Bordet à Erasme - Institut Jules Bordet Instituut

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Bordet à Erasme - Institut Jules Bordet Instituut
N°11
TRIMESTRIEL – OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2008
BELGIQUE/BELGIË
PP/PB
B-714
Bureau de dépôt Bruxelles X Brussel
Éditeur responsable: Harry Bleiberg, 1 rue Héger-Bordet, 1000 Bruxelles – N° d’agréation: P501016 – Autorisation de fermeture B-714 – Ne paraît pas en juillet-août
LE JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE
L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
Traitement des métastases
hépatiques résécables
avec ou sans chimiothérapie:
quel bénéfice?
bénéfice
p.
p. 12
12
Bordet à Erasme:
la route est-elle
encore longue?
Thérapies ciblées
dans
dand le
le carcinome
carcinome rénal:
rénal:
bénéfice en survie?
survie?
p.
p. 33
p.
p. 18
18
Le codage MedDRA
pour les effets indésirables p.
p. 14
14
RÉDACTEURS EN CHEF
Harry BLEIBERG
Ahmad AWADA
RÉDACTEUR EN CHEF ASSOCIÉ
Marianne PAESMANS
RECHERCHE CLINIQUE
ÉDITORIAUX
2 Un article publié peut-il nous abuser ?
Harry Bleiberg et Marianne Paesmans
3 Bordet à Erasme: la route est-elle encore longue?
Jean-Louis Vanherweghem
Ahmad AWADA
RECHERCHE TRANSLATIONNELLE
Fatima CARDOSO
RECHERCHE FONDAMENTALE
Christos SOTIRIOU
Pierre HEIMANN
HÉMATO-ONCOLOGIE
Willy FERREMANS
Philippe MARTIAT
PSYCHO-ONCOLOGIE
Nicole DELVAUX
Darius RAZAVI
SPÉCIALISTES EN ONCOLOGIE
Vincent NINANE
Jean-Luc VAN LAETHEM
BORDET-IRIS
Jean-Pierre KAINS
Martine PICCART
WALLONIE
Vincent RICHARD
INFORMATION GÉNÉRALE
4 Session d’information sur la prévention du cancer
Jean-Benoît Burrion
5 Thérapies ciblées dans les sarcomes
Thierry Gil
INFORMATION SCIENTIFIQUE
18 Thérapies ciblées dans le carcinome rénal : bénéfice en survie ?
Jean-Pascal Machiels
20 Traitement chirurgicale des tumeurs cérébrales à l’aube de 2009
Le rôle de la neuronavigation
Olivier De Witte
CONTROVERSE
12 Traitement des métastases hépatiques résécables
avec ou sans chimiothérapie : quel bénéfice ?
Alain Hendlisz
ERASME
Marie MARCHAND
MÉTHODOLOGIE DES ÉTUDES CLINIQUES
COMITÉ DE RÉDACTION
14 Le codage MedDRA pour les effets indésirables
Geneviève Decoster et Jean Schlusselberg
Ahmad AWADA
Harry BLEIBERG
Arsène BURNY
Vincent NINANE
Jean-Claude PECTOR
Martine PICCART
Jean-Luc VAN LAETHEM
CONSEILLERS SCIENTIFIQUES
Marc ABRAMOWICZ
Guy ANDRY
Michel AOUN
Jean-Jacques BODY
Dominique BRON
Dominique DE VALERIOLA
Olivier DE WITTE
André EFIRA
Patrick FLAMEN
Thierry GIL
Michel GOLDMAN
André GRIVEGNEE
Alain HENDLISZ
Jean KLASTERSKY
Denis LARSIMONT
Marc LEMORT
Dominique LOSSIGNOL
Thi Hien NGUYEN
Thierry ROUMEGUERE
Eric SARIBAN
Jean-Paul SCULIER
Philippe SIMON
ASSISTANTE DE RÉDACTION
Martine HAZARD – Tél. 02/541 32 01
[email protected]
COMITÉ DE LECTURE
Marianne PAESMANS
Jean-Claude PECTOR
Marielle SAUTOIS
Le contenu des articles publiés
dans ce journal n’engage
que la responsabilité de leur(s) auteur(s)
www.jcancerulb.be
CASE REPORT
24 Un cas d'anémie hémolytique dans un cancer du sein
Valérie Doriath
LE COIN DU GÉNÉRALISTE
22 Le vomissement : un effet secondaire
qui n’est plus qu’un (mauvais) souvenir
Simon Vanbelle
L’ONCOLOGIE DANS LA SOCIÉTÉ
6 Quelle rôle pour la Fondation contre le cancer ?
Didier Vander Steichel
7 IRIS : la vision d’un Président
Philippe Close
8 Objectifs et réalisations en cours d’A.R.C.A.D
A. de Gramont et M. de Bausset
9 The Oncology Scientific Advisory Group (SAG) in the European Evaluation
of Anti-Cancer Medicinal Products
Maria Nieto-Gutierrez, Francesco Pignatti and Michel Marty
THÈSE
11 Méthylation de l’ADN et protéines Polycomb :
du remodelage de la chromatine au cancer
Emmanuelle Viré
AU-DELÀ DE LA MÉDECINE
28 L’humour et l’art
Pierre Sterckx
Couverture : Filaments mycéliens fixés au calcofluor et visualisés au microscope à fluorescence
donnant cet aspect typique de l’Aspergillus, septé et branché à 45°.
Malgré l’apparence gracieuse, cette moisissure découverte par Micheli à Florence en 1729,
est redoutable pour les patients immunocompromis.
1
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2008
ÉDITORIAUX
Un article publié peut-il nous abuser ?
L’information médicale diffusée dans la presse scientifique ou générale nous
touche toujours plus que nous ne croyons. La chose imprimée brille des feux
de la vérité. Pour celui qui lit l’information, il paraît évident et normal que les
éditeurs aient vérifié la véracité des données, mis en place les filtres qui ne
laissent passer que les études biens conçues, bien menées et analysées selon
des normes reconnues qui garantissent que les résultats sont ce qu’ils disent
être. Nous voudrions éclairer notre propos par un exemple.
L’article d’Alain Hendlisz (page 12) analyse d’une manière critique les résultats
d’une étude de chimiothérapie périopératoire (EPOC) chez des patients présentant des métastases hépatiques d’un
cancer colorectal et susceptibles d’être réséquées chirurgicalement d’emblée. L’article est publié dans le Lancet, journal
qui offre à ses lecteurs les plus hautes garanties de qualité (1), mais le “take the home message” basé uniquement sur une
analyse de sous-groupes, nous paraît pour le moins excessif: ‘Perioperative chemotherapy with FOLFOX4 is compatible
with major liver surgery and reduces the risk of events of progression-free survival in eligible and resected patients.’
En effet, les méthodologistes recommandent que l’analyse primaire d’une étude randomisée respecte le principe de
l’intention de traitement en y incluant tous les patients randomisés (dans le bras qui leur a été alloué) afin de préserver ce que la randomisation doit garantir: la similarité des patients inclus dans les différents bras de l’étude. Si cette
règle peut paraître stricte et parfois peu adéquate sur le plan de l’interprétation clinique, il est particulièrement
important de s’y plier lorsque les raisons d’exclusion sont dépendantes du traitement alloué par la randomisation.
Si l’étude EPOC a bien été planifiée pour détecter un accroissement relatif de 40% de la survie sans progression médiane
dans le bras avec chimiothérapie périopératoire parmi tous les patients randomisés, les auteurs rapportent leurs
résultats non seulement en intention de traiter mais aussi après exclusion des patients non opérés et de ceux chez
qui il n’a pas été possible de procéder à la résection hépatique. Surtout, la conclusion de leur abstract se base sur ce
sous-groupe, ce qui pourrait abuser un lecteur un peu rapide quant à la signification réelle de cette conclusion. C’est
ainsi, qu’en ne gardant que les patients qui ont bénéficié de la résection hépatique, les auteurs démontrent une réduction du risque de récidive de 27%, réduction statistiquement significative (HR estimé de 0.73 avec un intervalle de
confiance allant de 0.55 à 0.97, p=0.025) alors que l’analyse en intention de traiter n’identifie qu’une différence observée
plus petite, 21% (HR estimé de 0.79 avec un intervalle de confiance allant de 0.62 à 1.02, p=0.058) qui n’atteint pas le
seuil de signification. Le seuil de signification pour l’analyse finale a dû être abaissé à 0.043 en raison de la conduite
d’une analyse intermédiaire non planifiée, justifiée par les auteurs en raison d’un taux d’événements plus faible
qu’anticipé et de la pression de la communauté médicale avide de disposer des résultats de l’étude.
Qui a-t-on exclu? Soixante-un patients (16% des patients randomisés!), principalement, les patients avec une maladie
plus évoluée que prévu, soit par une mauvaise évaluation de l’extension de la maladie (évaluation potentiellement modifiée par la chimiothérapie?), soit par évolution sous chimiothérapie ainsi que les patients rendus inopérables suite à des
effets secondaires de la chimiothérapie. La table 1 essaie de décrire le mieux possible les raisons d’exclusion de l’analyse
mais l’article est rédigé de manière telle qu’il n’est pas possible de distinguer les patients exclus pour une raison antérieure à la chimiothérapie ou postérieure à la chimiothérapie. Cependant si on examine cette table, on se rend compte
que moins de malades ne sont pas résécables dans le bras chimiothérapie, ce qui en soi est un signe d’activité du traitement mais qu’une série de malades est exclue en raison de toxicité possibles du traitement : dommages hépatiques,
refus, altération de l’état général ou décès. Il n’est pas exclu que ces événements soient liés, au moins en partie, à
la chimiothérapie et ces patients devraient donc absolument être pris en compte dans l’évaluation du traitement.
L’interprétation de l’étude se joue sur l’inclusion/exclusion de ces malades. Les garder dans l’étude ne permet pas de
conclure à un bénéfice statistiquement significatif de la chimiothérapie, les exclure permet de positiver les résultats.
Table 1 : Patients exclus de l’analyse
Chimio
N randomized
Excluded from subgroup analysis
No information about surgery
Not operated
More advanced disease
Refusal
Poor condition/death
Other
Not resected
More extensive disease
Liver damage
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE–NOVEMBRE–DÉCEMBRE 2008
Non chimio
182
31 (17%)
182
30 (16%)
1
22
4
8
10
4
3
5
8
1
18
7
1
2
7
Qu’en penser? La randomisation, élément essentiel d’une étude comparant deux modalités thérapeutiques valide la
comparaison entre les groupes: par cette procédure on est assuré que les malades ne diffèrent que par le traitement
reçu. On espère ainsi que la randomisation va équilibrer les facteurs de risque connus et, plus important peut-être,
ceux qui ne le sont pas. L’exclusion de malades d’une analyse quelle qu’elle soit fait fi de cette garantie primordiale
et engendre un risque de biais dans la comparaison des traitements. Lorsque, de plus, cette exclusion se fait pour
des raisons clairement liées au bras de traitement alloué, l’introduction d’un biais est évidente : dans EPOC,
l’exclusion dans le bras chimio des malades qui bénéficient le moins du traitement et qui présentent le plus de
toxicités va évidemment favoriser ce bras au détriment de l’autre.
Nous voici à la rédaction de Jcancer mettant en doute la conclusion principale d’un article publié dans un journal aussi
prestigieux que le Lancet. Mais est-ce une raison pour ne pas exprimer notre déception? On peut comprendre l’enthousiasme d’un chercheur animé par une conviction profonde à vouloir extraire des données plus qu’elles ne veulent dire.
Un éditeur se doit d’être le garant de la qualité de ce que publie son journal. Est-ce grave ? Les conséquences
sont que beaucoup pourraient considérer que la chimiothérapie périopératoire apporte un bénéfice démontré et
qu’elle est indiquée dans le traitement des métastases hépatiques résécables. Cependant, aujourd’hui, nous nous
devons d’être plus nuancés: nous ne pouvons pas affirmer que FOLFOX administré dans le contexte de cette étude
augmente significativement la survie sans progression. Si la vérité est qu’il n’y a pas de bénéfice ou un bénéfice plus
faible que celui jugé cliniquement pertinent, traiter indûment les patients entraîne de faux espoirs, des souffrances
inutiles et probablement une mortalité accrue pour un petit nombre alors même que d’autres en tirent peut-être
profit ou même y sont indifférents. Aucun de ces groupes n’est identifiable. À chacun de nous d’utiliser sa raison
en ce domaine. On pouvait espérer qu’une revue de renom nous aide mieux à faire nos choix.
Pour la Rédaction,
Harry Bleiberg et Marianne Paesmans
(1) Bernard Nordlinger et al. The Lancet 2008; 371:1007-1016
Bordet à Erasme: la route est-elle encore longue?
e 19 octobre 2005, la Ville de Bruxelles, l’Université Libre de Bruxelles et l’Intercommunale Régionale des Infrastructures de Soins (IRIS) signaient une convention-cadre dont
un des éléments principaux prévoyait la construction d’un nouvel institut Bordet de cancérologie, porté à 250 lits, sur le site d’Anderlecht de l’ULB, au voisinage immédiat de
l’hôpital Erasme.
L
Dans la foulée, le dossier était introduit en vue du financement auprès de la Région de
Bruxelles-Capitale, et un concours européen était lancé pour la désignation des auteurs
de projet et des ingénieurs conseils. Les deux dossiers ont abouti : en mai 2008, la commission communautaire commune a approuvé le financement de 115 millions d’euros, pour
un nouvel institut Bordet de 54.000 m² et 254 lits, jouxtant l’hôpital Erasme, à Anderlecht. Le conseil d’administration
de l’institut Bordet, en date du 20 juin 2008, a quant à lui approuvé les propositions du jury pour la désignation du
maître d’œuvre.
Ainsi, trois ans après la signature de la convention-cadre, le projet entra dans une phase plus technique: négociations
finales des cahiers des charges, établissement des plans définitifs, obtention des permis de bâtir et… constructions,
aménagements et déménagement. Le planning du lauréat prévoit 44 mois entre l’obtention du marché et l’inauguration.
Croisons les doigts.
La route peut sembler longue mais elle ne l’est guère si l’on tient compte de la complexité technique du dossier et
des méandres institutionnels des décisions politiques et financières. Il faut ici rendre hommage à l’opiniâtreté de
tous ceux qui ont porté et défendu ce dossier.
Il faut aussi comprendre la lassitude du personnel de l’institut travaillant dans des infrastructures vieillissantes et des
conditions de plus en plus difficiles : encourageons-les, le bout du tunnel est en vue.
Jean-Louis Vanherweghem
Président du Conseil d’Administration de l’ULB
18
3
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2008
INFORMATION GÉNÉRALE
Session d’information
sur la prévention du cancer
Jean-Benoît Burrion, Deputy Medical Director, Institut Jules Bordet
raisins peuvent ils être une cause de développement du cancer?»
«Oui Monsieur, à partir de trois tonnes») et de moments de pure
émotion avec les photos de plages australiennes du Dr Sales.
e 26 septembre s’est tenue à l’Institut Jules Bordet une session
d’information destinée au grand public et consacrée à la prévention du cancer. Cet événement, initié par la mutuelle Euromut,
était organisé dans les centres hospitaliers universitaires des
deux Brabants. Les auditoires étaient bondés: plus de 120 personnes se sont pressées aux portes de l’Auditorium HJ Tagnon
(280 à l’UZ Leuven, 140 à l’UZ BRUSSEL, 140 à l’UCL St Luc).
L
Derrière l’aspect apparemment anecdotique de cette initiative
se profile cependant une réalité presque triviale. Le sujet déplace
les foules et les centres spécialisés se bousculent pour en parler.
