Lumières sur un manuscrit florentin du XVe siècle

Transcription

Lumières sur un manuscrit florentin du XVe siècle
RECHERCHES SUR UN MANUSCRIT DE LA BIBLIOTHEQUE
PATRIMONIALE DE NICE :
Satires de Juvénal et Perse
Florence, ca. 1465
MS 85- détail folio 23r. © BMVR Nice.
La Bibliothèque d’étude et du patrimoine Romain Gary de Nice détient une riche collection
de manuscrits anciens. Grâce aux fruits de la recherche scientifique, notre connaissance sur
leur intérêt bibliographique est constamment enrichie, participant ainsi à la valorisation des
collections patrimoniales.
Monsieur Dániel Kiss, de l’University College Dublin, s’est penché récemment sur le
manuscrit des Satires de Juvénal et Perse, conservé sous la cote MS 85. Surtout intéressé par
la nature et l’origine des commentaires copiés entre les lignes ou aux marges du texte, il a
fourni de nouvelles données sur le lieu et les conditions de réalisation de ce manuscrit
exceptionnellement bien conservé, ainsi qu’une datation plus précise.
Contexte historique et littéraire
Avant tout, il convient de rappeler à quel point la transmission des textes classiques de
l’Antiquité a été sujette à de nombreuses péripéties, liées tant aux bouleversements
historiques de l’Europe qu’aux interventions éclairées ou fantaisistes des copistes successifs.
Il est très difficile de déterminer le degré de fidélité de retranscription des textes anciens,
mais également d’identifier le savant qui les a augmenté de ses commentaires.
Juvénal (fin Ier siècle av. J.-C.- début du IIe) et Perse (34-62 ap. J.-C.), deux poètes satiriques
romains, ont fait une critique acerbe de leur temps et de leurs contemporains. Leurs textes
ont connu une postérité remarquable : très populaires au Moyen-âge, des centaines de
copies furent réalisées. Ils ont influencé nombre d’auteurs et de philosophes jusqu’à
l’époque moderne. Cependant, on peut déplorer qu’il manque encore une étude poussée
sur les manuscrits que nous avons de leurs œuvres, équivalente à celle menée, parexemple, sur les manuscrits du romain Properce.
L’analyse du manuscrit de Nice, remarquable à plusieurs égards, constitue peut-être une
première avancée dans cette perspective ?
BMVR de Nice, Un regard sur … le manuscrit MS 85
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Qualité de la réalisation
Sur un parchemin de qualité, au grain très fin et très clair, une
élégante écriture se déploie au fil des pages, rehaussées de
lettres enluminées. Plusieurs indices ont permis à M. Kiss de
dater le manuscrit aux alentours de 1465, à Florence.
MS 85- détail. © BMVR de Nice
MS 85- détail. © BMVR de Nice
L’écriture : d’un degré de maîtrise élevé, c’est une minuscule
humanistique développée à partir de 1400, probablement dans
le cercle de savants de Coluccio Salutati, Poggio Bracciolini et
Niccolò Niccoli. Sans toutefois l’égaler, elle se rapproche
beaucoup des réalisations du célèbres calligraphe, Gherardo
del Ciriago, qui officiait Florence vers le milieu du XVe siècle.
Les enluminures : les plus importantes devaient figurer sur
la page de frontispice, hélas disparue aujourd’hui. Mais
celles qui ont été conservées sur deux folios se distinguent
par l’élégance du trait, la vivacité des couleurs bleues,
vertes et rouges et leur motif floral caractéristique, dit à
« bianchi girari ». Les autres enluminures, sur des lettres
capitales rehaussées à la feuille d’or et ornées de motifs
géométriques colorés, viennent corroborer la thèse selon
laquelle leur auteur serait Francesco Antonio del Chierico
(1433-1498), orfèvre et miniaturiste actif à Florence au
milieu du XVe siècle.
MS 85- détail folio 86r. © BMVR de Nice
La reliure : exceptionnellement conservée, elle était
considérée comme d’origine vénitienne jusqu’à l’expertise de
M. Kiss. Montés sur ais de bois recouverts de maroquin
bronze, les plats comportent un encadrement d’arabesques
estampées et rehaussées de points d’or. Grâce à des
rapprochements effectués avec d’autres reliures de la même
époque, il est certain que notre exemplaire a été réalisé à
Florence entre ca.1441 et 1468, peut-être pour l’illustre
marchand Vespasiano da Bisticci (1421-1498), destiné au
marché des livres de luxe ou sur commande d’un client
distingué.
MS 85- plat supérieur © BMVR de Nice
BMVR de Nice, Un regard sur … le manuscrit MS 85
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La question des commentaires marginaux
Si les scholies, ou commentaires du texte, qui se trouvent
entre les lignes ou aux marges du manuscrit des Satires posent
problème quant à l’identification de leur auteur, elles
permettent tout du moins d’en affiner la datation.
Des chercheurs se sont penchés sur ce manuscrit depuis la fin
du XIXe siècle (voir la bibliographie complète dans l’article de
M. Kiss). En comparant leurs hypothèses, parfois
contradictoires, Dániel Kiss en vient à la conclusion que l’on
n’est pas encore à même d’identifier notre érudit. En
revanche, les commentaires qu’il a rédigé dans les marges ne
peuvent être que postérieurs à 1449 : c’est la date de
publication de Orthographia, une étude de l’humaniste
Giovanni Tortelli (1400-1466 env.), à laquelle notre
commentateur inconnu fait référence sur le folio 44v.
reproduit ci-contre.
MS 85- détail, folio 44v © BMVR de Nice
En conclusion, le manuscrit MS.85 de Nice, reflète brillamment la production libraire à
Florence à la Renaissance. Il conserve encore une petite part d’ombre, mais qui n’enlève rien
à son intérêt bibliographique, d’autant plus que l’on ne connaît, à la date d’aujourd’hui,
l’existence d’aucune autre copie de ce texte.
Nous remercions chaleureusement M. Dániel Kiss, qui nous a permis de réaliser ce compterendu de ses recherches, ainsi que l’Irish Research Council, qui a subventionné ses recherches.
BMVR de Nice, Un regard sur … le manuscrit MS 85
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