérieures – le gouvernement aurait été trompé par des informations erronées émanant des services de renseignements – auraient été plus convaincantes s’il n’y avait pas eu divulgation d’une note du gouvernement Blair. Le chef des services spéciaux britanniques y affirmait que l’administration Bush avait fait en sorte que “le renseignement et les faits” concernant les ADM “cadrent avec la décision” d’entrée en guerre. Ses propos dataient de juillet 2002, soit huit mois avant l’invasion de l’Irak. ourtant – et c’est là que l’analyse de Rich est particulièrement pertinente –, les journaux les plus sérieux ont publié les affirmations de la Maison-Blanche en une, reléguant les questionnements en dernière page, au milieu des brèves. Des hebdomadaires politiques plutôt progressistes, comme The New Republic, ont abondé dans le sens du très néoconservateur Weekly Standard, assurant que le président se rendrait coupable de “défaitisme dans la guerre contre le terrorisme international” s’il ne s’efforçait pas de renverser Saddam Hussein. Bob Woodward, le pourfendeur de l’admnistration Nixon [c’est lui qui a révélé l’affaire du Watergate en 1972 dans The Washington Post], a écrit Bush at War, un ouvrage dans lequel il semblait prendre pour argent comptant tout ce que lui avaient dit ses sources de la Maison-Blanche. [Le même Woodward publie ces jours-ci chez Simon & Schuster State of Denial: Bush at War III (L’état de déni : Bush en guerre), où il critique sévèrement le président.] Dès que les combats ont commencé, le spectacle s’en est mêlé. Déjà, en Afghanistan, le producteur hollywoodien Jerry Bruckheimer avait été autorisé à accompagner les troupes afin de réaliser une série télévisée sur la vaillance américaine, alors que les journalistes, notamment ceux du Washington Post, étaient maintenus à l’écart. En Irak, des histoires édifiantes, comme l’héroïque bataille de la soldate de première classe Jessica Lynch, ont été inventées de toutes pièces et formatées pour la presse, et ceux qui ont dénoncé la supercherie ont été traités de mauvais coucheurs et de “gauchistes”. Le président Bush s’est habillé comme Tom Cruise dans Top Gun et a atterri sur un porte-avions, le temps de déclarer la victoire devant les caméras. Et la presse, dans son P 831p46-47 2/10/06 19:19 Page 47 sacrément culotté de la part d’un gouvernement qui promeut ses messages directement auprès des animateurs radio et des agents de relations publiques. Rich en donne de nombreux exemples. L’un des plus frappants est celui de Dick Cheney apparaissant sur un plateau de télévision en compagnie d’Armstrong Williams, un faux journaliste rémunéré par la Maison-Blanche, pour se plaindre de la partialité de la presse. Quand l’un des détracteurs les plus crédibles de l’administration Bush n’est autre que John Stewart, animateur d’une excellente émission comique, quelque chose ne tourne pas rond. C’est dans son Daily Show que Rob Corddry, un acteur jouant le rôle d’un journaliste, déplorait de ne pas arriver à suivre le gouvernement, car il avait créé “une catégorie entièrement nouvelle de fausses informations – l’infopropagande”. Rich a raison : “Plus le vrai journalisme faisait mal son travail, plus il était facile à cette infopropagande gouvernementale de combler le vide.” De gauche à droite : Karl Rove, George Bush et Dick Cheney. Dessin de Ray Bartkus paru dans The New York Times Book Review, Etats-Unis. ■ l y a peut-être une autre raison à cette dérive : les méthodes de travail classiques de la presse américaine, avec son obsession des citations et de l’accès aux sources. Aux Etats-Unis, un bon journaliste doit avoir des sources dignes de foi et des citations qui donnent les différents points de vue sur le sujet traité. Son expertise est négligeable. Si les opinions des éditorialistes comptent trop dans la presse américaine, les connaissances des journalistes sont notoirement sous-exploitées. Le problème, c’est qu’il n’y a pas toujours deux ou plusieurs points de vue sur un même sujet. Quelqu’un qui aurait rendu compte de la persécution des Juifs en Allemagne en 1938 n’aurait pas cherché à donner un “autre éclairage” en citant Goebbels. Par ailleurs, comme Judith Miller l’a appris à ses dépens, à quoi bon des citations si, à la base, les informations sont fausses ? [Cette journaliste vedette du New York Times a relayé à plusieurs reprises les fausses informations de la Maison-Blanche sur les armes de destruction massive irakiennes. Elle a démissionné en novembre 2005.] Bob Woodward, l’une des principales bêtes noires de Rich, a beau avoir plus qu’aucun autre journaliste ses entrées à Washington, la faiblesse de son travail tient au fait qu’il n’a jamais l’air meilleur que ses sources. Comme le souligne Rich à juste titre, “des journalistes qui n’avaient pas les contacts d’un Woodward ou d’une Miller au sein de l’administration non seulement ont obtenu les bonnes informations sur l’Irak mais ils les ont publiées rapidement, en faisant appel à ce que John Walcott, le chef du bureau de Washington du groupe Knight Ridder, appelle les ‘sources prolo’, situées à des échelons inférieurs de la hiérarchie.” Il fut un temps où Woodward travaillait lui aussi de cette façon. Crainte de perdre ses sources haut placées, surestimation de l’importance des déclarations des puissants, terreur injustifiée d’être accusé de parti pris de gauche : tout cela paralyse la presse à un moment où elle est plus indispensable que jamais. Frank Rich est un excellent produit de cette presse et, si jamais elle restaure sa réputation, ce sera en partie grâce à cet homme qui en avait plus qu’assez. Ian Buruma I ensemble, a mordu à l’hameçon. Comment at-on pu en arriver là ? Comment certains des journaux les plus réputés et les plus sérieux du monde anglophone ont-ils pu se laisser berner à ce point ? Comment expliquer cette paralysie temporaire du sens critique ? Telle est peut-être la question la plus douloureuse que pose le livre de Frank Rich, d’autant que son propre journal fait partie de ceux qui sont tombés dans le panneau. Le climat d’intimidation qui régnait aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001 y est sans doute pour beaucoup. Susan Sontag était devenue un objet de haine nationale, juste pour avoir dit que la politique étrangère des Etats-Unis avait peutêtre favorisé la flambée d’antiaméricanisme. Quand [le ministre de la Justice] John Ashcroft a déclaré devant le Sénat que ceux qui remettaient en question sa politique, pourtant très critiquable, “[donnaient] des munitions aux ennemis des Etats-Unis”, il ne faisait que relayer les discours des vociférateurs des talk radios. Mais eux ne sont que des bouffons malveillants, alors qu’Ashcroft était ministre de la Justice. Pas étonnant, dès lors, que les grands journaux, après avoir été constamment accusés de parti pris de gauche, aient préféré se faire discrets. Les journalistes ne devraient pas avoir à don- ner des gages de leur patriotisme ou de leur absence de parti pris. Leur travail consiste à rendre compte de ce qu’ils croient être la vérité, preuves à l’appui, en conscience. Comme le souligne Rich, des revues comme The Nation et The New York Review of Books ont plus rapidement vu clair dans le jeu du gouvernement que la presse grand public. Et les journalistes du groupe [de journaux régionaux] Knight Ridder ont compris la manipulation du renseignement avant le NewYork Times. L’intimidation n’explique pas tout. L’évolution des méthodes de collecte et de publication de l’information ont mis les journalistes traditionnels sur la défensive. Le fait que les gens ont plus que jamais la possibilité d’exprimer leur point de vue dans des émissions de radio ou sur Internet est peut-être une forme de démocratie, mais cela a aussi pour effet de saper l’autorité de journalistes dont l’expertise est censée faire office de filtre contre les absurdités et les préjugés. Et la confusion délibérée à la télévision entre information et divertissement ne fait qu’aggraver les choses. Les républicains, dans la mesure où ils sont plus populistes que les démocrates, ont su exploiter ce nouveau climat avec beaucoup plus de finesse. Accuser les médias de parti pris est COURRIER INTERNATIONAL N° 831 47 * The Greatest Story Ever Sold.The Decline and Fall of Truth From 9/11 to Katrina (The Penguin Press, New York, 2006). DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 A la une “Mensonge sur mensonge. Comment nos dirigeants ont usé de la peur et du mensonge pour nous embarquer par la duperie dans un bourbier moyenoriental”, titre le bimestriel américain Mother Jones dans son numéro de septembre-octobre 2006. Pour son 30e anniversaire, la publication de gauche la plus lue des Etats-Unis a choisi de faire la “chronique d’une guerre annoncée”, en montrant comment, dès 1992, l’actuel viceprésident des EtatsUnis Dick Cheney et ses acolytes avaient préparé le terrain à une future intervention en Irak et comment “la vérité avait succombé bien avant l’invasion”. ■ A la une A la suite de l’histoire maquillée de la soldate Jessica Lynch, Courrier international détaille “Les mensonges de Bush” dans son édition du 28 mai 2003. 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 49-52 courrier english 3/10/06 10:51 Page 49 Pendant cinq semaines, Courrier international se met à l’anglais, tel qu’il s’imprime sur les cinq continents. Un voyage en v.o. dans les presses anglophones. in English For five weeks, practise your English with us! Discover articles by English-speaking journalists from all five continents – in their own words. The World According To China Beijing’s ambassador to the United Nations has begun to act as if he represents a very, very powerful country. James Traub THE NEW YORK TIMES (excerpts) New York n late July, as the United Nations Secur ity Council argued long into the night over the wording of a so-called presidential statement castigating/1 Israel for the bombing attack that killed four U.N. observers in southern Lebanon, Wang Guangya, the Chinese ambassador, blew his stack/2. This was almost unprecedented:Wang, a veteran diplomat, typically comports himself with unnerving/3 calm. But one of the four fatalities had been Chinese, and Wang had grown increasingly frustrated with the refusal of the United States to condemn Israel outright for the bombing.Worse still, the United States was represented not by Ambassador John Bolton but by a junior diplomat, a breach of etiquette that Wang apparently took to be a calculated insult. Without naming any countries – he lost his temper, not his grip – Wang lashed out/4 at “a tyranny of the minority in the council” and vowed that there would be “implications for future discussions” on other subjects. Once the meeting ended, Wang planted himself before the U.N. beat reporters/5 and engaged in 10 minutes of robust public diplomacy, complaining that the presidential statement had been “watered down/6,” observing in several different formulations that “we have to take into account the concerns of other countries” and predicting that the I 1/ Castigating To castigate appartient à un registre lexical recherché et signifie “critiquer, prononcer un réquisitoire”, bien que le terme n’ait aucune connotation juridique. 2/ Blew his stack L’expression traduit le fait de perdre son sang-froid et d’“exploser”. 3/ Unnerving “Intimidant”. 4/ Lashed out Le verbe to lash out évoque l’administration de coups de fouet. Lash désigne la lanière du fouet. On en restera ici à un équivalent plus diplomatique : “s’en prendre violemment à”. 5/ Beat reporters Le terme beat désigne la ronde effectuée par la police, alors que celle du laitier (en Angleterre) ou du facteur est qualifiée de round. Le terme beat implique ici le fait d’être en service commandé pour effectuer une tâche routinière. 6/ Watered down “Edulcoré”. “frustration” his country felt “will affect working relations somewhat.” It was a delicately calibrated performance. In an earlier era, when the People’s Republic of China tended to conduct diplomacy by tantrum/7, this might have been the signal for a real breach. But China cares too much about the international order for such revolutionary shenanigans/8. Actually, in an earlier era Chinese nationals would not have served in an observer mission in Lebanon, and the People’s Republic would have taken a pass/9 on the whole subject. But China now aspires to play an active role on the global stage, which is why it sends skilled diplomats like Wang Guangya to the U.N.That’s the good news. The bad news is that China’s view of “the international order” is very different from that of the United States, or of the West, and has led it to frustrate/10 much of the agenda/11 that makes the U.N. worth caring about. The People’s Republic has used its position as a permanent, veto-bearing member of the Security Council to 7/ Tantrum Terme d’origine inconnue, évoquant une crise ou un accès de mauvaise humeur. 