On se trouve bien dans les conditions d’un marché, avec une
demande devenue exigeante et une offre qui rivalise de zèle pour
y répondre. Aussi notre Institut, si vénérable soit-il, se trouve
aujourd’hui dans la quasi obligation de faire parler de lui auprès
du public, de faire du «marketing» comme on dit, sous peine
d’être relégué dans l’ombre par les autres centres du cancer,
plus récents, et peut-être plus «communicants». Vénérable donc,
mais pas invulnérable.
Se sont succédé à la tribune tout l’après-midi les excellents
Pr/Dr Staquet pour les aspects généraux du dépistage, Grivegnée
pour le cancer du sein, Bleiberg pour le cancer du côlon, Peltier
pour le cancer de la prostate, Sales pour les cancers de la peau,
Hertens pour le cancer du col de l’utérus, tout ce docte monde
ayant répondu à l’invite avec enthousiasme et sans l’ombre
d’une hésitation.
Un autre aspect est mis en lumière par cette expérience: l’intérêt
aujourd’hui, de fonctionner en partenariat avec les organismes
assureurs. Leur importante capacité mobilisatrice, la puissance
de leur dispositif de communication, le capital de confiance
dont ils jouissent auprès de leurs affiliés, représentent autant
d’opportunités dès qu’il s’agit d’informer. Ici aussi, le contexte a
changé: il est loin le temps où le corps médical et les mutuelles
se regardaient en chiens de faïence.
Les présentations se sont révélées conformes aux attentes. Les
orateurs avaient reçu pour seule instruction les 3 mots clefs «20’,
grand public, illustrations», ce qui permettait de préserver leur
créativité et donc d’assurer la variété des exposés. Les concepts
et stratégies présentés étaient un élégant alliage d’evidence based
medecine, d’expérience clinique et de savoir scientifique «up to
date», une mixture «maison» qui constitue sans aucun doute l’une
des forces de l’Institut Jules Bordet. Après chaque intervention,
une courte séance de questions réponses était proposée, toujours habilement négociée par les intervenants pour qu’elle ne
se transforme pas, écueil classique, en consultation privée.
Pour conclure donc, une initiative d’information novatrice par
l’émulation qu’elle a suscitée et par sa formule de partenariat
inhabituelle, plébiscitée par le public, dont les participants ont
retiré de la satisfaction, et qu’il est d’ores et déjà prévu de renouveler au vu des inscriptions en attente.
■
Un après-midi didactique de haut vol donc, ponctué de temps
forts avec les réponses du Dr Bleiberg («Docteur, les pépins de
Thierry Gil, Clinique d'Oncologie Médicale, Service de Médecine, Institut Jules Bordet
[email protected]
près vingt ans consacrés à l’étude des meilleurs régimes
de chimiothérapie dans les sarcomes, un palier semblait
atteint en termes d’indications et limites d’efficacité des traitements systémiques.
Les protocoles ouverts à l’Institut Jules Bordet et directement
inspirés des percées de la biologie moléculaire sont :
A
En première ligne métastatique ou inopérable, pour les sarcomes de grade 2 à 3 des tissus mous (excluant en particulier GIST, chondrosarcome et rhabdomyosarcome embryonnaire), une étude de phase II comparant la doxorubicine et
l’association doxorubicine avec un nouvel agent pro-apoptotique (AMG-655) mimant TRAIL et liant son récepteur TR-2.
Ainsi dans les sarcomes osseux (ostéosarcome, sarcome
d’Ewing), la chimiothérapie pré- et postopératoire a considérablement amélioré (d’environ 40% en survie globale) le pronostic vital
des patients avec des régimes de première ligne bien évalués.
Dans ces indications toutefois, le clinicien se trouvait rapidement
démuni en cas de mauvaise réponse inaugurale ou de rechute.
En deuxième ligne dans les sarcomes des tissus mous, après
échec de doxorubicine et Ifosfamide en séquence ou combinaison, une étude de phase III, conduite par l’EORTC compare le
Pazopanib (anti VEGF-R 1,2,3) à un bras placebo (R:2/1).
Dans les sarcomes des tissus mous, la place de la chimiothérapie adjuvante a également fait l’objet de nombreuses études
critiquées pour leur hétérogénéité et leur faible pouvoir statistique.
Les gains en survie sont généralement à la limite de la signification (de l’ordre de 4% au mieux), même si les taux de rechute
sont favorablement influencés par la chimiothérapie.
Enfin, un anti-IGF-R est accessible pour les sarcomes d’Ewing,
les rhabdomyosarcomes, les leiomyosarcomes, les liposarcomes
ou les synoviosarcomes en échec de chimiothérapie ou ne
pouvant en recevoir.
Une ère nouvelle s’ouvre donc, pour ces tumeurs rares dont
beaucoup restaient maladies orphelines, par le fait de l’apparition
des thérapies ciblées dans notre pharmacopée.
■
En situation métastatique, les traitements améliorent modestement
la survie, et la question n’a pas été définitivement tranchée d’un
bénéfice éventuel des combinaisons sur une monochimiothérapie.
Les progrès de la biologie moléculaire ont tout d’abord permis
de redéfinir 50 sous-types histologiques et de cibler certains
récepteurs ou signaux intracellulaires spécifiquement mutés
et qui concourent à la division cellulaire et à l’apoptose.
Je citerai en particulier c-kit, PDGF, EGF-R, VEGF et IGF (figure 1).
La première illustration en a été le Sarcome Stromal digestif
(GIST) où l’Imatinib (Glivec) (inhibiteur de BCR – Abl, PDGF-R,
c-kit) montrait des taux de réponse 10 fois supérieurs à la chimiothérapie (50% versus 5%) et en situation métastatique une
survie mediane remarquable de 57 mois en phase II.
Les études avec l’Imatinib en adjuvant pour les GIST à risque de
rechute intermédiaire ou élevé se poursuivent au sein de l’EORTC.
Depuis lors les inhibiteurs de VEGF (Sutent) et de m-TOR
(RAD001) ont également montré une activité après progression sous Imatinib.
Avastin remboursé pour le cancer colorectal métastasé
à partir du 1er décembre 2008 !
n.v. Roche s.a. a le plaisir de vous annoncer que le remboursement d'Avastin (bevacizumab) pour le traitement
des patients atteints d’un cancer colorectal métastasé a été publié dans le Moniteur Belge.
Ce remboursement deviendra effectif le 1er décembre 2008.
Avastin est remboursé dans la catégorie Ahf pour le traitement de 1ère ligne des patients atteints
d'un cancer colorectal métastasé en association avec 5-fluorouracil/leucovorin et irinotécan (p.ex. FOLFIRI).
SÉMINAIRES DU PROGRAMME DE SOINS EN ONCOLOGIE IRIS-BORDET-ERASME
Metastatic GI Cancers:
Frontiers Between Palliation and Hope for Cure
SCIENTIFIC MEETING
Saturday, January 10, 2009
Crowne Plaza Brussels Airport
Nous sommes persuadés que le remboursement d’Avastin est important pour le bénéfice de vos patients,
atteints d’un cancer colorectal métastasé… N’hésitez pas à demander de plus amples renseignements.
Rendez-vous sur le site www.roche.be où plus d’informations et les demandes de remboursement sont
à votre disposition.
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE–NOVEMBRE–DÉCEMBRE 2008
4
Figure 1: Signaux de transduction et récepteurs extracellulaires
impliqués dans l’oncogénèse des sarcomes.
INFORMATION :
Anne Sophie Wirtz: 0476/31 24 11 – [email protected]
5
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2008
L’ONCOLOGIE DANS LA SOCIÉTÉ
Quel rôle pour la Fondation
contre le cancer ?
Plaidoyer pro domo ?
Didier Vander Steichel, Directeur médical et scientifique, Fondation contre le Cancer
[email protected]
Sans oublier tout ce qui se passe hors de nos frontières. D’où
l’importance de développer des traits d’union.
Faire circuler information et bonnes idées ou encourager les
collaborations est une autre raison d’être de la Fondation.
adoption récente par les pouvoirs publics d’un Plan National
Cancer et la création prochaine d’un Institut National du
Cancer laissent-ils une place à d’autres initiatives? Nous pensons
que oui. Outre son rôle dans le financement de la recherche,
notre Fondation est un révélateur de problèmes, assure une
représentation indépendante des patients et relaie leurs attentes
auprès des pouvoirs publics ou des soignants. De telles actions,
illustrées ci-dessous, sont et resteront nécessaires.
Les cancers sont, à juste titre, une préoccupation majeure de
nos concitoyens. Les politiciens l’ont bien compris et leurs décisions récentes dans ce domaine répondent à de réels besoins.
Tant en matière de prévention, de dépistage, de prise en charge
médico-sociale que de financement de la recherche, les pouvoirs
publics ont un rôle déterminant à jouer. Il n’empêche que les
acteurs privés, au premier rang desquels la Fondation contre
le Cancer, conservent toute leur raison d’être.
L’
L’attribution des ses crédits de recherche en est un exemple.
Pour ce faire, elle a instauré deux Conseils scientifiques (fondamental et clinique/translationnel), composés de personnalités
éminentes issues du nord et du sud du pays. Leurs présidents
sont choisis hors de nos frontières et chaque projet de recherche est soumis, par ailleurs, à trois experts étrangers. La sélection des travaux financés par la Fondation résulte donc d’une
analyse globale et objective de chaque demande. En outre, les
projets interuniversitaires peuvent obtenir des montants plus
importants que les demandes isolées.
Grâce à la générosité de ses donateurs, la Fondation octroie
10 millions d’euros tous les deux ans à la recherche. Il serait
dramatique pour les chercheurs belges que cette importante
source de financement se tarisse.
Expérience et indépendance
Active depuis plus de 80 ans, la Fondation a acquis une expérience et une crédibilité largement reconnues. Cette longue
présence sur le terrain nourrit une vision à la fois globale et évolutive des moyens de lutte contre le cancer dans notre pays.
Ayant évité toute politisation, échappé aux nombreux clivages
belgo-belges et étant financée quasi exclusivement par le
grand public, la Fondation a su conserver son indépendance,
sa liberté d’analyse, d’initiative et de parole.
Défense des intérêts des patients
Qui dit donateurs – ils sont environ 220.000 à la Fondation – suppose un capital de confiance construit et mérité au fil des ans.
Entretenir cette confiance a une valeur en soi. En effet, la générosité du grand public reste indispensable pour compléter ou
anticiper les décisions des pouvoirs publics. Être dépositaire de
cette générosité est une énorme responsabilité qui dépasse le
seul domaine financier. La confiance des patients et de leurs
proches fait de la Fondation un interlocuteur privilégié et un
porte-parole indépendant des malades. Ce rôle de représentation
des patients suppose une analyse professionnelle de chaque
situation. Compte tenu des évolutions rapides de la cancérologie
moderne, un groupe de réflexion pluridisciplinaire a été créé à cet
effet. Il a pour mission de déterminer le juste milieu entre attentes
individuelles, possibilités médicales et moyens disponibles.
Ces atouts lui permettent d’agir avec un souci d’efficacité plus
que de visibilité.
La pertinence de ses actions est largement confirmée par les
mesures annoncées dans le Plan National Cancer. En effet,
nombre d’entre elles ont été précédées, voire préparées par des
initiatives de la Fondation. Registre du Cancer, tumorothèque,
financement de la recherche translationnelle, de psychologues
et data managers, revalidation fonctionnelle, projet hadronthérapie ou sevrage tabagique en sont autant d’exemples.
Sans oublier le rôle joué récemment par la Fondation dans la
reconnaissance de la spécialité en oncologie médicale ou des
cliniques du sein.
Forte de cette expérience en matière d’analyse des intérêts bien
compris des patients, la Fondation demande à être associée au
futur Institut National du Cancer, en qualité de représentante
indépendante des malades.
Est-il problématique de voir ces actions reprises et amplifiées
par les pouvoirs publics? Que du contraire. La Fondation est très
attentive à ne pas faire double emploi, à passer la main dès
que possible, pour pouvoir développer de nouveaux projets.
Avoir une longueur d’avance fait partie de ses raisons d’être…
Montants attribués à nos objectifs en 2007 (en €)
Trait d’union et générosité
Recherche, traitements, dépistage, prévention… Vastes domaines aux acteurs multiples. Qui plus est, les compétences
politiques en matière de santé ne sont pas un modèle de simplicité dans notre petit pays.
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE–NOVEMBRE–DÉCEMBRE 2008
Enfin, l’exemple d’autres pays européens (par exemple le
Royaume Uni ou, plus récemment, la France), qui disposent
déjà d’Instituts Nationaux du Cancer ou de Plans Cancers plus
avancés qu’en Belgique, confirme l’utilité de la poursuite
d’actions indépendantes menées par des associations ou
fondations privées.
■
Poser la question de l’avenir de la Fondation contre le Cancer
à l’un de ses représentants crée un possible conflit d’intérêt.
Les éléments de réponse fournis dans ce court article se veulent
aussi objectifs que possible. Un complément d’information peut
être obtenu sur le site de la Fondation www.cancer.be ou dans
le rapport annuel 2007 (envoyé sur demande ou consultable
online sur le site).
Financement de la recherche scientifique
5 895 818
Réalisation de projets d’information
et de prévention
4 551 148
Aide psychosociale ou matérielle
aux patients et à leurs proches
4 395 074
La vision de l’Institut Jules Bordet de demain
Philippe Close, Président d’IRIS
[email protected]
continue de lutte contre le cancer,
toujours plus efficace grâce notamment à la proximité des laboratoires
de recherche facultaire.
n tant que Président d’IRIS, je me suis réjoui de l’adoption, le
19 juin 2008, du plan pluriannuel de construction des hôpitaux IRIS par le Gouvernement de l’accord pour la construction de nouveaux bâtiments sur le Campus universitaire
d’Anderlecht en vue d’y accueillir l’Institut Jules Bordet.
Depuis sa fondation, cet hôpital monospécialisé est unique en
Belgique. Ce centre intégré de lutte anti-cancéreuse est axé sur
une triple mission de soins, de recherche et d’enseignement
avec un objectif récurrent: celui d’offrir des services de qualité
et des traitements de pointe à ses patients; c’est ainsi, que
l’Institut Bordet a depuis toujours allié pratiques médicales cliniques et recherches de pointe.
E
Poursuivre des programmes de prévention, favoriser les synergies entre
les laboratoires et l’Institut, faciliter les
procédures pour accélérer la mise en
place de nouveaux traitements anticancéreux, soutenir les innovations thérapeutiques au bénéfice du patient sont les défis auxquels IRIS souhaite répondre
aujourd’hui.
Aujourd’hui, située en plein cœur de la Région Bruxelloise, de la
Belgique et de l’Europe, cette institution connaît une renommée
qui va bien au-delà de nos frontières régionales : en effet, plus
de 40% des patients qui le fréquentent viennent de l’extérieur
de la Région ou de l’extérieur du pays.
Ces nouvelles approches ouvriront la voie au renforcement
des emplois présents mais aussi à la création de nouveaux.
Sur le site actuel de l’Institut Bordet, plus de 1000 personnes
travaillent dont 150 médecins et 150 chercheurs. La politique
de développement du personnel d’IRIS visera à renforcer les
équipes en place et ainsi créer de la richesse via les innovations,
les propriétés intellectuelles, les partenariats…
Le nouvel Institut Bordet sera un réel
rassembleur de talents, un fédérateur de tous les
acteurs de terrain toutes fonctions confondues.
Le nouvel Institut Bordet sera un réel rassembleur de talents,
un fédérateur de tous les acteurs de terrain toutes fonctions
confondues, des équipes de recherche, des services de soins
orientés vers l’innovation pour un meilleur accueil et une qualité
de prise en charge du patient encore supérieure à celle que
nous connaissons aujourd’hui.
