Pactes d`actionnaires et mécanismes de renforcement du contrôle

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Pactes d`actionnaires et mécanismes de renforcement du contrôle
Pactes d’actionnaires et mécanismes de renforcement du contrôle
Thèse de doctorat en Sciences de Gestion
Spécialité : Finance d’entreprise
Soutenue le 10 novembre 2010 par François BELOT
Université Paris-Dauphine
Sous la direction de Madame le Professeur Edith GINGLINGER
Organisation du résumé
1
Introduction ......................................................................................................................... 2
2
Méthodologie retenue ......................................................................................................... 4
3
2.1
Echantillon d’entreprises ............................................................................................ 4
2.2
Les pactes d’actionnaires comme preuve de l’existence d’une coalition de contrôle. 5
2.3
La collecte manuelle des données .............................................................................. 6
2.4
Les outils de l’analyse ................................................................................................. 7
Les quatre chapitres de la thèse et leurs principaux résultats ............................................. 7
3.1
Chapitre 1 – Les pactes d’actionnaires : éléments juridiques, littérature financière et
prévalence .............................................................................................................................. 7
3.2
Chapitre 2 – Shareholder agreements and firm value: Evidence from French listed
firms 10
3.3
Chapitre 3 – Shareholder agreements, takeover premiums and acquisition likelihood
11
3.4
Chapitre 4 – Excess control rights and corporate acquisitions ................................ 13
4
Les implications managériales de la thèse ........................................................................ 14
5
Conclusion ........................................................................................................................ 16
6
Eléments de bibliographie................................................................................................. 19
1
1
Introduction
L’actionnariat de la plupart des grandes entreprises cotées en bourse est concentré.
Fréquemment, l’actionnaire de référence solidifie son contrôle sur l’entreprise à l’aide de
mécanismes qui violent le principe de proportionnalité1 et lui permettent de posséder une
quote-part des droits de vote supérieure à sa participation au capital. La récente étude ISS,
Sherman & Sterling et ECGI (2007) ne recense pas moins de treize mécanismes de
renforcement du contrôle, les actions à droit de vote différent2, les structures pyramidales3 ou
les participations croisées étant les plus répandues.
Un actionnaire important peut améliorer la gouvernance d’entreprise. Dans la mesure où il
s’accapare une fraction significative (au prorata de sa détention d’actions) de la valeur créée
en cas d’amélioration des performances de l’entreprise, un gros actionnaire est incité à exercer
la fonction de contrôle des dirigeants et accepte de supporter seul les coûts liés à cette
surveillance. Ceci génère des externalités positives puisque les actionnaires minoritaires vont
en bénéficier. Le contrôle qu’il exerce sur l’entreprise offre cependant à l’actionnaire de
référence l’accès à un ensemble d’avantages que la littérature regroupe sous le vocable de
« bénéfices privés ». Ceux-ci peuvent être de nature financière (rémunérations excessives,
transferts d’actifs, etc.) ou non pécuniaires (prestige, népotisme, statut social, etc.) et
reviennent exclusivement à l’actionnaire contrôlant, les actionnaires minoritaires n’en
bénéficient pas. L’actionnaire contrôlant réalise donc un arbitrage entre maximisation de la
valeur de la firme (objectif souhaité par les actionnaires minoritaires) et appropriation de
bénéfices privés (au détriment des minoritaires). La littérature financière démontre que les
mécanismes de renforcement du contrôle orientent les choix de l’actionnaire de référence vers
des projets porteurs de bénéfices privés et exacerbent le conflit opposant minoritaires et
actionnaires contrôlants.
L’étude ISS, Sherman & Sterling et ECGI (2007) inclut les pactes d’actionnaires parmi
les mécanismes de renforcement du contrôle. Ces accords extrastatutaires, qui concernent
1
En vertu de ce principe, les droits de vote – donc le pouvoir – accordés doivent correspondre au niveau de
risque économique supporté.
2
Si la loi l’autorise, les statuts de la société peuvent prévoir l’attribution de droits différents aux actions. La
société américaine BERKSHIRE HATHAWAY offre par exemple aux porteurs d’actions de classe A des
dividendes 30 fois et des droits de vote 200 fois supérieurs à ceux d’un porteur de classe B. Le capital d’une
société peut également, pour partie, être composé d’actions sans droits de vote dont la suppression est souvent
compensée par l’attribution de privilèges financiers. L’exemple canonique est celui de PORSCHE dont le capital
est pour moitié composé d’actions portant un droit de vote et pour moitié d’actions sans droits de vote.
3
On parle de « structure pyramidale » lorsqu’une chaîne de participations s’interpose entre la société contrôlée
in-fine et son actionnaire de référence. Un exemple typique est présenté en page 216 de la thèse : J.C. Naouri
contrôle la société EURIS, celle-ci contrôle la société FINATIS, actionnaire majoritaire de FONCIERE EURIS,
société contrôlant la société RALLYE qui détient in-fine la majorité des droits de vote de GROUPE CASINO.
2
généralement des actionnaires significatifs, se rencontrent dans 8% des entreprises
européennes cotées. Étonnamment, la littérature économique et financière n’a que très peu
étudié ces outils ; les clauses qu’ils contiennent et leur impact économique n’ont pas fait
l’objet d’analyses systématiques. Ainsi, de nombreuses questions relatives aux pactes
d’actionnaires restent en suspens. Sont-ils des mécanismes de renforcement du contrôle
« comme les autres » ? Leurs signataires les concluent-ils dans une optique d’extraction de
bénéfices privés ? Le partage du contrôle entre actionnaires, matérialisé par un pacte, peut-il
être bénéfique ? Le cas échéant, les entreprises concernées par un pacte sont-elles plus
performantes ?