8/ Shenanigans Autre terme d’origine incertaine, désignant des manœuvres de bas étage, voire des “combines”. 9/ Taken a pass Allusion aux jeux de cartes où l’on peut passer son tour ; par extension, s’abstenir de prendre position. 10/ To frustrate Ce verbe admet généralement un sujet animé humain. Le terme est à prendre ici au sens de “paralyser, bloquer”. 11/ Agenda La traduction classique par “ordre du jour” serait impropre dans le contexte, où il est davantage question d’“action”, sinon de “mission”. protect abusive regimes with which it is on friendly terms, including those of Sudan, Zimbabwe, Eritrea, Myanmar and North Korea. And in the showdown/12 with Iran that is now consuming the Security Council, and indeed the West itself, China is prepared to play the role of spoiler/13, blocking attempts to levy/14 sanctions against the intransigent regime in Tehran. It’s a truism that the Security Council can function only insofar as the United States lets it.The adage may soon be applied to China as well.The astonishing growth of China’s economy has made it a global force, and the accompanying need for resources has pushed it to forge new ties throughout Asia, Africa and Latin America. The old revolutionary ardor is gone, and China surveys the world with increasing pragmatism and confidence. Wang Guangya, at 56, is a senior member of a new generation of Chinese diplomats vastly more sophisticated and better educated than the party ideologues of old/15. He is considered the favored candidate to replace China’s foreign minister, Li Zhaoxing, when he steps down a year from now. Wang is one of the U.N.’s most adroit diplomats.The british ambas- 12/ Showdown “Epreuve de force”. 13/ Spoiler Littéralement, personne (ou événement) qui fait capoter un projet, qui joue les trouble-fête. 14/ To levy Le verbe renvoie au français “lever”, que l’on trouve dans l’expression “lever l’impôt”. Il s’agit, dans le cas présent, d’appliquer, voire d’imposer des sanctions. 15/ Of old Locution un peu désuète synomyme de former ; ici, “anciens”. COURRIER INTERNATIONAL N° 831 49 sador, Emyr Jones Parry, says that his Chinese colleague has a trick/16 he’s never seen anyone else perform: “In the council, he speaks in Chinese, but at the same time he listens to the English translation. Sometimes he pauses, and then he’ll switch into English to say something similar to the translation but nuanced from it.” Wang operates by suggestion, by indirection – often by silence. “They play a very skillful game at the U.N.,” says Vanu Gopala Menon, the Singaporean ambassador. “They make their opinions felt without much talking.They never come in first and make a statement. They always listen first and then make a statement which captures the main thrust/17 of what the developing world wants.” But the game the Chinese play virtually ensures the U.N.’s regular failure in the face of humanitarian crisis. Indeed, the combination of Wang’s deft/18 diplomacy and China’s willingness to defend nations it does business with from allegations of even the grossest abuse has made a mockery of all the pious exclamations of “never again” that came in the wake of the Security Council’s passive response to Rwanda’s genocide in 1994. The most notorious example of China’s new activism in this regard is Darfur. While none of the major powers, with the intermittent exception of the United States, have shown any appetite for robust action to protect the people of this Sudanese province from the atrocities visited upon/19 them by the government and its proxy/20 force, known as janjaweed, the Chinese, who buy much of the oil Sudan exports, have appointed themselves Khartoum’s chief protector. Retrouvez la traduction de l’article page 36 Dessin d’Ingram Pinn paru dans le Financial Times, Londres. ■ Remerciements Pour réaliser ce supplément, nous avons bénéficié de la précieuse collaboration de Jean-Claude Sergeant, professeur de civilisation britannique à l’université Paris III. Spécialiste de la politique et des médias britanniques, il a notamment publié L’Angleterre à travers sa presse (Presses Pocket, 1991) et Les Médias britanniques (Ophrys-Ploton, 2004). Directeur de la Maison française d’Oxford de 2000 à 2003, Jean-Claude Sergeant dirige à Paris III le master Langues, civilisations étrangères et médias, qui a succédé en 2005 au DESS de journalisme bilingue français-anglais. 16/ Trick “Truc, tour”. 17/ Thrust Traduit le fait de porter une attaque avec une arme ; en escrime, “se fendre” et donc pousser une pointe. Par extension, le thème central – le plus pointu – d’un discours. 18/ Deft “Habile”. 19/ Visited upon them Evoque immanquablement la référence biblique “the sins of the fathers are visited upon the children”, c’est-àdire, de façon approximative, “les enfants portent le poids des péchés de leurs pères”. En l’occurrence, “atrocités que leur inflige le gouvernement”. 20/ Proxy Un intermédiaire et, plus précisément dans ce contexte, “les supplétifs”. DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex. (1 700 000 le dimanche), Etats-Unis, quotidien. Avec 1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger et plus de 80 prix Pulitzer, le New York Times est de loin le premier quotidien du pays, dans lequel on peut lire “all the news that’s fit to print” (toute l’information digne d’être publiée). 49-52 courrier english in 3/10/06 11:32 Page 50 English S O C I E T Y A N D C U LT U R E More US Hispanics drawn to Islam Marriage, post-9/11 curiosity, and a shared interest in issues/1 such as immigration are key reasons. fait partie des 200 000 Américains d’origine hispanique qui se sont convertis à l’islam. Retrouvez la traduction de l’article page 25 THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR 70 000 ex., Etats-Unis, quotidien. Publié à Boston par l’Eglise du Christ scientiste (appelée aussi Science chrétienne), cet élégant tabloïd est réputé pour sa couverture des affaires internationales et le sérieux de ses informations nationales. Amy Green THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR Boston ORLANDO, FLA./2 With her hijab and dark complexion, Catherine Garcia doesn’t look like an Orlando native or a Disney tourist.When people ask where she’s from, often they are surprised that it’s not the Middle East but Colombia. That’s because Ms. Garcia, a bookstore clerk who immigrated to the US seven years ago, is Hispanic and Muslim. On this balmy/3 afternoon at the start of Ramadan, she is at her mosque dressed in long sleeves and a long skirt. “When I was in my country I never fit/4 in the society. Here in Islam I feel like I fit with everything they believe,” she says. Garcia is one of a growing number of Hispanics across the US who have found common ground in a faith and culture bearing surprising similarities/5 to their own heritage. From professionals/6 to students to homemakers, they are drawn to the Muslim faith through marriage, curiosity and a shared interest in issues such as immigration. The population of Hispanic Muslims has increased 30 percent to some 200,000 since 1999, estimates Ali Khan, national director of the American Muslim Council in Chicago. Many attribute the trend/7 to a growing interest in Islam since the 2001 terrorist attacks and also to a collision between two burgeoning minority groups.They note that Muslims ruled Spain centuries ago, leaving an imprint/8 on Spanish food, music, and language. “Many Hispanics ... who are becoming Muslim, would say they are embracing their heritage, a heritage that was denied to them/9 in a sense,” says Ihsan Bagby, professor of Arabic and Islamic studies at the University of Kentucky. The trend has spawned/10 Latino Islamic organizations such as the Latino American Dawah Organiza- Candace Barbot/Miami Herald-AP Melissa Matos tion, established in 1997 by Hispanic converts in New York City.Today the organization is nationwide. The growth in the Hispanic Muslim population is especially prevalent in New York, Florida, California, and Texas, where Hispanic communities are largest. In Orlando, the area’s largest mosque, which serves some 700 worshipers each week, is located in a mostly Hispanic neighborhood. A few years ago it was rare to hear Spanish spoken at the mosque, says Imam Muhammad Musri, president of the Islamic Society of Central Florida. 1/ Issues Au sens général, “questions, problèmes”. Très employé au sens d’“enjeux” dans le cadre d’une campagne électorale. 2/ FLA. Abréviation de Florida, l’Etat de Floride. 3/ Balmy Le terme évoque l’effet apaisant d’un baume (balm) et, dans ce contexte, la douceur de l’après-midi. 4/ Fit To fit, “être intégré, s’intégrer”. 5/ Bearing surprising similarities “Comporter d’étonnantes similitudes”. 6/ Professionals Ce terme désigne les professions libérales. 7/ Trend “Tendance, courant”. 8/ Imprint “Marque, empreinte”. 9/ A heritage that was denied to them “Un héritage dont ils ont été privés, qui leur a été refusé”. 10/ Spawned Le sens premier de ce verbe fait référence au processus de reproduction chez les poissons ; dans son emploi figuré, il est souvent rendu en français par “donner naissance, engendrer”. Today there is a growing demand for books in Spanish, including the Koran, Mr. Musri says. The mosque offers a Spanish-language education program in Islam for women on Saturdays. “I could easily see in the next few years a mosque that will have Spanish services and a Hispanic imam who will be leading the service,” he says. The two groups tend to be familyoriented, religious, and historically conservative politically, Dr. Bagby says. The two groups also share an interest in social issues such as immigration, poverty, and healthcare. Earlier this year Muslims joined Hispanics in marches nationwide protesting immigration-reform proposals they felt were unfair. The trend is a sign that Islam is becoming more Americanized, Bagby says. As Republican positions on issues such as immigration push Muslim Hispanics in a less conservative direction, Islam could move in the same direction. Muslim Hispanic involvement in American politics could demonstrate to Muslims worldwide the virtues of democracy, eventually/11 softening fundamentalists. “The more Hispanics and other Americans [who] become Muslim, the stronger and wider the bridge between the Muslim community and the general larger American community,” Bagby says. 11/ Eventually Faux ami notoire : “à terme, en définitive”. CHRONIQUE “Lost in translation”, ou comment identifier les références culturelles Le langage de la presse est truffé d’allusions au cinéma, à la pub, aux contes et légendes. Limpides pour le lecteur natif, elles le sont nettement moins pour un étranger. côté des emprunts à la tradition culturelle gréco-latine (voir notre précédente chronique), on trouve un ensemble de références aux productions culturelles autochtones, qui circulent peu d’une sphère linguistique à l’autre. Leur circulation est toutefois facilitée par la pratique actuelle des distributeurs de films américains consistant à les commercialiser sous leur titre original. Le lecteur français d’un éditorial du Times (23 septembre 2006) traitant de l’homologation de l’irlandais en tant que langue officielle de l’Union européenne – la vingt et unième – aura pu ainsi apprécier instantanément le clin d’œil du titre : “Lost in Translation”. Mais il s’agit là d’un cas exceptionnel. Les arts du spectacle, et plus particulièrement le cinéma, offrent un vivier de références, souvent anciennes, qui se sont en quelque sorte fondues dans l’usage. Lorsque The Daily Telegraph (7 septembre 2006) titre “High Noon at N°10 fails to end the crisis”, A il fait référence au film High Noon (1952) de Fred Zinnemann, connu en France sous le titre Le train sifflera trois fois, mais c’est davantage le signifié – l’affrontement – que le signifiant (le titre du film) qui importe ici. es emprunts à la production cinématographique ou discographique et aux campagnes publicitaires connaissent des fortunes diverses, tributaires du goût du temps. On s’explique mal, par exemple, la vogue actuelle d’une réplique extraite du film de Michael Curtiz Casablanca – “round up the usual suspects”. Cette phrase apparemment anodine prononcée par le capitaine Renaud est aujourd’hui passée à la postérité, au point que l’économiste Jean-Paul Fitoussi écrivait dans Le Monde (23 septembre 2004), en évoquant les réticences à embaucher des chefs d’entreprise : “On peut alors convoquer deux ‘suspects habituels’ pour justifier ce comportement”, désignant par là les deux facteurs traditionnellement allégués. Les références peuvent provenir d’un fonds beaucoup plus ancien, celui des contes et légendes. Le joueur de flûte de Hamelin apparaît par exemple au détour d’une lecture de L COURRIER INTERNATIONAL N° 831 The Economist (23 septembre 2006), qui consacre à Jack Ma, le pionnier de l’e-commerce en Chine, un article intitulé : “China’s pied piper”. Il est fait ici allusion au pouvoir d’attraction du jeune homme d’affaires chinois, analogue à celui du joueur