Un marais alcalin original à Drosera rotundifolia au cœur du
Transcription
Un marais alcalin original à Drosera rotundifolia au cœur du
NOTE BOTANIQUE Un marais alcalin original à Drosera rotundifolia au cœur du Châtillonnais (Minot - Côte-d’Or) Émilie WEBER, Renaud MILLARD, Samuel GOMEZ. Conservatoire des Sites Naturels Bourguignons. Rue du Moulin des Étangs 21600 FÉNAY. [email protected] Plusieurs stations de Rossolis à feuilles rondes (Drosera rotundifolia), espèce réputée acidophile, ont été retrouvées dans des marais alcalins tufeux du Châtillonnais (VAYSSIÉ et al., 1993, GOUDEAU et al., 1995). Il s’agit bien d’originalités, puisque la plante croît habituellement dans les tourbières acides et landes humides en contexte géologique siliceux. Loin de constituer des tourbières actives, les habitats de Drosera rotundifolia en Châtillonnais sont plutôt représentés par les systèmes de bas-marais alcalins oligotrophes sur des dépôts tufeux basiques. Par ailleurs quelques systèmes alcalins tourbeux à Sphaignes existent sur le Plateau de Langres sans toutefois abriter l’espèce (ROYER & DIDIER, 1996). Des questions se posent encore quant à l’origine de Drosera rotundifolia sur des sites aux conditions écologiques a priori peu favorables. La découverte récente d’une belle station de Drosera rotundifolia apporte un éclairage nouveau sur sa présence dans le Châtillonnais. E. WEBER, CSNB Sise à l’endroit d’un ancien étang sur la commune de Minot, en Côte-d’Or, la station se présente sous la forme d’une grande cuvette de quatre hectares partiellement boisée et parcourue en son centre par un ruisselet de tête de bassin (Photo 1). Photographie 1 : Vue générale du bas-marais tufeux 64 Emilie WEBER et al. Rev. sci. Bourgogne-Nature - 12-2010, 64-67 Graphisme O.GIRARD – CSNB Les flancs sont découpés par de multiples exsurgences naissant au niveau d’une ligne de discontinuités géologiques entre les calcaires oolithiques aquifères du Bathonien inférieur et le niveau de marnes à Ostrea acuminata imperméable du Bajocien supérieur. Ces suintements, tout comme le ruisseau, irriguent d’une eau froide et basique le basmarais situé en contrebas. En conséquence, une végétation calcicole typique des marais alcalins du Châtillonnais se développe sur le site selon un gradient d’hygrophilie en lien avec la topographie (Figure 1). Figure 1 : Transect schématique des végétations du marais de Minot Bien que le site constitue un bel exemple de marais alcalin de la Montagne Châtillonnaise par sa richesse floristique et la rareté de ses habitats, c’est au sein des deux cariçaies colonisant le replat topographique que le marais de Minot dissimule sa véritable originalité floristique. Dans la partie centrale de la cuvette, peut-être plus tourbeuse, se forment des buttes de Sphaignes coalescentes, toutes colonisées par des populations de Rossolis à feuilles rondes Drosera rotundifolia (plusieurs centaines d’individus). À l’occasion d’une journée d’échanges scientifiques sur le terrain et dans la perspective de mieux appréhender le fonctionnement écologique du bas-marais, des échantillons de Sphaignes ont été récoltés, puis identifiés indépendamment par les équipes du CBNBP et du Pôle-relais Tourbières. Au final, l’étude bryologique met en lumière deux espèces plutôt neutroclines : Sphagnum subnitens et Sphagnum palustre présentes également dans d’autres marais alcalins de la région (marais du Plongerot à Rochetaillée-sur-Aujon, marais de Coiffy, Jean-Marie ROYER com. pers. 2009). La présence du Rossolis ne semble donc pas liée à un phénomène d’acidification de la partie centrale de la cuvette. D’autres situations permettent l’établissement