A-2006/N°04 - La notion de peine de prison
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A-2006/N°04 - La notion de peine de prison
Siréas asbl Service International de Recherche , d’Education et d’Action Sociale Année 2006 DOCUMENT n° 4 Analyses et études LA NOTION DE PEINE DE PRISON Rue de la croix, 22 1050 Bruxelles – Téléphone :02 /649 99 58 – Fax 02/ 646 43 24 e-mail : [email protected] - site : http://www.sireas.be LA NOTION DE PEINE DE PRISON Introduction Cela fait maintenant plusieurs décennies que les débats autour de la notion de peine sont présents dans l’actualité. En effet, la notion de peine a subi et subi encore énormément d’évolution. De peines punitives : peines de mort, peines privatives de liberté, ... nous sommes passés progressivement à des peines plus resocialisantes : peine de travail, travail d’intérêt général, semi-détention, surveillance électronique ... Bon nombre d’alternatives ont vu le jour. Néanmoins, beaucoup de chercheurs, d’avocats ou de professeurs d’Université1 semblent se mettre d’accord pour dire que nous sommes revenus depuis quelques années, notamment suite à la médiatisation de certaines affaires : Dutroux, Marc et Corinne ou plus récemment Stacy et Nathalie, à des peines et des conditions de détention ou de libération beaucoup plus répressives et de plus en plus strictes. « Rapidement, force fut de constater la généralisation à de nombreux délinquants des réactions à des formes de criminalité dont on reconnaissait pourtant qu’elles étaient très rares2. » En effet, « diverses études montrent que ces dix dernières années, à criminalité constante, la sévérité pénale a eu tendance à augmenter. Par ailleurs, le recours à la détention préventive est plus répandu aujourd’hui que naguère. L’octroi de mesures de libération conditionnelle ne se fait plus aisément. Toutes choses qui concourent à ce que les prisons ne désemplissent pas. La surpopulation règne dans la plupart des établissements pénitentiaires et n’est pas prête de refluer. »3 1 MESSINNE Jules, Cours de Droit pénal donné à l’ULB en première licence de criminologie, durant l’année 2003-2004, Volume II – Titre V : la peine. 2 Le Courrier Hebdomadaire du CRISP, N°1916, « La nouvelle loi pénitentiaire – Retour sur un processus de réforme », p.4. 3 La Libre Belgique, le jeudi 24 août 2006, « La prison pourquoi ? », p.3. 2 La notion de peine ne cesse donc d’évoluer. Beaucoup de changements sont à mettre en évidence. I. Objectif de la peine Depuis des siècles, beaucoup considèrent que le délinquant doit payer pour le crime qu’il a commis. La peine de prison est pour beaucoup une punition par rapport à un fait commis. Le délinquant est mis à l’écart de la société et ne doit y revenir que lorsqu’il est arrivé au bout de sa peine ou uniquement lorsque la faute a été « expiée ». Cependant, depuis quelques années, la notion de réadaptation sociale a fait son apparition. Un délinquant ne doit pas seulement être puni pour le crime qu’il a commis mais il est important qu’il soit aidé en vue de sa réinsertion dans la société. En effet, selon le Docteur en droit Paul Mbanzoulou « le fondement de l’action pénitentiaire se trouve dans l’espoir populaire que la prison pourrait atteindre deux objectifs en même temps : l’objectif rétributif de punition et l’objectif réhabilitatif de traitement. Cet espoir a été repris par les Règles minima pour le traitement des détenus adoptées par les Nations Unies, en affirmant que la finalité et l’ultime justification d’une peine de prison est de protéger la société contre le crime. Cette protection passe par la mise à l’écart momentanée du délinquant, mais aussi par sa transformation dans une perspective de réinsertion sociale4. » Les services sociaux tant interne qu’externe ont un rôle primordial à jouer, en aidant tout d’abord le détenu à analyser et comprendre que le fait qu’il a commis est « mal », mais aussi en lui montrant progressivement le chemin vers une réinsertion dans la société : logement, travail, formation, ... Il est en effet important pour lui d’être soutenu dans ses démarches et de savoir que quelqu’un est là, derrière lui, pour le pousser vers une réintégration dans la société. 