Cette propension à la progression est amenée à se développer.
Afin de répondre à des besoins et à des nécessités toujours
croissants, l’Institut Jules Bordet est selon moi au cœur d’un
défi permanent… Il lui faut promouvoir une politique de santé
publique toujours plus proche des patients et ce, quelle que
soit leur situation sociale tout en assurant un développement
ambitieux de l’institution.
L’accord conclu le 19 octobre 2005 entre les instances de la
Ville de Bruxelles, l’ULB, l’Hôpital Erasme et le CPAS de la Ville
de Bruxelles va donner à l’Institut Jules Bordet des moyens
pour continuer à se développer dans sa logique d’excellence,
de performance et d’efficacité.
Le déménagement de l’Institut sur le Campus d’Anderlecht
permettra de rassembler malades, soignants et chercheurs
sur un même site universitaire et d’optimiser ainsi la recherche
translationnelle en développant encore davantage les collaborations entre les laboratoires et la clinique au plus grand
bénéfice des patients. Ce sera une opportunité exceptionnelle
pour dynamiser la recherche académique et positionner encore
davantage l’Institut Bordet dans le paysage belge et européen.
L’arrivée de l’Institut Jules Bordet sur le Campus universitaire
de l’Université Libre de Bruxelles va rendre possible la création
d’un véritable cancéropôle proposant une approche globale et
«Plus que jamais, l’Institut Jules Bordet se donne ainsi les
moyens de ses ambitions: rester un centre intégré de lutte contre
le cancer d’excellence, incontournable à l’échelon européen». ■
14 842 040
6
7
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2008
L’ONCOLOGIE DANS LA SOCIÉTÉ
La fondation A.R.CA.D : une fondation
française à l’impact international
(1)
A. de Gramont et M. de Bausset
Aimery de Gramont
coup de lancer au printemps 2009 un concours européen parrainé par l’architecte français Jean-Michel Wilmotte visant à
concevoir l’Hôpital de Jour de demain».
es patients sont le moteur essentiel de la progression de
mes recherches”. Cette phrase du Professeur Aimery de
Gramont résume la raison d’être de la fondation A.R.CA.D,
seule fondation reconnue d’utilité publique en France dédiée
exclusivement à la lutte contre les cancers digestifs qui tuent
près de 40 000 personnes par an en France.
Face à l’incidence de ces cancers parents pauvres de la recherche, la fondation créée en décembre 2006 dans la continuité des
travaux de recherche de ses fondateurs, le GERCOR et la Fédération Française de Cancérologie Digestive, s’est fixé un triple défi:
optimiser les soins et l’information des patients, promouvoir la
recherche clinique, sensibiliser la population ainsi que les acteurs
de santé pour une prévention et un dépistage accrus.
“L
«A.R.CA.D Clinical Trials Program»
Lancé en juin 2007 par le Professeur Aimery de Gramont, ce
programme articulé autour des congrès de l’ASCO et du World
Congress on Gastrointestinal Cancer a pour ambition de définir
au plan mondial une ligne directrice pour de nouvelles méthodes
d’évaluation des traitements du cancer colorectal.
Depuis 2002, Richard Schilsky, Président de l’ASCO a en effet
sonné l’alarme: «Les conditions permettant de démontrer que de
nouveaux médicaments sont efficaces et sans danger avant que
leur mise sur le marché ne soit autorisée par les autorités de
santé, ont mené à un processus de développement des traitements qui nécessite en général des milliers de patients, des
centaines de millions de dollars et plus d’une dizaine d’années.»
Schilsky RL. Clin Cancer Res 2002, 8:935-8
Pourquoi avoir créé une fondation ?
D’abord pour créer un pôle de réflexion, une coordination et un
impact international grâce au concours de tous les acteurs de
santé partenaires de la fondation : industrie pharmaceutique,
sociétés savantes internationales, associations de patients,
acteurs de la lutte contre le cancer. Ensuite, parce qu’une fondation allie la plus grande capacité juridique, un «label» et une
défiscalisation maximale pour tous les donateurs.
Face à un système aléatoire et obsolète, la fondation A.R.CA.D
propose une nouvelle donne: rendre la validation des traitements
et des médicaments plus rapide et moins chère pour que les
patients en bénéficient plus vite.
La fondation A.R.CA.D a pour spécificité d’agir vite grâce à une
gouvernance simplifiée. Elle est à la fois opérationnelle – elle génère
ses propres programmes en toute indépendance– et distributive – elle soutient des programmes après appels à projets –.
L’appel à projets «Projets pilotes HDJ cancers digestifs 2008» et
le «A.R.CA.D Clinical Trials Program» constituent actuellement
les deux projets phares portés par la fondation A.R.CA.D.
Pour y parvenir, la fondation A.R.C.A.D. a créé un comité scientifique international, l’«A.R.CA.D Group», composé d’environ
40 leaders mondiaux de la cancérologie digestive.
Objectif ? Infléchir par une démonstration scientifique consensuelle et irréfutable les règles actuelles de la recherche clinique
prônées par les autorités de santé (FDA, EMEA..).
«Projets pilotes HDJ cancers digestifs 2008»
Sans quoi, les risques majeurs encourus sont :
Fin 2007, la fondation a réalisé avec le soutien de Roche une enquête nationale sur la qualité de la prise en charge des patients
d’oncologie digestive en Hôpital de Jour (HDJ). Celle-ci a permis
d’établir, dans une centaine de centres, un état des lieux des
modes de prise en charge, en HDJ, des patients atteints de
tumeurs digestives et d’identifier les difficultés et attentes du
personnel des établissements.
1. de ne pas pouvoir réaliser de nouvelles découvertes thérapeutiques ni celles nécessaires au traitement des tumeurs
rares qui ne sont pas considérées comme prioritaires par
l’industrie pharmaceutique,
2. de ne pas pouvoir développer de médicaments prometteurs,
faute de moyens.
Un article cosigné par le Professeur Philippe Rougier et le Docteur
Frédérique Maindrault-Goebel intitulé «Le parcours du patient en
Hôpital de Jour de cancérologie digestive : analyse et proposition du personnel soignant» et publié fin octobre 2008 dans
la revue «Réflexions en Médecine Oncologique» résume les
résultats de cette enquête.
Réussir ce défi est donc vital pour les malades comme pour
la société toute entière.
Fonctionnement d’ARCAD: en accord avec le Ministère de l’Intérieur, nous avons retenu la gouvernance par un Conseil d’Administration incluant un Commissaire du Gouvernement assurant, à
titre consultatif, la représentation de l’État. Actuellement, la composition du Conseil d’Administration comporte 15 membres
du plus haut niveau d’expertise répartis en 2 collèges: un collège
de 4 fondateurs et un collège de 6 personnalités qualifiées. ■
Face aux nombreux déficits constatés, la fondation A.R.CA.D a
décidé de financer avec le soutien de Roche d’ici fin 2008 des
actions concrètes dans les HDJ après lancement d’un appel à
projet «Projets pilotes HDJ cancers digestifs 2008». Objectifs
poursuivis? L’amélioration des conditions de prise en charge des
patients, l’aménagement des locaux, l’achat d’équipements…
Pour plus d’informations sur la fondation
A.R.CA.D: www.fondationarcad.org
Si améliorer les HDJ fait partie des priorités de la fondation, il
s’avère qu’elle souhaite aller encore plus loin. Elle propose du
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE–NOVEMBRE–DÉCEMBRE 2008
(1) Aide et Recherche en Cancérologie Digestive.
8
Maria Nieto-Gutierrez (1), Francesco Pignatti (1) and Michel Marty (2)
(1) The European Medicines Agency (EMEA), London, (2) Hôpital Universitaire Saint Louis, Paris
[email protected]
The oncology SAG consists of a core group of 9 members proposed and appointed by the CHMP for a period of 3 years 7
(see current composition in Table 1). This core group ensures
continuity and consistency within the group and reflects different European therapeutic practices. Other individual experts
may be called upon to participate to a given meeting to provide
additional expertise in specific domains on a case by case basis.
he European Medicines Agency (EMEA) has been responsible for the evaluation, supervision and pharmacovigilance
of medicinal products in the European Union (EU). New drug
applications submitted through the EMEA Centralised Procedure may lead, after successful scientific evaluation, to a single
EU-wide approval 1. Since 2005, under the new EU pharmaceutical legislation, the Centralised Procedure is mandatory for the
authorization of all new cancer drugs 2.
T
Table 1: The core members of the EMEA Oncology SAG
appointed by the CHMP in April 2008.
The Committee for Human Medicinal Products (CHMP) is responsible for conducting the evaluation of medicinal products for
human use submitted to the EMEA. Assessments performed by
the CHMP are based on objective criteria and determine whether
or not the products concerned meet the necessary quality, safety
and efficacy requirements. The approvals for new drugs are
essentially of three types, standard approval, conditional approval,
and approval under exceptional circumstances. Broadly speaking, they reflect increasing degrees of uncertainty that regulators can face when assessing the drug application, and how the
uncertainty can be minimized or reduced in the post-approval
phase. It is important that patients and prescribing physicians
understand the different types of approvals and what are the
remaining uncertainties when considering different treatment
options in clinical practice 3.
• Jonas Bergh, Stockholm
• Lothar Bergmann, Frankfurt
• Rocio García Carbonero, Sevilla
• Steen Werner Hansen, Copenhagen
• Jonathan Ledermann, London
• Michel Marty, Paris (chairperson)
• Giuseppe Saglio, Orbassano – Torino
• Jan H. M. Schellens, Amsterdam (vice-chairperson)
• Stefan Suciu, Brussels
The SAGs meet upon request from the CHMP to answer specific
questions, typically about the clinical interpretation of certain
findings or uncertainties 8, 9. For example, during the scientific
evaluation of sunitinib for metastatic renal cell carcinoma, the
CHMP considered that comprehensive clinical data related
to the efficacy of sunitinib had not been supplied at the time
of the initial marketing authorization. In particular the submitted
studies were non-randomized, and the effect of sunitinib in terms
of relevant clinical endpoints such as progression-free survival
(PFS) and overall survival (OS) were difficult to quantify using
historical comparisons. The CHMP consulted the oncology
SAG seeking confirmation about the interpretation of the efficacy results in the context of the non-randomized studies
presented, and whether the population in the two studies
was representative for the claimed indication. The advice of the
SAG was that clearly, a randomized controlled study would
have provided the most convincing evidence of efficacy and
clinical benefit. However, the response rate observed in the
phase 2 trials was very high and it is very likely that this effect
will translate into a clinically relevant effect on PFS and OS. The
population in the two studies was considered to be representative for patients resistant or intolerant to first line cytokine
based therapy. Overall, the advisory group concluded that the
phase II data provided sufficiently convincing evidence of clinical
benefit, and a manageable toxicity. The CHMP, having considered the advice from the advisory group, recommended the
granting of a “conditional approval” for sunitinib provided that
the applicant company could submit results of an ongoing
study to confirm the benefit-risk balance post-approval 10.
Regardless of the type of approval, the marketing authorization
is refused if the benefit-risk balance is negative or if the therapeutic efficacy is insufficiently substantiated. The benefit-risk
balance has to be assessed considering treatment prevention
or diagnosis under ideal conditions of use as described in the
labelling. Practical considerations about how the treatment is
expected to perform under real conditions of use (“effectiveness”)
or about the value of such treatment in terms of the society
(“cost-effectiveness”), whether in absolute or relative terms,
are outside the scope of the CHMP benefit-risk assessment.
The assessment of the benefit-risk balance requires evaluation of all relevant data and the use of expert judgment and
arguments to establish as objectively as possible with a sufficient level of confidence that an acceptable level of efficacy
and safety has been demonstrated.
During the evaluation, the committee may convene scientific advisory groups (SAG) to address specific questions raised during
the review. SAGs have been implemented for several therapeutic
areas. SAGs are composed of experts selected from the European experts’ database according to their specific clinical
expertise in the field of interest 4. SAGs provide independent
recommendations on scientific or technical matters, and while
taking into account the positions expressed by the experts, the
CHMP is responsible for its final opinion. SAG members shall not
have financial or other interests in the pharmaceutical industry
that could affect their impartiality 5, 6. During SAG meetings,
sponsors or third parties may be invited to present and discuss
the issues to be addressed by the group. In addition, visiting
experts (including non EU countries) may act as observers.
>>>
9
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2008
L’ONCOLOGIE DANS LA SOCIÉTÉ
THÈSE
>>>
answers from the SAG in the European Public Assessment
Reports (EPAR). These detailed reports are available for all new
drug applications assessed through the EMEA on the EMEA
website 8. The reports are published for positive, negative or
withdrawn applications and are an important source of information concerning all scientific aspects of the review of new
drug applications.
■
Méthylation de l’ADN et Polycomb :
du remodelage de la chromatine au cancer (1)
Emmanuelle Viré, The Wellcome Trust/Cancer Research
UK Gurdon Institute – Cambridge, UK
[email protected]
References
Figure 1 : A meeting of the oncology SAG at the EMEA. The core members
in view from left to right are Michel Marty (chairperson), Jan H. M. Schellens
(vice-chairperson), Jonas Bergh, Lothar Bergmann.
The oncology SAG has been one of the most active SAGs and
there are meetings pre-scheduled on a monthly basis along the
year. Recent examples of SAG discussions include discussions
related to panitumumab for the treatment of colorectal cancer,
erlotinib for the treatment of pancreatic cancer, sorafenib and
sunitinib for the treatment of renal cancer, lapatinib for the
treatment of breast cancer, and histamine and gemtuzumab
ozogamicin for the treatment of acute myeloid leukaemia. The
CHMP has also consulted the SAG-O in connection with the
drafting of the EMEA guidelines on the development of anticancer agents 9-10.
Concerning information to the public, although SAG meetings
are confidential and minutes are only available upon request,
the EMEA has made it standard practice to reflect the final
1. Pignatti F, Boone H, Moulon I. Overview of the European regulatory
approval system. J Ambul Care Manage 2004; 27(2):89-97
2. Regulation EC 726/2004 of 30th April 2004 laying down community
procedures for the authorisation and supervision of medicinal products for human and veterinary use and establishing a European Medicines Agency. Official J Eur Union 2004; L136:1-33
3. About EMEA – Structure: European Experts
(http://emea.eu.int/htms/aboutus/experts.htm)
4. EMEA policy on the handling of conflicts of interests management
board and scientific committee members EMEA experts
(EMEA/H/31653/03/Rev2,http://www.emea.europa.eu/pdfs/general/di
rect/conflicts/3165303en.pdf)
5. EMEA procedures on the handling of conflicts for EMEA scientific committees members and EMEA experts (EMEA/H/55475/04/Rev1 Final)
6. M7. EPARs for authorised medicinal products for human use.
(http://www.emea.europa.eu/htms/human/epar/eparintro.htm
8. CHMP Guideline On The Evaluation Of Anticancer Medicinal Products
In Man (http://www.emea.europa.eu/pdfs/human/ewp/020595en.pdf)
9. CHMP Concept Paper On Haematological Malignancies
http://www.emea.europa.eu/pdfs/human/ewp/2080808en.pdf
10. Sutent. European Public Assessment Report
http://www.emea.europa.eu/humandocs/PDFs/EPAR/sutent/068706
en6.pdf
sives. Nos résultats montrent que la protéine Polycomb EZH2
interagit physiquement avec les DNMTs et peut, au moins au
niveau de certains gènes, influencer directement l’état de méthylation de l’ADN. Ces données permettent l’ébauche d’un modèle
où EZH2 agit comme une plateforme de recrutement pour les
DNMTs (Viré et al., Nature 2006). Ensuite, au cours d’une deuxième étude, nous avons investigué le rôle de MeCP2 dans ce
modèle. MeCP2 est une protéine à domaine MBD (methylbinding domain) qui se fixe sélectivement à l’ADN méthylé. Le
recrutement de MeCP2 représente un mécanisme majeur par
lequel la méthylation de l’ADN réprime la transcription. Nous
avons montré que MeCP2 interagit avec EZH2 au niveau de
gènes réprimés. De plus, nos résultats suggèrent que MeCP2
pourrait recruter EZH2 à la chromatine et renforcer un état
réprimé de la chromatine en agissant tel un pont mécanistique
entre méthylation de l’ADN et proteins Polycomb (Viré et al.,
soumis 2008).
a régulation transcriptionnelle des gènes constitue une étape
clef de la biologie cellulaire. Parmi les mécanismes impliqués
dans la répression génique, les modifications qui affectent la
chromatine jouent un rôle fondamental. Ces modifications dites
«épigénétiques» modulent l’activité génique mais n’affectent pas
la séquence du code génétique. La méthylation de l’ADN et les
protéines Polycomb, deux machineries épigénétiques, établissent des profils moléculaires qui permettent de distinguer les
formes active et inactive de la chromatine. L’établissement et
la maintenance de la répression épigénétique des gènes intervient dans de nombreux processus liés au développement tant
biologique (inactivation du chromosome X chez les mammifères
femelles, empreinte génomique, expression de gènes tissusspécifiques) que pathologiques.