de flûte (piper) revêtu de sa traditionnelle tenue bariolée (pied). Les références à Rip Van Winkle, personnage créé par l’Américain Washington Irving (Sketch Book, 1819), sont assurées d’un pouvoir d’évocation identique. L’extrait suivant d’un discours, déjà ancien, du directeur du National Economic Development Office (instance de prévision économique britannique aujourd’hui disparue), où Rip Van Winkle fait phrase commune avec le Prince Grenouille et la Belle au bois dormant, retient l’attention : “The British economy is not a frog prince to be transmogrified by a kiss or a cold bath. It is a Rip Van Winkle needing massage in every limb.” Le héros de Washington Irving se réveille après vingt ans de sommeil après l’ingestion d’un breuvage. Précurseur d’Hibernatus, Rip symbolise l’amnésie et le décalage par rapport à la réalité. D’autres spécificités culturelles plus locales peuvent également nourrir l’inspiration des 50 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 journalistes. Dans ses pages sportives, The Guardian (12 septembre 2006) consacrait un article au projet de création d’une “académie” de football, sur le modèle du centre de Clairefontaine, dans la ville de Burton-onthe-Trent, près de Birmingham. Le titre de l’article – “Fears grow that academy will go for a Burton” – reste hermétique si l’on ignore que ladite ville est célèbre pour sa bière et que, pendant la Seconde Guerre mondiale, les pilotes de la RAF évoquaient sobrement la disparition de l’un des leurs par la formule “He’s gone for a Burton” (“il est allé s’en jeter une”). Il s’ensuit que le titre du Guardian exprime la crainte de voir ce projet condamné, crainte qui aurait pu tout aussi bien être rendue par l’expression “to see the writing on the wall”, d’origine biblique, couramment employée par la presse de langue anglaise. atrimoine lexical constamment enrichi, le fonds de références culturelles auquel s’alimente le discours de presse anglais ne peut être exploré par le lecteur étranger sans outils fiables. A cet égard, le plus utile reste le Brewer’s Dictionary of Phrase and Fable. P Jean-Claude Sergeant 49-52 courrier english 3/10/06 10:58 Page 51 in English JOB MARKET Hungry Workers, Tied to Desks/1, Clicking to Get Culinary Delights Jennifer 8. Lee THE NEW YORK TIMES (excerpts) New York very weekday, when they are hungry, thousands of the most highly paid workers in New York City will/2 log on to the same Web site. Finding food while they work requires just a few clicks of the mouse. Few of those employees will ever see the bill when their food is delivered. Instead, their orders are processed/3, and billed/4 to their employers, through a single company: SeamlessWeb. SeamlessWeb may be little known outside the high-powered business world. But it has instant name recognition with almost any elite corporate E lawyer/5, investment banker or management consultant in the city. At hundreds of firms, a SeamlessWeb log-on has joined the company ID/6 and the e-mail address as de rigueur accouterments/7 for the new hire/8. Like the BlackBerry that keeps employees in touch with the office, or the black Town Car that takes them home after hours/9, SeamlessWeb is a symbol of the heavy time commitment demanded/10 by many of New York’s professional service firms. For employers, it is another reward meant to influence employee behavior: give 5/ Corporate lawyer Juriste attaché à une entreprise ou avocat spécialiste du droit des affaires. 6/ ID Abréviation de identity. 7/ Accouterments Graphie américaine de 1/ Tied to desks Littéralement,“attachés à leur bureau” ; au sens figuré, “rivés à leur bureau”. 2/ Will Il ne s’agit pas ici de l’auxiliaire du futur mais du marqueur de réitération traduisant le caractère récurrent d’une action. 3/ Processed “Traité(s)”. 4/ Billed A bill est une addition (au restaurant, par exemple), une facture. accoutrements, terme qui désigne l’ensemble des éléments composant une tenue spécifique, au sens propre ou figuré. 8/ Hire Dans l’usage américain, ce terme désigne une personne qui vient d’être recrutée. 9/ After hours C’est-à-dire après l’arrêt des transports en commun. 10/ Demanded Faux-ami classique : “exigé”. us almost all of your time and we will pamper/11 you. SeamlessWeb and its clients say it benefits everyone involved, which is why it has been so successful: it processed $81 million in food and other deliveries last year and has 1,000 corporate clients in 14 cities. Brian Wong, a 27-year-old financial analyst who said he works 14-hour days, estimates that SeamlessWeb saves him at least five minutes a day, because he doesn’t have to dial a phone number or fumble/12 for money to pay the deliveryman. “If you multiply that by the number of days in a year you work, about 300, that’s 1,500 minutes, which is 25 hours a year,” Mr.Wong said. “You could be more aggressive, and say it saves you 10 minutes a day.That’s 50 hours a year — that’s a workweek.” More than a few of SeamlessWeb’s client firms are housed in buildings with gyms, salons, dentists, salons and florist shops, so there is little excuse for employees to leave the building (and by extension, their desks) for a significant period. At some top law firms messengers/13 go down to the lobby/14 to retrieve/15 the delivered meals. Indeed, there are employees who order their cans of Diet Coke through SeamlessWeb instead of getting up to walk down the hall and drop change into a vending machine. Mr. Wong estimates that he spends 90 percent of his day at his desk, which is why he tries to order healthy meals. “You feel guilty that you are treating your body so badly, so it’s the least that you can do.” 11/ To pamper “Choyer, dorloter”. On comprend mieux la valeur symbolique du nom de la célèbre marque de couches pour bébés. 12/ To fumble Le verbe to fumble signifie “rechercher quelque chose un peu au hasard, farfouiller”. Ici, l’expression “fouiller dans sa poche” pourrait faire l’affaire. 13/ Messengers Dans l’ancien vocabulaire de la banque, il s’agit des “coursiers”, des “grouillots”. 14/ Lobby Le terme désigne, dans un bâtiment non ouvert au public, le lieu où celui-ci est autorisé à pénétrer. Il peut s’agir d’un hall, d’une salle des pas perdus, etc. 15/ To retrieve “Récupérer”. COURRIER INTERNATIONAL N° 831 51 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 Retrouvez la traduction de l’article page 54 49-52 courrier english in 3/10/06 11:30 Page 52 English Santa Fe T R AV E L Santa Fe, with nary/1 a cow’s skull in sight Diverse contemporary works find a welcome home in the second-largest art market in the nation. Mimi Avins Santa Fe’s finest galleries ■ Gerald Peters Gallery, 1011 Paseo de Peralta; (505) 954-5700, www.gpgallery.com. Classic Western Art, Taos Society and Santa Fe Art Colony, Georgia O’Keeffe. Linda Durham Contemporary Art, 1101 Paseo de Peralta; (505) 4666600, www.lindadurham.com. An avant-garde gallery with paintings, sculpture and mixed media by New Mexico artists. Box Gallery, 1611-A Paseo de Peralta; (505) 989-4897, www.boxgallerysf.com. Emerging New Mexico artists. Retrouvez la traduction de l’article sur le site courrierinternational.com LOS ANGELES TIMES (excerpts) Los Angeles any a/2 roadside sign boasts/3 of a locale’s special quality: the best river walk in the country, the most scenic village in the Berkshires. So if those unfamiliar with the abundance of art in Santa Fe heard that it is the second-largest art market in the U.S. (after New York), they might dismiss/4 the description as the hyperbole of local boosters/5. They would be wrong. There isn’t just a lot of art in Santa Fe; there is important art.Who would think a trove/6 of museum-quality, 20th century Abstract Expressionist paintings would be displayed behind the adobe/7 facade of a former supermarket? Such discoveries were the reward for leaving Santa Monica, to spend a three-day weekend in July tracking the art scene in New Mexico’s capital, a city that has been a cultural center for more than a century. For anyone easily overwhelmed/8, the quantity of art in Santa Fe could be a problem. I knew there would be no way/9 to get to the more than 200 galleries and dozen museums. And I hadn’t anticipated how energysapped/10 I would feel my first day. Flatlanders often need time to adjust to the 7,000-foot altitude. Focus was my salvation. I concentrated on contemporary art, which in the last 10 years has exploded here, taking its place beside or even eclipsing the regional and Western paintings and sculpture commonly associated with Santa Fe. For a long time, Santa Fe’s galleries were concentrated around the Plaza at the center of town or along M 1/ Nary Forme dialectale signifiant not a. 2/ Many a Maniérisme journalistique pour LOS ANGELES TIMES 851 500 ex., Etats-Unis, quotidien. Cinq cents grammes de papier par numéro, 2 kilos le dimanche, une vingtaine de prix Pulitzer : c'est le géant de la côte Ouest. Créé en 1881, il est le plus à gauche des quotidiens à fort tirage du pays. désigner la pluralité : “maint”. 3/ To boast Equivalent de to brag (se vanter), à ceci près que to boast admet des sujets animés et non animés. 4/ To dismiss Dans le contexte, “récuser, refuser de prendre en compte”. 5/ Boosters Ceux qui sont chargés de faire la promotion. 6/ Trove Au sens premier, ce que l’on trouve et qui n’appartient à personne, et notamment, un trésor que l’on met au jour. 7/ Adobe Mot espagnol d’origine arabe désignant des briques d’argile crue séchée au soleil, très employées comme matériau de construction au Nouveau-Mexique. 8/ Overwhelmed Evoque le fait d’être submergé par une émotion ou, plus littéralement, d’être dominé par un ennemi supérieur en nombre. Ici, c’est le fait d’être rapidement saturé par ce que l’on voit. 9/ No way Equivalent d’impossible. 10/ Energy-sapped Le verbe to sap, proche du français “saper”, évoque un processus de destruction. La journaliste veut tout bonnement décrire son état d’épuisement. Andre Jenny/Alamy Comme beaucoup d’autres bâtiments de Santa Fe, le musée des Beaux-Arts est construit en adobe, matériau typique du Nouveau-Mexique. Canyon Road, a winding/11 street of adobe homes originally built by starving artists.The new, adventurous arts district is the Railyard, a mile south of the Plaza. Several galleries have sprung up there, some opening as recently as July. Their anchor is SITE Santa Fe, a cutting-edge/12 exhibit space in a former beer warehouse/13. Host of the only international biennial in the U.S., SITE Santa Fe is so highly regarded in the art world that three of the five curators/14 who have overseen/15 it have gone on to curate/16 the Venice Biennale. SITE’s Sixth International Biennial, which runs through January, attracts collectors and the sort of artloving nomads who travel the world to survey the latest in conceptual works. Artists from the East and Midwest first began visiting New Mexico in the late 19th century, drawn/17 by its dramatic/18 landscape, rich multicultural heritage and a social climate tolerant of artistic types.The six founders of the Taos Society of Artists, individuals with established reputations in other cities, banded together/19 in 1915 in a mountain village 70 miles north of Santa Fe. The Santa Fe Art Colony came together/20 shortly thereafter and blossomed/21 after the Museum of Fine Arts was founded in 1917. The museum, 11/ Winding “Sinueuse, tortueuse”. 12/ Cutting-edge Terme très en vogue qui qualifie un objet, un processus à la pointe de la modernité. 13/ Warehouse “Entrepôt”. 14/ Curator “Conservateur (d’un musée), commissaire (d’une exposition)”. 15/ Overseen To oversee signifie “surveiller”, et, par extension, “diriger”. 16/ To curate “Etre chargé de l’organisation et de la gestion d’une exposition”. 17/ Drawn “Etre attiré par…”. 18/ Dramatic Faux-ami notoire ; “spectaculaire, hors du commun”. 19/ Banded together A band désigne un groupe d’individus très soudés. 20/ Came together Littéralement, “a pris corps, s’est matérialisé”. COURRIER INTERNATIONAL N° 831 52 which still borders the lively Plaza, welcomed newcomers with free studio/22 space and organized group shows of their work. In the 1920s, some of the tuberculosis patients in residence at Santa Fe’s well-known sanatoriums were ar tists, and many other s were affluent/23 and intellectual.With the addition of wealthy people from Texas, Oklahoma, Arizona and Kansas who came to town to escape the summer heat, the elements of a patronage/24 society were in place. Although the art colony members maintained friendships for decades, their styles were so diverse that no single Santa Fe school developed. Most of the painters in the group produced representational works with varying degrees of Cubist, Impressionist, Modernist or Abstract influences.Were they regional artists? Southwestern? Western? After all, how to categorize Georgia O’Keeffe? At one time, she was a contemporary artist. Now she is considered one of the greatest American painters of the last century. O’Keeffe began spending summers in Santa Fe in 1929 and moved nearby in 1940. It takes nothing away from her talent to say the reclusive O’Keeffe had a mystique, which both benefited Santa Fe and was fed by it. “Tourists come here now just to see O’Keeffe,” says gallery owner Nat Owings. And doing so enriches the visit. Like some modern art and hardedged/25 contemporary architecture, 21/ Blossomed Référence à la floraison des arbres et des plantes. Au sens figuré, le verbe évoque l’épanouissement, la pleine maturité d’un projet, d’une action. 