4 Les cahiers de l’Actif, N° 296/297, « La réinsertion sociale des détenus en milieu carcéral – Une mission partagée, p.65. 3 La réinsertion sociale des détenus est donc tout aussi importante que le caractère punitif de la peine. En effet, le délinquant doit pouvoir être puni et surveillé pour le fait qu’il a commis mais il ne faut pas perdre de vue qu’il doit aussi se remettre en question, réapprendre à vivre et à se réinsérer progressivement dans la société. La création du lien social est essentiel en prison. Or « si la mission de surveillance semble satisfaisante, la mission de réinsertion reste problématique5. » En effet, depuis quelques temps, comme nous l’évoquions en introduction, le caractère punitif de la peine semble réapparaître avec force au détriment de son aspect plus social. II. Surpopulation pénitentiaire et libération conditionnelle Cette première analyse de la notion de peine actuellement n’est pas sans lien avec cette constatation évidente qu’est depuis plusieurs années la surpopulation carcérale. Comme nous l’avons abordé en introduction, les peines sont de plus en plus sévères et l’octroi d’une libération conditionnelle de plus en plus restreint. Ceci ne fait qu’accroître chaque jour un peu plus la population carcérale. « Au cours des dix dernières années, l’octroi de mesures de libération conditionnelle n’a cessé de diminuer. A titre d’exemple, en 1991, 1104 détenus ont bénéficié d’une libération conditionnelle. Ils n’étaient plus que 681 en 2002 ... Parallèlement, les décisions de révocation de la libération conditionnelle sont de plus en plus nombreuses. La conséquence directe de cet état de fait : de plus en plus de détenus, épuisés par le parcours kafkaïen qui découle du processus de libération conditionnelle, prennent la décision de purger leur peine jusqu’au bout, sans demander de libération anticipée et donc sans avoir à justifier de la 55 Les cahiers de l’Actif, N° 296/297, « La réinsertion sociale des détenus en milieu carcéral – Une mission partagée, p.65. 4 moindre volonté de réinsertion..6. » « La procédure qui se veut protectrice de la société se retourne contre celle-ci7. » Plusieurs conséquences directes sont ainsi à mettre en évidence : « tant sur le respect des droits fondamentaux des détenus, que pour la sécurité des agents pénitentiaires ou encore pour la population dans son ensemble »8. D’autre part, l’OIP ( l’Observatoire International des Prisons) souligne également la présence d’une surpopulation carcérale à l’échelle européenne et « pousse un cri d’alarme concernant la dégradation des conditions de vie dans les prisons : promiscuité, hygiène déplorable, vétusté des bâtiments. Des conditions de vie indignes de ce siècle9. » Toutes ces conditions nous les retrouvons malheureusement dans certaines prisons belges. Suite à l’affaire Dutroux, de nombreux professionnels de terrain avaient demandé en 1998, la réforme de la Loi sur la libération conditionnelle. L’effet escompté n’a pas été atteint. En effet, celle-ci n’a fait qu’engendrer une surpopulation carcérale de plus en plus difficilement tenable. Néanmoins, afin de pallier ces différents problèmes, « la matière a une nouvelle fois été modifiée et une législation instaurant des tribunaux d’application des peines a été adoptée le 17 mai 2006 et entrera en vigueur sous peu. L’idée directrice qui a inspiré les auteurs de la Loi de 1998 se retrouve dans la nouvelle loi mais le texte a le mérite de confier ce type de décision à des juridictions indépendantes et impartiales ... Mais au delà de cette nouvelle loi, il ne sera pas remédié aux carences du système pénitentiaire sans l’octroi de moyens humains et