L
Nous avons consacré notre thèse de doctorat à l’étude des
mécanismes par lesquels la méthylation de l’ADN est ciblée en
des régions génomiques précises et participe à la répression de
l’expression des gènes. La méthylation de l’ADN est catalysée
par des enzymes, appelées méthyltransférases de l’ADN (DNMTs),
qui transfèrent des résidus méthyls sur les cytosines. Cette
modification chimique covalente constitue un niveau de contrôle
transcriptionnel important: il existe une corrélation entre méthylation de l’ADN et répression de l’expression génique au sein de
sites génomiques spécifiques. En outre, il semble de plus en
plus clair qu’une méthylation aberrante de l’ADN participe au
processus de cancérogenèse. À l’heure actuelle, les mécanismes
moléculaires par lesquels la méthylation contribue au développement, à la différenciation et à la répression génique restent peu
connus. Les données de la littérature suggèrent l’existence d’un
lien étroit entre la méthylation de l’ADN et la structure de la chromatine. Celle-ci est notamment régulée par des modifications
post-traductionnelles des histones. De nombreux travaux suggèrent l’existence d’une «boucle de répression» où méthylation
de l’ADN et modifications des histones assureraient le maintien
et la propagation d’états épigénétiques répressifs. L’étude des
mécanismes de la répression médiée par les DNMTs s’avère
donc étroitement liée à celle de la structure de la chromatine.
Dans ce contexte, nous nous sommes particulièrement intéressé
à la protéine Polycomb EZH2 (Enhancer of Zeste), impliquée
dans la répression transcriptionnelle parce qu’elle possède une
activité méthyltransférase d’histone sur la lysine 27 de a H3.
Les protéines Polycomb constituent une machinerie épigénétique
fondamentale, participent au système de mémoire cellulaire, régulent l’expression et la différenciation, agissent sous forme de
complexes multimériques dont les composants – associés à la
chromatine – sont conservés de la Drosophile aux mammifères.
La littérature regorge d’informations relatives à l’implication de
ces deux machineries épigénétqiues répressives dans les situations pathologiques et particulièrement dans le cancer. Toutefois,
les modes d’action tant de la méthylation de l’ADN que des protéines Polycomb dans les cellules cancéreuses sont encore peu
connus. Dès lors, nos données constituent une avancée vers la
compréhension des mécanismes par lesquels les dysfonctionnements de machineries épigénétiques peuvent retentir sur la
santé humaine. En effet, la capacité de EZH2 à recruter des
DNMTs permettrait d’augmenter localement la concentration
en DNMTs, favorisant dès lors la méthylation de l’ADN et la répression transcriptionnelle. Par ailleurs, l’interaction entre EZH2 et
MeCP2 pourrait conduire à l’enrichissement en complexes
répressifs au niveau de certaines régions génomiques précises.
Enfin, étant donné le caractère réversible des modifications
épigénétiques, l’identification de drogues qui affecteraient soit
l’activité enzymatique des DNMTs, soit leur capacité à recruter
d’autres machineries répressives, soit un ou plusieurs composants des complexes Polycomb pourrait ouvrir de nouvelles
pistes vers une thérapie épigénétique du cancer.
Le défi principal de recherches futures sera de comprendre le
rôle biologique de la relation entre méthylation de l’ADN et protéines Polycomb que nous avons mise en évidence. Identifier les
mécanismes par lesquels l’action concertée de deux machineries épigénétiques puissantes intervient dans la cellule normale et/ou cancéreuse constituerait un pas important vers
une meilleure compréhension de l’influence de l’épigénétique
pendant la prolifération cellulaire, la transformation, la différenciation ou l’apoptose.
■
Au cours de notre travail, nous avons posé la question de l’existence d’un lien entre les deux principaux systèmes épigénétiques, la méthylation de l’ADN et les protéines Polycomb.
Notre première étude a permis la mise en évidence d’un dialogue
moléculaire entre ces deux machineries épigénétiques répres-
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE–NOVEMBRE–DÉCEMBRE 2008
10
(1) Thèse de doctorat réalisée au sein du Laboratoire d’Épigénétique du
Cancer, Campus Erasme, Dir. Dr. François Fuks.
11
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2008
CONTROVERSE
Traitement chimiothérapique
des métastases résécables des cancers
colorectaux. Quel bénéfice ?
3 ans de 8,1%, HR 0.77 (0.6-1,00) p= 0,041 pour les patients
éligibles, et de 9,2% HR 0,73 (0,55-0,97) p=0,025 pour les
patients opérés.
Alain Hendlisz, Oncologie Digestive, Service de Médecine, Institut Jules Bordet
[email protected]
Les auteurs concluent à la faisabilité de cette approche et à son
efficacité à améliorer la survie sans progression dans le sousgroupe des patients éligibles et celui des patients réséqués.
e cancer colorectal (CCR) est un problème majeur de santé
publique, avec plus de 1.000.000 nouveaux cas, et environ
500.000 décès par an dans le monde. 1
En Belgique, près de 7.700 patients sont concernés chaque
année. Après résection à visée curative d’une maladie limitée,
40 à 50% des patients vont malheureusement récidiver, souvent
sous la forme de métastases hépatiques isolées ou concomitamment à d’autres sites de dissémination.
L
Le CCR se distingue cependant parmi les tumeurs «solides» par:
1) l’efficacité des chimiothérapies adjuvantes.
Entre le projet «National Surgical Adjuvant Breast and Bowel
Project (NSABP) C-01», publié en1988, premier à démontrer un
gain de survie en faveur de la chimiothérapie adjuvante 2, et
l’essai MOSAIC (2004), les combinaisons de médicaments ont
considérablement évolué. Le standard actuel, associant 5FU,
acide folinique et oxaliplatine (FOLFOX) pour 6 mois 3, améliore
la survie des patients porteurs d’un cancer du côlon stade III de
25% en valeur absolue par rapport à la chirurgie seule. L’ampleur
du bénéfice obtenu dans le CCR est inhabituel parmi les tumeurs
solides, ou des gains modestes sont ordinaires: 2% à 11% selon
l’âge et le statut ganglionnaire dans le cancer du sein 4, 3 à 8%
dans le cancer du poumon non à petites cellules 5.
2) l’efficacité des stratégies chirurgicales
de résection des métastases.
Contrairement à la majorité des tumeurs solides, la chirurgie
d’exérèse des métastases hépatiques, pulmonaires et parfois
péritonéales des CCR permet dans certaines conditions (1
seul site atteint, exérèse complète, tumeurs non progressives
sous chimiothérapie,…) d’obtenir des taux de survie à 5 ans
de l’ordre de 25% 6. Quinze pour cent seulement des métastases hépatiques sont résécables d’emblée. L’efficacité crois-
sante des chimiothérapies systémiques permet d’envisager une
chirurgie à visée curative de processus métastatiques initialement inopérables dans 10 à 15% des cas 7 avec des résultats à
long terme comparables à ceux des métastases opérables
d’emblée.
L’efficacité des chimiothérapies modernes en situation adjuvante et métastatique ainsi que le succès relatif des résections
des métastases des CCR mène naturellement au concept de
chimiothérapie «pseudo-adjuvante» ajoutée à la chirurgie.
Cependant, aucune étude randomisée n’a pu démontrer de
bénéfice pour la chimiothérapie postopératoire ni par voie
intra-artérielle hépatique 8, 9 ni par voie intraveineuse 10.
La très attendue étude EORTC 40983, publiée récemment, teste
le concept de chimiothérapie périopératoire de métastases
hépatiques de CCR. 11 Cette étude est novatrice par la modernité de la chimiothérapie proposée ainsi que par l’approche
préopératoire. Celle-ci a l’avantage potentiel de diminuer la
taille des métastases, de renseigner sur la chimio-sensibilité de
la tumeur et de traiter précocement les métastases occultes.
303 patients ont été randomisés entre chirurgie seule ou précédée et suivie de 3 mois (6 cycles) de FOLFOX.
Le calcul statistique de la taille d’échantillon est basé sur une
hypothèse d’augmentation de 40% de la survie médiane sans
progression, ou de manière équivalente une augmentation de
la survie sans récidive à 3 ans de 21% à 32,8% (Hazard Ratio
(HR) = 0,714).
Les résultats sont décevants : en analyse «intent to treat», la
chimiothérapie périopératoire améliore la survie sans récidive
à 3 ans de 7,3% avec un HR de 0,79 (0,62-1,02) p=0,058.
4) Le design de l’étude ne permet pas d’exploiter un des intérêts majeurs de l’abord préopératoire : l’évaluation «in vivo»
de la chimio-sensibilité de la tumeur. Dans le bras chimiothérapie, sauf progression préopératoire démontrée, le traitement était poursuivi après la chirurgie indépendamment de
la réponse. Il semble pourtant déraisonnable de continuer un
traitement non efficace. Une analyse des résultats de l’étude
EORTC 40983 en fonction de la réponse est nécessaire
rapidement et permettra d’orienter de nouvelles stratégies
thérapeutiques.
La chimiothérapie préopératoire est responsable d’un excès
de morbidité postopératoire (25% versus 16% p= 0,04) mais
sans différence en mortalité opératoire.
…la chirurgie d’exérèse des métastases hépatiques,
pulmonaires et parfois péritonéales des CCR
permet dans certaines conditions d’obtenir
des taux de survie à 5 ans de l’ordre de 25%.
5) Un traitement préopératoire de 3 mois présente le risque de
rendre certaines métastases indétectables pour le chirurgien.
Un temps d’administration plus court pourrait répondre à la
question de la chimio-sensibilité tumorale et réduire la morbidité chirurgicale.
Ces données amènent quelques réflexions:
En conclusion, l’abord des métastases hépatiques de CCR reste
exclusivement chirurgical. La chimiothérapie adjuvante n’a pas
démontré de bénéfice dans les études prospectives randomisées disponibles. L’approche périopératoire est novatrice, mais
l’étude 40983 ne permet pas de trancher en sa faveur, probablement en raison d’une hypothèse statistique extrapolant avec
trop d’enthousiasme les résultats des traitements adjuvants
en situation non métastatique. Le concept périopératoire doit
également mieux exploiter les renseignements obtenus sur la
tumeur en cours de la phase préopératoire pour adapter le traitement postopératoire. Ces données devraient être intégrées
dans le design des futures études.
■
1) L’objectif primaire de l’étude n’a pas été rencontré, la différence entre les deux groupes n’étant pas significative en
analyse «intent to treat». Par ailleurs, on relèvera que la taille
d’échantillon a été calculée pour évaluer une différence de
survie sans récidive à 3 ans de 40% soit 11,8% en valeur
absolue et manque donc de puissance pour détecter fiablement un bénéfice de plus faible amplitude comme les
7,3% annoncés par les auteurs.
2) Les résultats des traitements adjuvants des CCR ne sont
clairement pas extrapolables aux situations métastatiques,
dans lesquelles probablement le «tumor load» est plus important et la tumeur plus hétérogène dans son comportement et ses capacités de résistance aux traitements. Ce fait
doit être pris en compte dans les hypothèses statistiques.
Références
3) Si la survie sans progression à 3 ans est un «surrogate endpoint» reconnu par rapport à la survie globale à 5 ans dans
les études CCR adjuvantes, sa validité n’est pas démontrée
en situation métastatique. Les données de survie de l’étude
40983 sont encore en attente, mais les futures études de
chimiothérapie périopératoire pour les CCR métastatiques
devraient utiliser la survie globale ou la survie sans récidive
à 5 ans comme objectif primaire pour pouvoir décrire l’éradication de la maladie, plutôt qu’un simple report dans le
temps de la récidive.
1. Parkin DM et al. CA Cancer J Clin 2005; 55: 74-108.
2. Wolmark N et al. J Natl Cancer Inst1988; 80: 30-36.
3. André T et al. N Engl J Med. 2004; 350(23): 2343-51.
4. Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group.
The Lancet 1998; 352:930-942
5. Felip E et al. Ann Oncol. 2007. Jul;18 Suppl 9: ix143-6.
6. Choti MA al. Ann Surg 2002; 235: 759-66
7. Adam R. Ann Oncol 2003;14 (Suppl.2): ii13-6.
8. Lorenz M et al. Ann Surg 1998; 228: 756-62.
9. Kemeny N et al. N Engl J Med 1999; 341: 2039-48.
10. Mitry E et al. J Clin Oncol. 2006; 24: 152s.
11. Nordlinger B et al. Lancet 2008; 371: 1007-16
Les analyses de sous-groupes donnent un avantage significatif
au bras chimiothérapie: amélioration de la survie sans récidive à
Quelle est l’attitude adoptée à Institut Jules Bordet ?
Dans la pratique, tous les cas sont discutés en séance multidisciplinaire. Les patients qui se présentent avec des métastases hépatiques résécables relèvent généralement de la chirurgie seule ou sont inclus dans des protocoles expérimentaux
quand ceux-ci sont disponibles. La situation particulière des métastases synchrones, jamais exposées à la chimiothérapie
adjuvante précédemment est discutée au cas par cas. Le traitement postopératoire est alors adapté à la réponse mesurée
radiologiquement et par l’examen anatomopathologique de la pièce opératoire. Une chimiothérapie périopératoire est
régulièrement prescrite aux métastases hépatiques d’emblée non résécables avec l’espoir de réduire la taille tumorale
et de permettre une chirurgie curative.
Figure 1 : Aspect typique d’un foie ‘léopard’
post chimiothérapie. Les zones plus claires
correspondent à de la stéatose.
Figures 2 et 3 : Aspects typiquement stéatosiques du foie.
Les risques liés à la chimiothérapie sont caractérisés par un excès de morbidité opératoire :
saignements peropératoires, et faillites hépatocellulaires postopératoires transitoires.