22/ Studio “Atelier d’artiste”. 23/ Affluent Qui est à l’aise financièrement, pour ne pas dire riche. 24/ Patronage A l’origine, a patron désignait le protecteur d’un artiste. En anglais contemporain, le terme patrons évoque ceux qui fréquentent une salle de spectacle ou qui assistent à un spectacle. DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 the New Mexican landscape isn’t instantly accessible. At first, a hardscrabble/26 field dotted/27 by boulders/28 and pierced by prickly shrubs does not evoke the same romantic response as a lush green/29 meadow dusted/30 with wildflowers. But looking at the countryside after seeing it through O’Keeffe’s eyes alters the view. Suddenly, the colors and shapes of the desert and its stubborn/31 vegetation are all the more seductive for/32 the subtlety of their harsh beauty. The Museum of Fine Arts has 10 O’Keeffe paintings in its permanent collection. The Georgia O’Keeffe Museum, founded in 1997, rotates 130 of the artist’s works.You would also find some at the Gerald Peters Gallery, her main outlet/33 from 1976 to her death in 1986. Peters still deals in O’Keeffes, but the volume isn’t close to what it was in the late ’80s, when he owned or controlled 80 of her works. “At that time, $1 million was a lot for a major picture.” The last O’Keeffe sold at auction/34 in 2001 went for $6.6 million. Today, the gold standard//35 in Western art – the Remingtons, Russells and Taos and Santa Fe masters – is expensive and rarely on the market. In the most sophisticated galleries, living artists who treat now-cliched/36 subjects – adobes, desert scenes, coyotes and Indians on horseback – in traditional ways are dismissed as derivative. Neither the Gerald Peters Gallery nor the Owings-Dewey Fine Art gallery, which sits on the second floor of a historic building on the Plaza, sells such contemporary Western art. Beyond categories, many gallery owners follow the principle that good art is good art. “We have everything from Gilbert Stuart to Jackson Pollock, with some Agnes Martin and Georgia O’Keeffe thrown in/37,” Gerald Peters says. 25/ Hard-edged “Intransigeant, sans concession”. 26/ Hardscrabble Terme américain désignant une terre aride, impropre à la culture. 27/ Dotted “Parsemé”. 28/ Boulders “Rochers, amas de roches”. 29/ Lush green Lush évoque une végétation luxuriante.“Verdoyant” suffirait dans le contexte. 30/ Lusted Le terme s’oppose à dotted. Alors que la présence des rochers s’affirme, les fleurs des champs forment un tapis diffus comme l’est la poussière (dust). 31/ Stubborn “Opiniâtre, obstiné(e)”. 32/ All the more [seductive] for “D’autant plus […] que”. 33/ Outlet Le terme désigne un exutoire, un débouché (commercial). Ici, il s’agit davantage du lieu où l’artiste est en contact avec le public et vend ses œuvres. 34/ Auction “Vente aux enchères”. 35/ Gold standard “Etalon or”, c’est-à-dire, dans le contexte, la “référence”. 36/ Now-cliched Thèmes rebattus qui sont devenus des clichés. 37/ Thrown in “En prime, par-dessus le marché”. *831p53 2/10/06 17:13 Page 53 économie ■ économie Les salariés russes redécouvrent les vertus du rouble p. 54 ■ écologie A Stockholm, le péage modulable s’impose p. 56 ■ multimédia Internet brouille l’avenir de la radio p. 57 i n t e l l i g e n c e s Le Japon redonne la priorité à la qualité INDUSTRIE Face à la multiplication des défauts de leurs produits, les entreprises nipponnes remettent au goût du jour les cercles de qualité sans les nommer. ■ NIHON KEIZAI SHIMBUN Tokyo ace à la centaine de plaintes et de questions émanant des utilisateurs, les responsables de NTT Docomo étaient quelque peu désorientés. “Lors des tests, il n’y avait pourtant aucun problème…”, affirmentils. Le problème provient des services de communication itinérante, permettant d’utiliser le téléphone portable Docomo à l’étranger. Plusieurs appareils mis en vente depuis avril dernier ont subitement cessé de fonctionner dans une partie des Etats-Unis entre mai et juillet. Le mobile identifiait comme “accès illégal” les signaux transmis par le réseau local avec lequel travaillait Docomo. Le problème était dû au logiciel d’identification. Les progrès de la numérisation peuvent constituer un piège pour les entreprises japonaises qui cherchent à préserver leur compétitivité dans la technologie de pointe. Ainsi, en juillet, des téléphones portables fabriqués par Sharp sont bloqués quand l’usager a composé des courriels contenant certains mots. Comme il ne s’agissait pas de combinaisons de caractères japonais fréquemment utilisées, Sharp n’a pas été obligé de rappeler les produits. Il n’empêche que le défaut a concerné plus de 10 millions d’appareils. L’apparition incessante de nouveaux services rend les portables de plus en plus sophistiqués. Le volume des logiciels intégrés “a plus que décuplé en l’espace de quelques années”, constate un fabricant. Les services d’itinérance internationale couvrent déjà 142 pays et régions, tandis que les combinaisons de lettres saisies sont devenues infinies. Il est “pratiquement impossible” de tester toutes les opérations possibles, explique un responsable de Docomo. Depuis que Toyota a fait rappeler plusieurs véhicules dans ses ateliers, l’automobile est à nouveau sur la sellette. Dans l’ensemble du secteur, les incidents se sont multipliés ces derniers temps. Pour la seule année 2005, 5,66 millions de véhicules ont été concernés, soit 2,4 fois plus qu’il y a cinq ans. Un chiffre quasi équivalent au nombre de modèles neufs vendus. D’après une analyse du ministère de l’Aménagement du territoire et des Transports, 70 % des rappels (pour l’exercice 2004) étaient liés à des problèmes de conception. Dans la mesure où la conception assistée par ordinateur est devenue monnaie courante dans l’industrie, les constructeurs ne p e u ve n t p l u s c o m p t e r s u r “les défaillances qui apparaissaient dans le processus classique de conception d’une automobile”, regrette un directeur de Toyota. Pour le bureau des rappels du F i n t e l l i ge n c e s ● Dessin de Tekening Milo paru dans NRC Handelsblad, Rotterdam. ■ Economies “Les pressions excessives exercées sur la production pour réduire les coûts sont l’un des facteurs de la baisse de qualité constatée au Japon”, estime le Yomiuri Shimbun. Le Pr Hisayoshi Hashimoto, de l’Institut universitaire national d’études politiques (GRIPS), cité par le quotidien, met en cause les réductions d’effectifs dans les usines. D’après lui, les travailleurs sont tellement occupés qu’”ils ne sont peutêtre plus capables d’accorder autant d’attention à la qualité que par le passé”. COURRIER INTERNATIONAL N° 831 53 ministère de l’Aménagement du territoire, “une des causes principales de cette inflation des rappels incombe à la sophistication des techniques”. Le 14 août dernier, une gigantesque panne d’électricité a paralysé la région de Tokyo, privant de courant 1,4 million de foyers et de bureaux. La situation est redevenue quasi normale au bout d’une heure, mais, dans certaines parties de la région, l’électricité n’a été rétablie qu’environ quatre heures plus tard. L’erreur de la Tokyo Electric Power provenait de son système de distribution automatique d’électricité. Dans la région de Tokyo, quelque 100 000 disjoncteurs sont installés sur les lignes haute tension à quelques centaines de mètres d’intervalle et commandés à distance par ordinateur. La majorité des appareils qui ont disjoncté lors de l’incident ont pu être remis en marche en peu de temps grâce à ce système, mais une défaillance du dispositif de commande a perturbé le retour à la normale de 19 d’entre eux. DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 Reste à savoir comment les entreprises peuvent réagir à l’augmentation de tous ces problèmes liés à la sophistication technique. Dans ses voitures hybrides (équipées d’un moteur à essence et d’un moteur électrique), Honda a choisi de poursuivre l’installation d’un petit moteur électrique supplémentaire pour faire démarrer le moteur à essence en cas de besoin. En règle générale, le moteur électrique principal assure le démarrage. Il n’est donc pas utile de recourir à un moteur d’appoint si le logiciel informatique de la voiture fonctionne correctement. Mais, “dans certaines régions froides, si le moteur à essence ne démarre pas, cela peut mettre en danger des vies humaines”, précise Fukuo Koichi, un des responsables du modèle chez Honda. L’installation de ce petit moteur d’appoint, bien qu’il soit peut-être inutile, symbolise la dépendance des constructeurs vis-à-vis des logiciels informatiques. Au cours de l’exercice 2005, qui s’est clôturé en mars dernier, JVC a enregistré des pertes nettes de 240 millions d’euros en raison notamment d’une défaillance dans le système de programmation de ses lecteurs-enregistreurs de DVD. Plus de 50 techniciens ont été chargés d’évaluer parmi toutes les gammes de produits les schémas des appareils réalisés par des responsables de la conception. Le fabricant tente ainsi de renforcer les contrôles et multiplie les points de vue afin de prévenir les défaillances. Devant la montée en puissance de la Chine et de l’Inde, le Japon n’a pas d’autre choix que de créer des produits à forte valeur ajoutée. Mais si la sécurité et la qualité sont négligées, il risque de se discréditer. Pour assurer son avenir industriel, le Japon doit poursuivre ses efforts dans le domaine de la qualité, sans négliger ce qui paraît, à première vue, inutile ou redondant. ■ 831 p54 économie/2 2/10/06 17:38 Page 54 économie Les salariés russes redécouvrent les vertus du rouble MONNAIE De 31 roubles en moyenne. Parfois, un cours individuel est même établi. Celui-ci correspond au cours officiel de la Banque centrale de Russie en vigueur le jour de l’embauche du salarié. Le plus simple serait de changer de pratique et de payer les gens directement en roubles. Pourtant, très peu de patrons semblent y penser, bien que cela ne présente aucune difficulté technique. Ce serait même plus simple, dans la mesure où la comptabilité pour le fisc se fait forcément en roubles. En réalité, tout est affaire de mentalités. Les dirigeants, comme les salariés, sont tellement habitués à compter en dollars qu’ils ne peuvent pas imaginer changer de système. Mais, à vrai dire, cela concerne essentiellement Moscou. En province, les salaires sont souvent versés en roubles, et les salariés n’ont pas à se préoccuper du cours du change. Seule l’inflation leur pose des problèmes. En 2006, elle atteindra au moins 9 %. Oleg Mitiaev ■ nombreux Moscovites sont encore payés en dollars. Mais le billet vert s’est fortement déprécié, ce qui a entraîné une chute de leur pouvoir d’achat. IZVESTIA (extraits) Moscou C billet vert ne regagnera pas de terrain par rapport au rouble. Bien au contraire, de hauts responsables évoquent des perspectives affligeantes pour les Russes payés en dollars, laissant entendre que le cours du dollar pourrait tomber à 25, voire à 22 roubles. LES SOCIÉTÉS ÉTRANGÈRES ONT CHOISI L’EURO Les choses se passent mieux pour les salariés des sociétés étrangères, car celles-ci ont saisi l’importance de stimuler leur personnel. Les filiales d’entreprises occidentales implantées en Russie ont été nombreuses à décider de régler les salaires en euros et non plus en dollars. Cette mesure a été adoptée en 2006 par 9 % des em- Samedi 7 octobre Gaz et électricité, l’addition s’il vous plaît ! On fusionne le gaz, on privatise l’électricité : c’est l’ouverture à la conccurrence ! Autant de mots qui créent des maux, mais quid de la réalité quand on sait que le prix du gaz est indexé sur celui du pétrole et que l’électricité est produite en majeure partie avec du gaz, ou du charbon, ou du nucléaire. LE BILLET VERT PERD DU TERRAIN Devise choisie par les sociétés russes pour payer leur personnel (en % des entreprises) 57 56 43 53 42 41 53 DOLLAR ROUBLE 41 EURO 2 2003 2004 6 6 2005 2006 Sources : ANKOR, “Izvestia” Le déjeuner, quelle perte de temps ! retrouvez JoséManuel Lamarque, et Gian Paolo Accardo, de Un rendez-vous citoyen et solidaire pour mieux comprendre le quotidien des 25 Etats membres. Dessin de Mikhaïl Serebriakov paru dans Moskovskié Novosti, Moscou. la vie en boîte Tous les samedis Courrier international, dans TRANSEUROPÉENNE à 19 h 32 sur France Inter. ployeurs. Il est à noter que même les sociétés américaines ont suivi le mouvement. Elles ont préféré conserver leurs salariés plutôt que faire preuve de