financiers plus importants10. » Par ailleurs, « les peines alternatives restent une exception dans l’arsenal pénal utilisé par les juges. Ceux-ci privilégient toujours largement l’emprisonnement. Et ils ne sont pas incités à changer leur fusil d’épaule par les responsables politiques qui, pour répondre au problème de la surpopulation, augmentent encore et toujours la capacité carcérale en construisant de 6 La Libre Belgique, le 25 septembre 2006, p.21. DETIENNE Jean, « Rapport de 2001 », http://www.crisp.be/FR/Documents/Les%20commissions%20administratives%20rapport%20synth%C3%A8se %202001.pdf#search=%22%20peine%20punition%20resocialisation%20%22, p.30. 8 La Libre Belgique, le 25 septembre 2006, p.21. 9 V. Forest, donner à l’ex-détenu une seconde chance, Nouvelle du Réseau, N°116 – janvier, février 2006, P.1. 77 10 La Libre belgique, le 25 septembre 2006, p.21. 5 nouveaux établissements pénitentiaires. Or, tous les chiffres le montrent : si nous construisons de nouvelles prisons sans réformer les pratiques judiciaires, les prisons neuves seront, à leur tour, vite remplies et surpeuplées. La surpopulation dans les prisons ne peut se réguler qu’en modifiant la politique pénale11. » Les professionnels de terrain restent cependant assez dubitatifs. En effet, alors que certains espèrent que la mise en place d’un tribunal d’application des peines permettra de désengorger un peu les prisons belges, d’autres savent pertinemment que ce tribunal risque d’être vite surchargé. La question des moyens tant matériels, financiers qu’humains reste primordiale. En effet, il est important de pouvoir donner à cette nouvelle instance les moyens de fonctionner correctement. III. Les soins de santé conférés aux détenus Comme le souligne l’administration pénitentiaire : « même si un détenu est privé de sa liberté, il doit conserver ses autres droits fondamentaux. Il continue à faire partie de la société et par conséquent il a droit à l’aide et aux services proposés par le secteur social12. » « La vie en prison est le reflet de la vie en société. Les hommes conservent leurs travers. Ce qui la caractérise c’est la promiscuité, fruit de la surpopulation, qui amène les détenus à vivre à deux ou trois, 22h sur 24, sur une surface de 10 à 12 mètre carré dans un local ou toutes les exigences de la vie se déroulent au vu et au su des co-détenus... La vie en prison est émaillée de difficultés auxquelles le détenu va devoir faire face. Ce sont notamment les problèmes de santé...13 » 11 Th. D. et I. Ph., “Faut-il supprimer les prisons?”, Le Vif l’Express du 17.11.2006, p.44. DETIENNE Jean, « Rapport de 2001 », http://www.crisp.be/FR/Documents/Les%20commissions%20administratives%20rapport%20synth%C3%A8se %202001.pdf#search=%22%20peine%20punition%20resocialisation%20%22, p.12. 13 Le Courrier Hebdomadaire du CRISP, N°1916, « La nouvelle loi pénitentiaire – Retour sur un processus de réforme », p.26. 12 6 Ainsi, les détenus doivent pouvoir bénéficier de soins de santé équivalent à ceux accordés aux autres citoyens. Le discours pénitentiaire proclame ainsi que : « les méthodes utilisées doivent cultiver chez les détenus le sentiment qu’ils continuent à faire partie de la Communauté Sociale. Il en découle que l’on ne peut refuser la protection judiciaire à un détenu jusqu’à ce que la sévérité du régime appliqué ait effectivement atteint la santé physique ou mentale et que la preuve du mal soit établie par la victime14. » La situation actuelle est cependant très loin d’être le cas. En effet, « il est inutile de rappeler que le régime pénitentiaire dégrade, par la promiscuité et l’enfermement, la santé physique et psychique du détenu. Dans la plupart des prisons, quoique à des degrés divers, les traitements et les soins curatifs élémentaires sont refusés.15 » Dans la pratique, que ce soit au niveau des prescriptions médicales, de la distribution des médicaments, du suivi d’un régime alimentaire précis, de