Cette thèse examine l’impact économique des outils dont dispose l’actionnaire de
référence pour asseoir son contrôle. Puisque les bénéfices privés sont par nature
inobservables, le point de vue adopté est celui des actionnaires minoritaires. Ce choix est
d’autant plus évident que l’information la plus facilement observable pour une entreprise
cotée – le cours de bourse – reflète directement l’appréciation par les actionnaires minoritaires
de leur situation. La problématique générale est donc la suivante : quelle est l’influence des
pactes d’actionnaires et des mécanismes de renforcement du contrôle sur le bien-être des
actionnaires minoritaires ?
Cette thématique de recherche est investiguée à l’aide d’un large échantillon d’entreprises
françaises cotées en bourse et ayant appartenu à l’indice SBF 250 sur la période 2000-2008.
Le contexte français nous semble particulièrement bien adapté puisque de nombreux
mécanismes de renforcement du contrôle sont autorisés par la loi française (pas moins de 10
sur les 13 recensés par l’étude ISS, Sherman & Sterling et ECGI [2007]).
En outre, des pactes d’actionnaires sont en vigueur dans un nombre significatif
d’entreprises françaises cotées en bourse (voir la figure 1 ci-dessous). A titre illustratif, des
sociétés aussi emblématiques de la cote française que L’OREAL, PERNOD-RICARD,
SANOFI-AVENTIS, THALES, ACCOR, BNP PARIBAS ou AXA (parmi d’autres) sont (ou
ont été) concernées par un pacte.
Dans 64% des firmes de notre échantillon, les statuts de la firme prévoient l’attribution
d’un droit de vote double aux actionnaires les plus fidèles. Ce mécanisme, typiquement
français, n’a pas fait l’objet d’analyses systématiques. Il permet pourtant une forte séparation
de la propriété et du contrôle : la holding ARTEMIS contrôle ainsi 55.4% des droits de vote
de PINAULT PRINTEMPS REDOUTE alors qu’elle ne détient que 40.8% du capital. En
outre, l’étude de l’impact économique du droit de vote double apparait pertinente à l’heure où
s’élèvent des voix discordantes. Claude Bébéar, ancien Président du conseil de surveillance
3
d’AXA, milite ainsi activement en faveur du droit de vote double alors que l’Association
Française de Gestion (AFG) recommande sa suppression.
Figure 1 : Les pactes d’actionnaires au sein de l’indice SBF 250
La composition de l’indice SBF 250 est téléchargée sur DATASTREAM. Pour chaque firme composant l’indice,
nous relevons la présence d’un pacte d’actionnaires. Le graphique donne la fréquence des accords (pourcentage
de firmes concernées) et le poids dans la capitalisation globale des firmes concernées par un accord.
40%
35%
30%
25%
20%
En nombre
15%
En valeur
10%
5%
0%
Les trois premiers chapitres de la thèse étudient les pactes d’actionnaires et font apparaître
l’impact positif de ces outils sur le bien-être des actionnaires minoritaires ; ils élargissent en
outre notre connaissance des pactes d’actionnaires au sein des sociétés cotées et remettent en
question la vision souvent négative de ces mécanismes. Dans le quatrième chapitre4, nous
analysons la qualité des acquisitions réalisées par l’entreprise et constatons que les
actionnaires minoritaires accueillent moins favorablement l’opération lorsque la firme est
contrôlée par un actionnaire possédant des droits de vote supérieurs à ses droits au capital, en
particulier lorsque ce sur-contrôle découle de l’existence de droits de vote double.
2
2.1
Méthodologie retenue
Echantillon d’entreprises
L’analyse proposée, exclusivement empirique, a été rendue possible par la collecte d’une
base de données originale contenant 2890 firmes-années (400 firmes françaises composant
4
Les chapitres 2, 3 et 4 sont rédigés en anglais.
4
l’indice SBF 250 sur la période 2000-2008). D’autres entreprises (270 observations) de plus
faibles capitalisations boursières ont également été prises en compte dans les chapitres 1 et 3.
2.2
Les pactes d’actionnaires comme preuve de l’existence d’une coalition de contrôle
Comme le rappelle La Bruslerie (2010, p. 305), « l’actionnaire contrôlant est le plus
souvent un groupe d’actionnaires qui constituent un bloc de contrôle ». La littérature
économique et financière envisage donc l’existence d’un contrôle partagé entre actionnaires
regroupés au sein d’une coalition. Il peut s’avérer parfois difficile d’identifier cette coalition
de contrôle. Certains auteurs étudient des structures d’actionnariat réelles et conjecturent
l’existence de coalitions à l’aide d’algorithmes sophistiqués. Cette méthode peut sembler
particulièrement hasardeuse dans la mesure où les risques d’erreur de type 1 (considérer
comme alliés des actionnaires qui ne le sont pas) et de type 2 (considérer comme non alliés
des actionnaires qui le sont en réalité) sont élevés. Une façon naturelle de contourner ce
problème consiste à étudier des coalitions dont l’existence est avérée. Reste alors à identifier
des preuves tangibles de l’existence de ces coalitions.
L’existence d’un contrat écrit entre actionnaires apporte, selon nous, ladite preuve. Les
pactes d’actionnaires apparaissent comme de véritables contrats de coalition puisqu’ils ont
pour objet soit de prendre ou de conserver le pouvoir, soit d’organiser le pouvoir au sein de la
société. En outre, ils ont l’avantage d’être facilement identifiables puisqu’ils doivent être
transmis à l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) dès lors qu’ils portent sur au moins 0.5%
du capital ou des droits de vote (article L233-11 du Code de commerce).