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ÉTUDES
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Le codage MedDRA pour les effets
indésirables: avantages et inconvénients
Genevieve Decoster, IT&GCP Consulting sprl
[email protected]
Jean Schlusselberg, MD, PhD, Centre Belge de Pharmacovigilance
Coordinateur Vigilance Oncologique
Agence Fédérale des Médicaments et Produits de Santé – Bruxelles
[email protected]
Geneviève Decoster
Introduction
Comment fonctionne MedDRA?1
La gestion des effets indésirables nécessite un codage approprié afin de pouvoir être exploitable de manière statistique et de
pouvoir procéder à des regroupements cliniquement pertinents
en vue de l’analyse de la sécurité des médicaments. En pharmacovigilance, les effets indésirables des médicaments avaient
l’habitude d’être codés en utilisant des systèmes tels que le
WHO-ART (World Health Organization – Adverse Reaction Terminology), COSTART (Coding Symbols for a Thesaurus of
Adverse Reaction Terms), ICD-CM (International Classification
of Diseases with Clinical Modifications), SRS (Spontaneous
Reporting System) ou encore J-ART (terminologie japonaise sur
les effets indésirables). Ces systèmes n’étaient pas toujours
en accord les uns avec les autres, d’où l’initiative de la Conférence Internationale sur l’Harmonisation (CIH) d’uniformiser la
terminologie médicale utilisée à l’échelle internationale en élaborant, avec la collaboration de l’Organisation Mondiale de la
Santé, la terminologie médicale «MedDRA».
MedDRA est construit selon une hiérarchie constituée de 26
classes de haut niveau (SOC ou system organ class) permettant
de définir et traduire les renseignements médicaux selon 5
niveaux de précision. Au niveau le plus bas (LLT ou lower level
terminology), plus de 55 000 termes y sont répertoriés. Le fonctionnement de MedDRA est généralement décrit en anglais et
est résumé ci-dessous:
Activities) (1)
MedDRA (Medical Dictionary for Regulatory
est
aujourd’hui le dictionnaire de référence, uniformisant la terminologie médicale utilisée par les affaires réglementaires, l’industrie
pharmaceutique et biologique ainsi que les instituts de recherche
académique pour le suivi, l’analyse et le rapport des effets indésirables des produits pharmaceutiques à usage humain. MedDRA
contient des termes pour décrire les symptômes, les signes, les
maladies et les diagnostics. MedDRA décrit également les examens tels que les analyses de la fonction hépatique ou rénale;
les indications thérapeutiques, les interventions médicales ou
chirurgicales; mais attention, MedDRA n’offre aucune définition
des termes répertoriés dans son dictionnaire.
Depuis janvier 2003, la terminologie médicale de MedDRA sert
aux échanges électroniques d’informations et d’observations de
pharmacovigilance à l’échelle internationale. La terminologie
MedDRA s’applique à toutes les phases de développement d’un
médicament, incluant les études pré- et post-enregistrement,
mais excluant les données des études chez l’animal. MedDRA
est aussi utilisé pour les effets secondaires dus aux instruments
médicaux.
MedDRA est disponible en plusieurs langues dont le français,
l’anglais, l’espagnol ou le japonais. Le support et la maintenance
de MedDRA est assurée par le MSSO (Maintenance and Support
Services Organization). Les utilisateurs du dictionnaire peuvent
demander l’ajout ou la suppression de termes en contactant le
MSSO 1-3, mais la procédure est compliquée et longue.
SOC – Highest level of the terminology, and distinguished
by anatomical or physiological system, etiology, or purpose
Il s'agit du plus haut niveau de la hiérarchie qui offre le plus large
concept pour le regroupement des données par étiologie (par
exemple : infections, système gastro-intestinal, ou procédures
chirurgicales)
Tableau 1:
SYSTEM ORGAN CLASSES
Blood and lymphatic system
Cardiac disorders
Metabolism and nutrition disorders
Musculoskeletal and connective
tissue disorders
Congenital, familial and
Neoplasms benign, malignant
genetic disorders
and unspecified
Ear and labyrinth disorder
Nervous system disorders
Endocrine disorders
Pregnancy, puerperium and perinatal
Eye disorders
Psychiatric disorders
Gastrointestinal disorders
Renal and urinary disorders
General disorders and
Reproductive system and
administration site conditions breast disorders
Hepatobiliary disorders
Respiratory, thoracic
and mediastinal disorders
Immune system disorders
Skin and subcutaneous
tissue disorders
Infections and infestations
Social circumstances
Injury, poisoning and
Surgical and medical procedures
procedural complications
Investigations
Vascular disorders
HLGT – Subordinate to SOC, superordinate descriptor
for one or more HLTs
HLT – Subordinate to HLGT, superordinate descriptor
for one or more PTs
Ces deux types de termes sont utilisés uniquement pour l’extraction de données et leur présentation. Ils ne sont pas utilisés
pour le codage. Les HLT regroupent des termes préférentiels
(Preferred Terms ou PT) ayant en commun un lien anatomique,
physiopathologique, étiologique ou fonctionnel. On peut trouver
par exemple comme HLT: Bronchospasme et obstruction,
œdèmes pulmonaires et néoplasmes des voies aériennes supérieures. Les HLGT regroupent plusieurs HLT ayant un lien anatomique, physiopathologique, étiologique ou fonctionnel. Exemples
de HLGT: Troubles vasculaires hypertensifs.
Des atteintes du nerf optiques, mises en évidence par potentiel
évoqué, risquent d’être classées dans un LLT correspondant au
SOC «Investigations» et n’apparaîtront pas lors de la recherche
globale d’atteintes neurologiques par requête dans le SOC «Nervous System Disorders»; le nombre d’effets indésirables sera
inférieur à la réalité.
PT – Represents a single medical concept
LLT – Lowest level of the terminology, related to a single PT
as a synonym, lexical variant, or quasi-synonym (Note: All
PTs have an identical LLT).
De façon similaire, une atteinte hépatique légère, mise en évidence par la mesure du taux de transaminase risque d’être
classé dans un LLT relatif au SOC «Investigations» et sera
exclu d’un comptage d’atteintes hépatiques à partir du SOC
«Hepatobiliary Disorders»
Le PT est un terme décrivant un concept médical unique. Il doit
être, autant que possible, spécifique et non ambigu ainsi qu’autodescriptif. Ainsi les termes éponymes ne sont retenus que
lorsqu’ils sont reconnus internationalement. Il n’y a pas de limite
au nombre de LLT reliés à un PT. Un PT doit être relié à au moins
un SOC. Chaque PT a un SOC primaire qui détermine sous quel
SOC le terme apparaît dans les listings cumulatifs des données. Chaque LLT est relié à un seul PT. Ci-dessous quelques
exemples de termes de niveau le plus bas et des PT.
MedDRA fait la différence entre, par exemple, «une chute des
neutrophiles» et une «neutropénie». La chute des neutrophiles ne
veut pas nécessairement dire que les neutrophiles sont hors
des limites inférieures des normes de laboratoire, donc l’effet
indésirable, quel que soit le grade de sévérité donné par l’investigateur, sera classifié dans le «Investigations» SOC. Par contre,
si l’investigateur a décrit que le malade a eu une neutropénie,
cela implique automatiquement que les neutrophiles sont hors
des limites normales de laboratoire et l’effet indésirable sera
classifié dans le «Blood and lymphatic disorders» SOC.
– Variant lexical (PT=Syndrome d’immunodéficience acquise
et LLT=SIDA)
– Quasi-synonyme (PT=otite externe et LLT = otite externe
bilatérale)
– Sous-élément (PT=Contusion et LLT = contusion de la face
ou contusion de la jambe)
– Identique (pour des nécessités de saisie, chaque PT existe
aussi en tant que LLT)
Le terme utilisé par l’investigateur lors du remplissage du cahier
d’observation est très important puisqu’il servira de base pour
l’attribution de la terminologie MedDRA.
Certains auteurs ont publié des données concernant la mauvaise
classification des effets indésirables lors de l’utilisation de
MedDRA, particulièrement dans des études cliniques évaluant
des produits anticancéreux 4-5. Nous en donnons un exemple
illustré ci-après.
Le LLT est le niveau préférentiel de codage, il couvre en effet
le plus grand nombre d’entrées possibles et, de ce fait, est le
plus performant en ce qui concerne le codage automatique.
Analyse des effets indésirables
Il est extrêmement important que la fréquence et la sévérité des
toxicités médullaires, hépatiques ou rénales soient correctement
interprétées dans les études cliniques sur les médicaments
oncologiques. Il n’est pas rare que le profil de toxicité soit dilué par
MedDRA 5. Le tableau 2 donne un aperçu de comment MedDRA
classe certaines données.
MedDRA ou CTCAE
Le MSSO a travaillé avec le CTEP (Cancer Therapy Evaluation
Program) sur la configuration des données entre le CTCAE
version 3 et MedDRA version 9 LLT. Cette configuration des
données est mise à jour chaque année au mois de mars.
Les avantages de MedDRA
Tableau 2 : Classification MedDRA
MedDRA est un programme validé, accepté par les autorités de
santé, particulièrement dans la zone CIH comprenant les pays
de l’Union Européenne, les États Unis d’Amérique, et le Japon,
utilisant les mêmes codages quelle que soit la langue utilisée.
Il faut souscrire un abonnement pour avoir accès à MedDRA,
mais les centres de recherches promoteurs d’essais cliniques
dits non-commerciaux y ont accès gratuitement.
À savoir, ni le MSSO ni les autorités de santé ne donnent de
recommandation quant à l’utilisation de MedDRA pour l’analyse
des effets indésirables des études cliniques. En plus, MedDRA demande un niveau de détails qui généralement n’est pas
utilisé par les investigateurs lorsqu’ils transcrivent les effets indésirables dans les cahiers d’observations.
MedDRA et ses faiblesses
Preferred Terms (PT)
System Organ Class (SOC)
Neutropénie
Chute des neutrophiles
Leucopénie
Chute des globules blancs
Thrombocytopénie
Chute des plaquettes
Hyperbilirubinémie
Augmentation de la bilirubine
Hypertension
Augmentation
de la pression
Blood and lymphatic disorders
Investigations
Blood and lymphatic disorders
Investigations
Blood and lymphatic disorders
Investigations
Hepatobiliary
Investigations
Vascular disorders
Investigations
MedDRA classifie les termes “chute” ou “augmentation” dans le
SOC “Investigations”. En fait beaucoup d’effets indésirables peuvent être classifiés dans le SOC “Investigations”, mais ce seront
principalement les données de laboratoire qui nous ont intéressé.
MedDRA a ses faiblesses et ce sont ces faiblesses qui peuvent
diluer ou biaiser l’information sur la fréquence des effets indésirables si l’investigateur, le moniteur, le data manager, le rédacteur
médical et/ou tout autre personne ayant accès aux données
ne sont pas vigilants.
Dans une étude de Phase II de 41 malades traités avec un
médicament anticancéreux (tableau 3), il a fallu faire une double
analyse afin que le bon profil de toxicité soit décrit dans le
rapport de fin d’étude. Pour ce faire, les effets indésirables
Ces faiblesses sont particulièrement flagrantes pour certains
examens techniques ou pour des données de laboratoire.
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ÉTUDES
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émanant de données de laboratoire ont été reclassés dans le
SOC approprié, telles que les données de la fonction hépatique
qui ont dû être envoyées vers le SOC «Hepatobiliary».
Le tableau 3 montre clairement une sous-estimation de l’altération de la fonction hépatique à la première analyse.
Tableau 3 : Analyse d’effets indésirables par SOC
avec et sans le “Investigations” SOC (Phase II)
PREMIÈRE ANALYSE
SOC
% d’EI
Reliés
% d’EI
Toutes causes
% d’EI
Reliés
76
71
85
80
2
0
17
2
Metabolism
46
39
46
29
Renal
29
10
29
7
Investigations*
54
41
0
0
Blood disorders
Hepatobiliary
Pour des raisons de confidentialité, les données des tableaux
3 à 5 ne sont pas référencées. Il faut noter que ce sont des données réelles provenant d'études cliniques non fictives.
L’auteur remercie Marianne Paesmans pour ses excellents commentaires et suggestions.
■
Références et liens utiles
1. MedDRA is a registered trademark of the International Federation
for Pharmaceutical Manufacturers and Associations (IFPMA).
2. MedDRA Maintenance and Support Services Organization.
Standardized MedDRA Queries. http://www.meddramsso.com 2003
3. http://www.meddramsso.com/MSSOWeb/index.htm
4. Koebler J, Vonk R, Beimel S, et al. Adverse event analysis and
MedDRA: Business as usual or challenge? Drug Information J, 2005
5. Tremmel LT, Scarpone L. Using MedDRA for adverse events
in cancer trials: Experience, caveats, and advice. Drug Inf J. 2001;
35(3): 845-852.
EI=effet indésirable
* Quelques données initialement classées dans «Investigations», ont été reclassées dans des SOCs
qui ne concernaient pas des données de laboratoire.
Le tableau 4 montre que dans une phase I incluant 17 malades,
deux analyses ont été nécessaires pour identifier l’importance
de la dysfonction hépatique et rénale. Il faut aussi noter la surestimation de la toxicité hématologique à la première analyse.
Tableau 4: Analyse des effets indésirables
d’une étude de phase 1 de 17 malades
3 médicaments
n=350
CIH
Conférence Internationale
sur l’Harmonisation
COSTART
Coding Symbols for a Thesaurus of Adverse
Reaction Terms
CTCAE
Common Terminology Criteria for Adverse Events
CTEP
Cancer Therapy Evaluation Program
EI
Effet Indésirable
HLGT
High Level Group Terminology
HLT
High Level Terminology
ICD-CM
International Classification of Diseases
with Clinical Modifications
J-ART
Japanese Adverse Reaction Terms
LLT
Lower Level Terminology
MedDRA
Medical Dictionary for Regulatory Activities
MSSO
Maintenance and Support Services
Organization
PT
Preferred terms
SOC
System Organ Class
SRS
Spontaneous Reporting System
WHO-ART
World Health Organization –
Adverse Reaction Terminology
4 médicaments
n=390
Grade 1-2 Grade 3-4 Grade 1-2 Grade 3-4
Investigations
PREMIÈRE
ANALYSE
SECONDE
ANALYSE
% d’EI
Toutes causes
% d’EI
Toutes causes
Blood disorders
88
59
General disorders
100
94
SOC
Tableau 5 : Analyse des effets indésirables
par SOC d’une étude randomisée
SOC
GLOSSAIRE
Une mauvaise classification n’est ni rare, ni spécifique à l’oncologie. Il en résulte une dilution des effets indésirables en raison du
mauvais choix des termes MedDRA ainsi qu’une sous évaluation
de leur incidence réelle.
SECONDE ANALYSE
% d’EI
Toutes causes
Une mauvaise classification des effets indésirables dans les
SOCs peut donner lieu à une conclusion erronée quant au profil
de toxicité d’un médicament ou d’une combinaison de médicaments et il est absolument nécessaire que tous les intervenants
soient sensibilisés aux faiblesses de MedDRA.
Hepatobiliary
41
82
Renal
29
41
Investigations*
88
0
«Investigations», ont été reclassées dans des SOCs
qui ne concernaient pas des données de laboratoire.
Dans une étude randomisée, il a été nécessaire de nettoyer les
données avant de pouvoir les utiliser. Le tableau 5 a été créé
vu le nombre considérable de termes hématologiques qui ont
été classés dans le SOC «Investigations» alors qu’ils auraient dû
être classés dans le SOC «Blood disorders». À peu près 10%
des malades ont eu une toxicité hématologique, tous grades
confondus dans les deux groupes de traitement alors que plus
de 70% des malades ont eu une toxicité hématologique classée
sous «Investigations».
Si l’analyse de la tolérance est uniquement basée sur le niveau
MedDRA le plus haut (SOC), on pourrait en déduire que la toxicité hématologique dans le cas présent est négligeable alors
qu’en fait elle est présente chez plus des deux tiers des malades.
De plus les toxicités de grade 3 ou 4 étaient négligeables dans
le SOC «Blood disorders» et atteignaient jusqu’au 30% des malades dans le SOC «Investigations».