patriotisme. Certaines entreprises ont pris une autre option, définissant leur propre cours du dollar, bien différent de celui du marché. Le cuisinier d’un restaurant géorgien de Moscou m’a ainsi confié que, pendant longtemps, son patron n’avait pas modifié le cours du dollar utilisé pour calculer le salaire du personnel. Jusqu’à cette année, il était resté à 24 roubles, son niveau de 1998. Mais, il y a quelques mois, il a finalement dû le porter à 30 roubles. C’est la solution la plus répandue, puisque 25 % des sociétés l’ont adoptée, fixant leurs cours à haque jour de semaine, quand ils ont faim, des milliers de New-Yorkais parmi les mieux payés se connectent sur le même site web. Pour trouver à manger sans cesser de travailler, il leur suffit de quelques clics. La plupart de ces salariés ne voient même pas la facture quand leur repas leur est livré : la commande est traitée, puis facturée à leur employeur par une seule et même entreprise, SeamlessWeb. En dehors de l’élite du monde des affaires, rares sont ceux qui en ont entendu parler. Mais tous les grands cabinets d’avocats d’affaires, banques d’investissement et sociétés de conseil en gestion de la ville connaissent ce nom. Dans des centaines de ces entreprises, le mot de passe SeamlessWeb fait désormais partie de la panoplie du nouvel embauché, au même titre que le badge d’accès et l’adresse électronique. Comme l’ordinateur de poche BlackBerr y, qui permet C aux salariés de rester en contact avec leur bureau, ou la Town Car [grosse berline Ford], qui les ramène chez eux quand ils ont travaillé jusqu’à une heure tardive, SeamlessWeb illustre la grande disponibilité horaire exigée par beaucoup de sociétés new-yorkaises. Pour les employeurs, c’est une façon de plus d’inciter les salariés à travailler davantage : consacrez-nous l’essentiel de votre temps et vous serez choyés. A en croire SeamlessWeb et ses clients, tout le monde y gagne, ce qui explique le remarquable succès du site : l’an dernier, la société a traité l’équivalent de 81 millions de dollars de repas et elle compte à ce jour 1 000 entreprises clientes dans 14 villes. COURRIER INTERNATIONAL N° 831 54 Brian Wong, un analyste financier de 27 ans qui dit faire des journées de 14 heures, estime que SeamlessWeb lui fait gagner au moins 5 minutes par jour, puisqu’il n’a pas besoin de composer un numéro de téléphone ni de fouiller dans ses poches pour trouver de quoi payer le livreur. “Multipliez ça par le nombre de jours travaillés dans l’année, soit à peu près 300, et ça fait 1 500 minutes, soit 25 heures par an, explique-t-il. En comptant large, disons que cela fait économiser 10 minutes par jour. Ça fait 50 heures par an – une semaine de travail.” Beaucoup des entreprises clientes de SeamlessWeb sont installées dans des immeubles dotés de salles de gym, DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 de salons de coiffure ou de massage, de cabinets de dentistes et de fleuristes. Les salariés n’ont que peu de raisons de s’absenter longtemps de l’immeuble (et donc de leur bureau). Dans certains grands cabinets d’avocats, ce sont même des coursiers qui descendent à la réception pour récupérer les plateaux-repas. Et certains salariés commandent leurs canettes de Coca light via SeamlessWeb pour ne pas avoir à se déplacer jusqu’au distributeur de boissons et à y glisser des pièces. Selon ses calculs, Brian Wong passe 90 % de sa journée à son bureau. C’est pourquoi il s’efforce de commander des repas diététiques. “On se sent coupable de traiter si mal son organisme. Alors, c’est bien le moins qu’on puisse faire.” Jennifer 8. Lee, The New York Times (extraits), Etats-Unis Dessin d’ Ares paru dans Juventud Rebelde, La Havane. CagleCar toons ombien gagnez-vous ? En Russie, c’est une question à laquelle il est difficile de répondre. En 2003, avec un salaire mensuel de 1 000 dollars, on gagnait trois fois plus qu’avec 1 000 dollars d’aujourd’hui. Si on est payé en roubles, la situation est un peu meilleure. En trois ans, l’inflation a presque divisé par deux les revenus réels. L’arithmétique des salaires est d’une simplicité enfantine. L’inflation cumulée de ces trois dernières années s’est élevée à 47,3 %, tandis qu’au cours de la même période le cours du dollar a baissé de 32 à 27 roubles, voire moins. Les salariés engagés début 2003 avec un salaire de 1 000 dollars ont donc perdu 65,6 % de leur pouvoir d’achat. En Russie, 40 % des sociétés continuent à fixer les salaires en dollars, avec un cours maison souvent très inférieur à celui de 2003. Les spécialistes sont persuadés qu’une réforme est indispensable. Il est évident que le 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 831p56 2/10/06 17:13 Page 56 écologie i n t e l l i g e n c e s ● A Stockholm, le péage modulable s’impose POLLUTION Un ■ système de péage à tarifs variables a réussi à fluidifier la circulation de la capitale suédoise aux heures de pointe. Il pourrait devenir un modèle pour de nombreuses métropoles. THE WALL STREET JOURNAL New York u cours du premier semestre 2006, Sören Åströin, cadre d’une agence de publicité à Stockholm, a travaillé plus tard que d’habitude. Ainsi le soir, il ne rentrait chez lui qu’après 18 h 30. Ce n’était pas son patron qui l’enchaînait à son bureau, mais une façon d’échapper au péage imposé aux automobilistes circulant en ville aux heures de pointe. Entre janvier et juillet 2006, la municipalité de Stockholm a mis au banc d’essai l’un des systèmes de contrôle de la circulation les plus complexes au monde, dans le cadre d’un programme visant à désengorger le centre-ville, réduire A les niveaux de smog et améliorer la qualité de vie en milieu urbain. Contrairement à la plupart des solutions mises en place dans des villes comme Londres et Rome, la capitale suédoise a testé une technique à péage variable, le tarif étant déterminé en fonction de l’heure de la journée et des zones de fréquentation. Ainsi, pour quitter le centre-ville à l’heure de sortie des bureaux, entre 16 heures et 17 h 30, M. Åströin aurait dû payer l’équivalent de 2,15 euros ; en attendant 18 h 30 pour reprendre sa voiture, il roulait gratuitement. “Les gens ont modifié leurs habitudes”, assure-t-il. Ce projet n’est en fait rien moins qu’une expérience grandeur nature de contrôle des comportements destinée Dessin de Sergueï Iolkine paru dans les Izvestia, Moscou. COURRIER INTERNATIONAL N° 831 56 à réguler plus efficacement le trafic pendant la journée et à engager davantage d’usagers à emprunter les transports publics. Cette approche, surnommée la “taxe d’embouteillage”, a retenu l’attention dès les années 1950, à travers les travaux de l’économiste William Vickery, prix Nobel d’économie. Sa théorie impliquait qu’en imposant une pénalité aux automobilistes roulant aux heures de pointe, on les inciterait à changer leurs habitudes. Dans la mesure où une diminution du nombre de véhicules en circulation, aussi minime soit-elle, peut avoir un impact considérable sur la fluidité du trafic, les économistes pensaient qu’un péage pourrait venir à bout des plus gros engorgements. Le projet de Stockholm est une expérience démocratique autant que technologique. L’un de ses éléments clés, expliquent les urbanistes, est la façon dont la municipalité a réussi à rallier les automobilistes à son programme. A l’issue de la période d’essai, la mairie a organisé, le 18 septembre, un référendum pour permettre aux citadins de se prononcer sur le maintien du système. Ce dernier a été approuvé par 53 % des votants. [La droite, qui a remporté les élections législatives, et avait fait campagne contre le projet, a annoncé qu’elle allait quand même le mettre en place]. Des urbanistes et des responsables municipaux de Bangkok et de New York sont venus à Stockholm pendant la période d’essai pour étudier des façons d’adapter ce plan à leurs propres villes. Réduire les embouteillages est l’un des grands puzzles des sciences physiques et économiques, que la théorie ne peut suffire à résoudre. Le temps que perdent les usagers bloqués dans les bouchons est en premier lieu une perte sèche pour la productivité économique. “Nous aimerions beaucoup mettre en place un projet expérimental comparable à celui de Stockholm aux Etats-Unis”, explique Tony Duvall, secrétaire adjoint chargé de la politique au ministère des Transports américain. Le choix d’un référendum pourrait, selon lui, contribuer à surmonter l’un des principaux obstacles à l’adoption d’un programme de ce type aux EtatsUnis, où une augmentation des tarifs des péages est perçue comme une mesure politiquement maladroite. “Je pense toutefois que les usagers seraient prêts à payer davantage s’ils constataient que cela réduit significativement les encombrements et améliore leur qualité de vie”, estime-t-il. Pendant la période d’essai, la municipalité de Stockholm a analysé l’impact du système sur la qualité de l’air, le stationnement et la fréquentation des autobus. Les résultats ont mis en évidence une baisse du trafic de 22 % à l’intérieur du périmètre payant et une diminution de 5 % à 10 % des accidents corporels dans les rues de la capitale. Les émissions de gaz d’échappement, et notamment le dioxyde de carbone et les particules en suspension, ont par ailleurs été réduites de 14 % dans la ville intra-muros, et de 2 % à 3 % dans toute l’agglomération. DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 Le grand Stockholm compte moins de 2 millions d’habitants. Il est composé d’un archipel d’îles reliées par plusieurs ponts, avec une seule artère périphérique. Cette configuration rend la zone centrale vulnérable aux embouteillages, malgré un système de transports publics très développé. Avant l’essai, il fallait au moins trois fois plus de temps pour se rendre dans le centre-ville à l’heure de pointe du matin que pendant les autres périodes de la journée. Fin juillet, à la même heure, le trajet ne prenait plus que deux fois plus de temps. Le test de Stockholm a également permis de mieux cerner une question épineuse propre à ce type de programme : comment inciter les usagers à renoncer à leur voiture pour emprunter les transports en commun ? Avant de lancer son péage urbain, Stockholm a consacré 180 millions de dollars [142 millions d’euros] à l’amélioration de son offre de transports publics. La municipalité a mis en circulation quelque 200 nouveaux autobus, ajouté des trains et des liaisons d’autocars rapides aux heures de pointe et ouvert des parkings autour de la ville. Ces initiatives n’ont pas eu d’impact significatif sur le nombre d’usagers des transports en commun. Au printemps 2006, on enregistrait pourtant une hausse de 6 % de la fréquentation globale des transports publics et de 9 % de celle des liaisons interurbaines, par rapport à l’année précédente. QUINZE FOIS MOINS DE RÉCLAMATIONS QUE PRÉVU Le péage urbain de Stockholm, dont le gouvernement suédois a confié la réalisation à IBM, fonctionne par le biais de petits transpondeurs, de capteurs laser et d’un réseau de caméras suivant l’itinéraire de chaque voiture dans la ville. A chaque fois qu’une voiture franchit l’un des 23 portiques de péage, le système l’identifie soit en captant les données de son boîtier électronique embarqué, soit en lisant sa plaque minéralogique. Il vérifie aussitôt ces informations dans le registre des immatriculations et calcule le tarif appliqué, en fonction de l’heure de la journée et de la position géographique du véhicule. L’installation du système a pris quatre mois. Le matériel a bien fonctionné, y compris pendant les longs mois d’hiver. Le service clientèle d’IBM n’a reçu que 2 000 appels par jour, alors qu’il en attendait 30 000. Les sommes débitées n’ont par ailleurs entraîné que très peu de plaintes. Certains habitants de Stockholm estiment que ce plan de réduction des émissions polluantes peut s’avérer contre-productif. Lars-Inge Svensson a ainsi modifié l’itinéraire qu’il prenait pour aller travailler pour éviter deux péages. Désormais, il parcourt cinq kilomètres de plus, mais économise 6,50 euros par jour. “J’ai émis autant de gaz d’échappement, sinon plus, mais ailleurs”, conclut-il. Quoi qu’il en soit, Dublin, San Francisco, Prague et Copenhague envisagent d’adopter des systèmes similaires. Leila Abbud, Jenny Clevstrom 831 p57 médias 2/10/06 18:29 Page 57 multimédia Internet brouille l’avenir de la radio MÉDIA Le succès des sites rents, accroissant ses recettes de 6 % par rapport à la même période de l’année précédente. En se positionnant sur Internet de manière très offensive, les radios commencent à proposer de nouveaux services personnalisables, destinés à séduire les auditeurs internautes. Elles mettent notamment l’accent sur l’information de proximité, un domaine dans lequel les autres acteurs du Net ont du mal à assurer. Le site musical de Clear Channel est l’un des plus visités de la Toile. Quant à CBS Radio, autrefois connue sous le nom d’Infinity Broadcasting, elle a décidé, en 2005, de renforcer sa présence sur le Net alors que, jusqu’à