Nous sommes conscients qu’une coalition de contrôle peut exister dans l’entreprise, et ce
indépendamment de l’existence d’un pacte d’actionnaires. La notion d’action de concert,
fondamentale en droit français, vient préciser cette intuition. Selon l’article L233-10 du Code
de commerce modifié par la loi de régulation bancaire et financière entrée en vigueur le 22
octobre 2010, « sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un
accord en vue d'acquérir, de céder ou d'exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une
politique commune vis-à-vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société ».
L’existence d’un contrat écrit entre actionnaires n’implique pas l’action de concert (certains
pactes n’en sont pas constitutifs, en particulier lorsqu’ils ne prévoient que de simples clauses
financières) ; par ailleurs l’action de concert peut exister même si aucun pacte n’a été signé.
Lors de la collecte de nos données, nous avons donc veillé à rechercher toute mention à une
5
éventuelle action de concert. Nos analyses empiriques s’efforcent également de distinguer les
pactes qui caractérisent l’action de concert des accords qui ne la caractérisent pas.
2.3
La collecte manuelle des données
Si l’ensemble des données comptables/financières ont été téléchargées sur des bases de
données électroniques fréquemment utilisées dans les travaux financiers empiriques
(DATASTREAM et WORLDSCOPE), les données d’actionnariat qui sont au cœur de notre
travail doctoral ont été collectées manuellement. Ce choix s’est imposé puisque nous avons
constaté que les bases de données commerciales consacrées à cette thématique sont
imprécises (la base THOMSON ONE BANKER ne prend pas en compte les droits de vote
double pourtant très utilisés en France) et comportent des erreurs. Des chercheurs américains
ont par exemple démontré qu’en raison de double ou triple comptages la détention cumulée
des actionnaires recensés peut être supérieure à 100%.
Les pactes d’actionnaires ont été téléchargés sur le site de l’AMF (rubrique « Pactes ») et
méthodiquement examinés à l’aide d’une grille de lecture contenant 468 items relatifs aux
clauses qu’ils contiennent (270 relatifs aux clauses « financières », 107 aux clauses « de
gestion de l’entreprise », 91 aux clauses « diverses », cf. section 3.1 ci-dessous). Cette
première grille de codage a ensuite été simplifiée et condensée en 19 grandes catégories.
Par ailleurs, les données d’actionnariat ont été collectées en retenant la méthode de
l’actionnaire ultime développée par La Porta et al. (1999). Cette méthodologie fait apparaitre
les mécanismes de renforcement du contrôle ; elle permet l’identification de l’actionnaire de
référence de l’entreprise et le calcul des droits au capital – donc l’investissement réel – de ce
dernier. La société TF1 peut servir d’illustration : au 31 décembre 2008, le premier
actionnaire de cette société est la firme BOUYGUES avec 43% du capital et des droits de
vote, elle-même détenue à hauteur de 19.2% du capital et 28.6% des droits de vote par SCDM
(société holding de la famille Bouygues). L’application stricte de la méthode de l’actionnaire
ultime nous amène à considérer que la famille Bouygues est l’actionnaire ultime de la société
TF1, qu’elle détient réellement 8.26% de la société TF1 (i.e. 43%*19.2%) et exerce un
contrôle à hauteur de 28.6% (i.e. la valeur minimale des droits de vote sur la chaine de
participation). L’écart entre droits au capital (8.26%) et droits de vote (28.6%) ultimes
s’explique par le recours au mécanisme du droit de vote double (chez BOUYGUES) et par
l’utilisation d’une structure pyramidale (la société BOUYGUES s’interposant entre TF1 et la
famille Bouygues).
6
2.4
Les outils de l’analyse
Différentes mesures du bien-être des actionnaires minoritaires sont utilisées dans ce travail
de recherche. Dans le chapitre 2, nous retenons une analyse économétrique dont la variable
dépendante est une approximation du Q de Tobin5. Dans les chapitres 1 et 4, nous calculons à
l’aide d’une étude d’événement la rentabilité anormale autour de la date d’annonce d’une
opération particulière affectant la vie de l’entreprise. La rentabilité anormale mesure la
réaction de court-terme du marché boursier, donc l’appréciation de l’opération par les
investisseurs. Le chapitre 3 propose une analyse des primes versées aux actionnaires en cas
d’opération de changement de contrôle.
La robustesse des résultats fait l’objet de nombreux tests économétriques. Nous discutons
les problèmes d’endogéneité (en particulier le risque de causalité inverse) et essayons d’y
apporter des solutions
(voir en particulier l’utilisation de la technique des variables
instrumentales dans les chapitres 3 et 4). La problématique du biais de sélection est traitée à
l’aide d’une procédure d’Heckman (1979) en deux étapes. Des spécifications économétriques
sur des sous-échantillons sont mises en œuvre et permettent de vérifier que les résultats sont
solides et demeurent après exclusion des données les moins pertinentes (chapitres 2 et 4). Des
tests économétriques sur données de panel ont également été réalisés (chapitre 2). Ces
techniques économétriques « avancées » valident les résultats obtenus à l’aide de procédures
plus standards.
3
3.1
Les quatre chapitres de la thèse et leurs principaux résultats
Chapitre 1 – Les pactes d’actionnaires : éléments juridiques, littérature financière et
prévalence
Les notions de droit des sociétés applicables aux pactes d’actionnaires, qu’ils concernent
des sociétés cotées ou non, sont présentées dans un premier temps. Nous insistons sur les
conflits qui peuvent survenir en cas de violation des engagements souscrits par les signataires
et discutons les recours dont dispose la partie qui s’estime lésée. Il apparait que
5
Cet indicateur, que nous approximons par le ratio entre valeur de marché des titres financiers détenus par les
investisseurs et valeur comptable des actifs, peut être vu comme un indicateur de performance ex-ante mesurant
l’ensemble des rentes anticipées sur un horizon infini (Charreaux, 1998). Cette anticipation est celle des
opérateurs de marché. Cet indicateur est fréquemment rencontré dans la littérature financière (voir par exemple
Morck et al. [1988]).