la demande de pouvoir consulter un médecin spécialiste... peu de recommandations médicales sont effectivement suivies à l’intérieur des prisons par le personnel pénitentiaire. Afin d’illustrer ces propos, prenons comme exemple la prison de Saint Gilles et la prison de Forest, deux prisons où nous suivons un grand nombre de détenus. En effet, un nombre important de détenus déjà passés par notre service ont mis en évidence ces différents problèmes. Que ce soit lors de suivis de formation au Centre des Etangs Noirs, lorsqu’on y acceptait encore les détenus, lors de visites à la prison ou lors des permanences organisées, beaucoup de détenus ou ex-détenus nous ont fait part de ces difficultés. Souvent, ils nous « déclarent que cela ne sert à rien de s’adresser au service médical, qu’ils préfèrent ne pas s’adresser au médecin car ils ne seront de toute façon pas soignés. Le fait même de demander des soins est mal vu et les exposent à des mesures disciplinaires. Ils reçoivent tout au plus des calmants 16». D’autres nous expliquent également que lorsqu’ils sont très malades et demandent à voir un médecin en urgence, celui-ci ne prend contact avec eux que quelques jours plus tard. 14 DETIENNE Jean, « Rapport de 2001 », http://www.crisp.be/FR/Documents/Les%20commissions%20administratives%20rapport%20synth%C3%A8se %202001.pdf#search=%22%20peine%20punition%20resocialisation%20%22, p.13. 15 Siréas, « Analyses et études : Analyse des contraintes et situations rencontrées par des justiciables qui bénéficient d’une mesure alternative d’exécution des peines », N°17, 2004. 16 Siréas, « Analyses et études : Analyse des contraintes et situations rencontrées par des justiciables qui bénéficient d’une mesure alternative d’exécution des peines », N°17, 2004. 7 De nouveau, la question de la surpopulation carcérale et du manque flagrant de personnel reste omniprésente dans la réalité quotidienne de beaucoup de professionnels de terrain. En effet, un nombre important d’entre eux constatent que la surpopulation des prisons belges et un manque énorme de personnel n’y sont pas étrangers. IV. Les conditions de détention des personnes incarcérées Ce point sur les conditions de détention à l’intérieur des prisons belges n’est pas sans lien avec le précédent. En effet, dans le même ordre d’idée que les problèmes de santé, nombre de détenus nous font souvent part d’autres difficultés liées à leur détention : les sorties au préau, les coups de téléphone, les visites ... refusés au détenu par certains gardiens sans aucuns motifs. Dans une lettre ouverte destinée à la Ministre de la Justice, Madame Onkelinx Laurette17, suite à l’affaire des membres du DHKP – C condamnés par la Cour d’appel de Gand pour leur appartenance à une organisation terroriste, il est également fait part de certaines dérives. En effet, « les prisonniers sont isolés des autres détenus. Ils sont confinés 23 heures sur 24 dans leur cellule. Durant leur unique heure de répit, ils sont seuls au préau. Les visites qui leur sont autorisées sont exclusivement celles de leurs avocats ou dans certains cas d’un cercle familial défini de manière très restrictive. Et enfin, certaines pratiques contribuent à organiser une privation de sommeil. Les lampes de leurs cellules restent allumées en permanence, il leur est quasiment impossible de dormir. » Ces pratiques sont inacceptables et contraires aux libertés et droits fondamentaux de tout être humain. « Tolérer que l’on inflige à une personne un traitement générant d’aussi lourdes souffrances, tant sur le plan mental que physique du détenu, s’apparente à l’acceptation, sinon d’une forme de torture, du moins à celles de traitements inhumains et dégradants 18 ». Or l’article 3 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés 17 Affaire Bahar Kimyongür, Lettre ouverte à Madame Laurette Onkelinx, Ministre de la Justice, 13 novembre 2006, à l’initiative de Benjamin Denis (Politologue