cette date, elle était quasi absente. Aujourd’hui, plus de 70 stations appartenant à son réseau diffusent en direct leurs programmes sur la Toile [www.radiomat.com]. De plus, CBS Radio a lancé KYOURadio.com, une sorte de YouTube [voir CI n° 826,du 31 août 2006] où sont diffusés des podcasts créés par les auditeurs eux-mêmes. Depuis 2005, CBS Radio a aussi adapté de nouveaux programmes dans vingt-sept de ses stations, en misant sur des programmations musicales plus variées et en poursuivant son implantation dans des domaines en plein essor, comme les radios en espagnol. ■ de téléchargement musicaux et des stations satellitaires oblige les grands exploitants à revoir leur stratégie et à innover. THE NEW YORK TIMES New York es radios continuent à perdre des auditeurs. Exemple : Danny Costa, un étudiant de l’université de Boston qui a grandi en écoutant la radio à New York. Ces dernières années, il l’a délaissée au profit de sites Internet à partir desquels il peut télécharger de la musique ou des vidéos dont il a entendu parler par des amis. Il préfère ces sites au martèlement du Top 40. Il grave ses morceaux favoris sur des CD ou les copie sur son iPod. “Depuis que j’ai accès à toute cette musique en ligne, j’ai arrêté d’écouter la radio”, reconnaît-il. Le secteur est aujourd’hui confronté à de nombreux défis comme le streaming audio [diffusion de contenus en direct], le podcasting, les lecteurs MP3 ou encore la radio par satellite. L’avenir de la radio paraît de plus en plus incertain depuis la fin des années 1990, une période où les industriels se bousculaient pour racheter des stations. Aujourd’hui, les recettes des radios stagnent et le nombre d’auditeurs est en baisse. Le temps que les gens consacrent à la radio au cours de la semaine a chuté de 14 % depuis dix ans.Voilà qui amène les opérateurs à envisager de nouvelles stratégies. D’après certains analystes du secteur, Clear Channel Communications, le plus grand exploitant de radios aux Etats-Unis, envisage de revendre certaines de ses 1 200 stations à de plus petits exploitants, après avoir racheté tout ce qui bougeait pendant des années. Par ces grandes manœuvres, les radios espèrent remonter la pente. Elles parient également sur l’innovation. En 2005, elles ont redoublé d’efforts en expérimentant de nouveaux formats et en lançant des projets numériques comme la radio haute définition (HD), un format encore balbutiant qui permettra aux auditeurs équipés de tuners spéciaux d’écouter davantage de stations spécialisées avec une qualité de son proche du CD. Par ailleurs, les radios cherchent à s’implanter sur le Net, en intégrant des vidéos et autres possibilités que nul n’aurait pu imaginer quand la radio commerciale est apparue il y a près de quatre-vingt-dix ans. “On n’en est plus à se demander si la radio est un secteur structurellement en déclin, car c’est incontestable. En revanche, on assiste d’ores et déjà à une évolution stratégique des modèles de fonctionnement afin de relancer l’activité”, note Michael Nathanson, analyste médias chez Sanford C. Bernstein & Company. Contrairement à la presse écrite ou à la télévision, les radios sont rapidement tombées en disgrâce auprès des financiers de Wall L Dessin de John Hersey paru dans Mother Jones, San Francisco. ■ Profil Howard Stern est la personnalité radiophonique la plus célèbre et la mieux payée d’Amérique du Nord. Sirius va lui verser 600 millions de dollars en salaires et en actions sur cinq ans pour transférer son mélange parfois douteux d’allusions grivoises et de plaisanteries bien grasses des stations hertziennes gratuites à la radio satellitaire par abonnement. Son passage du réseau radiophonique Infinity, propriété de Viacom, à celui de Sirius constitue un épisode crucial pour cette station, dont l’audience n’équivaut qu’à un tiers environ des 9 millions d’auditeurs que l’animateur a quittés en changeant de station. FAIRE ENTENDRE LEUR VOIX DANS LE CYBERESPACE Street. Une tendance qui peut s’expliquer par le fait que, contrairement aux autres supports, les radios n’ont pas cherché assez rapidement à se diversifier sur Internet. Bien que leurs recettes liées au cyberespace soient en forte hausse, elles n’ont cependant représenté que 87 millions de dollars [68,5 millions d’euros] en 2005, une goutte d’eau par rapport aux 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires que le secteur a engrangés l’année dernière. LES OPÉRATEURS DIVERSIFIENT LEURS MODES DE DIFFUSION Ce ne sont pas seulement les étudiants, dans les résidences universitaires, qui s’éloignent des radios traditionnelles. Larry Glassman, un chirurgien qui réalise des greffes pulmonaires, avait l’habitude d’écouter la radio pendant son trajet quotidien de quarante minutes pour se rendre à l’hôpital, notamment pour retrouver ses classiques rock préférés. Mais il est désormais abonné à XM Radio. Larry Glassman, 51 ans, explique qu’il a cessé d’écouter la radio à cause de la publicité et parce qu’il trouve la programmation musicale de ses stations favorites trop grand public et trop limitée. XM Radio et sa grande rivale Sirius ont réussi à séduire quelque 11 millions d’abonnés grâce à des animateurs vedettes comme Howard Stern, des émissions sportives, ainsi qu’à l’excellente qualité du son et à l’absence de coupures publicitaires. Les patrons des grandes stations de radio estiment que l’on accorde trop d’importance aux radios satellitaires COURRIER INTERNATIONAL N° 831 57 qui ne mobilisent finalement qu’une part infime des auditeurs. Ils rappellent que leurs stations sont gratuites et sont écoutées par 230 millions de personnes. “Il est vrai que les stations traditionnelles ne donnent pas l’impression d’être dans le coup. Mais cela ne reflète pas la réalité”, affirme Jeffrey Smulyan, le patron d’Emmis Communications. Les radios cherchent d’ailleurs à démontrer le contraire, en innovant à leur tour. Clear Channel, par exemple, a signé un contrat avec BMW, début septembre, pour fournir des infos gratuites sur le trafic en temps réel à destination des GPS qui équipent les nouveaux modèles du constructeur automobile allemand. La société a annoncé la conclusion d’un autre accord avec le fabricant de téléphones sans fil Cingular, afin de fournir aux clients de ce dernier des programmes en direct et des contenus à la demande. “Nous voulons nous orienter vers toutes sortes d’outils de diffusion”, assure Mark Mays, le directeur général de Clear Channel. “Nous avons déjà six ou sept sources de revenus supplémentaires que nous n’avions pas il y a vingt-quatre mois.” L’entreprise a aussi exploré d’autres voies comme le rachat d’actions, la filialisation de son service de publicité extérieure ou encore l’embauche d’un dirigeant d’AOL pour superviser ses projets de musique en ligne. La société essaie également de réduire la quantité de publicités qu’elle diffuse et de passer des spots plus courts. Des initiatives que les autres opérateurs suivent avec intérêt, puisqu’au cours du deuxième trimestre 2006, Clear Channel a obtenu de meilleurs résultats que ses concurDU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 Jeffrey Smulyan espère qu’avec la radio HD et la présence accrue des stations sur Internet, le monde de la radio retrouvera son éclat d’antan. Peter Supino, analyste financier chez Wallace R.Weitz, fait valoir que la radio a enfin compris qu’elle devait renouveler sa manière de vendre des espaces publicitaires et se concentrer sur l’amélioration de son produit, aussi bien en ligne que hors ligne. “Le secteur se portait si bien dans les années 1990 qu’il n’avait pas a priori de raisons de s’inquiéter, il suffisait d’appuyer sur le champignon pour engranger un meilleur chiffre d’affaires tous les ans”, rappelle M. Supino, dont la société possède des actions dans Cumulus Media, un groupe de radios. De nombreux opérateurs fondent de grands espoirs sur la radio HD, mais il va encore falloir attendre au moins trois ans pour que celle-ci puisse influencer le chiffre d’affaires du secteur. John Rose, du Boston Consulting Group, note que les stations n’ont pas encore trouvé le moyen d’utiliser la qualité de son parfaite de la radio HD pour proposer un service de téléchargement des morceaux diffusés. Dans ce climat d’incertitude, il ne faut pas s’étonner de voir les organisateurs du dernier salon réservé aux professionnels de la radio, qui s’est tenu à Dallas du 20 au 22 septembre 2006, proposer des conférences sur des thèmes tels que : “Apprenez à voler de l’argent à votre journal local” ou “Exploiter la puissance des blogs”. Signe des temps, la soirée d’inauguration n’a pas été financée par un radiodiffuseur. C’est Google qui a offert les boissons. Richard Siklos *831 p58-59-60 SA 2/10/06 17:14 Page 58 voya ge Michael Amme/LAIF-REA ● AU CŒUR DES CARAÏBES Belize, ce pays où personne Pourquoi se rendre au Belize, nation qui n’a produit aucune star de la musique ni inspiré aucun écrivain, et où il n’y a ni guerre ni famine ? L’écrivain chilien Alberto Fuguet a son idée. ETIQUETA NEGRA Lima E Question plages : eau turquoise, transparente. Quoi d’autre ? Qu’est-ce qu’on peut dire sur le paradis ? sa valise et qu’on jette le linge sale dans le panier. Mais ce voyage-ci est tout différent. Il se termine quand j’atterris sur la piste cahoteuse de l’aéroport de Belize City. La réalité poussiéreuse prend le pas sur l’imagination. Le meilleur du voyage est terminé. Et ça me fait un peu de peine. Je ne pourrai plus jamais spéculer sur le Belize. Maintenant, par exemple, je sais que les touristes débarquent à l’aéroport international – aéroport tropical typique, avec des ventilateurs qui brassent l’air chaud sans ventiler. Je sais aussi que, sans y réfléchir à deux fois, ils montent à bord de petits avions déglingués et s’envolent vers les cayes [îles basses sablonneuses, en anglais cay ou key]. Vers la mer. Je ne tarde pas à comprendre que ce qu’il faut, c’est zapper la ville principale. Les touristes les plus âgés et les plus friqués partent immédiatement pour Ambergris, une île en forme de nouille qui fit jadis partie du Mexique ; les plus jeunes (et pauvres) se dirigent vers Cayo Caulker, un lieu qui, disent-ils, leur rappelle un antre hippie des années 1960. C’est sûr, tout au Belize rappelle le début des années 1960. Les écotouristes (il en vient beaucoup, au Belize) sont sidérés de voir à quel point tout est prémoderne. C’est comme ça. Il n’y a presque pas de télé, le seul cinéma a été inauguré l’année dernière, et les cybercafés Ici, on ne risque pas d’être agressé et on peut rouler tranquille. La paix règne, l’argent ne manque pas. Susan Meiselas/Magnum Photos n un peu plus d’une heure d’attente à bord de l’avion, sur le tarmac de l’aéroport de Santiago du Chili (pour une révision de moteur ou autre), j’ai le temps de confirmer mes soupçons : je suis le seul passager du vol à me rendre au Belize. D’ailleurs, que trouve-t-on au Belize ? Ce pays, qui n’a vu naître ni Prix Nobel ni chanteur célèbre, semble ne pas exister – en tout cas, ni dans la culture ni dans l’imaginaire pop. Ce pays qui n’est ni le Congo, ni le Kenya, ni Zanzibar, ni le Sri Lanka. Le Belize serait plutôt un pays série B. Je n’ai jamais lu aucun livre ni vu aucun film dont le cadre se déroule au Belize. Hemingway n’a jamais mis les pieds dans ce maudit endroit. Même Graham Greene n’y a situé aucune de ses intrigues. Il y aurait donc quelque chose au Belize ? Ce n’est pas un pays CNN. Ce n’est pas un pays à guerres, ni à sécheresses, ni à famines, ni à génocides. Autant dire que ce n’est pas un pays à la mode. Il n’est même pas démodé. A l’heure où tout le monde sait tout sur tout, je m’aperçois que je ne sais rien sur le Belize. La fille de l’agence m’a avoué que c’était la première fois qu’elle réservait un vol pour Belize City. Le Belize est un de ces pays… Un de ces nouveaux pays qui existent presque. Par Internet, j’ai appris trois fois rien. Le Belize est le paradis de la plongée. Or je n’appartiens pas à la confrérie subaquatique internationale. Le Belize vit du tourisme en provenance des Etats-Unis, mais, même aux Etats-Unis et même pour le secteur touristique américain, le Belize a quelque chose de confidentiel. “Et vous, jeune homme, vous allez où ? — Au Belize, Madame. — Où ça ?” L’avion à destination du Belize, qui part de Miami, est loin d’être plein. Il accueille une douzaine d’hindous, sans doute des commerçants. Ils ont l’air tristes, fatigués. Il y a deux grosses femmes noires qui parlent un anglais que je comprends à peine. Et une dame anglaise âgée, qui se rend au Belize dans le seul but de prendre le soleil. Sa destination est Placencia. “Mon mari m’a invitée à l’hôtel de Francis Ford Coppola. Il est fan de la série de films Le Parrain. Moi, ils m’ennuient. Mais l’agence de voyages lui a assuré que l’endroit était divin.” Janice me tend la main. C’est une main ridée, froide et glissante. Je me rends compte qu’elle s’est déjà enduite de lotion à l’aloès. Elle me raconte qu’elle fête son