7
l’inobservation d’un pacte se traduit généralement par le simple versement de dommages et
intérêts et que l’exécution forcée des clauses du contrat est difficile à obtenir.
La loi relative aux pactes d’actionnaires au sein de sociétés cotées est ensuite résumée.
Nous insistons alors sur l’obligation de divulgation du contenu du pacte au marché et sur les
sanctions encourues par des signataires se soustrayant à cette obligation (tant en période
normale qu’en période d’offre publique). La notion d’action de concert et ses incidences (en
particulier les déclarations de franchissement de seuil ou l’obligation de déposer une offre
publique) sont évoquées ; la problématique de la preuve de l’action de concert est discutée à
l’aune du récent cas EIFFAGE – SACYR.
Les clauses les plus fréquemment rencontrées dans les pactes d’actionnaires des sociétés
cotées sont enfin décrites. En accord avec la littérature juridique, nous distinguons les clauses
financières relatives à l’achat ou la vente des titres (droit de préemption, droit de sortie
conjointe, etc.), les clauses relatives à la gestion de l’entreprise (clause de représentation des
signataires au conseil d’administration/de surveillance, clause de concertation, etc.) et les
clauses diverses (motifs de résiliation du contrat, nomination d’un gérant chargé de faire
respecter les engagements souscrits par les signataires, etc.). Cet exposé se veut le plus
concret possible : l’annexe 5 de la thèse propose ainsi des extraits de pactes d’actionnaires
illustrant l’utilisation des différentes clauses et la formulation retenue par les signataires du
contrat.
Une revue de la littérature économique et financière consacrée aux accords d’actionnaires
est proposée dans la seconde partie du chapitre. Celle-ci met en avant certaines vertus des
pactes : réduction de l’asymétrie d’information, allocation du pouvoir de décision dans le
cadre de contrats incomplets ou encore diminution du risque de hold-up. Cette littérature est
largement focalisée sur les sociétés non cotées (en particulier sur les contrats liant
entrepreneurs et capital-investisseurs).
Les pactes d’actionnaires au sein de sociétés cotées sont a priori analysés comme des
mécanismes de renforcement du contrôle servant les intérêts de l’actionnaire de référence.
Nous discutons la légitimité de cette analyse. Contrairement aux actions à droit de vote
multiple ou aux structures pyramidales, les pactes impliquent la présence de plusieurs
actionnaires et la mise en œuvre d’une coordination dont les effets peuvent être bénéfiques.
Baglioni (2008) évoque ainsi une redistribution mécanique des pouvoirs entre porteurs de
titres qui conduit le plus gros actionnaire à mieux prendre en compte les points de vue
d’actionnaires moins puissants ; Bennedsen et Wolfenzon (2000) rappellent que l’extraction
8
de bénéfices privés décroit avec la détention agrégée de droits au capital des signataires du
pacte ; Gomes et Novaes (2005) démontrent qu’un partage du contrôle peut être bénéfique car
il conduit parfois la firme à renoncer à de mauvais projets d’investissement. La (maigre)
littérature empirique semble valider cette analyse « positive » des pactes d’actionnaires :
Volpin (2002) constate ainsi que les firmes cotées concernées par un pacte d’actionnaires ont
une meilleure gouvernance d’entreprise et sont plus valorisées par le marché.
La dernière partie du premier chapitre offre une description des pactes d’actionnaires dans
les grandes sociétés françaises cotées en bourse. Il apparait que 23.18% des sociétés de
l’échantillon sont concernées par un pacte. Celui-ci matérialise généralement l’existence
d’une coalition de contrôle puisque la détention agrégée des signataires est en moyenne de
59,5% des droits de vote, celle du premier signataire s’établissant à 37,6%. Le nombre moyen
(médian) de signataires est de 2.67 (2) ; dans 52,5% des cas les parties au contrat sont du
même type (par exemple deux familles). La volonté d’éviter les problèmes de coordination
inhérents au processus de décision dans les coalitions de trop grande taille et/ou regroupant
des actionnaires aux motivations éloignées pourrait expliquer ces spécificités.
Dans quasiment trois-quarts des cas, le pacte implique deux actionnaires très significatifs
(i.e. possédant chacun plus de 10% des droits de vote) et concerne des entreprises
caractérisées par une répartition assez équitable des pouvoirs entre actionnaires. L’analyse des
contrats révèle un fréquent recours au droit de préemption (dans 64.6% des cas), aux clauses
restreignant les transferts de titres (40%), au droit de sortie conjointe (24.6%) ou à la clause
de répartition des sièges du conseil (40.1%). Nous constatons enfin que 80.1% des pactes sont
constitutifs d’une action de concert.
Une première analyse de l’appréciation par les minoritaires des accords d’actionnaires est
finalement proposée. Nous collectons un échantillon de 125 événements relatifs aux pactes
(53 signatures, 36 renouvellements et 36 fins de pactes) et étudions la réaction du marché
autour de la date d’annonce. Les signatures sont accompagnées de rentabilités anormales
faiblement positives mais significatives, les renouvellements de rentabilités anormales
négatives et significatives, les fins de pactes n’engendrant quant à elles aucune réaction
significative. Cette première analyse de court-terme complète les études empiriques que nous
réalisons par la suite sur la base d’échantillons contenant des observations annuelles.