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29%
45%
31%
Chute de plaquettes
47%
1%
50%
3%
Chute d’hémoglobine
43%
1%
46%
1%
Chute de neutrophiles
26%
27%
25%
28%
8%
3%
8%
2%
Blood disorders
* Quelques données initialement classées dans
49%
Thrombocytopénie
0
0
1%
0
Neutropénie
1%
0
1%
1%
Anémie
1%
0
1%
0
Comme illustré par les exemples ci-dessus, la scission du même
effet indésirable en deux termes préférentiels (PT) peut minimiser
le taux d’incidence de certains effets indésirables. Il est plus grave
encore de constater que l’allocation de PT différents représentant
le même effet indésirable à des SOCs différents peut amener à
comptabiliser le même malade dans chaque SOC. Ceci induit alors
une surévaluation de l’incidence de certains effets indésirables!
CONCLUSION
Tous les scientifiques sont devenus familiers des aspects incontournables qu’apportent la randomisation, les bonnes pratiques
cliniques, la combinaison entre recherche humaine et éthique
lorsqu’il est nécessaire de démontrer l’efficacité d’une substance ou d’un traitement. Ces aspects méthodologiques font
partie du raisonnement de tous.
En revanche, l’importance des aspects méthodologiques liés
à la sécurité des médicaments, aussi bien en recherche que
durant la phase post-enregistrement, n’est pas encore devenue
systématique et de nombreuses erreurs méthodologiques sont
encore monnaie courante.
SÉMINAIRES DU PROGRAMME DE SOINS EN ONCOLOGIE IRIS-BORDET-ERASME
HÔPITAL ERASME, LE JEUDI 19 FÉVRIER 2009
19 h, à l’auditorium Jaumotte, au Niv. –1
– Dr Isabelle DEMEESTERE (Laboratoire de Recherche en Reproduction Humaine, Hôpital Erasme) :
«Fertilité et Cancer»
– Pr Marc ABRAMOWICZ Service de Génétique Médicale, Hôpital Erasme) :
«Cancers héréditaires»
– Pr Pierre HEIMANN (Laboratoire de Génétique-Oncologie Moléculaire, Hôpital Erasme
et Institut Bordet) :
«Cancers Tyrosine Kinase dépendants»
– Pr Joëlle NORTIER, Chef de Service de Néphrologie, Hôpital Erasme) :
«Néphrotoxicité des agents anti-tumoraux»
L’accréditation en économie-éthique a été demandée.
RENSEIGNEMENTS : Dr Marie Marchand, Équipe mobile de soins continus et douleur
Coordinateur du Programme de Soins en Oncologie Hôpital Erasme
[email protected] – Tél.: 02/555 41 10
17
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INFORMATION SCIENTIFIQUE
>>>
Thérapies ciblées dans le carcinome rénal:
bénéfice en survie?
Jean-Pascal Machiels
Centre du Cancer, Service d’oncologie médicale.
Cliniques universitaires Saint-Luc, Université catholique de Louvain
[email protected]
Le carcinome rénal représente 3% des cancers de l’adulte. La
néphrectomie guérit 60 à 80% des patients lorsque la tumeur
est localisée. Un traitement chirurgical est également recommandé en cas de maladie métastatique si tout le tissu malin est
résécable en totalité.
Le carcinome rénal à cellules claires est le type histologique le
plus fréquent (> 80%). La majorité de ces tumeurs possède une
inactivation biallélique du gène de von Hippel-Lindau soit par
méthylation, délétion ou mutation. Le gène de von Hippel-Lindau
est un gène suppresseur de tumeur et son altération résulte en
une synthèse accrue de VEGF (Vascular endothelial growth
factor), PDGF (Platelet derived growth factor) et TGF-α (Tumor
growth factor-alpha). Ces protéines sont impliquées dans l’angiogenèse et la prolifération tumorale. Elles constituent donc des
cibles thérapeutiques intéressantes.
Les données
La table 1 résume les différentes données disponibles. Plusieurs
stratégies thérapeutiques visant à bloquer la voie VEGF/VEGFR
ont été testées en clinique (Figure 1). Il s’agit soit d’anticorps
liant le VEGF circulant et l’empêchant de se fixer sur son récepteur (bevacizumab) soit d’inhibiteurs des tyrosine kinases ciblant,
entre autres, les récepteurs du VEGF et du PDGF(sorafenib,
sunitinib). Ces récepteurs sont non seulement localisés sur les
cellules endothéliales ou les péricytes mais aussi sur les cellules
tumorales. Un effet anti-prolifératif direct de ces molécules en
plus de l’inhibition de l’angiogenèse est donc possible (Figure 2).
Le sorafenib est un inhibiteur puissant de RAF-1, un intermédiaire
clé dans la prolifération cellulaire. Il bloque également la tyrosine
kinase des récepteurs VEGFR-2 et PDGFR. Une étude de phase
III (TARGET) a comparé le sorafenib à un placebo en seconde
ligne après échappement à un traitement systémique classique
incluant le plus souvent des cytokines 1. Le temps de vie sans
progression de la maladie était significativement allongé en faveur
du sorafenib (médiane: 5,5 versus 2,8 mois). Le taux de réponse
partielle était de 10% dans le bras sorafenib et de 2% dans le
groupe placebo. En première ligne métastatique, une étude de
phase II randomisée n’a pas démontré d’avantage pour le sorafenib comparé à l’interféron-α. Les principaux effets secondaires
du sorafenib sont de la diarrhée (43% grade 1-4, 2% grade 3-4),
un syndrome main-pied (30% grade 1-4, 6% grade 3-4) et de
l’hypertension (17% grade 1-4, 4% grade 3-4). La fatigue et les
troubles hématologiques sont plus rares.
> 10 mg/dl, < 1 an depuis le diagnostic et >1 un site métastatique), le temsirolimus, un inhibiteur de mTOR, s’est montré plus
efficace que l’interféron-α en première ligne métastatique avec
un allongement significatif de la survie médiane : 10,9 versus
8,4 mois 4. L’everolimus (RAD00) a récemment démontré un
allongement du temps de vie sans progression de la maladie
en comparaison à un placebo après échec du sorafenib et/ou
sunitinib (médiane : 4 versus 1,9 mois) 5.
Un avantage en survie ?
L’arrivée des thérapies ciblées constitue une petite révolution
dans le traitement du carcinome rénal métastatique. Cette amélioration se fait au prix d’une toxicité nouvelle qu’il faut apprendre
à maîtriser pour donner le meilleur bénéfice de ces traitements à
nos patients.
Le Bevacizumab est un anticorps monoclonal contre le VEGF.
Une étude de phase III a comparé l’interféron-α à l’association
bevacizumab et interféron-α en première ligne métastatique
(AVOREN) 3. Le temps de vie sans progression de la maladie
était meilleur pour le bras bevacizumab (médiane: 10,2 versus
5, 4 mois).
Seule l’étude comparant le temsirolimus à l’interféron-α a indiscutablement démontré un avantage en survie mais cette étude
ne concerne qu’une minorité de patients de mauvais pronostic 4. Le sunitinib (comparé à l’interféron-α) semble aussi
prolonger la survie globale: 26,4 versus 21,8 mois (p = 0.0510,
log-rank and p = 0.0128, Wilcoxon test). La survie est également
à l’avantage du sorafenib comparé au placebo en deuxième
ligne: 17,8 versus 15,2 mois. Elle devient statistiquement significative lorsque les patients du bras contrôle sont «censorisés» en
vie au moment d’un éventuel cross-over pour un médicament
actif. De même, il existe également une tendance en faveur
d’un allongement de la survie pour le bevacizumab associé à
l’interféron-α (médiane non atteinte pour le bevacizumab versus
19,8 mois pour l’interféron, p = 0.067). Il est probable que ces
nouvelles molécules améliorent la survie de ces patients et que
les analyses statistiques des études précitées soient «polluées»
par les patients des groupes contrôles ayant bénéficié, à juste
titre, d’un inhibiteur de l’angiogenèse après progression sous
interféron ou placebo. De façon intéressante, des résultats préliminaires montrent une certaine absence de résistance croisée
entre les différents inhibiteurs de l’angiogenèse laissant suggérer
que plusieurs lignes de traitement pourraient être efficaces.
L’impact sur la survie globale d’une deuxième ligne d’inhibiteur
de l’angiogenèse après échec d’une première ligne d’un autre
inhibiteur de l’angiogenèse n’est pas déterminé.
La voie moléculaire AKT/mTOR joue un rôle dans le métabolisme,
la croissance et la prolifération cellulaire et peut indirectement
stimuler l’angiogenèse. Dans une population de mauvais pronostic
(> 3 de 6 facteurs de risque: absence de néphrectomie, anémie,
ECOG 1, LDH > 1,5 la limite supérieure de la normale, calcium
Finalement, la majorité de ces patients restent palliatifs et une
attention toute particulière doit être accordée à leur qualité de
vie. Cela passe par des traitements antalgiques adaptés, par
un support psychologique adéquat et une gestion optimale des
effets secondaires de nos nouveaux traitements.
■
Le sunitinib est un inhibiteur de la tyrosine kinase des récepteurs
VEGF (1,-2,-3), PDGFR (-α et β), KIT, RET, et FLT3. Une étude
de phase III a démontré que le sunitinib prolongeait significativement le temps de vie sans progression de la maladie comparé
à un traitement classique par interféron-α en première ligne
métastatique (médiane: 11 versus 5 mois) 2. Le taux de réponse
objective était de 37% dans le groupe sunitinib comparé à 9%
dans le groupe interféron-α. Les toxicités principales de cette
molécule sont : la fatigue (51% grade 1-4, 7% grade 3-4), la
diarrhée (53% grade 1-4, 5% grade 3-4), des nausées, des
stomatites, de l’hypertension (24% grade 1-4, 8% grade 3-4),
neutropénie (12% grade 3-4), thrombopénie (8% grade 3-4),
élévation asymptomatique des lipases.
Table 1 : Indications des thérapies ciblées dans le carcinome
Sunitinib
Première ligne
Seconde ligne
Une étude positive
de phase III
comparé à l’INF- α
Études de phase II
Interféron-α
Une étude positive
+ bevacizumab de phase III
comparé à l’INF- α
Sorafenib
Une étude négative
randomisée
de phase II
Temsirolimus
Patients de pauvre
pronostic
Une étude positive
de phase III
comparé à l’INF- α
Everolimus
Une étude positive
de phase III
comparé à un placebo
Une étude positive
de phase III comparé
à un placebo chez des
patients en maladie
progressive après
sunitinib et/ou sorafenib
INF = Interféron
Références
1. Escudier B, Eisen T, Stadler WM et al. TARGET Study Group.
Sorafenib in advanced clear-cell renal-cell carcinoma. N Engl J Med
2007; 356(2):125–134.
2. Motzer RJ, Hutson TE, Tomczak P et al. Sunitinib versus interferon
alfa in metastatic renal-cell carcinoma. N Engl J Med. 2007 Jan 11;
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3. Escudier B, Pluzanska A, Koralewski P et al. AVOREN Trial
investigators. Bevacizumab plus interferon alfa-2a for treatment
of metastatic renal cell carcinoma: a randomised, double-blind
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4. Hudes G, Carducci M, Tomczak P et al. Global ARCC Trial.
Temsirolimus, interferon alfa, or both for advanced renal-cell carcinoma.
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5. Motzer RJ, Escudier B, Oudard S et al. RECORD-1 Study Group.
RAD001 vs placebo in patients with metastatic renal cell carcinoma
(RCC) after progression on VEGFr-TKI therapy:
Results from a randomized, double-blind, multicenter Phase-III study.
Lancet. 2008 Aug 9;372(9637):449-56.
La survie et la qualité de vie de votre malade atteint
d’un cancer peuvent dépendre de traitements disponibles
dans les programmes de recherche:
Contacts:
HÔPITAL ERASME : Dr Marie Marchand: 02/555 41 93 – [email protected]
BORDET-IRIS : Dr Tatiana Besse-Hammer: 02/541 31 48 – [email protected]
Figure 1: Stratégies thérapeutiques visant à bloquer la voie VEGF/VEGFR.
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE–NOVEMBRE–DÉCEMBRE 2008
Figure 2: Mécanismes d’action des inhibiteurs de l’angiogenèse.
18
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JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2008
INFORMATION SCIENTIFIQUE
Traitement chirurgical des tumeurs
cérébrales à l’aube de 2009.
Le rôle de la neuronavigation
Olivier De Witte, Service de Neurochirurgie, Hôpital Erasme,
[email protected]
ascendante droite (aire de Rolando). L’imagerie fonctionnelle
a confirmé que l’aire motrice était contre et au-dessus de la
lésion. La résection a été pratiquée sous neuro-navigation. Malgré une localisation bien précise de la lésion, une stimulation
corticale pendant l’intervention a été réalisée permettant de
vérifier qu’elle n’entraînait aucun mouvement de la main et de
l’avant bras. Une résection complète a pu être pratiquée sans
aucun déficit après l’intervention (fig. 1).
out comme les autres disciplines chirurgicales, la neurochirurgie a bénéficié, ces dernières années, d’un développement technologique important, et a pu dès lors se lancer dans
la «minimal invasive surgery» (MIS), tout en respectant les préceptes clairement définis dans la prise en charge des tumeurs
cérébrales (TC).
T
La chirurgie représente la première étape dans la prise en charge
des TC. L’intervention nous permet à la fois de connaître la nature
exacte de la tumeur et d’effectuer une résection la plus large
possible. La qualité de la résection représente un facteur pronostique majeur et, si elle est macroscopiquement complète,
peut conduire à une survie plus longue (tumeur cérébrale primitive, gliome). Mais peut-on réaliser une résection totale de
la tumeur et garantir au patient une bonne qualité de vie sans
séquelle? Les nouveaux développements technologiques nous
permettent d’atteindre cet objectif car ils nous apportent des
informations quant à la localisation exacte des zones fonctionnelles, et nous permettent d’être plus audacieux tout en diminuant le risque opératoire et les séquelles motrices.
Lorsque la lésion est bien délimitée, la résection complète est
simple. Mais dans la majorité des tumeurs cérébrales primitives,
les limites de la tumeur ne sont pas nettes et au fur et à mesure
de sa résection, les premières limites données par la neuronavigation ne sont plus exactes. Depuis 2004, le Service de
Neurochirurgie a acquit une Résonnance magnétique intraopératoire (encadré 2), qui permet au cours de l’intervention et
sans changer le patient de position, d’effectuer une nouvelle
imagerie. Nous pouvons ensuite poursuivre l’intervention et
réséquer les zones tumorales qui n’ont pas été enlevées tout
en contrôlant l’emplacement des zones fonctionnelles (fig. 2).
La neuro-navigation (encadré 1, GPS du chirurgien) a fait sont
apparition il y a une dizaine d’années. Au départ associée à un
microscope robotisé (lourd et encombrant), elle s’est considérablement simplifiée (une caméra et un écran tactile) tout en
devenant beaucoup plus précise. La neuro-navigation utilise une
imagerie du cerveau par résonnance magnétique nucléaire (IRM)
et par tomographie par émission de positons (TEP), incluant
également les données métaboliques, vasculaires et fonctionnelles, et effectuée avant l’intervention chirurgicale. Toutes ces
images nous donnent des indications sur la localisation précise
de la lésion et sur la présence des zones éloquentes contigües.
1 ) Procédure de Neuro-Navigation
Des images de Scanner ou IRM sont acquises en 3D (les
coupes sont fines et couvrent l’ensemble de la tête). Elles
sont transférées vers le système de navigation. Les points
précis définis sur l’imagerie sont reportés sur la tête du
patient. Les images et la tête du patient sont fusionnées.