anniversaire de mariage. D’où l’invitation, le cadeau. Je ne savais pas que Francis Ford Coppola possédait un hôtel. Un hôtel au Belize. J’ai bien entendu ? “Il en a deux, dear. Un dans la forêt, l’autre en bord de mer. Mais je préfère la mer. Ce n’est pas que je nage beaucoup, mais le soleil, ah ! le soleil… Dans leYorkshire, on n’a pas le soleil de ces pays-là.” J’en déduis que son mari est aux toilettes. Et puis, aussitôt, je comprends que non. Car Janice me confie que son mari lui offre chaque année dix jours de vacances, mais seule. “C’est mon cadeau d’anniversaire de mariage.” Je suis de ceux pour qui les voyages commencent quand on comprend qu’on va voyager. Généralement, ils se terminent lorsqu’on ouvre COURRIER INTERNATIONAL N° 831 58 DU 5AU 11 O CTOBRE 2006 2/10/06 17:15 Page 59 Susan Meiselas/Magnum Photos *831 p58-59-60 SA ne va jamais Pascal Maitre/Cosmos San Pedro, la principale agglomération de l’île d’Ambergris, est un petit village de pêcheurs qui grouille de touristes. sont chers, mauvais et lents. Les rares habitants du pays (un mélange de Mayas, de Noirs et de Centraméricains, plus une dizaine d’Anglais alcoolos) sont convaincus que le Guatemala voisin est la nouvelle Sodome. Ils jugent le “reste du monde” décadent. Ici, le nudisme est partout interdit. On n’est pas sur une vulgaire île des Caraïbes. Qu’on le veuille ou non, on est dans l’ancien Honduras britannique. Pour beaucoup de Latino-Américains, le Belize est le paradis. Et ce n’est pas seulement à cause de ses plages. Le Belize a beau être précaire, c’est tout de même une démocratie. Le Belize est une plaque tournante du trafic de drogue, mais pour autant il n’est pas gangrené par le narcotrafic. Au Belize, on ne risque pas d’être agressé et on peut rouler tranquille. La paix règne au Belize, l’argent ne manque pas. Le pays affiche l’un des niveaux de vie les plus élevés de la région. On ne le dirait pas, mais c’est la vérité. Ici, aucun des 250 000 habitants ne meurt de faim. D’où l’attrait qu’exerce ce petit pays sur ses voisins. Alors qu’il venait tout juste de conquérir son indépendance [en 1981], les guerres civiles ont éclaté au Salvador et au Nicaragua. En deux ans, le minuscule Belize a dû accueillir environ 30 000 personnes, bien décidées à rester. Aujourd’hui, ils sont tous béliziens. Et ils parlent presque tous anglais. Bizarre. C’est peut-être, avec la chaleur et l’odeur de sueur mêlée de relents de piment, ce qui attire le plus l’attention. Le Belize est comme Los Angeles : les habitants ont tous des têtes de Centraméricains, mais ils parlent anglais. Et espagnol. Et maya. Et créole, à savoir un anglais mâtiné d’un peu tout. Les descendants des Indiens Caraïbes et des esclaves africains parlent le garifuna. D’une certaine façon, le Belize est le seul pays vraiment bilingue du continent. Le Belize n’est pas Cancún. Au Belize, “Cancún” est un gros mot. Surtout à Ambergris Cay. Sur cette île allongée et étroite – protégée par l’une des barrières de corail les plus longues du monde –, on ne trouve pas de buildings. Il n’y a pas d’all-inclusives [formules tout compris]. Il n’y a pas de resorts [complexes touristiques] comme il en existe en République dominicaine. Les plus nationalistes disent que c’est un choix. Les plus sceptiques estiment que ce n’est qu’une question de temps. Pour l’instant, en tout cas, les plages du Belize sont unplugged [déconnectées]. OK, question plages : eau turquoise, transparente. Quoi d’autre ? Qu’est-ce qu’on peut dire sur le paradis ? Le paradis est joli. Le paradis est tiède. Le spectacle du lever de soleil sous les tropiques est intense. Qu’est-ce qu’on peut écrire de plus sur une plage ? COURRIER INTERNATIONAL N° 831 59 C’est comme à Los Angeles, les habitants ont tous des têtes de Centraméricains, mais ils parlent anglais. Et espagnol. Et maya. DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 Gregory et Alice, mes voisins à Mata Chica, le resort le plus sympa et le plus cher d’Ambergris, sont venus admirer le Blue Hole, un trou bleu dans la mer, au-delà de la barrière de corail. Un endroit qui en raison de sa profondeur apparaît plus bleu, vu du ciel, que le reste de la mer. Un peu le mont Fuji du Belize. Le commandant Cousteau en avait fait l’une de ses destinations favorites, si bien qu’il est évidemment devenu un lieu culte. San Pedro est la principale agglomération d’Ambergris : c’est là qu’on atterrit. Ce petit village de pêcheurs grouille de touristes qui circulent en voiturettes de golf dans les rues non goudronnées. Il y a des restaurants, des magasins ou des bars où on vous laisse entrer pieds nus.Vous voyez, quoi, le genre plage-plage. Mais tout sur le mode mineur. Rien de strident. On prend du bon temps, on mange mieux. Cinq jours suffisent, mais la plupart des gens restent dix jours. Sur l’aérodrome de Placencia, dans le sud du pays, je me retrouve devant un bimoteur de type Première Guerre mondiale. L’avion s’appelle Sofia. Oui, en hommage à cette jeune femme [Sofia Coppola] qui a décroché un oscar [du meilleur scénario pour Lost in Translation]. Me voilà en territoire Coppola. Placencia est une péninsule habitée par des descendants d’esclaves métissés avec des Indiens. Ici, la mer est plus agitée. Le taxi local, une ruine, n’est pas peint comme un taxi. Je demande au chauffeur de m’emmener à l’hôtel de Coppola. “Où ça ? — Au Turtle Inn. — Ah ! d’accord…” A Placencia, comme dans tout le Belize, Coppola est juste un gros monsieur qui aime les pâtes. Un rappel des faits s’impose. Jusqu’à une date récente, ce pays n’avait jamais eu de cinéma. Le stock des vidéoclubs se compose de vidéos pirates ou, avec un peu de chance, de films d’action de série Z. Seuls les gens les plus cultivés savent que Coppola est le propriétaire de deux resorts au Belize et d’un autre près de Tikal, au Guatemala – des lieux qui attirent les voyageurs étrangers en quête de tranquillité. (Il prévoit également d’en ouvrir un au Honduras, et, dans l’après-Fidel, un hôtel comme celui du Parrain II à La Havane.) Que fait au Belize un type comme Coppola ? Et pourquoi a-t-il investi toute son énergie dans la construction d’hôtels cool au lieu de diriger un nouveau chef-d’œuvre ? Le Belize s’est trouvé sur le chemin de Coppola et, si son rêve s’était réalisé, à l’heure qu’il est il serait sans doute mort, *831 p58-59-60 SA 2/10/06 17:16 Page 60 voya ge ● ^^^^^ ^ ^^^ carnet de route ^^^^ ^ M EX I Q U E Ambergris Cay Mata Chica San Pedro Cay Caulker ^ ^^^^^^^^ ^^ ^^ ^^^ ^ ^^ ^^^ ^^^^^ ^^^^^ ^^ ^ ^ ^^^ ^ Le Trou bleu ^^ ^ ^^ ^^^^ ER AN S E ^ ^^ ^ ^^ ^^ S LLE TI ^ ^^ ^^ ^^ ^^ ^ ^^ ^ ^^ ^ ^ ^^^ 50 km ^ ^^ ^^^ ^^ ^^^ ^^^ ^^^^ ^^^^^^ ^^^^^^ ^ ^^^ s a y ^ Placencia ^ ^ Little Water Cay 17° N ^ The Turtle Inn M 0 ^ ^^ ^ ^ ^^^ M t s o n a ^^ ^^ D 88° O HONDURAS Y ALLER ■ Il n’y a pas de vol direct Paris-Belize City. Il faut compter au moins 800 euros pour un aller-retour avec une ou deux escales. Dans le cadre d’un périple en Amérique centrale, des bus relient aussi Belize City à par tir de Chetumal (Mexique) ou de la frontière du Guatemala. Sur place, le pays se parcourt surtout en petit avion. Plusieurs compagnies aériennes desservent les petites villes du pays. SE LOGER ■ “La première fois que j’ai visité Belize je recherchais le même paradis sauvage que j’ai trouvé aux Philippines à l’occasion du tournage d’Apocalypse Now. Je l’ai découver t dans les montagnes mayas”, raconte Francis Ford Coppola. Pour suivre ses traces, rien de tel que de se rendre dans son hôtel, le Blancaneaux. La Villa Francis-Coppola, la plus chère de toutes les options du complexe, est louée entre 550 et 650 dollars US la nuit, et comprend deux chambres. The Turtle Inn, le second hôtel du réalisateur dans le pays, propose, du côté de la plage, des chambres doubles à partir de 250 dollars US la nuit. QUAND Y ALLER ■ La saison la plus touristique est l’hiver (qui dure de mi-décembre à avril), mais il est plus facile de trouver un logement en été, et les prix baissent en cette saison. A noter qu’il existe des risques d’ouragan parfois très violents en été. Pour ceux qui aiment la fête, le carnaval donne lieu à de nombreuses festivités fin février ou début mars. À VOIR Pascal Maitre/Cosmos ^^ ^^^ ^ Blancaneau ^^ Belmopan ^^ ^^^^^ ^ ^ ^^^ ^^^ Iles Turneffe ^^ Belize City ^ ^^ ^ ^ M ^^ ^^^^^^ G U A T E M A L A B E L I Z E ■ La barrière de corail, qui s’étend sur 250 kilomètres le long de la côte, est la seconde plus grande barrière du monde après celle de l’Australie, et fait du Belize un paradis pour les plongeurs. Pour observer la faune, le bassin de Cockscomb est l’une des seules réserves de jaguars au monde. Uniquement accessible en 4 x 4, Caracol est l’un des plus beau site mayas de la région. en prison ou à l’asile. Le rêve de Francis Ford était aussi simple que mégalo : acheter le Belize et le transformer en pays-studio. Le Belize aurait été le Hollywood de l’Amérique centrale. Il avait même l’intention d’en faire le grand centre satellitaire et de communications du continent. Un pays high-tech peuplé d’antennes et de téléphones. Coppola est un homme qui rêve, mais on a du mal à imaginer le Belize comme un technopôle. Au Belize, il n’y a même pas le haut débit. Si le projet de Coppola avait vu le jour, ce paradis touristique serait peut-être devenu une sorte de Dubaï des télécommunications. Coppola s’est rendu au Belize et a dit aux nouveaux gouvernants : Messieurs, l’avenir sera numérique ou ne sera pas. Le Premier ministre du Belize en personne a décliné son offre. Le pays avait à peine l’électricité. Non merci, lui a-t-il répondu. Mais pourquoi vous ne visiteriez pas le pays ? Coppola l’a fait. Et il est tombé amoureux d’un vieux lodge [refuge] abandonné, dans les montagnes, où bivouaquaient les vieux Anglais qui partaient chasser le jaguar. Coppola s’est intéressé à Blancaneaux. Le gouvernement le lui a vendu à prix coûtant et, au passage, lui a offert tout un tas d’hectares autour. Blancaneaux est devenu le refuge des Coppola.Tout le clan – Talia Shire [sœur du réalisateur], Nicolas Cage [neveu du réalisateur], la jeune Sofia – venait y fêter les anniversaires et y passer Noël. Au début des années 1990, Coppola était à court de liquidités, mais il a compris tout le parti qu’il pouvait tirer de son nom. Parmi ses nombreuses décisions, il a transformé sa résidence secondaire en un lodge ouvert au public. Même chose pour The Turtle Inn. Quand il a déniché ce petit hôtel en bord de mer, il a su immédiatement qu’il le voulait, même s’il n’était pas rentable. Sauf à le transformer lui aussi en un lieu d’hébergement payant. Pas trop cher, même si c’est une façon de parler, surtout à l’échelle latinoaméricaine. Car, enfin, dans le monde des millionnaires, un lieu comme The Turtle Inn n’est pas COURRIER INTERNATIONAL N° 831 60 Belize City n’est pas une ville. C’est un village de 70 000 habitants. ■ Alberto Fuguet Né au Chili en 1964, ce journaliste, critique et écrivain est l’un des instigateurs du collectif McOndo, qui publia en 1996 un recueil de nouvelles du même nom écrites par dix-huit auteurs latino-américains assez irrévérencieux, âgés de moins de 35 ans, et qui voulaient rompre avec le réalisme de leurs célèbres aînés. McOndo est, selon Alberto Fuguet, un mélange de McDonald’s, de Macintosh et de condo (les condominiums étant des complexes résidentiels sécurisés qui fleurissent partout en Amérique). C’est aussi évidemment une satire du village fictif de Cent ans de solitude de García Márquez. Alberto Fuguet est l’auteur de cinq romans, dont Mala Onda (Mauvaise onde), en 1991, et Tinta Roja (Encre rouge), en 1996, édités chez Alfaguara. Pour en savoir plus visitez son blog : <http://albertofuguet. blogspot.com/> DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 si cher que ça. Pour quatre jours en pension complète, vin compris, un couple y laisse environ 1 000 dollars. Mais Coppola sait qu’il existe des centaines d’endroits où l’on paie plus pour une prestation moindre. Parce que Coppola vous reçoit comme chez lui. L’air de rien, vous êtes chez lui. Il n’y était pas quand j’y ai séjourné, mais il est souvent là, à lire, à taper sur son ordinateur portable, à manger des pâtes. Qu’est-ce que je peux dire du Turtle Inn ? C’est une plage. Mais pas seulement. Les savons sont de ceux qu’on aimerait manger tant ils embaument. A la tombée du jour, on sent que le responsable des éclairages n’est autre que le directeur de la photographie Vittorio Storaro [celui, entre autres, d’Apocalypse Now]. Nous sommes au paradis, sans aucun doute, mais aussi dans un lieu raffiné, tout en retenue, à échelle humaine. Coppola n’a pas créé un Planet Hollywood. Il n’y a pas d’affiches de ses films sur les murs, ni d’oscars sur le comptoir de la réception. Dans le vol depuis Placencia, tandis que nous survolons les plantations de piment, je demande au pilote (je suis à la place du copilote et ma porte est mal fermée) de me dire quelques mots de la capitale. “Elle ne vaut pas le détour”, me répondil