9
3.2
Chapitre 2 – Shareholder agreements and firm value: Evidence from French listed
firms
Dans le second chapitre, nous examinons l’impact des accords d’actionnaires sur la
valorisation de la firme (mesurée par le Q de Tobin). Nous excluons les entreprises
financières6 et menons l’analyse empirique sur 2461 observations. A la suite de Laeven et
Levine (2008), nous nous intéressons tout particulièrement aux structures d’actionnariat
qualifiées de « complexes » dans lesquelles on retrouve au moins deux gros porteurs de titres
(chacun détenant au minimum 10% des droits de vote). Laeven et Levine démontrent que la
valorisation de la firme décroit à mesure que l’écart entre les droits de vote des deux
principaux actionnaires augmente. Si la firme possède deux gros actionnaires, la valeur de
l’entreprise sera plus faible lorsque les droits de vote du second actionnaire sont beaucoup
plus faibles que ceux du premier. Ce résultat valide les prédictions théoriques formulées par
Bloch et Hege (2001) : l’extraction de bénéfices privés et l’opportunisme de l’actionnaire de
référence sont moindres lorsque le second actionnaire dispose d’un pouvoir de contrôle et de
contestation de ses actions. Ce pouvoir découle de la détention d’une fraction importante de
droits de vote, qui offre au second actionnaire la possibilité de jouer un rôle de « garde-fou ».
Partant de ce résultat, nous examinons l’influence des accords d’actionnaires. Cette
analyse est légitime puisque nous constatons que les deux principaux actionnaires sont
signataires d’un accord dans 45.4% des structures d’actionnariat complexes. Cette régularité
empirique n’ayant pas été étudiée dans la littérature financière, nous nous efforçons de
répondre à la question suivante : l’impact négatif d’une répartition inéquitable des droits de
vote entre gros actionnaires est il moindre / plus marqué / d’une ampleur constante lorsqu’un
pacte lie ces gros actionnaires ?
Il apparait que les pactes viennent compenser l’effet négatif d’une répartition inégale des
droits de vote entre actionnaires. Autrement dit, la relation négative entre valorisation de la
firme et écart entre droits de vote des deux principaux actionnaires ne vaut que si ceux-ci ne
sont pas signataires d’un pacte. Ce premier test démontre l’effet bénéfique des accords
d’actionnaires. Une régression sur sous-échantillons vient confirmer le résultat : un fort écart
entre droits de vote des deux principaux actionnaires n’a d’impact significatif que sur le souséchantillon des firmes non concernées par un pacte ; son influence est non significative sur le
sous-échantillon de firmes dont les deux principaux actionnaires ont conclu un accord.
6
La comptabilité des entreprises du secteur financier (banques/assurances) est différente et rend la comparaison
avec d’autres firmes délicate. Il est donc logique de ne pas prendre en compte les sociétés financières dans les
études empiriques consacrées à la valorisation.
10
L’étude porte également sur les clauses du pacte d’actionnaires et les caractéristiques de
ses signataires. Elle montre que l’effet compensateur du pacte est d’autant plus prononcé qu’il
caractérise une action de concert et/ou implique des actionnaires de type similaire (par
exemple deux familles). Ce résultat est à rapprocher d’études qui démontrent que l’action de
concert (donc la décision unanime) implique une véritable redistribution des pouvoirs. Ainsi,
un actionnaire ne possédant qu’une faible fraction des droits de vote mais signataire de
l’accord sera plus en mesure de contester les décisions du gros actionnaire. Enfin, nous
mettons en avant l’impact modérateur de clauses financières : nous constatons que la
valorisation de la firme est plus élevée lorsque le pacte inclut au moins une clause financière.
Ce résultat valide l’analyse théorique de Chemla et al. (2007) qui met en avant l’influence
bénéfique de telles clauses.
Enfin, nous collectons un échantillon d’annonces (signature / renouvellement / fin)
relatives à des pactes d’actionnaires impliquant au moins deux gros porteurs de titres
(détenant au minimum 10% des droits de vote). Notre objectif est de confronter la réaction de
court terme du marché à la valorisation de plus long terme des firmes (mesurée à l’aide du Q
de Tobin) étudiée dans la première partie du chapitre. Une étude d’événement est alors mise
en œuvre ; elle démontre que les opérateurs de marché réagissent d’autant plus favorablement
à l’entrée en vigueur d’un pacte que les actionnaires signataires ont des pouvoirs disparates
(i.e. quand le premier actionnaire possède beaucoup plus de droits de vote que le second). En
résumé, nous obtenons des résultats comparables en utilisant pourtant des méthodologies
différentes.
3.3
Chapitre 3 – Shareholder agreements, takeover premiums and acquisition likelihood
Dans le troisième chapitre, nous analysons les relations entre pactes d’actionnaires et
marché des prises de contrôle. La lecture de la presse financière justifie l’attention portée à
cette thématique de recherche. Ainsi pouvait-on lire dans la Tribune du 30 juillet 19977 : « les
pactes d'actionnaires sont régulièrement au cœur de l'actualité des sociétés cotées, tant ils
sont utilisés comme un dispositif anti-OPA par les signataires ».
La signature d’un accord d’actionnaires participe souvent d’une volonté de solidification
du pouvoir et d’émergence d’un bloc de contrôle (à titre d’illustration, les actionnaires
familiaux d’HERMES ont un temps envisagé de signer un pacte les protégeant des assauts de
LVMH). Si on suit le modèle de Stulz (1988), on peut supposer qu’un tel dispositif aura deux
7
La Tribune du 30 juillet 1997 (« Philippe Marini veut réformer la loi sur les pactes d'actionnaires »).