Un système de caméra 2D à infra rouge permet le contrôle
exact du positionnement de la tête. Différent système permettent ensuite de connaître la localisation et l’état d’avancement de la résection (fig. 3).
Afin d’illustrer le processus, nous allons présenter l’exemple
d’un jeune patient présentant une tumeur cérébrale. Une crise
d’épilepsie a conduit à la réalisation d’un imagerie par IRM et
à la découverte d’une lésion au sein de la circonvolution frontale
A
B
L’utilisation de la neuro-navigation et de l’IRM intra-opératoire
permet de réduire considérablement les incisions, et la taille
des crâniotomies (exigence de la MIS).
C
D
Figure 2 : Polestar N20 : Résonance magnétique intra opératoire,
la tête du patient est placé entre les deux aimants (flèches).
Les clichés sont pratiqués tout au long de l’intervention,
selon les besoins, afin de garantir la qualité de la résection.
Figure 3 : Planning de neuronavigation.
Imagerie MRI et PET-scan fusionnée et coregistrée à la position
et morphologie de la tête du patient.
A) En haut gauche, image PET-scan et à droite image MRI non fusionnée.
B) Image MRI et PET-scan fusionnée. C) Image de la tumeur en 3D.
La tumeur se trouve au centre de l’image et apparaît plus sombre.
D) Image vue dans le microscope par le chirurgien.
Les limites de la tumeur apparaissent en jaune. E) Image vue dans
le microscope après résection.
2) IRM peropératoire
Une IRM intra opératoire de bas champ magnétique est utilisée. La salle d’opération n’étant pas faradisée, une tente
d’isolation est utilisée. Des images sont acquises dans les
différents plans et une comparaison peut être faite entre
les différentes acquisitions (fig. 4 et 5).
La MIS ne s’effectue pas que pour les lésions qui nécessitent
une craniectomie mais permet aussi de prendre en charge les
lésions tumorales de la base du crâne. Nous avons créé à l’hôpital Erasme une unité multidisciplinaire neurochirurgicale-ORL
où toutes les lésions de la base antérieure du crâne sont préférentiellement opérées par voie endoscopique. C’est ainsi que
les lésions tumorales des fosses nasales envahissant la base du
crâne bénéficient d’un traitement chirurgical par voie endoscopique et non par une large incision paranasale. Toutes les lésions
de la région hypophysaire sont également réséquées par une
approche endoscopique, ce qui réduit les désagréments du
patient et la durée de l’hospitalisation. Toutes ces interventions
s’effectuent sous contrôle de neuro-navigation et si possible
sous IRM peropératoire.
À l’aube de l’année 2009, les nouveautés seront toujours liées
a une avancée technologique (Laser, IRM, navigation, …). Nous
devons continuellement être à l’écoute des nouvelles possibilités. Mais comment garantir au patient un excellent résultat? Si
nous sommes dépendants de la technologie celle-ci ne peut
être utilisée de façon optimale qu’avec un entourage expert
d’anesthésistes, d’infirmières et de Bio Ingénieurs. Seule une
collaboration étroite entre tous les acteurs permet de garantir
des soins de qualité optimale.
■
A
B
Figure 4 : MRI à 1.5 T d’une lésion temporale droite avant (A)
et après (B) résection.
A
B
Figure 5: A) imagerie intraopératoire (même patient que figure 4).
Les flèches blanches indiquent le contour de la lésion avant résection.
B) L’image de contrôle permet de montrer la résection complète
de la lésion avec disparition de la compression sur le III ventricule
(flèches rouges).
Figure 1: Exemple d’une tumeur cérébrale localisée dans une zone fonctionnelle.
A) MRI tumeur cérébrale localisée dans une zone éloquente. B) Image plannig de neuronavigation nous localisant précisément la lésion.
Grâce à ce système de navigation, on peut passer entre deux circonvolutions et ne pas léser le cerveau. C) Vue durant l’intervention,
la flèche montre la tumeur en profondeur. D) Vue en fin d’intervention qui montre que les circonvolutions n’ont pas été touchées.
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LE COIN DU GÉNÉRALISTE
Les nausées et vomissements induits par
la chimiothérapie : un (mauvais) souvenir ?
Table 1: Emetogenic potential of single antineoplastic agents
Degree of
emetogenicity
Chemotherapy-induced nausea and vomiting:
a side-effect we can forget?
Simon Van Belle, Professor of Medical Oncology University of Ghent
Head, Department of Medical Oncology and of Palliative Care, University Hospital Ghent
[email protected]
Nausea and vomiting used to be one of the most distressing side
effects of chemotherapy until the mid eighties 1. The introduction
of anti-emetics for the prevention of chemotherapy-induced nausea
and vomiting (CINV) and the progress in the understanding of the
pathophysiology of this phenomenon has led to a remarkable
decrease of the proportion of patients experiencing this invalidating cancer treatment associated side effect, but complete control
for everybody is still not achieved.
Moderate (30-90%)
Low (10-30%)
Minimal (< 10%)
Agents
Agents
Agents
Agents
Cisplatin
Streptozotocin
Cyclophosphamide
≥1500 mg/m2
Carmustine
Dacarbazine
Hexamethylmelamine (o)**
Procarbazine (o)
Epirubicin
Oxaliplatin
Cytarabine >1 g/m2
Carboplatin
Ifosfamide
Cyclophosphamide
< 1500mg/m2
Doxorubicin
Daunorubicin
Gemcitabine
Idarubicin
Irinotecan
Etoposide (o)
Temozolomide (o)
Vinorelbine (o)
Imatinib (o)
Paclitaxel
Docetaxel
Mitoxantrone
Topotecan
Etoposide
Pemetrexed
Methotrexate
Mitomycin
Chlorambucil (o)
Cytarabine
≤100 mg/m2
5-Fluorouracil
Bortezomib
Cetuximab
Trastuzumab
Capecitabine (o)
Fludarabine (o)
Bleomycin
Busulfan
Chlorodeoxyadenosine
Fludarabine
Vinblastine
Vincristine
Vinorelbine
Bevacizumab
tors are in a lesser degree involved in CINV 8. The mechanism
of action of the steroids, commonly used in prevention schedules
remains obscure and is until now not linked to a well defined
receptor.
Development and use of anti-emetics
Pathophysiology of CINV
The vomiting center consists of a cluster of loosely organized
neuronal areas, the «central pattern generator». This central pattern generator receives impulses from two distinct systems:
the abdominal vagal afferents and the chemoreceptor trigger
zone in the area postrema. The abdominal vagal afferents contain different types of receptors, such as 5-HT3, neurokinin-1,
prostaglandin and cholecystokinin-1 receptors. The second activation system, the chemoreceptor trigger zone contains opoid
and dopaminergic receptors. These receptors can be activated
by blood-brain barrier passing molecules such as peptides or
chemotherapeutic agents, or their metabolites 2.
The susceptibility to chemotherapy is different from one person
to another. Personal risk factors are gender, age, previous exposure to chemotherapy, pregnancy-associated vomiting, motion
sickness, anxiety and previous overexposure to alcohol 3.
Another important factor is the type and dose of chemotherapy.
The most recently published classification is listed in table 1 and
takes into account the oral drugs and the targeted therapies 4.
Types of CINV and relationship to neurotransmitters
Research in anti-emetic therapy started several decades ago
with the introduction of high dose metoclopramide. At that
time, the concept of acute and delayed emesis was introduced.
Acute emesis was arbitrarily defined as vomiting during the
first 24 hours after administration of chemotherapy, and is predominantly linked to the 5-HT3 receptors while delayed emesis
is linked to the NK-1 receptors. Meanwhile it has become evident that the duration of acute emesis is beyond the first 24
hours, as delayed emesis starts probably after 8-12 hours 5.
5–HT3 receptors are widely distributed in the peripheral vagal
afferents, but also in the area postrema and nucleus solitarius 6.
The NK-1 receptors are predominantly but not exclusively localized in the central nervous system 7.
Other serotonin (5-HT1A, 5-HT2A, 5-HT2C, 5-HT3A, 5-H3B,
5-HT4), dopamine (D2, D3), and endocannabinoid (CB1) recep-
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N°11 – OCTOBRE–NOVEMBRE–DÉCEMBRE 2008
High (> 90%)*
22
The introduction of high dose cisplatin in the treatment of cancer
in the late seventies highlighted also the need for development
of effective anti-emetics. The use of high dose metoclopramide,
a D2 antagonist at conventional doses, was the first step towards
the discovery of the more important 5-hydroxytryptamine 3
(5-HT3) receptors.
The development of the 5-HT3 receptor antagonists in the late
eighties was a revolution in the prevention of CINV. These drugs
have become the cornerstone in the management of this
feared side effect of chemotherapy. Five drugs are currently
marketed worldwide: ondansetron, dolasetron (not available
in Belgium), granisetron, tropisetron and palonosetron. There
is no major difference between these substances, with the
exception of the prolonged activity of palonosetron. Multiple
studies and meta-analyses have demonstrated the importance
of these drugs 9. Since the introduction of the setrons, in combination with steroids, the incidence of CINV has decreased by
about 50%, but it was also observed that the effect on delayed
CINV was minimal and this has led to the search for new drugs,
such as the neurokinin-1 (NK-1) receptor antagonists.
Aprepitant-fosaprepitant was the first NK-1 antagonist on the
market10. The next one will be casopitant (GSK) for which the first
results have been presented at the annual meeting of ASCO
2008 11. It can be estimated that the introduction of the NK-1
antagonists have reduced the incidence of the remaining CINV,
observed after a two drug antiemetic regimen, with about 50%.
Current guidelines for CINV prevention
Several oncology societies review and publish on a regular basis
the guidelines for prevention of CINV. The MASCC antiemetic
guidelines (http://www.mascc.org/media/Resource_centers/
MASCC_Guidelines_Update.pdf) propose the use of a triple drug
regimen, including single doses of a 5-HT3 antagonist, dexamethasone and aprepitant or fosaprepitant for the prevention of
CINV following chemotherapy with high emetic risk or chemotherapy consisting of a combination of cyclophosphamide
and an anthracycline. They specify that the combination of the
steroid and the NK-1 antagonist is especially useful for the
prevention of delayed nausea and vomiting. An overview of the
guidelines is presented in table 2.
Hydroxyurea (o)
L-Phenylalanine
mustard (o)
6-Thioguanine (o)
Methotrexate (o)
Methotrexate (o)
*: incidence in percentage
**: (o): oral agent
Based on different studies over the last years, using these triple
drug regimens, one can estimate that about 60-70% of the
patients receiving highly or moderately emetogenic chemotherapy have a complete control of CINV. It is evident that these
regimens have reduced in a substantial way the incidence of
this distressing side effect of chemotherapy 12.
References
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perception of the side-effects of cancer chemotherapy. Oncol.
1983;19:203-208.
2. Hesketh PJ. Chemotherapy-induced nausea and vomiting.
Engl J Med. 2008;358:2482-2494.
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state of the art in 2006. J. Support. Oncol. 2006; 2 Suppl.1:3-8.
4. Grunberg SM, Osoba D, Hesketh PJ et al.: Evaluation of new
antiemetic agents and definition of antineoplastic agent emetogenicity
– an update. Support. Care Cancer 2005;13:80-84.
5. Hesketh PJ, Van Belle S, Aapro M, et al. Differential involvement
of neurotransmitters through the time course of cisplatin-induced
emesis as revealed by therapy with specific receptor antagonists.
Eur J Cancer. 2003;39:1074-1080.
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distribution and pathophysiological roles. Neuropeptides1998;32:1-49.
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Chemotherapy: Current Status. Basic & Clinical Pharmacology
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efficacy of four 5-HT3-receptor antagonists for acute chemotherapyinduced emesis. Support Care Cancer. 2007;15:1023-1033.
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for the prevention of chemotherapy-induced nausea and vomiting.
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11. Aziz Z, Arpornwirat W, Herrstedt J et al. Phase III results for the novel
neurokinin-1 (NK-1) receptor antagonist, casopitant: 3-day IV/oral
dosing regimen for chemotherapy-induced nausea and vomiting
(CINV) in patients (Pts) receiving moderately emetogenic
chemotherapy (MEC). J Clin Oncol 2008 ASCO Annual Meeting
Proceedings 26;abstr20512.
12. Schwartzberg L: Chemotherapy-induced nausea and vomiting:
state of the art in 2006. J. Support. Oncol. 2006; 2 Suppl.1:3-8.
Conclusion
The incidence of CINV has been reduced dramatically over the
last 35 years and the correct use of the current guidelines for
prevention of CINV allows to protect almost 70% of the patients
from this distressing side-effect. But the complete control and
prevention of nausea and in a lesser degree vomiting is not
yet reached and more research is needed to discover why
patients still experience this invalidating feeling when treated
with chemotherapy.
■
Table 2: Overview of the MASCC guidelines
HEC*
Acute
Setron
D1
Steroid***
12 mg
NK-1 RA 125 mg
aprepitant
or 115 mg
fosaprepitant
MEC
Delayed
(3 days)
LEC Minimal
Acute
Delayed D1
(2 days)
D1
D1
(D2 D3)
no
16 mg
8 mg
8 mg
8 mg no
80 mg
aprepitant
**
**
no
no
no
no
**
no
HEC: highly emetogenic chemotherapy, MEC: moderate emetogenic
therapy, LEC: low lmetogenic Chemotherapy;
*: includes combination of anthracycline and cyclophosphamide
(D2D3): setron can substitute steroid if contraindication.
**: NCC guidelines propose NK1 RA for selected chemotherapy
regimes such as carboplatin and oxaliplatin.
***: dose of steroid is listed for dexamethason.
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JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°11 – OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2008
CASE REPORT
Un cas d’anémie hémolytique
dans un cancer du sein
Valérie Doriath, Clinique d’Oncologie Médicale, Service de Médecine, Institut Jules Bordet
[email protected]
Une patiente suivie pour un cancer du sein métastatique se présente avec un ictère conjonctival après trois mois de traitement par
du lapatinib (un inhibiteur tyrosine kinase ciblant Her 1 et Her 2)
associé à de la capécitabine (une prodrogue du 5 fluoro-uracile).
Aucune cause évidente d’ictère n’est retrouvée à l’examen
clinique. Il n’y a pas de fièvre. L’abdomen et les aires ganglionnaires sont notamment sans particularité. La patiente présente
un syndrome mains-pieds de grade II.
Aucun médicament nouveau n’a été introduit.
L'histoire néoplasique de cette patiente de 38 ans débute cinq
ans plutôt lors du diagnostic d'un carcinome canalaire invasif droit
classé pT2N0M0, de grade III (mal différencié). Aux examens
immunohistochimiques, les récepteurs hormonaux sont faiblement exprimés, la protéine HER2/Neu est surexprimée et l'indice
de prolifération (Ki67) est à 20%. La patiente reçoit une chimiothérapie adjuvante comportant 6 cures de FEC (5 fluoro-uracile,
épirubicine, cyclophosphamide) suivie d’une radiothérapie et d'une
hormonothérapie combinant un agoniste LHRH et du tamoxifène. Trois ans plus tard, des métastases osseuses, hépatiques
et intra-orbitaires sont diagnostiquées. Après une radiothérapie
orbitaire, le traitement systémique comporte une combinaison
de taxol et d’herceptine suivi d’herceptine en monothérapie.
Ce traitement permet une réponse complète des métastases
hépatiques et une réponse partielle des autres lésions.
Un an après l’arrêt du taxol, des métastases cérébrales et surrénaliennes sont mises en évidence. Après la radiothérapie cérébrale (gamma-knife et irradiation panencéphalique), un traitement
combinant la capécitabine (2000mg/m², 14 jours sur 21) et le
lapatinib (1250mg/j en continu) est instauré dans le cadre d’une
étude clinique. Le bilan thérapeutique objective un contrôle de
la maladie au niveau cérébral et une réponse des lésions surrénaliennes. Le dosage du marqueur Ca15-3 n’est pas contributif.