avant d’ajouter : “You better belize it.” La phrase nationale. Elle apparaît sur les macarons que les automobilistes collent sur leurs pare-chocs. Et aussi sur des affiches, des tee-shirts, des cartes postales. Au bout de quelques jours, je comprends qu’en fait cela veut dire : à prendre ou à laisser. Dans d’autres pays des Caraïbes, les gens disent : “Don’t worry, be happy !” Mais le Belize est en Amérique. J’arrive donc à Belize City, qui n’est pas une ville. C’est un village. Un village infect de 70 000 habitants. Belize City est le genre d’endroit dont on n’a pas envie de connaître les hôpitaux. Ni les prisons. Après quatre eaux minérales, je comprends que les touristes ne vont pas de l’autre côté de la ville. Du côté sud, ni vers le centre. Je suis le seul Blanc de tout le quartier et, au cas où j’aurais des doutes sur ma race, on me donne sans arrêt du “Hey, white boy” et on me propose de la drogue. Mais la ville n’est pas nécessairement violente, on ne se fait pas agresser. On se fait tout au plus insulter, ce n’est pas pareil. Le fait que le quartier des riches ressemble à un quartier pauvre complique encore les choses. Et disons que d’avoir la fièvre n’arrange pas vraiment l’affaire. Ce n’est pas pour rien si on dit qu’on garde un mauvais souvenir des villes où on a été malade. A mon deuxième jour à Belize City, j’ai senti que je bouillais. L’odeur d’ordures et de poisson pourri montant des canaux et du fleuve [le Belize] ne m’aidait pas non plus à respirer. Malgré tout, Belize City est une ville tranquille.Tellement tranquille que l’ambassade des Etats-Unis est une vieille maison en bois, et non un bunker. Le quartier diplomatique paraît sorti tout droit des pages de Tom Sawyer : maisons en bois, clôtures blanches, jardins. J’ai traversé le fameux pont, un pont manuel qui se déplace comme une chatte, et j’ai regardé un navire de croisière, au mouillage en mer. Il était bourré de vieux Américains vêtus de rose. Je les avais déjà croisés du côté nord, près de mon hôtel colonial. Mais où étaient-ils maintenant ? Le navire avait disparu. Ou alors j’avais des hallucinations. De fait, une fois que je me suis acheté un thermomètre chez Brodie’s, un drugstore qui est resté figé dans les années 1960, j’ai pu vérifier que c’était le cas. J’avais 41 °C de fièvre. Peut-être la température idéale pour séjourner à Belize City. Alberto Fuguet 831 p61 livrePub 3/10/06 11:33 Page 81 l e l i v re ● LE NOUVEAU PABLO TUSSET Cinq ans après son grand succès Ce qui peut arriver de mieux à un croissant, l’écrivain espagnol revient avec un truculent roman noir. LA VANGUARDIA (extraits) Barcelone ’un des plus grands défis, en littérature, consiste à suivre la tradition d’un genre tout en en transgressant les règles. Peu de genres permettent d’aller aussi loin dans l’hétérodoxie que le roman noir, et peu d’écrivains l’ont fait aussi brillamment que Pablo Tusset avec son premier roman très encensé, Ce qui peut arriver de mieux à un croissant [éd. Michalon, 2002], et, de façon encore plus radicale aujourd’hui, avec En el nombre del cerdo* [Au nom du porc]. Un roman qui part d’un fait divers sanglant – le dépeçage dans un abattoir d’une femme obèse d’environ 110 kilos – pour nous entraîner sur des sentiers narratifs semés d’embûches, d’allusions et de clins d’œil littéraires. La stratégie de Tusset est claire : faire de choses apparemment frivoles – l’humour, l’irrévérence, l’invraisemblance – le miroir de la nouvelle société espagnole née après la mort de Franco. Et, pour rendre la tragédie plus authentique, l’un des L meilleurs moyens, dans un pays plus pathétique que tragique, est d’avoir recours à la parodie. Contrairement à ce que l’on attend d’un roman noir, il n’y a pas beaucoup de suspense dans ce livre. L’important, ici, ce sont les situations et les dialogues. On a dépecé une femme, et le lecteur s’attend à ce que cet assassinat donne lieu à une enquête qui s’achèvera par un dénouement heureux ou malheureux. Mais les personnages et les lieux où se déroule l’action relèguent les raisons de l’assassinat au second plan. Le coupable possible est le propriétaire de l’abattoir, le très puissant Juan de Horlá. On ne le voit jamais mais il occupe une place très particulière.Tout d’abord, il est poète, et la clé du mystère semble se trouver dans l’un de ses poèmes. Ensuite, son nom n’est pas un surnom : c’est lui qui a donné son nom à San Juan de Horlá, localité qui devient l’un des centres de ce roman tout en dédoublements et en déplacements. C’est là que doit se rendre l’agent Tomás, ou T, transformé en Pedro Balmes, ou P, pour enquêter sur un dépeçage organisé par des narcotrafiquants. Grâce à P nous découvrons San Juán de Horlá, un village dantesque comptant trois cents habitants nés sur place et vingt étrangers qui s’y sont installés au fil des ans – un village qui, par de multiples aspects, nous rappelle New York. Il nous le rappelle parce que l’agent P, ou son double, T, est allé précédemment à New York, une ville que Tusset nous fait parcourir merveilleusement sur les pas d’un Tomás amoureux de Suzanne. Cette histoire d’amour est la chronique d’un échec annoncé mais aussi une belle idylle dont il ne reste qu’une bague que Pedro-Tomás lancera dans le vide, un vide qui n’est autre que celui du roman. Ediciones Destino Au nom du porc Pablo Tusset, qui fuit les photographes comme la peste, préfère se voir en peinture. ■ Biographie Pablo Tusset, de son vrai nom David Omedes, est né à Barcelone en 1965. En 2001, son premier roman, Ce qui peut arriver de mieux à un croissant, se hisse par le seul bouche-à-oreille en tête des ventes. Il s’est vendu à ce jour à 400 000 exemplaires et a été traduit dans dix-sept pays. Pablo Tusset, vit aujourd’hui quelque part sur la Costa Brava et refuse les photos et les interviews. Le commissaire Pujol, même s’il travaille à Barcelone, nous emmène lui aussi à New York par le biais d’un magasin de disques où réapparaissent certains héros et antihéros de la pop entraperçus dans Ce qui peut arriver de mieux à un croissant. Le commissaire achètera lui aussi une bague pour sa deuxième lune de miel, qui le précipitera dans le vide. Un bon livre est celui qui fait regretter au critique de ne pas avoir assez de place pour parler de tout ce qu’il contient. Certaines choses sont extrêmement subtiles : que vient faire la prostituée assassinée à Sligo, en Irlande, où est née Suzanne Ortega ? Pourquoi les policiers ont-ils cette obsession des psychopathes, auxquels ils s’identifient par inadvertance ? Pourquoi connaissons-nous les assassins mais pas le mobile du crime ? Quel rôle joue le sens de la justice dans ce roman intelligemment amoral ? Et pourquoi, dans un roman noir, l’élucidation du crime – qui est pourtant ce qui nous a fait mordre à l’hameçon dans les premières pages – et l’enquête elle-même sont-elles les choses qui comptent le moins ? On appelle cela de l’intelligence et de l’habileté narrative. Juan Antonio Masoliver Ródenas * Ed. Destino, Barcelone, 2006. Pas encore traduit en français. 3/10/06 13:01 Page 62 insolites ● Ticket chic our apprendre le polonais, prenez le bus ! Les trolleybus de Vilnius, en Lituanie, dispensent désormais des cours de langue. Des phrases type en lituanien, en polonais et en anglais accompagnent les annonces indiquant les arrêts. Des tests écrits sont aussi disponibles, et les passagers peuvent faire noter leurs devoirs. L’initiative, financée par la Commission européenne, sera étendue à d’autres pays d’Europe. On enseignera le turc et l’anglais dans le métro de Hambourg, les banlieusards de Milan pourront s’initier à l’espagnol, et des cours d’italien seront dispensés dans les bus maltais et roumains. (BBC News Online, Londres) AFP P L’excursion du jour : Concert pour portables passer la frontière comme un vrai clandestin Un forte magistral, un piano subtil, un pianissimo magique et es indigènes de l’ethnie hnahnu, qui vit dans le nord du Mexique, proposent à des touristes étrangers de franchir à minuit la frontière avec les Etats-Unis. Une aventure entièrement simulée. Les traversées ont lieu depuis deux ans dans le parc écologique Eco Alberto, un territoire de l’Etat d’Hidalgo administré par les habitants. Ceux-ci ont traversé à maintes reprises la frontière avec les EtatsUnis et font bénéficier les touristes de leur expérience, leur permettant de connaître les affres du périple. Luis Santiago Hernández, l’une des personnalités locales à l’origine du projet, explique que les randonnées nocturnes sont organisées avec des groupes d’au moins 20 touristes “et que cette activité nécessite le travail d’environ 70 personnes de la communauté”. Selon Hernández, la traversée commence toujours à 20 heures et se termine généralement à 2 heures du matin : les touristes rampent, traversent des tunnels, se cachent dans des champs de maïs et sont même enlevés par des polleros [passeurs] fictifs. Les employés du parc se transforment en guides ou en vigilantes [milices de citoyens américains qui patrouillent le long de la frontière], s’amusent à braquer leur lampe torche, imitent les bruits de la police des frontières américaine, font monter dans des camionnettes les participants enthousiastes. Hernández affirme qu’il a accueilli des touristes venus d’Argentine, du Chili, du Pérou, de Colombie, des Etats-Unis, du Canada et de France, notamment. Tous sont emballés par la perspective de passer une nuit dans la peau d’immigrants sans papiers. El País (agence EFE), Madrid D puis l’horreur : vous avez oublié d’éteindre votre portable. Un cauchemar, sauf dans le Concertino for Cellular Phones and Orchestra, donné les 1er et 2 octobre à Chicago. Lors de ces deux représentations, les spectateurs étaient instamment priés d’ALLUMER leur téléphone. Des DR signaux verts et rouges actionnés par le chef d’orchestre indiquaient au public, scindé en deux groupes (parterre et balcon), le moment de faire retentir les sonneries. La composition de David Baker ouvrait la 20e édition du festival de musique classique du Chicago Sinfonietta. (Los Angeles Times, Los Angeles) Buvez avec la Poste u Tatarstan, la vodka s’achète désormais dans les bureaux de poste. Lancé avec la bénédiction du gouvernement, ce nouveau réseau de distribution permettra d’enrayer la production de spiritueux frelatés – et de calmer les populations, sevrées de leur boisson favorite depuis A l’interdiction de vendre de l’alcool. Depuis juillet dernier, quelque 2 500 points de vente ont fermé, notamment dans les zones rurales, explique les Novyé Izvestia. Vingt-quatre agences proposent déjà de la vodka devant les guichets, entre les cartes postales et l’entrée des conseillers financiers. Grille salariale es enseignants turkmènes ont pris d’assaut les rédactions des journaux. Pour obtenir une augmentation, ils doivent écrire des articles chantant les louanges du président à vie, Saparmourad Niazov. Les enseignants dont les panégyriques ne sont pas publiés restent au salaire minimum L et risquent même d’être licenciés. “Je me suis présentée dans un journal, ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas de place, puis j’ai proposé de leur donner de l’argent et ils ont accepté mon article”, rapporte une institutrice d’Ashgabat dans l’Institute for War and Peace Reporting. (The Daily Telegraph, Londres) Si la photo est bonne La rédactrice en chef de Glamour a présenté ses excuses aux Familles de militaires contre la guerre (MFAW). La journaliste Victoria Lambert, chargée d’un reportage sur des femmes ayant perdu leur mari en Irak et en Afghanistan, avait demandé à l’association de la mettre en contact avec des veuves de guerre “photogéniques”. Fructose remière mondiale aux Emirats arabes unis : la zakât – l’aumône dont doit s’acquitter tout musulman – peut désormais être versée par car te bancaire. Depuis le 26 septembre, les croyants peuvent régler l’“aumône légale” par carte Visa, MasterCard et American Express, sur le site <www.zakatfund.ae>. L’initiative ne convainc pas tout le monde. P Les marchands du Caire font de la politique. Sur les étals du marché Raoud Al-Farag, les dattes les plus chères et les plus savoureuses ont été baptisées Nasrallah, Ahmadinejad et Chávez, en hommage au chef du Hezbollah, au président iranien et au leader vénézuélien. Le bas de gamme n’a pas changé de nom depuis l’invasion de l’Irak : cette année encore, les clients les plus démunis devront se rabattre sur les Bush et les Blair pour rompre le jeûne du ramadan. (Al-Hayat, Londres) COURRIER INTERNATIONAL N° 831 (The Independent, Londres) L’aumône par carte bancaire AFP 831p62 62 DU 5 AU 11 O CTOBRE 2006 “Dieu ne peut pas accepter qu’on verse la zakât par carte. Que Dieu préser ve les musulmans de ces idées de démocrates et des errements des ‘réformateurs’ et des ‘profiteurs’”, s’enflamme Mohammed Saleh, un Koweïtien cité dans Asharq Al-Awsat. La zakât – littéralement, la “purification” – est le troisième pilier de l’islam. Cet impôt de solidarité est majoré de 3 % sur Internet.