11
effets antagonistes : (1) il amoindrit la probabilité d’un changement de contrôle et (2) offre
aux actionnaires de la société cible un pouvoir de négociation supérieur permettant
l’extraction d’une plus grosse prime en cas de transfert de propriété. Nous testons ces
prédictions et apportons ainsi des réponses aux questions suivantes :
-
Les firmes concernées par un pacte ont-elles une probabilité moindre de faire l’objet d’un
changement de contrôle ?
-
En cas d’opération de prise de contrôle, la prime versée par l’acquéreur est-elle supérieure
lorsque certains actionnaires de la société cible sont signataires d’un pacte ?
Ces prédictions sont testées sur un échantillon de 153 firmes françaises ayant été sujettes à
un changement de contrôle sur la période 1999-2008. Près d’un quart d’entre elles sont
concernées par un pacte d’actionnaires. Nous constatons que la prime payée8 est plus élevée
lorsqu’un pacte est en vigueur. Les clauses de préemption et de représentation des signataires
au conseil influencent positivement et significativement la prime versée par l’acquéreur, au
contraire de la clause d’action de concert dont l’impact apparait non significatif.
Afin d’analyser la probabilité d’un transfert de propriété, nous avons retenu deux
méthodes fréquemment utilisées dans la littérature financière. Dans un premier temps, nous
créons des échantillons de contrôle (en particulier un échantillon de 153 sociétés non cibles
appartenant aux mêmes secteurs d’activité que les 153 sociétés cibles) et comparons les
caractéristiques des entreprises ayant été acquises à celles des firmes qui ne l’ont pas été.
Dans un second temps, nous réutilisons notre base de données d’entreprises françaises ayant
appartenu à l’indice SBF 250 sur la période 2000-2008 et constatons que 76 d’entre elles sont
devenues des cibles. Un modèle de choix binaire (Probit) permet alors d’analyser les variables
influençant la probabilité d’un transfert de propriété. Nous constatons que cette probabilité
n’est pas significativement affectée par l’existence d’un pacte d’actionnaires. Nous rejetons
ainsi l’hypothèse communément admise selon laquelle les pactes seraient des freins aux
acquisitions.
Ce résultat nous amène à faire l’analogie avec les défenses anti-OPA (les poison pills
entre autres). Comment et Schwert (1995) démontrent en effet que ces dernières permettent
aux actionnaires de la cible d’obtenir une prime plus élevée mais n’empêchent pas pour autant
les opérations de changements de contrôle. Nous retrouvons donc un phénomène comparable
8
La prime payée est calculée comme le rapport entre le prix offert aux actionnaires de la société cible et la
valeur d’une action de la société cible un mois avant l’annonce de l’opération. Ainsi, si la société acquéreuse
propose un prix de 125 € alors que le cours de bourse de la cible était de 100 un mois avant l’opération, la prime
est de 25%. Il convient de noter que les résultats demeurent si la prime est calculée en retenant comme référence
le cours de bourse deux mois avant l’opération.
12
pour les pactes d’actionnaires. Les résultats du troisième chapitre apportent également une
explication potentielle à la valorisation supérieure des firmes concernées par un pacte. Il se
peut en effet que la valorisation actuelle reflète l’anticipation d’une prime supérieure en cas
d’opération future de transfert de propriété.
3.4
Chapitre 4 – Excess control rights and corporate acquisitions
La littérature financière met en avant l’impact négatif sur la valeur de la firme d’un fort
écart (« sur-contrôle ») entre droits de vote et droits au capital de l’actionnaire de référence
(voir les travaux de Claessens et al. [2002] pour l’Asie ou Bennedsen et Nielsen [2010] pour
l’Europe). L’interprétation de ce résultat est la suivante : puisqu’ils anticipent une plus grande
extraction de bénéfices privés lorsque le gros actionnaire jouit d’un sur-contrôle, les
actionnaires minoritaires accordent une moindre valorisation à l’entreprise. Si ce résultat
semble acquis, les voies d’extraction des bénéfices privés restent mal connues. Autrement dit,
quelles sont les décisions financières de l’entreprise qui peuvent être entachées d’un
comportement opportuniste de l’actionnaire de référence ?
Nous analysons ici une décision financière particulière – les opérations de croissance
externe – à partir d’un échantillon de 660 acquisitions menées par les entreprises du SBF 250
sur une période de 10 ans (du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2009). Afin de mesurer la
qualité d’une acquisition donnée, nous nous plaçons du point de vue des minoritaires et
étudions la réaction du marché autour de la date d’annonce.
L’hypothèse testée peut être résumée comme suit : un fort écart entre droits de vote
(mesure du niveau de contrôle) et droits au capital (mesure de l’investissement réel de
l’actionnaire dans l’entreprise) est susceptible d’influencer les choix de l’actionnaire de
référence. Ce dernier sera en effet incité à retenir des projets d’investissements qui sont
porteurs de bénéfices privés (dont il jouit seul) mais qui ne maximisent pas la valeur de
l’entreprise. Ainsi, il ne supportera qu’à hauteur de sa détention d’actions la diminution de la
valeur de la firme mais profitera en contrepartie d’importants bénéfices privés. Notre question
de recherche peut alors être résumée comme suit : les acquisitions sont-elles de moindre
qualité lorsqu’elles sont menées par des entreprises dont les actionnaires jouissent d’un surcontrôle ?