aux Facultés Universitaires Saint Louis), voir : http://www.leclea.be/pages/lettre-ouverte-onkelinx.html 18 Affaire Bahar Kimyongür, Lettre ouverte à Madame Laurette Onkelinx, Ministre de la Justice, 13 novembre 2006, à l’initiative de Benjamin Denis (Politologue aux Facultés Universitaires Saint Louis), voir : http://www.leclea.be/pages/lettre-ouverte-onkelinx.html 8 Fondamentales l’exprime clairement : « l’article 3 de la Convention impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont comparables avec le respect de sa dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à sa détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate. » En constatant pareilles pratiques, nous pouvons remarquer qu’à l’heure actuelle un énorme retour en arrière est effectué dans l’enfermement et la punition des personnes ayant commis une infraction. En effet, alors que nous parlions au début de cet article d’une notion de réadaptation ou de réinsertion sociale de plus en plus présente dans le discours, la réalité nous oblige à constater que nous retombons dans une notion d’expiation par la souffrance que nous croyions dépassée. V. La question de la réinsertion sociale des détenus « En pratique, la prison est un présent qui est loin de préparer l’avenir. Le paradoxe de la justice est de condamner un délinquant issu, la plupart du temps, d’un milieu déshérité, pour le plonger dans un milieu où toutes les formes de criminalité se rencontrent19. » Dans ces conditions, il n’est pas évident pour les services sociaux et les détenus de préparer progressivement leur réinsertion dans la société. Néanmoins, la question de la réinsertion sociale reste présente. Que ce soit au niveau de la recherche d’un logement, d’un emploi, d’une formation ... de nombreux services sociaux extérieurs à la prison servent de relais et aident les détenus dans cette voie. Le chemin est cependant assez nébuleux et souvent rendu difficile par un manque évident de moyens. «La sortie de prison, quelle que soit la durée de la peine purgée, est un moment difficile à vivre. La personne libérée sans préparation ni accompagnement risque de se retrouver à 19 Le Courrier Hebdomadaire du CRISP, N°1916, « La nouvelle loi pénitentiaire – Retour sur un processus de réforme », p.32. 9 nouveau dans un environnement familial ou social néfaste, voire criminogène, ou bien au contraire dans un isolement total, alors qu’elle aurait besoin de soutien pour se réadapter à la vie libre. Tout ceci peut l’amener à la récidive20. » La présence de personnes accompagnant le détenu dans ses démarches est donc indispensable afin de lui éviter de retomber dans les travers du passé et de pouvoir l’aider à recommencer une nouvelle vie. Par ailleurs, un nombre important de personnes incarcérées en Belgique sont originaires d’un milieu social défavorisé. « La plupart des détenus sont sans emploi ou ont connu un parcours professionnel chaotique, très peu ont terminé le cycle d’études supérieurs. On trouve également en prison un pourcentage important d’illettrés21. » Parmi ceux-ci, nombre d’entre eux sont condamnés à une longue peine de prison associée pour la réparation du dommage qu’ils ont causé au paiement d’une amende au montant astronomique. Ceci alors qu’ils n’ont aucun moyen de la payer. Comment est-il possible de les aider à se réinsérer dans la société alors qu’on les enfonce encore plus dans la misère et qu’on renforce leur condition socioéconomique défavorisée ? En effet, ne serait-il pas plus judicieux de les mettre en prison et, lorsque leur peine est expiée, de diminuer voire de supprimer toute amende ? VI. Une expérience innovante : le « projet Bastoy » 22 Cette nouvelle expérience permet de mettre en évidence une pratique innovante en matière de détention. En effet, la création d’une prison ouverte en Norvège, sous l’impulsion de son directeur, Monsieur Oyvind Alnaes, met en pratique un tout nouveau système de détention. Il s’agit d’une prison modèle située sur l’île de Bastoy, près d’Oslo, dont les principes de base 20 Des voies d’amélioration : réinsertion et peines alternatives http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/prison-detention-reinsertion/reinsertion-peinesalternatives.shtml 21 Th. D. et I. Ph., “Faut-il supprimer les prisons?”, Le Vif l’Express du 17.11.2006, p.47. 