d’un milieu acide dans des tourbières alcalines, dès lors que la formation d’une strate de tourbe isole les Sphaignes des eaux carbonatées (exemple des tourbières du Haut-Doubs, ROYER et al., 1978). A ce titre le fonctionnement du marais de Minot présente des similitudes avec les tourbières jurassiennes. Les formations de Sphaignes installées sur des touradons (Carex davalliana, Molinia caerulea, Schoenus spp. cf. Photo 2) ont pu s’affranchir des apports d’eau phréatique riche en bases, s’imprégnant uniquement des eaux d’origine atmosphérique, dans un contexte mésoclimatique local plutôt froid et humide (fonctionnement des radeaux de Sphaignes de type ombrogène). Avec une concordance de neutralité et d’oligotrophie du substrat, Drosera rotundifolia peut trouver des microconditions stationnelles favorables à son installation et à son maintien en système calcaire (Photo 3). Au-delà de ces originalités floristiques, la faune du marais de Minot n’est pas en reste. Le site abrite une population d’Azuré des Mouillères, Maculinea alcon, un Lépidoptère Rhopalocère d’intérêt régional voire national par sa rareté et la singularité de son cycle de vie. Pour effectuer leur développement les espèces du genre Maculinea sont dépendantes d’une plante hôte spécifique et d’une à deux espèces de fourmis. Maculinea alcon ne déroge pas à la règle et pond ses œufs sur la rare Gentiana pneumonanthe (Photo 4). Les premiers stades larvaires se nourrissent du bouton floral, puis les chenilles sont récupéUn marais alcalin original à Drosera rotundifolia au coeur du Châtillonais 65 E. WEBER, CSNB E. WEBER, CSNB Photo 2 : Butte de Sphaigne sur un touradon de Molinia caerulea Photo 3 : Drosera rotundifolia sur Sphagnum palustre rées par les fourmis Myrmica scabrinodis (ou M. ruginodis selon les régions) qui vont les accueillir dans la fourmilière, où elles se développeront jusqu’à l’émergence (Photo 5). Entre temps elles se nourriront d’aliments apportés par les fourmis et même du couvain de ces dernières. Le marais recèle également un Zygoptère protégé en France et inscrit à l’Annexe II de la Directive « Habitats » l’Agrion de Mercure Coenagrion mercuriale, à l’écologie assez stricte, inféodé aux petits cours d’eau de bonne qualité et bien exposés (eau se réchauffant relativement vite). Il s’agit bien d’un site d’intérêt écologique régional pour ses habitats, sa faune et sa flore qui vient d’être redécouvert en Châtillonnais. 66 Emilie WEBER et al. Rev. sci. Bourgogne-Nature - 12-2010, 64-67 Observateurs : Bernard DIDIER, Samuel GOMEZ (CSNB), Frédéric HENDOUX (CBNBP), Pierre JUILLARD, Renaud MILLARD (CSNB), Francis MULLER (FCEN), Jean-Marie ROYER, Émilie WEBER (CSNB). Bibliographie : GOUDEAU P., LACLOS E. (DE), MAGERAND J.-C., VADAM J.-C., BUGNON F., 1995. Contribution à l’étude de la flore Bourguignonne (note 7), Bulletin Scientifique de Bourgogne. 47 : 3-12 ROYER J.-M. & DIDIER B., 1996. Flore et Végétation des marais tufeux du plateau de Langres (Mémoire n°2), Société de Sciences Naturelles et d’Archéologie de la Haute-Marne. 112 p. ROYER J.-M., VADAM J.-C., GILLET F., AUMONIER J.-P., AUMONIER M.-F., 1978. Étude phytosociologique des tourbières acides du Haut-Doubs – Réflexions sur leur régénération et leur genèse, Colloques Phytosociologiques : la Végétation des sols tourbeux. 7 : 275-344 Frédéric HENDOUX VAYSSIÉ J.-P., DIDIER B., ROYER J.-M., 1993. Sur la présence de Drosera rotundifolia dans un marais alcalin du Châtillonnais, Bulletin de la Société de sciences naturelles et d’archéologie de la Haute-Marne. Photo 4 : Ponte de Maculinea alcon sur Gentiana pneumonanthe Renaud MILLARD Photo 5 : Individu adulte de Maculinea alcon 67