L’analyse empirique démontre que les rentabilités anormales diminuent avec l’écart entre
droits de vote et droits au capital ultimes. Ceci valide l’hypothèse précédente ; il semble donc
que certaines acquisitions servent plus l’intérêt personnel de l’actionnaire contrôlant que celui
13
des petits porteurs. De façon intéressante, ce résultat s’oppose à celui obtenu par Ben-Amar et
André (2006) sur un échantillon de firmes canadiennes. Une interprétation possible à ces
résultats divergents est celle des spécificités institutionnelles françaises. Nous observons en
particulier l’impact négatif du droit de vote double, mécanisme de renforcement du contrôle le
plus fréquemment rencontré dans les sociétés françaises. A contrario, les structures
pyramidales n’ont pas d’impact significatif.
L’étude empirique démontre également que la détention cumulée de droits de vote des
autres actionnaires importants (second, troisième, etc.) a une influence significativement
négative sur les rentabilités anormales. Autrement dit, les autres actionnaires ne semblent pas
assurer la fonction de contrôleurs de l’actionnaire principal. Nous essayons d’analyser plus
finement ce résultat étonnant et constatons que ces rentabilités anormales moindres sont
exclusivement attribuables aux gros porteurs d’actions qui ne sont pas liés au premier
actionnaire par un pacte. Ce résultat peut être rapproché de ceux mis en avant dans les trois
premiers chapitres de la thèse : nous retrouvons en effet l’influence positive des accords
d’actionnaires.
Une caractéristique de notre étude est l’analyse de la propension à réaliser des opérations
de croissance externe. Nous démontrons ainsi que les actionnaires bénéficiant d’un surcontrôle sont réticents à l’idée de mener une acquisition. Au-delà du résultat propre, cette
analyse est importante car elle permet de traiter l’éventuel biais de sélection. Les résultats
précédents demeurent (et sont encore plus significatifs) après prise en compte de cette
problématique.
4
Les implications managériales de la thèse
L’analyse des pactes d’actionnaires est indissociable de la thématique du contrôle partagé.
Ces contrats sont apparus à mesure qu’émergeaient des structures de propriété originales
impliquant plusieurs actionnaires et nécessitant une contractualisation des relations. Nous
pensons en particulier aux joint-ventures, aux sociétés en croissance financées par capitalrisque, aux opérations de LBO impliquant des salariés et un (voire plusieurs) fonds de capitalinvestissement, etc.
Le contrôle partagé est une forme organisationnelle aujourd’hui extrêmement répandue.
Un exemple particulièrement parlant est celui des champs pétrolifères. Sur les 10 plus grands
14
gisements mondiaux, 7 sont codétenus et coexploités par des compagnies différentes9. Un tel
phénomène touche également le monde des investisseurs en capital. Aux Etats-Unis, sur 201
LBOs réalisés sur la période 1984-2007, 70 (soit environ 35%) avaient la forme d’un clubdeal impliquant plusieurs fonds ; 43% des 164 rachats d’entreprises cotées menés par des
fonds de private equity sur la période 2003-2007 ont été réalisés par un consortium
d’investisseurs.
Les pactes d’actionnaires régissent les relations entre copropriétaires. Les opérations de
LBO sont habituellement assorties de la signature d’un pacte d’actionnaires formalisant les
relations entre parties prenantes. Puisqu’il étudie et décrit les contrats entre actionnaires, nous
pensons que notre travail doctoral peut élargir notre connaissance de ce phénomène et être
utile aux praticiens. Notre analyse est focalisée sur les sociétés cotées mais certaines
régularités empiriques observées semblent pertinentes et applicables au cas des sociétés qui ne
font pas appel public à l’épargne. Les mécanismes de coordination et de partage du pouvoir
mis en avant dans la thèse nous semblent transposables au cas des sociétés non-cotées. En
outre, le passage d’un statut à l’autre n’entraine pas l’abandon du contrat : à titre anecdotique,
le retrait de la cote de la société LEGRAND par les fonds KKR et WENDEL s’est
accompagné de la signature d’un pacte d’actionnaires modifié ensuite lors de la réintroduction
en bourse de la société (et toujours en vigueur à l’heure actuelle).
Certains résultats mis en avant dans ce travail doctoral nous semblent pertinents pour des
actionnaires ou des gérants de fonds ; tout particulièrement pour ceux qui développent une
stratégie d’investissement fondée sur le respect de principes de « bonne gouvernance ». Il
convient de rappeler que les mesures de performances utilisées dans cette thèse (Q de Tobin
ou rentabilités anormales) reflètent l’appréciation de ces opérateurs de marché. Certaines
conclusions devraient conduire les gérants à analyser de façon détaillée les spécificités de la
structure de propriété des entreprises dans lesquelles ils s’apprêtent à investir. L’existence de
mécanismes statutaires permettant l’attribution de droits de vote particuliers est susceptible
d’engendrer des décisions financières de moindre qualité. En outre, les gérants de fonds ne
devraient pas être réticents à investir dans des sociétés concernées par un pacte d’actionnaires.
L’étude ISS, Sherman & Sterling, et ECGI (2007) comprend un volet qualitatif reposant
sur un questionnaire envoyé à des gérants de fonds dans le but d’évaluer leur perception des
mécanismes de solidification du pouvoir. Une note est ensuite attribuée à chaque mécanisme,
9
Afin d’obtenir cette statistique, nous sommes partis d’une étude intitulée « The world's biggest oil reserves »
réalisée par Helman (2010) et disponible sur le site Internet du magazine Forbes. Nous avons ensuite identifié les
propriétaires de ces gisements pétroliers à l’aide d’une recherche sur Factiva.
15
allant de +1 (appréciation très positive) à -1 (appréciation très négative). Il apparait en premier
lieu que les répondants sont très réticents à l’idée d’investir dans des firmes dont les statuts
prévoient des actions à droits de vote différents (note=-0.55) et/ou contrôlées par une
pyramide (note=-0.57). La perception des pactes d’actionnaires est plus neutre (note=-0.18).