22 Voir notamment http://uk.news.yahoo.com/23032006/80-132/break-law-live-beach.html 10 sont l’écologie et l’humanité. Nous pouvons y trouver des maisons de bois sans barreaux, des magasins sans gardiens … rien ne ressemblant à une prison. Cent quinze détenus et cinq agents y vivent 24h sur 24. Chaque maison est occupée par 4 – 5 détenus. Chacun travaille de 8h du matin à 15h de l’après midi et, pendant leurs temps libres, diverses activités s’offrent à eux : football, ordinateur, bibliothèque, … Le travail consiste essentiellement en travaux agricoles ou domestiques. Le directeur de la prison, Monsieur Oyvind Alnaes, convaincu que les régimes pénitentiaires ne permettent pas l’amélioration des détenus, a créé cet établissement en proposant aux détenus une manière différente d’expier leur peine. En effet, selon lui, ce n’est qu’en étant eux-mêmes respectés que les détenus pourront apprendre à respecter les autres. S’ils continuent à être considérés comme de dangereux criminels, ils ne cesseront de l’être. La philosophie principale est de mettre les détenus devant leurs responsabilités afin de les aider à imaginer et construire leur avenir. En six ans de temps, il n’y a eu qu’une seule fugue. Conclusion Beaucoup de personnes considèrent que la notion de peine en prison est liée au fait que le détenu doit s’amender, se repentir et reconnaître les fautes qu’il a commises avant de pouvoir se réintégrer et sortir de prison. Ainsi, « les fonctions inhérentes à l’emprisonnement d’un individu sont de marquer, de manière ultime et disproportionnée, la désapprobation de la société à l’égard d’une action jugée criminelle, de favoriser la réparation des dommages occasionnés aux victimes, et réduire les risques de récidive en donnant aux condamnés les outils de leur réinsertion23. » 23 V. Forest, donner à l’ex-détenu une seconde chance, Nouvelle du Réseau, N°116 – janvier, février 2006, P.1. 11 Néanmoins, sur le plan pratique, nous ne pouvons que faire un constat d’échec. En effet, nombre de détenus voient leurs droits bafoués, le personnel pénitentiaire se voit de plus en plus confronté à une surpopulation pénitentiaire accrue, ... La question des moyens financiers, humains et matériels reste omniprésente. Mais, sur le plan pratique, c’est inacceptable et, comme nous l’avons mentionné, contraire aux libertés et aux droits fondamentaux de tout être humain. Par ailleurs, depuis quelques années, mais surtout depuis la médiatisation de certaines affaires criminelles, nous assistons de plus en plus à un retour en force vers une sévérité accrue de la notion de peine en prison et une restriction des mesures permettant au détenu de sortir de prison avant la fin de sa peine. Tout ceci ne vise qu’à accentuer encore davantage la surpopulation pénitentiaire et rend difficile le travail du personnel pénitentiaire interne ou externe. Enfin, comme le rappelle le Conseil de l’Europe au sujet de la notion de peine de prison, « toute personne privée de liberté doit être traitée avec respect et dignité. Outre des conditions de détentions dignes de ce siècle, cela devrait inclure une réelle possibilité pour les détenus de bénéficier de formations et de conseils judicieux pour les préparer concrètement à leur retour au sein de la collectivité. Une société qui a banni depuis des lustres la Loi du talion se grandirait en prenant à bras le corps la question de la réinsertion de ses prisonniers24. » 24 V. Forest, donner à l’ex-détenu une seconde chance, Nouvelle du Réseau, N°116 – janvier, février 2006, P.1. 12