Par ailleurs, un bilan par PET-scanner (tomographie à émission
de positons) montre une réponse métabolique complète.
Lorsque la patiente se présente à la consultation au vingtième
jour de son quatrième cycle de traitement (avec une réduction
de dose de capécitabine à 1750mg/m² en raison d’un syndrome mains-pieds), l’anamnèse et l'examen clinique révèlent
une tolérance médiocre, en raison d’une perte de poids de
16 kg depuis le début du traitement, d’une mucite de grade II,
de diarrhées de grade I et un état général altéré (indice de
performance évalué à 2).
De plus, la patiente présente pour la première fois un ictère conjonctival, apparu progressivement en une quinzaine de jours.
Dans une série de dix cas d’hyperbilirubinémie en cours de
traitement par 5 FU, Nikolic conclut à une hémolyse modérée
“compensée” 6. Cet effet de classe serait dû à un défaut de
formation de la membrane des globules rouges, qui résulte
de l’inhibition de la thymidylate synthétase médiée par la fluoropyrimidine.
Dans le cas décrit, la capécitabine en monothérapie n’a provoqué qu’une baisse modérée de l’haptoglobine. L’hémolyse semble liée à l’association du lapatinib à la capécitabine.
– Il n’y a aucun argument clinique pour une hémoglobinurie
paroxystique bénigne (absence d’urines porto, pas de fièvre
ni de douleur).
À la biologie (cf tableau 1), une diminution de l’hémoglobine,
une élévation de la bilirubine non conjuguée, une consommation de l’haptoglobine et une augmentation des LDH signent
le diagnostic d’anémie hémolytique.
Par conséquent, le diagnostic différentiel porte sur les différentes
étiologies d’anémie hémolytique liée au cancer (tableau 2).
– Un mécanisme auto-immun est exclu par un test de Coombs
direct négatif à trois reprises, une recherche d’anticorps antiérythrocytaires irréguliers et d’agglutinines froides négatives.
– Les enzymopathies érythrocytaires sont éliminées par des dosages normaux de Glucose6Phosphate déshydrogénase, de
Glucose Phosphate Isomérase, de Pyruvate Kinase et d’hexokinase. La sphérocytose héréditaire est possible sur base
de la biologie (test de cryohémolyse à 12%) mais exclue par le
contexte clinique (pas d’antécédent d’anémie hémolytique ou
d’ictère, pas de splénomégalie) et familial (aucun cas décrit).
– L’anémie hémolytique induite par le traitement ne peut être
exclue à ce stade.
Après normalisation de la biologie, les deux médicaments sont
réintroduits successivement. Après un cycle de capécitabine
seule, la tolérance est bonne et la biologie suivie de manière
rapprochée ne s’altére pas. Le dosage de l’haptoglobine reste
dans les limites basses de la normale après un cycle. Ensuite, le
lapatinib est ajouté à la capécitabine. Après 7 jours, la patiente
présente à nouveau une anémie hémolytique (cf figures 1 et 2).
Le lapatinib est ensuite administré seul, sans récidive de l’ictère
après trois mois de suivi. C’est donc l’association des deux
drogues qui déclenche l’hémolyse.
Dans l’étude de phase 1 sur la combinaison lapatinib-capécitabine, les données de pharmacologie (aire sous la courbe et
concentration sérique maximale) des deux médicaments et de
leurs métabolites ne sont pas altérées par l’administration
concomitante 7. Il n’y a pas d’interaction pharmacocinétique
observée. Un patient sur 47 a présenté une hyperbilirubinémie
au cours du 7e cycle. Aucun cas d’anémie hémolytique induit
par la bithérapie lapatinib-capécitabine n’a été décrit dans la
littérature.
Des cas d’anémies hémolytiques ont été rapportés chez des
patients traités par du 5 fluoro-uracile (5 FU) dont la capécitabine
est une prodrogue. Différents mécanismes ont été évoqués.
Cette drogue provoquerait une hémolyse via un mécanisme
immun 3. Trois cas d’anémie hémolytique avec un test de
coombs positif ont été décrits 4, 5. Un anticorps dépendant du
5 FU et activant le complément a été mis en évidence chez
un des patients 5.
In vitro, les inhibiteurs de tyrosine kinase modulent l’activité d’enzymes clefs liées à l’activité de la fluoropyrimidine 8. Dans des
lignées cellulaires de carcinome mammaire traitées par l’association de capécitabine et de lapatinib, une action cytotoxique
synergique avec une expression réduite du gène de la thymidylate synthètase a été observée 9. L’effet de la capécitabine
>>>
Figure 1 : Évolution de la bilirubine lors de la réintroduction des médicaments (C: Capécitabine; L: Lapatinib)
capécitabine
ajout
lapatinib
– L’électrophorèse de l’hémoglobine normale exclu les hémoglobinopathies.
lapatinib
seule
– L’origine microangiopathique n’est pas retenue car les anomalies de la coagulation, la thrombopénie et les schistocytes
ne sont pas retrouvés. De plus, l’excellente réponse au traitement va à l’encontre de l’apparition d’une microangiopathie, parfois assimilée à un syndrôme paranéoplasique 1, 2.
– Aucun élément du syndrome “hémophagocytique”3 n’est
présent.
– La recherche par les sérologies des germes pouvant par un
mécanisme immun ou microangiopathique être à l’origine d'une
anémie hémolytique (mycoplasme, HCV, HBV, EBV et CMV) est
négative. La malaria est d’emblée exclue par le contexte.
Figure 2 : Évolution de l'haptoglobine lors de la réintroduction des médicaments
capécitabine
seule
Tableau 1: valeurs biologiques lors de l’apparition de l’ictère (normes et unités mentionnées entre parenthèses)
Hémoglobine
10,8 (12-16g/dl)
Schistocytes
0 (0-4/1000GR)
Globules rouges
3,4 (3, 8-5*10\S\6/µl)
LDH
567 ( 240-480 UI/L)
VCM
92 (80-100 fl)
Fibrinogène
187 (200-400mg/dl)
Plaquettes
340 (150-440*10\S\3/µl)
D-Dimères
1040 (0-500ng/ml)
Réticulocytes
52,2 (22,5-147*10\S\3/µl)
PTT
69 (70-100%)
Haptoglobuline
<3 (30-200mg/dl)
Urée
20 (13-40 mg/dl)
Bilirubine totale
4 (0,2-1,2 mg/dl)
Créatinine
0,6 (0,55-0,96 mg/dl)
Bilirubine directe
0,8 (<0,4mg/dl)
Schistocytes
0
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lapatinib
seule
ajout
lapatinib
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CASE REPORT
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Tableau 2: étiologies des anémies hémolytiques liées au cancer
ÉTIOLOGIES
DÉFINITION/PHYSIOPATHOLOGIE
SIGNES/ TESTS
Auto-immune
- Production par la tumeur d’un antigène
ou d’un anticorps qui va provoquer la destruction
des globules rouges.
- Stimulation par la tumeur du système
immunitaire de l’hôte, qui produit
des anticorps qui par réaction croisée
vont dégrader les globules rouges.10
Test de Coombs direct et indirect/
recherche d’agglutinines froides
Enzymopathies
- Dosages des enzymes érythrocytaires
bas dans les leucémies et les syndromes
myélodysplasiques.
Mécanisme exact peu clair.3
Dosage PK, G6PD, SOD, GPI,
Hexokinase, test de cryohémolys
Microangiopathie (MAHA)
(par extension
Syndrome Urémique
et Hémolytique (SHU))
- MAHA et SHU seraient une pathologie disséminée
dont le point de départ est une lésion endothéliale,
qui entraine la formation de caillots.3
- La fragmentation des globules rouges
résulterait du passage des globules rouges
à travers des vaisseaux sanguins anormaux.10
* très mauvais pronostic.
Fibrinogène ↓
ddimères↑,
PTT↓,
schistocytes,
plaquettes ↓
(SHU: insuffisance rénale)
Hémoglobinopathies
- Diminution de la production de la chaîne alpha
de l’hémoglobine, induite par le cancer.
Mécanisme peu clair.3
Electrophorèse de l’hémoglobine
Hémophagocytose
- Les histiocytes sont stimulés par une infection
ou un désordre immunitaire chez des patients
atteints de collagènoses, de cancer
et dans d’autres situations d’immunodépression
et phagocytent les globules rouges.3
Fièvre, cytopénie, adénopathies,
troubles de la coagulation,
phagocytose des globules rouges
Greffe de moëlle
Mécanisme: MAHA ou auto-immun.3
Histoire clinique
Hypersplénisme
Destruction inappropriée des globules rouges
par la rate.3
Splénomégalie, cytopénies
Chimiothérapie
Nombreux mécanismes décrits dans des case report:
- MAHA avec SHU: Mitomycine C
- Auto immun: Melphalan
- Production d’anticorps contre les globules
rouges: Fludarabine
- Altérations membrane des globules rouges:
Cytarabine, Vinblastine 3
Tests en fonction du mécanisme
sur la membrane érythrocytaire, responsable d’une hémolyse
modérée compensée (cf chute modérée de l’haptoglobine) est
amplifié en présence de lapatinib.
Conclusion:
Dans le cas illustré ci-dessus, l’anémie hémolytique associée au
cancer est induite par la chimiothérapie. Les agents cytotoxiques
sont le plus souvent responsables d’une hémolyse d’origine
auto-immune ou microangiopathique 10. L’association lapatinib-capécitabine provoque une hémolyse par une altération des
enzimes de la membrane du globule rouge. L’effet synergique
du lapatinib sur la toxicité érythrocytaire de la capécitabine est
décrit pour la première fois en clinique.
■
Références
1. Wautier JL, Rouger P, Drug-induced hemolytic anemia, Transfus Clin
Biol, 2001; 8:377-80.
2. Retornaz F, Soubeyrand J, Le purpura thrombotique thrombocytopénique, physiopathologie et traitement, Réanimation, 2002; 11: 333-340.
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3. Diehl LF, Bolan CD, Weiss RB, Hemolytic anemia and cancer, cancer
treatment reviews, 1996; 22:33-73.
4. Jabboury K, Holmes FA, Hortobagy G, 5 fluorouracil rechallenge by
protacted infusion in refractory breast cancer, Cancer, 1989; 64: 793-797.
5. Sandvei P, Nordhagen R, Michaelsen TE and al, Fluorouracil (5-FU)
induced acute immune haemolytic anaemia, Br J Haematol, 1987;
65(3):357-9.
6. Nikolic-Tomasevic Z., Jelic S., Cassidy J et al., Fluoropyrimidine therapy: hyperbilirubinemia as a consequence of hemolysis, cancer chemother pharmacol, 2005; 56: 594-602.
7. Quincy S.C., Schwartz G, De Bono J and al, Phase I and pharmacokinetic study of lapatinib in combination with capecitabine in patients
with advanced solid malignancies, JCO, 2007; 24 : 3753-3758.
8. Magne N, Fischel JL, Dubreuil A et al, ZD 1839 (iressa) modifies the
activity of key enzymes linked to fluoropyrimidine activity: rational
basis for a new combination therapy with capeciatabine, Clin cancer
res, 2003; 9:4735-4742.
9. Budman DR, Soong R, Calabro A et al, Identification of potentially
useful combinations of epidermal growth factor receptor tyrosine
kinase antagonists with conventional cytotoxic agents using median
effect analysis. Anticancer drugs, 2006; 17:921-928
10. Rytting M, Worth L, Jaffe N, Hemolytic disorders associated with
cancer, Hematol Oncol Clin North Am, 1996;10(2):365-76.
AU-DELÀ DE LA MÉDECINE…
L’humour et l’art
L’art, depuis des millénaires, eut plus de rapports avec la souffrance qu’avec
le rire. Certes, les grotesques de Breughel, d’Arcimboldo, de Daumier et
quelques autres firent exception. Il y eut bien, au XVIIIe siècle anglais, cette
étonnante extravagance nommée Hogarth, lequel représenta en gravure
populaire la dissection d’un cadavre dont les intestins, tombés de la table,
sont dévorés par un chien !
Cependant, tout change autour de 1900 avec Rops Daumier et d’autres
artistes caricaturistes. Marcel Duchamp, artiste-humoriste, déclara s’en être
inspiré. Et là, plus de doute, avec Picabia, Magritte, Arp Dale, l’humour
anima régulièrement les démarches de l’art moderne. Il est toujours actif aujourd’hui dans les œuvres de
Wim Delvoye (Cloaca), Wegman (des chiens-artistes), Gilles Barbier, Ben, Catelan (le pape écrasé par un
aérolithe) etc. Duchamp ajoutant des moustaches à une carte postale de la Joconde avait ouvert la voie à
un art qui ne se revendiqua pas plus de la beauté. En plaçant à côté de l’image moustachue une seconde
carte postale de la Joconde, intacte, Duchamp la sous-titra : ‘La même, rasée’. Ce qui fait supposer que la
‘vraie’ Joconde porte moustache et que celle du Louvre… etc. Dérision? Désespoir? Fin du sublime en art?
N’allons pas si vite.
La pensée freudienne s’avère ici très éclairante. Freud commence par préciser le
rôle de l’art en même temps qu’il définit l’inconscient et le fantasme. L’œuvre d’art,
selon le père de la psychanalyse, serait le moyen par lequel le refoulé-interdit
arrive à être représenté. En ce sens, toute œuvre d’art est une descente aux Enfers,
une plongée dans l’horreur que l’artiste parvient à rendre supportable par l’aide
d’une prime de beauté (le principe de plaisir). Or, ce recours à la beauté s’est
considérablement détérioré depuis le début du XXe siècle. Après la boucherie
de Verdun, l’horreur de l’Holocauste, celle de Hiroshima comment encore invoquer le beau ? Et la destruction de notre écosystème ?
Reste l’humour. Lui aussi selon Freud, est une réponse à l’horreur et à l’angoisse.
Dans ‘Le mot d’esprit’ Freud voit même dans l’humour un parent très proche de
l’art. En effet, dit-il, non seulement l’humour permet d’accepter le tragique de l’existence (il est souvent ‘noir’), mais en plus, il travaille et transforme le langage. Les
grands humoristes qui s’emparent des matériaux de la communication pour
produire du ‘non-sense’, sont, en effet, des artistes : les nôtres.
Pierre Sterckx, Critique d’art
Effigie en cire, grandeur nature, habillement,
résine de polyester avec la poudre métallique,
roche volcanique, tapis et verre
COLLECTION PRIVÉE
Pierre Sterckx est critique d’art et écrit dans «Beaux-Arts
Maga zine». Il est conférencier et conseiller en art
contemporain.
Il est l’auteur de René Magritte, l’empire des images
(Assouline). Il a reçu, en 1996, le Grand prix du CNRS pour
le scénario du cd-rom Le Mystère Magritte. En 2007,
il a publié Le Devenir-cochon de Wim Delvoye puis Hans
Holbein. Outrage à la représentation (Éditions de La Lettre
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
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Volée) et Tintin schizo (Les Impressions nouvelles). Il est
aussi l’auteur de 50 Géants de l’art américain, Beaux Arts
éditions. En 2008, il publie Gilles Barbier, un abécédaire
(Le Regard) et participe au catalogue d’exposition Keith
Haring, au Musée d’art contemporain de Lyon.
Pierre Sterckx vient de sortir Impasses et impostures
en art contemporain, aux Éditions Anabet.
Depuis septembre 2008, il collabore à l’émission de
Guillaume Durand, L’objet du scandale, sur France 2.