Nous pensons que notre travail doctoral apporte des résultats qui pourraient modifier
l’appréciation des mécanismes de déconnexion par les gérants et par là-même influencer leur
stock-picking. En particulier, les résultats présentés dans le chapitre 4 sont de nature à
remettre en question la perception très négative des pyramides.
L’étude montre enfin que l’existence d’actions à droits de vote multiples / de pyramides /
de pactes n’est pas étudiée lors du processus d’investissement par respectivement 23, 22 et
29% des gérants. Certains investisseurs se privent donc d’une information stratégique, dans la
mesure où ces outils sont susceptibles d’affecter significativement la performance de
l’entreprise.
Nous pensons également que notre travail doctoral peut être utile aux (gros) actionnaires
qui envisagent de conclure un accord. L’étude d’événement du premier chapitre évalue
l’impact à court terme de cette décision sur la valeur de leurs actions. Les résultats relatifs à
l’extraction d’une prime supérieure lors d’une opération de prise de contrôle future sont
également susceptibles de les intéresser.
A l’heure d’entrer en relation avec un partenaire, un actionnaire pourra s’inquiéter du
risque d’opportunisme de la partie prenante et du fonctionnement de la coalition. On peut en
effet craindre un risque de paralysie en cas de désaccord, voire un problème de mauvaise prise
de décision induit par un phénomène de groupe. Même si nous n’analysons pas directement
ces phénomènes, l’expérience et l’évidence empirique tendent à montrer que la valorisation
des firmes contrôlées par un groupe d’actionnaires est supérieure et que l’opportunisme d’un
contractant qui se traduirait par une rupture unilatérale du contrat est très peu fréquente.
Enfin, notre travail pourra intéresser l’actionnaire signataire (et les avocats chargés de la
rédaction du contrat) à l’heure de décider des clauses qui devront être incluses. Nous
constatons en particulier qu’il peut être utile d’ajouter certaines clauses financières à
l’engagement d’agir de concert.
5
Conclusion
La première contribution de ce travail doctoral est l’analyse minutieuse des accords
d’actionnaires au sein de sociétés cotées. Les trois premiers chapitres examinent les
16
caractéristiques des contrats, de leurs signataires et des entreprises concernées. Notre travail
comble un vide puisque la littérature consacrée aux pactes d’actionnaires est très peu fournie.
Ceci est d’autant plus paradoxal que les pactes d’actionnaires sont autorisés dans les 16 pays
européens étudiés dans le rapport ISS, Sherman & Sterling et ECGI (2007) mais aussi aux
Etats-Unis, au Japon ou encore en Australie. Un élargissement naturel de ce travail doctoral,
envisagé pour de futures recherches, est donc la réalisation d’une étude multi-pays consacrée
aux pactes.
La seconde contribution de la thèse est l’analyse (résultant sur une évaluation chiffrée) de
l’impact économique des accords d’actionnaires. Les résultats obtenus démontrent le caractère
bénéfique des pactes pour les actionnaires minoritaires qui n’en sont pourtant pas signataires.
La valorisation de la firme est en effet supérieure, de plus ils obtiendront une plus forte prime
en cas d’opération de changement de contrôle. Ces résultats remettent donc en question la
perception souvent négative des pactes d’actionnaires et la suspicion dont font preuve certains
investisseurs à leur égard.
Les pactes d’actionnaires apparaissent comme des mécanismes contractuels parés
d’importantes vertus. Les dispositions financières peuvent réduire l’asymétrie d’information
et le risque d’opportunisme des parties prenantes, sécurisant ainsi les investissements de
l’entreprise. Certaines clauses, en particulier l’inaliénabilité des titres, envoient au marché un
signal crédible de l’implication à long-terme des actionnaires de référence. Les dispositions
relatives à la gestion peuvent quant à elles être analysées comme des outils de coordination et
de redistribution des pouvoirs qui améliorent la gouvernance de l’entreprise. Afin de mieux
connaitre les motivations des actionnaires signataires et de mieux cerner les effets bénéfiques
qu’ils génèrent, une analyse qualitative pourrait s’avérer précieuse. Des interviews et/ou
questionnaires permettraient de mieux connaitre les motivations des actionnaires qui
choisissent de signer un pacte.
Si les mécanismes générant un écart entre droits de vote et droits au capital (structures
pyramidales, actions à droit de vote multiple, etc.) ont quant à eux fait l’objet d’une abondante
littérature, les décisions financières qu’ils sont susceptibles d’affecter sont méconnues
(Masulis et al., 2009). Le quatrième chapitre de la thèse, en démontrant que les acquisitions
sont de moindre qualité lorsque l’actionnaire de référence possède des droits de vote en excès
de ses droits au capital, apporte une explication à la relation négative liant sur-contrôle et
valorisation de la firme.
17
Ce travail doctoral se situe à l’intersection de différents champs de recherche. Dans sa
dimension « finance d’entreprise », il réconcilie une thématique de gouvernance d’entreprise
(la structure d’’actionnariat) et des thématiques souvent explorées individuellement dans la
littérature : la valorisation de la firme, les opérations de croissance externe (côté
« acquéreur ») et les acquisitions de sociétés (côté « cibles »). Il s’agit d’une thèse de
« Sciences de Gestion » mais nous pensons qu’elle est susceptible d’intéresser un large public.
La littérature juridique s’étant beaucoup interessée à la rédaction des pactes et aux
engagements qu’ils génèrent, les juristes trouveront en effet dans notre travail doctoral un
éclairage différent et une évaluation empirique de l’impact réel des accords d’actionnaires.
18
6
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